1En une trentaine d’années, les Geiq ont su trouver leur place dans le paysage de l’insertion professionnelle, s’affirmant comme un exemple d’une innovation sociale des entreprises et fonctionnant grâce à leur engagement. Comprendre plus précisément la contribution des Geiq, repérer leur valeur ajoutée pour les différentes parties prenantes et identifier les facteurs de réussite peuvent nous aider à tirer quelques enseignements sur les actions à mettre en œuvre pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes en difficulté, particulièrement celle des migrants. C’est ce que nous nous proposons d’examiner plus précisément ici.
Qu’est-ce qu’un Geiq et comment fonctionne-t-il ?
2Association relevant de la loi de 1901, un Geiq est aussi un groupement d’employeurs (GE). C’est donc une association d’entreprises, et non de personnes, qui recrute des salariés et les met à disposition de ses adhérents. Mais contrairement à un GE classique dont la vocation est de mutualiser des temps partiels ou des emplois saisonniers pour proposer des emplois pérennes, le Geiq organise des parcours d’insertion et de qualification en s’appuyant sur des contrats de travail en alternance.
3Ainsi, des entreprises, relevant le plus souvent d’un même secteur d’activité, se regroupent sur un territoire pour répondre à leurs enjeux de recrutement. Bien que concurrentes, elles font le choix de travailler ensemble et de piloter un groupement dont elles sont solidairement responsables. Elles en assurent la gouvernance et s’appuient sur une équipe de salariés permanents pour le faire fonctionner.
4Très concrètement, le Geiq est saisi par une entreprise adhérente d’une problématique de recrutement, qu’il analyse avant de formaliser une réponse RH. Il assure ensuite le sourcing des candidats en s’appuyant sur l’ensemble des partenaires du territoire. Non seulement, il noue des partenariats étroits avec les acteurs du service public de l’emploi (Pôle emploi, Missions locales, Cap emploi), mais aussi avec des associations d’insertion, des clubs sportifs, des organismes de formation… Le Geiq recrute en contrat d’alternance un candidat confronté à des difficultés d’accès à l’emploi. Le contrat conclu est le plus souvent un contrat de professionnalisation, parfois d’apprentissage. Il construit un projet pédagogique adapté au profil du salarié et aux besoins de l’entreprise, avec l’appui d’un ou plusieurs organismes de formation. Le salarié alterne ensuite des périodes de formation et de mise à disposition de l’entreprise sur toute la durée de son contrat de travail.
5Le Geiq assure également un accompagnement social et professionnel, seul ou avec son réseau de partenaires, afin de maximiser les chances de réussite du salarié dans son parcours.
6Sur le plan économique, le Geiq fonctionne sur un modèle de type entrepreneurial. Plus de 70 % de ses ressources sont issues de la facturation des mises à disposition des salariés auprès des entreprises adhérentes, 20 % viennent des fonds de la formation professionnelle via les Opco ‒ les opérateurs de compétences ‒, le reste correspond à des aides de droit commun pour favoriser l’accès à l’emploi et à des financements publics spécifiques.
7Depuis 2014, les Geiq sont inscrits dans la loi. Pour être Geiq, il faut se conformer à un cahier des charges comportant 14 critères et des indicateurs d’évaluation. Tous les Geiq sont, chaque année, évalués sur la base de ce cahier des charges par une commission mixte regroupant pour moitié des représentants du ministère du Travail et pour moitié des représentants de la Fédération française des Geiq. Cette commission est présidée par une personnalité nommée par le ministre du Travail. Depuis sa création en 2015, son président est le préfet Alain Régnier, actuellement Délégué interministériel à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (DIAIR). Ce processus permet de garantir à l’ensemble des acteurs la conformité du modèle Geiq et la qualité de ses résultats.
Quelle est la valeur ajoutée d’un Geiq ?
8Créé à l’initiative d’entreprises, la première vocation d’un Geiq est d’apporter un service à ses adhérents. Plus de 90 % d’entre eux emploient moins de 300 salariés et n’ont pas toujours les ressources en interne pour traiter les problématiques liées à la gestion des ressources humaines. Comme nous l’avons déjà vu, le Geiq propose en la matière un service complet à ses adhérents. La mutualisation permet de développer des compétences spécifiques dont les entreprises ne disposent pas en interne.
9Par ailleurs, non seulement le parcours de formation est adapté aux besoins spécifiques de l’entreprise demandeuse, mais en outre le temps de mise en application de cette formation se fait au sein même de l’entreprise, sur le poste de travail. Quand l’entreprise recrute le salarié à l’issue de son parcours, celui-ci est directement opérationnel. Mais l’apport du Geiq aux entreprises va bien au-delà du service rendu. En travaillant ensemble au sein des instances du Geiq, les entreprises, pourtant concurrentes, apprennent à mieux se connaître et à se faire confiance. Le premier niveau est l’échange d’informations, principalement sur les questions RH. Mais des actions communes peuvent également être lancées, des dispositifs ou structures peuvent également être créés, dans l’environnement du Geiq ou en dehors ; des collaborations commerciales peuvent être initiées. Ainsi, le Geiq produit également du réseau et de la coopération entre les entreprises.
10S’il est d’abord au service des entreprises, le Geiq a, bien entendu, également une vocation d’insertion. Il permet à des personnes en difficulté, celles que les entreprises ne recruteraient pas directement, de se qualifier et de s’insérer durablement dans le monde du travail. Grâce au Geiq, ces personnes reprennent confiance en elles parce qu’on leur a fait confiance, elles acquièrent des compétences et une qualification reconnue. L’accompagnement permet de traiter les problématiques auxquelles elles sont confrontées sur le plan personnel ou social, mais aussi de faciliter leur intégration dans l’entreprise. Les salariés sont le plus souvent recrutés par l’entreprise dans laquelle ils ont été formés, réalisant un parcours « sans couture ». Cet enchaînement que permet le Geiq est rassurant pour les salariés comme pour les prescripteurs et les employeurs.
11Plus de 80 % des salariés recrutés par les Geiq se rattachent aux dix catégories définies par le cahier des charges. Il s’agit notamment de personnes sans emploi depuis plus d’un an, de jeunes sans qualification, de demandeurs d’emploi âgés de plus de 45 ans, de travailleur handicapés… Depuis deux ans, la Fédération française des Geiq a signé une convention avec la Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés. Les bénéficiaires de la protection internationale ont été rajoutés à la liste des publics prioritaires des Geiq. Cela a permis de les comptabiliser : 123 ont été recrutés en 2018 et 234 en 2019 avec des résultats proches de ceux des autres publics.
12Ils sont orientés vers les Geiq par des structures d’accueil, des associations et des dispositifs d’insertion. Du point de vue des Geiq, l’accompagnement des réfugiés n’est pas fondamentalement différent de celui des autres publics, même s’ils sont confrontés à des problématiques spécifiques d’ordre administratif, culturel ou linguistique. Celles-ci ont souvent été prises en charge lors d’une première étape du parcours, les Geiq mobilisent ensuite les partenariats adaptés aux besoins particuliers identifiés. Cela fonctionne bien quand les réfugiés sont intégrés au fil de l’eau, à l’instar des autres publics. Mais cela s’est avéré parfois plus compliqué quand certains Geiq ont constitué des groupes. Ces difficultés sont dues à la charge liée à un accompagnement renforcé, mais aussi à un moindre impact de la dynamique d’intégration générée par la diversité des salariés du Geiq.
13Les entreprises, quant à elles, se montrent très réceptives et très intéressées par cette population des réfugiés. Elles apprécient leur motivation et leur implication. Certaines évoquent également un impact positif sur les autres salariés. Le partage des histoires de vie, la fierté de contribuer à l’accueil et à l’intégration de personnes ayant traversé des épreuves particulièrement lourdes constituent une ouverture et un enrichissement qui ont un effet bénéfique sur la dynamique collective.
14S’il est possible de compter les bénéficiaires de la protection internationale qui intègrent les Geiq, nous ne disposons d’aucun élément pour identifier et quantifier les autres migrants. Pourtant nous savons qu’ils sont nombreux et que leurs difficultés ne sont pas fondamentalement différentes. Les Geiq sont très présents dans des secteurs qui sont traditionnellement des secteurs d’intégration comme le bâtiment et la propreté. À eux deux, ces secteurs représentent près de 50 % des recrutements réalisés par les Geiq. Ils prennent ainsi une part active à l’accomplissement de cette mission d’intégration à laquelle participent les Geiq et qui est plus que jamais nécessaire à la cohésion sociale de notre pays.
15Ainsi, à partir d’une démarche d’entreprise, les Geiq contribuent aux politiques de formation, de qualification et d’insertion professionnelle. Si l’initiative est privée, les Geiq ont acquis progressivement une certaine reconnaissance auprès des pouvoirs publics. Leur modèle est aujourd’hui encadré par des textes législatifs et réglementaires, et sont intégrés dans les plans d’action gouvernementaux comme le plan d’investissement dans les compétences (PIC) et le pacte « Ambition pour l’insertion par l’activité économique » (IAE). En signant une convention avec la Fédération française des Geiq, la DIAIR a reconnu le rôle que ceux-ci peuvent jouer pour l’intégration des réfugiés.
16Les branches professionnelles ne s’y sont pas trompées. Certaines d’entre elles ont vu dès le début l’intérêt des Geiq pour leurs adhérents et pour appuyer leur politique de formation et de qualification. Le développement du réseau des Geiq doit beaucoup à la dynamique impulsée par certaines fédérations. Si le secteur du bâtiment a été le premier à porter le concept des Geiq, ceux de la propreté, de la métallurgie et des transports notamment ont, eux aussi, mis en place des politiques de soutien à la création et au développement des Geiq.
Quels sont les facteurs-clés de la réussite des Geiq ?
17Il existe de nombreux acteurs et dispositifs qui œuvrent pour la formation des personnes éloignées de l’emploi et leur insertion professionnelle. Ils ont tous leurs spécificités et leur utilité pour répondre à cet enjeu majeur. Pourtant, les Geiq occupent une place à part dans ce paysage et doivent leurs bons résultats à une combinaison unique de facteurs-clés.
18Contrairement aux autres dispositifs d’insertion professionnelle, les Geiq ne partent pas des publics, mais des besoins des entreprises. Il ne s’agit pas d’un besoin théorique déterminé à partir d’enquêtes et de statistiques, mais de besoins réels exprimés par les entreprises adhérentes. Le Geiq n’existe pas sans ses entreprises adhérentes et il ne recrute pas si elles n’ont pas de besoin. Ce positionnement de l’entreprise au cœur du Geiq est sa principale spécificité et le premier facteur de son succès.
19Le deuxième est de viser en même temps l’insertion et la qualification, ou plutôt de viser l’insertion par la qualification. L’obtention d’une qualification reconnue est un facteur de sécurisation à la fois pour l’entreprise et le salarié. C’est un gage de la qualité de la formation dispensée, c’est aussi un élément-clé de la future mobilité professionnelle du salarié. Pour beaucoup d’entre eux, elle constitue le premier diplôme, et son obtention leur redonne fierté et confiance en eux. Être qualifié, c’est avoir un métier et une identité professionnelle.
20S’appuyer sur des contrats de travail en alternance, de professionnalisation ou d’apprentissage constitue le troisième point-clé. Le choix de l’alternance comme modalité pédagogique permet des allers-retours entre la situation de travail et la formation. Ce mode d’apprentissage permet de partir du réel, de l’expérience, pour aller ensuite vers la généralisation et la théorie. Or, c’est là le mode d’apprentissage privilégié par 50 % de la population et par la quasi-totalité des personnes qui ont connu des échecs scolaires. Au-delà de l’aspect pédagogique, la forme contractuelle est déterminante dans le succès. Pour des jeunes ou des personnes éloignées de l’emploi, la signature d’un contrat de travail n’est pas équivalente à celle d’une convention de formation, même si celle-ci inclut un stage pratique en entreprise. Le contrat est valorisant, il engage et instaure une relation hiérarchique claire et structurante. Il permet d’être rémunéré pour le travail accompli au lieu de percevoir une indemnité. Du côté de l’employeur, il constitue également un réel engagement et lui donne des responsabilités plus fortes vis-à-vis de celui qui est alors son salarié.
21L’accompagnement social et professionnel réalisé par les salariés permanents du Geiq est déterminant. Il permet de prendre en compte l’ensemble des problématiques auxquelles peut être confronté le salarié tout au long de son parcours, mais aussi les difficultés que peut rencontrer l’entreprise à intégrer des personnes qui ne maîtrisent pas ses codes. Le Geiq repère les difficultés qui se posent au plan personnel et social et les traite en s’appuyant sur un réseau de partenaires spécialisés. Il s’assure, avec l’organisme de formation et l’entreprise, de la montée en compétence du salarié ainsi que de sa bonne intégration. La relation privilégiée que le Geiq entretient avec ses adhérents permet d’anticiper les difficultés et, si elles deviennent insurmontables, de proposer le salarié à un autre adhérent afin qu’il puisse continuer son parcours. Parfois, le changement d’entreprise permet de rattraper des situations qui semblaient perdues.
22Enfin, le Geiq s’inscrit dans un territoire et s’adapte à ses spécificités. Il noue des liens avec de nombreux acteurs qui interviennent dans les champs de l’emploi et de la formation, mais aussi dans le champ social et dans celui de l’insertion au sens large. Pour répondre aux besoins de leurs adhérents et à ceux de leur territoire, de nombreux Geiq créent des structures complémentaires venant ainsi élargir leur offre. Il peut s’agir d’autres Geiq intervenant sur d’autres secteurs d’activité, de groupements d’employeurs ou, parfois, d’entreprises de travail temporaire. Ils constituent ainsi des ensembliers d’insertion qui apportent une réponse et des services intégrés à leurs adhérents, aux acteurs du territoire et contribuent à son développement économique.
Quelques enseignements à tirer de la réussite des Geiq pour les politiques publiques d’insertion
23Des réussites des Geiq et de leur originalité, il est possible de dégager quelques enseignements pour les politiques publiques d’insertion.
24Il est d’abord indispensable de remettre les entreprises au cœur des politiques d’insertion professionnelle. Ce sont les employeurs ‒ entreprises et associations ‒, qui insèrent durablement les personnes éloignées de l’emploi, et rien ne peut se faire sans elles. Plusieurs leviers peuvent être utilisés, et certains commencent à l’être.
25L’utilisation de la commande publique est un premier élément. Véritable engagement contractuel, les clauses sociales figurant dans les marchés pourraient être davantage utilisées. Elles devraient être systématiquement orientées vers la construction de véritables parcours visant une insertion durable et ne pas être cantonnées à la comptabilisation des heures.
26La valorisation des entreprises qui agissent est un autre élément. L’opération « La France, une chance. Les entreprises s’engagent ! », lancée par le ministère du Travail, en est un bon exemple. Nous ne pouvons pas, d’un côté, dénoncer les entreprises qui ont des pratiques indignes et, de l’autre, ne pas reconnaître celles qui agissent pour le bien commun.
27Mais surtout, il faut responsabiliser les employeurs sur la formation des personnes qu’elles embauchent. Au fur et à mesure de la prise en charge par les pouvoirs publics de la formation professionnelle au cours des dernières décennies, de nombreuses entreprises se sont désinvesties de la question de la formation de leurs nouveaux embauchés. Elles ont considéré que le système de formation devait leur fournir du personnel « prêt à l’emploi ». Or, si la formation initiale et continue doit apporter les savoirs théoriques et pratiques nécessaires, les compétences liées à un poste de travail ne peuvent s’acquérir qu’en situation de travail. Il est donc indispensable de tenir aux employeurs un discours clair et réaliste sur ce sujet. L’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi et l’effort d’adaptation ne peuvent pas reposer uniquement sur les candidats et donc sur les pouvoirs publics. L’ajustement doit être mutuel.
28Pour des jeunes justifiant d’un faible niveau de qualification ou pour des demandeurs d’emploi de longue durée, le parcours d’insertion doit s’appuyer de manière privilégiée sur des situations de travail les plus proches possible de la réalité. Pour ces personnes, qui ont le plus souvent été en échec scolaire, c’est la réalité du travail qui donne du sens. C’est de la confrontation au travail, aux impératifs de production, au savoir-faire des professionnels, que naît la nécessité de se former. À titre d’exemple, les formations aux savoirs de base comme les formations linguistiques destinées aux migrants doivent s’appuyer sur les supports, fiches et outils utilisés par les entreprises.
29Des deux points qui précèdent, nous pouvons dégager deux priorités pour guider les politiques d’insertion professionnelle : développer l’insertion par l’activité économique pour les personnes qui ont besoin d’apprendre ou de réapprendre à travailler, en engageant dès le début du parcours une dynamique préparant la sortie en entreprise classique ; et privilégier l’alternance, pour ceux qui ont besoin d’apprendre un métier. La réforme de l’apprentissage et le pacte « Ambition pour l’IAE » amorcent un mouvement allant dans le bon sens, mais il est nécessaire d’aller plus loin. D’une part, ces priorités doivent devenir celles du service public de l’emploi, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ; d’autre part, elles doivent se traduire sur le plan budgétaire. La formation des demandeurs d’emploi de longue durée doit se faire prioritairement en contrat de professionnalisation et non dans le cadre de formations sous statut de stagiaire.
30La réhabilitation de la notion de métier serait aussi un facteur favorable au retour vers l’emploi de ceux qui en sont le plus éloignés. Son abandon progressif au profit d’une approche par les compétences a eu des effets délétères sur ce que certains appellent « la valeur travail ». Si la notion de compétence est utile pour la gestion des ressources humaines et la formation, ce n’est qu’un outil technique. La compétence n’est pas porteuse d’identité et de fierté professionnelle, ni de sentiment d’appartenance. L’argument d’avoir à changer de métier plusieurs fois dans sa vie ne tient pas. Pour changer de métier, il faut déjà en avoir un.
31Ainsi, même si l’impact quantitatif des Geiq est encore trop faible au regard des besoins, leur modèle particulier permet de mettre en lumière les points-clés d’une politique d’insertion professionnelle efficace. Initiative privée qui concourt aux politiques publiques, les Geiq s’adaptent aux besoins des entreprises, des territoires et des publics, parmi lesquels les travailleurs migrants occupent une place importante. Ils concourent à leur insertion, mais aussi, plus largement, à leur intégration pour laquelle la maîtrise d’un métier et la détention d’un emploi stable sont des éléments indispensables.