Couverture de RINDU1_201

Article de revue

Les principaux marchés mondiaux d’assurance

Pages 11 à 16

Notes

  • [1]
    Le BRIC, acronyme de Brésil, Russie, Inde et Chine, inventé par Goldman Sachs, a été remplacé depuis avril 2011 par le BRICSAM, avec l’ajout de l’Afrique du Sud et du Mexique.
  • [2]
    ASEAN (Association of Southeast Asian Nations).
  • [3]
    Singapour est un des pays fondateurs de l’ASEAN et n’est plus considéré aujourd’hui comme un pays émergent.
  • [4]
    Les données sur les entrées d’IDE dans les services financiers par pays sont disponibles jusqu’en 2016 sur le site de la CNUCED (https://unctad.org/en/Pages/DIAE/FDI%20Statistics/FDI-Statistics.aspx).

Introduction

1En 2018, les compagnies d’assurance ont souscrit, à l’échelle mondiale, des primes directes pour un montant d’environ 5 200 milliards de dollars américains. Autrement dit, l’équivalent d’environ 6,2 % du PIB mondial pour l’achat de produits d’assurance. Au cours de la même année, les sociétés d’assurance des pays en développement et des économies émergentes ont généré des primes d’une valeur de 1 100 milliards de dollars américains, représentant environ 21 % des primes d’assurance dans le monde (Sigma, 2019).

2La part des pays en développement ou émergents dans le total des primes émises reste très faible, bien que ces pays comptent pour environ 90 % de la population mondiale et contribuent pour près de 38 % à l’activité économique mondiale. En revanche, le déplacement de l’assurance mondiale vers l’Asie n’a cessé de croître ces dix dernières années. Le Tableau 1 ci-dessous montre l’évolution du marché mondial de l’assurance par rapport à 1978. Il y a quarante ans, l’Amérique du Nord (principalement les États-Unis) représentait plus de la moitié du volume mondial des primes d’assurance. La contraction relative du marché nord-américain s’est d’abord faite au profit de l’Europe, suite à l’intégration des anciens pays du bloc soviétique, puis ces dernières années au profit des nouveaux pays industrialisés ou pays émergents d’Asie.

Tableau 1

Volume mondial des primes d’assurance (en %)

Tableau 1

Volume mondial des primes d’assurance (en %)

(source : Sigma, Compagnie suisse de réassurance, années 1979, 2011, 2019)

3Le volume mondial des encaissements de primes d’assurance et sa répartition par région confirment la relation qui existe entre le niveau de développement et l’importance des assurances comme branche d’activité économique. Si l’on prend la Chine comme autre exemple (voir le Tableau 1 ci-contre), le chiffre d’affaires de l’assurance, qui correspondait à 4,9 % du volume mondial des primes en 2010, représentait 11 % du volume mondial en 2018. À l’inverse, la part de marché des pays d’Amérique latine et d’Afrique reste faible.

4À l’instar des autres services financiers, les assurances ont gagné en importance sur le plan quantitatif, comme élément du développement général des institutions financières, et sur le plan qualitatif, eu égard à l’accroissement des risques et des incertitudes liés aux économies modernes. Mais l’assurance, c’est aussi une grande hétérogénéité de produits qui ne sont pas interchangeables et n’ont pas nécessairement d’alternatives marchandes. Il y a donc plusieurs marchés des assurances qui ont pu se développer différemment selon les contextes politiques, juridiques, réglementaires, économiques et sociaux, dans lesquels ils sont proposés. L’histoire de l’assurance n’est pas obligatoirement identique d’un pays à l’autre.

5Dans cet article, nous examinons dans une première partie la relation qui existe entre croissance des marchés d’assurance et développement économique. L’importance économique des services d’assurance s’est aussi révélée dans le contexte de la libéralisation des échanges commerciaux et de la globalisation des activités financières. Au cours des années 1990, la capitalisation des sociétés d’assurance a progressé plus rapidement que celle des banques. Le nombre et le montant des fusions et acquisitions ont battu des records.

6Dans une seconde partie, nous regarderons l’importance relative des investissements directs à l’étranger en tant que moteur du développement des marchés.

Les indicateurs de l’importance économique de l’assurance

7L’ensemble des recherches empiriques montrent que la relation entre le volume des primes d’assurance et le PIB est une relation log-linéaire qui reste stable dans le temps. L’analyse graphique permet de vérifier que l’ajustement apparaît relativement satisfaisant compte tenu de la diversité des pays considérés, de l’influence perturbante des taux de change et des imperfections probables des données statistiques (voir la Figure 1 suivante).

Figure 1

Relation entre primes totales et PIB pour 75 pays en 2018 ($ EU)

Figure 1

Relation entre primes totales et PIB pour 75 pays en 2018 ($ EU)

8L’élasticité calculée à partir des données de la Figure 1 ci-dessus est de 1,189, une valeur très proche des résultats (1,22) de l’étude réalisée sur la période 2007-2009 (Outreville, 2013) et des résultats historiques que l’on retrouve au Tableau 2 ci-après. La première étude de Beenstock et al. (1988) donne une valeur moyenne de 1,34 et les autres valeurs calculées varient entre 1,09 (Li et al., 2007) et 1,55 (Zheng et al., 2009). Outreville (1990) trouve une élasticité de 1,34 pour un échantillon représentatif de pays en développement et constate (Outreville, 1996) une élasticité de 1,31 pour les seuls pays d’Amérique latine et centrale.

Tableau 2

Calcul de l’élasticité du volume de primes par rapport au PIB

Tableau 2

Calcul de l’élasticité du volume de primes par rapport au PIB

9En fait, les expériences des différents pays sont trop hétérogènes pour pouvoir concorder avec une généralisation très simple. En outre, on en sait très peu sur les relations entre l’offre et la demande dans de nombreux pays. Certaines économies ont atteint des niveaux de développement humain élevés avec un revenu modeste par habitant. D’autres n’ont pas réussi à traduire leurs niveaux de revenus relativement élevés et leur croissance économique rapide en niveaux de développement humain correspondants. Millo (2016) considère que la relation simpliste qui existe entre l’assurance et les revenus ne tient pas compte des caractéristiques propres à chaque environnement culturel et politique. Il confirme en cela les conclusions de certains auteurs qui considèrent que d’autres facteurs, tels que la culture des nations (Park, 1993 ; Hofstede, 1995 ; Chui et Kwok, 2008, 2009), le niveau d’éducation (Park et Lemaire, 2011, 2012 ; Outreville, 2015) ou le niveau de gouvernance (Outreville, 2018) sont des facteurs qui expliquent de manière significative les niveaux d’assurance différents mis en évidence dans une analyse comparative entre pays.

10Deux mesures, même si elles sont imparfaites, sont traditionnellement utilisées pour montrer l’importance relative de l’assurance au sein des économies nationales. La première, la densité d’assurance, indique la prime annuelle moyenne par habitant dans un pays, elle est exprimée en dollars américains. Elle reflète mieux le niveau réel de croissance de l’assurance de chaque pays compte tenu de la démographie. Même si les fluctuations dues aux monnaies affectent les comparaisons internationales, cette mesure est préférable lorsque l’on compare les données d’assurance au niveau des indices de développement humain des pays. En 2018, les niveaux de densité sont inférieurs à 10 pour le Nigeria et le Bangladesh, par exemple, alors qu’ils sont largement supérieurs à 3 000 pour la plupart des pays de l’OCDE. Le Tableau 3 de la page suivante montre que les petites économies sont bien souvent à des niveaux élevés de densité d’assurance.

Tableau 3

Mesures de densité et de pénétration en 2018 – Les vingt pays les mieux classés

Tableau 3

Mesures de densité et de pénétration en 2018 – Les vingt pays les mieux classés

11Au titre de la seconde mesure, le rapport du volume total des primes émises au produit intérieur brut (PIB), est l’indicateur le plus couramment utilisé pour évaluer l’impact économique des opérations d’assurance. Cet indicateur, appelé aussi degré de pénétration de l’assurance, ne permet pas d’obtenir un tableau complet de la production du secteur à cause de la grande disparité des taux de prime d’un pays à l’autre, mais il a l’avantage de ne pas être influencé par les facteurs de conversion des monnaies. En revanche, une caractéristique est que les pays dans lesquels le secteur social de la santé ou des retraites est privatisé, et où l’assurance vie joue un rôle prépondérant, se situent en tête du classement (voir le Tableau 3 de la page suivante).

12Plusieurs études confirment que l’assurance vie est plus importante dans les pays à revenu élevé du fait de la complémentarité avec le secteur bancaire et les marchés financiers (Catalan et al., 2000 ; Chen et al., 2012 ; Lee et al., 2013). Au contraire, l’assurance non-vie est plus importante dans les pays émergents et en développement (Arena, 2008 ; Han et al., 2010 ; Elango et Jones, 2011 ; Lee, 2011 ; Millo, 2016 ; Ul Din et al., 2107).

13L’ascension des BRICSAM [1] sur la scène économique mondiale est une composante d’un phénomène plus large qui est l’essor des économies émergentes. Au début des années 2000, ces pays représentaient déjà plus de 50 % de la population mondiale, presque 25 % du PIB mondial et un taux de croissance annuel du PIB supérieur à la moyenne mondiale (Marchon, 2006). À ces pays on peut ajouter les principaux pays émergents de l’ASEAN [2] (Singapour, la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam).

14Bien que la Chine soit, depuis 2018, le deuxième pays le plus important au monde en volume de primes d’assurance, son classement en termes de densité reste très faible et son niveau de pénétration est en légère progression. Les autres pays émergents ne montrent pas une croissance proportionnelle du secteur des assurances. Pour beaucoup de pays, le niveau de croissance relatif en termes de pénétration de l’assurance a même diminué en 2018 (voir le Tableau 4 ci-contre). C’est le cas de l’Inde dont la densité d’assurance est l’une des plus faibles au monde et dont le niveau de pénétration ne progresse pas (il a même diminué ces dernières années), mais aussi du Brésil et de la Russie (pour des raisons différentes). À l’opposé, le Mexique et certains pays de l’ASEAN [3], comme la Thaïlande, l’Indonésie et le Vietnam, montrent un potentiel de développement important en termes relatifs.

Tableau 4

Les pays du BRICSAM et de l’ASEAN

Tableau 4

Les pays du BRICSAM et de l’ASEAN

Le commerce mondial de l’assurance

15Dans le cadre de leur stratégie d’expansion mondiale, les sociétés d’assurance doivent non seulement continuer à consolider leurs parts de marché sur les marchés développés, mais aussi explorer activement les marchés émergents et en développement. Les dernières années ont été marquées par une croissance rapide du commerce mondial et des investissements directs étrangers ou à l’étranger (IDE) dans le secteur des services financiers. Toutes les industries de services qui, jusqu’à récemment, étaient largement nationales sont devenues transnationales. Les services financiers ont largement succombé à la tendance générale. Avant les années 1980, les opérations des banques et des assurances à l’étranger étaient principalement organisées sous la forme de succursales, de bureaux ou de filiales à l’étranger pour soutenir les activités des sociétés transnationales non financières.

16Les nouvelles technologies, les nouveaux services financiers et la déréglementation des marchés financiers à partir des années 1990 élargissent le rôle des entreprises financières. L’internationalisation des services d’assurance joue également un rôle important dans le processus de développement. Le rôle de l’IDE dans le processus de croissance des pays émergents contribue à accroître la productivité et la compétitivité de l’industrie nationale (Javorcik, 2004 ; Li et Liu, 2005 ; Alfaro et al., 2010 ; Baltabaev, 2014 ; Wang et Wang, 2015). Cette hypothèse semble vérifiée pour le système national bancaire (Claessens et al., 2001). Mais seuls quelques auteurs ont examiné le rôle potentiel de l’IDE dans les services d’assurance non-vie (Ma et Pope, 2003) ou d’assurance vie (Li et Moshirian, 2004 ; Carson et al., 2014).

17Malgré l’endogénéité entre IDE et croissance économique, les modèles de croissance endogène suggèrent que l’IDE peut affecter le taux de croissance à long terme si certaines conditions structurelles, de capital humain et d’accession à un certain niveau de développement financier sont réunies (Ford et al., 2008 ; Azman-Saini et al., 2010).

18L’analyse sur la période 2010 à 2016 d’un panel de pays ayant en moyenne un solde positif d’IDE dans le secteur financier montre que les principaux pays bénéficiaires sont soit des pays de l’OCDE ayant déjà un secteur d’assurance très développé, soit des pays émergents dont le potentiel de marché est largement anticipé (voir la Figure 2 ci-dessus) [4]. On retrouve dans la liste des vingt-cinq pays les plus attractifs en termes d’IDE, cinq des pays du BRICSAM (le Brésil, la Russie, l’Indonésie, la Chine et le Mexique).

Figure 2

Liste des 25 pays les plus attractifs en termes d’IDE, période 2010-2016

Figure 2

Liste des 25 pays les plus attractifs en termes d’IDE, période 2010-2016

19Comme nous l’avons fait dans la première partie, nous pouvons examiner graphiquement la relation directe entre le montant des primes d’assurance et l’IDE. L’analyse de la Figure 3 ci-contre montre que les pays ayant un niveau élevé d’IDE ont aussi tendance à avoir un secteur d’assurance plus développé, même si la relation n’est pas parfaite et qu’elle est certainement affectée par les spécificités politiques et socioculturelles des pays considérés.

Figure 3

Relation entre primes totales et IDE pour 48 pays (valeurs moyennes)

Figure 3

Relation entre primes totales et IDE pour 48 pays (valeurs moyennes)

Note : L’IDE est calculé en moyenne sur la période 2010-2016 et le total des primes correspond à la moyenne de celles-ci sur la période 2010-2018.

20Finalement, une autre approche consiste à rechercher quelles sont les localisations préférées des grands groupes d’assurance pour leurs investissements et l’établissement de filiales à l’étranger. Une étude réalisée par Outreville (2008), pour classer leurs pays émergents préférés, montre que l’on retrouve dans les premières positions (mais dans un ordre différent), les pays émergents qui sont mentionnés dans la Figure 2 ci-dessus, à savoir Hong Kong et la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Inde, l’Argentine, le Chili, la Russie, la Colombie et la Malaisie. Dans cette liste, on retrouve aussi les autres pays de l’ASEAN mentionnés dans la première partie de cet article, à savoir l’Indonésie, la Thaïlande et les Philippines.

Conclusion

21Malgré l’importance primordiale de l’assurance dans l’activité économique d’un pays, il est difficile d’apprécier les effets de causalité avec le processus de développement. Les mesures généralement proposées pour évaluer l’importance des marchés mondiaux (primes, densité, pénétration) sont critiquables, car les pays diffèrent, d’une part, par leur environnement institutionnel et socioculturel et, d’autre part, par l’importance relative qu’y occupent les différentes lignes d’assurance (vie et non-vie).

22L’approche, qui consiste à tenir compte du rôle financier du marché des assurances, vise à relier la taille des marchés au niveau des flux financiers internationaux ; c’est celle qui permet généralement de mieux anticiper le potentiel de croissance future de certains pays émergents. Ces pays ne sont pas seulement des marchés de consommateurs, ce sont également des producteurs de services d’assurance qui doivent se diversifier sur les marchés mondiaux.

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Notes

  • [1]
    Le BRIC, acronyme de Brésil, Russie, Inde et Chine, inventé par Goldman Sachs, a été remplacé depuis avril 2011 par le BRICSAM, avec l’ajout de l’Afrique du Sud et du Mexique.
  • [2]
    ASEAN (Association of Southeast Asian Nations).
  • [3]
    Singapour est un des pays fondateurs de l’ASEAN et n’est plus considéré aujourd’hui comme un pays émergent.
  • [4]
    Les données sur les entrées d’IDE dans les services financiers par pays sont disponibles jusqu’en 2016 sur le site de la CNUCED (https://unctad.org/en/Pages/DIAE/FDI%20Statistics/FDI-Statistics.aspx).
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