Notes
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[1]
ROSE R., URWIN D. W., “Persistence and Change in Western Party System Since 1945”, Political Studies, 18/3,1970.
-
[2]
Voir, en particulier FRANKLIN M.N., MACKIE T.T., VALEN H., Electoral Change. Response to Evolving Social and Attitudinal Structures in Western Societies, Cambridge/New York, CUP, 1992 ; GOFFMAN E., “La mise en scène de la vie quotidienne”, Vol.1 La présentation de soi et Vol.2 Les relations en public, Paris, Minuit, 1979.
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[3]
“The outcome seems hardly conducive to the generation of deeply felt identification that serve to divide large numbers of voters along new lines of cleavage into a small members of groups. On the contrary, our observations suggest that postindustrial society may no longer have capacity to socialize people into loyalty towards social groups”: FRANKLIN M.N., MACKIE T.T., VALEN H., op.cit., 1992.
-
[4]
LIPSET S.M., ROKKAN S., “Cleavage Structures, Party System and Voter Alignment : An Introduction”, in LIPSET S.M., ROKKAN S., Party System and Voter Alignment. Cross National Perspectives, New York, The Free Press, 1967.
-
[5]
Les recherches consacrées aux processus de politisation et de dépolitisation des discussions, ont toujours été conçues, conduites et publiées avec Sophie Duchesne. Les analyses présentées dans la dernière partie de cet article sont fondées sur ces travaux et donc enracinées dans une réflexion commune. Toutefois l’expression qu’elles prennent ici n’engage évidemment que moi.
-
[6]
KITSCHELT H., The Radical Right in Western Europe : A Comparative Analysis, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1995.
-
[7]
À gauche, la principale scission a pris la forme de l’autonomisation, en décembre 1993, du Mouvement Des Citoyens (MDC) devenu Mouvement Républicain et citoyen (MRC). Àdroite, les scissions se sont faites en chaîne : en 1994, création du Mouvement Pour la France (MPF) par Philippe de Villiers qui s’associe à Charles Pasqua pour fonder le Rassemblement Pour la France (RPF), en 1998; création par Charles Millon de La Droite qui devient en 1999 la Droite Libérale et Chrétienne, autonomisation de Démocratie Libérale (DL) en 1998; création par Christine Boutin, en 2002, du Forum des Républicains sociaux (FRS). La scission de l’extrême droite et la création en janvier 1999, du Mouvement National Républicain (MNR) par Brunot Mégret participe de la même logique de fragmentation.
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[8]
La fragmentation partisane est également entretenue par l’émergence sur la scène électorale d’une nouvelle organisation Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT), créé dès 1989 à partir des mobilisations des chasseurs contre les directives européennes et les associations écologistes.
-
[9]
HOTTINGER J.T, “Le ‘dégel des clivages’ ou une mauvaise interprétation de la théorie de Lipset et Rokkan ?”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.2, n°1,1995.
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[10]
Il met en jeu des questions morales et éthiques (droits des homosexuels, défense de la famille, inscription des valeurs chrétiennes dans la constitution européenne, etc.).
-
[11]
Pour l’essentiel, ces organisation ont aujourd’hui rejoint l’UMP sous la forme d’une adhésion individuelle directe (c’est le cas de DLC) ou d’un statut de mouvements associés (c’est le cas du Forum des républicains sociaux).
-
[12]
TRAÏNI C., Les braconniers de la République, Paris, PUF, 2003.
-
[13]
BARTOLINI S., “Institutional Constraints and Party Competition in the French Party System”, in BARTOLINI S., MAIR P., Party Politics in Contemporary Western Europe, London, Frank Cass, 1984.
-
[14]
Dans le système partisan français, la candidature présidentielle apparaît comme un moyen d’affirmer son existence et de disposer d’une audience pour un certain nombre de sous-leaders politiques. Elles conduits parfois à la scissions d’autant que la diffusion de la règle de sélection partisane des candidats présidentiels (sous la forme d’une désignation des candidats par les adhérents des partis politiques) rend parfois nécessaires les stratégies de défection quand on est un challenger dans son parti.
-
[15]
La propension française à créer des nouveaux partis est trop ancienne pour qu’elle puisse être rapportée exclusivement aux intérêts financiers que génère l’adoption d’un financement public en 1988. D’autant que le créations ou scissions partisanes interviennent généralement dans le contexte d’élection de second ordre, régies par un scrutin proportionnel et ne permettant pas l’accès au financement public (principalement les élections européennes). Néanmoins, des objectifs financiers interviennent bien dans la décision des nouvelles organisations de se présenter aux élections législatives et, dès lors, de tenter d’intervenir au cœur même du système partisan français. Dans le cas du CPNT, par exemple, la mise en cause de son circuit de financement particulièrement opaque du fait du caractère parapublic des grandes associations de chasse a conduit ses dirigeants a renforcé leur engagement lors des élections législatives pour bénéficier de la dotation prévue par la loi.
-
[16]
SAUGER N., Les scissions de l’UDF (1994-1999). Unité et dissociation des partis, mécanismes de transformation de l’offre partisane, Thèse de doctorat en science politique, IEP, Paris, 2003.
-
[17]
Ce type d’enquête ne permet pas saisir toute la variété des sympathies partisanes car dans le cas de nombreuses organisations, la faiblesse des effectifs de sympathisants exclut tout traitement statistique.
-
[18]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., “La fragmentation partisane”, in GRUNBERG G., MAYER N., SNIDERMAN P. M., La démocratie à l’épreuve, Paris, Presses de Sciences-Po, 2002.
-
[19]
MAIR P., “L’hypothèse du gel des clivages politiques : une évaluation”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.5, n°3,1998.
-
[20]
Voir les deux ouvrages récemment parus sur l’enjeu des réalignements politiques dans le cas français : MARTIN P., Comprendre les évolutions électorales : la théorie du réalignement revisitée, Paris, Presses de Sciences-Po, 2000 ; MICHELAT G., SIMON M., Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, Paris, Presses de Sciences-Po, 2004.
-
[21]
À propos du changement de valeurs, R. Inglehart utilise le terme “d’immunisation générationnelle”: INGLEHART R., “The Silent Revolution in Europe : Intergenerational Change in Postindustrial Societies”, The American Political Science Review, 65,41,1971, pp.991-1017.
-
[22]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op.cit., 2002.
-
[23]
MUXEL A., L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2001.
-
[24]
Comme l’écrit Sartori (cité par Zuckerman : ZUCKERMAN A., “Political Cleavage : a Conceptual and Theoretical Analysis”, British Journal of Political Science, 5,1975) :”To put it bluntly, it is not ‘objective’ class (class conditions) that creates the party, but the party that creates the ‘subjective’ class (class consciousness)… The party is not a ‘consequence’. Rather and before, it is the class that receives its identity from the party”. Les travaux de A. Przeworski et J. Sprague sur l’impact du mouvement socialiste sur la construction de l’identification à la classe ouvrière l’illustrent parfaitement : PRZEWORSKI A., SPRAGUE J., Paper Stones. A History of Electoral Socialism, The University of Chicago Press, Chicago and London, 1986.
-
[25]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op.cit., 2002.
-
[26]
La seule exception notable concerne le PCF, seule organisation dont le rejet régresse, son déclin entraînant le recul progressif de l’anti-communisme dans l’opinion.
-
[27]
DUCHESNE S., HAEGEL F., “Politisation et conflictualisation : de la compétence à l’implication”, dans PERRINEAU P., (dir.), La démocratie désenchantée, La Tour d’Aigues, 2003 ; DUCHESNE S., HAEGEL F., “La politisation des discussions, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation”, Revue française de science politique, 54(6), décembre 2004.
-
[28]
Voir en particulier, MAYER N., Ces Français qui votent Le Pen, Paris, Flammarion, 1999 ; CHI-CHE J., LE ROUX B., PERRINEAU P., ROUANET H., “L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990”, Revue française de science politique, vol. 50, n°3,2000 ; CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op. cit., 2002.
-
[29]
Il existe évidemment certaines nuances selon les enquêtes dans la mesure où les variables prises en compte dans les ACM ne sont pas toujours rigoureusement les mêmes, les questions posées n’étant pas toujours identiques.
-
[30]
Les variables mobilisées dans la construction de ce deuxième axe apparaissent plus fluctuantes que celles qui alimente le premier axe. En effet, alors que s’agissant de l’ethnocentrisme ou de l’autoritarisme, quelques questions se sont imposées dans les enquêtes françaises, pour saisir les dimensions économique et sociale, de fortes variations existent d’une enquête à l’autre. Il peut s’agir soit de questions sur les jugements portés sur la grève, les syndicats, le profit, etc. (CHICHE et al., op.cit., 2000), soit de questions portant sur les modèles de réussite sociale (ibidem). Une réflexion sur ces indicateurs et une plus grande stabilité de ceux-ci seraient utiles.
-
[31]
GRUNBERG G., SCHWEISGUTH E., “Recompositions idéologiques”, dans L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences-Po, 1997, pp.139-178.
-
[32]
CHICHE et al., op.cit., 2000.
-
[33]
La question portant sur les priorités de l’école (“donner le sens de la discipline ou de l’effort” ou “former avant tout des gens à l’esprit éveillé”) participe également le plus souvent de cette dimension. Elle renvoie de manière moins directe à cet enjeu que constitue la réaffirmation de l’autorité publique.
-
[34]
Sauf, bien sûr à envisager des entretiens individuels contradictoires mais leur pratique est difficile en raison des tensions qu’ils génèrent entre l’interviewé et l’intervieweur.
-
[35]
Ce modèle est repérable dans des groupes domestiques mais également au sein de groupes politiques, certaines organisations d’extrême gauche fonctionnent sur la mise en scène des clivages et témoignent du fait que les conflits peuvent sédimenter une histoire et une identité communes.
-
[36]
GOFFMAN E., op.cit., 1979.
-
[37]
Pour un traitement plus complet des questions méthodologiques voir : DUCHESNE S., HAEGEL F., Les entretiens collectifs, Paris, Nathan (128), 2004.
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[38]
Cette forme d’implication est repérable par des indicateurs variés. En effet l’implication suppose le plus souvent : que l’on prenne plusieurs fois la parole sur ce thème parce qu’on est attaché à faire valoir son point de vue, que ces prises de parole revêtent une densité émotionnelle, qu’elles donnent à voir les division du groupe (en s’impliquant, on entraîne les autres à se dévoiler) etc.
-
[39]
TILLY C., “Stein Rokkan et les identités politiques”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.2, n°1,1995.
-
[40]
Elle ne porte que sur trois entretiens collectifs menés à Paris sur le thème de la délinquance. La question de la validité de nos premiers résultats à d’autres communautés nationales reste entière, c’est pourquoi l’étape suivante de notre recherche inclut une perspective comparative.
-
[41]
DUCHESNE S., HAEGEL S., op.cit., 2004.
-
[42]
TILLY C., Stories, Identities and Political Change, Lanham MD, Rowman and Little field, 2002.
-
[43]
Il doit aussi conduire à se méfier de cette analogie et à s’interroger sur ce qu’elle empêche de saisir, sur ses limites en raison des biais liés à la représentativité des groupes ou à la spécificité du thème de la discussion et sur les modes de passage qui l’expliquent.
-
[44]
Et pourtant, on l’a dit, ces dimensions structurent l’univers idéologique des citoyens français et le thème soumis à la discussion le suscitait particulièrement.
1 L’objectif de cet article est de fournir quelques pistes de réflexion, à partir du cas français, sur l’intérêt persistant de la notion de clivage. Cette dernière est un concept clé de la science politique mais depuis plus d’une dizaine d’années, des études, notamment électorales, l’ont interrogée. Après les travaux effectués dans les années soixante qui expliquaient la stabilité des systèmes de partis par le fait qu’ils continuaient à exprimer les clivages qui avaient présidé à leur fondation [1], ceux menés dans les années soixante-dix et quatre-vingts ont discuté et parfois contesté [2] cette interprétation. Tout en montrant l’importance des questions idéologiques, ils ont refusé d’utiliser la notion de clivage au motif que les choix politiques, marqués par une logique de “particularisation”, n’exprimaient plus des allégeances collectives mais renvoyaient simplement à des enjeux ponctuels [3]. En effet, l’usage du terme de clivage suppose : que l’on fasse référence à des antagonismes générés par des conflits collectifs; que ces antagonismes, même s’ils s’expriment sur le plan idéologique, renvoient à des processus sociopolitiques de grande ampleur historiques (du même type que les processus d’urbanisation, de construction nationale, d’industrialisation et de sécularisation mis en avant par Lipset et Rokkan); qu’ils soient construits et entretenus par des organisations politiques, et spécifiquement par le travail partisan; qu’ils façonnent les identifications politiques individuelles et les processus de politisation qui les sous-tendent.
2 D’ailleurs, à l’origine, la réflexion de Lipset et Rokkan associe bien une analyse de la genèse des systèmes partisans européens et une interrogation sur les phénomènes de politisation indissociables des processus de démocratisation des sociétés européennes. La notion de clivage permet ce lien dans la mesure où ces clivages, façonnés par les organisations politiques, donnent à voir les lignes de partage de la communauté politique et contribuer à structurer et plus encore hiérarchiser les identifications des citoyens et donc à les politiser : “Pour le sociologue, les partis exercent une double fascination. Ils contribuent à cristalliser et rendre explicites les intérêts conflictuels, les tensions latentes et les contrastes présents dans la structure sociale et ils forcent les sujets et les citoyens à se rassembler sur des lignes de clivages structurels et à établir des priorités au sein de leurs engagements à l’égard des rôles prescrits ou prospectifs qu’ils ont dans le système” [4].
3 Étudiant à la fois les transformations du système partisan français et les processus de politisation à l’échelle individuelle [5], cet article est l’occasion de mettre en relation ces deux domaines de recherche afin d’ouvrir de nouvelles pistes comparatives (dans le temps comme dans l’espace). Il vise à rappeler l’intérêt d’une grille de lecture rokkanienne mais non pas à l’appliquer de manière orthodoxe. En effet, s’agissant de l’analyse des systèmes de partis, le point de vue adopté ici est, dans la logique de Lipset et Rokkan, décalé puisqu’il tente d’observer les transformations à la marge du système partisan pour repérer les clivages qui le travaillent. En outre, en plaçant les clivages au cœur de l’analyse des logiques individuelles de politisation, cet article suit une piste suggérée par Lipset et Rokkan mais finalement peu empruntée. Ce déplacement et ce renouvellement ne font que confirmer la pertinence de la notion de clivage. Celle-ci reste essentielle pour comprendre non seulement les transformations partisanes et les formes individuelles de politisation, en situation, mais encore, et sans doute davantage, les impasses contemporaines dans lesquelles se trouvent ces deux types de processus.
Les clivages dans la transformation du système partisan français
4 Originellement la notion de clivage a été forgée pour étudier de manière comparative la genèse des systèmes partisans européens, on doit donc tester son actualité en l’appliquant aux transformations de ceux-ci. Dans les années quatre-vingt, à l’instar d’autres systèmes européens, le système partisan français s’est une première fois transformé avec l’installation des Verts et du Front national. Ces nouveaux partis étaient porteurs d’enjeux spécifiques (respectivement les questions d’environnement et d’immigration) et articulés autour du clivage libertarians/authoritarians [6]. À la fin des années quatre-vingt-dix, la fragmentation s’est accrue selon des logiques plus éclatées. Elle a été alimentée par de nombreuses scissions, principalement à droite [7], et quelques créations [8].
5 L’objectif est ici de partir de l’analyse de ces transformations à la marge du système partisan pour repérer les clivages qui le travaillent. Cet angle d’attaque n’est pas très orthodoxe dans la mesure où les analyses de Lipset et Rokkan s’appliquent à l’équilibre général des systèmes partisans nationaux et non aux destins particuliers des organisations en tant que telles [9]. Reste qu’il nous semble aujourd’hui particulièrement nécessaire d’observer aussi les changements partisans de second ordre, ceux qui ne déstabilisent que temporairement le système global, car ces changements sont des symptômes qui signalent l’existence de clivage imparfaitement pris en charge par les organisations dominantes.
6 La simple description des diverses scissions et défections apparues à la fin des années quatre-vingt-dix fournit des éléments de repérage des lignes de fractures socio idéologiques qui sont à l’œuvre et, au-delà, des clivages qui se profilent. Ceux-ci renvoient directement aux analyses rokkaniennes et témoignent donc de la permanence des vieux clivages, parfois dissimulés derrières de nouveaux enjeux. En effet, le premier clivage renvoie au processus de construction nationale, il met en jeu la dimension nationale face à l’affirmation de la construction européenne. Avec le MDC, le MPF, le RPF et le CPNT émerge une série d’organisations eurosceptiques, parfois souverainistes, prenant position pour une réaffirmation de l’État-Nation. À l’exception de la première, l’existence des trois autres (dans une moindre mesure le CPNT puisqu’il a attiré des militants venus des partis de droite mais également de gauche) ne peut être comprise qu’en tenant compte du fait que la droite française a affirmé officiellement des positions proeuropéennes et que s’agissant de l’ex-RPR, ce choix a été fait, au sommet, en contradiction avec le positionnement de nombreux de ses membres.
7 Le deuxième clivage met en jeu l’opposition ordre moral/permissivité et, à travers lui, l’adhésion à l’univers catholique traditionnel. En effet, qu’il s’agisse du MPF de Philippe de Villiers particulièrement bien implanté dans la Vendée conservatrice et catholique ou de la Droite Libérale et Chrétienne de Charles Millon et de l’organisation créée par Christine Boutin, toutes trois fortement liées aux milieux et associations catholiques les plus traditionnelles. Il s’agit bien, à partir de ces créations partisanes, d’une forme d’activation d’un clivage religieux s’incarnant dans un mouvement de réaction catholique à l’évolution des mœurs [10] et à l’adaptation même du catholicisme à ces transformations. Même si ces organisations sont de faible envergure et de courte durée de vie [11], elles signalent que le vieux clivage religieux génère toujours des tensions et qu’il demeure présent dans le système partisan français, en particulier à droite.
8 Le dernier clivage s’exprime sur des questions d’environnement et d’usage de la nature et s’inscrit dans une ligne de fracture d’ordre territorial. Il est particulièrement illustré par la création du CPNT [12], défenseur de la ruralité et des coutumes qui lui sont associées contre un mouvement écologiste qui se développe, en priorité, en milieu urbain. Là aussi, il s’agit d’une activation d’un clivage urbain/rural classique dont les manifestations idéologiques et les formes de recoupement avec le clivage centre/périphérie mériteraient des études plus approfondies.
9 Il ne s’agit pourtant pas de prétendre que l’impact de ces clivages est le facteur explicatif de ces changements. Les contraintes et dynamiques propres au système politique [13] sont évidemment décisives pour comprendre ces transformations. Elles englobent des questions d’ordre institutionnel désignant à la fois les contraintes générées par le système politique et d’ordre organisationnel renvoyant à la compétition partisane à l’intérieur de chaque parti. S’agissant de la France, un premier facteur institutionnel est évidemment la poursuite de la logique de présidentialisation des partis et des carrières politiques [14] mais l’enjeu que constituent les questions de financement des partis intervient également [15]. Enfin, des facteurs propres à la compétition interne des organisations politiques marquent également, de manière essentielle, les transformations du système partisan : la scission FN/MNR ou celle de l’UDF [16] en constituent des illustrations.
10 Mais si l’on admet que ces mouvements sismiques, de plus ou moins grande ampleur (scissions, créations, fusions), ne se répartissent pas au hasard mais sur des lignes de fracture significatives, on peut alors faire l’hypothèse qu’ils donnent à voir les clivages que les organisations dominantes ne prennent qu’imparfaitement en compte. S’agissant des partis français, les données quantitatives fournissent d’ailleurs des preuves de cette défaillance. Ainsi une analyse consacrée, en 2000, à la mesure de l’adéquation des lignes de fragmentation partisane [17] aux lignes de fractures social et idéologiques de l’électorat [18] le confirme et rend difficile, dans le cas français, l’adhésion à la thèse du “gel des clivages” [19]. En effet, les individus se différencient bien sur des dimensions (et non seulement des enjeux) de nature idéologique, mais ces différences ne se reflètent que très partiellement dans leurs choix partisans. À l’intérieur de la gauche comme à l’intérieur de la droite, des nuances sont repérables selon les univers partisans (par exemple, de manière attendue, l’UDF plus enracinée dans le milieu catholique que ses concurrents de droite). Mais les contours sociologiques et idéologiques définissant les sympathisants des partis sont plutôt affaire de nuances que de contrastes et restent trop flous et perméables pour qu’ils ne dessinent des entités partisanes clairement identifiables à l’intérieur de chaque camp.
11 Deux types d’interprétations, difficiles à départager, sont avancés pour expliquer ce phénomène. La première, qui alimente la thèse du réalignement partisan [20], met en avant le décalage temporel entre changement social et changement politique. Elle ne renvoie pas seulement au phénomène si connu d’inertie des organisations mais implique également les électeurs qui, eux aussi, rechignent, à leur manière, au changement. Les allégeances partisanes s’ossifient, en quelque sorte, avec l’âge [21] et leur plasticité se réduit. Pour l’essentiel, les changements sociaux se traduisent donc dans des changements partisans par le mouvement de renouvellement générationnel. Dans le cas français, ce phénomène est particulièrement flagrant à gauche où, en 2000, les différences idéologiques expliquent moins la fragmentation partisane que les différences générationnelles [22]. Un des points faibles de cette interprétation est toutefois l’affaiblissement de la fonction socialisatrice des partis chez les jeunes générations [23].
12 Le deuxième type d’interprétation considère qu’il existe une sorte de décalage fonctionnel et s’inscrit davantage dans la thèse d’un désalignement partisan. Si l’on admet que les organisations politiques sont moins les produits des divisions sociales et idéologiques que le contraire [24], ce décalage désigne donc la difficulté des partis à contribuer à la fabrication des identifications, en particulier sociales. Dans le cas français, la faiblesse cette interprétation, tient au fait que les antagonismes partisans ne se sont pas émoussés [25]. En effet, toutes choses égales par ailleurs, le nombre de partis rejetés (ceux pour qui l’on ne voterait en aucun cas) a même augmenté. Or, ce rejet ne peut être simplement assimilé à une désaffection générale à l’égard de toutes les organisations puisqu’il prend une forme politisée et polarisé : la désignation de parti-adversaire augmente à mesure que l’on est plus intéressé à la politique ou plus proche d’un parti. Cette évolution renvoie largement à un phénomène de polarisation asymétrique autour d’un côté du FN et de l’extrême gauche. Mais, les autres partis (y compris en 2002, des organisations telles que les Verts ou l’UDF) voient aussi leur rejet augmenter [26]. Ce constat du maintien d’une forte polarisation du système partisan français apparaît donc comme un ultime argument pour reconsidérer la notion de clivage et le rôle des partis dans leur formation.
Les clivages dans les processus de politisation individuelle
13 Historiquement, la politisation dans les sociétés démocratiques s’est appuyée sur deux phénomènes conjoints : la spécialisation d’une sphère d’activité répondant au principe de division du travail politique et la participation des citoyens et donc une forme d’acculturation au politique passant, en particulier, par la constitution d’identifications collectives antagonistes et donc, par une forme d’expression des conflits. La constitution de ces clivages a pu être considérée comme un vecteur d’intégration par la politisation. Peut-on penser aujourd’hui la politisation individuelle sans clivage et ne la mesurer qu’en termes de distance à une sphère spécialisée ? Les recherches que nous menons sur la politisation des discussions [27] militent pour une prise en compte des deux dimensions de la politisation que sont la spécialisation et la conflictualisation. En réintroduisant cette deuxième dimension, elles placent au centre de la saisie des mécanismes de politisation le repérage des clivages, entendus comme des lignes de partage qui sépareraient la communauté politique en camps. Ce déplacement de perspective suppose la mise en œuvre de méthodologies spécifiques car, comme le souligne Stefano Bartolini dans ce numéro, la spécificité de la notion de clivage tient au fait qu’elle renvoie à des divisions multidimensionnelles, des lignes d’opposition structurantes, qui forment système et sont dotées d’une certaine stabilité. Le terme ne convient pas lorsque l’on a à faire avec de simples enjeux mouvants ou ponctuels, à de simples opinions.
14 Si l’on utilise des données quantitatives, il faut alors disposer d’un outil statistique permettant d’aller au-delà des opinions et de dégager les structures de l’univers socio-idéologique des électeurs français. Pour ce faire, l’analyse de correspondance multiple (ACM) (et la représentation graphique qu’elle permet) est précieuse. Elle fonctionne sur trois principes particulièrement utiles quand on cherche à prendre au sérieux la notion de clivage : la structuration, la condensation et la hiérarchisation. Les axes qu’elle révèle permettent de saisir les dimensions structurantes d’un univers, ils synthétisent ou condensent un ensemble de variables permettant d’élaborer des sortes de cartes de clivages. Enfin, le poids de ces dimensions est pris en compte par la hiérarchisation de chacun de ses axes rendue possible par la comparaison de leurs contributions respectives.
15 Depuis la fin des années quatre-vingts, les différentes ACM effectuées [28] mettent au jour le même type de lignes d’opposition des univers idéologiques des électeurs et une même hiérarchisation de celles-ci. Cette stabilité [29], premier critère pour que l’on puisse parler de clivage, fournit la garantie de l’existence d’une structuration. Les individus se différencient bien sur des dimensions (et non seulement des enjeux) de nature idéologique. Reste à tester le deuxième critère autorisant à utiliser la notion de clivage et à évaluer si ces dimensions se fondent sur des transformations sociopolitiques de grande ampleur et génératrices de tensions. L’axe principal mis en lumière par ce type d’analyse est celui qui condense les dimensions ethnocentristes, autoritaire et antieuropéenne; le deuxième axe associe des variables économiques et sociales [30]. Le premier axe, plus hétérogène que le second, est généralement interprété en termes de conflits de valeurs, soit par l’opposition entre “universalisme” et “anti-universalisme” [31], soit par celle entre “société ouverte” et “société fermée” [32].
16 Dans la lignée des analyses de Lipset et Rokkan, nous voudrions soumettre à la discussion l’hypothèse selon laquelle cet axe renvoie au processus de transformation de l’autorité de l’État, incarnée dans son activité d’établissement des frontières, de définition de la communauté politique et de pouvoir de coercition sur celle-ci. En effet, cet axe est, rappelons-le, construit à partir de variables 1) sur l’attitude à l’égard des immigrés, qui renvoie à l’identité de la communauté nationale, 2) sur le jugement porté sur l’intégration européenne, qui met en jeu des processus de construction et déconstruction de l’État-Nation, et 3) sur le rapport à l’autorité et, essentiellement, sur une question portant sur le rétablissement de la peine de mort [33]. Or, cet enjeu désigne la prérogative fondatrice de l’État, à sa fonction répressive enracinée dans le monopole qu’il détient sur la violence. On saisit, par cet exemple, tout l’intérêt d’une discussion menée à partir des clivages rokkaniens en particulier parce que cette grille de lecture conduit à établir un lien entre les transformations idéologiques et sociales. De manière similaire, il serait utile de mettre à l’épreuve plus systématiquement les autres dimensions mises en avant par Lipset et Rokkan pour reformuler la nature des enjeux et des conflits qu’elles génèrent aujourd’hui.
17 Si l’on veut maintenant non pas travailler sur la structure de clivages mais sur les mécanismes qui facilitent ou entravent leur expression, le recours aux données qualitatives n’est précieux que si l’on mobilise une méthode adaptée à cet objectif de recherche. En effet, l’entretien individuel non ou peu structuré répond mal à cet objectif puisqu’il fonctionne selon une logique d’approfondissement et de révélation des ambivalences plus que selon une logique de polarisation et de révélation des antagonismes [34]. L’entretien collectif peut apparaître comme un meilleur dispositif pour faire émerger les clivages dans la mesure où il met en place un cadre collectif et contradictoire. Cependant, à l’exception de certains groupes sociaux qui célèbrent le culte du désaccord, voire même fondent leur identité sur une forme de culture du conflit [35], la vie sociale est généralement tendue vers la préservation de l’ordre et l’évitement des conflits [36]. Dès lors, pour pouvoir travailler sur les clivages, il faut créer les conditions pour qu’ils puissent être observés [37]. Le mode d’animation doit donc faciliter l’expression du désaccord en le provoquant ou le dédramatisant. Le mode d’analyse doit privilégier non pas l’analyse des opinions et des argumentations mais des formes d’opposition et d’implication. En effet, dans une discussion, on peut considérer que s’exprime un clivage, et non une simple opinion, quand les lignes d’opposition sont révélés et qu’elles sont assorties d’une forme d’implication, d’investissement de soi [38]. Apparaissent alors des identifications antagonistes parce que les prises de paroles révèlent des choix qui ne se font pas “comme le client d’une quincaillerie choisit des ouvre-boîtes étalés sur les rayons” [39] mais conduisent à une forme de hiérarchisation des appartenances, parfois coûteuse, et d’opposition aux autres, généralement risquée.
18 L’analyse des mécanismes présidant à la politisation de ces discussions et la réflexion sur l’expression des clivages engagée dans ce cadre ne sont encore qu’au stade de l’expérimentation [40]. Il ne s’agit d’ailleurs pas ici de présenter les pistes qu’elles dessinent [41]. Dans la logique de cet article, construit sur une mise en regard de réflexions sur les transformations du système partisan et sur les processus de politisation individuelle, on peut, toutefois, s’interroger sur le passage d’une échelle à l’autre et sur la correspondance entre les processus de politisation à l’échelle d’individus engagés dans une discussion et ceux qui émergent au sein de la communauté politique, voire même du système politique. Charles Tilly, dans son dernier ouvrage [42], constate et illustre l’intérêt du modèle de la conversation pour l’étude du politique et particulièrement des mouvements d’action collective. Le travail sur les discussions et sur leur politisation confirme la prégnance de cette analogie [43]. Tout comme la compétition partisane implique une hiérarchisation des enjeux incarnée dans la construction des camps et des alliances; l’implication dans une discussion suppose une hiérarchisation des appartenances et, très concrètement, de faire alliance avec d’autres membres du groupe. Sur ce dernier point d’ailleurs, les enseignements tirés de l’analyse de ces discussions permettent d’interroger le fonctionnement du système politique. En effet, dans ces discussions, le clivage social a paru générer une plus forte implication que l’opposition autorité/permissivité combinée à celle qui porte sur la place des immigrés dans la société française [44].
19 Interpréter ce phénomène dans toutes ces dimensions – notamment méthodologiques – n’est pas possible dans le cadre de cet article, mais on peut suggérer l’hypothèse suivante : si cette opposition n’a pas suscité l’implication individuelle attendue, c’est que la superposition des dimensions qui la constituent n’est pas évidente. Schématiquement, telles que l’on peut l’observer concrètement dans les discussions, les personnes prêtes à s’impliquer par solidarité avec les immigrés étaient les personnes les moins favorables à un renforcement de l’autorité. Or, elles étaient confrontées à des personnes issues de l’immigration qui défendaient justement ces valeurs d’autorité. Leur incapacité à hiérarchiser leurs appartenances et à construire un système d’alliance dans le groupe entravait leur implication et la constitution d’un véritable clivage. Par analogie, on pourrait s’interroger alors sur la manière dont cette opposition multidimensionnelle est (ou n’est pas) hiérarchisé dans le système partisan.
20 L’objectif principal de cet article est de convaincre de la pertinence de la notion de clivage et de l’intérêt de la retravailler pour comprendre les transformations de la société et du système politique français. La pertinence de la notion passe par un retour à son sens originel et suppose donc de chercher, derrière les dimensions idéologiques, les processus sociopolitiques qui les fondent. Elle doit également conduire à l’élaboration d’indicateurs (pour mesurer, par exemple, l’impact de clivages quelque peu négligés, tels que le clivage urbain/rural ou centre/périphérie) et de méthodes (en particulier de méthodes qualitatives indispensables pour comprendre la dynamique des clivages). Mais elle exige aussi un déplacement de perspective car comprendre les logiques de transformation du système politique français (et sans doute bien d’autres), c’est aussi s’interroger sur les ratés des partis dans la prise en charge des clivages ou sur les impasses de la politisation comme forme d’intégration par le conflit. Dès lors, au-delà de l’indispensable repérage des clivages, il reste à travailler sur les tensions que génère, aujourd’hui comme hier, leur hiérarchisation.
Notes
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[1]
ROSE R., URWIN D. W., “Persistence and Change in Western Party System Since 1945”, Political Studies, 18/3,1970.
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[2]
Voir, en particulier FRANKLIN M.N., MACKIE T.T., VALEN H., Electoral Change. Response to Evolving Social and Attitudinal Structures in Western Societies, Cambridge/New York, CUP, 1992 ; GOFFMAN E., “La mise en scène de la vie quotidienne”, Vol.1 La présentation de soi et Vol.2 Les relations en public, Paris, Minuit, 1979.
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[3]
“The outcome seems hardly conducive to the generation of deeply felt identification that serve to divide large numbers of voters along new lines of cleavage into a small members of groups. On the contrary, our observations suggest that postindustrial society may no longer have capacity to socialize people into loyalty towards social groups”: FRANKLIN M.N., MACKIE T.T., VALEN H., op.cit., 1992.
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[4]
LIPSET S.M., ROKKAN S., “Cleavage Structures, Party System and Voter Alignment : An Introduction”, in LIPSET S.M., ROKKAN S., Party System and Voter Alignment. Cross National Perspectives, New York, The Free Press, 1967.
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[5]
Les recherches consacrées aux processus de politisation et de dépolitisation des discussions, ont toujours été conçues, conduites et publiées avec Sophie Duchesne. Les analyses présentées dans la dernière partie de cet article sont fondées sur ces travaux et donc enracinées dans une réflexion commune. Toutefois l’expression qu’elles prennent ici n’engage évidemment que moi.
-
[6]
KITSCHELT H., The Radical Right in Western Europe : A Comparative Analysis, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1995.
-
[7]
À gauche, la principale scission a pris la forme de l’autonomisation, en décembre 1993, du Mouvement Des Citoyens (MDC) devenu Mouvement Républicain et citoyen (MRC). Àdroite, les scissions se sont faites en chaîne : en 1994, création du Mouvement Pour la France (MPF) par Philippe de Villiers qui s’associe à Charles Pasqua pour fonder le Rassemblement Pour la France (RPF), en 1998; création par Charles Millon de La Droite qui devient en 1999 la Droite Libérale et Chrétienne, autonomisation de Démocratie Libérale (DL) en 1998; création par Christine Boutin, en 2002, du Forum des Républicains sociaux (FRS). La scission de l’extrême droite et la création en janvier 1999, du Mouvement National Républicain (MNR) par Brunot Mégret participe de la même logique de fragmentation.
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[8]
La fragmentation partisane est également entretenue par l’émergence sur la scène électorale d’une nouvelle organisation Chasse Pêche Nature et Tradition (CPNT), créé dès 1989 à partir des mobilisations des chasseurs contre les directives européennes et les associations écologistes.
-
[9]
HOTTINGER J.T, “Le ‘dégel des clivages’ ou une mauvaise interprétation de la théorie de Lipset et Rokkan ?”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.2, n°1,1995.
-
[10]
Il met en jeu des questions morales et éthiques (droits des homosexuels, défense de la famille, inscription des valeurs chrétiennes dans la constitution européenne, etc.).
-
[11]
Pour l’essentiel, ces organisation ont aujourd’hui rejoint l’UMP sous la forme d’une adhésion individuelle directe (c’est le cas de DLC) ou d’un statut de mouvements associés (c’est le cas du Forum des républicains sociaux).
-
[12]
TRAÏNI C., Les braconniers de la République, Paris, PUF, 2003.
-
[13]
BARTOLINI S., “Institutional Constraints and Party Competition in the French Party System”, in BARTOLINI S., MAIR P., Party Politics in Contemporary Western Europe, London, Frank Cass, 1984.
-
[14]
Dans le système partisan français, la candidature présidentielle apparaît comme un moyen d’affirmer son existence et de disposer d’une audience pour un certain nombre de sous-leaders politiques. Elles conduits parfois à la scissions d’autant que la diffusion de la règle de sélection partisane des candidats présidentiels (sous la forme d’une désignation des candidats par les adhérents des partis politiques) rend parfois nécessaires les stratégies de défection quand on est un challenger dans son parti.
-
[15]
La propension française à créer des nouveaux partis est trop ancienne pour qu’elle puisse être rapportée exclusivement aux intérêts financiers que génère l’adoption d’un financement public en 1988. D’autant que le créations ou scissions partisanes interviennent généralement dans le contexte d’élection de second ordre, régies par un scrutin proportionnel et ne permettant pas l’accès au financement public (principalement les élections européennes). Néanmoins, des objectifs financiers interviennent bien dans la décision des nouvelles organisations de se présenter aux élections législatives et, dès lors, de tenter d’intervenir au cœur même du système partisan français. Dans le cas du CPNT, par exemple, la mise en cause de son circuit de financement particulièrement opaque du fait du caractère parapublic des grandes associations de chasse a conduit ses dirigeants a renforcé leur engagement lors des élections législatives pour bénéficier de la dotation prévue par la loi.
-
[16]
SAUGER N., Les scissions de l’UDF (1994-1999). Unité et dissociation des partis, mécanismes de transformation de l’offre partisane, Thèse de doctorat en science politique, IEP, Paris, 2003.
-
[17]
Ce type d’enquête ne permet pas saisir toute la variété des sympathies partisanes car dans le cas de nombreuses organisations, la faiblesse des effectifs de sympathisants exclut tout traitement statistique.
-
[18]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., “La fragmentation partisane”, in GRUNBERG G., MAYER N., SNIDERMAN P. M., La démocratie à l’épreuve, Paris, Presses de Sciences-Po, 2002.
-
[19]
MAIR P., “L’hypothèse du gel des clivages politiques : une évaluation”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.5, n°3,1998.
-
[20]
Voir les deux ouvrages récemment parus sur l’enjeu des réalignements politiques dans le cas français : MARTIN P., Comprendre les évolutions électorales : la théorie du réalignement revisitée, Paris, Presses de Sciences-Po, 2000 ; MICHELAT G., SIMON M., Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, Paris, Presses de Sciences-Po, 2004.
-
[21]
À propos du changement de valeurs, R. Inglehart utilise le terme “d’immunisation générationnelle”: INGLEHART R., “The Silent Revolution in Europe : Intergenerational Change in Postindustrial Societies”, The American Political Science Review, 65,41,1971, pp.991-1017.
-
[22]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op.cit., 2002.
-
[23]
MUXEL A., L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2001.
-
[24]
Comme l’écrit Sartori (cité par Zuckerman : ZUCKERMAN A., “Political Cleavage : a Conceptual and Theoretical Analysis”, British Journal of Political Science, 5,1975) :”To put it bluntly, it is not ‘objective’ class (class conditions) that creates the party, but the party that creates the ‘subjective’ class (class consciousness)… The party is not a ‘consequence’. Rather and before, it is the class that receives its identity from the party”. Les travaux de A. Przeworski et J. Sprague sur l’impact du mouvement socialiste sur la construction de l’identification à la classe ouvrière l’illustrent parfaitement : PRZEWORSKI A., SPRAGUE J., Paper Stones. A History of Electoral Socialism, The University of Chicago Press, Chicago and London, 1986.
-
[25]
CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op.cit., 2002.
-
[26]
La seule exception notable concerne le PCF, seule organisation dont le rejet régresse, son déclin entraînant le recul progressif de l’anti-communisme dans l’opinion.
-
[27]
DUCHESNE S., HAEGEL F., “Politisation et conflictualisation : de la compétence à l’implication”, dans PERRINEAU P., (dir.), La démocratie désenchantée, La Tour d’Aigues, 2003 ; DUCHESNE S., HAEGEL F., “La politisation des discussions, au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation”, Revue française de science politique, 54(6), décembre 2004.
-
[28]
Voir en particulier, MAYER N., Ces Français qui votent Le Pen, Paris, Flammarion, 1999 ; CHI-CHE J., LE ROUX B., PERRINEAU P., ROUANET H., “L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990”, Revue française de science politique, vol. 50, n°3,2000 ; CHICHE J., HAEGEL F., TIBERJ V., op. cit., 2002.
-
[29]
Il existe évidemment certaines nuances selon les enquêtes dans la mesure où les variables prises en compte dans les ACM ne sont pas toujours rigoureusement les mêmes, les questions posées n’étant pas toujours identiques.
-
[30]
Les variables mobilisées dans la construction de ce deuxième axe apparaissent plus fluctuantes que celles qui alimente le premier axe. En effet, alors que s’agissant de l’ethnocentrisme ou de l’autoritarisme, quelques questions se sont imposées dans les enquêtes françaises, pour saisir les dimensions économique et sociale, de fortes variations existent d’une enquête à l’autre. Il peut s’agir soit de questions sur les jugements portés sur la grève, les syndicats, le profit, etc. (CHICHE et al., op.cit., 2000), soit de questions portant sur les modèles de réussite sociale (ibidem). Une réflexion sur ces indicateurs et une plus grande stabilité de ceux-ci seraient utiles.
-
[31]
GRUNBERG G., SCHWEISGUTH E., “Recompositions idéologiques”, dans L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences-Po, 1997, pp.139-178.
-
[32]
CHICHE et al., op.cit., 2000.
-
[33]
La question portant sur les priorités de l’école (“donner le sens de la discipline ou de l’effort” ou “former avant tout des gens à l’esprit éveillé”) participe également le plus souvent de cette dimension. Elle renvoie de manière moins directe à cet enjeu que constitue la réaffirmation de l’autorité publique.
-
[34]
Sauf, bien sûr à envisager des entretiens individuels contradictoires mais leur pratique est difficile en raison des tensions qu’ils génèrent entre l’interviewé et l’intervieweur.
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[35]
Ce modèle est repérable dans des groupes domestiques mais également au sein de groupes politiques, certaines organisations d’extrême gauche fonctionnent sur la mise en scène des clivages et témoignent du fait que les conflits peuvent sédimenter une histoire et une identité communes.
-
[36]
GOFFMAN E., op.cit., 1979.
-
[37]
Pour un traitement plus complet des questions méthodologiques voir : DUCHESNE S., HAEGEL F., Les entretiens collectifs, Paris, Nathan (128), 2004.
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[38]
Cette forme d’implication est repérable par des indicateurs variés. En effet l’implication suppose le plus souvent : que l’on prenne plusieurs fois la parole sur ce thème parce qu’on est attaché à faire valoir son point de vue, que ces prises de parole revêtent une densité émotionnelle, qu’elles donnent à voir les division du groupe (en s’impliquant, on entraîne les autres à se dévoiler) etc.
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[39]
TILLY C., “Stein Rokkan et les identités politiques”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol.2, n°1,1995.
-
[40]
Elle ne porte que sur trois entretiens collectifs menés à Paris sur le thème de la délinquance. La question de la validité de nos premiers résultats à d’autres communautés nationales reste entière, c’est pourquoi l’étape suivante de notre recherche inclut une perspective comparative.
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[41]
DUCHESNE S., HAEGEL S., op.cit., 2004.
-
[42]
TILLY C., Stories, Identities and Political Change, Lanham MD, Rowman and Little field, 2002.
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[43]
Il doit aussi conduire à se méfier de cette analogie et à s’interroger sur ce qu’elle empêche de saisir, sur ses limites en raison des biais liés à la représentativité des groupes ou à la spécificité du thème de la discussion et sur les modes de passage qui l’expliquent.
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[44]
Et pourtant, on l’a dit, ces dimensions structurent l’univers idéologique des citoyens français et le thème soumis à la discussion le suscitait particulièrement.