Couverture de RINDU1_213

Article de revue

Neurofeedback : le développement pervasif des applications neurotechnologiques pour gérer le stress, les troubles de l’attention et la douleur

Pages 31 à 34

1Alors que nous entrons dans une nouvelle ère de la santé digitale, le neurofeedback ouvre la voie à une approche révolutionnaire pour modifier en profondeur la dynamique des réseaux cérébraux.

2Le neurofeedback est une approche alternative non invasive, dont le but est d’aider le sujet à autoréguler un ou plusieurs paramètres de son activité cérébrale grâce à un processus de renforcement positif. Il se pratique sans introduction d’activité électrique, magnétique ou de composés pharmacologiques dans le cerveau. Le neurofeedback permet à l’utilisateur d’induire lui-même des changements à long terme dans les oscillations spontanées de son cerveau en dehors des périodes d’entraînement cérébral. Cette constatation révèle la capacité du neurofeedback à induire une plasticité cérébrale, donnant lieu par exemple à de nombreux bénéfices cliniques directs. Le neurofeedback s’apprête à transformer la gestion clinique de la santé mentale, du bien-être, comme la gestion de l’anxiété, des troubles de l’attention ou encore de la douleur.

Les principes du neurofeedback

Historique

3La première découverte à l’origine du neurofeedback a été faite il y a un demi-siècle, au milieu des années 1960, lorsque Joe Kamiya a démontré qu’il était possible de contrôler par soi-même les oscillations du cerveau humain en utilisant un retour sensoriel auditif et une visualisation de son électroencéphalogramme (EEG). Il s’agissait là d’une des premières interfaces cerveau-ordinateur. Les informations collectées en temps réel sur l’activité du rythme alpha (ondes cérébrales oscillant autour de 10 Hz) étaient fournies aux utilisateurs via un retour auditif, signalant le niveau de leur état de relaxation. Il a ainsi démontré pour la première fois la possibilité pour un individu d’exercer un contrôle en temps réel de son activité cérébrale via le neurofeedback.

4Sterman et al., en 1970, ont observé, quant à eux, que le neurofeedback induit des changements à long terme dans les oscillations spontanées du cerveau en dehors des périodes d’entraînement cérébral. Cette constatation révèle donc pour la première fois la capacité du neurofeedback à induire une plasticité cérébrale, donnant lieu à de nombreux bénéfices cliniques directs (traitement de l’épilepsie, des troubles attentionnels, etc.).

Fonctionnement biologique

5Notre cerveau est un organe complexe composé de plusieurs milliards de cellules nerveuses, appelées neurones, qui établissent des connexions entre elles. Ces connexions neuronales sont comme des routes qui vont relier les régions de notre cerveau spécifiquement impliquées dans la tâche que nous sommes en train d’effectuer, consciemment ou non. Ces connexions sont créées, modifiées, réorganisées ou renforcées, notamment lors des processus d’apprentissage, dès le développement embryonnaire et durant toute la vie. Cette capacité qu’a le cerveau à se remanier s’appelle la neuroplasticité. Elle apparaît notamment quand nous vivons une nouvelle expérience ou quand nous essayons d’apprendre quelque chose de nouveau.

Figure 1

Représentation spectrale des EEG moyennés sur des populations saines ou psychiatriques : à gauche, les moyennes et déviations standard des deux groupes ; à droite, les moyennes suivant les types de populations : saine (CON), schizophrénique (SSD), souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (OCD) ou dépressive (DD) (figure adaptée de Schulman et al., 2011)

Figure 1

Représentation spectrale des EEG moyennés sur des populations saines ou psychiatriques : à gauche, les moyennes et déviations standard des deux groupes ; à droite, les moyennes suivant les types de populations : saine (CON), schizophrénique (SSD), souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (OCD) ou dépressive (DD) (figure adaptée de Schulman et al., 2011)

6Ce processus naturel de neuroplasticité de notre cerveau peut être stimulé grâce au neurofeedback, notamment dans le milieu clinique.

Neuro-imagerie par EEG

7En principe, la mise en œuvre du neurofeedback est simple : il suffit de connecter un amplificateur EEG à un ordinateur ou à un smartphone pour fournir des informations en temps réel sur l’activité cérébrale d’une personne. D’autres modalités d’imagerie peuvent être utilisées (MEG, IRMf, fNIRS…) sans avoir cependant tous les avantages de l’EEG à l’heure actuelle. L’interface cerveau-ordinateur fait office de « miroir » virtuel des oscillations neuronales se produisant dans le cerveau, permettant à un sujet de les modifier explicitement.

8L’EEG mesure, de manière non invasive, l’activité électrique du cerveau par des électrodes positionnées sur le cuir chevelu. Grâce à l’analyse du signal EEG, il est possible d’extraire des marqueurs biologiques qui permettent d’identifier en temps réel la signature de la dynamique de l’activité cérébrale. Cette dynamique est une excellente image des états mentaux qui parcourent nos êtres lors de nos pensées et de nos actions. En fonction de la courbe EEG représentant les ondes du cerveau, on peut, comme dans la figure ci-dessus (Schulman et al., 2011), catégoriser un sujet sain par comparaison à un sujet à caractère pathologique, souffrant de maladies psychiatriques graves. Les schémas d’activité révèlent des dysfonctionnements oscillatoires chez certaines catégories de patients.

9L’entraînement cérébral avec retour sensoriel ‒ ou neurofeedback ‒ permet de réguler la dynamique du cerveau et d’exercer la plasticité cérébrale dans le sens souhaité. Grâce au neurofeedback, on peut modifier en profondeur la structure des réseaux qui régulent l’activité cérébrale cible et permettre ainsi à un état caractérisé de pathologique de tendre vers un état sain.

Trois exemples de solutions concrètes de neurofeedback

Melomind, pour la gestion du stress

10Afin de combattre le stress au quotidien, la solution Melomind a été conçue pour mesurer et maximiser un neuromarqueur impliqué dans la relaxation : les ondes alpha. Melomind est composée (voir la figure de la page suivante) :

  • d’une technologie d’EEG miniaturisée implantée dans un casque audio bluetooth pour mesurer l’état mental de la personne ;
  • et d’un programme d’entraînement cérébral matérialisé par une application mobile sur smartphone.

11Concrètement, les capteurs EEG mesurent l’état de relaxation à travers le niveau des ondes alpha qui est retranscrit en temps réel par l’application mobile sous forme d’un retour auditif dans un espace sonore relaxant.

12Les performances de la solution Melomind ont été évaluées par un protocole scientifique (Grosselin et al., 2020), qui a mis en avant tous les critères les plus élaborés, en accord avec les meilleurs standards référentiels scientifiques (Ros et al., 2020). Les changements neuronaux induits par l’entraînement fait avec neurofeedback Melomind indiquent que ce dernier permet une modulation spécifique de l’activité cérébrale entraînée, c’est-à-dire que, grâce à Melomind, l’utilisateur apprend à augmenter les ondes cérébrales impliquées dans la relaxation.

Figure 2

Solution de neurofeedback Melomind, qui se compose d’un casque EEG-audio bluetooth et d’un programme d’entraînement cérébral matérialisé par une application mobile sur smartphone

Figure 2

Solution de neurofeedback Melomind, qui se compose d’un casque EEG-audio bluetooth et d’un programme d’entraînement cérébral matérialisé par une application mobile sur smartphone

©MyBrain Technologies.
Figure 3

Neuromodulation induite par Melomind à travers les sessions

Figure 3

Neuromodulation induite par Melomind à travers les sessions

Commentaires au regard de l’évolution des performances d’apprentissage (basée sur l’activité cérébrale entraînée) à travers les sessions au fil des séances, pour le groupe NF (en rouge) et le groupe Contrôle (en bleu). Les points et les lignes en pointillés représentent les performances d’apprentissage enregistrées au cours des douze sessions, moyennées sur l’ensemble des participants de chaque groupe ; les zones ombrées représentent les erreurs par rapport à la moyenne. Les lignes pleines représentent les régressions en termes d’évolution, lesquelles sont estimées par un modèle statistique.
©MyBrain Technologies.

13Ce protocole a été strictement appliqué pour l’entraînement de quarante-huit participants dans le cadre d’une étude randomisée et en double aveugle. Comme le montre la figure ci-après, cette étude confirme bien qu’un vrai entraînement au neurofeedback (groupe NF) augmente le niveau d’ondes alpha de manière significative, ce qui n’est pas le cas du « mock » neurofeedback (groupe Contrôle). La progression indique la capacité des participants du premier groupe à diminuer l’indice sonore en dessous d’un seuil. Le calcul de l’indice de progression montre une augmentation jusqu’à 20 % des ondes alpha pendant les exercices et jusqu’à la fin du programme. Cette évolution est accompagnée également d’une amélioration des mesures psychométriques, ce qui démontre que les participants considérés sont détendus de manière durable grâce au programme d’entraînement Melomind.

Koala, pour la gestion des troubles de l’attention

14Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) est l’un des troubles psychiatriques les plus courants chez l’enfant et l’adolescent, avec des taux de prévalence de 5 à 7 % dans le monde entier. Il s’agit d’un trouble du développement caractérisé par des difficultés d’attention, une hyperactivité et une impulsivité, s’accompagnant d’une altération significative du fonctionnement social, cognitif, scolaire, comportemental et familial des jeunes présentant un tel trouble.

15Des approches multimodales sont recommandées pour le traitement du TDAH, consistant en une combinaison de thérapies pharmacologiques et une prise en charge psychologique. Ces traitements ont pour but d’améliorer la qualité de vie des enfants et des adolescents atteints. Les traitements pharmacologiques sont efficaces et constituent la solution la plus fréquemment utilisée pour soigner le TDAH dans les pays développés, mais ils ne sont pas sans risques. Les substances administrées chez l’enfant sont addictives et peuvent provoquer des effets néfastes sur la santé à l’âge adulte. Il est important d’envisager des traitements non pharmacologiques tels que le recours à des stratégies psychologiques. Parmi les interventions non pharmacologiques, le neurofeedback est considéré comme une stratégie prometteuse dans le traitement du TDAH.

16La solution Koala a été le premier dispositif médical à être certifié, et ce à la suite d’une large étude clinique européenne portant sur 179 adolescents atteints du TDAH (Bouilac et al., 2019) et ayant bénéficié à ce titre d’une rééducation cérébrale personnalisée à domicile. Concrètement, les enfants bénéficiant de cette solution sont soumis à un protocole d’entraînement basé sur les neuromarqueurs SMR (rythme sensorimotor) ou bien sur des ondes Thêta/Bêta (ratio d’ondes générées autour de ~ 5 Hz sur les ondes générées autour de ~ 20 Hz). Le protocole d’entraînement prend la forme d’un jeu informatique, dans lequel les enfants obtiennent des récompenses lorsque leur activité cérébrale cible s’accroît. Le jeu peut, par exemple, consister pour le patient à essayer de pêcher des poissons ou de reconstituer des puzzles.

Beluga, pour la gestion de la douleur

17Le neurofeedback peut aussi avoir des applications dans le traitement clinique de la douleur chronique. Par exemple, la solution Beluga cible la lombalgie chronique (cLBP), qui touche un quart de la population au cours de sa vie. Les cas chroniques représentent jusqu’à 80 % des coûts globaux de la lombalgie en France, qui s’élèvent à 2,7 milliards d’euros par an.

18La solution Beluga propose un protocole d’entraînement qui cible les réseaux cérébraux impliqués dans la perception émotionnelle et attentionnelle de la douleur. Le protocole est basé sur le neuromarqueur de concentration spécifique de la phase du signal des ondes alpha (APC) plutôt que sur l’amplitude de celles-ci (Mayaud et al., 2019). Le traitement Beluga a montré, pour seize patients, une réponse importante et durable de la plupart des échelles cliniques mesurées. L’amélioration clinique s’est maintenue au-delà des critères de suivi à six mois. Les données EEG confirment que les patients ont appris à mieux contrôler le feedback du neuromarqueur cible. Enfin, le neuromarqueur APC s’est avéré être corrélé de manière significative avec la réduction des symptômes cliniques dans un effet dose-réponse typique. Cette première étude semble mettre en évidence le rôle du neuromarqueur APC en relation avec l’activité du noyau accumbens, ainsi que son impact sur la nociception et la chronicité de la douleur. Cette étude suggère que la réhabilitation de l’APC pourrait être utilisée cliniquement pour les cas les plus sévères de cLBP. Son excellent profil de sécurité et sa disponibilité en tant qu’intervention à domicile en font un outil potentiellement disruptif dans le contexte d’abus de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens et d’opioïdes.

Conclusion

19Nous vivons un véritable bouleversement dans le monde de la santé digitale. Le développement pervasif des neurotechnologies permet la mise en place de nouveaux paradigmes de prise en charge de la santé mentale par le neurofeedback. Ce paradigme est rendu possible par plusieurs révolutions scientifiques et technologiques. La première est celle des neurosciences cognitives qui donnent un éclairage, chaque jour nouveau, sur le fonctionnement cognitif et émotionnel du cerveau. Cet éclairage ouvre un champ des possibles gigantesque pour travailler et modifier les interactions que nous avons avec nous-même et avec les autres. La seconde révolution est celle des objets connectés et des smartphones qui ouvrent la voie vers une médecine centrée autour de l’individu, chez lui et à tout moment. Enfin, l’analyse de données massives permet de mieux comprendre les caractéristiques des dynamiques d’apprentissage de chacun de nous.

20Ainsi, l’on peut considérer en ce sens que le neurofeedback est transformatif, en accroissant la personnalisation, basée sur la donnée, des traitements, au service du patient. Le neurofeedback permettra d’optimiser la prise en charge des troubles mentaux en apportant de vraies solutions thérapeutiques complémentaires.


Date de mise en ligne : 20/07/2021

https://doi.org/10.3917/rindu1.213.0031

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.85

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions