Notes
-
[1]
Pour toutes les citations de la presse internationale : « Gobierno de Chile », Chile en la prensa internacional, 15 de septiembre de 2005.
-
[2]
Le terme « pobladores », désigne au Chili les habitants des poblaciones, c’est-à-dire des bidonvilles ou quartiers marginaux. Ces termes désignant une appartenance et une réalité sociale marquée au Chili, nous reprenons cette terminologie pour laquelle n’existe aucune traduction rapide en français, comme dans le cas des favelas et favelados du Brésil.
-
[3]
Émergeant en 1984, les grandes protestas ont occupé l’avant-scène d’une opposition assez unifiée à la dictature, réunissant de vastes secteurs sociaux. Toutefois, après qu’une partie de l’opposition à Pinochet ait décidé de négocier avec le régime militaire pour une sortie pactisée, les protestas continuèrent avec beaucoup d’ampleur, en particulier dans les quartiers de poblaciones et ce, jusqu’en 1989, au moment de la passation du pouvoir au gouvernement de transition de Patricio Aylwin. Voir à ce sujet DUBET F., Pobladores, luttes sociales et démocratie au Chili, Paris, L’Harmattan, 1989.
-
[4]
JAFFRELOT C., « Introduction », in JAFFRELOT C., (dir.), Démocraties d’ailleurs, Démocraties et démocratisations hors d’Occident, Paris, Karthala/CERI, 2000, p. 5-57.
-
[5]
Le 18 août 2005, le Président Lagos accordait l’annulation de peine (sans possibilité de nouveaux recours juridiques), à Manuel Contreras Donaire, condamné à sept ans de prison en tant qu’auteur matériel du meurtre du leader syndical Tucapel Jímenez en 1982. La portée symbolique de ce geste sera d’autant plus grande que Contreras Donaire est l’un des rares responsables des violations des droits humains à avoir été condamné par les cours de justice chiliennes, puisqu’en 2007, seuls 18 militaires purgeaient des peines pour des crimes non couverts par la loi d’amnistie de 1978. À l’automne 2007, un projet de loi proposé par deux sénateurs de la droite visant à amnistier ceux de ces condamnés ayant atteint l’âge de 75 ans fut rejeté en bloc par les députés et sénateurs de la Concertation (voir note 7), majoritaires pour la première fois sous l’administration de Bachelet. Plusieurs centaines de causes sont actuellement ouvertes en attente de l’instruction de procès qui pourraient entraîner plusieurs autres condamnations.
-
[6]
Un sondage de la firme Market & Opinion Research International révèle que 63 % des répondants rejettent la décision du Président Lagos, tandis que 17 % l’approuvent et que 20 % ne se prononcent pas. La désapprobation grimpe à 71 % chez les jeunes de la catégorie 16-35 ans. Selon Mori, c’est la première fois qu’une décision présidentielle suscite une telle désapprobation, et ce, malgré la grande popularité du Président Lagos. In « Indulto de Lagos a asesino de Tucapel Jiménez tiene alto rechazo », Radio Cooperativa, Jueves 8 de septiembre de 2005.
-
[7]
Depuis le retour de la démocratie en 1990, le système de partis politiques au Chili se structure autour de deux grandes coalitions regroupant, d’un côté, le centre-gauche derrière la bannière de la Concertation des partis pour la démocratie, composée de la Démocratie chrétienne (DC), du Parti socialiste du Chili (PS), du Parti pour la démocratie (PPD), du Parti radical social démocrate (PRSD) et du Parti vert (PV) et, d’un autre côté, la droite formant la liste électorale Alianza por Chile [Alliance pour le Chili], constituée de l’Union démocratique indépendante (UDI), de Rénovation nationale (RN) et de l’Union de centre centre (sic) (UCC).
-
[8]
Projet de loi soumis à l’automne 2007, rédigé en collaboration avec des organisations de défense des droits.
-
[9]
VERA GAJARDO A., « Les discours de genre dans la campagne présidentielle de Michelle Bachelet : une critique féministe », Raisons politiques, volume 31, n°3, 2008, p. 85.
-
[10]
De multiples études comparatives sur les transitions et consolidations démocratiques considèrent le Chili comme l’emblème des transitions réussies. Par exemple, à partir d’une corrélation directe entre degré d’efficacité de la démocratie chilienne et légitimité politique, Linz et Stepan situent le Chili en tête des pays où règne la légitimité. Voir à cet effet les tableaux « Legitimacy and Efficacy in Chile and Spain » (p. 214) ainsi que « Empirical Placement of Uruguay, Argentina, Chile and Brazil on a Typology of Legitimacy and Efficacy, 1995 » (p. 228) dans LINZ J. J. et STEPAN A., Problems of Democratic Transition and Consolidation. Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1996. Comme l’explique Alfredo Joignant, l’unanimité qui s’est construite autour du caractère exemplaire de la transition chilienne – fondée sur le consensus – provient notamment des liens étroits tissés entre politiciens et théoriciens de la transitologie, faisant ainsi de l’expérience chilienne une « science du gouvernement ». JOIGNANT A., « La politique des ‘transitologues’ : luttes politiques, enjeux théoriques et disputes intellectuelles au cours de la transition chilienne à la démocratie », Politique et Sociétés, volume 24, n°2-3, 2005, p. 33.
-
[11]
La vague de mobilisations mapuches contre des méga-projets commença avec la construction projetée de Ralco, un barrage desservant une centrale hydro-électrique dans la région de Concepción (Sud du Chili). Comme l’indiquent Carruthers et Rodríguez, « Tant pour les leaders des mouvements mapuches que pour ceux des mouvements environnementaux, le barrage de Ralco est un symbole fondamental de la trahison de la promesse démocratique ». Depuis, l’avancée d’autres méga-projets, détenus en totalité ou en partie par des compagnies multinationales a provoqué d’autres vagues de mobilisations, des occupations de terres, des grèves de la faim, ainsi que la création d’un parti politique visant à redonner aux Mapuche la souveraineté sur leurs territoires (en 2007). Comme ailleurs dans les Amériques, notamment au Canada, les conflits émergent souvent du fait que l’État ne respecte pas les traités territoriaux passés avec les Indigènes – appelés en Amérique les « Premières nations ». CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., « Mapuche Protest, Environmental Conflict and Social Movement Linkage in Chile », Third World Quaterly, volume 30, n°5, 2009, p. 747.
-
[12]
CORTEN A., « Une langue politique postpopuliste : l’épilogue de l’affaire Pinochet », Politique et Sociétés, volume 22, n°1, 2003.
-
[13]
ECKSTEIN S., Power and Protest. Latin American Social Movements, Berkeley, California University Press, 2001.
-
[14]
Les données recueillies proviennent de divers séjours de recherche-terrain (1990, 1993, 1996, 1997, 2003, 2005), réalisés dans douze poblaciones et sept campamentos, où plusieurs méthodologies ont été utilisées : récits de vie, entretiens semi-dirigés, entretiens dirigés, observation participative, enquêtes sur base de questionnaires dans le cadre d’une recherche comparative menée par le Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine (www.gripal.ca ), réunissant 3600 enquêtes dans 5 pays.
-
[15]
LE BOT Y., La Grande révolte indienne, Paris, Éditions Robert Laffont, 2009.
-
[16]
Dans Le défi bolivien, (Montréal, Éditions Athéna, 2009), Denis Langlois analyse en détails la formation du MAS (Mouvement au socialisme) par des organisations sociales indigènes et leur processus d’accès à une citoyenneté élargie à partir de ce vecteur. Voir aussi MARTINAT F., « Peuples autochtones et consolidation démocratique en Amérique latine. Une approche comparée de la Colombie et du Venezuela. », in NADAL E., MARTY M., THIRIOT C., (dir.), Faire de la politique comparée : les terrains du comparatisme, Paris, Karthala, 2005, p. 377-391, où l’auteure montre toutes les dimensions politiques de l’élargissement de la citoyenneté à partir des processus actuels de refonte constitutionnelles dans les pays andins.
-
[17]
Ces deux mouvements sont parmi les plus importants de la dernière décennie en Amérique latine. Le MST, important vecteur de la nouvelle gauche brésilienne (voir CORTEN A., Les peuples de Dieu et de la forêt. À propos de la nouvelle gauche brésilienne, Montréal/Paris, VLB Éditeur/L’Harmattan, 1990) rassemble des paysans sans terre qui réalisent des actions d’occupations de terres agricoles, afin de forcer le gouvernement à respecter les lois de réforme agraire adoptées après le retour de la démocratie, contre les puissants propriétaires terriens et intérêts qui s’y opposent. Voir aussi GOIRAND C., La politique des Favelas, Paris, Karthala, 2000. Quant aux piqueteros, il s’agit d’un mouvement de chômeurs ayant commencé dès 1993 à bloquer des routes pour contester un système économique excluant. Le mouvement a pris une ampleur inédite et s’est transformé en vecteur central de la contestation politique suite à la répression exercée par le Président De la Rua en décembre 2001, précédant la crise de légitimité représentée par le slogan « Qu’ils s’en aillent tous » (les politiciens). Pour une analyse des suites du mouvement voir JELÍN É., « Les mouvements sociaux et le pouvoir judiciaire dans la lutte contre l’impunité », Mouvements, volume 4-5, n°47-48, 2006, p. 82-91.
-
[18]
OXHORN P., Organizing Civil Society : The Popular Sectors and the Struggle for Democracy in Chile, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1995.
-
[19]
CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., op. cit., 2009, p. 744.
-
[20]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008 ; RÍOS TOBAR M., « Seizing a Window of Opportunity : The Election of President Bachelet in Chile », Politics and Gender, volume IV, n°3, p. 509-519 ; RÍOS TOBAR M., « Feminist Politics in Contemporary Chile : From the Democratic Transition to Bachelet », in JAQUETTE J., (dir.), Feminist Agendas and Democracy in Latin America, Durham, Duke University Press, 2009, p. 21-44.
-
[21]
MARQUES-PEREIRA B., « Le Chili : les femmes et la gauche. Une relation amicale ? », Revue internationale de politique comparée, volume 12, n°3, 2005, p. 366.
-
[22]
OEHMICHEN BAZÁN C., « Corps et terreur : nouvelles formes de violences d’État au Mexique », in CORTEN A., (dir.), La violence dans l’imaginaire latino-américain, Paris, Karthala, 2008, p. 91-104.
-
[23]
La loi anti-terroriste promulguée en 1984, au moment où la dictature de Pinochet faisait face au surgissement des grands mouvements de protestations pour la démocratie – les protestas –, fut ensuite renforcée en 1975, puis 7 ans après le retour à la démocratie, en1997, par le gouvernement d’Eduardo Frei (fils). Elle est encore en vigueur au Chili et permet d’incriminer des personnes pour « incitation » à la violence.
-
[24]
DORAN M.-C., Processus démocratiques et légitimité politique. De la stabilité à la justice : le cas du Chili entre 1990 et 2005, Thèse de doctorat, Faculté de Droit et Science politique, Université du Québec à Montréal, 2006, p. 384 et ss.
-
[25]
GARIBAY D., « Diversité des violences contemporaines en Amérique latine », Amérique latine 2008, Mondialisation : le politique, l’économique, le religieux. Études de la Documentation française, volume 5274-75, 2008.
-
[26]
GARIBAY D., op. cit., 2008, p. 37-50. La citation est issue de la page 9 du document électronique, téléchargé le 22 novembre 2009 à partir du site http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00284867/en. Voir également GOIRAND C., « Violence, contrôle de la violence et démocratie », Lusotopie, 2003, p. 163-172.
-
[27]
« El Chile actual según Tómas Moulian. », entretien accordé à Jaime Penela López, mars 2004, disponible à l’adresse http://www.ubv.se/chile/Espanol/es_democracia_moulian.html (consultée le 3 novembre 2005).
-
[28]
MARQUES-PEREIRA B., « Le Chili : une démocratie de qualité pour les femmes ? », Politique et Sociétés, volume 24, n°2-3, 2005, p. 148.
-
[29]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008, p. 90.
-
[30]
SOLERVICENSM., Mouvements sociaux et représentation du politique, Thèse de doctorat en science politique, Montréal : Université du Québec à Montréal, 1996, notamment p. 96 et ss.
-
[31]
« Esta democracia es débil porque propicia la no-participación y porque banaliza la política. […] Se trata de una democracia de baja intensidad», Moulian, 2004, p. 1.
-
[32]
Le conseiller municipal de la Pintana Juan Benavides (PS) nous a cité des cas où les pobladores porteurs de revendications sociales (par exemple un syndicat de chômeurs récemment formé qui demandait la reconnaissance) ont dû faire irruption de force durant les séances du conseil municipal pour tenter de déposer leur liste de revendication. Entretien avec Juan Benavides, Santiago, 16 décembre 2003.
-
[33]
JOIGNANT A., « De la fête nationale aux luttes commémoratives autour du 11 septembre chilien », in ANTONIUS R., LABELLE M. et LEROUX G., (dir.), Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 289-332.
-
[34]
RIESCO M., « El largo Verano del 2001 : Transición y Democracia? », Encuentro XXI, Otoño del Sur 2001, n°18, p. 6-21.
-
[35]
DORAN M.-C., « De la violence à la justice : conceptions gouvernementales de la violence et impacts des luttes pour la justice au Chili 1998-2005 », in BEAUCAGE P. et HÉBERT M., (dir.), Images et langages de la violence en Amérique latine, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 158.
-
[36]
JELÍN E., « Les mouvements sociaux et le pouvoir judiciaire dans la lutte contre l’impunité », Mouvements, volume 47-48, n°4-5, 2006, p. 89.
-
[37]
KECK M. A. et SIKKINK K., Activist Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, New York, Cornell University Press, 1998.
-
[38]
COLLINS C., « Grounding Global Justice : International Networks and Domestic Human Rights Accountability in Chile and El Salvador », Journal of Latin American Studies, volume 38, n°4, 2006, p. 711.
-
[39]
DE SOUSA SANTOS B and RODRÍGUEZ-GARAVITO C. A., « Law, Politics, and the Subaltern in Counter-Hegemonic Globalization », in DE SOUSA SANTOS B. and RODRÍGUEZ-GARAVITO C. A., (eds.), Law and Globalization from Below. Towards a Cosmopolitan Legality, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2005, p. 2.
-
[40]
WILDE A., « Irruption of Memory : Expressive Politics in Chile’s Transition to Democracy », Journal of Latin American Studies, volume 31, n°2, 1999, p. 476-494.
-
[41]
BRAVO LÓPEZ F., « The Pinochet Case in the Chilean Courts », in DAVIS M., (eds.), The Pinochet Case : Origins, Progress and Implications, London, Institute of Latin American Studies, 2003, p. 111 ; BARAHONA de BRITO A., Human rights and Democratization in Latin America : Uruguay and Chile, New York/Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 218 ; DORAN M.-C., « Les dimensions politiques de la souffrance au Chili : 1998-2007 », in LAUTIER B., PEÑAFIEL R. et TIZZIANI A., (dir.), Penser le Politique : La recréation des espaces et des formes du politique en Amérique Latine, Paris, Karthala, 2009, p. 129-148.
-
[42]
LACLAU E., La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte/M.A.U.S.S., 2000.
-
[43]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008, p. 85 ; DORAN M.-C., op. cit., 2006, p. 240.
-
[44]
Les résultats de l’analyse présentés ici se fondent sur une méthodologie d’analyse de l’interdiscours, analysant l’évolution des rapports entre discours présidentiels et gouvernementaux ainsi que des rapports entre législation, discours et revendications sociales durant la période 1990-2006. L’analyse des marques de l’interdiscours indique la manière dont un discours négocie sa place par rapport à un autre, au sein de formations discursives dont les frontières sont en déplacement. Pour un exposé complet de la méthode, DORAN M.-C., op. cit., 2008, p. 40.
-
[45]
DABÈNE O., Amérique latine, la démocratie dégradée, Bruxelles, Éditions Complexe, 1997.
-
[46]
Il s’agit de la continuation du processus de resignification, de ré-interprétation négative, des aspirations démocratiques portées par les grandes Protestas Nacionales pour la démocratie (1984-1989), à partir de leur caractère de « confrontation », auquel plusieurs secteurs politiques préférèrent la négociation avec le régime autoritaire.
-
[47]
BARAHONA de BRITO A., op. cit., 1997 analyse ce phénomène dans les cas du Chili et de l’Uruguay.
-
[48]
Bruno Revesz définit les mouvements d’occupation de terrain en Amérique latine comme étant des formes « d’illégalités créatrices de participation conflictuelle », in « Structures de représentation au Pérou », COUFFIGNAL G., (dir.), Réinventer la démocratie : le défi latino-américain, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992, p. 95.
-
[49]
Traduction libre d’un extrait du Message présidentiel de Patricio Aylwin, 21 mai 1990, p. 25. « […] que las personas participen organizadamente en el mercado de la vivienda […] ».
-
[50]
Traduction libre, BOENINGER E. (Ministre délégué à la Présidence sous Aylwin), Democracia en Chile : Lecciones para la gobernabilidad, Santiago, Editorial Andres Bello, 1997, p. 1.
-
[51]
JOUINEAU S., « Chili : les élections parlementaires de 1997 », Problèmes d’Amérique latine, n°31, 1998, p. 91. Selon cette auteure : « L’abstention augmente brutalement, sous ses diverses formes : suffrages blancs et nuls, électeurs n’allant pas voter, absence d’inscription des jeunes adultes.[…] ».
-
[52]
TIRONI E. et AGUËRO F., « Chili : quel avenir pour le nouveau paysage politique », Problèmes d’Amérique latine, n°35, 1999, p. 77.
-
[53]
Diverses études le confirment, notamment : FERNÁNDEZ G., Notas sobre la participación política de los jóvenes chilenos, Santiago, Centro de Investigación y Desarrollo de la Educación CIDE, Universidad de Chile, p. 87-108 ainsi que SANDOVAL M., « Quienes son, que piensan y que hacen los pobladores chilenos de fin de siglo », Última década, n°11, Septiembre 1999, p. 51-82.
-
[54]
LEHMANN C., « La Voz de los que no votaron », Serie Puntos de referencia, n°197, Santiago, Centro de Estudios públicos, 1998 ; FLACSO-Chile, Encuesta Nacional 2001, http://65.54.186.250/cgibin/getmsg/EncuestaNacionalFLACSOchile.pdf
-
[55]
LEFRANC S., Politiques du pardon, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
-
[56]
En 1993, puis en 1995, deux projets considérés comme des « Punto final » (projets de point final) chiliens sont présentés, mais non-adoptés. Ils seront suivis de diverses autres initiatives dont la « Table de dialogue » en 1999 et les « Mesures tendant à perfectionner la recherche de vérité et la justice » en 2003. Pour une analyse détaillée de leurs dispositions renforçant l’impunité, voir DORAN, M-C., « Les dimensions politiques de la souffrance au Chili », op. cit.
-
[57]
De 1973 à 1998, plus de 5 000 plaintes avaient été déposées sans succès. CODEPU, Informe de Derechos Humanos 1990-2000, 2002, p. 26. Voir aussi BRAVO LÓPEZ F., op. cit., 2003, p. 112.
-
[58]
BARAHONA DE BRITO A., op. cit., 1997 ; LEFRANC S., op. cit., 2002 ; DORAN M.-C., op. cit., 2008.
-
[59]
PION-BERLIN D., The Ideology of State Terror. Economic Doctrine and Political Repression in Argentina and Peru, Boulder, The Lynne Rienner Publishers Inc, 1989.
-
[60]
BRAVO LÓPEZ F., op. cit., 2003, p. 113.
-
[61]
Je remercie Yvon LeBot d’avoir attiré mon attention sur l’histoire militante de la reconnaissance juridique de cette définition.
-
[62]
Voir à ce sujet GARRETÓN M., « Popular Mobilization and the Military Regime in Chile : the Complexities of the Invisible Transition », in ECKSTEIN S., (ed.), Power and Popular Protest : Latin American Social Movements, Berkeley, University of California Press, 2001, p. 259-277.
-
[63]
En ce sens, les manifestations expressives chiliennes comportent des aspects importants que Tilly inclut dans des « repertoire of contention », soit « des célébrations et autres rassemblements populaires initiés par les populations ». TILLY C., The Politics of Collective Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 45.
-
[64]
Voir notamment PLEYERS G., Forums Sociaux Mondiaux et défis de l’altermondialisme, Bruxelles, Academia-Bruylant, 2007.
-
[65]
Cette occupation s’étend sur deux périodes, où le régime militaire imposa un couvre-feu exclusif aux bidonvilles : de 1973 à 1978, puis entre 1984 et 1986.
-
[66]
Déclaration du Movimiento Sebastián Acevedo, Revista Análisis, 1987. Nous remercions le Fonds d’archives de CODEPU Corporación de Promoción y Defensa de los Derechos del Pueblo, Santiago. http://codepu.cl/
-
[67]
RIESCO M., op. cit., 2001.
-
[68]
Ce dernier est directement lié au travail de l’organisation politique autonomeLa Surda qui œuvra avec succès au sein de secteurs ouvriers non-encore syndicalisés ainsi qu’au sein du mouvement étudiants et dans les secteurs de poblaciones.
-
[69]
Dans « De la violence aux forces occultes (1). Images de la politisation en Amérique latine », Cahiers des imaginaires, volume 3, n°4, octobre 2005, où CORTEN A. et al. analysent desentretiens menés auprès de pobladores chilienson montre que ces derniers sont: « Paupérisés certes, mais dans leur imaginaire politique, ils ne sont pas marginaux. Si on parle souvent d’apartheid et d’exclusion sociale, la population quant à elle ne s’identifie pas avec cet imaginaire. Au contraire, elle tire sa force du pouvoir d’exprimer ensemble sa souffrance. » (p. 4). Voir aussi DORAN M.-C. et PEÑAFIEL R., Discours fusionnel et représentation du politique : les pobladores dans le mouvement des protestas au Chili (1983-1989), Mémoire de maîtrise en Science politique, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1998.
-
[70]
Des enquêtes menées dans 12 poblaciones de Santiago en 1993, 1996, 1997, 2005 ont permis d’établir que les pobladores se réclamaient de manière prédominante de l’idée d’une « souffrance partagée » par laquelle ils se définissaient un statut collectif positif, et ce, contre toute autre identification proposée dans les entretiens (travailleurs, pauvres, pobladores, etc.).
-
[71]
Central unitaria de trabajadores, « Instructivo Paro Nacional 13 de Agosto », El Siglo, 13 de agosto de 2003, Édition électronique, p. 1.
-
[72]
Selon la CUT, 60 % des travailleurs du pays ont suivi la consigne de grève générale, ces derniers ayant suivi massivement la convocation et ayant poursuivi la protesta en bloquant l’accès aux poblaciones la nuit suivante. (« Chile : Exito de la primera huelga nacional en 13 años », El siglo, 14 de agosto de 2003). Par ailleurs, la convocation fut suivie de Punta Arenas (extrême-sud) à Arica (extrême-nord) où le blocage de l’accès aux mines de cuivre (administrées conjointement par le gouvernement et l’armée chilienne selon une disposition constitutionnelle) fut un des axes de lutte principaux.
-
[73]
Ainsi : « Cette convocation exprime le sentiment et l’adhésion des organisations affiliées et non affiliées à la CUT, ainsi que celles de plusieurs secteurs d’emploi et secteurs sociaux qui appuient notre convocation. La grève nationale est contre le modèle d’injustice et contre ceux qui le soutiennent, le promeuvent et le défendent. […] Elle est pour la justice et pour la démocratie véritable », Traduction libre, Central Unitaria de Trabajadores, « Instructivo Paro Nacional 13 de agosto », El Siglo, 13 de agosto, edición electrónica, p. 1.
-
[74]
Voir note 71 à ce sujet.
-
[75]
Voir actuellement le site web : http://lasurda.resist.ca/index.php/category/chile
-
[76]
Comisión FUNA, http://www.geocities.com/jrme_chile/declaracion_de_la_funa.htm, consulté en juin 2008. Plusieurs actions de la FUNA se trouvent aussi sur U-Tube : voir notamment http://www.youtube.com/watch?v=8DEmTGzQc3A qui montre toutes les dimensions des actions de la FUNA et ses répercussions sociales. Par exemple, dans ce cas présenté sur U-Tube autour de la dénonciation des pratiques d’un dentiste ayant collaboré avec la torture durant la dictature et toujours employé du système public de santé à Santiago, la Funa rassemble aussi les étudiants de médecine dentaire et plusieurs sections du syndicat des employés de la santé pour une action qui commence par des chants, puis l’expression de la douleur ressentie en faisant mémoire de tous les disparus, dont une longue liste est nommée et répétée par la foule rassemblée. Cela est suivi d’un réquisitoire présenté pour dénoncer le dentiste incriminé, interpellé comme « torturador et asesino » (bourreau, coupable de torture et d’assassinat). Consulté le 13 décembre 2009.
-
[77]
L’expression « funar » est notamment rapportée dans le quotidien La Tercera, 18 mai 2004, édition électronique.
-
[78]
Pour une analyse détaillée de ce processus voir DORAN M.-C., op. cit., 2006.
-
[79]
En espagnol, cet acronyme rappelle aussi le verbe andar, qui signifie cheminer, aller de l’avant.
-
[80]
« Gobierno reacciona ante nueva protesta de deudores habitacionales », La Nación, Santiago de Chile, Jueves 28 de julio 2005, Édition électronique, p. 1.
-
[81]
La plus imposante de ces prises de terrain a lieu en 1998 à Peñalolen (Santiago) où s’installe le campamento « La voz de los sin casa » qui rassemble 10 000 personnes.
-
[82]
« Más de cinquenta detenidos en nuevas protestas de ANDHA », Diario La Nación, 21 octobre 2009, édition électronique consultée en octobre et novembre 2009. http://www.lanacion.cl/andha-nuevamente-protesta-en-el-rio-mapocho/noticias/2009-10-21/173627.html
-
[83]
SAMANIEGO A., « Identidad, territorio y existencia de la nación mapuche ¿Derechos políticos autonómicos? », Revista Atenea, Universidad de Concepción, 2003, p. 131-145.
-
[84]
CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., op. cit., 2009.
-
[85]
Depuis 2006, le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme a interpellé le Chili au sujet de différentes plaintes et allégations de mauvais traitements, violations des lois chiliennes et violations des engagements internationaux du Chili. Deux missions spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont aussi été envoyées et encadrent les interpellations faites au Chili par l’ONU, concernant les Mapuches mais aussi la persistance de la torture et de la loi d’amnistie. Voir à ce sujet : Nations Unies GO81081, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, Septième session, Point 3 de l’ordre du jour, A/HRC/7/NGO/22, 21 février 2008.
-
[86]
Hillary Hiner documente ces lacunes dans « Voces soterradas, violencias ignoradas : Discurso, violencia política y género en los Informes Rettig y Valech », Latin American Research Review, volume 44, n°3, 2009.
-
[87]
Comme toutes les commissions gouvernementales précédentes, la commission Valech interdisait de publier les noms des auteurs de torture ou de les traduire en justice.
-
[88]
Propos rapportés par ARANCIBIA N., « Aprobar la ley de femicidio es una potente señal contra los agresores », Diario La Nación, Santiago, Viernes 19 de Septiembre 2008, www.lanacion.cl.
-
[89]
ARANCIBIA N., op. cit., 2008. Pour une analyse détaillée des réalisations du gouvernement Bachelet en matière de droits des femmes voir DORAN, M.-C., « Femmes et politique au Chili : dynamiques et impacts de l’accession au pouvoir de Michelle Bachelet», Recherches féministes, volume 23, n°1, 2010, p. 9-27.
-
[90]
Traduction libre. Président LAGOS R., Mensaje Presidencial, 2005, p. 22.
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[91]
TOURAINE A., La parole et le sang, Paris, Éditions Odile Jacob, 1988.
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[92]
http://www.archivochile.com/Chile_actual/elecciones_2009_2/01_doc_gen/elec_seg_vuelta%200001.pdf, consulté le 1er juin 2010. Marcos Enríquez Ominami cumule aussi des filiations politiques très fortes dans l’imaginaire politique de la gauche chilienne, puisqu’il est à la fois le fils naturel de Miguel Enríquez, dirigeant historique du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), assassiné au début de la dictature, ainsi que fils adoptif d’un des sénateurs les plus importants du Parti socialiste, Carlos Ominami, qui a renoncé à son siège en démissionnant du PS à l’automne 2009 pour appuyer la campagne présidentielle de son fils.
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[93]
MARQUES-PEREIRA B., op. cit., 2005, p. 147.
Le réveil chilien
1À l’automne 2005, le Chili est secoué par la plus grande crise politique depuis la refondation de la démocratie en 1990, ainsi que par une série de retournements majeurs qui surprennent les observateurs du monde entier, habitués à considérer ce pays comme la vitrine des transitions démocratiques. Tout commence le 11 septembre 2005, alors que des manifestations symboliques d’opposition à la dictature commémorant le coup d’État atteignent une intensité et une ampleur inégalées. Lancées sous le thème du rejet de l’impunité, ces mobilisations populaires prennent un tel caractère de confrontation avec le gouvernement que, partout dans le monde, les journaux en font état : le New York Daily News titre ainsi : « Des querelles au Chili marquent une journée sombre » ; le Washington Post, à la suite d’une dépêche de l’AP signale « Le 11 septembre est aussi un jour noir au Chili. Tout comme par le passé, il n’y a pas aujourd’hui uniquement des Chiliens tristes mais bien aussi des Chiliens furieux », tandis que la BBC titre « Le Chili se souvient dans la violence du coup de 1973 » et que Últimas Noticias (Uruguay) affirme : « 32 ans après le coup qui a renversé Allende, les divisions entre les Chiliens s’approfondissent » [1].
2Très représentatif d’une opposition populaire à l’impunité dans les poblaciones – quartiers marginaux et bidonvilles des grandes villes chiliennes [2] –, le caractère spectaculaire des vives confrontations de ces manifestations du 11 septembre ne doit toutefois pas occulter qu’elles étaient liées au développement du plus important mouvement expressif et revendicatif à voir le jour au Chili depuis la fin des grandes protestas (manifestations) pour la démocratie (1984-1989) [3]. Loin d’advenir de manière spontanée, ces manifestations montrent les effets d’un processus de mobilisation et de politisation des acteurs sociaux qui réussissaient, pour la première fois depuis 1990, à pénétrer au cœur du débat politique dans cette démocratie que la transitologie [4] juge exemplaire de par son caractère consensuel. Né en 1998, dans la foulée des poursuites internationales contre Pinochet, ce processus sans précédents de mobilisations pour la justice entraîne la réorganisation de vastes secteurs sociaux, la constitution d’une plate-forme politique par le monde syndical – le manifeste « Pour un Chili juste » (Por un Chile Justo) – et la constitution d’une opposition articulée autour de la nécessité de transformation de la démocratie chilienne, encore entravée par l’héritage autoritaire légué par la Constitution de 1980.
3L’influence de ce mouvement peut notamment être mesurée à l’aune du débat politique que ses revendications allaient provoquer, particulièrement depuis la grève générale nationale « Pour un Chili juste » d’août 2003. L’initiative de la Plate-forme politique Pour un Chili juste émerge en 2001 et rassemble notamment une importante mouvance du syndicalisme dissident au sein de la Centrale Unique des travailleurs ainsi que des partis, ailes jeunesse de partis et d’organisations politiques de gauche, des organismes de défense des droits humains, des organisations sociales, des organisations culturelles. Parmi ces dernières, plusieurs naissent au moment de cette effervescence, en particulier dans le secteur des poblaciones, dans les segments jeunes de la population. Même des groupes de jeunes supporters de football de poblaciones, les « barras bravas », dont une frange était politisée autour de l’annulation du vote, participent activement aux diverses activités du mouvement Pour un Chili juste. Une composition sociale très diversifiée alliée à des assises solides en termes organisationnels donne au mouvement et à la grève d’août 2003 une visibilité importante. Ainsi, ayant réussi à pénétrer une sphère politique hermétique au débat sur l’impunité en matière de droits humains, le mouvement pour la justice, très dynamique et qui porte de nouvelles formes de participation citoyenne à différents niveaux (local, régional, national), constitue un facteur-clé de l’évolution de la scène politique chilienne. Quelques mois avant la fin du mandat de Ricardo Lagos, le Congrès en arrivera à s’opposer au Sénat, puis au Président Lagos lui-même [5], pour demander la fin de l’impunité en matière de droits humains. La classe politique, mais aussi l’opinion publique tout entière [6] entre de plain-pied dans un débat ardent autour du bien-fondé des limitations de la démocratie-modèle du Chili quant à la justice. Au cours de sa campagne présidentielle, Michelle Bachelet sera la première candidate de la Concertation des partis pour la démocratie [7] à proposer l’abolition de la loi d’amnistie de 1978 [8] – geste que ses adversaires politiques considèrent comme une « manifestation de haine ». Cette première crise politique marque la fin de la politique du consensus [9] entre droite et gouvernement de la Concertation, qui a jusque-là exclu du débat politique les thèmes « liés aux valeurs » (temas valóricos) vus comme porteurs de conflits.
4Ces événements de 2005 ont permis à plusieurs observateurs de mesurer l’importance, dans ce pays considéré comme modèle de la transition démocratique réussie [10], d’affrontements restés insoupçonnés car, entre 1990 et 1998, l’absence de justice en matière de droits humains et les arrangements institutionnels préservant l’impunité n’avaient jamais suscité de mouvements massifs. Comment cette question est-elle alors devenue le cœur du mouvement le plus important depuis les grandes protestas pour la démocratie au début des années 80 ? Pourquoi l’action collective s’est-elle renouvelée à partir des manifestations autour de l’enjeu de la justice ? Comment les pratiques actuelles dans des domaines en apparence aussi éloignés que le sont le logement, la justice en matière de droits humains, les revendications étudiantes ou même les mobilisations des Mapuches contre des méga-projets [11] convergentelles autour d’un répertoire d’action collective fondé sur l’expression publique de la souffrance [12], qui réactualise la demande de démocratisation, et invite à revisiter les analyses qui mettent l’accent sur les condition socio-économique [13] ou l’accès aux ressources des acteurs ? Ces questions, qui émanent d’une analyse du cas chilien fondée sur plusieurs séjours de recherche et de recueil de données depuis 1990 [14], permettent de souligner des enjeux centraux quant aux rapports actuels entre action collective, politique et démocratie.
Des actions collectives rendues invisibles ?
5À première vue, l’action collective au Chili ne suit ni les trajectoires de renouveau que connaissent les pays voisins tels que la Bolivie ou l’Équateur, portées par un « réveil indien » [15] massif, ainsi que par de nouveaux vecteurs de mobilisations et d’accès à la citoyenneté politique [16], ni l’envergure des mobilisations organisées dans le Brésil du Mouvement des Sans Terre (MST), ou l’Argentine des piqueteros [17]. De fait, durant de longues années, la sociologie et la politique comparée ont cherché en vain les suites organisationnelles des grandes mobilisations pour la démocratie [18]. Encore aujourd’hui, divers analystes considèrent que l’action collective n’a pas la faveur des Chiliens. Certains avancent par exemple que : « Conformément à l’héritage persistant des conceptions néolibérales du Général, la culture politique reste relativement individualiste, l’apathie politique est comparativement forte et les stratégies de contestation populaire ne font plus d’adeptes » [19].
6D’autres auteurs soulignent plutôt des difficultés particulières posées aux acteurs mobilisés au Chili par la perpétuation d’enclaves autoritaires au cœur même de la nouvelle démocratie chilienne. Fondées sur la transmission de la Constitution adoptée sous le régime autoritaire en 1980, ces enclaves encadrent non seulement les institutions politiques (loi électorale, sénateurs désignés, conseil de sécurité national composé des chefs des trois armées et du président élu et pouvant intervenir à tout moment si l’ordre est menacé, etc.) mais ont aussi un impact direct sur l’acheminement des revendications sociales vers l’État. Symptôme de cette présence des enclaves autoritaires, la persistance de pratiques de répression systématique des manifestations par la police constitue aussi un élément non-négligeable dans l’analyse des difficultés de l’action collective au Chili.
7Comme le montrent plusieurs analyses du mouvement féministe chilien [20], cet acteur-clé des mobilisations pour la démocratie s’est vu rapidement désarticulé au début des années 1990 par le « blocage » de revendications jugées conflictuelles par un gouvernement favorable à une politique du consensus. Ainsi, on considère que les enclaves autoritaires « ont offert, au parti conservateur Renovación Nacional (RN) et au parti de droite Unión Democrática Independiente (UDI),les ressources des héritages institutionnels de la dictature pour bloquer ou retarder la décision d’enjeux aussi significatifs pour l’accès des femmes à une pleine citoyenneté, que l’égalité de genre, le divorce ou l’avortement » [21].
8Selon Veja-Gajardo, ce blocage systématique des enjeux jugés conflictuels au sein des revendications féministes a entraîné la profonde division du mouvement : les organisations choisissant de se plier à cette règle de l’évitement du conflit ont trouvé une certaine niche institutionnelle, à condition d’entériner les lignes gouvernementales en matière de politiques destinées aux femmes. À l’opposé, toutes les organisations qui maintiennent des enjeux considérés comme conflictuels ont été isolées, confrontées à la fermeture institutionnelle, et stigmatisées comme pouvant entraîner un retour néfaste au passé.
9Le cas du mouvement féministe cas illustre bien l’incidence des enclaves autoritaires sur l’action collective en général, même dans des secteurs ayant une longue tradition d’organisation. Récemment, la criminalisation de l’action politique et collective [22] des Indiens Mapuches (considérée comme du terrorisme par un corpus législatif hérité de la dictature [23]), ou la répression systématique à l’égard des occupations de terrain des organisations de pobladores face au problème de logement [24], montrent une facette extrême de l’entreprise de délégitimation de l’action collective par les gouvernements de la consolidation démocratique. Le cas chilien n’échappe pas ici à la dynamique mise en valeur par Garibay [25] (2008) pour caractériser la violence actuelle en Amérique latine, où les forces de l’ordre jouent un rôle prépondérant : « Les polices, locales ou nationales, et de plus en plus souvent l’armée, sont en effet fréquemment mobilisées contre des acteurs violents, mais plus largement contre des mobilisations collectives » [26].
10Dans ce contexte d’héritage institutionnel autoritaire structurant une « démocratie de basse intensité » [27], certains analystes, tels Bérengère Marques-Pereira, considèrent remarquable que l’action collective ait néanmoins pris le pas sur l’atomisation complète de la société, recherchée par le projet autoritaire [28].
11La fermeture de la démocratie chilienne post-autoritaire [29] aux revendications collectives constitue donc un premier facteur influant sur les difficultés des actions collectives à être reçues comme légitimes, voire même à être prises en considérations et répertoriées dans le contexte chilien. Plusieurs auteurs ont aussi établi que la nouvelle démocratie chilienne fonde ses modes de légitimation sur une gestion sociale du « besoin », basé sur une détermination technocratique. Ce processus de détermination « par le haut » des besoins jugés légitimes, est doublé d’une forte rhétorique et d’une action institutionnelle qui bloque les canaux d’acheminement des demandes et des revendications sociales vers les pouvoirs politiques et, de manière générale, l’idée même d’action collective. Plusieurs auteurs vont dans ce sens; depuis Marcelo Solervicens qui montre l’absence totale de mécanismes de communication entre État et société [30] jusqu’à Tomás Moulian qui n’hésite pas à décrire le Chili actuel comme étant une démocratie de « basse intensité » parce que les gouvernements de la Concertation promeuvent et favorisent la « non-participation » et la banalisation du politique, ce qui en fait une démocratie faible [31]. Même au niveau municipal, où d’autres pays latino-américains comme le Brésil s’illustrent quant à des mécanismes de participation citoyenne, l’accès des revendications aux élus municipaux est complètement bloqué [32], alors que nombre d’acteurs sociaux attendaient beaucoup de la démocratisation de la vie municipale chilienne.
Au-delà des paradigmes actuels, comprendre des actions collectives issues des luttes contre l’impunité
12Comme il sera montré un peu plus loin, s’il est vrai que les mobilisations autour de diverses revendications entre 1990 et 1998 restaient dispersées et que cette période est plutôt jugée comme apathique, l’émergence d’un nouvel axe de mobilisations autour de l’idée de justice après 1999 n’est pas sans poser de difficultés d’analyses, malgré ses effets majeurs sur le renouveau de l’action collective – notamment dans les secteurs syndicaux et des poblaciones.
13Ces mobilisations touchent spécifiquement les actions collectives menées dans le cadre des luttes contre l’impunité concernant les violations des droits humains durant la dictature. Après une première réaction de surprise causée par le « réveil chilien » autour du mouvement pour la justice qui a émergé au tournant du millénaire, peu d’analystes de l’action collective se sont penchés sur les dynamiques sociales [33] de ces luttes contre l’impunité. Pourtant, ces dernières ont provoqué une appropriation sociale des dynamiques juridiques [34]. En effet, ce processus de mobilisations multiforme réunit divers secteurs sociaux autour d’une conception de la justice qui allie justice institutionnelle en matière de droits humains et justice sociale [35]. Une dynamique semblable se produit en Argentine, depuis 1996 et les premiers procès internationaux contre des crimes commis pendant la dictature. Jelín [36] met ainsi en lumière le « nouveau rôle politique du pouvoir judiciaire », poussé par les mouvements sociaux ralliés autour d’une conception large de la justice. Au sein de ce mouvement, les femmes, dont le rôle symbolique est de premier plan à cause du mouvement des Mères et grand-mères de la Place de Mai, jouent un rôle central. Au Chili, la participation des femmes au mouvement pour la justice est aussi de premier ordre, notamment parce que les organisations de droits humains sont également soutenues par les mères, veuves et filles de détenus-disparus. Cependant, à cause des facteurs évoqués plus haut, les difficultés du mouvement féministe se font ressentir dans ce mouvement où les organisations féministes ne sont pas les principales convocatrices et où la participation des femmes se fait surtout par le biais d’autres organisations, ou sur une base individuelle.
14La prédominance de certains paradigmes d’analyse des mouvements contre l’impunité explique aussi en partie la rareté des études centrées sur l’action collective au sujet du mouvement chilien. La place prépondérante des analyses centrées sur les facteurs transnationaux dans les luttes contre l’impunité en Amérique latine, s’explique en partie par l’influence des travaux fondateurs de Keck et Sikkinck [37], qui mettent en avant le concept central des « TANs » – les transnational advocacy networks – réseaux transnationaux de défense des droits. Bien que ces auteures soulignent elles-mêmes l’importance de l’étude des facteurs nationaux dans les luttes contre l’impunité, plusieurs analyses se situant dans ce courant se concentrent sur les facteurs externes que constituent les réseaux transnationaux de défense des droits pour comprendre ce qui apparaît à première vue comme une « irruption spontanée » de mouvements de défense des droits dans les pays du cône sud hispanophone. Dans la foulée du caractère spectaculaire de la justice internationale dans « l’affaire Pinochet », la prépondérance des facteurs internationaux et institutionnels par rapport aux facteurs domestiques et aux dimensions socio-politiques des luttes contre l’impunité devient alors marquée [38]. De Sousa Santos et Rodríguez-Garavito [39] rappellent aussi combien les études sur les avancées récentes de la législation internationale en matière de droits humains sont centrées sur les acteurs institutionnels et confortent la vision selon laquelle la Rule of Law est exportée du Nord vers le Sud. D’autres auteurs, tels Alex Wilde [40], admettent l’importance du contexte national, mais toujours en examinant uniquement les facteurs institutionnels et les initiatives politiques des gouvernements, plutôt que les dynamiques d’action collective, ce qui apparaît erroné dans le cas du Chili où, entre 1990 et 2005, les gouvernements de la Concertation ont adopté des attitudes de fermeture institutionnelle aux demandes en matière de justice [41].
15Mais au-delà des lacunes pouvant exister dans les lignes dominantes d’interprétation des mouvements actuels, les difficultés de compréhension du phénomène de la revitalisation de l’action collective au Chili sont aussi tributaires de deux grands facteurs, liés à l’importance des formes non-conventionnelles des mobilisations qui se manifestent depuis 1999. D’abord, ces mobilisations ne répondent pas aux caractéristiques habituelles de mobilisations sectorielles de la société civile organisées par des élites disposant de ressources larges, mais présentent des caractères particuliers dans la mesure où elles sont liées à l’expression publique de la souffrance, et où elles sont confrontées à la fermeture des autorités gouvernementales. Ensuite, la revitalisation de l’action collective depuis 1999 a pris une telle ampleur, rejoignant les secteurs sociaux les plus distincts et transformant les demandes sectorielles en plate-forme politique de démocratisation, qu’elle est allée jusqu’à la demande d’une assemblée constituante depuis 2005. Il est difficile d’en rendre compte autrement que par la mise en lumière du caractère contre-hégémonique [42] d’une nouvelle conception de la démocratie portée par ce mouvement multisectoriel, rassemblé autour de la revendication de justice.
16Il importe donc de mettre en lumière ces caractéristiques non-conventionnelles – en observant ce que la revitalisation de l’action collective puise aux répertoires historiques habituels de l’action collective chilienne, notamment ceux de la période des protestas pour le retour de la démocratie – ainsi que leurs effets sociaux et politiques. Cette démarche permet de mesurer l’ampleur et l’impensé d’un nouvel axe de mobilisations, en apparence moins spectaculaire que celui observé dans les pays andins qui ont pris un virage à gauche (Bolivie, Équateur), mais qui invite néanmoins à repenser la démocratisation par la réappropriation populaire de l’enjeu des droits humains.
Revitalisation de l’action collective et réappropriation de la démocratie : dynamiques nationales des luttes chiliennes contre l’impunité
17Les luttes pour la justice et contre l’impunité donnent lieu à des formes spécifiques et inédites d’action collective, qui structurent profondément un rapport au politique, en s’articulant autour de la centralité du combat contre l’héritage autoritaire de la dictature, perpétué en démocratie. Renverser cet héritage impliquait de s’attaquer aux institutions politiques léguées par les généraux, mais aussi à toute une conception de la refondation démocratique [43] héritée du processus de transition pactisée. Selon cette conception, la nouvelle démocratie devait être centrée sur la stabilité, le repoussoir n’étant pas le régime autoritaire, mais un modèle démocratique antérieur, considéré comme celui de la « démocratie de conflits ». Le processus de contestation des limites et enclaves autoritaires de la démocratie stable n’était toutefois pas prégnant au sein de l’action collective au Chili aux débuts de la transition démocratique : c’est la massification des luttes contre l’impunité, à l’aube de l’an 2000, qui a ouvert une dynamique d’évolution de l’action collective face aux réponses négatives du gouvernement devant les revendications de justice. Il apparaît ainsi utile de comparer brièvement la période antérieure au mouvement pour la justice (1998) avec les dynamiques qui ont émergé par la suite.
Une démocratie fondée sur l’exclusion des conflits sociaux : la scène politique de 1990 à 1998
18Entre 1990 et 1998, les rapports entre gouvernement et acteurs sociaux mobilisés [44] étaient encadrés et entravés par une conception prédominante et normative de la démocratie, conçue comme devant être stable et fondée sur le consensus. Cette conception, articulant réconciliation, démocratie et consensus permet à l’État chilien de rendre illégitime l’ensemble des mobilisations collectives durant cette période, en les présentant comme étant porteuses de conflits sociaux dangereux, s’opposant à la démocratie de réconciliation. Ce processus de redéfinition de la « bonne » démocratie conduit le gouvernement à interpréter les modes populaires d’action politique [45] comme étant de la « violence populaire » [46], puis toute mobilisation collective comme une manifestation d’instabilité issue d’une « mauvaise forme » de démocratie, et portant la responsabilité d’avoir provoqué l’introduction de la violence dictatoriale, par le passé. Ainsi, la force du récit de refondation de la démocratie repose en quelque sorte sur une « culpabilisation des victimes » [47], accusées de soutenir de « mauvaises » formes de démocratie de conflit menant à la dictature. Cette opération rhétorique, qui a pesé lourdement sur l’expression de la Mémoire, réduisait au silence bien des voix dissidentes et parvenait à faire une certaine unanimité dans les secteurs politiques considérés comme de centre gauche (Parti socialiste et Démocratie-Chrétienne), dans le monde académique et intellectuel et dans de larges secteurs de la population, encore marqués par la terreur d’État.
19Après une période de limitations volontaires des revendications de la part de divers secteurs, les années 1992-1998 sont marquées par le surgissement de multiples contestations issues de la société : grèves dans le secteur minier et de l’éducation, occupations de terrain [48] par les pobladores malgré des programmes gouvernementaux visant à leur faire acheter des logements à moindre coût, selon une conception où l’on vise la « participation ordonnée » des populations les plus pauvres au « marché du logement » [49]. La résurgence des mobilisations n’a pas modifié sensiblement la réponse du gouvernement : le conflit social et les secteurs mobilisés sont vus comme susceptibles de replonger le Chili dans des dynamiques de rupture, brandissant de nouveau le spectre de la dictature. Par exemple, la mise en équivalence du « conflit social actif » avec des « gouvernements fragiles, déchirés et rétrogrades » le montre dans l’extrait suivant : « Il existe une spirale vertueuse, digne d’être atteinte, de stabilité politique, de progrès économique et de paix sociale, qui permet la gouvernabilité et la croissance : l’inverse est un cercle vicieux, qu’il faut éviter, d’instabilité politique, de blocage économique et de conflit social actif, qui conduit à des gouvernements fragiles, déchirés et rétrogrades » [50].
20Dans le milieu des années 90, l’opposition constitutive de la démocratie stable chilienne à des formes de plus en plus étendues de « mauvaise démocratie » nuit à la création d’un être-ensemble démocratique. À défaut de s’exprimer par des mouvements de contestation entièrement discrédités, la contestation s’exprime par une crise de légitimité politique importante, centrée sur des mouvements de refus de la participation électorale marquant un « échec du système politique chilien » [51]. Tironi et Aguëro [52] montrent que cette crise de légitimité n’est pas due au phénomène de volatilité des votes, indicateur de perte d’intérêt du politique dans d’autres pays d’Amérique latine. Le phénomène d’annulation du vote constitue ainsi un mouvement de dissension politique dans le segment social constitué par les jeunes pobladores [53]. À cet égard, diverses études sur la désaffection électorale au Chili au cours de cette période [54] établissent une corrélation directe entre refus du vote et sentiment de frustration face aux enclaves autoritaires, vues comme entravant la démocratie.
21Durant cette période (1990-1998), la question de la justice et des luttes contre l’impunité demeure confinée aux organisations spécialisées et ne suscite pas de manifestations massives. Considéré comme un autre volet de la stabilité politique et de la réconciliation, le contournement de la justice [55] est vu comme nécessaire et donne même lieu à des initiatives législatives [56] visant à garantir l’impossibilité de recours judiciaires dans divers cas, dont celui des détenus-disparus même si la question de la justice reste quasi-absente de la scène politique.
Persévérance et transnationalisation des organisations de lutte contre l’impunité au Chili et en Argentine : des effets nationaux inédits
22Le blocage total des demandes de procès pour violations des droits humains au niveau national [57], conduit les militants des luttes contre l’impunité à créer, à rejoindre ou à renforcer des réseaux transnationaux de défense des droits. Très organisées malgré le manque criant de ressources, les organisations chiliennes s’étaient dotées dès 1992 d’une structure de coordination nationale, l’Assemblée nationale pour les droits humains, qui coordonne les communications nationales et transnationales, en collaboration étroite avec les organisations argentines, dont les Mères de la Place de Mai. Ce processus d’intégration des réseaux transnationaux et la tenue des premiers procès dans des pays tiers permettent le recours à la norme internationale en matière de droits humains, ce qui fournit aux organisations nationales une légitimité qu’elles n’avaient pas. La comparaison avec l’Argentine, où le processus de création/renforcement des réseaux de défense par des organisations nationales s’effectue en même temps qu’au Chili, permet de voir des effets très semblables au niveau national. Ainsi, dès les premiers procès engagés par la France et l’Espagne (1996-1998) contre des militaires chiliens et argentins, sous les pressions des organisations des deux pays, on observe deux effets majeurs : d’abord, les procès transnationaux permettent de faire circuler l’information et provoquent une confrontation avec la norme interne en matière de droits humains – l’impunité – ainsi qu’avec les discours gouvernementaux visant à rendre légitime, ou acceptable, cette impunité. Comme l’ont montré divers analystes [58] ces discours gouvernementaux visant à rendre acceptable une certaine continuité institutionnelle entre régimes autoritaires et régimes de transition prennent tous la forme d’une mise en équivalence des torts entre terreur d’État [59] et acteurs de conflits sociaux ou de radicalisation politique, auxquels on fait porter le poids d’avoir provoqué les interventions militaires : qu’il s’agisse de la « théorie des deux démons » en Argentine ou de « l’accusation des victimes » en Uruguay et au Chili, les constructions discursives légitimant l’impunité se voient ébranlées par la circulation de l’information à l’issue des premiers procès transnationaux.
23Ces processus, qui reposent sur une dynamique d’action collective engagée par des organisations structurées au niveau national, permettent aussi la mise en circulation de nouvelles interprétations et définitions juridiques, qui ouvrent des brèches dans l’architecture juridique de l’impunité. Ces effets se trouvent renforcés par l’augmentation exponentielle des causes portées devant les tribunaux : entre 1998 et la fin de 2002, plus de 300 poursuites sont ouvertes au Chili [60]. Bien que le rôle précis des pouvoirs judiciaires soit encore à analyser, au Chili, trois événements, tributaires de l’implication de réseaux globalisés de droits humains, apparaissent fondamentaux dans ce processus d’ouverture judiciaire : d’abord, une nouvelle interprétation de la loi d’amnistie donnée début 1998 par le juge Guzmán Tapia, et qui permet de mener une enquête avant d’appliquer l’amnistie ; ensuite l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en octobre de la même année a ouvert un débat suscitant la confrontation avec des normes et internationales en matière de droits humains ; enfin, en 1999, la reconnaissance par des tribunaux chiliens de l’interprétation de la disparition comme crime à caractère permanent, telle que proposée par Amnistie internationale [61].
Expression publique de la souffrance et répertoires d’action collective chiliens
24Ces nouvelles interprétations juridiques contribuent à la circulation d’une information dont la société chilienne s’empare pour mettre en place un processus social, qui fait effet de véritable catharsis contre le récit de « culpabilisation des victimes ». La persévérance des organisations de droits humains se voit alors magnifiée par des manifestations expressives massives, qui unissent divers secteurs sociaux à partir de 1998 et s’amplifient jusqu’en 2003. Au Chili, ces dernières sont caractéristiques de la manifestation de type « protesta », qui s’est instituée comme forme prédominante de la mobilisation lors des grandes protestas pour la démocratie [62] dans les année 80. Mêlant des éléments de confrontation – symbolique – avec le gouvernement, avec une forte présence d’éléments culturels (chants, théâtre,…) qui donnent une grande centralité à la composante du rassemblement, voire de la célébration [63] de ce rassemblement, les manifestations expressives ne sont pas d’abord axées sur la formulation de demandes précises, ce qui leur a valu plusieurs critiques quant à leur efficacité. Prédomine plutôt le caractère d’intense « communion sociale », au cœur même de la manifestation-rassemblement, que d’aucuns considèrent également central dans les manifestations expressives alter-mondialistes [64] et qui rejoint aussi ces dernières quant au type d’opposition large au politique qui est mise de l’avant. Le caractère de confrontation avec le gouvernement est aussi renforcé du fait que ces manifestations expressives sont systématiquement dispersées par la police, notamment avec l’utilisation de gaz lacrymogènes et du « guanaco », char lanceur de puissants jets d’eau nommé ainsi en référence à une espèce chilienne du lama andin.
25C’est ainsi que fait « irruption » sur la scène publique la souffrance liée à la dictature et la Mémoire jusque-là refusée par les exigences d’un processus de réconciliation fondé sur la raison d’État. Ce phénomène, également vécu en Argentine dans les mêmes années, repose sur l’apparition de manifestations sociales à caractère expressif, revendiquant la légitimité de la souffrance des victimes de violations des droits humains, en y unissant celle des populations ayant subi l’oppression des dictatures : des concerts ou performances de théâtre de rue accompagnent la tenue de procès internationaux de responsables de violations des droits humains ; la tradition des grandes peintures murales refait surface ; des veillées au flambeau sont organisées spontanément pour marquer la date de l’assassinat de personnes peu connues, des veillées artistiques sont réalisées devant les centres clandestins de torture de la dictature ; des martyrs populaires, tombés dans l’ombre de l’occupation militaire des poblaciones [65] ou des grandes protestas, sont célébrés. À chaque événement, la foule est au rendez-vous. À chaque événement, le renouvellement d’une rencontre émotionnelle autour de la souffrance partagée, autour de dates symboliquement chargées, engendre une ritualité non-religieuse, et participe à la sacralisation de la Mémoire et de la justice.
26La centralité de la souffrance n’est pas sans rapport avec des dynamiques apparues durant les années de résistance active à la dictature, et alors inédites. Après que deux jeunes étudiants protestant pour la démocratie – Carmen Gloria Quintana et Rodrigo Rojas – ont été brûlés vifs par la police en 1987, certains segments radicaux d’organisations pour les droits humains répandent la pratique de l’auto-immolation par le feu ou du suicide public, dans une dynamique qui n’est pas exempte d’une glorification de la souffrance et du martyr politique. En particulier, l’auto-immolation par le feu de Sebastián Acevedo, père d’un détenu-disparu, donne une visibilité à une organisation qui porte son nom et centre son activisme public sur l’affirmation de la supériorité morale des victimes sur celle de leurs bourreaux. Ainsi : « Soyez certains qu’avec notre capacité à souffrir, nous triompherons sur vous : nous continuerons à en appeler à vos cœurs, jusqu’à les conquérir, et alors, notre victoire sera double » [66].
27La massification rapide des manifestations d’expression publique de la souffrance [67], qui constitue une de leurs caractéristiques centrales, repose sur l’identification de divers secteurs sociaux à la souffrance des victimes directes de la dictature. D’abord portées par des organisations culturelles et de droits humains, puis par le syndicalisme traditionnel de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), alliés au syndicalisme autonome surgi depuis 1993 [68] et les secteurs populaires, organisés ou non, ces manifestations où la souffrance des victimes de la dictature est enfin énoncée publiquement, rejoignent aussi une représentation, prédominante dans les secteurs marginaux, celle d’une « souffrance partagée ». Cette conception, identifiée par des enquêtes qualitatives [69], entretiens et récits de vie, fusionne, à plusieurs niveaux, souffrance due à l’oppression économique et souffrance due à l’oppression politique [70].
28Dans ce contexte, il n’est guère surprenant de voir refaire surface des répertoires d’action collective profondément ancrés dans la culture populaire. L’utilisation de moyens artistiques, les dimensions expressives et le dynamisme des secteurs de poblaciones lors de manifestations autour de causes proprement politiques plutôt que de revendications segmentées autour de secteurs sociaux distincts, a caractérisé les grandes protestas pour le retour de la démocratie, à partir de 1984. À cette période, surprenant tous les analystes par leur rôle de premier plan, les pobladores des secteurs les plus pauvres des grandes villes, en particulier femmes et jeunes, ont été les plus présents dans ces manifestations et les ont poursuivies bien au-delà de la période déterminée par les forces politiques et les organisations ayant opté pour la négociation avec le régime militaire après 1986 et qui considéraient désormais ces masses contestataires comme des éléments violents. L’omniprésence des partis politiques de gauche (PS, PC, Gauche chrétienne, MIR) et de leurs organisations – clandestines – est sans doute l’élément qui distingue le plus radicalement les protestas (1984-1989) des manifestations d’expression publique de la souffrance qui ont émergé à partir de 1998, où l’encadrement des partis n’est pas prégnant.
29Toutefois, la caractéristique centrale permettant de discerner les innovations propres au processus issu de l’expression publique de la souffrance, à partir du déblocage judiciaire et de la transnationalisation des luttes contre l’impunité, demeure la revitalisation de l’action collective ainsi que la réorganisation qui en découle, au-delà de l’enjeu de la justice.
Analyse de la transformation des dynamiques d’action collective
30Les impacts majeurs de l’expression publique de la souffrance et du mouvement pour la justice tiennent à la convergence de ces caractéristiques expressives et de celles d’un processus d’appropriation sociale du droit, qui permettent d’ébranler le récit de refondation de la démocratie, neutralisant jusque-là l’action collective. Ce processus est marqué par la montée d’une revendication unifiée de justice – en tant que justice judiciaire mais aussi en tant que demande de droits. Autour de ce référent de justice, les revendications partielles issues de secteurs jusque-là dispersés voire apathiques ont été liées dans un même horizon symbolique. Ainsi, les mouvements d’expression publique de la souffrance font naître une plate-forme unifiée de revendication de justice, dont l’expression la plus spectaculaire sera la réalisation de la première grève générale nationale en démocratie (depuis 1990) sous le thème « Pour un Chili juste » [Por un Chile Justo] en août 2003. Formée en 2001 à l’initiative de la Centrale unique des travailleurs (CUT), la Plate-forme Pour un Chili juste dénonce la « démocratie sans justice » [71] des trois gouvernements de transition. La convocation à la grève générale, qui sera très bien suivie [72], est faite en des termes qui montrent la centralité de la demande de justice, sans pourtant la faire pencher vers l’un ou l’autre des versants de l’opposition habituelle entre droits humains et droits sociaux [73].
31Ce processus a des retombées importantes en termes d’action collective et ce, à deux niveaux. D’abord, cette demande unifiée de justice suscite l’adhésion d’un vaste réseau d’organisations de divers secteurs, qui réorientent leurs revendications pour donner centralité à la demande de justice. Le cas le plus éloquent à cet égard est celui du rôle pivot joué par le syndicalisme traditionnel de la CUT, qui a scellé des alliances improbables avec le syndicalisme autonome et plus radical issu de la mouvance de la SurDa, autour de la revendication unifiée de justice. Apparue en 1993 à l’issue de la réorganisation de secteurs du Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR), la SurDa s’est avérée être une organisation politique incontournable dès la fin des années 90, qui a réussi à dynamiser le syndicalisme dans les régions minières du Nord et du sud du Chili, fait renaître le mouvement étudiant universitaire de ses cendres, appuyé l’organisation de plusieurs occupations de terrain, dont celle – massive – de Peñalolen en 1997 [74] et lancé une revue très lue, La SurDa, et divers journaux [75].
32Le deuxième processus emblématique de la revitalisation de l’action collective repose sur la naissance et le développement de nouvelles organisations autour du thème de la justice. Le cas le plus frappant à cet égard est celui de « La FUNA ». Ce groupe, composé au départ en majorité des fils de détenus-disparus ou exécutés politiques, devient rapidement un mode de mobilisation important parmi la jeunesse et rejoint plusieurs secteurs syndicaux. Né avec la consigne « ¡Ni perdón ni olvido! Si no hay justicia hay FUNA [Ni pardon, ni oubli : s’il n’y a pas justice, il y a une Funa] » [76]. La Funa désigne à la fois une organisation et une forme d’action directe qui se donne pour objectif d’accomplir la justice de manière symbolique, par des actions directes consistant à identifier publiquement les présumés coupables de violations de droits humains en marquant la porte de leur maison par des slogans de la Funa ou en manifestant face à leurs lieux de travail tout en accompagnant cela de l’expression de la souffrance : par des chants rappelant la dictature, la lecture de listes de détenus-disparus répétées par la foule assemblée, dans un grand recueillement. La portée de la Funa, au-delà des critiques que cette forme d’action directe inédite suscite au Chili et en Argentine, où l’organisation se développe également, est telle qu’on en a fait au Chili un synonyme du verbe dénoncer, le verbe « funar » [77].
33Quatre processus se rejoignent ainsi dans la revitalisation de l’action collective : transformation ou réorientation des revendications sectorielles d’organisations sociales autour de la demande de justice (étudiants, syndicats, organisations de femmes, organisations de droits humains, organisation indigènes) ; naissance de nouvelles organisations autour de la justice ; réorganisation de secteurs non-mobilisés dans les poblaciones depuis la fin de la dictature autour de la revendication de droits ; remobilisation des « ailes » jeunesse et création de nouvelles instances au sein des partis politiques autour de la revendication de justice [78]. Au sein de ces quatre grands axes, on voit émerger une diversification du répertoire de l’action collective où se mêlent actions directes, manifestations expressives et artistiques, manifestations et occupations, consultations populaires autonomes, mouvements de grève sociale, forums de discussion. Ainsi, il apparaît que la dynamique des manifestations d’expression de la souffrance ouvre un espace de légitimité pour les revendications sociales, alors que ce dernier était jusquelà fermé par la conception dominante de la « démocratie stable ».
La réorganisation du monde des poblaciones : un axe emblématique de la revitalisation de l’action collective
34Au sein de ces multiples processus convergeant vers une revitalisation de l’action collective, la dynamique de réorganisation du secteur poblacional (de bidonvilles et quartiers marginaux) permet de cerner précisément certains des enjeux centraux pour l’action collective au Chili, en jeu actuellement. Très actifs dans les manifestations d’expression de la souffrance et pour la justice, les pobladores ont initié à partir de là une période de réorganisation intense; en créant une multitude d’associations de quartiers et en se dotant d’organisations sociales de grande envergure visant la coordination au niveau national. C’est ainsi que naît en 2001 la ANDHA [79], Regroupement national pour les droits au logement, dont le nom en espagnol – Agrupación nacional por los derechos habitacionales est calqué sur celui de la plus grande organisation de droits humains au Chili, la Agrupación nacional por los Derechos humanos [Regroupement national pour les droits humains]. Plusieurs militants pobladores appartenant à d’autres organisations telles la FUNA et HIJOS (Fils de disparus) font partie de cette organisation, qui s’est positionnée comme acteur social incontournable depuis 2005. Ainsi, en juillet 2005, le gouvernement Lagos menaçait de faire intervenir les militaires par le biais de la convocation du Conseil de sécurité nationale [80] – organe hérité de la dictature – pour en finir avec les manifestations massives des pobladores regroupés derrière l’ANDHA. Les pobladores refaisaient surface de manière organisée sur la scène publique après 24 ans d’absence et protestaient publiquement contre les effets pervers des programmes de lutte contre la pauvreté dans le domaine du logement en affirmant le « droit à la justice et à la vie ». Cette réapparition des pobladores comme acteurs sociaux importants constitue une nouveauté, d’autant plus que leurs actions collectives d’occupation de terrain, importantes depuis 1998 [81], avaient été jusque-là neutralisées par le silence du gouvernement et le démantèlement systématique de tout campement (campamentopremière étape de la prise de terrain). Face à une réponse très mitigée des gouvernements de Lagos et de Bachelet, ANDHA évolue actuellement vers une radicalisation, en utilisant un type particulier d’expression de la souffrance comme ultime recours. Entre juillet et septembre 2009, divers campements d’occupation de terrain (tomas), situés stratégiquement au bord du fleuve Mapocho dans des conditions très difficiles, ont menacé de mettre le feu à leurs tentes si le gouvernement ne répondait pas à leurs demandes [82].
35D’autres secteurs participent aussi à la revitalisation de l’action collective à partir de la mouvance pour la justice. Selon Samaniego [83], ainsi que Carruthers and Rodríguez [84], l’importance de la réappropriation de l’idée de droits humains touche aussi les revendications des Indiens Mapuches, qui refusent d’abandonner leurs terres concédées par le gouvernement pour différents méga-projets impliquant des compagnies multinationales. Accusés de « menacer la sécurité nationale », les Mapuches sont actuellement durement touchés par l’application systématique de la loi antiterroriste. La réorientation des actions collectives mapuches autour de revendications concernant les droits humains a permis d’alerter diverses organisations internationales qui ont envoyé plusieurs missions d’observation au Chili depuis 2005 [85], ainsi que de créer des alliances entre les secteurs communistes du mouvement étudiant et les organisations mapuche, une nouveauté dans le paysage chilien de l’action collective.
36Enfin, le mouvement pour la justice a permis de canaliser des revendications du mouvement féministe chilien. En effet, ce sont les suites revendicatives de l’une des mobilisations sociales les plus importantes du mouvement pour la justice qui ont permis le dépôt d’un projet de loi sur la violence faite aux femmes, par le gouvernement Bachelet, en septembre 2009. Ce projet découle directement de la consultation de diverses organisations de femmes et de droits humains, quant à la situation spécifique des femmes victimes de violations sexuelles des droits humains, suite aux lacunes à cet égard du Rapport Valech sur la Prison politique et la torture, publié en 2004 [86]. En effet, après la formation d’une commission citoyenne autonome en 2003, la Commission nationale éthique contre la torture [Comisión Nacional Ética contra la tortura], qui a recueilli des milliers de témoignages de torture, le gouvernement Lagos organisa en 2003-2004 une commission gouvernementale (Commission Valech), aux termes de laquelle plusieurs plaintes pour violations sexuelles des droits humains demeuraient inclassées [87]. Face à cela, de nombreuses organisations ont poussé pour le dépôt du projet de Loi contre la violence faite aux femmes, qui innove en créant la figure juridique du « fémicide » (femicidio), dont la portée est à la fois symbolique et juridique [88] et inclut la question des violations commises par des militaires ou des policiers. Bien que l’identification spécifique des forces de l’ordre ait été bloquée en première lecture du projet par l’ensemble de la droite (août-septembre 2009), la loi prévoit des peines aggravées pour les violations faites par des hommes « en autorité, ou dans l’exercice du pouvoir » [89].
Conclusions. Dynamiques politiques et demande d’Assemblée constituante : la confrontation de la démocratie limitée
37Face au mouvement pour la justice, la réaction des forces politiques en place, avant l’élection de Bachelet, a été celle de la fermeture. La construction d’un conflit, qui a fait que l’idée que la justice devienne désormais incontournable, a permis de remettre en question les idées de réconciliation et de démocratie stable, préconisées et défendues par le gouvernement. Alors que dans la période antérieure (1990-1998), le discours de la démocratie de consensus réussissait à neutraliser les mobilisations, encore dispersées, la constitution du mouvement pour la justice permettra un affrontement public et massif, autour de la contestation des fondements de la démocratie stable. En témoigne la prise de position du Président Lagos à la fin 2005 : « Notre vision du progrès du Chili nous indique qu’il faut aller pas à pas […] notre vision cherche les accords fondés sur le bon sens et n’impose pas les décisions par la force. C’est une vision qui ne sacrifie pas la paix sociale au nom de la justice » [90].
38En dépit de la grande popularité du Président Lagos, le caractère inadmissible d’une opposition directe entre justice et stabilité entraîne pour une partie de la population mais aussi de la classe politique se réclamant de la gauche, la nécessité de situer la demande de justice au sein d’une revendication politique plus large : celle de la convocation d’une assemblée constituante. Cette dernière permettant d’opérer enfin la rupture définitive avec l’héritage autoritaire. Ainsi, sans pour autant que l’on assiste à un affaiblissement des autres formes de l’action collective, le mouvement pour la justice prend, à partir de la fin 2004, une nouvelle dimension tout à fait inédite dans le paysage politique chilien : la création d’une plate-forme politique et sociale demandant une assemblée constituante et une « souveraineté citoyenne ». Aux alliances des secteurs déjà mobilisés, s’ajoutent deux nouvelles composantes à ce mouvement : d’une part, le « virage à gauche » de plusieurs figures politiques, notamment au sein du PS et de son aile jeunesse; d’autre part le retour en force d’un acteur social historique au Chili : les étudiants [91], à partir de 2006. Ces derniers prennent le leadership du Mouvement pour une assemblée constituante, en pleine effervescence en 2009, dont bénéficie la candidature de Marcos Enríquez Ominami, jeune candidat présidentiel se présentant comme étant à la gauche du Parti socialiste ayant obtenu 20,13 % des vote au 1er tour des présidentielles de décembre 2009 [92]. La politisation des revendications étudiantes autour d’une opposition aux enclaves autoritaires [93] de la démocratie chilienne, s’est ainsi produite dans le contexte du mouvement pour la justice. Malgré la mauvaise presse qu’elles ont subi, les importantes mobilisations étudiantes de 2007 – « la révolte des pingouins » – visaient une réforme radicale de la loi constitutionnelle sur l’éducation, profondément inégalitaire, considérée comme un legs de la dictature imposé en démocratie.
39Ainsi, l’analyse du cas chilien permet d’établir que les mobilisations expressives et multisectorielles ont été une étape centrale de la revitalisation de l’action collective et des processus de réorganisation et de convergence entre secteurs sociaux dispersés. Manifestation directe des effets nationaux des luttes contre l’impunité, l’expression publique de la souffrance a constitué une condition nécessaire à la remise en question du récit de refondation de la démocratie post-autoritaire, fondé sur l’exclusion des mobilisations à cause de leurs dangers pour la stabilité et l’accusation des victimes, considérées comme appuyant une « mauvaise » forme de démocratie de conflits. Ce récit de refondation, héritage autoritaire peut-être aussi lourd que les dispositions constitutionnelles léguées par la transition pactisée, ne pouvait qu’être ébranlé par l’irruption au grand jour de la souffrance des victimes et l’identification sociale que cette dernière a suscité. Les effets de ces processus doivent être considérés dans leurs impacts sur la réorganisation de divers secteurs sociaux peu mobilisés ou dispersés. Ces impacts montrent qu’il est possible que des processus d’organisation succèdent à des mobilisations collectives – expressives – plutôt que de les précéder nécessairement. Ils appellent aussi à reconsidérer l’importance de la qualité de la démocratisation en Amérique latine pour les acteurs sociaux, mais aussi l’importance de l’horizon des droits de l’homme pour la démocratie.
Notes
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[1]
Pour toutes les citations de la presse internationale : « Gobierno de Chile », Chile en la prensa internacional, 15 de septiembre de 2005.
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[2]
Le terme « pobladores », désigne au Chili les habitants des poblaciones, c’est-à-dire des bidonvilles ou quartiers marginaux. Ces termes désignant une appartenance et une réalité sociale marquée au Chili, nous reprenons cette terminologie pour laquelle n’existe aucune traduction rapide en français, comme dans le cas des favelas et favelados du Brésil.
-
[3]
Émergeant en 1984, les grandes protestas ont occupé l’avant-scène d’une opposition assez unifiée à la dictature, réunissant de vastes secteurs sociaux. Toutefois, après qu’une partie de l’opposition à Pinochet ait décidé de négocier avec le régime militaire pour une sortie pactisée, les protestas continuèrent avec beaucoup d’ampleur, en particulier dans les quartiers de poblaciones et ce, jusqu’en 1989, au moment de la passation du pouvoir au gouvernement de transition de Patricio Aylwin. Voir à ce sujet DUBET F., Pobladores, luttes sociales et démocratie au Chili, Paris, L’Harmattan, 1989.
-
[4]
JAFFRELOT C., « Introduction », in JAFFRELOT C., (dir.), Démocraties d’ailleurs, Démocraties et démocratisations hors d’Occident, Paris, Karthala/CERI, 2000, p. 5-57.
-
[5]
Le 18 août 2005, le Président Lagos accordait l’annulation de peine (sans possibilité de nouveaux recours juridiques), à Manuel Contreras Donaire, condamné à sept ans de prison en tant qu’auteur matériel du meurtre du leader syndical Tucapel Jímenez en 1982. La portée symbolique de ce geste sera d’autant plus grande que Contreras Donaire est l’un des rares responsables des violations des droits humains à avoir été condamné par les cours de justice chiliennes, puisqu’en 2007, seuls 18 militaires purgeaient des peines pour des crimes non couverts par la loi d’amnistie de 1978. À l’automne 2007, un projet de loi proposé par deux sénateurs de la droite visant à amnistier ceux de ces condamnés ayant atteint l’âge de 75 ans fut rejeté en bloc par les députés et sénateurs de la Concertation (voir note 7), majoritaires pour la première fois sous l’administration de Bachelet. Plusieurs centaines de causes sont actuellement ouvertes en attente de l’instruction de procès qui pourraient entraîner plusieurs autres condamnations.
-
[6]
Un sondage de la firme Market & Opinion Research International révèle que 63 % des répondants rejettent la décision du Président Lagos, tandis que 17 % l’approuvent et que 20 % ne se prononcent pas. La désapprobation grimpe à 71 % chez les jeunes de la catégorie 16-35 ans. Selon Mori, c’est la première fois qu’une décision présidentielle suscite une telle désapprobation, et ce, malgré la grande popularité du Président Lagos. In « Indulto de Lagos a asesino de Tucapel Jiménez tiene alto rechazo », Radio Cooperativa, Jueves 8 de septiembre de 2005.
-
[7]
Depuis le retour de la démocratie en 1990, le système de partis politiques au Chili se structure autour de deux grandes coalitions regroupant, d’un côté, le centre-gauche derrière la bannière de la Concertation des partis pour la démocratie, composée de la Démocratie chrétienne (DC), du Parti socialiste du Chili (PS), du Parti pour la démocratie (PPD), du Parti radical social démocrate (PRSD) et du Parti vert (PV) et, d’un autre côté, la droite formant la liste électorale Alianza por Chile [Alliance pour le Chili], constituée de l’Union démocratique indépendante (UDI), de Rénovation nationale (RN) et de l’Union de centre centre (sic) (UCC).
-
[8]
Projet de loi soumis à l’automne 2007, rédigé en collaboration avec des organisations de défense des droits.
-
[9]
VERA GAJARDO A., « Les discours de genre dans la campagne présidentielle de Michelle Bachelet : une critique féministe », Raisons politiques, volume 31, n°3, 2008, p. 85.
-
[10]
De multiples études comparatives sur les transitions et consolidations démocratiques considèrent le Chili comme l’emblème des transitions réussies. Par exemple, à partir d’une corrélation directe entre degré d’efficacité de la démocratie chilienne et légitimité politique, Linz et Stepan situent le Chili en tête des pays où règne la légitimité. Voir à cet effet les tableaux « Legitimacy and Efficacy in Chile and Spain » (p. 214) ainsi que « Empirical Placement of Uruguay, Argentina, Chile and Brazil on a Typology of Legitimacy and Efficacy, 1995 » (p. 228) dans LINZ J. J. et STEPAN A., Problems of Democratic Transition and Consolidation. Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1996. Comme l’explique Alfredo Joignant, l’unanimité qui s’est construite autour du caractère exemplaire de la transition chilienne – fondée sur le consensus – provient notamment des liens étroits tissés entre politiciens et théoriciens de la transitologie, faisant ainsi de l’expérience chilienne une « science du gouvernement ». JOIGNANT A., « La politique des ‘transitologues’ : luttes politiques, enjeux théoriques et disputes intellectuelles au cours de la transition chilienne à la démocratie », Politique et Sociétés, volume 24, n°2-3, 2005, p. 33.
-
[11]
La vague de mobilisations mapuches contre des méga-projets commença avec la construction projetée de Ralco, un barrage desservant une centrale hydro-électrique dans la région de Concepción (Sud du Chili). Comme l’indiquent Carruthers et Rodríguez, « Tant pour les leaders des mouvements mapuches que pour ceux des mouvements environnementaux, le barrage de Ralco est un symbole fondamental de la trahison de la promesse démocratique ». Depuis, l’avancée d’autres méga-projets, détenus en totalité ou en partie par des compagnies multinationales a provoqué d’autres vagues de mobilisations, des occupations de terres, des grèves de la faim, ainsi que la création d’un parti politique visant à redonner aux Mapuche la souveraineté sur leurs territoires (en 2007). Comme ailleurs dans les Amériques, notamment au Canada, les conflits émergent souvent du fait que l’État ne respecte pas les traités territoriaux passés avec les Indigènes – appelés en Amérique les « Premières nations ». CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., « Mapuche Protest, Environmental Conflict and Social Movement Linkage in Chile », Third World Quaterly, volume 30, n°5, 2009, p. 747.
-
[12]
CORTEN A., « Une langue politique postpopuliste : l’épilogue de l’affaire Pinochet », Politique et Sociétés, volume 22, n°1, 2003.
-
[13]
ECKSTEIN S., Power and Protest. Latin American Social Movements, Berkeley, California University Press, 2001.
-
[14]
Les données recueillies proviennent de divers séjours de recherche-terrain (1990, 1993, 1996, 1997, 2003, 2005), réalisés dans douze poblaciones et sept campamentos, où plusieurs méthodologies ont été utilisées : récits de vie, entretiens semi-dirigés, entretiens dirigés, observation participative, enquêtes sur base de questionnaires dans le cadre d’une recherche comparative menée par le Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine (www.gripal.ca ), réunissant 3600 enquêtes dans 5 pays.
-
[15]
LE BOT Y., La Grande révolte indienne, Paris, Éditions Robert Laffont, 2009.
-
[16]
Dans Le défi bolivien, (Montréal, Éditions Athéna, 2009), Denis Langlois analyse en détails la formation du MAS (Mouvement au socialisme) par des organisations sociales indigènes et leur processus d’accès à une citoyenneté élargie à partir de ce vecteur. Voir aussi MARTINAT F., « Peuples autochtones et consolidation démocratique en Amérique latine. Une approche comparée de la Colombie et du Venezuela. », in NADAL E., MARTY M., THIRIOT C., (dir.), Faire de la politique comparée : les terrains du comparatisme, Paris, Karthala, 2005, p. 377-391, où l’auteure montre toutes les dimensions politiques de l’élargissement de la citoyenneté à partir des processus actuels de refonte constitutionnelles dans les pays andins.
-
[17]
Ces deux mouvements sont parmi les plus importants de la dernière décennie en Amérique latine. Le MST, important vecteur de la nouvelle gauche brésilienne (voir CORTEN A., Les peuples de Dieu et de la forêt. À propos de la nouvelle gauche brésilienne, Montréal/Paris, VLB Éditeur/L’Harmattan, 1990) rassemble des paysans sans terre qui réalisent des actions d’occupations de terres agricoles, afin de forcer le gouvernement à respecter les lois de réforme agraire adoptées après le retour de la démocratie, contre les puissants propriétaires terriens et intérêts qui s’y opposent. Voir aussi GOIRAND C., La politique des Favelas, Paris, Karthala, 2000. Quant aux piqueteros, il s’agit d’un mouvement de chômeurs ayant commencé dès 1993 à bloquer des routes pour contester un système économique excluant. Le mouvement a pris une ampleur inédite et s’est transformé en vecteur central de la contestation politique suite à la répression exercée par le Président De la Rua en décembre 2001, précédant la crise de légitimité représentée par le slogan « Qu’ils s’en aillent tous » (les politiciens). Pour une analyse des suites du mouvement voir JELÍN É., « Les mouvements sociaux et le pouvoir judiciaire dans la lutte contre l’impunité », Mouvements, volume 4-5, n°47-48, 2006, p. 82-91.
-
[18]
OXHORN P., Organizing Civil Society : The Popular Sectors and the Struggle for Democracy in Chile, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1995.
-
[19]
CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., op. cit., 2009, p. 744.
-
[20]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008 ; RÍOS TOBAR M., « Seizing a Window of Opportunity : The Election of President Bachelet in Chile », Politics and Gender, volume IV, n°3, p. 509-519 ; RÍOS TOBAR M., « Feminist Politics in Contemporary Chile : From the Democratic Transition to Bachelet », in JAQUETTE J., (dir.), Feminist Agendas and Democracy in Latin America, Durham, Duke University Press, 2009, p. 21-44.
-
[21]
MARQUES-PEREIRA B., « Le Chili : les femmes et la gauche. Une relation amicale ? », Revue internationale de politique comparée, volume 12, n°3, 2005, p. 366.
-
[22]
OEHMICHEN BAZÁN C., « Corps et terreur : nouvelles formes de violences d’État au Mexique », in CORTEN A., (dir.), La violence dans l’imaginaire latino-américain, Paris, Karthala, 2008, p. 91-104.
-
[23]
La loi anti-terroriste promulguée en 1984, au moment où la dictature de Pinochet faisait face au surgissement des grands mouvements de protestations pour la démocratie – les protestas –, fut ensuite renforcée en 1975, puis 7 ans après le retour à la démocratie, en1997, par le gouvernement d’Eduardo Frei (fils). Elle est encore en vigueur au Chili et permet d’incriminer des personnes pour « incitation » à la violence.
-
[24]
DORAN M.-C., Processus démocratiques et légitimité politique. De la stabilité à la justice : le cas du Chili entre 1990 et 2005, Thèse de doctorat, Faculté de Droit et Science politique, Université du Québec à Montréal, 2006, p. 384 et ss.
-
[25]
GARIBAY D., « Diversité des violences contemporaines en Amérique latine », Amérique latine 2008, Mondialisation : le politique, l’économique, le religieux. Études de la Documentation française, volume 5274-75, 2008.
-
[26]
GARIBAY D., op. cit., 2008, p. 37-50. La citation est issue de la page 9 du document électronique, téléchargé le 22 novembre 2009 à partir du site http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00284867/en. Voir également GOIRAND C., « Violence, contrôle de la violence et démocratie », Lusotopie, 2003, p. 163-172.
-
[27]
« El Chile actual según Tómas Moulian. », entretien accordé à Jaime Penela López, mars 2004, disponible à l’adresse http://www.ubv.se/chile/Espanol/es_democracia_moulian.html (consultée le 3 novembre 2005).
-
[28]
MARQUES-PEREIRA B., « Le Chili : une démocratie de qualité pour les femmes ? », Politique et Sociétés, volume 24, n°2-3, 2005, p. 148.
-
[29]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008, p. 90.
-
[30]
SOLERVICENSM., Mouvements sociaux et représentation du politique, Thèse de doctorat en science politique, Montréal : Université du Québec à Montréal, 1996, notamment p. 96 et ss.
-
[31]
« Esta democracia es débil porque propicia la no-participación y porque banaliza la política. […] Se trata de una democracia de baja intensidad», Moulian, 2004, p. 1.
-
[32]
Le conseiller municipal de la Pintana Juan Benavides (PS) nous a cité des cas où les pobladores porteurs de revendications sociales (par exemple un syndicat de chômeurs récemment formé qui demandait la reconnaissance) ont dû faire irruption de force durant les séances du conseil municipal pour tenter de déposer leur liste de revendication. Entretien avec Juan Benavides, Santiago, 16 décembre 2003.
-
[33]
JOIGNANT A., « De la fête nationale aux luttes commémoratives autour du 11 septembre chilien », in ANTONIUS R., LABELLE M. et LEROUX G., (dir.), Le devoir de mémoire et les politiques du pardon, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 289-332.
-
[34]
RIESCO M., « El largo Verano del 2001 : Transición y Democracia? », Encuentro XXI, Otoño del Sur 2001, n°18, p. 6-21.
-
[35]
DORAN M.-C., « De la violence à la justice : conceptions gouvernementales de la violence et impacts des luttes pour la justice au Chili 1998-2005 », in BEAUCAGE P. et HÉBERT M., (dir.), Images et langages de la violence en Amérique latine, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 158.
-
[36]
JELÍN E., « Les mouvements sociaux et le pouvoir judiciaire dans la lutte contre l’impunité », Mouvements, volume 47-48, n°4-5, 2006, p. 89.
-
[37]
KECK M. A. et SIKKINK K., Activist Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, New York, Cornell University Press, 1998.
-
[38]
COLLINS C., « Grounding Global Justice : International Networks and Domestic Human Rights Accountability in Chile and El Salvador », Journal of Latin American Studies, volume 38, n°4, 2006, p. 711.
-
[39]
DE SOUSA SANTOS B and RODRÍGUEZ-GARAVITO C. A., « Law, Politics, and the Subaltern in Counter-Hegemonic Globalization », in DE SOUSA SANTOS B. and RODRÍGUEZ-GARAVITO C. A., (eds.), Law and Globalization from Below. Towards a Cosmopolitan Legality, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2005, p. 2.
-
[40]
WILDE A., « Irruption of Memory : Expressive Politics in Chile’s Transition to Democracy », Journal of Latin American Studies, volume 31, n°2, 1999, p. 476-494.
-
[41]
BRAVO LÓPEZ F., « The Pinochet Case in the Chilean Courts », in DAVIS M., (eds.), The Pinochet Case : Origins, Progress and Implications, London, Institute of Latin American Studies, 2003, p. 111 ; BARAHONA de BRITO A., Human rights and Democratization in Latin America : Uruguay and Chile, New York/Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 218 ; DORAN M.-C., « Les dimensions politiques de la souffrance au Chili : 1998-2007 », in LAUTIER B., PEÑAFIEL R. et TIZZIANI A., (dir.), Penser le Politique : La recréation des espaces et des formes du politique en Amérique Latine, Paris, Karthala, 2009, p. 129-148.
-
[42]
LACLAU E., La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte/M.A.U.S.S., 2000.
-
[43]
VERA GAJARDO A., op. cit., 2008, p. 85 ; DORAN M.-C., op. cit., 2006, p. 240.
-
[44]
Les résultats de l’analyse présentés ici se fondent sur une méthodologie d’analyse de l’interdiscours, analysant l’évolution des rapports entre discours présidentiels et gouvernementaux ainsi que des rapports entre législation, discours et revendications sociales durant la période 1990-2006. L’analyse des marques de l’interdiscours indique la manière dont un discours négocie sa place par rapport à un autre, au sein de formations discursives dont les frontières sont en déplacement. Pour un exposé complet de la méthode, DORAN M.-C., op. cit., 2008, p. 40.
-
[45]
DABÈNE O., Amérique latine, la démocratie dégradée, Bruxelles, Éditions Complexe, 1997.
-
[46]
Il s’agit de la continuation du processus de resignification, de ré-interprétation négative, des aspirations démocratiques portées par les grandes Protestas Nacionales pour la démocratie (1984-1989), à partir de leur caractère de « confrontation », auquel plusieurs secteurs politiques préférèrent la négociation avec le régime autoritaire.
-
[47]
BARAHONA de BRITO A., op. cit., 1997 analyse ce phénomène dans les cas du Chili et de l’Uruguay.
-
[48]
Bruno Revesz définit les mouvements d’occupation de terrain en Amérique latine comme étant des formes « d’illégalités créatrices de participation conflictuelle », in « Structures de représentation au Pérou », COUFFIGNAL G., (dir.), Réinventer la démocratie : le défi latino-américain, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992, p. 95.
-
[49]
Traduction libre d’un extrait du Message présidentiel de Patricio Aylwin, 21 mai 1990, p. 25. « […] que las personas participen organizadamente en el mercado de la vivienda […] ».
-
[50]
Traduction libre, BOENINGER E. (Ministre délégué à la Présidence sous Aylwin), Democracia en Chile : Lecciones para la gobernabilidad, Santiago, Editorial Andres Bello, 1997, p. 1.
-
[51]
JOUINEAU S., « Chili : les élections parlementaires de 1997 », Problèmes d’Amérique latine, n°31, 1998, p. 91. Selon cette auteure : « L’abstention augmente brutalement, sous ses diverses formes : suffrages blancs et nuls, électeurs n’allant pas voter, absence d’inscription des jeunes adultes.[…] ».
-
[52]
TIRONI E. et AGUËRO F., « Chili : quel avenir pour le nouveau paysage politique », Problèmes d’Amérique latine, n°35, 1999, p. 77.
-
[53]
Diverses études le confirment, notamment : FERNÁNDEZ G., Notas sobre la participación política de los jóvenes chilenos, Santiago, Centro de Investigación y Desarrollo de la Educación CIDE, Universidad de Chile, p. 87-108 ainsi que SANDOVAL M., « Quienes son, que piensan y que hacen los pobladores chilenos de fin de siglo », Última década, n°11, Septiembre 1999, p. 51-82.
-
[54]
LEHMANN C., « La Voz de los que no votaron », Serie Puntos de referencia, n°197, Santiago, Centro de Estudios públicos, 1998 ; FLACSO-Chile, Encuesta Nacional 2001, http://65.54.186.250/cgibin/getmsg/EncuestaNacionalFLACSOchile.pdf
-
[55]
LEFRANC S., Politiques du pardon, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
-
[56]
En 1993, puis en 1995, deux projets considérés comme des « Punto final » (projets de point final) chiliens sont présentés, mais non-adoptés. Ils seront suivis de diverses autres initiatives dont la « Table de dialogue » en 1999 et les « Mesures tendant à perfectionner la recherche de vérité et la justice » en 2003. Pour une analyse détaillée de leurs dispositions renforçant l’impunité, voir DORAN, M-C., « Les dimensions politiques de la souffrance au Chili », op. cit.
-
[57]
De 1973 à 1998, plus de 5 000 plaintes avaient été déposées sans succès. CODEPU, Informe de Derechos Humanos 1990-2000, 2002, p. 26. Voir aussi BRAVO LÓPEZ F., op. cit., 2003, p. 112.
-
[58]
BARAHONA DE BRITO A., op. cit., 1997 ; LEFRANC S., op. cit., 2002 ; DORAN M.-C., op. cit., 2008.
-
[59]
PION-BERLIN D., The Ideology of State Terror. Economic Doctrine and Political Repression in Argentina and Peru, Boulder, The Lynne Rienner Publishers Inc, 1989.
-
[60]
BRAVO LÓPEZ F., op. cit., 2003, p. 113.
-
[61]
Je remercie Yvon LeBot d’avoir attiré mon attention sur l’histoire militante de la reconnaissance juridique de cette définition.
-
[62]
Voir à ce sujet GARRETÓN M., « Popular Mobilization and the Military Regime in Chile : the Complexities of the Invisible Transition », in ECKSTEIN S., (ed.), Power and Popular Protest : Latin American Social Movements, Berkeley, University of California Press, 2001, p. 259-277.
-
[63]
En ce sens, les manifestations expressives chiliennes comportent des aspects importants que Tilly inclut dans des « repertoire of contention », soit « des célébrations et autres rassemblements populaires initiés par les populations ». TILLY C., The Politics of Collective Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 45.
-
[64]
Voir notamment PLEYERS G., Forums Sociaux Mondiaux et défis de l’altermondialisme, Bruxelles, Academia-Bruylant, 2007.
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[65]
Cette occupation s’étend sur deux périodes, où le régime militaire imposa un couvre-feu exclusif aux bidonvilles : de 1973 à 1978, puis entre 1984 et 1986.
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[66]
Déclaration du Movimiento Sebastián Acevedo, Revista Análisis, 1987. Nous remercions le Fonds d’archives de CODEPU Corporación de Promoción y Defensa de los Derechos del Pueblo, Santiago. http://codepu.cl/
-
[67]
RIESCO M., op. cit., 2001.
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[68]
Ce dernier est directement lié au travail de l’organisation politique autonomeLa Surda qui œuvra avec succès au sein de secteurs ouvriers non-encore syndicalisés ainsi qu’au sein du mouvement étudiants et dans les secteurs de poblaciones.
-
[69]
Dans « De la violence aux forces occultes (1). Images de la politisation en Amérique latine », Cahiers des imaginaires, volume 3, n°4, octobre 2005, où CORTEN A. et al. analysent desentretiens menés auprès de pobladores chilienson montre que ces derniers sont: « Paupérisés certes, mais dans leur imaginaire politique, ils ne sont pas marginaux. Si on parle souvent d’apartheid et d’exclusion sociale, la population quant à elle ne s’identifie pas avec cet imaginaire. Au contraire, elle tire sa force du pouvoir d’exprimer ensemble sa souffrance. » (p. 4). Voir aussi DORAN M.-C. et PEÑAFIEL R., Discours fusionnel et représentation du politique : les pobladores dans le mouvement des protestas au Chili (1983-1989), Mémoire de maîtrise en Science politique, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1998.
-
[70]
Des enquêtes menées dans 12 poblaciones de Santiago en 1993, 1996, 1997, 2005 ont permis d’établir que les pobladores se réclamaient de manière prédominante de l’idée d’une « souffrance partagée » par laquelle ils se définissaient un statut collectif positif, et ce, contre toute autre identification proposée dans les entretiens (travailleurs, pauvres, pobladores, etc.).
-
[71]
Central unitaria de trabajadores, « Instructivo Paro Nacional 13 de Agosto », El Siglo, 13 de agosto de 2003, Édition électronique, p. 1.
-
[72]
Selon la CUT, 60 % des travailleurs du pays ont suivi la consigne de grève générale, ces derniers ayant suivi massivement la convocation et ayant poursuivi la protesta en bloquant l’accès aux poblaciones la nuit suivante. (« Chile : Exito de la primera huelga nacional en 13 años », El siglo, 14 de agosto de 2003). Par ailleurs, la convocation fut suivie de Punta Arenas (extrême-sud) à Arica (extrême-nord) où le blocage de l’accès aux mines de cuivre (administrées conjointement par le gouvernement et l’armée chilienne selon une disposition constitutionnelle) fut un des axes de lutte principaux.
-
[73]
Ainsi : « Cette convocation exprime le sentiment et l’adhésion des organisations affiliées et non affiliées à la CUT, ainsi que celles de plusieurs secteurs d’emploi et secteurs sociaux qui appuient notre convocation. La grève nationale est contre le modèle d’injustice et contre ceux qui le soutiennent, le promeuvent et le défendent. […] Elle est pour la justice et pour la démocratie véritable », Traduction libre, Central Unitaria de Trabajadores, « Instructivo Paro Nacional 13 de agosto », El Siglo, 13 de agosto, edición electrónica, p. 1.
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[74]
Voir note 71 à ce sujet.
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[75]
Voir actuellement le site web : http://lasurda.resist.ca/index.php/category/chile
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[76]
Comisión FUNA, http://www.geocities.com/jrme_chile/declaracion_de_la_funa.htm, consulté en juin 2008. Plusieurs actions de la FUNA se trouvent aussi sur U-Tube : voir notamment http://www.youtube.com/watch?v=8DEmTGzQc3A qui montre toutes les dimensions des actions de la FUNA et ses répercussions sociales. Par exemple, dans ce cas présenté sur U-Tube autour de la dénonciation des pratiques d’un dentiste ayant collaboré avec la torture durant la dictature et toujours employé du système public de santé à Santiago, la Funa rassemble aussi les étudiants de médecine dentaire et plusieurs sections du syndicat des employés de la santé pour une action qui commence par des chants, puis l’expression de la douleur ressentie en faisant mémoire de tous les disparus, dont une longue liste est nommée et répétée par la foule rassemblée. Cela est suivi d’un réquisitoire présenté pour dénoncer le dentiste incriminé, interpellé comme « torturador et asesino » (bourreau, coupable de torture et d’assassinat). Consulté le 13 décembre 2009.
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[77]
L’expression « funar » est notamment rapportée dans le quotidien La Tercera, 18 mai 2004, édition électronique.
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[78]
Pour une analyse détaillée de ce processus voir DORAN M.-C., op. cit., 2006.
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[79]
En espagnol, cet acronyme rappelle aussi le verbe andar, qui signifie cheminer, aller de l’avant.
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[80]
« Gobierno reacciona ante nueva protesta de deudores habitacionales », La Nación, Santiago de Chile, Jueves 28 de julio 2005, Édition électronique, p. 1.
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[81]
La plus imposante de ces prises de terrain a lieu en 1998 à Peñalolen (Santiago) où s’installe le campamento « La voz de los sin casa » qui rassemble 10 000 personnes.
-
[82]
« Más de cinquenta detenidos en nuevas protestas de ANDHA », Diario La Nación, 21 octobre 2009, édition électronique consultée en octobre et novembre 2009. http://www.lanacion.cl/andha-nuevamente-protesta-en-el-rio-mapocho/noticias/2009-10-21/173627.html
-
[83]
SAMANIEGO A., « Identidad, territorio y existencia de la nación mapuche ¿Derechos políticos autonómicos? », Revista Atenea, Universidad de Concepción, 2003, p. 131-145.
-
[84]
CARRUTHERS D. et RODRÍGUEZ P., op. cit., 2009.
-
[85]
Depuis 2006, le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme a interpellé le Chili au sujet de différentes plaintes et allégations de mauvais traitements, violations des lois chiliennes et violations des engagements internationaux du Chili. Deux missions spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont aussi été envoyées et encadrent les interpellations faites au Chili par l’ONU, concernant les Mapuches mais aussi la persistance de la torture et de la loi d’amnistie. Voir à ce sujet : Nations Unies GO81081, Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, Septième session, Point 3 de l’ordre du jour, A/HRC/7/NGO/22, 21 février 2008.
-
[86]
Hillary Hiner documente ces lacunes dans « Voces soterradas, violencias ignoradas : Discurso, violencia política y género en los Informes Rettig y Valech », Latin American Research Review, volume 44, n°3, 2009.
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[87]
Comme toutes les commissions gouvernementales précédentes, la commission Valech interdisait de publier les noms des auteurs de torture ou de les traduire en justice.
-
[88]
Propos rapportés par ARANCIBIA N., « Aprobar la ley de femicidio es una potente señal contra los agresores », Diario La Nación, Santiago, Viernes 19 de Septiembre 2008, www.lanacion.cl.
-
[89]
ARANCIBIA N., op. cit., 2008. Pour une analyse détaillée des réalisations du gouvernement Bachelet en matière de droits des femmes voir DORAN, M.-C., « Femmes et politique au Chili : dynamiques et impacts de l’accession au pouvoir de Michelle Bachelet», Recherches féministes, volume 23, n°1, 2010, p. 9-27.
-
[90]
Traduction libre. Président LAGOS R., Mensaje Presidencial, 2005, p. 22.
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[91]
TOURAINE A., La parole et le sang, Paris, Éditions Odile Jacob, 1988.
-
[92]
http://www.archivochile.com/Chile_actual/elecciones_2009_2/01_doc_gen/elec_seg_vuelta%200001.pdf, consulté le 1er juin 2010. Marcos Enríquez Ominami cumule aussi des filiations politiques très fortes dans l’imaginaire politique de la gauche chilienne, puisqu’il est à la fois le fils naturel de Miguel Enríquez, dirigeant historique du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), assassiné au début de la dictature, ainsi que fils adoptif d’un des sénateurs les plus importants du Parti socialiste, Carlos Ominami, qui a renoncé à son siège en démissionnant du PS à l’automne 2009 pour appuyer la campagne présidentielle de son fils.
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[93]
MARQUES-PEREIRA B., op. cit., 2005, p. 147.