Notes
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[1]
La revue Public Administration est publiée, depuis 1922, par l’Institute of Public Administration lui-même créé en Grande-Bretagne au lendemain de la Grande Guerre.
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[2]
Après avoir combattu dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale, le Britannique Lyndall Urwick (1891-1983) est recruté par l’industriel philanthrope britannique Benjamin Seebohm Rowtree qui a fait fortune dans le chocolat. Il participe à la rationalisation de l’entreprise en appliquant les principes de Frederick W. Taylor et de Mary Parker Follett. Considéré dès le milieu des années 1920 comme une référence en matière de management scientifique, il devient, en 1928, directeur de l’Institut de l’Organisation Scientifique du Travail. Après la fermeture de ce dernier, il devient consultant en Grande-Bretagne, tout en restant très actif dans les milieux du management et de la science administrative. Il publie avec Luther Gulick Papers on the Science of Administration en 1937.
-
[3]
DOLOWITZ D., MARSH D., « Learning from Abroad: The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy Making », in Governance, Hoboken, vol. 13, n 1, 2000, p. 5-24. Sur la pertinence de cette approche appliquée à différents domaines : SAURUGGER S., SUREL Y., « L’européanisation comme processus de transfert de politique publique », in Revue internationale de politique comparée, Louvain, 2/2006, p. 179-211 ; DUMOULIN L., SAURUGGER S., « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », in Critique internationale, Paris, n° 48, 2010, p. 9-24.
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[4]
Sur la notion de « configurations circulatoires », voir : SAUNIER P.-Y., « Trajectoires, projets et ingénierie de la convergence et de la différence : les régimes circulatoires du domaine social 1800-1940 » in Genèses, Paris, n° 71, 2008, p. 4-25. En étant attentif aux mécanismes concrets de la circulation, on peut distinguer des configurations circulatoires. Elles reposent sur des acteurs individuels et collectifs qui consacrent du temps à l’établissement de connexions destinées à faire circuler des objets ou des savoirs. Les configurations nécessitent l’adoption d’un langage commun ainsi que de références partagées. Elles peuvent se concrétiser enfin par des institutions visant à établir des connexions et à les organiser.
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[5]
Dont Patrick Hassenteufel a pu pointer un certain nombre de limites : « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale », in Revue française de science politique, Paris, vol. 55, n° 1, 2005, p. 113-132.
-
[6]
WERNER M., ZIMMERMAN B., « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », in Le genre humain, n° 42, Paris, Seuil, 2004, p. 15-49.
-
[7]
BERTRAND R., Histoire à parts égales, récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe), Paris, Seuil, 2011.
-
[8]
En étant attentif à la place des savoirs dans la construction de l’État et de l’action publique moderne, cet article s’inscrit dans le chantier des sciences de gouvernement. Portant sur des périodes bien souvent postérieures au dix-huitième siècle, des ouvrages collectifs (IHL O., KALUSZYNSKI M., POLLET G. (dir.), Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003 ; AUDREN F., LABORIER P., NAPOLI P., VOGEL J. (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011 ; KALUSZYNSKI M., PAYRE R (dir.), Savoirs de gouvernement. Circulation(s), traduction(s), réception(s), Paris, Economica, 2013) et des monographies sociologiques et historiques ont ainsi exploré les multiples formes de savoirs produits par les administrations publiques ou à leur demande. Cette enquête sur les acteurs et les institutions d’une réforme de l’administration tend à élucider les exigences d’administration et d’action publique qui participent à la mise en forme de sciences de gouvernement.
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[9]
Si l’internationalisation des échanges de savoirs administratifs prend une ampleur sans précédent dans l’entre-deux-guerres, il est évident que des liens ont été noués dans les décennies précédentes. Il est par exemple important de relever les liens entre les étudiants états-uniens en science politique qui voyagent dans les années 1870-1880 en Allemagne et étudient l’administration. C’est au cours d’un voyage en Allemagne à la fin des années 1870 que Richard Ely (1854-1943) est amené à rédiger un article sur l’administration municipale berlinoise et creuse la question du « socialisme d’État ». Un de ses élèves, Albert Shaw (1857-1947), travaillera quant à lui plus spécifiquement sur le gouvernement municipal et fera de l’Allemagne un modèle dans son ouvrage Municipal Government in Continental Europe publié en 1895. (SCHAFER A., American progressives and German Social Reform, 1875-1920, Social ethics, moral control and the regulatory state in a transatlantic context, Stuttgart, Steiner, 2000, p. 8 et ss). On peut également penser au rôle des sciences humaines allemandes et de l’approche compréhensive dans la structuration des sciences sociales nord-américaines. Les travaux de Max Weber comptent parmi ceux qui traversent l’Atlantique et participent à la fondation d’une tradition sociologique notamment à Chicago (ROSS D., The Origins of American Social Science, New York, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; CHAPOULIE J.-M., La tradition sociologique de Chicago (1892-1961), Paris, Seuil, 2001)
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[10]
Ces propos de Cooreman sont reproduits dans le premier chapitre de l’ouvrage de George Montagu Harris : MONTAGU HARRIS G., Problems of local government, London, P.S. King and son, 1911.
-
[11]
Sur ce sujet, AUDREN F., LABORIER P., NAPOLI P., VOGEL J., op. cit., Paris, PUF, 2011.
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[12]
Louis Brownlow, en venant en Europe en 1936, est présenté à René Didisheim, jeune juriste ayant fait ses études en Angleterre. Convaincu qu’il deviendra un homme-clef pour la science administrative européenne, il décide de l’inviter à Chicago pour qu’il observe le travail accompli au sein du Public Administration Clearing House et qu’il s’inspire des méthodes éprouvées outre-Atlantique. (Archives Charles S. Ascher (Columbia University, Rare book and manuscript Library, New York), Box 44, Journal de Louis Brownlow, 13/05-6/08/1936).
-
[13]
Archives Louis BROWNLOW, John F. Kennedy Library (Boston, Ma), Box 74, journal de Rowland Egger, 11/06/1935.
-
[14]
BROWNLOW L., A passion for anonymity, Chicago, The University of Chicago press, 1958, p. 233.
-
[15]
Le 1313 Center désigne dans les années 1930, par allusion à son adresse sur le campus de l’Université de Chicago, le Public Administration Clearing House qui rassemble les associations professionnelles et corporatistes des différents niveaux de gouvernement ainsi que les associations et revues dédiées à l’étude de l’administration.
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[16]
« C’est ainsi qu’un beau jour d’octobre 1936, nous partîmes à la découverte de l’Amérique » : voilà comment débute l’article que René Didisheim publie à son retour des États-Unis. Il s’est réjoui avec Émile Vinck d’obtenir le consentement des Américains pour organiser un congrès commun à l’Institut et à l’Union à Washington en 1939 ou 1940 (VINCK É., DIDISHEIM R., « Voyage à travers les institutions administratives américaines », Revue internationale des sciences administratives, n° 2, 1937, p. 204-250). Mais le voyage est surtout dû à l’initiative des responsables du Public Administration Clearing House qui espèrent que cette visite des institutions de Chicago inspirera les Européens et insufflera de nouvelles méthodes de travail. (Archives Charles Ascher, Columbia University. Rare book and manuscript library, Box 44, Brownlow’s diary, 13/05/1936, p. 10).
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[17]
Sur les voyages d’Européens aux États-Unis et leur lien avec l’institutionnalisation des sciences sociales, nous pouvons nous référer au travail de Ludovic Tournès (TOURNES L., « La fondation Rockefeller et la construction d’une politique des sciences sociales en France (1918-1940) » in Annales. Histoire, Sciences Sociales, Paris, vol. 63, n° 6, 2008, p. 1371-1402).
-
[18]
« À propos de l’organisation des congrès internationaux », Revue internationale des sciences administratives, Bruxelles, n° 4, 1937.
-
[19]
Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 83, « Governmental Research, Research Bureaus and the G.R. A., A Proposed Statement by the Committee on Public Administration of the Social Science Research Council », April 1939.
-
[20]
WALDO D., The Administrative State. A Study of the political Theory of American Public Administration, New York, The Ronald Press Company, 1948.
-
[21]
La volonté de faire de l’administration l’objet d’une science est déjà présente dans l’article fondateur de Woodrow Wilson (« The Study of Administration », Political Science Quarterly, vol.56, 1887, p. 197-222). Françoise Dreyfus insiste dans son étude sur la bureaucratie sur le caractère pragmatique de la science envisagée par Wilson (DREYFUS F., L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (XVIIIe-XXe siècle), Paris, La découverte, 2000, p. 194). Avec la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, non seulement les tâches administratives se développent, mais la science de l’administration prend un tournant plus fonctionnaliste. La nouvelle science de l’administration de l’entre-deux-guerres cherche à énoncer de grands principes normatifs de ce que doivent être l’administration et le gouvernement modernes.
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[22]
WALDO D., op. cit, p. 191.
-
[23]
Un muckraker est une des figures de « l’Ère progressiste » (au cours de la Progressive Era, des années 1890 aux années 1920, de nouvelles règles du jeu politique s’imposent ainsi que de nouvelles formes d’intervention publique). Il s’agit d’un écrivain ou d’un journaliste qui par ses écrits dénonce les formes de criminalité ou de corruption impliquant des responsables politiques ou industriels.
-
[24]
SHARP W., « Public Personnel Management in France », in WHITE L., BLAND C., SHARP W., MORSTEIN MARX F. (eds.), Civil Service Abroad. Great Britain, Canada, France, Germany, NY and London, McGraw-Hill Book Company, 1935, p. 100.
-
[25]
Si le mouvement œuvre à une professionnalisation, la profession liée au service public a du mal à émerger. C’est en tout cas la thèse que développe Bruce Mc Donald dans son étude du Bureau of Municipal Research de New York. Mc DONALD B., « The Bureau of Municipal Research and the Development of a Professional Public Service », in Administration and Society, vol. 42, n° 7, 2010, p. 815-835.
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[26]
Dwight Waldo consacre le sixième chapitre de son The Administrative State à la question de « Who should rule ? ».
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[27]
Ce portrait est celui que dresse Waldo, en 1948, à partir des écrits d’administration publique : WALDO D., op. cit., p. 99.
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[28]
Après la Seconde Guerre mondiale, il ne fait aucun doute que la professionnalisation est présentée comme un des fruits de ce mouvement de réforme de l’administration publique. En inaugurant, en 1949, le tout nouveau Institut d’Administration Publique du Canada, Luther Gulick prononce une conférence qui s’intitule : « Public Administration as a Profession ». Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie II, Box 7.
-
[29]
« A Society of Civil Servants », The Civilian. The Accredited Organ of the Civil Service, Saturday 16th March 1918.
-
[30]
À ce titre, il est possible de relever un lien entre le mouvement de rationalisation et la réforme de l’administration. Une des figures très fréquemment sollicitée, notamment par Lyndall Urwick, est Henri Fayol. La contribution d’Henri Fayol au Congrès International des Sciences Administratives de 1923 est publiée dans l’ouvrage de GULICK L., URWICK L., Papers on the science of Administration, New-York, Institute of Public Administration, 1937.
-
[31]
SCHIESL M., The Politics of Efficiency. Municipal Administration and Reform in America: 1880-1920, Berkeley, University of California Press, 1977, p. 3.
-
[32]
Une forme de compagnonnage peut être pointée entre certains économistes et les tenants d’une réforme de l’administration publique dans la conviction que le libéralisme des années 1920 et 1930 n’est plus le libéralisme classique désormais profondément dépassé. On peut évidemment citer les conférences de John Maynard Keynes devant la Society of Civil servants dès 1920 (University of Warwick – Modern Records Center – MSS.232 : Association of Executive Officers and other Civil Servants/A/1, The Society of Civil Servants – Reports for the year 1920). On peut également pointer les liens directs entre Luther Gulick et l’auteur de The End of Laissez Faire durant la Seconde Guerre mondiale, Luther Gulick défendant auprès de Roosevelt une politique keynésienne.
-
[33]
BUNBURY H., Governmental Planning Machinery. A Comparative Study, Public Administration Service n° 63, 1938.
-
[34]
Les trois membres choisis par Rossevelt pour siéger sont Frederic A. Delano, recteur (dean) of American Urban Planners, l’économiste Westley C. Mitchell et Charles E. Merriam. Pour ce dernier, le planning « représente le dernier et le plus beau rêve des sciences sociales ». (SMITH M., Social Science in the Crucible. The American Debate Over Objectivity and Purpose, 1918-1941, Duke, Duke University Press, 1994, p. 107).
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[35]
Gerald Barry est, au début des années 1930, l’éditeur d’un hebdomadaire nommé Week-End Review. Le 14 février 1931, il publie un supplément de 16 pages titré « A national plan for Britain » (rédigé par Max Nicholson). Avant sa publication, le projet a circulé parmi des hommes d’affaires, des militants politiques, des universitaires. Le Times écrit, en 1943, que PEP a publié 200 études depuis sa création. « Ils se sont emparés de ce territoire des sciences sociales dans lequel la forte collaboration est possible entre des hommes et des femmes aux vues politiques différentes. Leur méthode vient des sciences naturelles et expérimentales et consiste en une attention scrupuleuse aux faits » (Times, 19/01/1943) (London School of Economics Archives – PEP PSI/1/31 History of PEP, copies of early documents and correspondence concerning foundation 1931-1935).
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[36]
Le marqueur de cet espoir est l’un des derniers grands discours d’Albert Thomas à l’occasion de la conférence internationale du travail d’avril 1932 (un mois avant sa mort). Il « défend l’audace de la recherche internationale d’une « économie organisée » » (CAYET T., « Travailler à la marge : le Bureau International du Travail et l’organisation scientifique du travail (1923-1933) », Le Mouvement Social, n° 228, 2009, p. 39-56).
-
[37]
En 1937, le Committee on Public Administration of the Social Science Research Council initie sous la direction de Frederick P Gruenberg une enquête sur l’histoire du « Governmental research movement ». Le rapport est finalement rédigé en 1939 (Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 83, « Governmental Research, Research Bureaus and the G.R. A., A Proposed Statement by the Committee on Public Administration of the Social Science Research Council », April 1939).
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[38]
L’attention portée au milieu de la public administration tend à montrer une forme de concurrence entre deux types d’experts : l’économiste et le governmental research man. Cette concurrence s’appuie probablement sur deux visions du rôle de l’administration et des pouvoirs publics et sur des savoirs profondément différents. Cette divergence est particulièrement visible à partir des années 1960 et des mesures dites de budgets de programme. Aaron Wildavsky en a fait la critique dans la Public Administration Review (en 1961). Charles Ascher adhère pleinement à cette critique de la faible connaissance des enjeux politiques de telles réformes pensées du seul point de vue de l’efficacité socioéconomique. « Je partage son avis sur le fait que les PPBS boys ignorent les effets politiques de la redistribution du pouvoir que supposent leurs préconisations ». (Papiers Charles S. Ascher (Columbia University, Rare book and manuscript library, New York City,New York), Box 142, Lettre de Ascher à Helen Seymour (UNITAR), 5/04/1967).
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[39]
Il s’agit là de faire allusion aux travaux de Romain Bertrand montrant que la rencontre à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle entre Hollandais, Malais et Javanais, dès lors qu’on se prête à une histoire à parts égales, n’a pas eu lieu. Romain Bertrand refuse de postuler que le contact suffit ou que la rencontre fait sens aux yeux de l’ensemble des protagonistes. BERTRAND R., op. cit. 2011.
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[40]
Sur les projets de l’Allemagne nazie concernant l’Institut international des sciences administratives et sur la concurrence entre États-Uniens et Allemands, on peut renvoyer à la très belle enquête de Stefan Fisch et à son chapitre : FISCH S., « Origins and History of the International Institute of Administrative Sciences : From Its Beginnings to its Reconstruction after World War II (1910-1944/47) », in DUGGETT M., RUGGE F., (dir.), IIAS/IISA. Administration Service 1930-2005 (International Institute of Administrative Sciences Monographs, 26), Amsterdam 2005, p. 35-60.
-
[41]
The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 4 Projects, Sub Serie 1, Box 7, B Ruml, L. Gulick, New Ideas and Governmental Devices. Being a series of Notes on Public Administration in England, Holland and Sweden – August 1931.
-
[42]
The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 4 Projects, Sub Serie 1, Box 7, Lettre de Gibbon à Moffett, 1/03/1933.
-
[43]
Services communs de recherche et de documentations administratives, La formation des agents de l’administration, Bruxelles, 1937, Publication n° 3.
-
[44]
C’est en 1938 que sont inaugurés les nouveaux locaux communs à l’Union internationale des villes, l’Institut international des sciences administratives et la Fédération internationale de l’habitation et de l’urbanisme dans l’immeuble Shell de Bruxelles. Les principaux membres des bureaux des associations sont présents et René Didisheim de l’Institut des sciences administratives souligne le rôle joué par les délégués américains dans la création de ce nouveau centre d’administration publique. (L’administration locale, n° 20, janvier-avril 1938, doc.214.)
-
[45]
Guy Moffett (Fondation Rockefeller) constate, en 1938, que « peu de progrès ont été accomplis dans l’effort du Centre de Bruxelles visant à rassembler les documents sur le planning dans les pays européens », (The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 5 General Files, Sub Serie 1, Box 1, Brussels Center, 1936-1939. Memorandum (G. Moffett), International Union of Local Authorities – International Institute of Administrative Sciences, August 1 1938).
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[46]
DREYFUS F., op. cit., 2000, p. 199.
-
[47]
Dès le milieu des années 1930, les réformateurs états-uniens pointent cette distinction entre la France et les États-Unis. Les professeurs de la Faculté de droit de Paris ne peuvent plus être considérés comme des interlocuteurs d’une public administration américaine aux ambitions pratiques. Rowland Egger, alors professeur à l’Université de Virginie, est envoyé en Europe par le Public Administration Clearing House pour assurer le rapprochement entre l’Union internationale des villes et l’Institut international des sciences administratives. En faisant un tour d’Europe des principales institutions réformatrices, il s’arrête chez William Oualid, en passe de devenir directeur de l’Institut d’urbanisme. Il est frappé par l’ignorance et le peu de sens pratique de celui qu’il nomme « Monsieur le professeur » [en français dans le texte]. L’ambition déçue de Rowland Egger était d’impliquer l’Université dans le projet de fondation d’un « clearing house » européen (Spelman Fund of New York papers (Rockefeller Archive Center, NY, E.U.), series 4, sub series 1, box 11, folder 292, Diary Rowland Egger).
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[48]
Lorsque, en 1937, le Committee on Public Administration of the Social Science Research Council débute son enquête sur l’histoire du « Governmental research movement », on perçoit, dans les quelques entretiens retrouvés, la place importante du Bureau de recherche municipale de New York, puis de son successeur le National Institute of Public Administration qui constituent pour des étudiants s’orientant vers un PhD soit un complément de formation davantage pratique soit une source de revenus (par leur participation à des rapports) (Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 82, Memorandum from Luther Gulick to Fred P. Gruenberg, 22/09/1937).
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[49]
A life time of public service. A tribute to Donald Stone, New York, American Society of Public Administration, 1996.
-
[50]
Dans une lettre adressée à Luther Gulick, Herman Finer pointe un des facteurs explicatifs du développement différencié de la science de l’administration publique aux États-Unis et en Grande-Bretagne : « l’immense somme d’argent que l’Amérique consacre à la recherche ». « Savez-vous qu’en ce moment, pour manque d’argent, nous n’avons pas plus de deux ou trois professionnels étudiants en administration publique dans l’ensemble de l’Angleterre ? Il n’y a pas de professeurs d’administration publique à l’Université de Londres et seulement un professeur de gouvernement », Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 81, Letter de Luther Gulick à Dean Edmund E. Day, Rockefeller Foundation, 13/01/1931.
-
[51]
The Civil Servant and his Profession, London, Sir Isaac Pitman and Sons, 1920.
-
[52]
National Institute of Public Administration. Announcement of courses 1923-24. [exemplaire retrouvé dans les archives de William Beveridge : LSE Archives – Beveridge/2B/22/4.]
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[53]
Sur l’École, voir : VANNEUVILLE R., La référence anglaise à l’École libre des sciences politiques. La formation de gentlemen républicains, 1871-1914, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Grenoble, 1999. Il convient d’indiquer une exception dans l’histoire des nombreux projets d’écoles d’administration qui traversent la France des dix-neuvième et vingtième siècles : l’ambitieuse école imaginée par le ministre Jean Zay. Il s’agit d’un enseignement à deux degrés. Le premier degré est composé de deux types d’institutions. Une école d’administration dont le siège est fixé à Paris et que fréquentent les candidats classés dans les cinquante premières places au concours, candidats destinés, entre autres, aux carrières de rédacteur dans une administration centrale, de chef de cabinet de préfet, de conseillers de préfecture ou encore d’administrateurs civils d’Algérie. Ils accèdent à ces carrières directement à la sortie de leur école. Les instituts de préparation administrative créés en province auprès des facultés de droit et de lettres accueillent, pour leur part, les candidats classés dans la deuxième cinquantaine au concours. Au bout de trois ans, les élèves des instituts peuvent être admis à se présenter à un nouveau concours qui leur offre l’accès aux carrières précitées. Il est, en outre, prévu que les instituts de province préparent aux postes à occuper dans les administrations départementales et municipales. Le second degré est représenté par le centre des hautes études administratives fixé à Paris dont le recrutement s’effectuerait par un concours unique. Les anciens élèves de l’École d’administration sont admis à se présenter aux côtés des anciens élèves de l’École polytechnique et de l’École centrale et les rédacteurs des administrations centrales ayant au moins trois ans de services publics. Le projet est définitivement abandonné en 1938. Sur ce projet, voir : THUILLIER G., L’ENA avant l’ENA, Paris, Presses universitaires de France, 1983.
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[54]
Archives Louis Brownlow, John F. Kennedy Library (Boston, Ma), Box 27, A proposal for United States Government Membership in the International Institute of Administrative Science by The American society for public administration, non daté. Dans cet historique des relations entre l’Institut et les représentants américains, datant des années 1960, l’auteur souligne l’évolution des préoccupations de l’Institut après 1945. Le poids du droit administratif tend à diminuer au profit de questions relatives à l’administration pratique : la pratique des budgets, la rationalisation des structures et des méthodes, etc.
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[55]
C’est Charles Ascher qui représente l’Union internationale des villes, mais également l’Institut international des sciences administratives auprès des organismes gouvernementaux internationaux.
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[56]
Archives Brownlow (John F. Kennedy Library, Boston, MA, États-Unis), Box 8, Lettre d’Herbert Emmerich au Gouverneur Winant (ECOSOC), 15/06/1946.
1En 1935, dans la revue Public Administration [1] Lyndall Urwick [2] publie un article entièrement dédié « à ceux qui expriment le besoin d’une étude plus scientifique de nos machines de gouvernement ». Il les nomme la « République de l’Administration ». C’est un usage littéraire que fait l’ancien directeur de l’International Management Institute de Genève : la République est alors entendue comme une association ou une confrérie d’individus partageant la même activité. Il sait bien qu’une communauté d’acteurs – à la croisée entre haute administration et université – s’est constituée dans les années 1920 autour de la nécessité de former les administrateurs – nommés public officers, civil servants ou encore fonctionnaires – et de fonder une science de l’administration capable non seulement de protéger les titulaires des fonctions, mais aussi de les mettre en ordre et plus largement de renforcer le rôle de l’administration. D’une certaine manière, cette communauté permet de mesurer l’ébrèchement d’une forme idéal-typique de domination politique, l’État libéral. La liste des institutions qui se forment autour de telles revendications, au lendemain de la Grande Guerre, dans les pays européens est vertigineuse : des associations corporatistes en Grande-Bretagne et en France, des Instituts dédiés à l’enseignement ou à la promotion de la science administrative, des cours sinon des diplômes d’Administration publique dans les universités, mais également des revues. C’est au niveau international que cette République semble prendre son essor à travers l’organisation d’échanges systématisés entre les administrateurs de différents pays occidentaux et la définition d’une science de l’administration.
2Si la réforme administrative semble donc faire l’objet d’une croisade internationale dans l’entre-deux-guerres, il convient de se demander ce qui fait l’unité de cette République de l’Administration. La réforme administrative, qui prend alors forme dans un certain nombre de pays industrialisés, présente des similitudes d’un pays à un autre : le vocabulaire de la science que les réformateurs mobilisent, la recherche d’une formation des titulaires des fonctions administratives, la centralisation du travail administratif en faveur d’une intervention plus efficace des pouvoirs publics. Afin d’analyser ce qui, à première vue, pourrait être perçu comme un simple air de famille, il est possible de repérer des formes de transferts de projets et donc les traductions et les appropriations d’idées, de techniques politiques venues d’ailleurs et qui ont favorisé une certaine innovation concernant les institutions ou les politiques publiques [3]. Notre entrée est différente : nous souhaitons repérer l’existence d’une configuration favorisant la circulation [4]. Cet espace social – comme nous le verrons au sujet de la République de l’Administration – n’est pas seulement une construction du chercheur. Il a été, avant tout, un enjeu pour les acteurs qui s’y sont investis.
3Cette approche par les circulations et les espaces sociaux qui les rendent possibles rejoint une question aujourd’hui particulièrement développée en science politique : comment transformer les similitudes, isomorphismes ou convergences en objet d’étude ? Plusieurs approches ont cherché – en sciences sociales – à discuter les études centrées sur les transferts. Ces approches visent à dépasser les analyses des relations binaires qui insistent sur les mimétismes, imitations ou encore imports-exports. Une manière de sortir de l’analyse des simples transferts [5] consiste à penser ces interactions dans des cadres qui les contraignent et à repérer l’existence d’espaces au sein desquels se consolideraient et s’organiseraient des circulations. Prendre au sérieux ces communautés transnationales qui favorisent la circulation d’innovations ou restaurer l’épaisseur et la complexité des formes de connexions – comme l’ont souhaité les tenants d’une histoire connectée [6] – conduisent à divers protocoles d’enquêtes. Le souci d’une contextualisation des interactions marque depuis une vingtaine d’années les travaux de sciences sociales de la comparaison cherchant à mettre à distance toute forme de pétrification des différences. Ce souci est probablement encore plus fort chez les tenants d’une histoire symétrique ou à parts égales [7] qui refusent de se concentrer sur la seule connexion ou la seule rencontre. Ces auteurs montrent, en croisant les sources produites par les différents protagonistes, que l’interconnexion ne fait pas forcément l’échange.
4À la lumière de ces débats, c’est donc à une analyse d’une configuration circulatoire que nous allons nous prêter. L’étude porte, avant tout, sur les acteurs qui font advenir les espaces de circulations. Ces espaces transnationaux reposent, en effet, sur l’investissement d’acteurs de diverses nationalités évoluant dans des contextes différents. Mais le contenu des échanges opérés au sein de ces espaces figure également au cœur de nos interrogations. Il s’agit, en ce sens, de s’attarder sur les discours produits à l’intérieur de ces espaces. L’analyse de ces discours permettra de saisir avec quels outils intellectuels l’administration a été pensée dans ces espaces spécifiques. Ce faisant, l’objectif est de repérer les enjeux politiques et sociaux de la production de ces savoirs. En quoi les prétentions à élaborer une science de l’administration et un nouveau corps de savoirs pour les administrateurs véhiculent-elles aussi des projets politiques, des visions de l’État, et plus largement, de l’action publique ?
5En repérant les échanges au sein de cette configuration et en analysant sa consistance [8], à partir des circulations transatlantiques entre la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et les États-Unis, il est possible de montrer qu’à travers la consolidation d’une science de gouvernement internationale, les acteurs ayant contribué à cette République ont produit une pensée politique relativement inédite. Ils ont participé à l’objectivation de l’administration moderne. Mais surtout, via l’élaboration de préconisations, ils en ont appelé à une nouvelle forme d’intervention des pouvoirs et des autorités publics et, ainsi, à un dépassement de l’État libéral. Il n’en demeure pas moins que dans des institutions internationales et derrière des proclamations communes – et notamment la défense et la promotion d’une science de l’administration – des conceptions distinctes subsistent. Nous verrons qu’elles limitent fortement la consolidation d’une communauté transnationale dédiée à la réforme de l’administration.
Une enquête sur les connexions de la science administrative (vingtième siècle)
Une internationale de l’administration publique ?
6L’entre-deux-guerres est une période caractérisée par la structuration d’une « internationale » de l’administration adoptant des voies ouvertes dans les dernières décennies du dix-neuvième siècle [9]. Les proximités partisanes sont variables selon les pays dont sont originaires les acteurs de cet espace, mais un dessein est, quant à lui, commun : renforcer les formes d’intervention des pouvoirs publics. Si l’internationalisation de leurs échanges a déjà débuté à la veille du conflit, la structuration de cette communauté internationale ne se fait qu’à partir des années 1930 grâce notamment à l’intensification des relations transatlantiques.
Une genèse européenne
7Lorsque le premier congrès international des sciences administratives se tient à Bruxelles en 1910, son initiative est en grande partie due aux membres de l’internationalisme scientifique bruxellois. Bruxelles s’impose alors en effet comme l’une des capitales de cette société internationale en abritant l’Union des Associations Internationales. L’objectif de cette première rencontre est alors de définir « la science de l’administration ». Selon le président du congrès, George Cooreman, cette science embrasserait la connaissance du droit sans s’y limiter : elle devrait constituer également une « science technique ayant trait aux différentes branches de l’administration : financière, économique, sociale, sanitaire, commerciale, esthétique, etc. ». Enfin, elle pourrait être une « science de gouvernement ». Il précise alors que, pour être une bonne science gouvernementale, il lui faut développer « une compréhension des faits sociaux, un savoir parfait de la mentalité des individus, une appréciation juste de leur conception de la discipline et de l’ordre, une estimation fidèle de leurs pouvoirs » [10]. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Bureau permanent des Congrès Internationaux des Sciences Administratives (CISA) peut reprendre ses activités. Les congrès d’après-guerre (Bruxelles 1923, Paris 1927) s’inscrivent dans la continuité de la première manifestation de 1910. Il s’agit de traiter des différents niveaux de gouvernement et d’administration, en distinguant les administrations communales, les administrations intermédiaires (entre les communes et l’État) et les administrations centrales. Toutefois, dès Paris 1927, un thème est ajouté au programme : celui des fonctionnaires, de leur statut et de leurs méthodes de travail. En juin de la même année, les membres de la Commission permanente des Congrès Internationaux des Sciences Administratives, pour la plupart de hauts fonctionnaires belges, décident de fonder et de diriger une revue qui reçoit le soutien des institutions et des pouvoirs publics du royaume. Signe d’une institutionnalisation recherchée, la CISA devient dès lors l’Institut International des Sciences Administratives en 1930 [11].
Une domination états-unienne
8Dès le début des années 1930, les acteurs états-uniens s’investissent plus fortement dans ces structures dédiées à l’échange et à la production de savoirs d’administration publique. C’est le Spelman Fund de la Fondation Rockefeller qui structure et finance alors fortement cette République de l’Administration internationalisée. Les correspondants américains, membres du Public Administration Clearing House (PACH), créé à Chicago en 1932, souhaitent ainsi placer des hommes nouveaux à la tête de l’Institut international des sciences administratives [12]. La méthode qui vise à donner une forme de cohérence à cette Internationale de l’administration consiste à faire financer des voyages par le Spelman Fund. Rowland Egger (1908-1979) – docteur et enseignant en Affaires Publiques à l’Université de Virginie – se rend ainsi par exemple à Bruxelles, en 1935, pour une période de 18 mois, afin d’enquêter sur les méthodes de travail de l’Union internationale des villes et de l’Institut International des Sciences Administratives. Il a également pour mission d’étudier les possibilités de rapprochement, voire de collaboration, des deux organisations. Si la tâche des artisans américains de la science de l’administration publique est, avant tout, de mener des enquêtes en vue d’un travail pratique, Egger est convaincu de la nécessité de renforcer la présence anglaise et américaine au sein de la direction de l’Institut [13].
9Les États-uniens viennent en Europe afin de voir comment se posent les problèmes de l’administration, comment ils sont résolus et quel est le travail des organisations spécialisées dans l’administration publique. C’est ainsi qu’en 1930 Louis Brownlow affine en Europe son projet de Public Administration Clearing House [14]. Le même Spelman Fund aide à financer des voyages d’Européens aux États-Unis. Les hommes du 1313 center [15] cherchent tout au long des années 1930 à repérer des élites européennes capables – après avoir observé le travail mené à Chicago – de véhiculer une organisation et une pratique du travail administratif. Les Britanniques en bénéficient largement : Henry Bunbury en 1931, Gwilym Gibbon en 1932, Norman Chester en 1935 et 1936. D’autres voyages sont organisés notamment celui d’Émile Vinck, directeur de l’Union Internationale des Villes, et de René Didisheim, secrétaire général de l’Institut International des Sciences Administratives, à Chicago à l’automne 1936 [16]. Au cours de l’entre-deux-guerres, le voyage aux États-Unis s’impose comme une source de légitimité et un moment d’acquisition du métier que ce soit en science administrative-public administration ou en sciences sociales [17].
10L’engagement des États-uniens n’est pas sans effet non seulement sur le contenu des échanges, mais également sur leur forme. Les congrès des années 1910-1920, extrêmement formalisés, laissent peu de place aux échanges et font l’objet de très nettes critiques de la part des Anglo-saxons. Par leur intervention, par la mobilisation d’autres exemples d’échange, le travail en congrès est progressivement redéfini au cours de la seconde moitié des années 1930. Le succès est si marqué que l’organisation des premiers congrès fait, dès lors, figure d’épouvantail. Edmond Lesoir, directeur de l’Institut, signe en 1937 un article critiquant les congrès passés, leur « perte de temps » ou « gaspillage ». Il recommande de réduire le nombre de questions traitées, d’en limiter la généralité et de concentrer le congrès sur quelques aspects très précis. Mais son article cherche surtout à éloigner certaines catégories de congressistes. Il se plaint que « l’on admet aux délibérations des personnes, bien intentionnées sans doute, mais qui se présentent dans les réunions sans aucune préparation préalable en se fiant à leur seule expérience pour intervenir dans les discussions. Les congrès ont ainsi une tendance congénitale à dégénérer en parlotes » [18].
11Derrière de tels propos, il s’agit, en fait, de professionnaliser les rencontres internationales de sciences administratives et d’unifier les méthodes de travail. Effectivement, un mouvement semble être à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique dans ce premier vingtième siècle. En Grande-Bretagne, en France, tout comme aux États-Unis, l’administration devient objet de science, et ce pour mieux asseoir une réforme sociale régulée par les pouvoirs publics. En France, cette science reste, avant tout, juridique et liée au droit administratif. En Grande-Bretagne, elle est portée à la fois par des mouvements politiques – la Fabian Society – et corporatistes – associations d’officers comme NALGO – locales et nationales. Aux États-Unis elle s’inscrit dans la continuité des mouvements progressistes. Au-delà de ces différences nationales et des objectifs pratiques assignés à la réforme de l’administration, ce mouvement est porteur d’une représentation convergente du gouvernement désormais associé au rapprochement de deux termes : service et public. Certes, il appelle au développement de l’organisation administrative pour qu’elle puisse pourvoir un maximum de services, et ce pour une dépense donnée. Ainsi, la défense d’une action efficace est affichée. Mais le mouvement défend avant tout une certaine conception de la démocratie. C’est le principe du contrôle du public et des citoyens qui est essentiel pour ces réformateurs. La démocratie est conçue comme l’action pour le peuple à condition que les citoyens soient informés et à même d’exercer un contrôle de l’action entreprise. En cela « la démocratie effective et le contrôle démocratique » dépendent largement de la qualité d’une science de l’administration ou encore d’une « recherche gouvernementale » et d’une publicisation de l’action publique et de ses méthodes [19].
Derrière la défense de l’administration, les principes du gouvernement moderne
12Les échanges au sein de l’espace transatlantique de la réforme administrative dans le premier vingtième siècle montrent, avant tout, que l’administration s’impose comme un instrument de plus en plus perfectionné et capable de créer une nouvelle forme de pouvoir. Le processus est bien celui d’une « administrativisation » du pouvoir : selon ses promoteurs, le fait administratif aurait une capacité à favoriser l’exercice d’une domination et au final à obtenir le consentement à une autorité. En 1942, un étudiant de théorie politique à l’Université de Yale soutient une thèse sur les aspects théoriques des publications portant sur l’administration publique. Ce travail, publié en 1948 sous le titre The Administrative State. A Study of the Political Theory of American Administration, est alors perçu comme original, car il applique à une partie de la science politique le point de vue et les outils d’une autre sous-discipline : la théorie politique [20]. Son auteur, Dwight Waldo, qui est venu à ce sujet en s’intéressant aux relations entre expertise et démocratie, étudie l’administration publique comme un « mouvement ». Il analyse les écrits des premiers auteurs d’administration publique [21] ou de recherche municipale et souligne qu’ils véhiculent une représentation idéale du citoyen, de la vie urbaine et des gouvernants, celle de professionnels, ou d’« administrateurs ». Dwight Waldo, professeur assistant de science politique à Berkeley, revient sur la méthode de la science of public administration. Il lui semble difficile de pouvoir assimiler une telle discipline à une science. Il y voit au mieux une certaine « disposition de l’esprit » qui serait marquée par « la précision », la « volonté d’enquêter » et une quête de « scientificité » [22]. Il lui semble alors qu’à moins d’adopter une définition très large de la science – lui-même se rallie au modèle des sciences dures et cite notamment la science physique –, la public administration n’en est pas une. Reste l’invitation à penser ce mouvement comme produisant une certaine théorisation implicite du gouvernement.
Les principes de la réforme administrative
13La République de l’Administration a produit, à travers ses échanges épistolaires, ses congrès, ses publications et périodiques, une conception des finalités du gouvernement moderne. L’objectif est probablement de résoudre les dysfonctionnements de la société capitaliste industrielle, comme les mondes de la charité ont pu vouloir le faire dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle et au tournant des deux siècles. Mais la réponse ne repose plus sur l’initiative de quelques individus philanthropes ou de sociétés privées. Elle suppose une intervention et une nouvelle méthode gouvernementales. Dans tous les cas, le mouvement marque une forme de dépassement de l’État libéral. Ce dépassement repose sur une démocratie encadrée, une professionnalisation de l’administration et une recherche d’une plus grande efficacité de l’action publique.
14D’abord, la réflexion se place dans un projet plus large visant les transformations de la démocratie. Pour les réformateurs états-uniens, comme pour une bonne partie des Européens, il faut rendre possible non seulement l’adaptation de la démocratie à la complexité des sociétés contemporaines, mais également un dépassement de ses propres travers. La réforme municipale états-unienne est une des matrices de cette science de l’administration. On repère alors deux éléments majeurs. La question urbaine est porteuse de toute la modernisation du monde. En cela les services municipaux urbains expérimentent, en premier lieu, l’explosion des tâches que doivent assumer les pouvoirs publics pour réguler la société. Par ailleurs, au sein de la réforme, on repère – dans la lignée d’une littérature produite par les muckrakers [23] – une violente critique du fonctionnement de la politique municipale. Les réformateurs souhaitent une absence d’esprit partisan et s’engagent dans une croisade contre les boss et leur machine. C’est la démocratie partisane qui est visée. Le principe fondamental de la dichotomie entre administration et politique en est une conséquence directe. Que ce soit en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis s’affirme la volonté de rompre avec le patronage, la coterie ou le spoils system qui, tous, faisaient des bureaux des ressources à la seule disposition des représentants élus [24]. Derrière cette réforme administrative de l’après-Première Guerre mondiale est en filigrane pointée l’incapacité de gouverner selon les seuls principes du libéralisme politique. Dès lors, il conviendrait, pour les tenants de la réforme administrative, de laisser les experts agir. Seuls les administrateurs formés aux techniques de l’administration seraient en effet en mesure de mettre en œuvre des politiques publiques et ainsi protéger les principes de la démocratie. Cet attachement à la défense de la démocratie permet également de comprendre les oppositions fondamentales qui traversent la République de l’Administration dans la seconde moitié des années 1930.
15Ensuite, le mouvement consiste à développer une professionnalisation de l’administration publique [25]. S’il y a dichotomie entre administration et politique c’est que la seconde serait passionnelle, instable et court-termiste. La première doit être inscrite dans la durée et fondée sur la science. Au cours de l’entre-deux-guerres, la littérature sur l’administration publique pose la question « Qui doit diriger ? » C’est ainsi qu’aux États-Unis, une nouvelle « classe dirigeante démocratique » aurait vu le jour : celle des « administrateurs » [26]. Ces administrateurs seraient parvenus à incarner une conception de l’action gouvernementale qui concilie un interventionnisme des pouvoirs publics accru et une idéalisation des méthodes de gestion entrepreneuriale. S’impose alors l’idée que pour préserver l’équilibre démocratique, il convient de placer des « experts » à la tête des divers niveaux de gouvernement. En plus d’un « don » quasi charismatique d’influence et de persuasion, l’administrateur disposerait d’une formation qui lui permettrait de devenir un véritable professionnel de la gestion. Il aurait également une connaissance aguerrie à la fois de la position du service public dans ses relations avec les forces économiques et sociales et des possibilités qu’a le gouvernement pour satisfaire les besoins des populations [27]. Les réformateurs anglo-saxons établissent un lien très direct entre professionnalisation et défense d’une science de l’administration [28]. La professionnalisation conduit à proposer une formation des agents. Cette revendication prend place dans différents contextes : elle est parfois le fruit d’universitaires qui cherchent à revendiquer une nouvelle discipline ; elle est plus souvent – comme dans la Grande-Bretagne de l’immédiat après Première Guerre mondiale – une revendication corporatiste par des agents qui peuvent mobiliser différents modèles. La référence des agents britanniques est, très clairement, le modèle de la profession médicale [29].
16Enfin, cette science de l’administration doit contribuer pour ses promoteurs à faire advenir une administration efficace. Il s’agit, évidemment, de repérer les liens entre rationalisation et administration publique [30]. Les réformateurs sont particulièrement sensibles à la transformation des bureaucraties privées et des entreprises. La réforme a surtout pour but de rechercher et diffuser des outils capables d’introduire une plus grande efficacité gouvernementale. On peut reprendre les propos appliqués à la réforme municipale pour dire que « Dans ce contexte, le terme gouvernement désignait une gestion non partisane ou entrepreneuriale [businesslike] des affaires municipales » [31]. Mais cette nouvelle organisation n’a qu’une visée : des pouvoirs publics capables d’intervenir. C’est en cela que ce mouvement opère sans trop le dire – ou sans le dire aussi fortement que la science économique – un dépassement du libéralisme [32]. Le planning est probablement l’aboutissement d’une partie de ces réflexions.
Le planning, une opportunité pour la réforme de l’administration ?
17Dans la seconde moitié des années 1930, les réformateurs s’engagent, très clairement, en faveur du planning. Certaines initiatives nationales ont déjà vu le jour. Henry Bunbury, très actif au sein du Institute of Public Administration britannique, se charge, en 1937, de rédiger un rapport sur le gouvernemental planning et ces diverses initiatives [33]. C’est au cours de la conférence du château d’Ardenne en septembre 1937 que les réformateurs états-uniens – issus du Public Administration Clearing House qui rassemble diverses organisations et associations dédiées au perfectionnement des administrations – réunissent un petit groupe d’experts autour de ces questions. Louis Brownlow préside les échanges. À l’issue de la conférence, le rapport de Bunbury est publié en 1938. Il décrit les racines de ce mouvement : d’un côté la planification urbaine pour résoudre l’accroissement des inégalités liées à l’expansion des villes – et la lutte contre les principes du laissez-faire et de l’autre les gouvernements fortement centralisés ou autoritaires qui mettent en œuvre des économies nationales fortement dirigées. Mais, dans son rapport, Bunbury liste également les différentes institutions qui œuvrent à une forme de planification. Il cite les conseils d’analyse économique qui se sont multipliés dans les pays occidentaux. Il décrit le Conseil National Économique français et s’attarde sur l’action du National Resources Committee créé aux États-Unis d’abord sous le nom de National Planning Board en 1933 [34]. Ce dernier va progressivement devenir une réelle agence gouvernementale. Le « Board », sous l’influence de Charles Merriam, repose très largement sur les universitaires du Social Science Research Council (organisation non lucrative créée en 1923 pour l’avancement de la recherche en sciences sociales). Le rapport de Bunbury s’attarde également sur des initiatives privées comme le groupe Political and Economic Planning (PEP) [35], qui a vu le jour en 1931, en Grande-Bretagne et dont il est une cheville ouvrière. Financé par des dons privés (industries, particuliers), le PEP publie ainsi, en 1931, un premier National Plan qui doit servir de base à une économie planifiée. L’objectif premier est de collecter et de produire du savoir dans les domaines économiques, industriels et sociaux et de les rendre disponibles aux policy makers et aux industriels.
18Ce sont donc la conception et l’activité même du gouvernement qui se trouvent redéfinies. Le planning constitue l’immense espoir d’une grande partie des réformateurs des années 1930. Non seulement cet espoir repose sur la conviction que la sortie de la dépression ne pourra passer que par une régulation économique, mais surtout l’économie dirigée pourrait permettre une association de l’ensemble des acteurs économiques aux instances de régulation, tout comme elle impliquerait une forte réorganisation administrative au profit d’un exécutif s’appuyant sur des autorités ou des comités. Cet espoir ne se concrétise pourtant pas au niveau européen [36]. Parmi les figures de l’économie dirigée au niveau national comme international, on trouve, aux côtés des économistes, des spécialistes de l’administration publique. Ces derniers voient dans le planning l’aboutissement de leur cause : produire un savoir mobilisable en faveur de politiques publiques plus efficaces, rationaliser la machinerie gouvernementale et légitimer une expertise fondée sur les sciences sociales. En cela le planning n’a pas été – loin s’en faut – monopolisé par les économistes. Il a été très largement porté et entretenu par les réformateurs de l’administration, formés dans les universités et dans les bureaux municipaux ou gouvernementaux de recherche, qui écrivent eux-mêmes, à la fin des années 1930, l’histoire de leur mouvement : le Governmental Research Movement [37]. On comprend alors que le Governmental Research Man ait pu constituer une figure quasi concurrente de « l’économiste expert » qui l’emportera après-guerre [38].
L’interconnexion n’est pas la circulation ! Malentendus et incompréhensions au sein de la République de l’Administration
19L’Internationale de l’administration défend des principes communs et une même vision du rôle de l’administration dans le gouvernement moderne. Elle s’autonomise en laissant apparaître des carrières au sein des associations et organisations transnationales internationales dédiées à l’administration publique. Reste que cette internationale est traversée par des rapports de force. Des polarités se dégagent et, en observant le sens des échanges et leur nature, il est possible de douter d’une réelle circulation. C’est une manière de dire que la rencontre des sciences de l’administration n’a pas eu lieu au cours de l’entre-deux-guerres [39].
La République de l’Administration face à la montée des périls
20Cette République de l’Administration est traversée par des concurrences très largement liées à la situation géopolitique du milieu des années 1930. En arrivant au pouvoir en Allemagne, les nazis cherchent à s’emparer des espaces de la réforme de l’administration publique. Si les dirigeants nazis estiment d’abord que l’Institut international des sciences administratives est beaucoup trop dédié à des questions pratiques et ne mérite pas un engagement allemand, le ministère de l’Intérieur change de position dès 1935 et – dans une perspective de relations internationales et de concurrence avec les États-Unis – décide de s’investir. L’Institut allemand des Sciences Communales devient la section de l’Institut international dont le congrès de 1939 devait se tenir à Berlin [40]. Des tensions liées à la situation en Allemagne et à une évolution du contexte géopolitique traversent les associations telles que l’Institut International des Sciences Administratives ou l’Union Internationale des Villes.
21C’est à la lumière de cette concurrence que peut s’éclairer la volonté des États-uniens de peser sur la fabrication des sciences de gouvernement, et ce dès 1933. Deux directions sont alors envisagées : la première consiste à renforcer la production d’une science de l’administration publique en Grande-Bretagne. Lors de leur enquête en Grande-Bretagne, en Suède et en Hollande, en 1931, Beardsley Ruml (de la Fondation Rockefeller) et Luther Gulick regrettent l’absence d’esprit d’équipe dans la governmental research britannique. La production est importante, mais reste fortement individuelle grâce au travail des universitaires comme Robson, Laski ou Finer. Il n’en demeure pas moins que les États-uniens marquent un certain espoir en rappelant le lien de ces hommes avec les époux Webb et la Fabian Society [41]. Le Spelman Fund financera, à partir de 1933, l’Institut of Public Administration (et ce jusqu’en 1948) [42]. La seconde direction, davantage visible à partir de 1934, consiste à créer un centre européen d’administration publique, une forme de Public Administration Clearing Center à Bruxelles. Pour ce faire, les États-uniens œuvrent à la création d’un joint committee (services communs de recherche et de documentations administratives) de l’Union Internationale des Villes et de l’Institut International des sciences administratives. Elle est actée à l’issue de la Conférence du Château d’Ardenne en septembre 1937. Le comité produit une littérature comparée qui témoigne de la diversité des initiatives. La formation des agents des administrations publiques reste le thème privilégié [43]. Reste que ce rêve d’un European Clearing house ne voit le jour que momentanément à la fin des années trente [44]. Le constat des États-uniens est réellement amer et semble, en cette fin des années 1930, marquer la fin de la République de l’Administration [45].
Les facteurs de l’incompréhension
22On peut noter – à l’instar de Françoise Dreyfus [46] – que dès le début des années 1920 les principes constitutifs d’une bureaucratie de type wébérien (hiérarchisation des emplois, sélection au mérite, etc.) forment l’armature de la fonction publique en Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis. Toutefois des différences subsistent. Le détour par les échanges transatlantiques les met au jour. À y regarder de près, si cette République de l’Administration a vu s’accroître les relations entre les acteurs européens et états-uniens d’une science de l’administration, si elle a permis des échanges transatlantiques, elle n’a pas directement contribué à une forme de circulation. Au-delà des mots et des revendications, les États-uniens cherchent, avant tout, à imposer un modèle de science de l’administration et restent frappés du poids du droit administratif dans les travaux des congrès. Ils ne parviennent pas vraiment à transformer cette science administrative européenne. Plusieurs facteurs doivent être retenus pour rendre compte des incompréhensions entre une partie des réformateurs européens et des réformateurs États-uniens :
- Une des premières sources de l’absence de rencontre est évidemment liée à l’organisation politico-administrative des pays et notamment au statut de l’État. Il s’agit à la fois du type de relations entre État et autorités locales, mais également de l’uniformité des formes administratives. Sur ces deux points, on observe de réelles divergences des deux côtés de l’Atlantique. Les États-Unis de la Progressive Era font preuve d’une inventivité rare en matière de structures administratives, notamment locales. La variété des formes de gouvernement et d’administration des villes tranche avec l’uniformité française, belge ou encore britannique. Mais surtout la place de l’État – dominante en Europe – dans la transformation de l’administration est un facteur important du clivage.
- Il n’est néanmoins pas possible de se limiter à cette seule dimension institutionnelle pour comprendre l’absence de rencontre. Les propriétés des réformateurs doivent être mises en avant. La France, où la réforme est portée surtout par des conseillers d’État et, dans un deuxième cercle, par des professeurs d’université de la Faculté de droit de Paris, se distingue nettement des États-Unis, où la question de la transformation de l’administration peut être pensée comme un des prolongements de la réforme sociale [47]. De fait, les diplômes comptent dans l’entrée dans la réforme administrative, mais il existe aux États-Unis une réelle porosité entre université, réforme et organisations à visée professionnelle [48]. Les réformateurs appartiennent, pour la plupart, à des familles aisées. Ils font des études qui les mènent jusqu’au PhD – et bien souvent voyagent dès leur enfance ou au cours de leurs études. Ils conservent tous des liens avec l’Université tout au long de leur carrière comme la trajectoire de Donald Stone l’illustre. La Grande-Bretagne a une position intermédiaire avec un rôle important de l’administration centrale – une partie des réformateurs sont issus du Local Government Board puis, à partir de 1919, du Ministry of Health –, mais également des initiatives des municipalités voire de la société civile.
Donald Stone (1903-1991) ; une carrière réformatrice ?
- L’incompréhension repose également les conceptions différenciées des sciences et de leur organisation. La possibilité d’innover en matière de transmission de savoirs et en matière de formation fait apparaître un clivage. L’organisation disciplinaire de l’Université française (qui peut expliquer les échecs d’une grande École d’administration) est assez éloignée d’une Université états-unienne ouvrant – à la suite de voyages – de nouveaux départements et des centres à la fois professionnels et savants. Par ailleurs, le financement par quelques grandes fondations philanthropiques (Rockefeller, mais également Carnegie) y permet l’émergence de nouveaux domaines en lien avec des visées de transformation sociale. En cela, les États-Unis se distinguent nettement des autres pays pouvant participer à cette République de l’Administration [50].
- Enfin, l’objectif de faire émerger des professionnels de l’administration n’est pas partagé par tous les protagonistes d’une science de l’administration. C’est une des finalités de la réforme administrative défendue par les États-uniens et dans une moindre mesure par les Britanniques. Les Instituts d’administration publique créés aux États-Unis (celui de New York en tête) ou en Grande-Bretagne [51] se retrouvent autour d’une figure : l’administrateur public professionnel formé à l’administration. Dès les premières brochures du National Institute of Public Administration (New York), le constat est clair : « Le gouvernement joue un rôle de plus en plus important à la fois dans notre vie quotidienne et dans notre histoire nationale […]. La capacité du gouvernement à rendre les services désormais exigés dépend du degré auquel le travail quotidien de gouvernement est confié à des hommes et des femmes formés à l’art et à la science de l’administration publique […] La demande de plus de business dans le gouvernement ainsi que le développement de l’idée de city manager impose la reconnaissance d’une place centrale dévolue à une nouvelle profession : le trained public administrator » [52]. En revanche, ce modèle n’est pas défendu par les réformateurs français « qui restent convaincus d’une suprématie du recrutement par concours à partir d’une maîtrise des cadres juridiques, complétée par une connaissance générale que peut offrir l’École libre des sciences politiques, une école qui forme des gentlemen républicains » [53].
24Cette science de l’administration évoluera vers des objectifs davantage pratiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale [54]. Le contexte est alors, toutefois, nettement différent. Les protagonistes de la public administration états-unienne obtiennent une audience inédite auprès des nouvelles institutions internationales. L’Institut International des sciences administratives – tout comme l’Union Internationale des Villes – gagne une place d’expert. L’organisation acquiert ainsi, dès août 1947, un statut consultatif officiel au sein du Conseil Économique et Social de l’Organisation des Nations Unies (ECOSOC) [55]. Herbert Emmerich, directeur de PACH, intervient auprès de l’Organisation des Nations unies, dès 1946, en évoquant les expériences de clearing house d’avant-guerre, pour solliciter le soutien de l’ECOSOC [56]. L’Institut International des Sciences Administratives est l’une des premières associations à bénéficier également du statut consultatif auprès de l’UNESCO (à partir de 1948). Désormais la question de la construction d’une administration internationale est devenue centrale.
25On retiendra que la République de l’Administration que décrivait Lyndall Urwick en 1935 a cherché, à bien des égards, à produire une science de gouvernement internationale. Derrière la science de l’administration publique, on peut repérer une forme de standardisation dans les objectifs et les techniques du gouvernement moderne et plus particulièrement dans les pays industrialisés. Par ailleurs, cette science de gouvernement n’a pas été conçue par et pour l’État. Elle provenait, dans la plupart des pays, d’initiatives privées et a cherché à s’institutionnaliser sur le plan international.
26Notre démarche a consisté à repérer une configuration circulatoire. En partant des institutions et des acteurs qui se consacrent à l’établissement de connexions, nous avons pu mettre en évidence un espace de circulation transatlantique. Ces institutions – comme l’Institut International des Sciences Administratives – permettent de déplacer le regard sur la socio-histoire de l’administration et de mettre en évidence une certaine conception du gouvernement derrière des revendications pratiques. Il convient néanmoins d’accumuler les sources et de ne pas se contenter des archives – bien souvent lacunaires – ou des imprimés produits par les institutions placées au cœur de la configuration circulatoire. En enquêtant sur les acteurs individuels et collectifs ayant participé à ces échanges, des représentations des échanges se dévoilent. Cela conduit à ne pas confondre interconnexion et circulation.
27Notre propos a porté sur la mise à l’agenda de réformes administratives dans un certain nombre de pays industrialisés au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il a été possible d’insister sur les objectifs politiques de ces acteurs souhaitant – à partir du socialisme fabien ou de la réforme municipale états-unienne – favoriser une plus grande efficacité de l’action publique et une place plus centrale des experts administratifs. Mais ce sont les connexions internationales de ces réformateurs qui nous ont conduits à préciser les contours de cette République de l’Administration telle qu’elle se redéfinit dans les années 1930. La configuration s’institutionnalise par le volontarisme des réformateurs états-uniens.
28Le projet de cette République de l’Administration reste, toutefois, en grande partie inachevé. D’abord, les prétentions scientifiques ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique et la public administration très prescriptive se heurte à une science administrative davantage juridique. Ensuite, la configuration se heurte aux tensions entre les États-Unis et l’Allemagne nazie. Enfin, si le planning semble constituer une fenêtre d’opportunité pour une réforme administrative internationale, la guerre annihile cet espoir.
29La public administration s’imposera avec force au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en étant portée essentiellement par les réformateurs états-uniens. L’appui des nouvelles institutions internationales transforme profondément la configuration. La génération des réformateurs, nés entre les années 1890 et 1900, participe à la mise en place au sein de l’ONU d’une section de Public administration. Ils œuvrent surtout en faveur d’une assistance technique en Public administration impulsée par l’Organisation des Nations Unies. Si le projet de centre de formation international en administration – imaginé en 1948 au séminaire organisé à Lake Success – ne voit finalement pas le jour, le Conseil économique et social de l’ONU défend, dès 1950, un programme d’assistance technique en administration publique à destination des pays en voie de développement, programme adopté en 1951 par l’Assemblée générale.
30Cet aboutissement ne doit pas cacher une réelle transformation de la nature des débats, des objectifs et des institutions. La réforme administrative a probablement laissé la place à une réforme de l’État avec, en son centre, un État désormais seul acteur régulateur de l’activité économique et producteur légitime des politiques publiques.
Notes
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[1]
La revue Public Administration est publiée, depuis 1922, par l’Institute of Public Administration lui-même créé en Grande-Bretagne au lendemain de la Grande Guerre.
-
[2]
Après avoir combattu dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale, le Britannique Lyndall Urwick (1891-1983) est recruté par l’industriel philanthrope britannique Benjamin Seebohm Rowtree qui a fait fortune dans le chocolat. Il participe à la rationalisation de l’entreprise en appliquant les principes de Frederick W. Taylor et de Mary Parker Follett. Considéré dès le milieu des années 1920 comme une référence en matière de management scientifique, il devient, en 1928, directeur de l’Institut de l’Organisation Scientifique du Travail. Après la fermeture de ce dernier, il devient consultant en Grande-Bretagne, tout en restant très actif dans les milieux du management et de la science administrative. Il publie avec Luther Gulick Papers on the Science of Administration en 1937.
-
[3]
DOLOWITZ D., MARSH D., « Learning from Abroad: The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy Making », in Governance, Hoboken, vol. 13, n 1, 2000, p. 5-24. Sur la pertinence de cette approche appliquée à différents domaines : SAURUGGER S., SUREL Y., « L’européanisation comme processus de transfert de politique publique », in Revue internationale de politique comparée, Louvain, 2/2006, p. 179-211 ; DUMOULIN L., SAURUGGER S., « Les policy transfer studies : analyse critique et perspectives », in Critique internationale, Paris, n° 48, 2010, p. 9-24.
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[4]
Sur la notion de « configurations circulatoires », voir : SAUNIER P.-Y., « Trajectoires, projets et ingénierie de la convergence et de la différence : les régimes circulatoires du domaine social 1800-1940 » in Genèses, Paris, n° 71, 2008, p. 4-25. En étant attentif aux mécanismes concrets de la circulation, on peut distinguer des configurations circulatoires. Elles reposent sur des acteurs individuels et collectifs qui consacrent du temps à l’établissement de connexions destinées à faire circuler des objets ou des savoirs. Les configurations nécessitent l’adoption d’un langage commun ainsi que de références partagées. Elles peuvent se concrétiser enfin par des institutions visant à établir des connexions et à les organiser.
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[5]
Dont Patrick Hassenteufel a pu pointer un certain nombre de limites : « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale », in Revue française de science politique, Paris, vol. 55, n° 1, 2005, p. 113-132.
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[6]
WERNER M., ZIMMERMAN B., « Penser l’histoire croisée : entre empirie et réflexivité », in Le genre humain, n° 42, Paris, Seuil, 2004, p. 15-49.
-
[7]
BERTRAND R., Histoire à parts égales, récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe), Paris, Seuil, 2011.
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[8]
En étant attentif à la place des savoirs dans la construction de l’État et de l’action publique moderne, cet article s’inscrit dans le chantier des sciences de gouvernement. Portant sur des périodes bien souvent postérieures au dix-huitième siècle, des ouvrages collectifs (IHL O., KALUSZYNSKI M., POLLET G. (dir.), Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003 ; AUDREN F., LABORIER P., NAPOLI P., VOGEL J. (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011 ; KALUSZYNSKI M., PAYRE R (dir.), Savoirs de gouvernement. Circulation(s), traduction(s), réception(s), Paris, Economica, 2013) et des monographies sociologiques et historiques ont ainsi exploré les multiples formes de savoirs produits par les administrations publiques ou à leur demande. Cette enquête sur les acteurs et les institutions d’une réforme de l’administration tend à élucider les exigences d’administration et d’action publique qui participent à la mise en forme de sciences de gouvernement.
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[9]
Si l’internationalisation des échanges de savoirs administratifs prend une ampleur sans précédent dans l’entre-deux-guerres, il est évident que des liens ont été noués dans les décennies précédentes. Il est par exemple important de relever les liens entre les étudiants états-uniens en science politique qui voyagent dans les années 1870-1880 en Allemagne et étudient l’administration. C’est au cours d’un voyage en Allemagne à la fin des années 1870 que Richard Ely (1854-1943) est amené à rédiger un article sur l’administration municipale berlinoise et creuse la question du « socialisme d’État ». Un de ses élèves, Albert Shaw (1857-1947), travaillera quant à lui plus spécifiquement sur le gouvernement municipal et fera de l’Allemagne un modèle dans son ouvrage Municipal Government in Continental Europe publié en 1895. (SCHAFER A., American progressives and German Social Reform, 1875-1920, Social ethics, moral control and the regulatory state in a transatlantic context, Stuttgart, Steiner, 2000, p. 8 et ss). On peut également penser au rôle des sciences humaines allemandes et de l’approche compréhensive dans la structuration des sciences sociales nord-américaines. Les travaux de Max Weber comptent parmi ceux qui traversent l’Atlantique et participent à la fondation d’une tradition sociologique notamment à Chicago (ROSS D., The Origins of American Social Science, New York, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; CHAPOULIE J.-M., La tradition sociologique de Chicago (1892-1961), Paris, Seuil, 2001)
-
[10]
Ces propos de Cooreman sont reproduits dans le premier chapitre de l’ouvrage de George Montagu Harris : MONTAGU HARRIS G., Problems of local government, London, P.S. King and son, 1911.
-
[11]
Sur ce sujet, AUDREN F., LABORIER P., NAPOLI P., VOGEL J., op. cit., Paris, PUF, 2011.
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[12]
Louis Brownlow, en venant en Europe en 1936, est présenté à René Didisheim, jeune juriste ayant fait ses études en Angleterre. Convaincu qu’il deviendra un homme-clef pour la science administrative européenne, il décide de l’inviter à Chicago pour qu’il observe le travail accompli au sein du Public Administration Clearing House et qu’il s’inspire des méthodes éprouvées outre-Atlantique. (Archives Charles S. Ascher (Columbia University, Rare book and manuscript Library, New York), Box 44, Journal de Louis Brownlow, 13/05-6/08/1936).
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[13]
Archives Louis BROWNLOW, John F. Kennedy Library (Boston, Ma), Box 74, journal de Rowland Egger, 11/06/1935.
-
[14]
BROWNLOW L., A passion for anonymity, Chicago, The University of Chicago press, 1958, p. 233.
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[15]
Le 1313 Center désigne dans les années 1930, par allusion à son adresse sur le campus de l’Université de Chicago, le Public Administration Clearing House qui rassemble les associations professionnelles et corporatistes des différents niveaux de gouvernement ainsi que les associations et revues dédiées à l’étude de l’administration.
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[16]
« C’est ainsi qu’un beau jour d’octobre 1936, nous partîmes à la découverte de l’Amérique » : voilà comment débute l’article que René Didisheim publie à son retour des États-Unis. Il s’est réjoui avec Émile Vinck d’obtenir le consentement des Américains pour organiser un congrès commun à l’Institut et à l’Union à Washington en 1939 ou 1940 (VINCK É., DIDISHEIM R., « Voyage à travers les institutions administratives américaines », Revue internationale des sciences administratives, n° 2, 1937, p. 204-250). Mais le voyage est surtout dû à l’initiative des responsables du Public Administration Clearing House qui espèrent que cette visite des institutions de Chicago inspirera les Européens et insufflera de nouvelles méthodes de travail. (Archives Charles Ascher, Columbia University. Rare book and manuscript library, Box 44, Brownlow’s diary, 13/05/1936, p. 10).
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[17]
Sur les voyages d’Européens aux États-Unis et leur lien avec l’institutionnalisation des sciences sociales, nous pouvons nous référer au travail de Ludovic Tournès (TOURNES L., « La fondation Rockefeller et la construction d’une politique des sciences sociales en France (1918-1940) » in Annales. Histoire, Sciences Sociales, Paris, vol. 63, n° 6, 2008, p. 1371-1402).
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[18]
« À propos de l’organisation des congrès internationaux », Revue internationale des sciences administratives, Bruxelles, n° 4, 1937.
-
[19]
Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 83, « Governmental Research, Research Bureaus and the G.R. A., A Proposed Statement by the Committee on Public Administration of the Social Science Research Council », April 1939.
-
[20]
WALDO D., The Administrative State. A Study of the political Theory of American Public Administration, New York, The Ronald Press Company, 1948.
-
[21]
La volonté de faire de l’administration l’objet d’une science est déjà présente dans l’article fondateur de Woodrow Wilson (« The Study of Administration », Political Science Quarterly, vol.56, 1887, p. 197-222). Françoise Dreyfus insiste dans son étude sur la bureaucratie sur le caractère pragmatique de la science envisagée par Wilson (DREYFUS F., L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (XVIIIe-XXe siècle), Paris, La découverte, 2000, p. 194). Avec la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, non seulement les tâches administratives se développent, mais la science de l’administration prend un tournant plus fonctionnaliste. La nouvelle science de l’administration de l’entre-deux-guerres cherche à énoncer de grands principes normatifs de ce que doivent être l’administration et le gouvernement modernes.
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[22]
WALDO D., op. cit, p. 191.
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[23]
Un muckraker est une des figures de « l’Ère progressiste » (au cours de la Progressive Era, des années 1890 aux années 1920, de nouvelles règles du jeu politique s’imposent ainsi que de nouvelles formes d’intervention publique). Il s’agit d’un écrivain ou d’un journaliste qui par ses écrits dénonce les formes de criminalité ou de corruption impliquant des responsables politiques ou industriels.
-
[24]
SHARP W., « Public Personnel Management in France », in WHITE L., BLAND C., SHARP W., MORSTEIN MARX F. (eds.), Civil Service Abroad. Great Britain, Canada, France, Germany, NY and London, McGraw-Hill Book Company, 1935, p. 100.
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[25]
Si le mouvement œuvre à une professionnalisation, la profession liée au service public a du mal à émerger. C’est en tout cas la thèse que développe Bruce Mc Donald dans son étude du Bureau of Municipal Research de New York. Mc DONALD B., « The Bureau of Municipal Research and the Development of a Professional Public Service », in Administration and Society, vol. 42, n° 7, 2010, p. 815-835.
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[26]
Dwight Waldo consacre le sixième chapitre de son The Administrative State à la question de « Who should rule ? ».
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[27]
Ce portrait est celui que dresse Waldo, en 1948, à partir des écrits d’administration publique : WALDO D., op. cit., p. 99.
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[28]
Après la Seconde Guerre mondiale, il ne fait aucun doute que la professionnalisation est présentée comme un des fruits de ce mouvement de réforme de l’administration publique. En inaugurant, en 1949, le tout nouveau Institut d’Administration Publique du Canada, Luther Gulick prononce une conférence qui s’intitule : « Public Administration as a Profession ». Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie II, Box 7.
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[29]
« A Society of Civil Servants », The Civilian. The Accredited Organ of the Civil Service, Saturday 16th March 1918.
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[30]
À ce titre, il est possible de relever un lien entre le mouvement de rationalisation et la réforme de l’administration. Une des figures très fréquemment sollicitée, notamment par Lyndall Urwick, est Henri Fayol. La contribution d’Henri Fayol au Congrès International des Sciences Administratives de 1923 est publiée dans l’ouvrage de GULICK L., URWICK L., Papers on the science of Administration, New-York, Institute of Public Administration, 1937.
-
[31]
SCHIESL M., The Politics of Efficiency. Municipal Administration and Reform in America: 1880-1920, Berkeley, University of California Press, 1977, p. 3.
-
[32]
Une forme de compagnonnage peut être pointée entre certains économistes et les tenants d’une réforme de l’administration publique dans la conviction que le libéralisme des années 1920 et 1930 n’est plus le libéralisme classique désormais profondément dépassé. On peut évidemment citer les conférences de John Maynard Keynes devant la Society of Civil servants dès 1920 (University of Warwick – Modern Records Center – MSS.232 : Association of Executive Officers and other Civil Servants/A/1, The Society of Civil Servants – Reports for the year 1920). On peut également pointer les liens directs entre Luther Gulick et l’auteur de The End of Laissez Faire durant la Seconde Guerre mondiale, Luther Gulick défendant auprès de Roosevelt une politique keynésienne.
-
[33]
BUNBURY H., Governmental Planning Machinery. A Comparative Study, Public Administration Service n° 63, 1938.
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[34]
Les trois membres choisis par Rossevelt pour siéger sont Frederic A. Delano, recteur (dean) of American Urban Planners, l’économiste Westley C. Mitchell et Charles E. Merriam. Pour ce dernier, le planning « représente le dernier et le plus beau rêve des sciences sociales ». (SMITH M., Social Science in the Crucible. The American Debate Over Objectivity and Purpose, 1918-1941, Duke, Duke University Press, 1994, p. 107).
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[35]
Gerald Barry est, au début des années 1930, l’éditeur d’un hebdomadaire nommé Week-End Review. Le 14 février 1931, il publie un supplément de 16 pages titré « A national plan for Britain » (rédigé par Max Nicholson). Avant sa publication, le projet a circulé parmi des hommes d’affaires, des militants politiques, des universitaires. Le Times écrit, en 1943, que PEP a publié 200 études depuis sa création. « Ils se sont emparés de ce territoire des sciences sociales dans lequel la forte collaboration est possible entre des hommes et des femmes aux vues politiques différentes. Leur méthode vient des sciences naturelles et expérimentales et consiste en une attention scrupuleuse aux faits » (Times, 19/01/1943) (London School of Economics Archives – PEP PSI/1/31 History of PEP, copies of early documents and correspondence concerning foundation 1931-1935).
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[36]
Le marqueur de cet espoir est l’un des derniers grands discours d’Albert Thomas à l’occasion de la conférence internationale du travail d’avril 1932 (un mois avant sa mort). Il « défend l’audace de la recherche internationale d’une « économie organisée » » (CAYET T., « Travailler à la marge : le Bureau International du Travail et l’organisation scientifique du travail (1923-1933) », Le Mouvement Social, n° 228, 2009, p. 39-56).
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[37]
En 1937, le Committee on Public Administration of the Social Science Research Council initie sous la direction de Frederick P Gruenberg une enquête sur l’histoire du « Governmental research movement ». Le rapport est finalement rédigé en 1939 (Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 83, « Governmental Research, Research Bureaus and the G.R. A., A Proposed Statement by the Committee on Public Administration of the Social Science Research Council », April 1939).
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[38]
L’attention portée au milieu de la public administration tend à montrer une forme de concurrence entre deux types d’experts : l’économiste et le governmental research man. Cette concurrence s’appuie probablement sur deux visions du rôle de l’administration et des pouvoirs publics et sur des savoirs profondément différents. Cette divergence est particulièrement visible à partir des années 1960 et des mesures dites de budgets de programme. Aaron Wildavsky en a fait la critique dans la Public Administration Review (en 1961). Charles Ascher adhère pleinement à cette critique de la faible connaissance des enjeux politiques de telles réformes pensées du seul point de vue de l’efficacité socioéconomique. « Je partage son avis sur le fait que les PPBS boys ignorent les effets politiques de la redistribution du pouvoir que supposent leurs préconisations ». (Papiers Charles S. Ascher (Columbia University, Rare book and manuscript library, New York City,New York), Box 142, Lettre de Ascher à Helen Seymour (UNITAR), 5/04/1967).
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[39]
Il s’agit là de faire allusion aux travaux de Romain Bertrand montrant que la rencontre à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle entre Hollandais, Malais et Javanais, dès lors qu’on se prête à une histoire à parts égales, n’a pas eu lieu. Romain Bertrand refuse de postuler que le contact suffit ou que la rencontre fait sens aux yeux de l’ensemble des protagonistes. BERTRAND R., op. cit. 2011.
-
[40]
Sur les projets de l’Allemagne nazie concernant l’Institut international des sciences administratives et sur la concurrence entre États-Uniens et Allemands, on peut renvoyer à la très belle enquête de Stefan Fisch et à son chapitre : FISCH S., « Origins and History of the International Institute of Administrative Sciences : From Its Beginnings to its Reconstruction after World War II (1910-1944/47) », in DUGGETT M., RUGGE F., (dir.), IIAS/IISA. Administration Service 1930-2005 (International Institute of Administrative Sciences Monographs, 26), Amsterdam 2005, p. 35-60.
-
[41]
The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 4 Projects, Sub Serie 1, Box 7, B Ruml, L. Gulick, New Ideas and Governmental Devices. Being a series of Notes on Public Administration in England, Holland and Sweden – August 1931.
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[42]
The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 4 Projects, Sub Serie 1, Box 7, Lettre de Gibbon à Moffett, 1/03/1933.
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[43]
Services communs de recherche et de documentations administratives, La formation des agents de l’administration, Bruxelles, 1937, Publication n° 3.
-
[44]
C’est en 1938 que sont inaugurés les nouveaux locaux communs à l’Union internationale des villes, l’Institut international des sciences administratives et la Fédération internationale de l’habitation et de l’urbanisme dans l’immeuble Shell de Bruxelles. Les principaux membres des bureaux des associations sont présents et René Didisheim de l’Institut des sciences administratives souligne le rôle joué par les délégués américains dans la création de ce nouveau centre d’administration publique. (L’administration locale, n° 20, janvier-avril 1938, doc.214.)
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[45]
Guy Moffett (Fondation Rockefeller) constate, en 1938, que « peu de progrès ont été accomplis dans l’effort du Centre de Bruxelles visant à rassembler les documents sur le planning dans les pays européens », (The Rockefeller Foundation Archives, Spelman Fund of New York, Serie 5 General Files, Sub Serie 1, Box 1, Brussels Center, 1936-1939. Memorandum (G. Moffett), International Union of Local Authorities – International Institute of Administrative Sciences, August 1 1938).
-
[46]
DREYFUS F., op. cit., 2000, p. 199.
-
[47]
Dès le milieu des années 1930, les réformateurs états-uniens pointent cette distinction entre la France et les États-Unis. Les professeurs de la Faculté de droit de Paris ne peuvent plus être considérés comme des interlocuteurs d’une public administration américaine aux ambitions pratiques. Rowland Egger, alors professeur à l’Université de Virginie, est envoyé en Europe par le Public Administration Clearing House pour assurer le rapprochement entre l’Union internationale des villes et l’Institut international des sciences administratives. En faisant un tour d’Europe des principales institutions réformatrices, il s’arrête chez William Oualid, en passe de devenir directeur de l’Institut d’urbanisme. Il est frappé par l’ignorance et le peu de sens pratique de celui qu’il nomme « Monsieur le professeur » [en français dans le texte]. L’ambition déçue de Rowland Egger était d’impliquer l’Université dans le projet de fondation d’un « clearing house » européen (Spelman Fund of New York papers (Rockefeller Archive Center, NY, E.U.), series 4, sub series 1, box 11, folder 292, Diary Rowland Egger).
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[48]
Lorsque, en 1937, le Committee on Public Administration of the Social Science Research Council débute son enquête sur l’histoire du « Governmental research movement », on perçoit, dans les quelques entretiens retrouvés, la place importante du Bureau de recherche municipale de New York, puis de son successeur le National Institute of Public Administration qui constituent pour des étudiants s’orientant vers un PhD soit un complément de formation davantage pratique soit une source de revenus (par leur participation à des rapports) (Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 82, Memorandum from Luther Gulick to Fred P. Gruenberg, 22/09/1937).
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[49]
A life time of public service. A tribute to Donald Stone, New York, American Society of Public Administration, 1996.
-
[50]
Dans une lettre adressée à Luther Gulick, Herman Finer pointe un des facteurs explicatifs du développement différencié de la science de l’administration publique aux États-Unis et en Grande-Bretagne : « l’immense somme d’argent que l’Amérique consacre à la recherche ». « Savez-vous qu’en ce moment, pour manque d’argent, nous n’avons pas plus de deux ou trois professionnels étudiants en administration publique dans l’ensemble de l’Angleterre ? Il n’y a pas de professeurs d’administration publique à l’Université de Londres et seulement un professeur de gouvernement », Luther Halsey Gulick III papers, Baruch College Archives, Newman Library, Serie IV Project/Working Files, Box 81, Letter de Luther Gulick à Dean Edmund E. Day, Rockefeller Foundation, 13/01/1931.
-
[51]
The Civil Servant and his Profession, London, Sir Isaac Pitman and Sons, 1920.
-
[52]
National Institute of Public Administration. Announcement of courses 1923-24. [exemplaire retrouvé dans les archives de William Beveridge : LSE Archives – Beveridge/2B/22/4.]
-
[53]
Sur l’École, voir : VANNEUVILLE R., La référence anglaise à l’École libre des sciences politiques. La formation de gentlemen républicains, 1871-1914, Thèse pour le doctorat de science politique, IEP de Grenoble, 1999. Il convient d’indiquer une exception dans l’histoire des nombreux projets d’écoles d’administration qui traversent la France des dix-neuvième et vingtième siècles : l’ambitieuse école imaginée par le ministre Jean Zay. Il s’agit d’un enseignement à deux degrés. Le premier degré est composé de deux types d’institutions. Une école d’administration dont le siège est fixé à Paris et que fréquentent les candidats classés dans les cinquante premières places au concours, candidats destinés, entre autres, aux carrières de rédacteur dans une administration centrale, de chef de cabinet de préfet, de conseillers de préfecture ou encore d’administrateurs civils d’Algérie. Ils accèdent à ces carrières directement à la sortie de leur école. Les instituts de préparation administrative créés en province auprès des facultés de droit et de lettres accueillent, pour leur part, les candidats classés dans la deuxième cinquantaine au concours. Au bout de trois ans, les élèves des instituts peuvent être admis à se présenter à un nouveau concours qui leur offre l’accès aux carrières précitées. Il est, en outre, prévu que les instituts de province préparent aux postes à occuper dans les administrations départementales et municipales. Le second degré est représenté par le centre des hautes études administratives fixé à Paris dont le recrutement s’effectuerait par un concours unique. Les anciens élèves de l’École d’administration sont admis à se présenter aux côtés des anciens élèves de l’École polytechnique et de l’École centrale et les rédacteurs des administrations centrales ayant au moins trois ans de services publics. Le projet est définitivement abandonné en 1938. Sur ce projet, voir : THUILLIER G., L’ENA avant l’ENA, Paris, Presses universitaires de France, 1983.
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[54]
Archives Louis Brownlow, John F. Kennedy Library (Boston, Ma), Box 27, A proposal for United States Government Membership in the International Institute of Administrative Science by The American society for public administration, non daté. Dans cet historique des relations entre l’Institut et les représentants américains, datant des années 1960, l’auteur souligne l’évolution des préoccupations de l’Institut après 1945. Le poids du droit administratif tend à diminuer au profit de questions relatives à l’administration pratique : la pratique des budgets, la rationalisation des structures et des méthodes, etc.
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[55]
C’est Charles Ascher qui représente l’Union internationale des villes, mais également l’Institut international des sciences administratives auprès des organismes gouvernementaux internationaux.
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[56]
Archives Brownlow (John F. Kennedy Library, Boston, MA, États-Unis), Box 8, Lettre d’Herbert Emmerich au Gouverneur Winant (ECOSOC), 15/06/1946.