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DOBBS R., MANYIKA J. & WOETZEL J., "No ordinary disruption”, publié par Public Affairs.
1La compétitivité de la France peut s’apprécier selon différents critères : solde des échanges de biens et de services, part des exportations françaises de biens dans les exportations totales de biens des pays de la zone euro, parts de marché à l’exportation des services, classements PISA. Les indicateurs correspondant à ces critères fluctuent, au fil des années, autour d’une tendance à la dégradation constante depuis le premier choc pétrolier, qui s’est accélérée, pour certains d’entre eux, au tournant du siècle, avant de ralentir, voire de se stabiliser, depuis que les préoccupations sur l’état de notre économie, qui ont, par exemple, conduit à l’adoption du CICE, se sont amplifiées après 2017.
2Au-delà des indicateurs parcellaires et des évolutions de court terme, l’évolution de la compétitivité peut aussi se mesurer à travers son résultat : entre 1975 et aujourd’hui, le PIB français par habitant, donc le niveau de vie des Français, est passé du cinquième rang mondial au vingt-sixième. Franchir certaines frontières de l’hexagone et voir la différence de richesse qui transparaît entre des maisons situées quelques kilomètres avant et d’autres quelques kilomètres après la frontière est parfois suffisant pour en apporter une démonstration frappante.
3L’évolution de la compétitivité se mesure aussi par la constance de la crise en France. Un ouvrage d’économie [1] décrivait en 2015 la situation moyenne des pays de l’OCDE avant 2008 dans les termes suivants : « la période de vingt-cinq ans précédant la crise de 2008 a été qualifiée, selon les termes des économistes James Stock et Mark Watson par l’expression « la Grande modération »… Les emplois étaient abondants, et un flux de travailleurs qualifiés qui paraissait inépuisable permettait de les [pourvoir] ». L’évolution du chômage depuis 1975 en France ne s’est pas caractérisée par des périodes durables où « les emplois étaient abondants ».
4Le présent numéro de Réalités industrielles des Annales des Mines s’attache à présenter des analyses de la compétitivité française aussi bien sous l’angle de politiques générales et d’analyses transverses qu’au travers d’éclairages portant sur différentes filières parmi les plus importantes pour l’économie nationale. Il esquisse ainsi des pistes pour un redressement structurel.
5Plusieurs articles sont consacrés à la comparaison avec l’Allemagne. La similitude entre leurs modèles sociaux et la relative proximité culturelle entre la France et l’Allemagne conduisent en effet à considérer que ce qui est possible en Allemagne pourrait l’être en France. En outre, tant dans le domaine de la mécanique que dans la chimie, des secteurs qui continuent d’être des points d’ancrage de l’économie française sont aussi depuis toujours des points forts de l’économie allemande qui peut de fait s’avérer être notre principal concurrent. L’Allemagne est donc naturellement pour la France une source d’exemples éventuellement reproductibles et un sujet de vigilance.
6En ouverture de ce numéro, Grégoire Postel-Vinay retrace l’évolution historique de la compétitivité française. Il dessine des objectifs prioritaires et des moyens à dégager pour l’avenir pour répondre aux trois grandes transitions ‒ écologique, numérique, de santé et de vieillissement de la population ‒, ainsi qu’au défi que représentent les plans de relance adoptés par d’autres pays, aux évolutions géostratégiques majeures et aux enjeux d’autonomie stratégique auxquels est confronté notre pays, et plus largement l’Europe, des enjeux qui sont aussi des enjeux pour la démocratie.
7En 2019, un article du FMI avait pour titre ‟The Return of the Policy That Shall Not Be Named : Principles of Industrial Policy”. Aujourd’hui, non seulement la politique industrielle n’est plus innommable, mais la nécessité d’en adopter une fait l’unanimité. Cette nécessité est particulièrement aiguë en France, la désindustrialisation ayant été particulièrement forte dans notre pays. L’article rédigé par Vincent Aussilloux, Philippe Frocrain et Rémi Lallement, trois économistes, fait le point sur la stratégie qui doit sous-tendre la politique industrielle de la France. Ils soulignent notamment la nécessité de « n’envisager aucune réforme d’importance sans en avoir au préalable examiné les conséquences possibles sur l’industrie ».
8Sylvaine Bruneau, avocate au barreau de Munich depuis 1982 et spécialisée dans les relations économiques France-Allemagne-Italie, compare les stratégies industrielles française et allemande, telles que quarante années de pratique auprès d’entreprises lui ont permis de les percevoir.
9Le niveau de qualification et la nature des compétences de la population active sont une composante incontournable de la compétitivité. Alain Cadix, délégué aux compétences et à la formation au sein de l’Académie des technologies, a eu un parcours d’industriel et d’enseignant qui l’a notamment conduit à la présidence de la Conférence des grandes écoles. Face à la nécessité d’une mobilisation générale pour rehausser le niveau des qualifications, il plaide notamment pour un système d’enseignement de proximité avec les entreprises, au plus près des territoires, qui serait doublé par un système d’accompagnement sur le terrain, et pour que les entreprises se substituent en partie à l’État – modulo un traitement fiscal approprié – en assurant aux actifs ne disposant que d’un faible niveau de qualification un complément d’instruction publique en littératie, numératie et usage de l’informatique.
10Parmi les Français s’étant vu récemment décerner le prix Nobel, plusieurs résident à l’étranger et y ont réalisé l’essentiel de leur parcours. Mais il n’y a pas de cas récents de chercheurs étrangers s’étant vu décerner le prix Nobel pour des recherches effectuées en France. Valérie Mignon, professeur à l’Université Paris-Nanterre et, en outre, présidente de l’Association française de science économique, dresse un état des lieux de la recherche en France. Elle souligne qu’en 2019, la place de la France dans les publications scientifiques est passée du septième au huitième rang, l’Italie lui étant passée devant tant en nombre de publications qu’en indices d’impact de ces publications ; la France est aujourd’hui au-dessous de la moyenne mondiale pour ces indices. Elle souligne le temps passé par les chercheurs français à répondre à des appels à projets, dont les taux de succès – 16 % en 2018 pour ceux de l’ANR – sont très faibles. Elle conclut son article par des recommandations visant à inverser la tendance.
11La politique de concurrence de l’Union européenne suscite régulièrement des critiques. Celles-ci sont la suite de décisions à impact stratégique, comme récemment l’interdiction de la fusion entre Alstom et Siemens, ou qui portent sur la singularité du contrôle et de l’interdiction des aides publiques. Jean-Paul Tran Thiet, avocat en droit de la concurrence depuis 1992 après avoir développé une expérience européenne, notamment comme membre du cabinet du vice-président de la Commission européenne ou comme conseiller du Premier ministre, décrit les singularités européennes en matière de contrôle de la concurrence et de celui des aides publiques. Il structure des recommandations pour l’adaptation de ces deux politiques aux réalités internationales actuelles.
12Les plateformes numériques représentent une part croissante de la valeur ajoutée dans l’économie et jouent un rôle majeur dans la diffusion des opinions et, pour le pire, dans le harcèlement des personnes. Mathieu Weill et Quentin Navaro Auburtin, du service de l’Économie numérique au sein du ministère chargé de l’Économie, exposent les enjeux et l’actualité de la régulation européenne de ces plateformes, dans laquelle la France joue un rôle moteur.
13Ancien chef d’entreprises emblématiques dans plusieurs secteurs de l’économie (Thomson électroménager, Royal Canin…), Henri Lagarde s’est appuyé sur son expérience internationale pour rédiger et publier en ce début d’année 2021, « Sortir de l’ornière ; comment la France peut s’inspirer des 10 pays phénix ». Son article résume les stratégies budgétaires et fiscales déployées par ces dix pays qui ont réussi leur réindustrialisation.
14Les entreprises françaises sont moins rentables que leurs concurrentes allemandes (EBE/VA voisin de 30 %, contre 35 à 37 %), malgré un début de redressement. Elles sont également plus endettées (leur dette représente 87,6 % du PIB en France, contre 50,7 % en Allemagne). Jean-Paul Betbeze, qui a été membre pendant huit ans du Conseil d’analyse économique et est l’auteur d’ouvrages et de rapports reconnus, recommande aux entreprises de s’appuyer sur cet endettement, voire de l’accroître, pour engager des stratégies ambitieuses, qui seules sont susceptibles de leur permettre de surmonter les nombreux défis actuels auxquels elles doivent faire face.
15Le soutien à l’innovation est une des constantes positives de la politique publique en France. Cette constance et les nouveaux efforts récents faits en la matière ont conduit le tableau de bord européen de l’innovation à placer la France au-dessus de la moyenne sur le plan de la R&D ; le Global innovation index, quant à lui, l’a classée en 2020 au douzième rang mondial (elle était seizième en 2019). Arnaud Delaunay et Paul Catoire, de la sous-direction de l’Innovation du ministère chargé de l’Économie, décrivent les nouvelles impulsions données depuis 2018 à la politique publique de l’innovation : maintien du CIR, soutien à l’innovation de rupture, stratégies d’accélération au sein du PIA4 ou encore développement des start-ups et scale-ups.
16Denis Ferrand, directeur général, et Emmanuel Jessua, directeur des études de l’institut d’études économiques Rexecode, analysent la divergence observée, depuis 2000, entre la France et l’Allemagne en termes de compétitivité coût et de mobilisation du facteur travail. Ils rappellent que nos exportations rapportées à la population française représentaient, il y a vingt ans, 90 % de celles de l’Allemagne, elles n’en représentent plus aujourd’hui que 60 %, une baisse qui s’est accompagnée de celle relative du niveau de vie français par habitant par rapport à celui de l’Allemagne. L’écart de production résulte d’une moindre « mobilisation » des travailleurs peu qualifiés (leur taux d’emploi a reculé de 6 points en France pendant qu’il en gagnait 10 en Allemagne) et des travailleurs les moins jeunes (un écart de 2,5 ans par rapport à l’âge effectif de départ à la retraite). Le choc de coût salarial connu dans les années 2000 a par ailleurs conduit à une diminution de 40 % du nombre des entreprises industrielles comptant plus de 20 salariés ; « une chute d’une ampleur que l’on ne retrouve dans aucun autre pays européen ». L’article se conclut par des recommandations de politique publique.
17Dans le cadre d’une carrière consacrée à l’énergie, Olivier Appert a notamment présidé le Conseil français de l’énergie et le comité français du Conseil national de l’énergie. Patrice Geoffron est professeur à l’Université Paris Dauphine et directeur de l’équipe Énergie-climat du laboratoire d’économie de Dauphine. Dans leur article, ils résument la stratégie conduite historiquement par la France pour bâtir une filière pétrolière, puis une filière nucléaire, et ce dans le cadre d’une politique énergétique, dont les classements internationaux (WEC 2020, WEF 2021) continuent à apprécier favorablement les résultats. À partir de ces deux exemples, ils émettent des recommandations sur la structuration d’une filière de l’hydrogène.
18Deuxième secteur exportateur français, la chimie en France est cependant passée en quinze ans du cinquième au septième rang mondial et a vu sa part de marché en Europe s’éroder de 18 à 14 %. Luc Benoit-Cattin, président de l’association professionnelle France-Chimie, rappelle l’importance stratégique de cette filière et la mobilisation de celle-ci au service de la compétitivité. Il conclut en soulignant l’importance, dans le cadre de la stratégie publique, de construire un cadre européen favorable à la croissance, de favoriser l’industrialisation des technologies de rupture liées à la Stratégie nationale bas carbone, de prévoir les capacités électriques additionnelles indispensables à la décarbonation de l’économie et de renforcer la compétitivité française en matière d’énergies bas carbone et d’infrastructures de transport et de logistique.
19La crise sanitaire a replacé le secteur de la santé en tant que priorité stratégique. La France est aujourd’hui le quatrième producteur de médicaments en Europe après avoir occupé la première place jusqu’au début des années 2000 ; elle reste le deuxième pays d’Europe – derrière l’Allemagne – pour le dépôt des brevets dans ce secteur. Olivier Bogillot, président de Sanofi France et de la Fédération française des industries de santé, décrit les atouts actuels de la France dans ce secteur. Il estime qu’une reconquête industrielle y est possible, si celle-ci s’appuie sur une vision française et européenne s’accompagnant d’investissements massifs – adossés à une politique de prix cohérente – et sur une pérennisation de l’accélération du processus de délivrance des réponses administratives tel qu’observé durant la crise sanitaire pour les autorisations de mise sur le marché des vaccins anti-Covid19. Une réflexion sur les modèles efficients, à l’instar du modèle allemand, pourrait ainsi contribuer à faire de l’Europe un espace encore plus attractif et compétitif dans le domaine considéré.
20De son côté, le groupe Thales est un leader mondial dans les solutions de souveraineté numérique. Son président-directeur général, Patrice Caine, souligne le fait que l’arrivée de la 5G va élever la protection de nos systèmes et objets connectés au rang d’enjeu majeur de sûreté. Face à ce défi et à ceux liés au stockage des données dans le cloud, le renforcement d’une filière industrielle cohérente, depuis le matériel et ses composants jusqu’aux systèmes complets, est indispensable. Les atouts et la volonté sont là.
21La France est un des quatre pays au monde et le seul pays européen à pouvoir participer à la course à la puissance de calcul et permettre ainsi à l’Europe de fonder une politique de souveraineté en matière de numérique. Jean-Claude André a dirigé, de 1995 à 2010, le Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (CERFACS, Toulouse). Gérard Roucairol, quant à lui, a présidé l’Académie des technologies en 2013 et 2014 après avoir dirigé pendant vingt-quatre ans les études et recherches du groupe Bull. Dans leur article, ils décrivent l’évolution et les enjeux du calcul à haute performance, et les opportunités qui s’offrent à la France et à l’Europe en la matière.
22Le secteur agroalimentaire était jadis considéré comme un point fort inexpugnable de l’économie française. Depuis le début des années 2000, la France n’a cessé de perdre des parts de marché dans ce secteur, la détérioration de son solde commercial étant particulièrement marquée sur les marchés de l’Union européenne. Marion Guillou, qui a été directrice générale de l’Alimentation au ministère chargé de l’Agriculture, puis a dirigé l’INRA pendant douze ans, Hughes de Franclieu, responsable des industries agroalimentaires au ministère chargé de l’Économie, et Claire Saint-Félix, statisticienne et économiste, analysent les différentes causes évoquées pour expliquer cette détérioration constante. Ils soulignent la multiplicité de ces causes et, en conséquence, la diversité des mesures que la reconquête nécessite.
23Le secteur de la construction représente, globalement, 40 % des émissions mondiales de CO2. Ce secteur doit atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, réduire drastiquement son utilisation de ressources non recyclables et répondre au besoin de loger une population mondiale qui va s’accroître de deux milliards au cours des trente prochaines années. Pierre-André de Chalendar, président du groupe Saint-Gobain et co-président de La Fabrique de l’industrie, présente les enjeux et les solutions liés notamment aux matériaux utilisés, aux méthodes de construction, à la rénovation de l’habitat, en particulier là où la transversalité de l’action des intervenants est clef, ainsi qu’au développement du numérique.
24Ce numéro de Réalités industrielles des Annales des Mines a pour seule ambition d’apporter au lecteur un éclairage d’experts de différentes origines sur une problématique de fond pour la France, qui est celle d’une compétitivité retrouvée pour que notre pays joue un rôle majeur dans un monde aujourd’hui globalisé.
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DOBBS R., MANYIKA J. & WOETZEL J., "No ordinary disruption”, publié par Public Affairs.