Notes
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« Instruments juridiques de l’OCDE n’ayant pas une portée juridique obligatoire, la pratique leur reconnaît cependant une force morale importante, dans la mesure où elles représentent la volonté politique des Adhérents. Il est dès lors attendu que les Adhérents fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour les mettre en œuvre intégralement. Par conséquent, lorsqu’un Membre n’a pas l’intention de mettre en œuvre une Recommandation, il s’abstient lors de son adoption, bien que cela ne soit pas requis juridiquement. »
Introduction
1L’Organisation de coopération et de développement économique est un forum d’échange entre pays membres ayant pour objectif de relever, au travers de politiques publiques appropriées, les défis économiques et sociaux qui se posent dans de nombreux domaines : allant de l’éducation à l’environnement, de la fiscalité à l’agriculture, de la santé au numérique… Elle aborde à ce titre les questions de gouvernance liées au développement des sciences et des technologies. Il s’agit pour elle de promouvoir les politiques publiques qui favorisent le développement technologique, qui est lui-même un facteur de développement économique.
2Au sein de l’OCDE, la Direction des sciences et technologies est organisée en comités et en groupes de travail, parmi lesquels figure le BNTC qui est le groupe de travail consacré aux biotechnologies, nanotechnologies et technologies convergentes. Le BNTC a pour missions de conseiller les décideurs et d’assurer le suivi des questions de politiques publiques concernant les technologies émergentes relevant principalement, mais pas uniquement, du domaine de la santé. C’est le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de I’Innovation qui y représente la France.
3Les nouvelles technologiques médicales, qui sont développées depuis une vingtaine d’années, présentent un potentiel immense d’amélioration de la santé et du bien-être. Mais leur capacité à manipuler des entités biologiques de plus en plus petites, telles que des neurones ou des morceaux d’ADN, bouscule les notions d’identité, d’intégrité et d’autonomie de l’être humain.
4Ainsi, sous l’impulsion de quelques États membres, le BNTC, reconnaissant la nécessité de favoriser le développement de ces technologies porteuses d’espoirs dans le champ thérapeutique, mais tout en prenant en compte les inquiétudes liées au respect des questions d’éthique, a mené pendant cinq ans un projet dénommé « Neurotechnologies et société » (Garden et al., 2016). À travers ce projet, le BNTC s’est donné pour objectif de formuler des principes de développement responsable de l’innovation dans le domaine des neurotechnologies.
La recommandation de l’OCDE : son contenu et sa portée
5L’ensemble des délégations ont mené un travail commun d’élaboration et de rédaction de neuf principes, qui constituent, depuis leur adoption par le Conseil de l’OCDE, le 11 décembre 2019, la recommandation n° 457.
6Le contenu de cette recommandation (OCDE, 2019 ; Winickoff et Garden 2020) est exposé par Hervé Chneiweiss dans son article publié dans ce numéro. Dans leurs grandes lignes, les recommandations faites par Conseil de l’OCDE aux membres adhérents visent à :
- promouvoir de manière positive les neurotechnologies ;
- favoriser les débats sociétaux sur ces technologies ;
- promouvoir auprès des acteurs privés et publics une culture de responsabilité envers la société ;
- mettre en place des mécanismes permettant d’anticiper les dérives potentielles ;
- protéger les données personnelles collectées ;
- anticiper et surveiller les éventuels usages non intentionnels et/ou abusifs des neurotechnologies.
7La délégation française au sein du BNTC a joué un rôle moteur dans l’élaboration des principes d’encadrement de l’innovation en neurotechnologies. Anticipant un possible consensus international a minima, aligné sur le « moins-disant éthique », la délégation française a ainsi défendu des positions exigeantes en accord avec la révision de la loi de bioéthique en cours en France et l’esprit de la Convention pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine signée le 4 avril 1997, à Oviedo (Espagne), et entrée en vigueur le 1er décembre 1999.
8Une recommandation de l’OCDE est un instrument juridique. Son adoption formelle en fait plus précisément un instrument légal qui certes non contraignant (soft law), est quand même considéré comme engageant, et auquel les juridictions nationales peuvent dorénavant faire référence [1]. La France, comme les autres pays membres de l’OCDE, a une obligation morale de mettre en œuvre cette recommandation.
Les premières étapes de sa mise en œuvre : proposition de signature d’une charte et consultations
9Le directeur général de la Recherche et de l’Innovation du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a missionné une task force chargée de déployer un plan national de communication et d’implémentation des principes de la recommandation. Les membres de cette task force sont des représentants des ministères concernés (Santé, Économie, Recherche), des experts des questions de bioéthique, des représentants du monde de l’entreprise et des professionnels de santé.
10S’inspirant des principes de la recommandation, la task force a pour double souci d’aider les innovateurs à développer leur marché en renforçant la confiance entre les entreprises, les patients, les consommateurs et les investisseurs, et de protéger le patient et l’utilisateur contre, en particulier, une utilisation non consentie de leurs données cérébrales personnelles. Les premiers partenaires de la mise en œuvre de la recommandation sont donc les entreprises du secteur des neurotechnologies, en particulier les start-ups.
11En France, le terreau des entreprises du secteur médical se compose de 1 000 entreprises, dont 15 à 20 % spécialisées en neurotechnologies, soit 150 à 200 entreprises distribuées sur tout le champ divers des technologies considérées : allant du digital pur aux neurosciences pour l’entreprise (gestion du stress, aide au recrutement, gestion des RH). On observe une abondance de projets de création de start-ups dans le domaine des neurotechnologies, en particulier des projets portant sur de nouvelles solutions de gestion du stress ou de développement personnel utilisant les données issues de l’activité cérébrale. Cette abondance s’explique par une barrière relativement faible d’entrée sur le marché, puisqu’elle est liée principalement au développement de dispositifs dédiés aux enregistrements électro-encéphalographiques. Elle s’explique également par la place qu’occupe la France dans le domaine des neurosciences et par le nombre des étudiants, de futurs entrepreneurs potentiels, formés à la recherche dans notre pays.
12La mission première de la task force est donc d’informer les parties prenantes de l’existence de la recommandation de l’OCDE et de déterminer dans quelle mesure elle peut être ou non facteur de développement pour les entreprises.
13Ces acteurs des neurotechnologies sont en demande d’informations sur les barrières possibles et les précautions à prendre dans le développement de ce type de produits. Ils font, pour certains, également face à la difficulté de l’acceptation du produit, l’utilisateur final craignant soit une mauvaise gestion de ses données personnelles, soit une utilisation non consentie menant à une divulgation potentielle de son « intimité cérébrale ».
14Les start-ups et PME du domaine seraient a priori très réceptives aux grands principes de l’OCDE et pourraient, pour une grande partie d’entre elles, accepter de signer une charte de développement responsable, ce qui correspondrait pour chacune d’elles à un engagement très ferme. Par leur adhésion à une charte, elles seraient en mesure de rassurer les utilisateurs, pouvant ainsi se prévaloir d’être certifiées dans la collecte et la gestion des données.
15Cette proposition de signature d’une charte constitue un vecteur d’adhésion des acteurs à la recommandation, mais ce n’est pas le seul. Elle a l’intérêt majeur de permettre d’engager un dialogue avec les professionnels des neurotechnologies. Il faut cependant éviter les approches descendantes, souvent démotivantes et perçues comme contraignantes, pour plutôt favoriser les approches donnant à tous la possibilité de participer à l’élaboration d’un outil commun. Ainsi, dans le souci d’entendre la voix de toutes les parties prenantes et de favoriser l’adhésion du plus grand nombre, le texte de cette charte doit être co-construit par des représentants de l’ensemble des acteurs du domaine : entreprises, praticiens, juristes, associations professionnelles, associations de patients, comités d’éthique…
Expérimentation sur les interactions entre le cerveau et l’ordinateur conduite par le Centre de recherche Neurosciences de Lyon
Expérimentation sur les interactions entre le cerveau et l’ordinateur conduite par le Centre de recherche Neurosciences de Lyon
« Le Collectif pour la recherche transdisciplinaire sur les interfaces cerveau-ordinateur (Cortico) est une association de chercheurs qui affiche une cinquantaine de membres au niveau national ; elle se caractérise par une adhésion forte des jeunes chercheurs. »16La task force s’est ensuite donné pour tâche de contacter les entreprises des neurotechnologies et l’ensemble des acteurs du domaine. L’objectif est de porter à la connaissance de tous l’existence de la recommandation et de recueillir leurs observations. Il est également de véhiculer l’idée d’une charte co-construite par l’ensemble des parties prenantes.
17Douze start-ups ont été consultées en ce sens ; il en ressort que l’existence de la recommandation de l’OCDE est accueillie très favorablement par les entreprises. Tout comme l’est l’initiative des pouvoirs publics visant à la mise en œuvre d’un cadre de référence éthique. Les entreprises rencontrées ont en effet exprimé très tôt leur volonté d’intégrer des considérations éthiques dans le développement de leurs produits, mais elles hésitent quant à la nature des mesures à prendre ou des actions à mener. Dans ce contexte, la proposition de la task force d’adhérer à une charte de développement responsable des neurotechnologies est donc particulièrement bien reçue. Les entreprises y voient aussi l’avantage de pouvoir réduire la réticence de leurs clients vis-à-vis de l’utilisation de leurs produits ou services, compte tenu du caractère très sensible de la détection de l’activité cérébrale et de l’utilisation des données qui peuvent être collectées. Les entreprises ont, à l’unanimité, souhaité participer à la rédaction de la charte.
18Les entreprises de la Health Tech, regroupées au sein de l’association France Biotech, ont également été consultées par le biais d’un questionnaire. Les entreprises de taille plus importante ‒ les grands groupes, les fabricants de matériels et de dispositifs médicaux ‒ ont eux aussi été contactés par l’intermédiaire de leurs syndicats (notamment le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales), de l’Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé et de l’Institut Carnot Cognition. En France, seuls quatre grands groupes se déclarent concernés par les neurotechnologies.
19La communauté des chercheurs relevant des grands organismes de recherche, des universités et des CHU a été informée de l’existence de la recommandation de l’OCDE par l’alliance Aviesan, par l’intermédiaire de son Institut multi-organismes (ITMO) Neurosciences, qui, en tant que structure de concertation, est apparu comme un relais d’information pertinent. Une action de sensibilisation auprès des chercheurs des organismes publics est également apparue nécessaire. Le Collectif pour la recherche transdisciplinaire sur les interfaces cerveau-ordinateur (Cortico) est une association de chercheurs qui affiche une cinquantaine de membres au niveau national ; elle se caractérise par une adhésion forte des jeunes chercheurs. Très sensibilisée aux questions d’éthique liées aux neurosciences, Cortico fournit à la task force un éclairage multidisciplinaire précieux.
20Plusieurs difficultés sont apparues durant les consultations et doivent être traitées dans le cadre de l’élaboration du plan de mise en œuvre de la recommandation. La première difficulté a été soulevée par plusieurs créateurs d’entreprises qui souhaiteraient obtenir des garanties en termes de bonnes pratiques des entreprises concurrentes. La validation de ces pratiques par un comité extérieur indépendant à travers la délivrance d’un label ou d’une certification permettrait de démontrer l’engagement effectif des signataires. Si cette possibilité, loin de faire l’unanimité, renforcerait la confiance des patients et des utilisateurs, elle rajouterait cependant une contrainte administrative supplémentaire potentiellement lourde et de nature a freiné le développement économique. La proposition considérée demande donc d’engager une réflexion plus approfondie ; sur ce point, d’autres options doivent être envisagées, en particulier celles qui sont de nature à favoriser une culture de responsabilité et de confiance dans les secteurs public et privé.
21La deuxième difficulté est liée à l’internationalisation des entreprises. Si le développement de bonnes pratiques s’opère au niveau national, les marchés sont mondiaux. De nombreuses entreprises françaises des neurotechnologies développent leurs activités dans plusieurs pays et risquent d’établir des pratiques différentes suivant leurs implantations. Une uniformisation des plans de mise en œuvre de la recommandation entre les pays de l’OCDE serait souhaitable. Mais les questions d’éthique, d’une part, et de politiques de développement économique, d’autre part, sont étroitement liées à l’histoire et à la culture de chaque pays. Les États membres de l’OCDE souhaiteront garder leur souveraineté sur un sujet aussi sensible.
Conclusions
22Les conditions doivent être réunies pour développer des technologies fiables et dignes de confiance. La proposition d’une charte est un élément important de la mise en œuvre d’une politique en la matière. C’est un outil partagé entre les parties prenantes dont la fonction est de favoriser le développement des marchés par le respect de principes d’éthique et de préoccupations sociétales. Mais ce n’est pas le seul élément, d’autres principes de la recommandation doivent également être mis en œuvre. C’est le cas du principe 5 qui invite les États membres à « favoriser les débats sociétaux sur les neurotechnologies ». La participation citoyenne devient incontournable dans l’élaboration des politiques publiques scientifiques et technologiques. Il en va de l’acceptation ou du rejet de ces technologies par la société et, par conséquent, de la perte potentielle de marchés et de savoir-faire. La task force pourra s’appuyer sur le groupe Neurosciences du Comité consultatif national d’éthique qui estime que l’un des points les plus importants de la recommandation concerne la participation citoyenne.
23Les technologies émergentes dans le domaine de la santé ont besoin d’un cadre réglementaire pour se développer et concrétiser dans la société toutes les promesses nées dans les laboratoires. Elles suscitent chez les patients des espoirs qu’il ne faut pas décevoir et auprès des entrepreneurs des perspectives de développement économique, porteuses de richesses. Il est indispensable de fournir à nos concitoyens une information transparente sur des technologies qu’ils ont le droit de considérer comme très invasives et de leur garantir un droit de retrait à tout moment. À défaut, la défiance grandissante conduira à un rejet sociétal, comme l’histoire récente des développements technologiques en France nous l’a montré. Ainsi, les technologies émergentes de santé deviennent un sujet complexe et sensible de politique publique, qui repose sur un équilibre fragile entre un développement rapide de celles-ci pour faire face à la concurrence internationale, un développement encadré pour nourrir la confiance du public et un développement guidé par les choix de nos concitoyens au travers desquels ils déterminent la société dans laquelle ils souhaitent vivre.
Références
- GARDEN H., BOWMAN D. M., HAESLER S. & WINICKOFF D. E. (2016), “Neurotechnology and society: Strengthening responsible innovation in brain science”, Neuron.
- OCDE (2019), « Recommandation du Conseil sur l’innovation responsable dans le domaine des neurotechnologies », OECD/ LEGAL/0457.
- WINICKOFF D. E. & GARDEN H. (2021), “The OECD approach to responsible innovation”, in HARRIS A. Eyre, BERK Michael & LAVRETSKY Helen, Convergence Mental Health: a transdisciplinary approach to Innovation, Oxford University Press.
Notes
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[1]
« Instruments juridiques de l’OCDE n’ayant pas une portée juridique obligatoire, la pratique leur reconnaît cependant une force morale importante, dans la mesure où elles représentent la volonté politique des Adhérents. Il est dès lors attendu que les Adhérents fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour les mettre en œuvre intégralement. Par conséquent, lorsqu’un Membre n’a pas l’intention de mettre en œuvre une Recommandation, il s’abstient lors de son adoption, bien que cela ne soit pas requis juridiquement. »