Notes
-
[1]
Dans le sens de : MORAN M., Governing the Health Care State. A Comparative Study of the United Kingdom, the United States and Germany, Manchester and New York, Manchester University Press, 1999.
-
[2]
Pour la France : PINELL P., Une épidémie politique. La lutte contre le Sida en France, 1981-1996, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 ; BARDOT J., Les malades en mouvement : la médecine et la science à l’épreuve du Sida, Paris, Balland, 2002.
-
[3]
SIMON H.A., “The Structure of Ill-Structured Problems”, in Artificial Intelligence, n° 4,1973, pp. 181-201.
-
[4]
PETERS G.B., Comparative Politics. Theory and Methods, Londres, MacMillan Press, 1998.
-
[5]
Le cas correspond à deux catégories (la deuxième et troisième) dans le schéma d’Olivier Giraud dans ce présent numéro.
-
[6]
BOYER R., “Variétés du capitalisme et théorie de la régulation”, L’Année de la Régulation, vol. 5, 2002, pp. 125-194.
-
[7]
Des taux d’infection au VIH égaux ou inférieurs à la moyenne de l’UE sont observés uniquement en Nouvelle-Zélande et en Australie, petits pays par rapport aux populations mondiales, et dans la région du Magreb-Moyen Orient où les statistiques ne reflètent pas forcément la réalité, mais où la stricte régulation de la sexualité semble avoir contenu jusqu’à présent l’impact de l’épidémie (UNSIDA, Rapports annuels).
-
[8]
La prévalence de l’infection au VIH va de près de 90 personnes adultes atteintes sur mille en Afrique sub-saharienne à trois sur mille dans l’UE et un en Australie/Nouvelle-Zélande, en passant par six pour l’Asie du Sud et Centrale, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Nord et du Sud (Chiffre du 31 décembre 2002, UNSIDA/OMS).
-
[9]
Pour une analyse comparée des conditions entre l’Europe occidentale et les pays ex-communistes, cf. STEFFEN M., “Protection sociale et management de la santé publique en Europe de l’Ouest et de l’Est”, Matériaux pour l’histoire de notre temps, Revue de la bibliothèque de documentation internationale contemporaine, n° 53,1999, pp. 53-62.
-
[10]
Thèse développée par les fondateurs de la médecine sociale au XIXème siècle, notamment le Dr. Virchow en Allemagne. ROSEN G., From Medical Police to Social Medecine : Essays on the History of Health Care, New-York, Sciences History Publications, 1974, pp. 62.
-
[11]
MONTAGNIER L., Rapport sur le Sida, Rapport au Premier Ministre, Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville. Ministère délégué à la Santé, décembre, Paris, 1993.
-
[12]
Dans les classifications établies par la littérature portant sur l’État providence, ces deux types d’organisation du secteur de la santé relèvent respectivement des modèles bevéridgien et bismarckien de l’État providence.
-
[13]
Nous ne détaillons pas ici ces méthodes, tout à fait classiques dans la recherche sur les politiques publiques. Une trentaine d’entretiens ont été menés dans chaque pays avec les acteurs stratégiques, publics et privés, à l’occasion desquels des documents internes ont été recueillis : étude systématique des rapports officiels, documents administratifs et évaluations, etc., ainsi que l’exploitation de la littérature internationale. L’enquête principale s’est déroulée entre 1991 et 1995, avec une actualisation en 1999-2000.
-
[14]
Nous avons bénéficié d’un budget de l’ANRS permettant de recourir à des vacations pour des enquêtes de terrain sur des sujets précis, par exemple la “politique de substitution” (méthadone) en Allemagne, ou les “rapports entre les associations privées et autorités publiques locales” concernant la prévention en Italie. Une source de collaboration, portant directement sur le sujet et extrêmement utile pour obtenir des données sélectionnées et soumettre nos hypothèses et résultats intermédiaires à la discussion critique, a été notre participation dans plusieurs groupes de recherche internationaux : BERRIDGE V. et STRONG P., (ed. by), AIDS and Contemporary History, Cambridge, Cambridge University Press, 1993; KIRP D.L. et BAYER R., (ed. by), AIDS in the Industrialised Democracies : Passions, Politics and Policies, New Brunswick, Rutgers Publishers, 1992 ; FELDMAN E. et BAYER R., (ed. by), Blood Feuds. AIDS, Blood and the Politics of Medical Disaster, New York et Oxford, Oxford University Press, 1999; BOVENS M., ‘t HART P. et PETERS B.G., (ed. by), Success and Failure in Public Governance : A Comparative Analysis, Londres, Edward Elgar Publishers, 2001.
-
[15]
À quoi s’ajoute l’exigence de maîtriser la langue de chaque pays de la comparaison.
-
[16]
PINELL P., op.cit., 2002.
-
[17]
ROSENBROCK R. and WRIGHT M.T., Partnership and Pragmatisme. Germany’s Response to AIDS Prevention and Care, Londres et New York, Routledge, 2000.
-
[18]
Pour l’Espagne, le Portugal, la Grèce, le retard dans le policy timing va jusque quinze ans.
-
[19]
L’Agence française de lutte contre le Sida, créée en 1989, est dissoute en 1994. Ses compétences sont alors reprises dans la Direction générale de la Santé au ministère.
-
[20]
ROSENBROCK R, SHAEFFER D., DUBOIS-ABER F., MOERS M., PINELL P. et SERBON M., “The Normalisation of Aids in Western European Countries”, Social Sciences and Medecine, n° 50, 2000, pp. 1607-1629.
-
[21]
FEE E. and FOX D.M., AIDS.The Making of a Chronic Desease, Berkeley, Los Angeles et Londres, University of California Press, 1992.
-
[22]
Sous peine de conclure à une diversité irréductible des politiques mises en œuvre, thèse incompatible avec la formulation d’hypothèses sur l’apprentissage institutionnel et politique.
-
[23]
Pour une analyse historique détaillée du cas français, cf. HERMITTE M.A., Le sang et le droit. Essai sur la transfusion sanguine, Paris, Le Seuil, 1996. Pour une comparaison internationale, cf. FELDMAN E. et BAYER R., (ed. by), op. cit., 1999.
-
[24]
Tels que “don” d’éléments du corps humain, “liberté individuelle”, risque de “stigmatisation”.
-
[25]
Telles que sexualité déviante, infidélité conjugale, toxicomanie illégale.
-
[26]
Dans le sens traditionnel de la science politique française. JOBERT B. et MULLER P., L’État en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.
-
[27]
Cet article se limite à la démarche méthodologique. Pour les résultats détaillés, cf. STEFFEN M., Les États face au Sida en Europe, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Collection Trans-Eu-rope, 2001.
-
[28]
BERGERON H, L’État et la toxicomanie. Histoire d’une singularité française, Paris, Presses Universitaires de France, 1999.
-
[29]
Illustré par le la campagne de 1989 “Le Sida, chacun de nous peut le rencontrer”.
-
[30]
Le parti CSU (Christliche Soziale Union).
-
[31]
PAICHLER G., Prévention du Sida et agenda politique. Les campagnes en direction du grand public ( 1987-1996), Paris, Éditions du CNRS, 2002.
-
[32]
MOSSUZ-LAVAU J., Les Lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France ( 1950-1990), Paris, Payot, 1991.
-
[33]
Ce n’est qu’en 1994 que les campagnes affichent le thème “Le Sida, une priorité de santé publique”.
-
[34]
Une recherche, multipolaire et croisée, cerne les mêmes facteurs, à l’exception des “valeurs”: BOVEN M, ‘t HART P. and PETERS G. (ed. by), op. cit., 2001.
-
[35]
Durant ses six années de fonctionnement, l’AFLS a eu sept directeurs.
-
[36]
L’espace du présent article ne permet pas d’introduire la dimension européenne et sa particularité dans la comparaison : le niveau européen n’est ni véritablement international ni simplement transnational car l’UE a une compétence sur la santé publique. Pour une analyse approfondie de l’européanisation des politiques de la santé, cf. STEFFEN M., (ed. by), Europeanization of Health Policies. Issues, Challenges, and Theories, à paraître (soumis à Routledge, 2004).
-
[37]
Les résultats de la comparaison portant sur une politique de la santé publique confortent ainsi la notion de “l’effet sociétal”. MAURICE M., SELLIER F. et SILVESTRE J.J., Politiques d’éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne, Paris, PUF, 1982.
-
[38]
Symbolisée par la condamnation pénale des responsables nationaux de la transfusion sanguine.
-
[39]
Principe de précaution, droits des patients, Institut de Veille sanitaire, etc.
Cas idéal ou impossible de comparaison ?
1 Ce cas si prometteur se révèle cependant problématique. Les caractéristiques fondant son avantage heuristique sont aussi la source d’importantes difficultés méthodologiques : le Sida est un objet inédit, en mouvement rapide, source de controverses et de crises; il introduit des innovations dans toutes les politiques sectorielles chargées de le traiter. La lutte contre l’épidémie comprend des mesures multiples extrêmement diversifiées, allant de la réduction des risques sanitaires chez les toxicomanes à l’aménagement de règles régissant l’accès à l’assurance-vie, en passant par la modification des protocoles de la recherche clinique et la lutte contre les maladies transmissibles, dans les contextes aussi éloignés que la prostitution de rue et les salles d’accouchement. Comment comparer “une” politique comprenant un éventail aussi large de mesures et s’étendant sur plusieurs secteurs d’intervention publique et privée ?
2 À quel moment convient-il de saisir les évolutions et par rapport à quels chemins antérieurs ? Les événements déclenchés par la découverte de la nouvelle maladie en 1981 sont-il à prendre en considération, au même titre que la crise politique déclenchée par “l’affaire du sang contaminé”? Jusqu’où faut-il remonter dans l’histoire de chaque pays pour analyser le traitement politique des maladies sexuellement transmissibles (MST), de l’homosexualité et de la toxicomanie, afin de pouvoir cerner la part de la path-dependency et des changements, par crises ou adaptations incrémentales ? Face à un phénomène impliquant le social, dans sa profondeur jusqu’aux attitudes culturelles face à la sexualité, la maladie et la mort, et une dimension trans-sectorielle et trans-national, quel corpus d’outils conceptuels et théoriques convient-il de mobiliser ?
3 La littérature ne fournit pas de modèle pouvant décrire la gestion contemporaine d’épidémies dangereuses dans les pays développés, où la menace semblait avoir disparu avec le progrès des conditions de vie et les interventions médicales efficaces (vaccinations systématiques, médicaments antibiotiques). Les études comparatives portant sur les politiques de la santé se focalisent sur le financement et l’organisation institutionnelle du système des soins, sur la maîtrise des dépenses de santé et les conflits qui en résultent entre médecins et responsables des finances publiques. Or, le Sida n’a pas fait l’objet de mesures d’économie; il en fut même expressément exclu. Aucun traitement médical efficace n’existait à l’apparition de la maladie et lorsque les nouveaux médicaments sont arrivés sur le marché, ils ont été rendus accessibles, immédiatement et sans restriction, à tous les sidéens susceptibles d’en tirer un bénéfice médical. Le cas du Sida se positionne donc à l’inverse des grands enjeux traversant le secteur de la santé. La lutte contre le Sida a même contribué à modifier les équilibres traditionnels, notamment sur deux plans. D’une part, la position de la santé publique, traditionnellement faible et marginale par rapport à la médecine curative dominante, a été consolidée dans chaque pays comme au niveau de l’Union européenne (UE). Les politiques de la santé publique sont passées de la périphérie de “l’État médical [1]” vers le centre de l’attention politique. D’autre part, le modèle des relations médecins/malades s’est démocratisé. Des associations militantes, représentant les intérêts des malades du Sida et des personnes séropositives, se sont imposées comme interlocuteurs incontournables des médecins et institutions de prise en charge. Elles veillent sur la qualité des soins et s’intéressent de près aux progrès de la recherche clinique [2].
Comparer le changement
4 L’apparition d’une épidémie, entraînant la mort et impliquant sexe, sang et lait maternel, a été un véritable choc pour les pays occidentaux. Le cas se présente comme un moment historique clé, captant dans un temps court un grand nombre de variables, dépendantes et indépendantes. Il constitue une entrée privilégiée pour observer l’évolution des pratiques, règles et croyances dans le domaine vaste et trans-sectoriel de la santé publique.
5 La comparaison répond à un double questionnement. Le premier volet vise à comprendre un cas nouveau et insolite d’action publique, la lutte contre le Sida, et d’en saisir le contenu, les enjeux et l’évolution. Étant donné la diversité par laquelle le cas se manifeste et dans laquelle il est conceptualisé, par les acteurs et les chercheurs, seule une approche comparative permet d’en saisir le sens général, “l’essence” selon la terminologie webérienne. Le deuxième volet vise à identifier les effets produits par le cas atypique [3] dans les systèmes établis, sectoriels et nationaux. Le Sida agit comme “facteur intervenant [4]”: un événement exogène qui impose de nouvelles contraintes à son environnement, d’où son intérêt. Ce cas permet de comparer ce qui est le plus délicat à comparer : le changement et les apprentissages au changement.
6 Cet article présente une démarche comparative fondée sur l’analyse croisée, portant à la fois sur les “problèmes” et les “cas nationaux” [5]. Le premier chapitre précise la stratégie et les choix méthodologiques généraux. Le deuxième chapitre retrace la construction d’un objet comparatif, moment important car les politiques de lutte contre le Sida ont été élaborées et appliquées à travers un grand nombre de conflits et de compromis politiques, professionnels et sociaux et avec une grande variété de configurations nationales. À partir de la diversité empirique observée, nous avons “stylisé” la lutte contre le Sida, en cernant ses caractéristiques structurantes. Le troisième chapitre repère les différents niveaux de changement et leur articulation, le quatrième chapitre s’attache à montrer comment les facteurs explicatifs ont été isolés. Dans ce processus, la construction de tableaux comparatifs s’avère extrêmement utile. Ils ordonnent et articulent les données qualitatives, préfigurant ainsi les hypothèses interprétatives(Tableaux 1 et 2). Les deux schémas, à la fin de l’article, retracent la dynamique du changement. Ils montrent un cheminement spécifique pour chaque cas national.
Démarche et options méthodologiques
7 Notre recherche sur la lutte contre le Sida relève de la catégorie des comparaisons multipolaires, comprenant quatre pays étudiés à titre égalitaire. Cette option évite le biais parfois observable dans les comparaisons binationales où un cas national est construit par rapport à l’autre [6]. Le choix des pays a obéi à une triple logique tenant compte des caractéristiques des pays, de l’organisation du secteur de la santé et du modèle de l’épidémie. Au croisement de ces trois dimensions ont été retenus quatre pays : la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne, pays les plus peuplés de l’UE, le critère démographique étant à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’une épidémie.
8 La sélection comprend exclusivement des pays européens, parce que l’Europe occidentale constitue l’unique grande [7] exception dans le tableau noir de l’évolution de l’épidémie dans le monde [8]. La réussite dans la maîtrise de l’épidémie doit être mise en rapport avec une double caractéristique européenne : un régime politique démocratique et un État providence efficace, deux conditions garantissant la solidarité avec les populations à risque, l’accès aux soins médicaux et le consensus politique pour affecter des ressources suffisantes à la lutte contre l’épidémie [9]. La sélection inclut deux pays dont le régime de politiques publiques est centralisé (France, Grande-Breta-gne) et deux où il est décentralisé, formellement et dans la pratique (Allemagne, Italie). Le degré de (dé)centralisation de la vie publique, sociale, artistique et économique se reflète fidèlement dans la diffusion de l’épidémie, ce qui rappelle le caractère “politique” de tout problème de santé publique [10]. En Grande-Bretagne, la seule région londonienne, et en France, les deux régions Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, concentrent à elles seules les trois-quarts des personnes vivant avec le VIH, alors qu’en Italie et en Allemagne les cinq régions les plus touchées de chaque pays regroupent à peine les deux tiers des personnes atteintes.
9 Les quatre pays retenus représentent les différents modèles de diffusion de l’épidémie, à nette dominante toxicomane en Italie, homosexuelle en Grande-Bretagne et, à un moindre degré, en Allemagne. La France représente trois pôles sociaux et géographiques distincts, dont les effets épidémiologiques interagissent de façon cumulative : une épidémie à dominante toxicomane dans le Sud, homosexuelle à Paris et hétérosexuelle dans les DOM-TOM et au sein des populations métropolitaines en contact avec les territoires d’Outre-Mer. Bien que la France soit l’unique pays de la comparaison où trois différentes épidémies se sont développées, elle présente l’unique cas où les campagnes publiques d’information et de prévention se sont adressées longtemps exclusivement à la population générale, sans tenir compte des principes fondateurs de la science épidémiologique et de la santé publique que sont la localisation du risque et les comportements à risque. Les messages ciblés en fonction des groupes, milieux et régions spécifiquement à risque, n’ont été développés qu’à partir de 1994, après le choc du “scandale du sang contaminé”, lorsque plusieurs rapports officiels ont sévèrement critiqué la politique antérieure [11]. La France comporte une autre particularité. Alors que le territoire national inclut des régions d’Outre-Mer, à fort développement épidémiologique et transmission hétérosexuelle, les statistiques françaises ne comportent pas la mention, en usage partout ailleurs, de l’origine de l’infection par contact avec une “région à risque endémi-que”. C’est seulement sous la pression directe de la Commission Européenne et des structures d’expertise de santé publique dont l’UE s’est dotée depuis l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht ( 1993), que des modifications sont maintenant introduites dans le dispositif statistique français.
10 Le choix des pays tient compte de l’organisation du secteur de la santé qui devrait, selon une hypothèse de départ, influer sur la capacité de gérer un problème de santé publique. Les deux modèles théoriques d’organisation sectorielle sont représentés : le système national de santé (Grande-Breta-gne, Italie) et le système d’assurance-maladie (France, Allemagne) [12]. L’intérêt de ces deux modèles théoriques opposés est la place variable de la prévention par rapport aux soins : dans les systèmes nationaux de santé, la prévention fait partie du dispositif institutionnel, elle est financée et régulée en grande partie par les mêmes autorités, tandis que la compétence des régimes d’assurance-maladie se limite aux seuls soins médicaux, laissant les services préventifs en dehors de l’architecture centrale du secteur de la santé à la charge d’autres instances, le plus souvent locales.
11 Les champs sectoriels à retenir ont également fait l’objet d’un choix méthodologique, car les limites du secteur de la santé sont extensibles, pouvant inclure une vaste gamme de services préventifs, psychologiques et sociaux, et la lutte contre le Sida est multiforme, incluant par exemple la promotion des rituels de mémoire des victimes et la reconnaissance légale de l’homosexualité. La comparabilité de l’objet exige de tracer des frontières et sélectionner les sous-secteurs entrant effectivement dans le champ de l’analyse, en tenant compte du fait que leur organisation et rattachement institutionnel peuvent varier selon les pays. Nous avons retenu uniquement tout ce qui relève de la santé publique ou s’y rattache directement. L’éducation sexuelle à l’école fait ainsi partie du champ d’analyse, mais les politiques visant l’identité homosexuelle en sont exclues. La reconnaissance du couple homosexuel n’entre dans le champ que pour la partie concernant la transférabilité des droits sociaux au partenaire inactif, lui permettant d’être, par exemple, un ayant droit de l’assurance maladie. Notre comparaison de l’action publique, avec son triple versant de prévention, de soins et de solidarité, se décline ainsi dans trois sous-secteurs : maladies sexuellement transmissibles, toxicomanie, transfusion sanguine. La comparaison entre les quatre pays se trouve ainsi croisée avec trois secteurs et présente en réalité douze cas.
12 Conçue comme une comparaison multipolaire, à douze entrées, la recherche a mobilisé un large spectre d’outils théoriques : les modes d’analyse habituellement mis en œuvre dans l’étude des politiques publiques [13], les outils empruntés à la sociologie des professions, des organisations, de la mobilisation et de la médecine, les approches de l’analyse sociétale, les catégories webériennes, etc. Le fait qu’il s’agisse d’un “single-handed project” conduit par une même personne sans équipe internationale formellement constituée [14], nous a libéré de l’obligation de négocier un protocole avec plusieurs partenaires, chacun défendant un vocabulaire conceptuel spécifique, des liens de sens et cadres de références imprégnés d’une réalité nationale différente. L’économie des compromis est un avantage pour la cohérence de la méthode d’enquête, de la problématique et de l’interprétation. Le désavantage, outre une charge de travail importante [15], est de ne pas être obligé d’expliciter préalablement l’ensemble de ses propres cadres de référence. Des questions pertinentes et hypothèses guidant la recherche peuvent ainsi demeurer implicites. Cette situation inhérente à la démarche inductive, qui demeure la mieux adaptée à un cas inédit comme celui du Sida, n’est cependant que provisoire, l’explicitation se faisant nécessairement à l’étape de publication.
La construction d’un objet comparable : cerner les dimensions typiques
13 Le temps constitue un facteur doublement significatif : concrètement pour l’efficacité dans la lutte contre une épidémie et du point de vue de la démarche de recherche dès lors que celle-ci vise à analyser le changement, qui se déroule forcément entre un temps 1 et un temps 2. Du fait des décalages entre les pays, la dimension temporelle doit être intégrée dans la méthodologie comparative. Nous avons construit une périodisation idéal-typique, au sens webérien, de la lutte contre le Sida par rapport à laquelle les écarts dans le “policy timing” peuvent s’apprécier. La chronologie ideal-typique retient les séquences essentielles, dans leur déroulement réel, mais sans tenir compte de toutes les variations et particularités observées. Quatre séquences peuvent ainsi être distinguées, chacune dominée par des enjeux et des acteurs spécifiques.
Styliser les chronologies
14 La première phase est une période de reconnaissance marquée par l’incertitude qu’il s’agit de réduire. Elle dure quatre ans, de 1981 à 1984 inclus. Les premiers cas de la nouvelle maladie sont diagnostiqués aux États-Unis puis en Europe. Le virus responsable du mal est identifié ( 1983), puis un test de dépistage devient disponible au stade expérimental ( 1984). À l’époque, les seuls experts connaissant l’étrange pathologie sont les cliniciens qui soignent les premiers patients, les militants homosexuels qui défendent les intérêts des malades nombreux dans leurs rangs, et des professionnels de la santé publique, généralement des épidémiologistes cherchant à connaître l’extension du mal et les voies de transmission. Ce groupe domine l’étape initiale caractérisée par deux attitudes opposées : activisme du côté des experts et attentisme du côté des responsables politiques.
15 La seconde phase est courte, limitée selon la logique ideal-typique à seulement quelques mois en 1985, mais fortement polémique. Les avis s’opposent sur les modalités de l’usage du test de dépistage, désormais disponible en quantité illimitée. Les controverses les plus vives et prolongées ont eu lieu en France, du fait d’un contexte politique marqué par une fréquence inhabituelle d’élections et en raison des rapports conflictuels à l’intérieur du mouvement homosexuel sur l’attitude à adopter face aux pouvoirs publics [16]. L’Allemagne a connu une controverse vive mais brève, contrebalancée par une collaboration exemplaire entre autorités publiques et organisations homosexuelles [17]. La caractéristique générale de cette seconde étape est l’élargissement du réseau d’acteurs : experts, juristes, responsables politiques et administratifs confrontent leurs avis sur la meilleure politique de dépistage. À cette époque, les médias s’emparent de l’épidémie, lui confèrent son statut de maladie “exceptionnelle” et alimentent la polémique.
16 La troisième période correspond aux campagnes publiques d’information et d’éducation qui marquent le temps fort et le plus visible des politiques de lutte contre le Sida. Chaque pays y consacre quatre à cinq ans, à partir de 1984 pour les plus précoces : Grande-Bretagne et Pays scandinaves suivis de l’Allemagne. À l’autre extrême, les Pays de l’Europe du Sud, où sévit une épidémie liée à la toxicomanie, accusent un important retard – de huit à dix ans pour l’Italie [18]. La France ne lance massivement ses campagnes de prévention qu’à partir de 1988; elle doit en repenser et réorienter le contenu au milieu des années 1990, ce qui occasionne de nouveaux délais et d’importants réajustements institutionnels [19]. Dans l’ensemble des pays, les campagnes publiques visent à promouvoir des attitudes sociales et des comportements individuels adaptés aux risques que représente l’épidémie. Les conflits à cette époque concernent le financement des mesures et le contenu des messages à diffuser. Les sciences sociales sont alors mobilisées dans une fonction d’expertise, dans les deux domaines de la sexualité et de la communication sociale.
17 La quatrième phase est celle d’une consolidation institutionnelle, désignée par les auteurs spécialisés comme “normalisation [20]”, au cours de laquelle les institutions sectorielles prennent définitivement la relève. L’arrivée sur le marché en 1996 d’une nouvelle génération de médicaments (multithérapies) marque un tournant dans la lutte contre le Sida. Celle-ci sort de la logique d’urgence et se médicalise. Le test de dépistage n’est plus perçu comme porteur d’un risque social, mais comme porte d’entrée dans la prise en charge thérapeutique. La prévention est repensée en relation avec les nouvelles thérapeutiques. L’image de l’épidémie se transforme ainsi en “maladie chronique moderne [21]”. Ce processus de la consolidation, pragmatique et continu, comporte trois aspects : les institutions de santé publique sont modernisées; certaines politiques publiques sont réorientées en leur assignant des objectifs de santé publique (le cas le plus illustratif étant la politique de lutte contre la toxicomanie où la “réduction des risques sanitaires” constitue désormais la priorité); la médecine reprend et développe son rôle curatif habituel.
Styliser les contenus des politiques
18 Les réponses politiques face au Sida sont nombreuses et diversifiées, toutes potentiellement porteuses d’innovation et de changement. Elles vont de la provision des services médicaux à domicile et de l’installation de distributeurs automatiques de préservatifs aux mesures législatives interdisant tout acte de discrimination envers les personnes vivant avec le VIH, en passant par les réformes des services de santé dans les prisons et, de façon plus générale, par l’effort visant à améliorer la couverture médicale des populations socialement exclues : personnes sans domicile fixe, immigrants illégaux, prostitué(e)s, toxicomanes. La comparaison exige de ramener la richesse empirique multiforme à des catégories homogènes, comparables à travers les politiques nationales [22]. Nous avons construit quatre grandes catégories permettant de classer les multiples mesures recensées.
19 La première catégorie regroupe les mesures concernant la construction d’un dispositif statistique adapté au Sida. La confidentialité et le caractère obligatoire ou volontaire des déclarations ont alimenté de vives controverses, d’ordre politique ou professionnel selon les pays. À ce jour, plusieurs formules coexistent en Europe. L’Union européenne continue à œuvrer pour harmoniser les dispositifs nationaux et rendre les données épidémiologiques comparables. Vu l’existence de médicaments efficaces, l’UE pousse maintenant à réorienter le recensement statistique vers les cas d’infection, au lieu de la seule déclaration de la maladie cliniquement avérée, selon une logique de santé publique et en complémentarité avec l’usage précoce des médicaments. Le recensement de la séropositivité était pratiqué, dès le début de l’épidémie : en Grande-Bretagne de façon volontaire et efficace; en Allemagne de façon obligatoire mais inefficace, d’où un réaménagement des pratiques institutionnelles; en Italie de façon inégale selon les régions, d’où une difficile harmonisation en cours. Par contre en France, il était écarté volontairement, et jusque récemment, par crainte d’une stigmatisation sociale des sidéens.
20 La deuxième catégorie de mesures concerne la politique de solidarité avec les victimes de l’épidémie. Elle regroupe tous les aménagements dans les dispositifs de prise en charge médicale et sociale, sachant qu’une prise en charge adaptée au Sida exige des interventions médico-sociales conjointes : soins à domicile, appartements thérapeutiques, réseaux d’intervenants incluant le soutien psychologique et la participation de volontaires. Dans la plupart des pays, la mise en œuvre de ces formules intégrées bute sur la séparation institutionnelle entre le social et le médical, entraînant des cloisonnements entre services, financements, compétences administratives et nomenclatures professionnelles, problème particulièrement prononcé en France. Pour les groupes socialement exclus, tels les toxicomanes et les personnes vivant dans la pauvreté, il s’agit surtout de compléter les services sociaux qui leur sont destinés par un volet médical et préventif, en développant des soins médicaux gratuits, des interventions de rue et un suivi personnalisé avec mise à disposition gratuite de médicaments, préservatifs et seringues propres. La politique de solidarité avec les sidéens comporte en fait deux versants : l’un privilégiant “l’individu”, le respect de sa vie privée, son droit à une carrière professionnelle et une vie sociale normale, selon l’optique défendue par les militants homosexuels; l’autre mettant l’accent sur une re-médicalisation de l’action sociale, selon les besoins spécifiques des populations défavorisées qui, à défaut d’une prise en charge adaptée, présentent un risque de transmission à la population générale. La difficulté de la mise en œuvre est due au fait que les deux volets mobilisent des réseaux séparés d’acteurs et d’institutions, sans relation en dehors du Sida.
21 La troisième catégorie de mesures concernent les deux domaines-clé pour la prévention : la sexualité et la toxicomanie qui, malgré leur différence de nature, comportent une dimension commune. Dans les deux domaines, les pouvoirs publics sont amenés à conduire une vaste politique visant à modifier les comportements individuels, et se trouvent dès lors obligés d’accepter des conduites auparavant considérées comme amorales ou comme illégales : homosexualité, multipartenariat sexuel, toxicomanie intraveineuse. Les outils des nouvelles politiques sont la promotion publique du préservatif et la mise à disposition d’un équipement stérile d’injection. Leur mise en œuvre passe par la collaboration avec les seuls acteurs organisés capables d’apporter le savoir-faire pertinent concernant les pratiques et le langage du milieu : les associations d’homosexuels ainsi que les professionnels et associations travaillant auprès des toxicomanes. Les gouvernements sont inégalement armés pour réussir une politique de modification des comportements. La faisabilité dépend du consensus politique et social pour ces mesures et des politiques menées dans le passé, en particulier dans le domaine de l’éducation sanitaire et sexuelle et du traitement juridique et médical de la toxicomanie. Le passé pèse de tout son poids à travers les supports et pratiques institutionnels, les paradigmes professionnels, la place des associations privées dans la politique sociale et, last but not least, la frontière entre ce qui est considéré, dans chaque pays, comme relevant de la vie publique et de la vie privée.
22 La quatrième catégorie de mesures concerne la prévention et l’indemnisation des transmissions du VIH dans le cadre de traitements médicaux. Le choc déclenché par la contamination massive des hémophiles, au milieu des années 1980, a conduit l’ensemble des pays comparés à des réformes dans les systèmes de transfusion sanguine et de don d’organe [23]. Les mesures prises dans les différents pays varient en fonction de la gravité des négligences constatées dans les dispositifs médico-techniques. Partout, il en est résulté une sévère sélection des donneurs de sang et, dans les pays disposant d’une industrie de fractionnement du plasma, d’importantes réformes institutionnelles visant à rendre indépendant le contrôle sur les médicaments. L’accident dans la transfusion sanguine a cumulé ses effets avec le militantisme thérapeutique des associations homosexuelles pour renforcer considérablement les droits des patients et la responsabilité publique sur la médecine. Il a mis un terme à la sacralisation du don de sang et des produits dérivés du corps humain, qui sont désormais assimilés à des médicaments ordinaires, soumis aux mêmes contrôles et à un dispositif de régulation au niveau européen.
23 Le sous-secteur du sang et du plasma, malgré sa spécificité par rapport aux domaines des MST et de la toxicomanie, illustre un effet général et majeur de la lutte contre le Sida : celle-ci a amené à substituer une approche technique, visant des objectifs de santé publiques identiques dans l’ensemble des pays, à des conceptualisations antérieures formulées en termes d’éthique [24] ou de morale [25] qui exprimaient des convictions strictement nationales. Ce changement de référentiel [26] constitue l’axe unificateur de notre champ d’analyse empiriquement très diversifié.
Styliser les défis
24 La lutte contre le Sida soumet l’ensemble des secteurs et des pays à des défis comparables. Leur repérage fournit la grille d’analyse comparative permettant d’observer la réalité multiple d’une manière ciblée et de construire un nombre réduit d’indicateurs. La diversité du champ empirique peut être réduite à quatre défis, débouchant chacun sur la formulation d’une série d’hypothèses.
25 Le premier défi, pour les systèmes de santé comme pour la société dans son ensemble, réside dans la nécessité de conduire une vaste politique de prévention fondée sur des mesures non médicales. L’exigence d’une solution par les “comportements”, initialement justifiée par la faible efficacité de la médecine, s’avère finalement durable, la maladie restant transmissible en dépit des nouveaux médicaments et aucun vaccin n’étant disponible à moyen, voire long terme. La capacité de développer des stratégies non médicales dépend dans chaque pays (et secteur) des mécanismes de formation du consensus politique, sur des bases qui ne dépendent pas uniquement d’une autorité médicale. Selon notre hypothèse, la position respective de la profession médicale et de l’autorité publique dans le système décisionnel de la santé publique explique les différences nationales (et sectorielles) observées dans l’engagement de la lutte contre le Sida.
26 Le second défi met à l’épreuve la gouvernance dans le champ de la santé publique. La lutte contre une épidémie à d’autant plus de chance d’être efficace qu’elle se déploie simultanément et de manière cohérente dans l’ensemble des domaines concernés par le risque. La conception et la mise en œuvre d’une politique transversale dépendent étroitement de la capacité de coordination entre les acteurs gouvernementaux, administratifs, professionnels et associatifs, au-delà des frontières sectorielles et des compétences juridiques, d’où une double hypothèse : d’une part, les obstacles à surmonter dans chaque pays sont d’autant plus nombreux que le dispositif de la politique de la santé est fragmenté; d’autre part, la capacité de coordination varie avec l’existence d’un groupe porteur d’un référentiel de “santé publique” capable de l’imposer à ses interlocuteurs.
27 Le troisième défi concerne la gestion de la santé publique. Les modalités traditionnelles ont été jugées inadaptées au Sida, car fondées sur des législations contraignantes incluant une obligation de se soumettre à des traitements, voire des mesures d’isolement. Les experts du Sida estimaient que l’application de telles mesures pousserait les sidéens dans la clandestinité, alors que la transmission sexuelle exigeait une collaboration active et confiante des milieux touchés. Or, la mise en œuvre d’une approche participative et éducative suppose plusieurs conditions : d’une part l’accès aux milieux à risque, d’autre part une organisation collective chez les destinataires des politiques leur permettant de promouvoir de nouveaux comportements dans leurs rangs et de collaborer avec les pouvoirs publics. En outre, les messages publics de prévention doivent être explicites et décrire de façon claire les situations à risques ainsi que les gestes pour les écarter. Réunir les conditions dépend, dans chaque pays, du consensus politique en faveur des mesures à prendre et de leur acceptabilité sociale.
28 Le quatrième défi est lié à la diffusion de l’épidémie dans les populations socialement marginalisées, moins aptes que les homosexuels des classes moyennes urbaines de promouvoir l’éducation et la participation dans leurs rangs. Contrairement à la protection des droits des individus (fonction relevant de la compétence de l’État central), la re-médicalisation de l’action sociale dépend essentiellement du niveau local. Ainsi, sous la pression du Sida, les grandes villes ont renoué avec l’une de leurs missions traditionnelles, celle de fournir des services médicaux et préventifs à leurs populations défavorisées. Deux configurations institutionnelles facilitent ces stratégies locales : les systèmes de santé relativement intégrés et la décentralisation politico-administrative. On peut formuler l’hypothèse que les difficultés sont d’autant plus grandes que l’initiative locale est limitée et que la séparation institutionnelle entre le médical et le social est forte (cas de la France).
Ordonner les résultats : distinguer les niveaux de changement [27]
29 Les pays sont différemment préparés à relever les défis. Leur parcours d’apprentissage s’avère donc plus ou moins long et intense. Dès lors se pose la question de savoir ce qui, dans les données recueillies et les évolutions observées, relève du problème (gestion d’une épidémie), du secteur (santé) et du cas national (contexte politique) et comment traiter les interactions entre ces niveaux. Par exemple, la promotion publique du préservatif et la généralisation de l’éducation sexuelle à l’école ont posé problème dans l’ensemble des pays comparés, mais rarement dans les mêmes termes et aux mêmes niveaux technique, institutionnel et politique.
30 Premier cas de figure, les stratégies de prévention peuvent buter sur des difficultés d’ordre technique, en termes de savoir-faire, d’information ou d’approvisionnement. Il a fallu augmenter la production ou l’importation des préservatifs et définir les normes et contrôles de qualité, ou encore concevoir des supports pédagogiques et former les éducateurs. À l’époque, seule la Grande-Bretagne disposait d’un corps d’éducateurs de santé expérimentés en matière d’éducation sexuelle. En Allemagne, grâce au travail effectué sur le Sida, la “pédagogie sexuelle” s’est progressivement constituée en discipline universitaire. Par contre, en France, la place dominante dans l’éducation sexuelle des jeunes était tenue par les militantes du Planning Familial et focalisée en fait sur les filles. Combattantes de la contraception orale et de la loi Veil sur l’avortement, elles se sont longtemps opposées à une réorientation vers la prévention des MST et le préservatif. De même, le contraste est frappant dans les conflits autour du dépistage obligatoire ou volontaire. En Grande-Bretagne, la controverse était technique et n’impliquait qu’un petit groupe d’épidémiologistes professionnels, alors qu’en Allemagne alors qu’en France elle était politique et publique impliquant la presse, les intellectuels et les politiciens. Dans la société et la vie politique italiennes, le Sida n’a pas soulevé de débat public. Seul le dépistage systématique pratiqué dans les prisons a longtemps opposé le ministère de la Justice et le ministère de la Santé, sur les mesures techniques à prendre pour protéger les gardiens contre le risque d’infection et soigner les prisonniers sidéens.
31 Deuxième cas de figure, les politiques de prévention peuvent buter sur des obstacles institutionnels et des conflits de compétences entre groupes professionnels ou organismes sanitaires et sociaux. Le cas est bien illustré par la politique de réduction des risques chez les toxicomanes. En Allemagne, les programmes de méthadone, médicament substitutif à la toxicomanie intraveineuse, développés par les municipalités et les régions, ont été vivement combattus par la commission médicale nationale responsable de la pharmacopée. Les rapports de force ont évolué avec l’entrée en jeu des caisses d’assurance-maladie, pour qui la prescription de la méthadone revient moins cher que la prise en charge des nouveaux cas de Sida et d’hépatites. En France, c’est l’intégralité de la politique de prévention du Sida auprès des toxicomanes qui est restée inappliquée jusqu’à 1995-1997, en raison de l’opposition farouche des professionnels à toute “intervention médicale” dans leur champ d’activité [28]. Le refus des professionnels du secteur trouvait un écho et une justification dans le refus des responsables politiques, de droite comme de gauche, de modifier la politique de lutte contre la toxicomanie.
32 Toujours en France, avant de pouvoir lancer des campagnes publiques visant à promouvoir l’usage du préservatif et engager la vente des seringues dans les pharmacies, il a fallu abroger deux lois interdisant respectivement la publicité des “moyens de contraception”, dont le préservatif, et la mise à disposition de seringues. En Italie, le programme de lutte contre le Sida, voté au Parlement en 1990, n’a connu qu’un timide début de mise en œuvre, à cause d’un long conflit de compétence opposant les régions et l’État sur l’attribution des budgets du Sida. En Allemagne, la double tutelle exercée à l’époque sur l’industrie de fractionnement du plasma par l’Office fédérale de la santé (Bundesgesundheitsamt) et par les régions, explique pourquoi le retrait des médicaments potentiellement contaminés par le VIH n’a pas été ordonné par les autorités, incertaines quant à leur compétence et responsabilité administrative concernant une mesure aux conséquences financières importantes. Une prudence similaire, mais visant l’idéologie du don du sang comme mesure de réinsertion sociale du prisonnier, a empêché l’interdiction formelle des collectes de sang dans les prisons en France qui ont continué dans certains endroits jusqu’à 1991, date du premier procès pénale dans l’affaire du sang contaminé.
33 Un troisième cas de figure concerne les oppositions politiques ou idéologiques venant des autorités publiques ou morales, des médias ou groupes d’intérêt. En Italie, l’adoption d’une véritable politique de prévention a été retardée par les gouvernements chrétiens-démocrates qui ne souhaitaient pas entrer en conflit avec le magistère moral de l’Église catholique sur la sexualité. Dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes, des messages préventifs au contenu différent ont été délivrés, du fait des désaccords sur les méthodes, méthadone ou sevrage, entre les organisations publiques et laïques d’une part et les communautés thérapeutiques liées aux organisations de charité d’autre part. En France, où le développement du Sida a coïncidé avec l’expérience de la cohabitation, le Front National s’est saisi du dossier. Il en est résulté une politisation tout à fait exceptionnelle, unique en Europe, entraînant d’importants retards dans l’action gouvernementale et le refus de cibler les campagnes de prévention sur des groupes particulièrement concernés. La présentation du Sida comme risque “général”, égal pour tous [29], était censée œuvrer contre “l’exclusion sociale” des sidéens. En Allemagne, seuls les ultras conservateurs de la région de Bavière [30] ont établi un catalogue de mesures similaires à celui du Front National français, mais les conséquences de leur bataille isolée se sont révélées moins pénétrantes, voire positives par la suite. La commission parlementaire, constituée pour évaluer l’efficacité des politiques menées et renforcer le consensus, ainsi que les tribunaux administratifs saisis par les conflits de compétences, ont légitimé la politique éducative et participative liant le gouvernement et les acteurs privés engagés dans la lutte contre l’épidémie.
34 D’une manière générale, la capacité de conduire une politique publique visant les comportements privés, notamment sexuels, dépend de la légitimité reconnue aux autorités publiques à poser des normes et le cas échéant, à limiter la liberté privée au nom de la santé publique. Dans cette stratégie, la Grande-Bretagne a pu s’appuyer sur ses acquis du passé, sans équivalent dans les trois autres pays. De vastes campagnes visant les comportements sexuels pour prévenir les MST y avaient déjà été conduites après la Deuxième guerre mondiale, selon des méthodes proches de celles utilisées aujourd’hui dans le cas du Sida. L’Allemagne a dû réviser l’application de son arsenal législatif, mais a pu bénéficier d’une collaboration stable et consensuelle avec les associations homosexuelles, ainsi que du soutien actif des Églises Protestantes. La France a dû faire appel à un répertoire de références forgées dans les luttes politiques de 1968, ce qui explique la singularité des campagnes publiques françaises, où les thèmes “Sida” et “préservatif” ont été découplés [31]. Pour réhabiliter l’usage du préservatif, le thème a été présenté par l’image d’une sexualité spontanée et “sans contrainte [32]”; le thème du Sida a été rattaché à l’idée de solidarité et de fraternité. Toute référence à la responsabilité pour le partenaire, au risque de maladie et de mort, était écartée [33] afin de ne pas susciter de sentiments d’inquiétude dans l’opinion publique ou de rejet vis-à-vis des sidéens.
35 L’influence de la “path-dependency” déploie ainsi des effets opposés : support cognitif et pratique en Grande-Bretagne, poids négatif en France où la lutte contre le Sida oblige à rénover le répertoire intellectuel dans les trois secteurs concernés et au-delà. En Italie, le problème majeur hérité du passé concerne l’administration globale du système de santé, miné par la déviation des budgets et un clientélisme traditionnel. L’avènement de la “deuxième” République italienne, avec ses réformes générales du système politicoadministratif et de la gestion du secteur de la santé, modifie le contexte global et facilite la mise en œuvre, sur tout le territoire, de la politique de lutte contre le Sida conçue et adoptée auparavant.
Identifier les facteurs : la trame des rapports
36 Les quatre pays se distinguent par plusieurs facteurs [34] : l’intervention gouvernementale précoce ou tardive; le style politique consensuel ou conflictuel; les facteurs institutionnels, notamment ceux dont dépend la conduite transversale d’une politique reliant prévention, services médicaux et sociaux; le système des valeurs mobilisées dans la lutte contre le Sida.
37 Les acteurs et lieux de pilotage ainsi que les référentiels mis en avant ne sont pas les mêmes selon les pays. En Grande-Bretagne, le rôle clé a été tenu par les médecins hauts fonctionnaires, dirigeants du National Health Service. En Italie, c’est une fraction de l’élite médicale, des professeurs des Facultés de médecine, qui a poussé le gouvernement dans l’action et qui continue à piloter la Commission nationale de lutte contre le Sida, en alliance avec des hauts fonctionnaires du ministère de la Santé. En Allemagne, ce sont les responsables politiques, réunis dans la Conférence des ministres de la Santé des régions et de l’État fédéral, qui ont imposé l’orientation de la lutte contre le Sida, dont la mise en œuvre revient aux Länder, villes et associations privées. Dans les trois pays, les Parlements ont légitimé les choix et évalué les politiques menées. En France, la prévention a été institué en dehors de l’État et à l’écart de l’élite médicale, puis confiée à une agence ad hoc : l’Agence française de lutte contre le Sida (AFLS), au sein de laquelle s’est déroulé le conflit entre les associations homosexuelles et l’administration [35]. Le gouvernement ne s’est engagé directement qu’à la suite de la crise du “sang contaminé”. À partir de 1992-1993, il entreprend un train de réformes, sans équivalent dans les autres pays européens, portant sur le contenu des politiques et les structures institutionnelles. Les objectifs de ces réformes dépassent la lutte contre le Sida pour viser la santé publique dans son ensemble, par une élévation au niveau international du dispositif français.
38 Les conceptualisations du risque se sont rapprochées. Le Sida a été défini dès le début comme un problème majeur de santé publique au Royaume-Uni et en Allemagne, alors qu’il était traité jusqu’au début des années 1990 comme un problème social marginal en Italie et un problème majeur d’exclusion sociale en France. Aujourd’hui, la “santé publique” figure parmi les référentiels politiques fondamentaux dans les pays de l’Europe occidentale [36].
39 Le rapport national/local apparaît comme un facteur majeur déterminant la mise en œuvre des politiques. En Italie, les initiatives des acteurs locaux, publics et privés, ont pallié les insuffisances de la politique nationale, du moins dans les grands centres urbains du Nord et du Centre. La Grande-Bretagne a pu activer, rapidement et durablement, les réseaux de collaboration publics et privés autour des unités locales du National Health Service (NHS). L’Allemagne s’est appuyée sur ses offices locaux de santé publique, il en existe près de quatre cents, tous dotés d’un responsable de la coordination et de la prévention du Sida durant la période du plan gouvernemental d’urgence ( 1987-1992). La France, en revanche, a d’abord réservé la lutte contre le Sida à l’État central par la loi de 1987, dont l’objectif était d’écarter les élus locaux du Front National du champ. C’est seulement lors de la ré-orientation de la lutte contre le Sida au milieu des années 1990 qu’un système de conventions, entre les administrations déconcentrées (DRASS et DDASS) et les acteurs locaux publics et privés, prend la relève et privilégie désormais l’action locale ciblée sur les populations précises.
Les facteurs et le contexte
40 Les deux tableaux comparatifs résument les facteurs expliquant les différences observées dans les politiques de lutte contre le Sida, en distinguant : d’une part, les facteurs directement impliqués (Tableau 1). Ils sont “déterminants” dans la mesure où ils agissent comme des facteurs indépendants, du moins dans un premier temps. Cependant, dans un deuxième temps, ils peuvent subir l’effet des changements induits par la lutte contre l’épidémie, comme observé dans les cas italien et français; d’autre part, les facteurs indirectement impliqués (Tableau 2) qui conditionnent le cadre et agissent comme éléments du contexte. Ces facteurs relèvent du système politique général et, pour certains, du régime général des politiques publiques.
41 Les facteurs déterminants (Tableau 1) relèvent plutôt du niveau sectoriel, mais non exclusivement. Certains impliquent également le système politique national : la rhétorique politique, la position des bénéficiaires, la hiérarchie des valeurs. Les facteurs déterminants forment des ensembles interdépendants et renseignent sur la cohérence interne des cas nationaux [37]. Une forte rhétorique politique va de pair avec la fermeture des milieux professionnels, une faible participation des bénéficiaires et une faible capacité au niveau de la construction pratique des politiques. Dans ce cas de figure, les forums professionnels pénètrent et dominent d’autant plus facilement le niveau de la construction des politiques que celui-ci est soumis aux effets des rhétoriques politiques (le cas français). Inversement, une forte capacité de construction des politiques va de pair avec l’ouverture des milieux professionnels, la participation des bénéficiaires et des valeurs de référence tournées vers la santé publique. Dans ce dernier cas de figure, la politisation des dossiers est peu probable ou reste limitée (le cas britannique).
Les facteurs institutionnels et politiques
Les facteurs institutionnels et politiques
Les facteurs du contexte institutionnel et politique
Les facteurs du contexte institutionnel et politique
42 Les facteurs relevant du système politique national ne se modifient que rarement sous l’effet d’une politique de santé publique. Aussi, les changements observés dans le cas italien ne résultent que partiellement de la lutte contre le Sida, mais découlent d’un nouveau régime politique. Celui-ci fournit un cadre plus favorable à la mise en œuvre des politiques de santé publique. En revanche, le cas français est unique. L’ampleur des changements traduit l’impact du choc du “sang contaminé” et les réponses en termes de réformes institutionnelles et de mutations intellectuelles. L’apprentissage va au-delà du problème du Sida et au-delà du secteur de la santé.
Conclusion : l’intérêt de la méthode
43 Les tableaux 1 et 2 rapprochent nettement la Grande-Bretagne et l’Allemagne d’un côté et la France et l’Italie de l’autre. Les modèles théoriques de l’organisation de l’État-providence se révèlent donc sans pertinence pour les politiques de prévention et de santé publique, en dépit du rôle central de l’État, de la profession médicale et de l’arsenal thérapeutique dans la lutte contre une épidémie.
44 Le succès ou l’échec des différents pays dans la conduite de la lutte contre le Sida tient essentiellement à leur capacité de coordination et au pilotage des politiques par une institution clairement identifiée, tel le NHS en Grande-Bretagne. L’Allemagne, bien que ne disposant pas d’un système de santé intégré, a pu s’appuyer sur un lieu permanent de coordination politique (la Conférence des ministres de la Santé) et un dispositif de santé publique resté en vigueur institutionnellement et professionnellement (les offices de santé publique). Inversement, les systèmes de santé fragmentés, par les corporatismes professionnels (France) ou les disparités locales (Italie), ont éprouvé de grandes difficultés à répondre aux défis de l’épidémie.
45 Les apprentissages institutionnels et politiques sont d’ampleur inégale dans les quatre pays. Le Royaume-Uni et l’Allemagne renforcent les niveaux qui se sont déjà révélés efficaces, respectivement la construction pratique des politiques et la collaboration des bénéficiaires. En Italie, l’apprentissage s’effectue à la faveur d’un changement politique général qui renforce le niveau de la construction pratique des politiques de la santé et leur coordination nationale. La France présente le seul véritable cas de rupture. Le processus d’apprentissage institutionnel et politique passe par deux étapes. La première s’étend sur les années 1986-1992 et consiste à mobiliser les autorités publiques. Celles-ci restent d’abord hésitantes puis procèdent à la mise en place de grandes agences, les référentiels étant puisés dans le répertoire national classique (liberté, exclusion sociale). La deuxième étape suit une crise politique aiguë [38] dont les responsables politiques tirent les leçons. Elle débouche sur un apprentissage institutionnel et intellectuel accéléré, au cours duquel la santé publique est reconnue comme relevant directement de la responsabilité de l’État [39]. Le modèle français de changement par crises contraste avec le modèle suivi dans les autres pays, où le changement est pragmatique et incrémental, le processus d’apprentissage portant de manière sélective sur certains éléments seulement des dispositifs, des pratiques et des références.
La médicalisation de la lutte contre le sida
La médicalisation de la lutte contre le sida
Trajectoires nationales de l’apprentissage
Trajectoires nationales de l’apprentissage
46 Les trajectoires des pays dans l’espace du changement se différencient selon que nous les comparons par rapport à un aspect spécifique, la médicalisation du Sida (Schéma 1), ou dans la perspective générale de politique de santé publique (Schéma 2). Pour inventer et mettre en œuvre des solutions médicales, la France occupe la position la plus avancée, alors que la Grande-Bretagne ne développe une véritable politique de dépistage qu’à partir du moment où les nouveaux médicaments l’y obligent. L’Italie doit apprendre à cesser les tests systématiques pour une politique de dépistage volontaire et, surtout, à améliorer l’accès aux médicaments. Sur le Schéma 1, tous les cas nationaux suivent la même direction, mais les trajectoires reflètent les différents degrés de médicalisation dans les systèmes de santé nationaux. En revanche, le Schéma 2 met en relief la grande diversité des trajectoires nationales dès lors qu’il s’agit de l’apprentissage à la conduite de politiques de santé publique, le cas français étant le plus problématique et le cas britannique le mieux placé.
47 Du point de vue de la méthode, la comparaison croisant cas nationaux et secteurs d’intervention et procédant selon une approche par les problèmes et une démarche inductive, a mis en évidence des trajectoires communes et des trajectoires ou éléments uniques. Contrairement à une idée répandue, ces faits uniques ne dévoilent leur véritable signification que dans une démarche comparative : c’est le détour par la comparaison qui a mis en relief l’ampleur de l’apprentissage dans le cas français. Les résultats et la méthode paraissent généralisables, notamment dans le vaste champ de l’étude comparative des politiques sociales qui partagent avec la santé publique certaines caractéristiques typiques : un ancrage national fort confronté à l’européanisation et l’internationalisation des problèmes, une problématique public-privé et une grande exigence de coordination.
Notes
-
[1]
Dans le sens de : MORAN M., Governing the Health Care State. A Comparative Study of the United Kingdom, the United States and Germany, Manchester and New York, Manchester University Press, 1999.
-
[2]
Pour la France : PINELL P., Une épidémie politique. La lutte contre le Sida en France, 1981-1996, Paris, Presses Universitaires de France, 2002 ; BARDOT J., Les malades en mouvement : la médecine et la science à l’épreuve du Sida, Paris, Balland, 2002.
-
[3]
SIMON H.A., “The Structure of Ill-Structured Problems”, in Artificial Intelligence, n° 4,1973, pp. 181-201.
-
[4]
PETERS G.B., Comparative Politics. Theory and Methods, Londres, MacMillan Press, 1998.
-
[5]
Le cas correspond à deux catégories (la deuxième et troisième) dans le schéma d’Olivier Giraud dans ce présent numéro.
-
[6]
BOYER R., “Variétés du capitalisme et théorie de la régulation”, L’Année de la Régulation, vol. 5, 2002, pp. 125-194.
-
[7]
Des taux d’infection au VIH égaux ou inférieurs à la moyenne de l’UE sont observés uniquement en Nouvelle-Zélande et en Australie, petits pays par rapport aux populations mondiales, et dans la région du Magreb-Moyen Orient où les statistiques ne reflètent pas forcément la réalité, mais où la stricte régulation de la sexualité semble avoir contenu jusqu’à présent l’impact de l’épidémie (UNSIDA, Rapports annuels).
-
[8]
La prévalence de l’infection au VIH va de près de 90 personnes adultes atteintes sur mille en Afrique sub-saharienne à trois sur mille dans l’UE et un en Australie/Nouvelle-Zélande, en passant par six pour l’Asie du Sud et Centrale, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Nord et du Sud (Chiffre du 31 décembre 2002, UNSIDA/OMS).
-
[9]
Pour une analyse comparée des conditions entre l’Europe occidentale et les pays ex-communistes, cf. STEFFEN M., “Protection sociale et management de la santé publique en Europe de l’Ouest et de l’Est”, Matériaux pour l’histoire de notre temps, Revue de la bibliothèque de documentation internationale contemporaine, n° 53,1999, pp. 53-62.
-
[10]
Thèse développée par les fondateurs de la médecine sociale au XIXème siècle, notamment le Dr. Virchow en Allemagne. ROSEN G., From Medical Police to Social Medecine : Essays on the History of Health Care, New-York, Sciences History Publications, 1974, pp. 62.
-
[11]
MONTAGNIER L., Rapport sur le Sida, Rapport au Premier Ministre, Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville. Ministère délégué à la Santé, décembre, Paris, 1993.
-
[12]
Dans les classifications établies par la littérature portant sur l’État providence, ces deux types d’organisation du secteur de la santé relèvent respectivement des modèles bevéridgien et bismarckien de l’État providence.
-
[13]
Nous ne détaillons pas ici ces méthodes, tout à fait classiques dans la recherche sur les politiques publiques. Une trentaine d’entretiens ont été menés dans chaque pays avec les acteurs stratégiques, publics et privés, à l’occasion desquels des documents internes ont été recueillis : étude systématique des rapports officiels, documents administratifs et évaluations, etc., ainsi que l’exploitation de la littérature internationale. L’enquête principale s’est déroulée entre 1991 et 1995, avec une actualisation en 1999-2000.
-
[14]
Nous avons bénéficié d’un budget de l’ANRS permettant de recourir à des vacations pour des enquêtes de terrain sur des sujets précis, par exemple la “politique de substitution” (méthadone) en Allemagne, ou les “rapports entre les associations privées et autorités publiques locales” concernant la prévention en Italie. Une source de collaboration, portant directement sur le sujet et extrêmement utile pour obtenir des données sélectionnées et soumettre nos hypothèses et résultats intermédiaires à la discussion critique, a été notre participation dans plusieurs groupes de recherche internationaux : BERRIDGE V. et STRONG P., (ed. by), AIDS and Contemporary History, Cambridge, Cambridge University Press, 1993; KIRP D.L. et BAYER R., (ed. by), AIDS in the Industrialised Democracies : Passions, Politics and Policies, New Brunswick, Rutgers Publishers, 1992 ; FELDMAN E. et BAYER R., (ed. by), Blood Feuds. AIDS, Blood and the Politics of Medical Disaster, New York et Oxford, Oxford University Press, 1999; BOVENS M., ‘t HART P. et PETERS B.G., (ed. by), Success and Failure in Public Governance : A Comparative Analysis, Londres, Edward Elgar Publishers, 2001.
-
[15]
À quoi s’ajoute l’exigence de maîtriser la langue de chaque pays de la comparaison.
-
[16]
PINELL P., op.cit., 2002.
-
[17]
ROSENBROCK R. and WRIGHT M.T., Partnership and Pragmatisme. Germany’s Response to AIDS Prevention and Care, Londres et New York, Routledge, 2000.
-
[18]
Pour l’Espagne, le Portugal, la Grèce, le retard dans le policy timing va jusque quinze ans.
-
[19]
L’Agence française de lutte contre le Sida, créée en 1989, est dissoute en 1994. Ses compétences sont alors reprises dans la Direction générale de la Santé au ministère.
-
[20]
ROSENBROCK R, SHAEFFER D., DUBOIS-ABER F., MOERS M., PINELL P. et SERBON M., “The Normalisation of Aids in Western European Countries”, Social Sciences and Medecine, n° 50, 2000, pp. 1607-1629.
-
[21]
FEE E. and FOX D.M., AIDS.The Making of a Chronic Desease, Berkeley, Los Angeles et Londres, University of California Press, 1992.
-
[22]
Sous peine de conclure à une diversité irréductible des politiques mises en œuvre, thèse incompatible avec la formulation d’hypothèses sur l’apprentissage institutionnel et politique.
-
[23]
Pour une analyse historique détaillée du cas français, cf. HERMITTE M.A., Le sang et le droit. Essai sur la transfusion sanguine, Paris, Le Seuil, 1996. Pour une comparaison internationale, cf. FELDMAN E. et BAYER R., (ed. by), op. cit., 1999.
-
[24]
Tels que “don” d’éléments du corps humain, “liberté individuelle”, risque de “stigmatisation”.
-
[25]
Telles que sexualité déviante, infidélité conjugale, toxicomanie illégale.
-
[26]
Dans le sens traditionnel de la science politique française. JOBERT B. et MULLER P., L’État en action. Politiques publiques et corporatismes, Paris, Presses Universitaires de France, 1987.
-
[27]
Cet article se limite à la démarche méthodologique. Pour les résultats détaillés, cf. STEFFEN M., Les États face au Sida en Europe, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Collection Trans-Eu-rope, 2001.
-
[28]
BERGERON H, L’État et la toxicomanie. Histoire d’une singularité française, Paris, Presses Universitaires de France, 1999.
-
[29]
Illustré par le la campagne de 1989 “Le Sida, chacun de nous peut le rencontrer”.
-
[30]
Le parti CSU (Christliche Soziale Union).
-
[31]
PAICHLER G., Prévention du Sida et agenda politique. Les campagnes en direction du grand public ( 1987-1996), Paris, Éditions du CNRS, 2002.
-
[32]
MOSSUZ-LAVAU J., Les Lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France ( 1950-1990), Paris, Payot, 1991.
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[33]
Ce n’est qu’en 1994 que les campagnes affichent le thème “Le Sida, une priorité de santé publique”.
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[34]
Une recherche, multipolaire et croisée, cerne les mêmes facteurs, à l’exception des “valeurs”: BOVEN M, ‘t HART P. and PETERS G. (ed. by), op. cit., 2001.
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[35]
Durant ses six années de fonctionnement, l’AFLS a eu sept directeurs.
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[36]
L’espace du présent article ne permet pas d’introduire la dimension européenne et sa particularité dans la comparaison : le niveau européen n’est ni véritablement international ni simplement transnational car l’UE a une compétence sur la santé publique. Pour une analyse approfondie de l’européanisation des politiques de la santé, cf. STEFFEN M., (ed. by), Europeanization of Health Policies. Issues, Challenges, and Theories, à paraître (soumis à Routledge, 2004).
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[37]
Les résultats de la comparaison portant sur une politique de la santé publique confortent ainsi la notion de “l’effet sociétal”. MAURICE M., SELLIER F. et SILVESTRE J.J., Politiques d’éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne, Paris, PUF, 1982.
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[38]
Symbolisée par la condamnation pénale des responsables nationaux de la transfusion sanguine.
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[39]
Principe de précaution, droits des patients, Institut de Veille sanitaire, etc.