Notes
-
[1]
Cette impératif de l’expérience, caractéristique de l’individu contemporain, est bien décrit par Peter Sloterdijk (SLOTERDIJK P., Essai d’intoxication volontaire, Paris, Hachette, 2001).
-
[2]
HERVIEU-LÉGER D., Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999.
-
[3]
DAVIE G., Religion in Modern Europe. A Memory Mutates, Oxford, Oxford University Press, 2000.
-
[4]
Groupe de recherche faisant partie du Cherpa (Équipe d’accueil transdisciplinaire de l’IEP d’Aix-en-Provence).
-
[5]
HEELAS P., The New Age Movement. Celebrating the Self and the Sacralization of Modernity, Oxford et Cambridge, Blackwell, 1996.
-
[6]
LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé. Une perspective sociologique sur la globalisation du religieux, Paris, Ellipses, 2004.
-
[7]
Même si les chercheurs n’accordent pas la place essentielle que nous accordons à cette tension entre individualisme et globalisme, et n’en tire donc pas les conséquences que nous en tirons, leurs descriptions des groupes new-age ne peuvent sérieusement l’évacuer : DE BACKER B., « New Age : entre monade mystique et neurone planétaire », in La Revue Nouvelle, novembre 1996, p. 63-72.
-
[8]
WEIL P., À quoi rêvent les années 1990. Les nouveaux imaginaires : Consommation et communication, Paris, 1993.
-
[9]
Ibid.
- [10]
-
[11]
Nous avons analysé ces quatre fonctions du pèlerinage lors d’une intervention récente : le deux autres fonctions, non spécifiquement religieuses, sont les fonctions de divertissement et de communalisation (« Analyse comparé des figures du touriste et du pèlerin », in Les pèlerinages : parcours historiques, parcours croyants, parcours géographiques, CHERPA/Observatoire du religieux, les 17, 18, 19 septembre 2008).
-
[12]
Cf. Terre Entière : Culture, voyages, passion. Catalogues : Croisières et voyages culturels, Automne-hivers 2008/2009 ; Pèlerinages et itinéraires spirituels, Automne-hivers 2008/2009 ; Croisière de l’Année Saint-Paul, 8-13 mai 2008 ; La Libye retrouvée, 20 avril-2 mai 2009.
-
[13]
Fondé en 1979, Canyon Ranch est le plus ancien réseau de clubs hôtels de « retour à la nature » visant à « transformer le mode de vie » de ses clients : www. canyonranch. com.
-
[14]
Ibid.
- [15]
-
[16]
Ibid.
-
[17]
On se souvient de la fameuse image sur laquelle figure les membres du célèbre groupe en compagnie d’un gourou souriant aux cheveux longs.
- [18]
-
[19]
Master of buisness and Administration ; Master of Art (autrement dit en sciences humaines, en littérature ou en arts) ; Master of Science ; Philosophy Doctorate (autrement dit Doctorat).
-
[20]
Cf. site internet op. cit.
-
[21]
Autrement appelé le « post-Nouvel-Age » : ROCCHI V., « Des nouvelles formes du religieux ? Entre quête de bien-être et logique protestataire : le cas des groupes post-Nouvel-Age en France », in Social Compass, n°50, 2003, p. 175-189.
-
[22]
LIOGIER R., « La nouvelle culture hospitalière : enjeux pratiques des représentations sociales de la santé », in Revue Fondamentale des questions hospitalières, juin 2005, n°11.
-
[23]
GIDDENS A., Modernity and Self-Identity. Self and Society in Late Modern Ages, Cambridge, Cambridge Polity Press, 1991.
-
[24]
Cf. Colloque La Corporate Governance comme nouvelle religion d’entreprise : Observatoire du religieux/IEP d’Aix-en-Provence, 27-28 octobre 2006.
-
[25]
De nombreux forum se présentant comme des lieux de débats, des forums critiques sur la crise financière, et qui font intervenir des économistes, des scientifiques, des politiques (tel que http:// www. obsfin. ch/ ) constituent en réalité des lieux d’amplification de l’orthodoxie dominante individuo-globaliste.
-
[26]
Même si la notion d’énergie succède à la mystique du magnétisme déjà présente au XIXe siècle. Et même le bouddhisme et l’hindouisme occidentalisé sont antérieurs au XXe siècle, à travers en particulier le mouvement théosophique. LARDINOIS R., L’invention de l’Inde. Entre ésotérisme et science, Paris, CNRS Éditions, 2007 ; LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004.
-
[27]
LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004 ; LIOGIER R., « La signification sociale de la critique bouddhique de la modernité », in BROWN J., LIOGIER R., (dir.), Bouddhisme et critique de la Modernité, Dalhousie French Studies, vol. 46, Printemps 1999.
-
[28]
Y compris au sein même de la culture hospitalière. LIOGIE R., « La nouvelle culture hospitalière : enjeux pratiques des représentations sociales de la santé », op. cit., 2005.
-
[29]
GUASH G.-P., « Énergie… vous avez dit énergie ? », in BOUCHAYER F., (dir.), Autres médecines, autres mœurs, Paris, Autrement, 1993, p. 181-189.
-
[30]
Insertion, orientation de son habitation dans « l’environnement énergétique », les pierres, le paysage, les eaux souterraines.
-
[31]
La doctrine du mouvement mêle des considérations scientifiques liées à la photosynthèse à un discours sur la redécouverte d’authentiques pratiques traditionnelles indiennes au premier chef, mais qui seraient aussi Inca (ce serait le sens « nutritif » secret du culte du soleil), égyptiennes ou autres (cf. www. sungazing. fr).
-
[32]
HEELAS P., « The Spiritual Revolution : From ‘Religion’ to ‘Spirituality’ », in WOODHEAD L., (ed.), Religions in the Modern World, London/New-York, Routledge, 2002, p. 357-377.
- [33]
-
[34]
HEANNI P., L’islam de marché, Paris, 2005.
-
[35]
Ibid.
-
[36]
LIOGIER R., « Les musulmans bouddhéisés des centres-villes : les nouveaux entrants de la culture du bien-être », in LIOGIER R., Une laïcité légitime. La France et ses religions d’État, Paris, Entrelacs, 2006, p. 131-138.
-
[37]
Ce qui donne en français : « La santé de l’ensemble du corps dépend de la santé de chacune de ses parties, de même la santé de l’ensemble de l’humanité dépend de la santé de chaque nation » (www. sufimovement. org).
-
[38]
LIOGIER R., ETIENNE B., Être bouddhisme en France aujourd’hui, Paris, Hachette, 1997, Nouvelle édition, Poche/Pluriel, 2004.
-
[39]
Exemple de certains prêtres chrétiens qui entendent redécouvrir leur propre tradition à travers la pratique du zen (LIOGIER R., ETIENNE B., op. cit., 1997).
-
[40]
Exemple du mouvement Jubu : contraction en anglaise de Jewish Buddhist (LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004, p. 382-384).
-
[41]
« Inquisition », bien entendu, au sens de la célèbre campagne menée par le catholicisme romain au Moyen Age contre les hérésies, en particulier contre le mouvement Cathare.
-
[42]
Ces pratiques visent à atteindre un salut transcendant, autrement dit, à atteindre une sorte d’Éveil, de libération ultime. Les trois éléments qui permettent, d’après nous, de définir la religion sont ici réunis : une conception globale du monde, qui inclut la possibilité du salut, salut qui « peut être atteint » à travers des pratiques individuelles et collectives proposées par des organisations. Critères parfaitement et objectivement remplies par les mouvements New-Age en dépit des discours spiritualistes de plus en plus généralisés.
-
[43]
RAPHAËL L., « La religion déniée. La conversion au bouddhisme comme mode religieux d’assimilation de la culture montante des sociétés « post-industrielles » », in Diasporas. Histoire et Sociétés, CNRS/Université de Toulouse-Le Mirail, Hivers 2003, n°3.
-
[44]
Cf. BOUCHAYER F., (dir.), op. cit., 1993.
-
[45]
Par exemple à travers les arts martiaux se situant à l’intersection du sport et de la voie spirituelle. Se développent de plus en plus de stages sportifs (randonnées, kayak, escalade) avec une pratique complémentaire de sophrologie, de taïchichuan ou de yoga.
-
[46]
BOUCHAYER F., op. cit., 1993.
-
[47]
Cette recherche de soi passant par le voyage au lointain se retrouve dans la rhétorique des packages touristiques actuels, mais cette tendance va parfois plus loin comme un voyage organisé proposé du 17 au 27 mars 2009, avec visite de la vallée du Gange, « trekking au Népal » permettant de « découvrir la nature », « des lieux sacrés », permettant en outre de rencontrer des moines dont certaines célébrités du « monde spirituel » comme en témoigne l’annonce : « Exceptionnel. Rencontre avec Mathieu Richard […] dans son monastère à Katmandou » (package proposé dans Le Monde des Religions, septembre-octobre 2008, p. 4).
-
[48]
FATH S., Militants de la Bible aux États-Unis : évangéliques et fondamentalistes du Sud, Paris, Autrement, 2004.
-
[49]
Les groupes fondamentalistes ne sauraient échapper à l’orthodoxie individuo-globaliste, même s’ils réagissent contre elle.
-
[50]
Cf. LIOGIER R., À la rencontre du dalaï-lama. Mythe, vie et pensée d’un contemporain insolite, Paris, Flammarion, 2008, ainsi quelques interventions dans la presse sur cette position complexe du chef tibétain : « Les Chinois aimeraient tellement que le dalaï-lama réclament l’indépendance », Libération, 19/03/2008 ; « Le leader spirituel du Tibet : Une chance pour la Chine », Libération, 22/04/2008 ; « Le dalaï-lama joue-t-il sa dernière carte ? », Le Figaro, 24/03/2008 ; http:// www. marianne2. fr/ Raphael-Liogier-le-dalai-lama-concilie-individualisme-et-globalisme_a90426. html.
-
[51]
Il ne s’agit pas ici, bien sûr, de définir l’opinion publique internationale, cet objet évanescent qui n’est pas l’agglomération des opinions des individus, mais le résultat complexe, variable, sans cesse recomposé, des rapports de forces médiatiques. Les médias étant des sortes d’opérateurs d’opinion en concurrence (regroupant toutes les catégories d’intermédiaires symboliques et non seulement les chaînes de télévision, les journaux, etc.), participant à l’élaboration des imaginaires sociaux.
-
[52]
WILLIAMS R.H., DEMERATH N.J., « Cultural Power : How Underdog Religious and Nonreligious Movements Triumph Against Structural Offs », in DEMERATH N.J., HALL P.D., SCHMITT T., WILLIAMS R.H., (dir.), Sacred Companies : Organisational Aspects of Religion and Religious Aspects of Organizations, New-York, Oxford University Press, 1998.
-
[53]
C’est aussi le cas de la domination matérielle israélienne incontestable face à la légère domination symbolique palestinienne dans l’opinion publique internationale.
-
[54]
Cf. LIOGIER R., « 1°- La construction bouddhiste d’une orthorationalité », in Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004, p. 536-541.
-
[55]
On pourra consulter à cet égard les sites internet suivant qui donne une bonne évaluation de ce processus d’individuo-globalisation de l’islam néo-soufi : www. sufimovement. org ; www. sufiway. org ; www. sufifoundation. org.
-
[56]
C’est pourquoi, ainsi que le souligne Antonio Gramsci, les institutions, y compris l’État, ne peuvent subsister sans le soutien des intellectuels organiques qui sont, pour ainsi dire, les opérateurs idéologiques qui donnent de la cohérence à l’organisation, justifient son existence, et justifient l’existence des hiérarchies qui lui sont inhérentes. Les théologiens catholiques jouèrent pendant des siècles ce rôle d’intellectuels organiques dans l’Europe chrétienne.
-
[57]
MARIE J.-B., « Les ONG confessionnelles aux Nations unies et la défense des droits de l’homme », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., Les ONG confessionnelles. Religions et action internationale, Paris, L’Harmattan, 2007 ; MARIE J.-B., La commission des droits de l’homme de l’ONU, Paris, Pédone, 1975.
-
[58]
L’article 71 de la Charte des Nations unies, révisé par la résolution 1996/31 du 25 juillet 1996, régit formellement les relations entre ONG et l’ONU. C’est surtout dans le domaine des droits de l’homme que leur participation est effective.
-
[59]
« Sins of the Secular Missionaries », in The Economist, 29 janvier 200, p. 25-27 (cité par BERGER J., « Les organisations non gouvernementales religieuses. Quelques pistes de recherche », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op. cit., 2007, p. 23).
-
[60]
Catholic Charities pour être privé et indépendant reçoit, néanmoins, les deux tiers de ses fonds de l’État américain.
-
[61]
LIOGIER R., op. cit., 2004, p. 280.
-
[62]
Cf. le rapport Religion and Public Policy at the UN, Chicago, Park Ridge Center, 2002.
-
[63]
BERGER J., op. cit., 2007, p. 24 ; et pour plus de détails : BERGER J., « Religious Non-Governmental Organizations : An Exploratory Analysis », in Voluntas, International Journal of Voluntary and Nonprofit Organizations, vol. 14, n°1, 2003.
-
[64]
L’Africa Muslims Agency, qui se limite à l’Afrique, intervient dans 34 pays de ce continent et ne dispose que d’un seul centre névralgique administratif, ce qui suppose une extrême centralisation des stratégies.
-
[65]
Ce que Sébastien Fath appelle un « millénarisme optimiste » : « Les ONG évangéliques américaines ou les ruses de la Providence », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op.cit, p. 260.
-
[66]
LIOGIER R., « L’ONG, agent institutionnel optimal du champ religieux individuo-globalisé », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op. cit., 2007, p. 263-276.
-
[67]
LIOGIER R., op. cit., 2004, p. 469-523.
-
[68]
KHAN I., « The Mullahs versus the NGOs », in Newsweek, Asia, n°44, 2 octobre 2000.
-
[69]
BENTHALL J., Returning to Religion. Why a Secular Age is Haunted by Faith, London, Tauris, 2008, p. 87-107.
-
[70]
On consultera à cet égard le gros ouvrage dirigé par Laurent Fouchard, André Mary et René Otayek : FOUCHARD L., MARY A. et OTAYEK R., Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, IFRA-Kartala, 2005.
-
[71]
OTAYEK R., « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires, in La revue internationale et stratégique, n°52, hiver 2003, p. 51-65.
-
[72]
TONDA J., La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Kartala, 2002.
-
[73]
BASTIAN J.-P., (dir.), Religions, valeurs et développement dans les Amériques, Paris, L’Harmattan, 2007.
-
[74]
BENTHALL J., op. cit., p. 87.
-
[75]
Ibid., p. 91-92.
-
[76]
Nous avons utilisé, tout au long de cet article, le concept d’« orthodoxie » au sens de Jean-Pierre Deconchi comme un champ de pouvoir socio-cognitif : Orthodoxie religieuse et sciences humaines, La Hague, Pouton Publishers, 1980.
-
[77]
L’analyse de ces jeux de forces est au cœur d’une recherche en cours de publication : LIOGIER R. (dir.), Le monde pour paroisse (titre provisoire), CNRS Éditions, à paraître en 2009.
1La dissémination des croyances est une des hypothèses explicatives les plus communément admises pour rendre compte de l’évolution du religieux contemporain, ainsi que nous l’avons évoqué dans l’introduction de ce numéro. Cette dissémination des croyances va de paire avec une volatilité croissante des adhésions, les nouveaux fidèles n’étant plus à même de stabiliser leur « fidélité » à une institution particulière. L’image du supermarché des croyances est ainsi convoquée pour décrire cette situation de libéralisme anarchique dans laquelle l’individu est livré à l’éclatement de ses désirs narcissiques. La figure du croyant contemporain s’apparente ainsi à celle d’une sorte de touriste en quête de paysages étranges, souvent exotiques, de visiteur en quête d’expériences extraordinaires [1], de fidèle perpétuellement infidèle tant il est toujours en mouvement, en pèlerinage d’une religion à l’autre, d’une secte à l’autre. Ce croyant contemporain est en perpétuelle métanoïa, en recherche d’expérience transformatrice, en conversion. D’où la figure ultramoderne du pèlerin et du converti décrite par Danièle Hervieu-Léger [2] et la conjonction entre des croyances, toujours vaporeusement présentes et des appartenances instables, soit inexistantes soit fragiles : « believing without belonging » [3]. C’est de cette volatilité que proviendrait la multiplication des groupes religieux, des plus minuscules aux plus tentaculaires, que l’on appelle des sectes, qui peuvent naître aujourd’hui et disparaître demain comme une mode soudainement apparue et aussi soudainement disparue.
2Si l’on suit cette hypothèse, il n’existerait plus de régulations sociales proprement religieuses, plus de règles du jeu implicites et explicites proprement religieuses, en d’autres termes il n’existerait plus de champ religieux. Les recherches menées à l’Observatoire du religieux [4] ces dix dernières années semblent pourtant démontrer le contraire : l’existence d’un champ religieux cohérent, avec ses régulations propres, en particulier avec sa culture dominante propre.
3Il ne s’agit pas de nier le phénomène d’atomisation des adhésions confessionnelles, mais de montrer qu’elles révèlent moins une dissémination des croyances que de multiples manières de croire la même chose. Ces manières de croire se rapportant souvent, en effet, à la même croyance centrale, indépendamment de la tradition à laquelle se réfère l’adhérent. Certes il y a une multiplication des groupes religieux et quasi-religieux, mais à y regarder de plus près, derrière la diversité des labels, des appellations, bref des emballages, on retrouve une structure idéologique homothétique que nous avons choisi d’appeler l’individuo-globalisme. Cette structure dogmatique, de plus en plus englobante dans la culture post-industrielle, s’est d’abord diffusée à travers les Nouveaux mouvements religieux, particulièrement dans les mouvance new-age [5] et néo-extrême-orientales, et singulièrement dans le bouddhisme occidentalisé [6].
Une transformation du croire au-delà des Nouveaux mouvements religieux
4Les marques essentielles d’une transformation générale des croyances et des modes de vie, non limitée aux fidèles ou proches des Nouveaux mouvements religieux, non même limitée aux adeptes ou simples sympathisants du New-Age, mais fondée sur une profonde mutation du croire dans les sociétés industrielles avancées, se manifestent par exemple, dans la publicité depuis le début des années 1990, par les images de bien-être « naturel », le discours du développement personnel, psychique, intérieur, bref individuel d’un côté, et de l’autre, l’importance accordé au développement durable, humain, cosmique, bref global [7]. Pour évoquer le bonheur en général, les bienfaits particulier d’un jus de fruit, ou « l’authenticité » d’une station de ski, on affichera la photo d’un individu assis en tailleur, les indexes se touchant, arborant un sourire de contentement, avec en arrière-fond, un paysage grandiose : paix intérieure et extérieure, la synthèse de l’individuel et du global. Certains spécialistes de marketing, à l’instar de Pascale Weil [8], ont repéré ce virage culturel, dans l’avènement de « l’individu holistique », évoquant le passage, entre les années 1980 et 1990, de l’imaginaire d’alliance à celui de la fusion qui relève de plus en plus, chez le consommateur lui-même, d’une posture croyante. Cette posture s’est actualisée dans les activités les plus diverses, le sport, le tourisme, le voyage, les loisirs, le travail, la politique, la consommation, l’alimentation, l’éducation [9].
5Les salons relatifs au bien-être constituent, eux aussi, un bon indicateur de cette transformation culturelle en matière de santé, d’alimentation, de tourisme, et d’éducation. Dans les sociétés industrielles avancées, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, des salons relatifs au bien-être se sont en effet multipliés à partir des années 1990, donnant une définition extensive, « spirituelle », du bien-être ; salons dont l’objet est de promouvoir les artefacts du bonheur, allant du produit consistant en un stage de bien-être à des livres sensés guider l’existence, se présentant comme des modes d’emploi de développement personnel/global (autrement dit développement intérieur, spirituel, ainsi qu’extérieur, professionnel, économique). On trouvera aussi des outils multiples, des crèmes à base de plantes servant à masser, à retrouver des sensations « originelles », en passant par la gamme des voyages dans le désert tunisien ou dans les grands lacs de l’Afrique de l’Est, à la « redécouverte de soi », pour « éprouver ses limites », au contact « authentique » avec la nature, pour « renouer avec soi-même et le monde » dans le même package. Ces salons ne sont pas d’éphémères kermesses n’intéressant que quelques marginaux, mais sont devenus, au cours du temps, aussi massifs que les salons classiques de l’agriculture ou du livre. Le très officiel Salon du Bien-être qui s’est tenu à Paris en janvier 2006 à la Porte de Versailles [10] a ainsi drainé un flux de près de 40 000 visiteurs pour 270 exposants. Il était possible de trouver, d’un stand à l’autre, des élixirs à base de gelée royale permettant de « transformer la colère en énergie positive », des démonstrations de taïchichuan, de gi-gong, de yoga, et des stands proposant du matériel destiné à optimiser la pratique de ces trois disciplines.
6L’orthodoxie individuo-globale se diffuse aussi, en dehors des nouveaux mouvements religieux, dans le champ religieux en général, dans le judaïsme par exemple par des groupes comme kabbalah ou dans l’islam par le néo-soufisme. Mais surtout, cette orthodoxie croyante produit, pour ainsi dire, un effet de désécularisation sur des activités « normalement » séculières. L’évolution du tourisme en témoigne : tourisme humanitaire, d’aventure, de santé, qui, dans tous les cas, proposent de « partir au loin » pour « revenir vers soi », alors qu’en sens inverse le yoga, la méditation, la sophrologie (etc.) propose de « partir en soi » en « quête du lointain ». Même le tourisme le plus séculier s’inscrira dans ce nouvel imaginaire du dépassement, de la transcendance des limites, de la redécouverte de son être « profond » en contact avec le lointain, de la découverte de la terre, de la recherche intérieure par le retour à la nature, de la redécouverte de soi par l’altérité de l’Autre. Le voyage touristique, depuis les années 1990, se désécularise au point de ressembler sur nombres de points à une nouvelle forme de pèlerinage avec ses quatre fonctions majeures, dont deux sont religieuses : les fonctions sotériologique (recherche de salut, d’une sortie du monde quotidien) et initiatique (recherche d’une transformation à travers des épreuves, processus d’apprentissage) [11]. Certaines agences de voyages se consacreront même entièrement et officiellement à la quête spirituelle, en partenariat avec des groupes religieux, voire avec des religions traditionnelles telle que la très chrétienne association Terre Entière qui propose aux touristes de refaire « le chemin de Damas », de faire la « croisière de l’année Saint Paul » avec des guides religieux expérimentés [12].
7La synthèse de cette désécularisation du sport, de la santé, des loisirs, du tourisme, s’incarne parfaitement dans le réseau international des clubs hôtels Canyon Ranch, qui permettent de « retourner » à la nature, de vivre une vie « parfaitement pure et seine », de bénéficier de la technologie de santé la plus avancée et en même temps des techniques les plus traditionnelles telles que le yoga et le taïchichuan [13]. Canyon Ranch propose des cures de ressourcement qui conduisent à changer de vie, présentant les séjours comme des expériences religieuses amenant à « vivre autrement », en harmonie avec son corps et l’environnement. Voici la première phrase inscrite sur le site qui trône au milieu d’une série de photos de corps épanouies pourvus de visages « souriants » et de perspectives naturelles majestueuses (montagnes, ciel, grands espaces) : « More than just a fabulous vacation, Canyon Ranch is an experience. This is the place where it all comes together and, in one amazing moment, you realize how great you can feel when you’re living healthy » [14].
8Les discours qui caractérisaient les NMR new-age des années 1970-1980 se sont aujourd’hui socialisés, autrement dit, généralisés. On observe la même tendance dans l’éducation, par exemple avec l’Université bouddhiste de Boulder dans le Colorado, la Naropa University [15], spécialisée dans le développement durable, l’écologie, les relations entre « sciences et traditions » qui offre des Masters reconnus dans le monde entier, et d’abord par les autorités académiques américaines, et dont le slogan essentiel est : « Transform yourself, Transform the world » [16].
9Cette mutation culturelle ne se limite pas, dans l’éducation même, à des thématiques écologiques, de développement durable, d’épanouissement personnel, de psychologie, mais s’étend à l’ensemble des champs de connaissances, y compris les plus pratiques comme le commerce, le marketing, la finance, au point que des mouvements religieux néo-hindouistes puissent constituer des écoles de commerce d’un nouveau type. Le célèbre mouvement de La Méditation Transcendentale d’origine Indienne et fondée par Maharishi, qui fut le gourou des Beatles dans les années 1970 [17], gère aujourd’hui un réseau universitaire dont le fleuron est la superbe Maharishi University of Management, implantée dans l’Iowa aux États-Unis. Cette université de haut niveau et de bonne réputation, attirant des milliers d’étudiants du monde entier, propose une Consciousness-Based education, en particulier pour préparer aux métiers du commerce, du marketing, de la finance [18]. La méditation transcendantale, à côté des matières classiques, sera partie intégrante du cursus, permettant d’être « plus efficace parce que plus créatif ». Et bien sûr, ces étudiants de plus de soixante nationalités différentes, qu’ils préparent un MBA, un MA, un MS ou un Phd [19], seront encouragés « à vivre et apprendre ensemble » comme faisant partie d’une « famille mondiale » [20]. Nous ne sommes plus, comme dans le cas de l’université bouddhique de Boulder, certes un établissement académique prestigieux mais qui reste orienté vers des thématiques a priori plus new-age, tel que l’environnement, l’écologie, l’art, la « santé globale ». L’université Maharishi est spécialisée sur le management, sur l’économie, le commerce, et illustre très bien le passage progressif du New-Age au Next Age [21]. Un groupe néo-hindouiste, à l’origine libertarien, attirant des jeunes hippies occidentaux aux cheveux longs et sentant le patchouli, s’adresse aujourd’hui aux futurs managers qui, grâce à une technologie spirituelle à la fois « authentiquement » traditionnelle et « rigoureusement » scientifique, seront « plus efficace », « plus heureux à l’intérieur » et « plus en harmonie avec l’environnement global ».
10Cette évolution n’est, en outre, pas seulement thématique. Elle ne traduit pas seulement une légère évolution idéologique, mais la socialisation ou normalisation de la culture new-age qui était, des années 1950 à 1990, cantonnée à des communautés minoritaires. Ces communautés ne sont plus aujourd’hui détachées de la société mais participent activement, par exemple à travers des institutions universitaires normalisées comme jadis les universités catholiques en Europe, à la production et à la diffusion d’une culture dominante qui infiltre l’ensemble des idées et des activités sociales : sanitaires [22], académiques, touristiques. Ces groupes qui n’apparaissaient jusqu’au début 1980 que comme des îlots communautaires très minoritaires, étaient en réalité comparables aux pointes émergées d’un gigantesque iceberg culturel immergé, qui a aujourd’hui fait surface sous la forme de l’individuo-globalisme. Anthony Giddens a d’ailleurs montré que le déploiement social de la modernité s’effectuait sur deux axes : l’axe extensif de la mondialisation et l’axe intensif de la « construction réflexive de soi ». Ses analyses confortent notre hypothèse que la beat generation, le new-age, mai 68, le bouddhisme occidentalisé, et aujourd’hui la normalisation de ce que nous appelons l’individuo-globalisme ne constituent pas des phénomènes isolés mais les expressions multiples et connectées d’un processus général de modernisation sociale [23].
11C’est pourquoi la dogmatique new-age, bien sûr légèrement reformatée afin de s’adapter à sa nouvelle extension, pénètre aussi aujourd’hui la culture entreprenariale ou gouvernance d’entreprise (corporate governance) avec son vocabulaire ostensiblement qualitatif, se déclinant en déclarations éthiques sur l’épanouissement individuel, en charte de la diversité dans l’entreprise, empruntant au lexique du développement personnel et du développement durable (autrement dit global). La dogmatique individuo-globaliste impose ainsi ses normes pour l’évaluation des entreprises [24]. La crise financière qui a éclaté fin 2008 n’a fait qu’accroître l’importance de ce critère, à travers des forums internet de remise en cause de la finance actuelle ressemblant souvent à des églises virtuelles où sont proférées des imprécations religieuses, des appels à une « purification » du système économique fondée sur l’orthodoxie individuo-globaliste [25].
12Comme toute dogmatique, l’individuo-globalisme a besoin d’un point de focalisation sur lequel l’imaginaire croyant peut se projeter et se fixer. Le culte de l’énergie est la focale essentielle de l’imaginaire individuo-global. Cette focale croyante émerge dans les années 1950 [26] dans la rhétorique de la beat generation, déjà influencée par le bouddhisme occidentalisé [27], puis se répand progressivement dans les nouveaux mouvements religieux dans les années 1960 et 1970, à travers les discours sur le sentiment océanique, à travers la généralisation du yoga et d’autres pratique néo-orientales, et finit par toucher l’ensemble du champ religieux, mais surtout à se diffuser lentement dans la société globale, par la santé [28], l’alimentation et même le sport [29]. L’individu est à la fois source d’énergie et traversé par une énergie qui le dépasse : liaison mystique entre l’individuel et le global, le soi le plus intime et le monde le plus cosmique. À travers elle tous les bienfaits sont possibles : elle recharge, libère, nous met en phase avec le monde ; secrètement corporelle sous un certain rapport, elle manifeste la puissance éthérée de l’esprit, elle est souffle spirituel sous un autre rapport.
13Elle est par conséquent palpable, matérielle, matière première, substantielle, fondamentale, relayée par les images scientifiques de l’univers subatomique et les prodiges de la physique nucléaire contemporaine, mais elle est aussi fluide, impalpable, immatérielle, métaphysique, circulant en nous et hors de nous, lovée dans des chakras, partout invisible et omniprésente, bref à fois humaine et inhumaine, personnelle et impersonnelle. Elle représente les forces tellurique et cosmique extensives, mais aussi les forces intensive du mental, de la volonté, de l’esprit. L’énergie est mystère de l’intériorité et dans le même temps dépassement des limites corporelles, y compris dépassement de la mortalité. L’imaginaire de la fusion nucléaire, des technologies actuelles qui semble toucher aux confins de la matière et approcher une source spirituelle illimitée croise celui, plus quotidien, de l’air pur des montagne qui « recharge nos batteries », des vitamines qui donnent de l’énergie, des fruits bio, de la puissance des « éléments de la nature », que l’on retrouve par exemple dans des pratiques de plus en plus normalisées comme la kinésiologie, le rebirth, le qi gong, la macrobiotique, la naturophatie, la sophrologie, le Feng Shui [30], ou des mouvements plus récents comme le Sungazing qui consiste à apprendre à regarder le soleil pour se nourrir directement de son énergie sans passer par l’intermédiaire des dérivées alimentaires habituels végétaux ou animaux [31].
14Le discours sur « l’énergie », ou parfois « les énergies », se retrouve au cœur de toutes les constructions religieuses et quasi-religieuses contemporaines, et au premier chef au cœur du développement des thérapies physico-psychiques les plus diverses. Cette nouvelle religiosité, qui possède non seulement sa conception du monde, ses pratiques, sa morale, mais aussi sa divinité propre (l’Énergie) comme nous venons de le voir, se diffuse cependant encore à couvert, sous un vocable souvent non-religieux ou du moins « spiritualisé », en tout cas moins surchargé de significations historiquement dépréciatives tel que peut l’être le mot même de « religion ».
La spiritualité comme nouvelle religion
15Ce que l’on appelle prosaïquement aujourd’hui la spiritualité englobe cet ensemble de pratiques sous-tendues par la dogmatique individuo-globaliste, Les Nouveaux mouvements religieux, parce qu’ils sont nouveaux justement, s’inscrivent directement et clairement dans cette dogmatique orthorationnelle (rejet d’une mauvaise rationalité, froide et impersonnelle, au profit du dogme d’une rationalité juste, écologique, vraie, qui redécouvre les « traditions authentiques »), qui se présente plus comme spirituelle que religieuse. Ce qui ne veut pas dire que les grandes religions d’Occident en particulier le judaïsme, le catholicisme, le protestantisme et l’islam échappent à ce spiritual turn ou même à cette révolution spirituelle, pour reprendre l’expression de Paul Heelas [32]. Les Nouveaux mouvements religieux, avec à leur tête les groupes issus de la mouvance New-Age, constituent la pointe émergée d’une transformation culturelle souterraine du croire, qui traverse l’ensemble du champ religieux. Cependant, cette transformation est moins visible dans le cadre des grandes institutions religieuses parce que ces dernières résistent tant bien que mal à cette lame de fond, lestées à leur tradition multiséculaire.
16Le développement au sein même du judaïsme de mouvements idéologiquement proches du New-Age, parfois existant en groupes constitués, tel que Kabbalah [33], témoigne de cette tendance ; le développement de groupe néo-soufis au sein de l’islam en est une autre illustration, tant ce néo-soufisme accentue l’importance des pratiques méditatives (empruntant au zen, à la relaxation orientale, à la sophrologie), du bien être [34], de l’intériorité d’un côté et de l’harmonie cosmique de l’autre. Ces nouveaux musulmans, qui se retrouvent surtout dans les classes bourgeoises éduquées des grandes agglomérations, dans le monde arabo-musulman [35] comme en France par exemple [36], marquent leur intérêt pour le yoga, l’écologie, les produits « biologiques », et toutes les nouvelles thérapies, autant de techniques psycho-énergétiques caractéristiques des évolutions actuelles du New-Age. Ainsi trouvera-t-on sur le site de sufimovement une déclaration individuo-globaliste caractéristique : « The health of the whole body depends on the health of each part, So the health of the whole humanity depends upon the health of every nation » [37].
17On trouvera les mêmes tendances au sein du christianisme, y compris au sein du christianisme catholique, bien qu’elles aient, par définition, plus de mal à s’institutionnaliser compte tenu du contrôle dogmatique centralisé. Il n’empêche qu’un nombre croissant de catholiques vivent leur religion comme une spiritualité individuo-globale. L’exemple de cette femme d’une soixantaine d’années rencontrée lors d’une de nos conférences en est l’illustration idéaltypique : se refusant à abandonner sa paroisse désertée par son curé et ses ouailles, elle décida d’organiser des cérémonies, quasi-messes sans curé : réaction négative de l’Évêque devant cet outrage, puis compromis, parce que la démarche a eu du succès et a permis de maintenir une présence catholique dans le village. Ajoutons que cette femme tient une boutique de produits bios, pratique la sophrologie, et se nourrit à la fois des discours du Pape et des livres du dalaï-lama, et que, au moment même où nous nous entretenions avec elle, fin août 2008, ses jeunes adultes d’enfants étaient en train de suivre les enseignements dudit dalaï-lama sur la liberté intérieure et l’interdépendance universelle. Si nous prenons le temps d’évoquer ce cas, c’est bien sûr parce qu’il est loin d’être isolé, même s’il se retrouve rarement dans une version aussi pure.
18Ces nouveaux chrétiens, musulmans et juifs individuo-globalistes, comme les fidèles et pratiquants des Nouveaux mouvements religieux, dénient plus ou moins explicitement la nature religieuse de leur adhésion en la déclarant spirituelle. Cette tendance est bien sûr, cependant, moins accentuée dans le cadre des trois monothéismes tout en constituant une propension, au moins à euphémiser le terme de religion au profit de ceux de voie, de cheminement, de foi, d’engagement intérieur, de démarche, le tout pouvant être englobé sous le terme générique de « spiritualité ».
19Cette euphémisation, a minima, pouvant aller jusqu’à une dénégation de la nature religieuse des appartenances et des pratiques, doit elle être analysée comme un spiritual turn, comme le passage progressif – certes peut-être non encore majoritaire et ne touchant essentiellement que les sociétés industrielles avancées – du primat de la religion à celui de la spiritualité ? Doit-on, en d’autres termes, interpréter cela comme une spiritualisation, un changement de règne qui pourrait signer la disparition de la religion ? Nos enquêtes semblent montrer qu’il n’en est rien. Le terme de religion est devenu partiellement péjoratif dans le contexte des sociétés les plus sécularisées pour plusieurs raisons : un ancien athée, marxiste, en quête de valeurs qui se met à pratiquer le bouddhisme (comme ils en existent beaucoup [38]), se refusera à toujours, par fidélité à son originelle dogmatique marxiste, à se représenter « dans la peau » d’un adhérent à une religion, même s’il récite des mantras les mains jointes en signe de dévotion à Avalokitésvara, Grand Être quasi-divin qu’il prétendra concevoir comme une simple métaphore de « l’esprit de compassion ». De même, les chrétiens [39] et les juifs [40] suivant des enseignements bouddhistes auront intérêt, pour ne pas trahir leur tradition religieuse respective, à se représenter leur pratique du yoga, du bouddhisme (ou autre), comme « simplement » spirituelle.
20Cela dit, en dehors de ces cas particuliers, le terme même est devenu en général synonyme de fanatisme, d’inauthenticité, de violence, de manipulation, d’Inquisition [41], et plus récemment de terrorisme. Ainsi, même si ces nouvelles pratiques « spirituelles » sont de nature clairement religieuse [42], elles sont interprétées comme spirituelles. La religion loin de disparaître se renomme spiritualité. Il y a, certes, changement de signifiant, de contenant – ce qui constitue la véritable originalité de l’évolution actuelle – mais nullement de signifié, de contenu. Autrement dit, le mot de « spiritualité » se substitue souvent à celui de « religion » pour désigner les phénomènes religieux [43]. Nous ne passons donc pas de l’ère de la religion à celle de la spiritualité, il n’y a pas, sur le fond, de Spiritual Revolution, mais une mutation de l’orthodoxie religieuse vers l’individuo-globalisme, dont une des caractéristiques se traduit, effectivement, par des évolutions lexicales. La généralisation d’un répertoire lexical spiritualisé n’est pas sans importance, car il marque une métamorphose de l’orthodoxie religieuse, entre autres vers un nouveau rapport du religieux aux discours scientifiques et psychologiques, intégrants ces derniers dans sa dogmatique à travers, en particulier, l’immense gamme des thérapies physico-psychiques [44] que l’on peut ranger en bonne place dans la liste des nouvelles pratiques dévotionnelles du monde post-industriel.
21Cette spiritualisation signifiante – et non pas signifiée – ne se limite donc pas au Nouveaux mouvements religieux, ni au champ religieux en général, mais touche l’ensemble des activités sociales. On observe une spiritualisation de la rhétorique sportive [45], sanitaire [46], touristique [47], et y compris économique.
Le XIVe dalaï-lama comme leader individuo-globaliste idéal
22L’impact actuel énorme du bouddhisme tibétain en Occident doit être compris dans cette matrice croyante individuo-globaliste. Le XIVe dalaï lama, Tenzin Gyatso a réussi à s’imposer comme une sorte de leader individuo-globaliste, canalisant dans sa personnalité l’aspiration au globalisme dans ces différents registres humanitaire, écologique, droit de l’homme, et l’aspiration à l’individualisme dans ses différents registres spirituels à la fois hédoniste (recherche du bien-être individuel), contemplatif (recherche de vérité intérieure) et d’accomplissement personnel (contrôle de soi, libération des énergies, de sa volonté propre). Le chef tibétain peut être rangé dans la classe des nouveaux leaders de monde global symbolique, au même titre que nous avons les nouveaux leaders du monde global matériel représentés par les dirigeants (les fameux CEO) des multinationales. Dans cette classe, on rangera aussi, pour ce qui est du champ religieux, les leaders charismatiques des mega-churches américaines [48], mais aussi les chefs des réseaux fondamentalistes tel qu’Al Qaida [49], ou même les gourous formés à la culture du bien-être.
23Le dalaï-lama a réussi, en raison de la conjonction entre des événements politiques et de la transformation du culturelle de l’Occident, à faire du bouddhisme tibétain une des tendance religieuse dominante des sociétés industrielles avancées, et dans le même temps à déterritorialiser symboliquement le Tibet [50]. Il a progressivement construit un Tibet spirituel dont la capitale est Dharammsala au nord de l’Inde, et dont les préfectures sont les centres et monastères bouddhistes répandus sur l’ensemble de la planète, mais particulièrement sur les terres des sociétés les plus riches d’Europe et d’Amérique. Les citoyens de ce Tibet spirituel suivent les enseignements de leur leader, lisent ses livres, et sont aussi – et ce n’est pas un détail – des citoyens qui votent aux USA, en France, en Allemagne, en Australie, etc., constituant un énorme groupe de pression. C’est ainsi que le dalaï-lama occupe sans doute le plus vaste territoire symbolique actuel, territoire soutenu par ce nouvel acteur majeur qu’est l’opinion publique mondiale relayé par les opérateurs médiatiques internationaux [51]. Il existe aujourd’hui, à côté du pouvoir économique et politique, ce que l’on peut appeler un pouvoir culturel [52], en raison duquel on peut ainsi être dominant sur le terrain local, militairement et économiquement (autrement dit matériellement), et dominé symboliquement dans le monde global. La Chine est matériellement dominante sur le terrain local, face aux forces autonomistes Tibétaines, mais elle est symboliquement dominée dans le monde global [53]. La Chine a d’ailleurs montré à l’occasion des Jeux Olympiques de 2008, concomitants aux manifestations au Tibet, sa faible maîtrise de la mondialisation symbolique face à la virtuosité du chef tibétain.
24Le dalaï-lama exprime dans sa personne à la fois la cause lointaine du Tibet, l’authenticité de l’Himalaya, d’une culture millénaire, d’une tradition meurtrie mais sauvegardée, et l’ultra-modernité de l’homme de savoir ouvert à la science la plus avancée, mais à la science qui, justement, permet d’éclairer les vérités les plus profondes de la nature et non de l’asservir et pour finir de la détruire ; et non d’asservir l’homme et pour finir de le détruire. Cette distinction entre bonne science, authentique, tolérante, qui préserve la liberté, l’incertitude, amalgamant mécanique quantique, homéopathie, théorie du chaos, théorie des cordes, etc., et la mauvaise science, qui donne naissance la bombe atomique, au machines infernales, aux colorants cancérigènes et aux OGM, participe à la dialectique orthodoxique qui auto-immunise l’individuo-globalisme contre toute argumentation critique [54]. L’orthodoxie individuo-globale, qui est aussi une orthorationalité, procède toujours dialectiquement à des jeux de sélection : entre la bonne science (ou rationalité) opposée à la mauvaise, mais aussi entre la bonne tradition, originelle, cosmique, universelle, authentique, pacifique, libératrice opposée à la mauvaise tradition, exclusive, intolérante, politiquement corrompue, aliénatrice, moralisatrice, violente. Et par enchantement, bien sûr, la tradition authentique se marie inextricablement à la science authentique. La science authentique retrouve la tradition, au même titre que la tradition permet de réinterpréter la science contemporaine, du moins celle qui « mérite » d’être sauvée. La nouveauté de la dogmatique religieuse individuo-globale, car il s’agit bien d’une dogmatique religieuse, est de se nourrir de la rhétorique scientifique, et d’aboutir non pas comme dans le monde traditionnel à un simple système orthodoxique, mais à une véritable orthorationalité, une interprétation évidente et incriticable de la rationalité authentique qui se diffuse dans l’ensemble du champ religieux, y compris dans l’islam [55]. La puissance du bouddhisme réside dans sa capacité à jouer un rôle majeur dans cette construction d’orthorationalité, singulièrement à travers les discours du dalaï-lama, ne serait-ce que dans ses livres dialogues avec des physiciens, neurologues, biologistes, économistes, politiciens, politologues, sociologues, historiens, philosophes occidentaux.
Les nouvelles « églises » de l’individuo-globalisme
25Les mutations culturelles, a fortiori les mutations plus profondes des croyances, ne sont pas indépendantes des institutions mais constituent la base idéelle sur laquelle repose les organisations [56]. La croyance est en effet la source la plus profonde, irréductible, de la légitimité des individus comme des institutions publiques et privées. L’individuo-globalisme se traduit dès lors non seulement par de nouveaux discours mais aussi par de nouveaux types d’institutions. Les religions se sont ainsi réorganisées progressivement pouvant donner à penser qu’elles se déstructuraient, que l’on assistait en même temps qu’à la baisse de la pratique régulière du culte, à une dislocation institutionnelle, aboutissant à ce que certains chercheurs n’ont pas hésité à qualifier de débureaucratisation du religieux. Nous assistons pourtant moins à une débureaucratisation qu’à l’installation de nouvelles bureaucraties religieuses en phase avec le nouvel ordre de croyance individuo-globaliste. Le développement croissant des ONG confessionnelles est à mettre sur le compte de cette recomposition institutionnelle. Ainsi que l’a montré Jean-Bernard Marie, ce sont en partie des organisations confessionnelles comme le Joint Committee on Religious Liberty et l’American Jewish Committee, qui ont permis in extremis en juin 1945 lors de la Conférence de San Francisco d’introduire des dispositions relatives aux droits de l’homme, et surtout de créer une Commission des droits de l’homme prévue par l’article 68 de la Chartes des Nations Unies [57]. Les institutions religieuses ne sont donc pas seulement aujourd’hui organisées de façon plus transnationale mais elles participèrent dès l’origine l’ONU à la transnationalisation juridique de l’humanité. Cette action ne se relâchera plus au sein de l’ONU dans le cadre stricto sensu de leur statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC) [58]. Il y a eu une intensification qualitative et quantitative de leurs activités. D’après The Economist, l’apport financier des ONG est supérieur à celui de la Banques mondiale [59]. Sachant que nombre d’entre elles parmi les puissantes sont confessionnelles, d’origines confessionnelles ou du moins plus ou moins attachées à des mouvances religieuses, et sachant que leur action au sein et hors de l’ONU se sont considérablement diversifiés depuis les années 1980, on peut s’interroger sur le facteur religieux dans une gouvernance mondiale émergente. Se constituent de plus en plus des groupes de travail mixte, confessionnel/séculier, aux fins de mettre en place des politiques transnationales sociales, environnementales et même économiques. Du point de vue social par exemple, les Catholic Charities représentent le plus grand réseau de services sociaux indépendants américains [60]. De multiples organisations religieuses relayent les politiques sociales ou sont à l’origine d’initiatives sociales propres, à l’instar du Zen Peacemaker Order crée par Bernard Glassman qui a lancé des programmes de réinsertion professionnelles pour les exclus vivant dans les grandes agglomération comme New-York [61].
26Tout se passe comme si les organisations religieuses chassées de l’État-nation par des processus de laïcisation plus ou moins rigoureux, politiques, sociaux et juridiques, avait progressivement renégocié leur participation politique, sociales, économiques à partir de leur position mondialisée. En ce sens, les organisations religieuses, en partie contraintes d’abandonner le terrain national, ont anticipé l’évolution déterritorialisante et dénationalisante actuelle, ce qui leur permet de redevenir aujourd’hui, volens nolens, des acteurs politiques majeurs. À partir des années 1990 ce lobbying confessionnel a porté ses fruits au plus haut niveau [62]. Alors que la sécularisation reste une réalité nationale forte des sociétés industrielles avancées, héritage des deux derniers siècles, à l’échelle mondiale on observe de nouvelles modalités de collaboration entre des autorités séculières et confessionnelles. Dans cet ordre d’idée le président de la Banque mondiale et l’archevêque de Canterburry n’ont pas hésité à organiser en 1998 le World Faiths Development Dialogue, alors que l’ONU a décidé d’héberger le Millenium World Peace Summit of Religious and Spiritual Leaders.
27Ces nouvelles collaborations loin d’être fragilisées par la peur des extrémismes religieux, du fondamentalisme musulman en particulier et de ses liens avec le terrorisme, ont pris au contraire une plus grande importance. Les grands opérateurs économiques se sont en effet plus volontiers impliqués dans la recherche de solutions aux désordres éventuellement liés à des orientations religieuses, aboutissant à des compromis, négociations, dialogues, et à la revalorisation du religieux. C’est aussi le poids économique de plus en plus important des ONG confessionnelles, devenues de véritables multinationales alternatives dont les activités sont gérées rationnellement à grande échelle, qui a redonné une crédibilité mouvements religieux dans la nouvelle gouvernance mondiale. Parmi les plus importantes ONG confessionnelles, qui se trouvent être chrétiennes, l’Armée du Salut, World Vision et Catholic Relief Services disposent, d’après Julia Berger, de revenus annuels cumulés de plus de 1,6 milliards de dollars et affichent un résultat proche des 150 millions de dollars [63].
28La diversification des labels confessionnels des ONG est un autre phénomène majeur des années 1980 et 1990, le leadership est encore chrétien. La prééminence chrétienne s’exprime encore par exemple dans le fait que Dominicans for Justice and Peace, organisation catholique, a obtenu début 2000 le statut consultatif auprès de l’ECOSOC, alors même que cette organisation a des objectifs similaires à Fransiscans International qui avait déjà ce statut, au point d’ailleurs que Fransiscans International était parfois représenté au sein de la Commission des droits de l’homme par un frère Dominicain ! Cela témoigne du pouvoir d’influence encore actuel du christianisme, du christianisme catholique, au sein des instances internationales. Néanmoins, malgré cette prééminence chrétienne (57,4 % des ONG confessionnelles officiellement reconnus), les ONG musulmanes sont aujourd’hui en deuxième position (12,2 %). Soulignons, malgré cette apparence de domination des grandes religions monothéistes, que près de 10 % des ONG confessionnelle peuvent être classées dans la catégorie assez vague de « spirituelles », sans dénomination particulière. Il ne faut pas, en outre, considérer que seul le nombre d’ONG à une confession est déterminant pour juger du poids de celle-ci. Il n’y a qu’une dizaine d’ONG bouddhistes reconnues, ce qui fait près de 4 % seulement des ONG confessionnelles, et tendrait à démontrer que le bouddhisme est sous représenté par rapport, par exemple, au judaïsme qui dispose d’une trentaine d’ONG reconnues, soit trois fois plus. Néanmoins, l’ONG bouddhiste Soka Gakkaï Internationale (SGI) est parmi les cinq plus importantes ONG confessionnelles en termes de poids économique, de capacité d’intervention, mais surtout elle est la première quant à l’étendue du spectre géographique d’intervention (177 pays, loin devant World Vision, qui est deuxième, et n’intervient que dans 90 pays). De même, si les ONG islamiques ne sont que 32, elles sont non seulement plus nombreuses que jadis, mais elles sont aussi plus dynamiques, mieux organisées, et financièrement plus solides [64]. Le nombre supérieur des ONG chrétiennes (151) ne rend pas clairement compte de la nouvelle répartition plus éclectique du poids des différentes religions. D’autre part, il faut souligner, à l’intérieur même du monde chrétien, une diversification dénominationnelle en faveur des mouvements néo-évangéliques et pentecôtistes, comme Samaritan’s Purse, Habitat for Humanity, et bien sûr World Vision l’ONG confessionnelle qui pèse le plus financièrement. Cette percée évangélique ne date pas d’hier mais a commencé dans les années 1970, et se caractérise de plus en plus aujourd’hui par la promotion d’une espérance individuelle « retrouvée » mêlée à la vision d’une humanité globale qui mérite d’être sauvée [65].
29Si les mouvements évangéliques ont toujours joué un rôle important de relativisation de l’État-Providence, ils mettent en place aujourd’hui de véritables politiques sociales alternatives. Comme l’illustre le Zen Peacemaker Order, ces politiques de solidarité glocalisées, concurrentielles des politiques sociales stato-nationales, concerne l’ensemble des ONG confessionnelles y compris lorsque elles ne sont pas formellement reconnues dans l’une des trois catégories onusiennes. La plupart des Nouveaux mouvements religieux, allant des plus célèbres comme l’Église de Scientologie jusqu’à des groupes néo-hindouistse moins connus comme le Siddha Yoga ou la Sri Ram Chandra Mission, promeuvent des politiques de solidarité relayées par des ONG. Cela peut aller de l’action internationale contre le crime et pour la réhabilitation des criminels à travers la Fondation internationale du chemin du bonheur, à l’action éducative comme l’Applied Scholastics International, deux associations attachées à la Scientologie. On pourrait penser qu’un groupe comme le Siddha Yoga se contentera d’administrer la pratique du yoga, et de se servir de cette pratique pour communaliser ses membres, mais elle dispose aussi d’une « organisation charitable non gouvernementale », PRASAD, qui agit dans « la construction de refuges pour les pauvres, d’hôpitaux dans le tiers-monde », et pour l’octroi de « bourses pour les enfants des familles les plus démunies dans les pays les plus riches ». Dans la plupart des Nouveaux mouvements religieux, l’ONG permet de fixer des objectifs globaux, de développement durable, qui sont comme la contrepartie nécessaire du développement personnel recherché par l’individu à travers la pratique du yoga, de la méditation, ou de toute autre pratique [66].
30Les ONG confessionnelles sont non seulement des institutions par excellence adaptées à l’individuo-globalisme, mais elles en sont, pour la plupart, une remarquable courroie de transmission idéologique. Autrement dit, elles amplifient cette culture croyante ; il suffit pour s’en convaincre de lire, à titre d’exemple caractéristique, la Charte de la Soka Gakkaï Internationale [67] qui énonce sans ambages les principes constitutifs de l’humanité à venir, dans laquelle vivra idéalement le citoyen du monde, qui ne sera plus attaché à aucun État particulier ; il sera libéré intérieurement, individuellement, et harmonieusement intégré au monde extérieur pris dans sa globalité terrestre et même cosmique. On trouvera le même genre d’utopie assumée pour la Communauté internationale Baha’ie, avec la promotion d’une société idéale, c’est-à-dire, dans la conception Baha’ie, mondialisée au-delà des frontières étatiques, démocratisée au-delà du formalisme juridique, et spiritualisée au-delà des frontières confessionnelles traditionnelles. Ces trois dimensions – mondialisation, démocratisation, spiritualisation – étant intimement reliées.
31Les ONG confessionnelles sont, par ailleurs, devenues des acteurs majeurs des luttes interconfessionnelles et politiques au sein même des États de moins en moins aptes à contrôler l’action des réseaux religieux transnationaux. Sous la pression du clergé musulman, les partis religieux et politiques Pakistanais ont ainsi accusé les ONG occidentales d’être des organisations chrétiennes [68], ce qui n’est pas toujours entièrement erroné à en croire les analyses de Jonathan Benthall sur les origines religieuses des mouvements humanitaires [69]. L’Afrique est en train de devenir un champ de lutte entre les dénominations religieuses, en particulier entre les prosélytismes musulmans et chrétiens, soutenus chacun de leur côté par des ONG islamiques et chrétiennes évangéliques [70]. Les travaux de René Otayek concernant l’islam sont à cet égard éclairants [71], de même que ceux de Joseph Tonda concernant les stratégies de conversion chrétienne en Afrique centrale, en particulier au Congo et au Gabon [72]. Des phénomènes de glocalisation comparables pourront être constaté en Amérique latine, mais dans un contexte de prosélytisme néo-évangélique intense beaucoup moins conflictuel qu’en Afrique [73]. Les pressions transnationales, passant par des ONG confessionnelles, ont parfois des objectifs directement politiques et juridiques, comme la lutte pour leur pleine reconnaissance menée par les minorités telles que les Bah’ie ou des Coptes en Égypte.
32En outre, les ONG humanitaires les moins apparemment confessionnalisées ne sont pas dénuées de traits « religioïdes » pour reprendre le mot de Jonathan Benthall [74]. Remarquons que les membres de la secte religieuse des Quakers, jadis persécutés, ont inspiré des organisations humanitaires apparemment entièrement sécularisées telles que Oxfam, Amnesty International ou Greenpeace, au point que Benthall n’hésite pas à les qualifier de Faith-inspired Organizations même si elles ne constituent pas à proprement parler des Faith-based Organizations comme l’Armée du Salut par exemple [75]. Or, cette inspiration religieuse plutôt chrétienne du champ humanitaire, se reforme aujourd’hui dans l’orthodoxie [76] individuo-globaliste. C’est ce qui explique la pénétration des concepts néo-bouddhistes d’interdépendances universelles, de karma individuel et collectif, de bonheur intérieur et d’harmonie cosmique, et leur mobilisation dans les discours des ONG confessionnelle ou apparemment les moins confessionnelles ayant des visées écologiques, éducatives, ou de défense des droits de l’homme. C’est moins en tant qu’ils sont inspirés par le bouddhisme que ces concepts deviennent pertinents, qu’en tant qu’ils expriment l’orthodoxie individuo-globaliste dont le bouddhisme occidentalisé est la manifestation sociale la plus structurée idéologiquement et institutionnellement.
Conclusion
33Derrière la multiplication kaléidoscopique, et apparemment chaotique, des groupes et groupuscules religieux et quasi-religieux se profile ainsi une orthodoxie commune de plus en plus unifiée, l’individuo-globalisme, qui est devenue non seulement la culture dominante des sociétés industrielles avancées, se manifestant dans la santé, le tourisme, y compris dans les discours économiques et politiques. Pour finir, et même si nous n’avons pas eu l’occasion de le développer ici, il faut ajouter que cette dogmatique ne concerne pas exclusivement les sociétés industrielles avancées mais est devenue une force centrale du champ religieux mondial, force d’attirance ou de répulsion suivant les contextes. Les ONG confessionnelles sont d’ailleurs au cœur de ces jeux d’attirance et de répulsion, mais sont surtout, en définitive, les véhicules institutionnels privilégiés de l’imposition dans le champ religieux mondial de cette orthodoxie [77].
Notes
-
[1]
Cette impératif de l’expérience, caractéristique de l’individu contemporain, est bien décrit par Peter Sloterdijk (SLOTERDIJK P., Essai d’intoxication volontaire, Paris, Hachette, 2001).
-
[2]
HERVIEU-LÉGER D., Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion, 1999.
-
[3]
DAVIE G., Religion in Modern Europe. A Memory Mutates, Oxford, Oxford University Press, 2000.
-
[4]
Groupe de recherche faisant partie du Cherpa (Équipe d’accueil transdisciplinaire de l’IEP d’Aix-en-Provence).
-
[5]
HEELAS P., The New Age Movement. Celebrating the Self and the Sacralization of Modernity, Oxford et Cambridge, Blackwell, 1996.
-
[6]
LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé. Une perspective sociologique sur la globalisation du religieux, Paris, Ellipses, 2004.
-
[7]
Même si les chercheurs n’accordent pas la place essentielle que nous accordons à cette tension entre individualisme et globalisme, et n’en tire donc pas les conséquences que nous en tirons, leurs descriptions des groupes new-age ne peuvent sérieusement l’évacuer : DE BACKER B., « New Age : entre monade mystique et neurone planétaire », in La Revue Nouvelle, novembre 1996, p. 63-72.
-
[8]
WEIL P., À quoi rêvent les années 1990. Les nouveaux imaginaires : Consommation et communication, Paris, 1993.
-
[9]
Ibid.
- [10]
-
[11]
Nous avons analysé ces quatre fonctions du pèlerinage lors d’une intervention récente : le deux autres fonctions, non spécifiquement religieuses, sont les fonctions de divertissement et de communalisation (« Analyse comparé des figures du touriste et du pèlerin », in Les pèlerinages : parcours historiques, parcours croyants, parcours géographiques, CHERPA/Observatoire du religieux, les 17, 18, 19 septembre 2008).
-
[12]
Cf. Terre Entière : Culture, voyages, passion. Catalogues : Croisières et voyages culturels, Automne-hivers 2008/2009 ; Pèlerinages et itinéraires spirituels, Automne-hivers 2008/2009 ; Croisière de l’Année Saint-Paul, 8-13 mai 2008 ; La Libye retrouvée, 20 avril-2 mai 2009.
-
[13]
Fondé en 1979, Canyon Ranch est le plus ancien réseau de clubs hôtels de « retour à la nature » visant à « transformer le mode de vie » de ses clients : www. canyonranch. com.
-
[14]
Ibid.
- [15]
-
[16]
Ibid.
-
[17]
On se souvient de la fameuse image sur laquelle figure les membres du célèbre groupe en compagnie d’un gourou souriant aux cheveux longs.
- [18]
-
[19]
Master of buisness and Administration ; Master of Art (autrement dit en sciences humaines, en littérature ou en arts) ; Master of Science ; Philosophy Doctorate (autrement dit Doctorat).
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[20]
Cf. site internet op. cit.
-
[21]
Autrement appelé le « post-Nouvel-Age » : ROCCHI V., « Des nouvelles formes du religieux ? Entre quête de bien-être et logique protestataire : le cas des groupes post-Nouvel-Age en France », in Social Compass, n°50, 2003, p. 175-189.
-
[22]
LIOGIER R., « La nouvelle culture hospitalière : enjeux pratiques des représentations sociales de la santé », in Revue Fondamentale des questions hospitalières, juin 2005, n°11.
-
[23]
GIDDENS A., Modernity and Self-Identity. Self and Society in Late Modern Ages, Cambridge, Cambridge Polity Press, 1991.
-
[24]
Cf. Colloque La Corporate Governance comme nouvelle religion d’entreprise : Observatoire du religieux/IEP d’Aix-en-Provence, 27-28 octobre 2006.
-
[25]
De nombreux forum se présentant comme des lieux de débats, des forums critiques sur la crise financière, et qui font intervenir des économistes, des scientifiques, des politiques (tel que http:// www. obsfin. ch/ ) constituent en réalité des lieux d’amplification de l’orthodoxie dominante individuo-globaliste.
-
[26]
Même si la notion d’énergie succède à la mystique du magnétisme déjà présente au XIXe siècle. Et même le bouddhisme et l’hindouisme occidentalisé sont antérieurs au XXe siècle, à travers en particulier le mouvement théosophique. LARDINOIS R., L’invention de l’Inde. Entre ésotérisme et science, Paris, CNRS Éditions, 2007 ; LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004.
-
[27]
LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004 ; LIOGIER R., « La signification sociale de la critique bouddhique de la modernité », in BROWN J., LIOGIER R., (dir.), Bouddhisme et critique de la Modernité, Dalhousie French Studies, vol. 46, Printemps 1999.
-
[28]
Y compris au sein même de la culture hospitalière. LIOGIE R., « La nouvelle culture hospitalière : enjeux pratiques des représentations sociales de la santé », op. cit., 2005.
-
[29]
GUASH G.-P., « Énergie… vous avez dit énergie ? », in BOUCHAYER F., (dir.), Autres médecines, autres mœurs, Paris, Autrement, 1993, p. 181-189.
-
[30]
Insertion, orientation de son habitation dans « l’environnement énergétique », les pierres, le paysage, les eaux souterraines.
-
[31]
La doctrine du mouvement mêle des considérations scientifiques liées à la photosynthèse à un discours sur la redécouverte d’authentiques pratiques traditionnelles indiennes au premier chef, mais qui seraient aussi Inca (ce serait le sens « nutritif » secret du culte du soleil), égyptiennes ou autres (cf. www. sungazing. fr).
-
[32]
HEELAS P., « The Spiritual Revolution : From ‘Religion’ to ‘Spirituality’ », in WOODHEAD L., (ed.), Religions in the Modern World, London/New-York, Routledge, 2002, p. 357-377.
- [33]
-
[34]
HEANNI P., L’islam de marché, Paris, 2005.
-
[35]
Ibid.
-
[36]
LIOGIER R., « Les musulmans bouddhéisés des centres-villes : les nouveaux entrants de la culture du bien-être », in LIOGIER R., Une laïcité légitime. La France et ses religions d’État, Paris, Entrelacs, 2006, p. 131-138.
-
[37]
Ce qui donne en français : « La santé de l’ensemble du corps dépend de la santé de chacune de ses parties, de même la santé de l’ensemble de l’humanité dépend de la santé de chaque nation » (www. sufimovement. org).
-
[38]
LIOGIER R., ETIENNE B., Être bouddhisme en France aujourd’hui, Paris, Hachette, 1997, Nouvelle édition, Poche/Pluriel, 2004.
-
[39]
Exemple de certains prêtres chrétiens qui entendent redécouvrir leur propre tradition à travers la pratique du zen (LIOGIER R., ETIENNE B., op. cit., 1997).
-
[40]
Exemple du mouvement Jubu : contraction en anglaise de Jewish Buddhist (LIOGIER R., Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004, p. 382-384).
-
[41]
« Inquisition », bien entendu, au sens de la célèbre campagne menée par le catholicisme romain au Moyen Age contre les hérésies, en particulier contre le mouvement Cathare.
-
[42]
Ces pratiques visent à atteindre un salut transcendant, autrement dit, à atteindre une sorte d’Éveil, de libération ultime. Les trois éléments qui permettent, d’après nous, de définir la religion sont ici réunis : une conception globale du monde, qui inclut la possibilité du salut, salut qui « peut être atteint » à travers des pratiques individuelles et collectives proposées par des organisations. Critères parfaitement et objectivement remplies par les mouvements New-Age en dépit des discours spiritualistes de plus en plus généralisés.
-
[43]
RAPHAËL L., « La religion déniée. La conversion au bouddhisme comme mode religieux d’assimilation de la culture montante des sociétés « post-industrielles » », in Diasporas. Histoire et Sociétés, CNRS/Université de Toulouse-Le Mirail, Hivers 2003, n°3.
-
[44]
Cf. BOUCHAYER F., (dir.), op. cit., 1993.
-
[45]
Par exemple à travers les arts martiaux se situant à l’intersection du sport et de la voie spirituelle. Se développent de plus en plus de stages sportifs (randonnées, kayak, escalade) avec une pratique complémentaire de sophrologie, de taïchichuan ou de yoga.
-
[46]
BOUCHAYER F., op. cit., 1993.
-
[47]
Cette recherche de soi passant par le voyage au lointain se retrouve dans la rhétorique des packages touristiques actuels, mais cette tendance va parfois plus loin comme un voyage organisé proposé du 17 au 27 mars 2009, avec visite de la vallée du Gange, « trekking au Népal » permettant de « découvrir la nature », « des lieux sacrés », permettant en outre de rencontrer des moines dont certaines célébrités du « monde spirituel » comme en témoigne l’annonce : « Exceptionnel. Rencontre avec Mathieu Richard […] dans son monastère à Katmandou » (package proposé dans Le Monde des Religions, septembre-octobre 2008, p. 4).
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[48]
FATH S., Militants de la Bible aux États-Unis : évangéliques et fondamentalistes du Sud, Paris, Autrement, 2004.
-
[49]
Les groupes fondamentalistes ne sauraient échapper à l’orthodoxie individuo-globaliste, même s’ils réagissent contre elle.
-
[50]
Cf. LIOGIER R., À la rencontre du dalaï-lama. Mythe, vie et pensée d’un contemporain insolite, Paris, Flammarion, 2008, ainsi quelques interventions dans la presse sur cette position complexe du chef tibétain : « Les Chinois aimeraient tellement que le dalaï-lama réclament l’indépendance », Libération, 19/03/2008 ; « Le leader spirituel du Tibet : Une chance pour la Chine », Libération, 22/04/2008 ; « Le dalaï-lama joue-t-il sa dernière carte ? », Le Figaro, 24/03/2008 ; http:// www. marianne2. fr/ Raphael-Liogier-le-dalai-lama-concilie-individualisme-et-globalisme_a90426. html.
-
[51]
Il ne s’agit pas ici, bien sûr, de définir l’opinion publique internationale, cet objet évanescent qui n’est pas l’agglomération des opinions des individus, mais le résultat complexe, variable, sans cesse recomposé, des rapports de forces médiatiques. Les médias étant des sortes d’opérateurs d’opinion en concurrence (regroupant toutes les catégories d’intermédiaires symboliques et non seulement les chaînes de télévision, les journaux, etc.), participant à l’élaboration des imaginaires sociaux.
-
[52]
WILLIAMS R.H., DEMERATH N.J., « Cultural Power : How Underdog Religious and Nonreligious Movements Triumph Against Structural Offs », in DEMERATH N.J., HALL P.D., SCHMITT T., WILLIAMS R.H., (dir.), Sacred Companies : Organisational Aspects of Religion and Religious Aspects of Organizations, New-York, Oxford University Press, 1998.
-
[53]
C’est aussi le cas de la domination matérielle israélienne incontestable face à la légère domination symbolique palestinienne dans l’opinion publique internationale.
-
[54]
Cf. LIOGIER R., « 1°- La construction bouddhiste d’une orthorationalité », in Le bouddhisme mondialisé, op. cit., 2004, p. 536-541.
-
[55]
On pourra consulter à cet égard les sites internet suivant qui donne une bonne évaluation de ce processus d’individuo-globalisation de l’islam néo-soufi : www. sufimovement. org ; www. sufiway. org ; www. sufifoundation. org.
-
[56]
C’est pourquoi, ainsi que le souligne Antonio Gramsci, les institutions, y compris l’État, ne peuvent subsister sans le soutien des intellectuels organiques qui sont, pour ainsi dire, les opérateurs idéologiques qui donnent de la cohérence à l’organisation, justifient son existence, et justifient l’existence des hiérarchies qui lui sont inhérentes. Les théologiens catholiques jouèrent pendant des siècles ce rôle d’intellectuels organiques dans l’Europe chrétienne.
-
[57]
MARIE J.-B., « Les ONG confessionnelles aux Nations unies et la défense des droits de l’homme », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., Les ONG confessionnelles. Religions et action internationale, Paris, L’Harmattan, 2007 ; MARIE J.-B., La commission des droits de l’homme de l’ONU, Paris, Pédone, 1975.
-
[58]
L’article 71 de la Charte des Nations unies, révisé par la résolution 1996/31 du 25 juillet 1996, régit formellement les relations entre ONG et l’ONU. C’est surtout dans le domaine des droits de l’homme que leur participation est effective.
-
[59]
« Sins of the Secular Missionaries », in The Economist, 29 janvier 200, p. 25-27 (cité par BERGER J., « Les organisations non gouvernementales religieuses. Quelques pistes de recherche », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op. cit., 2007, p. 23).
-
[60]
Catholic Charities pour être privé et indépendant reçoit, néanmoins, les deux tiers de ses fonds de l’État américain.
-
[61]
LIOGIER R., op. cit., 2004, p. 280.
-
[62]
Cf. le rapport Religion and Public Policy at the UN, Chicago, Park Ridge Center, 2002.
-
[63]
BERGER J., op. cit., 2007, p. 24 ; et pour plus de détails : BERGER J., « Religious Non-Governmental Organizations : An Exploratory Analysis », in Voluntas, International Journal of Voluntary and Nonprofit Organizations, vol. 14, n°1, 2003.
-
[64]
L’Africa Muslims Agency, qui se limite à l’Afrique, intervient dans 34 pays de ce continent et ne dispose que d’un seul centre névralgique administratif, ce qui suppose une extrême centralisation des stratégies.
-
[65]
Ce que Sébastien Fath appelle un « millénarisme optimiste » : « Les ONG évangéliques américaines ou les ruses de la Providence », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op.cit, p. 260.
-
[66]
LIOGIER R., « L’ONG, agent institutionnel optimal du champ religieux individuo-globalisé », in DURIEZ B., MABILLE F., ROUSSELET K., op. cit., 2007, p. 263-276.
-
[67]
LIOGIER R., op. cit., 2004, p. 469-523.
-
[68]
KHAN I., « The Mullahs versus the NGOs », in Newsweek, Asia, n°44, 2 octobre 2000.
-
[69]
BENTHALL J., Returning to Religion. Why a Secular Age is Haunted by Faith, London, Tauris, 2008, p. 87-107.
-
[70]
On consultera à cet égard le gros ouvrage dirigé par Laurent Fouchard, André Mary et René Otayek : FOUCHARD L., MARY A. et OTAYEK R., Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, IFRA-Kartala, 2005.
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[71]
OTAYEK R., « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires, in La revue internationale et stratégique, n°52, hiver 2003, p. 51-65.
-
[72]
TONDA J., La guérison divine en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Kartala, 2002.
-
[73]
BASTIAN J.-P., (dir.), Religions, valeurs et développement dans les Amériques, Paris, L’Harmattan, 2007.
-
[74]
BENTHALL J., op. cit., p. 87.
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[75]
Ibid., p. 91-92.
-
[76]
Nous avons utilisé, tout au long de cet article, le concept d’« orthodoxie » au sens de Jean-Pierre Deconchi comme un champ de pouvoir socio-cognitif : Orthodoxie religieuse et sciences humaines, La Hague, Pouton Publishers, 1980.
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[77]
L’analyse de ces jeux de forces est au cœur d’une recherche en cours de publication : LIOGIER R. (dir.), Le monde pour paroisse (titre provisoire), CNRS Éditions, à paraître en 2009.