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Article de revue

Systèmes alimentaires et relations aux ressources agricoles : déterminants, impacts et valeurs

Pages 9 à 15

Introduction

1L’alimentation est à la fois une des activités majeures de l’homme et un fondamental de nos sociétés. La perception du consommateur dépend de sa culture, de ses expériences antérieures, du moment et des conditions de la dégustation (Eckert et al., 2014). Tout au long de l’Histoire, l’alimentation a répondu à des besoins ou à des contraintes selon des critères éthiques, religieux, communautaires ou sociétaux. Après la recherche d’une sécurité sanitaire irréprochable et des travaux pour diversifier la perception sensorielle, l’accès à une alimentation adaptée aux besoins nutritionnels et de santé des consommateurs, ou associé à une forme de naturalité des aliments, est une préoccupation très actuelle (Lorient, 2015). Mais l’alimentation, bien qu’essentiellement composée d’aliments, n’y est pas réductible, car la nature de la diète (et des comportements associés) est essentielle. Chaque territoire et chaque société ont des pratiques, des relations agriculture-alimentation qui leur sont spécifiques, et celles-ci évoluent au fil des transitions de nos sociétés (urbanisation croissante, éloignement des sites de production agricole, attentes variées vis-à-vis des aliments…). La préoccupation quant à la durabilité de nos organisations et à leurs conséquences montre des liens étroits avec les filières d’alimentation, notamment 30 % des émissions de gaz à effet de serre, 23 % de l’impact carbone, 23 % de l’impact eau et 9 % de l’impact énergie leur sont imputés (Martin, 2015). Les phases de transformation alimentaire impactent les milieux naturels (biodiversité, rejets, prélèvements, consommations d’énergie). En outre, 25 à 30 % des aliments transformés seraient gaspillés (non consommés) ; et certaines études estiment que la maîtrise de ces gaspillages permettrait à elle seule de traiter l’insécurité alimentaire mondiale (Esnouf et al., 2011). Enfin, il est établi une corrélation positive entre la nature de la diète et la production de gaz à effet de serre. Les aliments à forte densité énergétique impactent fortement, mais, et contrairement aux idées reçues, une bonne alimentation sur le plan nutritionnel a elle aussi un impact fort en termes environnementaux. En effet, la bonne alimentation étant à faible densité énergétique, on consomme davantage pour satisfaire un même besoin calorique ; l’impact cumulé est donc plus fort (Darmon, 2015). Plus récemment, l’analyse de données épidémiologiques a mis l’accent sur des questions relatives à l’impact santé d’aliments formulés et produits par l’industrie (notion d’aliments ultra-transformés ‒ Monteiro et al., 2018), reposant la question du lien étroit entre l’origine agricole des aliments et la nature des transformations subies par ceux-ci.

2Il existe aussi un lien étroit entre l’alimentation et l’agriculture, l’élevage et la pêche. Au-delà de la seule production des ressources, l’enjeu est multiple et concerne, au minimum, le fait de rendre les aliments assimilables par la physiologie humaine, de garantir une certaine qualité sanitaire et d’assurer une capacité de consommation retardée. La logistique est également souvent un point crucial : le transport ayant sans doute été le facteur déterminant de l’alimentation moderne, en tenant compte de son propre impact environnemental de nature complexe. Au cœur de la diète alimentaire se situe donc l’aliment sain et durable (FAO, 2019), dont on attend qu’il satisfasse des critères variés (Barbosa-Canovas et al., 2009) : les composantes sensorielles et organoleptiques, les composantes nutritionnelles, la sécurité sanitaire, le coût, la praticité, l’image reliant le produit à un paysage, une culture, la protection de l’environnement et l’éthique (ou les valeurs associées).

3Toutes ces dimensions rapidement évoquées montrent un ensemble complexe avec des interactions nombreuses entre tous les maillons d’une chaîne elle-même très diverse. Deux approches majeures se sont proposées dans la littérature scientifique pour apporter des clés d’analyse :

  • Une approche historique et socio-économique qui met en lumière les caractéristiques des différentes périodes qui ont façonné l’histoire de l’alimentation dans le monde. On observe trois grandes périodes, ou « âges alimentaires » majoritairement présents sur les marchés développés : l’âge préagricole (chasse et cueillette) ; l’âge agricole (sédentarisation de l’homme, culture, élevage) ; et l’âge agro-industriel (agriculture basée sur des activités industrielles et commerciales), (Malassis, 1994, complétée par Rastoin, 2015) associé à l’âge agro-tertiaire, où l’agriculteur est à la fois un producteur agricole et un fournisseur de services liés aux produits ou au territoire, et où les aliments tendent à devenir – du point de vue de leur contenu économique – non plus des biens matériels mais des services-solutions à certains problèmes dans certains contextes. La caractéristique majeure actuelle réside dans la vitesse à laquelle des transitions se mettent en place pour basculer d’une approche vers une autre. De plus, il ne s’agit pas de transitions tranchées et plusieurs organisations coexistent.
  • Une approche systémique où l’on considère un réseau d’acteurs interdépendants localisés dans un espace géographique donné (région, nation, espace plurinational). Ces acteurs participent, directement ou indirectement, à la création de flux de biens et services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un ou plusieurs groupes de consommateurs, à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone considérée. Toute modification d’un élément dans ce système entraîne celle d’un ou de plusieurs autres éléments.

4Cette approche systémique est la plus intéressante. Elle s’est d’ailleurs largement installée à la fois comme une approche d’analyse et comme un outil de conception et d’ingénierie de solutions innovantes.

Les systèmes alimentaires

5Il existe donc un lien majeur entre l’alimentation, qui participe à la satisfaction des besoins de l’homme, et les ressources agricoles. Ce lien peut s’exprimer comme « l’ensemble des activités qui concourent à la fonction alimentation dans une société donnée…, la façon dont les hommes s’organisent pour produire et consommer, ainsi que le niveau et la structure de leur consommation » (Malassis, 1994). Il s’agit là de la première définition des systèmes alimentaires, laquelle a été complétée en 2010 par la FAO, au sens des systèmes alimentaires durables, c’est-à-dire « une alimentation qui protège la biodiversité et les écosystèmes, qui est acceptable culturellement, accessible économiquement, loyale et réaliste, sûre, nutritionnellement adéquate et bonne pour la santé, et qui optimise l’usage des ressources naturelles et humaines ».

Une caractérisation des systèmes alimentaires

6Même si une description exhaustive des systèmes alimentaires est irréaliste, il est possible d’en restituer la diversité au travers d’éléments de caractérisation des chaînes d’approvisionnement. Colonna et al. (2011) proposent ainsi une analyse en distinguant six situations :

  • Un système alimentaire domestique caractérisé par la transformation et la consommation qui s’opèrent sur ou à proximité du lieu de production de la matière première elle-même.
  • Le système alimentaire de proximité, qui se différencie du précédent par la vente de tout ou d’une partie de la production. Un système qui se renforce actuellement dans les pays du Nord grâce à une implication des collectivités locales (marchés locaux, vente directe à la ferme, par exemple).
  • Le système alimentaire de commodité ou vivrier caractérisé par l’échange de produits vivriers de base (céréales, tubercules, légumineuses, fruits et légumes) qui sont stockés et transportés entre zones de production et zones de consommation.
  • Les systèmes alimentaires de qualités différenciées notamment au travers des signes d’identification et/ou des attributs de valorisation de la qualité du produit différencié. Il s’agit de caractères patrimoniaux de qualité gustative supérieure ou de qualité éthique ou conforme à des règles communautaires ou religieuses, notamment.
  • Le système alimentaire agro-tertiaire qui couple la production de ressources agricoles et la fourniture de services contribuant à la création de valeur et au partage de cette valeur.
  • Le système alimentaire agro-industriel qui prend appui sur l’essor des moyens de transport et des industries agroalimentaires (IAA). Ce système repose sur une logique de production d’aliments à un coût réduit, de qualité standardisée et stable, pour des marchés de masse. Par ailleurs, cette industrialisation a substitué aux savoirs paysans des connaissances scientifiques et techniques exogènes à l’exploitation agricole. Cela passe par une standardisation des matières premières agricoles, ce qui permet d’assurer la stabilité des caractéristiques des aliments et de garantir leur sécurité sanitaire ; elle induit en revanche une réduction de la biodiversité et de la diversité des parcours techniques agricoles. Finalement, elle impose le recours aux intrants chimiques pour assurer les gains de productivité requis (Meynard et al., 2016). Ce système est largement dominant en France, où 80 % des achats se font via les grandes surfaces majoritairement alimentées par ce système.

7Quel que soit le système alimentaire, il y a un lien étroit avec les ressources agricoles. Il importe également de comprendre que l’échelle à laquelle se déroulent les étapes ultérieures à la production de ressources sont très variées. On peut avoir le même schéma systémique pour des voies de production/valorisation industrielle, artisanale ou domestique, et même pour des voies de restauration individuelle ou collective.

Déterminants des systèmes alimentaires et relations aux ressources agricoles

Les ressources

8Dans le système alimentaire agro-industriel dominant, l’agriculteur devient un fournisseur de l’industrie. S’installe donc une relation client-fournisseur, dans laquelle un ou des cahiers des charges encadrent la production de la ressource, moins pour caractériser la manière de produire que pour préciser la fonctionnalité de la ressource produite. Cette contractualisation s’installe soit dans le cadre d’un modèle direct agriculteur-industrie, soit dans celui d’un modèle coopératif dans lequel, parfois, la coopération pilote son propre système de transformation. Vus de l’industrie, les attributs principaux associés à la ressource sont alors la sécurité sanitaire et une standardisation des pratiques agricoles et d’élevage (sélection génétique) qui a certes facilité la productivité mais a également conduit, au cours du temps, à une réduction du nombre des matières premières agricoles, et donc de leur diversité et de leur variabilité.

9Dans le même temps, l’élargissement des bassins originaux d’approvisionnement des usines, permis par le développement des transports, a conduit à une dispersion des flux agricoles et alimentaires dans un système d’échange international des matières premières qui est de plus en plus complexe et imbriqué. A contrario, des produits alimentaires de qualité spécifique (AOP, IGP) valorisant l’espace géographique, les ressources agricoles et naturelles et un savoir-faire se développent par le biais des groupements d’agriculteurs et le canal de la grande distribution sous la forme de marques de distribution se référant aux terroirs et vendues à des prix bas (Lagrange et Valceschini, 2007). En réaction à un tel modèle de fonctionnement, les producteurs agricoles ont recherché des formes alternatives aux modes de production imposés. Ainsi, se sont développées de nouvelles formes d’agricultures, d’une grande variété : agriculture biologique, agroécologie, agriculture de conservation, permaculture, des formes s’inscrivant ou non dans des systèmes alimentaires alternatifs, courts (nombre réduit d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur), territoriaux ou de proximité (entre 20 et 200 km).

10Cette trajectoire installe un profond changement de paradigme pour une industrie qui s’était construite sur une ressource la plus stable possible et qui voit donc une grande diversité de modes productifs générer une ressource désormais très variable en termes de caractéristiques et peu constante dans le temps.

Les fonctions et attributs attendus d’un aliment

11Un aliment est porteur de nombreux attributs ou fonctions. Ces attributs (sanitaire, nutritionnel, sensoriel, technologique, d’usage) sont obtenus grâce à une étape de transformation (d’échelle industrielle, mais aussi artisanale, de restauration ou domestique) qui module les attributs initiaux de la matière première agricole. La standardisation des ressources a déplacé les espaces d’innovation vers la transformation, qui est l’espace d’installation des attributs et de l’éventuel compromis entre eux. La conséquence est la création d’une diversification retardée qui propose aux consommateurs une grande diversité de déclinaison d’aliments (Trystram, 2012).

12La construction d’attributs ou de fonctions de la matière première suit des schémas nombreux et variés, dont on peut mettre en évidence quelques grandes caractéristiques (Soler et al., 2011) :

  • La valorisation directe d’une ressource agricole soit par un processus de transformation (cuisson, fermentation, par exemple), soit par un processus de stabilisation-conservation (séchage), complété par un élément de protection (emballage) pour permettre un approvisionnement des consommateurs maîtrisé à la fois dans le temps et dans sa dimension sanitaire.
  • La dissociation en deux étapes du processus de transformation : a) le fractionnement qui consiste à déstructurer la matière première agricole de façon à en extraire les composants élémentaires ; et b) l’assemblage (avec ou sans transformation) qui vise à reconstituer à partir de ces composants élémentaires un aliment consommable pour le marché final. Le but de ce couple déconstruction/reformulation est de moduler les propriétés des matières premières pour créer les fonctions qui accompagnent le produit transformé (Trystram, 2004).
  • L’ingénierie, souvent complexe, consistant à faire cohabiter des attributs éventuellement antagonistes pour satisfaire un ensemble de contraintes qui évoluent au cours du temps, par exemple maintenir une qualité de perception sensorielle, tout en réduisant des facteurs de charge négatifs au plan nutritionnel (gras ou sucre) et en garantissant un impact écologique réduit au minimum. L’objectif est de construire une vision commune d’une alimentation et d’une agriculture durables et d’identifier les opportunités d’innovation combinant les fonctions d’un aliment durable telles que définies par la FAO (2014) : un aliment bon, sain et sûr, qui préserve l’environnement, protège le milieu marin et les forêts, ainsi que les agriculteurs et, plus globalement, tout acteur impliqué et/ou impacté par le cycle de vie de cet aliment, de la production des ressources agricoles jusqu’à sa consommation et son recyclage.

13Le développement du fractionnement a créé un sous-système industriel producteur d’ingrédients, d’additifs et de produits intermédiaires, qui est largement utilisé non seulement par l’industrie mais aussi par les artisans et les restaurateurs (et qui est même mis de plus en plus à la disposition des usages domestiques). C’est aussi la base du débat relatif aux aliments ultra-transformés, qui se cristallise surtout autour de la forte formulation de ces aliments, qui suscite leur critique du fait de leur impact santé.

L’accès aux aliments

14L’accès économique (prix raisonnable et compatible avec le pouvoir d’achat des populations cibles) et l’accès physique (disponibilité en quantité et qualité appropriée sur le marché et dans les magasins) à l’alimentation sont deux piliers fondamentaux de la sécurité alimentaire. Plusieurs dimensions sont à considérer, lesquelles sont toutes en étroite interaction :

  • l’accessibilité économique à une alimentation saine et diversifiée ;
  • l’accès physique à une telle alimentation et aux aliments, ce qui interroge sur la logistique. L’organisation de celle-ci est très élaborée dans le système agro-industriel dont elle est l’un des tenants, mais reste incertaine dans les systèmes alimentaires alternatifs, contribuant parfois au gaspillage des denrées.
  • L’accès à l’information et son décodage (étiquettes et emballages, messages publicitaires, affichage nutritionnel de type Nutriscore, etc.).
  • L’accès à l’éducation et la sensibilisation alimentaire, notamment dans les écoles, associés à l’introduction d’une alimentation de qualité (sécurité alimentaire nutritionnelle et hygiénique). La restauration collective apparaît du reste comme un levier essentiel de transformation des comportements alimentaires.
  • L’accès culturel à l’aliment et à son usage : sur ce point, les sociologues en charge de la vulnérabilité et de la précarité montrent qu’il y a une perte de la connaissance des usages de l’aliment. C’est également un problème que rencontrent les populations déplacées qui perdent leurs repères culturels de consommation dans un nouveau contexte.

15L’adoption de certaines pratiques par les acteurs de la chaîne alimentaire favorise l’accessibilité de tous à une alimentation adéquate, mais elle reste très influencée par la nature du système alimentaire considéré. Les politiques de protection des prix des denrées alimentaires et de juste rémunération des producteurs, la baisse de la TVA sur les produits à valeur nutritionnelle ou environnementale, le soutien des collectivités publiques ou privées aux circuits courts, la taxation des produits nuisibles pour la santé (produits transformés riches en sucres, en sel et en graisse), tout comme les politiques de valorisation de l’agriculture et des produits agricoles dans les négociations commerciales représentent des mesures qui, d’un côté, favorisent la sécurité de l’accès à une production agricole et alimentaire, et, de l’autre, apportent sur le plan social une certaine sécurité aux producteurs.

16Tous ces éléments constituent l’environnement alimentaire, c’est-à-dire le contexte politique, socioculturel, physique et économique dans lequel les consommateurs entrent en contact avec le système alimentaire pour acquérir, préparer et consommer les aliments répondant à leurs attentes (HLPE, 2017).

Impacts du système alimentaire dominant

17L’alimentation est à l’origine d’au moins un tiers de la production des gaz à effet de serre de l’humanité. Les impacts de l’évolution du système agro-industriel dominant se manifestent par un réseau mondialisé de transformation et de distribution de produits alimentaires standardisés, sûrs, diversifiés, non nutritifs et à prix bas. Ces aspects enferment le régime alimentaire dominant (effet de lock-in) dans des règles et systèmes sociotechniques (Geels, 2004) standardisés rendant ainsi difficiles et complexes la transition alimentaire vers des modèles de production et de consommation alternatifs, et la transition nutritionnelle vers des régimes moins carnés et davantage basés sur des produits végétaux. Les impacts du système agro-industriel sur l’environnement et la sécurité alimentaire sont illustrés dans le Tableau 1 de la page suivante (Yannou-LeBris et al., 2019).

Tableau 1

Impacts du système agro-industriel dominant sur l’environnement et la sécurité alimentaire

CaractéristiquesInnovationsImpacts écologiquesImpacts sur la sécurité alimentaire
Pratiques agro-industrielles intensivesTechniques ; retardées ; création de nouveaux secteurs d’activité (emballage, logistique, distribution)Gaz à effet de serre ; pollution des eaux, des sols ; baisse des revenus des agriculteursAlimentation suffisante et sûre
Pratiques spécialiséesMaîtrise des aléas (climat, prix) par la standardisationÉrosion de la biodiversité agricole et alimentaireAlimentation non nutritive
Secteur concentré à l’amont et à l’aval2/3 de la production agricole assurés par 1/4 des agriculteurs ; 3/4 du CA des IAA généré par 10 % des entreprises ; grande distribution dominée par 6 enseignesRépartition de la valeur ajoutée au sein des différentes filièresAlimentation irresponsable au niveau socio-économique
Système financiariséLes leaders de l’agro-industrie sont cotés en bourseActionnaires exigeant une rentabilité à court-termeAlimentation non équilibrée
Modèle en voie de globalisationInvestissements à l’étranger
Échanges internationaux intenses
Délocalisation des activités
Circuits de distribution longs
Régime gras, sucré et salé
Alimentation mondiale dénuée de toute typicité

Impacts du système agro-industriel dominant sur l’environnement et la sécurité alimentaire

(source : Yannou-Lebris et al., 2019).

La (ou les) valeur(s) associée(s)

18La qualité d’un aliment correspond aux caractéristiques qui déterminent sa valeur et le rendent acceptable ou désirable, et pour laquelle le consommateur est prêt à payer (FAO/WHO, 2003). Ainsi, cette valeur est polysémique : elle est ‒ sans être exhaustif ‒ gustative, nutritionnelle, fonctionnelle, sanitaire, environnementale, écosystémique, économique, sociale, territoriale, durable, éthique et équitable… Nous illustrons dans le Tableau 2 de la page suivante quelques exemples des valeurs attribuées aux systèmes et denrées alimentaires, les déterminants et pratiques qui leur sont associés, ainsi que les impacts de leur création et leurs liens avec les ressources.

Conclusion

19Par les innovations scientifiques, technologiques et organisationnelles qui ont encouragé la productivité et la compétitivité des produits agricoles et agro-alimentaires, le système alimentaire agro-industriel a apporté des réponses au besoin de l’amélioration de la sécurité alimentaire dans les pays occidentaux. Il a permis de diversifier l’offre, de la proposer en grande quantité dans les pays développés, et de compléter l’apport nutritionnel par un ensemble de services adaptés aux besoins de la population. Cependant, les révolutions ayant influé sur la trajectoire d’évolution de ce système ont également fait émerger des impacts négatifs touchant à des aspects socio-économiques, écologiques et nutritionnels. Dans le même temps, le rôle et la diversité du comportement alimentaire s’affirment. En effet, la régulation de la consommation individuelle se joue au niveau de la diète alimentaire et non pas d’un unique aliment. L’importance des choix individuels implique qu’améliorer la durabilité alimentaire passe non seulement par la sécurisation d’un accès pour tout un chacun à une offre alimentaire adaptée à ses besoins, mais également par la transmission à chacun de nous d’un socle d’informations et de connaissances suffisant pour nous permettre de réaliser des choix alimentaires en ayant pleinement conscience de leurs impacts. Il s’instaure alors une bascule d’un système alimentaire basé sur la ressource agricole contrainte par le but de nourrir l’ensemble de la population vers une cohabitation de plusieurs systèmes alimentaires en interaction visant à satisfaire des besoins individuels. Un profond changement s’opère qui voit le système agricole évoluer, se diversifier et chercher en tant que tel à réduire ou, plus exactement, à agir positivement sur son impact écologique, et sur ses valeurs, sur le social et l’économique. Tout étant fortement relié, cela implique une évolution systémique globale reposant sur une refonte d’un système agricole alimentaire (Agri Food System) qui devra concilier au mieux les cinq déterminants discutés dans cet article.

20La question alors posée est de savoir si ce système agricole-alimentaire refondé sera durable en tant que tel. Si l’industrie a fait des progrès considérables en termes d’économie d’eau, d’énergie et de matières premières (réduction des pertes), et s’il reste des marges de manœuvre, notamment dans la refondation des voies de transformation (notamment de reformulation des aliments), une large part de la durabilité se construit en dehors de la seule valorisation à finalité alimentaire. Aujourd’hui, ce sont les voies de valorisation des coproduits de la production de ressources qui probablement installent la durabilité en proposant à l’industrie agro-alimentaire des valorisations énergétiques, en termes de matériaux, de molécules ou de synthons, concurrentes aux voies habituelles issues du carbone fossile. C’est une partie significative de la bioéconomie, dans laquelle l’innovation par la valeur, aujourd’hui proposée par les modèles d’affaires durables des entreprises agro-alimentaires, vise à revisiter les fonctionnalités de l’aliment et les expertises nécessaires à l’éco-conception d’un produit/service adapté non seulement aux besoins des agriculteurs et de l’agriculture pérenne, mais aussi à ceux des consommateurs et de la société.

Tableau 2

Valeurs du système agro-industriel dominant

ValeurDéterminants et pratiques associésImpacts et liens avec les ressources
Économique et financière
  • Baisse des coûts de production
  • Baisse des prix des denrées alimentaires
  • Recyclage des déchets ‒ Économie circulaire
  • Différenciation-maintien du positionnement concurrentiel
  • Optimisation des ressources, nouveaux modèles d’affaires
FonctionnelleAliments/solutions orientés santé : Actimel, lait fermenté enrichi en probiotiques ; margarines aux stanols végétaux
  • Renforcer le système immunitaire
  • Renforcer la flore intestinale
  • Baisser le taux de cholestérol
  • Valorisation des produits végétaux par le biais de la nutrition santé
ÉcosystémiqueCouplage systémique des processus agricoles, de transformation et de consommation. Ainsi, la démarche Bleu-Blanc-Cœur combine les performances agro-écologiques, technologiques, de santé animale et humaine des graines de lin et luzerne
  • Le lin et la luzerne fixent l’azote dans les sols
  • Leur extrusion améliore leur digestibilité par les animaux (moins de méthane gastrique et de pollution)
  • Les produits finis (viande, lait, œufs, fromages) sont naturellement enrichis en Oméga-3
Environnementale
  • Produits issus de l’agriculture biologique
  • Adoption des technologies propres (méthanisation et biogaz)
  • Absence d’OGM et de produits chimiques
  • Respect du cycle naturel des sols
  • Bonne qualité des ressources végétales et animales
Haute valeur ajoutée (HVE)Agroécologie pratiquée sur toute l’exploitation agricole ; Gestion des fertilisations, des produits phytosanitaires et de l’eau
  • Amélioration de la biodiversité
  • Maîtrise du gaspillage et des pertes de ressources
Valeur durableÉcoconception du modèle d’affaires pour combiner un ou plusieurs des quatre aspects de la durabilité alimentaire : social, économique, nutritionnel, environnemental.
  • Optimisation des ressources et processus stratégiques
  • Sélection de fournisseurs responsables
  • Création et partage d’une valeur durable
  • Sélection des ingrédients nutritifs
  • Réduction de l’empreinte carbone
Équitable ‒ ÉthiqueProduits issus du commerce équitable
  • Rémunération équitable des producteurs « marginalisés »
  • Rééquilibre des échanges entre pays du Sud et du Nord
TerritorialeProduits issus des systèmes alimentaires locaux, courts ou de proximité
  • Reconnecter l’aliment à son terroir et aux ressources nécessaires à sa production
  • Rapprocher le consommateur du producteur
  • Réduire l’impact carbone lié au transport

Valeurs du système agro-industriel dominant

(source : Trystram et Serhan).

Remerciements

Cet article a bénéficié du travail de rédaction de l’ouvrage Écoconception et éco-innovation dans l’agroalimentaire, ISTE Ltd London, 2019 et du projet EcoTrophelia qui y est associé.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 15/05/2020

https://doi.org/10.3917/rindu1.202.0009

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