Notes
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[1]
Selon le Conseil européen du risque systémique (2018), la politique macroprudentielle est, dans la plupart des États membres, menée par la banque centrale nationale ou par une autorité inter-institutionnelle dans laquelle la banque centrale nationale joue un rôle prépondérant. En France, le Haut Conseil de stabilité financière est présidé par le ministre de l’Économie et des Finances, mais le Gouverneur de la Banque de France est le seul à pouvoir proposer une mesure contraignante (Code monétaire et financier, article L. 631-2-1).
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[2]
Le programme européen en faveur de la croissance, lequel est assis sur un certain nombre d’objectifs comme l’investissement en R&D, la transition énergétique ou l’éducation. Son suivi est réalisé, dans le cadre du semestre européen, pays par pays, avec des recommandations adressées à chacun d’eux.
-
[3]
Et encore, le niveau réel de ce solde n’était pas connu à l’époque en raison de problèmes statistiques qui ne seront révélés qu’à la fin de 2009.
-
[4]
« Paquet législatif » se composant de cinq règlements et d’une directive adoptés en octobre 2011.
-
[5]
L’écart de Bâle est l’écart du ratio crédit/PIB par rapport à une tendance non linéaire de long terme. Si cet indicateur est sujet à débats dans la littérature, c’est la variable privilégiée par la surveillance macroprudentielle en Europe.
-
[6]
Notons qu’une telle évolution serait cohérente avec le fléchage d’une partie des fonds du budget européen vers l’accompagnement des réformes structurelles (voir la proposition de la Commission européenne, 2018).
La politique macroéconomique en zone euro avant la crise
1L’architecture de politique macroéconomique mise en place à Maastricht était simple. La Banque centrale européenne (BCE) était en charge de maintenir la stabilité des prix dans l’ensemble de la zone euro et d’assurer la liquidité du système bancaire européen. Les gouvernements nationaux avaient la responsabilité de répondre, à travers leurs politiques budgétaires, à des chocs nationaux spécifiques et de maintenir, par la surveillance micro-prudentielle, la solvabilité de leurs systèmes bancaires. Le traité prévoyait bien que « les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil » (article 99, correspondant aujourd’hui à l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), avec à la clé de « grandes orientations de la politique économique ». Cette coordination des politiques économiques était néanmoins secondaire, celle-ci ne s’accompagnant d’aucun mécanisme contraignant.
2L’architecture maastrichtienne traduisait une sous-estimation massive des externalités financières, à la fois entre pays et entre branches de la politique macroéconomique. La crise financière mondiale puis la crise financière européenne ont montré que l’instabilité financière dans un pays peut rapidement s’étendre à d’autres pays. Par ailleurs, ces deux crises ont remis en cause les principes de séparation entre politiques monétaires, budgétaires et micro-prudentielles. Ainsi :
- La crise a donné une nouvelle jeunesse au vieux concept de policy mix – combinaison de la politique monétaire avec la politique budgétaire. Lorsque les taux d’intérêt sont à zéro, la politique budgétaire doit prendre le relais et son multiplicateur est plus élevé qu’en temps normal (voir, par exemple, Christiano et al., 2011).
- La crise a aussi mis en danger le principe de dominance monétaire, selon lequel la banque centrale ne doit pas se trouver dans une situation où elle n’aurait pas d’autre choix que de monétiser les déficits budgétaires. Dans certains pays européens, l’exposition massive des banques au risque souverain national a mis la banque centrale face à un dilemme : respecter ce principe au risque de déclencher une crise bancaire, certains établissements se trouvant à court de collatéral de bonne qualité pour obtenir de la liquidité auprès de la banque centrale (voir Bénassy-Quéré et al., 2018) ; ou bien, fermer les yeux sur le risque souverain et continuer à refinancer les banques en transférant au bilan de la banque centrale des obligations souveraines risquées.
- La crise a montré que la banque centrale ne pouvait pas se désintéresser de la surveillance micro-prudentielle, non seulement pour préserver son rôle de prêteur en dernier ressort, mais aussi parce qu’un système bancaire en crise est incapable de transmettre les impulsions de politique monétaire nécessaires (voir, par exemple, Draghi, 2017).
3Par ailleurs, la crise a montré les insuffisances, voire les effets pervers de la surveillance micro-prudentielle. Outre des exigences en capital insuffisantes et des superviseurs se retrouvant bien souvent captifs des intérêts du secteur, l’approche institution par institution s’est révélée inopérante lorsque les risques se sont concrétisés et que les expositions croisées ont soudainement été révélées. De manière plus générale, la surveillance micro-prudentielle s’avère peu contraignante quand tout va bien et fortement pro-cyclique lorsque tout va mal.
Le remodelage des politiques au travers du prisme nouveau du macroprudentiel
4La crise a donné lieu à un remodelage des politiques macroéconomiques en zone euro, selon trois lignes principales :
- Un élargissement de la surveillance des États membres aux politiques macroéconomiques autres que la politique budgétaire, à travers la procédure pour déséquilibres macroéconomiques (PDM, voir l’Encadré de la page suivante).
- Un renforcement des exigences réglementaires et de la surveillance micro-prudentielle, avec le transfert à un Mécanisme de supervision unique (logé à la BCE) de la surveillance directe des plus grands établissements financiers.
- La mise en place d’une politique macroprudentielle, dont le mandat explicite est d’assurer la stabilité financière, et dotée, pour ce faire, d’instruments spécifiques.
5D’un point de vue théorique, l’introduction d’une politique macroprudentielle dotée d’instruments spécifiques (coussins contra-cycliques, restrictions sur le marché du crédit immobilier) est de nature à résoudre les problèmes liés à l’excès d’objectifs de politique économique par rapport au nombre limité des instruments (Tinbergen, 1952). Ainsi, dans une situation d’emballement du crédit et de faible inflation des prix à la consommation, la banque centrale pourra conserver des taux d’intérêt bas, tandis que les autorités macroprudentielles resserreront les contraintes pesant sur le crédit bancaire.
6Même si l’on manque de recul, les travaux existants mettent en évidence une certaine efficacité des instruments macroprudentiels sur la croissance du crédit, la dynamique des prix de l’immobilier et la résilience des banques (voir Benani et al., 2017). Néanmoins, il est possible que les instruments macroprudentiels ne soient pas suffisants pour que les objectifs de stabilité financière puissent être atteints sans faire appel à la politique monétaire.
7La seconde difficulté tient à l’insertion de la politique macroprudentielle dans le dispositif de surveillance macroéconomique. Pour des raisons compréhensibles (indépendance, accès à des informations détaillées sur les institutions financières), la politique macroprudentielle a été confiée aux banques centrales ou à des autorités dans lesquelles les banques centrales tiennent un rôle prépondérant [1]. Par ailleurs, ces autorités sont coordonnées par la BCE qui a le pouvoir d’imposer des politiques plus restrictives que celles décidées par les autorités nationales.
8Or, la PDM, qui vise, elle aussi, à prévenir les déséquilibres pouvant mener à des crises financières, est gérée de manière disjointe par la Commission européenne, dans le cadre du semestre européen. Il en résulte une certaine confusion dans l’allocation des objectifs et des instruments entre les différentes institutions et, par voie de conséquence, entre les processus de surveillance.
Clarifier les objectifs et les instruments
9La surveillance des politiques économiques en zone euro repose schématiquement sur quatre piliers : le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), la Procédure pour déséquilibres macroéconomiques (PDM), la stratégie intégrée Europe 2020 [2] et la coordination, par la BCE, des politiques macroprudentielles. Les trois premiers dispositifs, gérés par la Commission européenne, se recoupent en partie (voir le Graphique 2 de la page suivante). Ainsi les recommandations par pays formulées au titre de la PDM reprennent-elles les éléments relatifs au PSC, tandis qu’une même recommandation structurelle peut apparaître au titre de la PDM pour un pays jugé en déséquilibre excessif, et au titre de la stratégie Europe 2020 pour un autre État membre (voir Bénassy-Quéré, 2017).
10Il existe deux types de recommandations de politique économique : l’un concerne les politiques « à la marge » (augmenter l’investissement public, réduire tel ou tel prélèvement obligatoire, limiter la hausse du salaire minimum) ; l’autre est d’ordre structurel (réformer l’éducation, la justice, les politiques d’innovation, les politiques actives du marché du travail, etc.). Il est rare qu’un déséquilibre financier puisse être endigué par une politique structurelle, et ce pour deux raisons. La première est que les déséquilibres financiers tendent à s’accumuler à un rythme plus rapide que celui des réformes structurelles. La seconde est que les réformes structurelles ont un impact le plus souvent incertain ou lent sur les déséquilibres financiers : quel est l’impact d’un marché du travail plus flexible ou moins dual sur l’endettement des agents privés ? Quel est l’effet d’une réforme de la formation professionnelle, de la justice, du marché des services ? Les seules réformes structurelles ayant un impact direct sur les déséquilibres financiers touchent au secteur de la finance : dérégulation ou re-régulation dans les banques et autres acteurs financiers, mesures de restriction sur le marché immobilier pouvant affecter rapidement l’endettement des agents privés. Même dans ce cas, certains instruments peuvent être maniés à la marge, comme les coussins contra-cycliques de capital ou les limites affectant les ratios d’endettement (ou de remboursement) par rapport au revenu.
11Pour maîtriser les risques financiers à court-moyen terme (l’horizon de la PDM), mieux vaut se reposer sur des instruments que l’on peut manier à la marge. Le problème est qu’une partie des instruments disponibles « à la marge » se situent dans la sphère macroprudentielle, l’autre partie dans celle de la PDM. Or, ce sont là deux processus distincts.
La Procédure pour déséquilibres macroéconomiques
Solde budgétaire et solde extérieur courant de dix-neuf pays européens en 2007
Solde budgétaire et solde extérieur courant de dix-neuf pays européens en 2007
12Il résulte de cette architecture à la fois une certaine inefficacité dans la gestion des risques et une opacité pour les décideurs publics. L’opacité est encore accentuée par la masse des indicateurs à la base de la classification des pays en fonction du déséquilibre (éventuellement excessif) qu’ils présentent, et par le lien ténu existant entre ces indicateurs et les recommandations de politique économique (Bénassy-Quéré, 2015 ; Cour des comptes de l’Union européenne, 2018). De fait, l’adhésion des États membres semble limitée si l’on en juge par le faible taux de mise en œuvre des recommandations formulées par pays (Darvas et Leandro, 2015 ; Efstathiou et Wolff, 2018).
13La surveillance des politiques macroéconomiques en Europe gagnerait à être clarifiée en fonction des objectifs, des instruments et des horizons temporels (voir le Tableau 1 ci-après).
14Comme nous l’avons a vu plus haut, l’objectif du PSC est la discipline budgétaire. La PDM, introduite en 2011, devait fournir un complément au PSC afin d’éviter l’accumulation des risques ailleurs que dans le secteur public : endettement des entreprises, des ménages, des banques, bulles immobilières, dérive des coûts du travail, etc. Il s’agit d’un objectif de court-moyen terme qui prend les institutions de chaque pays comme données. Les instruments sont principalement la fixation du salaire minimum et des rémunérations des fonctionnaires, les politiques fiscales, mais aussi les politiques macroprudentielles. Afin de mieux articuler ces deux dispositifs – PDM et surveillance macroprudentielle –, il serait donc souhaitable de les définir non seulement au travers de leurs instruments (qui sont de facto distincts), mais aussi de l’horizon de la surveillance (annuel pour la PDM, trimestriel pour la politique macroprudentielle) et par un indicateur synthétique permettant de mieux attirer l’attention, par exemple le solde extérieur courant pour la PDM et l’écart de Bâle pour la politique macroprudentielle [5]. Il ne s’agit pas de limiter la surveillance à un seul indicateur, mais plutôt de mettre en avant un indicateur facile à comprendre et à expliquer au grand public, l’analyse de détail relevant du jugement d’experts. On peut ici prendre exemple sur le PSC, dont un seul indicateur – le solde financier des administrations publiques – est véritablement connu du grand public, ce qui n’empêche pas la Commission européenne de surveiller le solde primaire, le solde structurel et la dette, et de procéder à toutes sortes d’ajustements avant de livrer son diagnostic. De même, la surveillance macroprudentielle procède de manière hiérarchique, en commençant par l’examen de l’écart de Bâle avant de s’intéresser à d’autres indicateurs relatifs au crédit, à l’endettement ou aux prix d’actifs.
Quatre dispositifs de coordination dont certains se chevauchent
Quatre dispositifs de coordination dont certains se chevauchent
Vers une clarification des dispositifs de surveillance
Vers une clarification des dispositifs de surveillance
15Une fois chaque procédure ainsi définie à travers son objet, son horizon, ses instruments et son indicateur synthétique, il faudra trouver la manière de faire dialoguer PDM et politiques macroprudentielles sans les alourdir. Les autorités macroprudentielles nationales se réunissant chaque trimestre alors que la PDM est annuelle, ce serait à elles de rendre compte de leurs analyses et de leur action à la Commission européenne, au début du semestre européen.
16La stratégie de croissance de l’Union européenne vise le plein-emploi et la croissance de la productivité, deux objectifs de long terme. Cette stratégie peut donner lieu à une surveillance annuelle, mais les résultats d’une réforme scolaire ou judiciaire ne peuvent être attendus avant plusieurs années. Essayer de résoudre des déséquilibres de moyen terme en recourant à des réformes de long terme est dangereux. Certes, l’absence de croissance dans un pays très endetté ou bien la persistance d’un chômage élevé, notamment chez les jeunes, font peser un risque systémique dans l’ensemble de la zone euro. Ce n’est pourtant pas une raison suffisante pour mettre les réformes structurelles à l’agenda de la PDM, laquelle, surchargée d’objectifs, devient peu lisible et, in fine, peu efficace. Mieux vaudrait définir une gouvernance spécifique pour les sujets structurels, avec des objectifs sur plusieurs années et des points d’étape vérifiables par la Commission européenne. Ces étapes intermédiaires autoriseraient par exemple à expérimenter des dispositifs avant de les généraliser. Elles permettraient aussi de décomposer les réformes ambitieuses. Cela n’empêcherait pas pour autant de rendre compte des avancées, chaque année, à l’occasion des recommandations spécifiques faites à chaque pays. Mais l’on serait clairement sur des calendriers différents, avec des blocs de réforme évalués sur des fenêtres pluri-annuelles [6].
Conclusion
17La crise économique a mis au jour des défauts dans l’architecture de la surveillance macroéconomique au sein de la zone euro. Une surveillance complémentaire a alors été mise en place, mais son efficacité est aujourd’hui limitée à la fois par l’aspect « attrape-tout » de la procédure pour déséquilibres macroéconomiques et par son insuffisante coordination avec les dispositifs de surveillance macroprudentielle. Ces défauts ne sont pas rédhibitoires ; ils peuvent être corrigés sans qu’il y ait besoin de changer le traité ni de dépenser des ressources supplémentaires. Cependant, ces dispositifs attirent peu l’attention, du fait justement de leur complexité, ce qui les réserve à un cercle restreint d’experts et de bureaucrates.
Bibliographie
Références
- BENANI T., CLERC L., COUDERT V., DUJARDIN M. & IDIER J. (2017), Politique macroprudentielle – Prévenir le risque systémique et assurer la stabilité financière, Pearson.
- BÉNASSY-QUÉRÉ A. (2015), “Economic policy coordination in the euro area under the European Semester”, Report for the European Parliament (ECON), PE 542.676, November.
- BÉNASSY-QUÉRÉ A. (2017), “Making the European semester more efficient”, in “Investment and Growth in Advanced Economies”, Conference proceedings, ECN Forum on Central Banking, Sintra, 26-28 June, pp. 325-332.
- CHRISTIANO L., EICHENBAUM M. & REBELO S. (2011), “When is the Government Spending Multiplier Large ?”, Journal of Political Economy 119(1), pp. 78-121.
- Commission européenne (2018), « Un budget moderne pour une Union qui protège, qui donne les moyens d’agir et qui défend », COM(2018) 321 final.
- Conseil européen du risque systémique (2018), “A Review of Macroprudential Policy in the EU in 2017”, avril.
- Cour des comptes de l’Union européenne (2018), “Ma- croeconomic Imbalance Procedure : Well-designed but not implemented effectively”, Rapport spécial 03/2018.
- DARVAS Z. & LEANDRO A. (2015), “The limitations of po- licy coordination in the euro area under the European Semester”, Bruegel Policy Contribution, November 12.
- DRAGHI M. (2017), “The interaction between monetary policy and financial stability in the euro area”, Keynote speech at the First Conference on Financial Stability organised by the Banco de España and Centro de Estudios Monetarios y Financieros, Madrid, 24 May.
- EFSTATHIOU K. & WOLFF G. (2018), “Is the European semester effective and useful ?”, Bruegel Policy Contribution, June 13.
- TINBERGEN J. (1952), On the Theory of Economic Policy, North-Holland Pub. Co.
Notes
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[1]
Selon le Conseil européen du risque systémique (2018), la politique macroprudentielle est, dans la plupart des États membres, menée par la banque centrale nationale ou par une autorité inter-institutionnelle dans laquelle la banque centrale nationale joue un rôle prépondérant. En France, le Haut Conseil de stabilité financière est présidé par le ministre de l’Économie et des Finances, mais le Gouverneur de la Banque de France est le seul à pouvoir proposer une mesure contraignante (Code monétaire et financier, article L. 631-2-1).
-
[2]
Le programme européen en faveur de la croissance, lequel est assis sur un certain nombre d’objectifs comme l’investissement en R&D, la transition énergétique ou l’éducation. Son suivi est réalisé, dans le cadre du semestre européen, pays par pays, avec des recommandations adressées à chacun d’eux.
-
[3]
Et encore, le niveau réel de ce solde n’était pas connu à l’époque en raison de problèmes statistiques qui ne seront révélés qu’à la fin de 2009.
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[4]
« Paquet législatif » se composant de cinq règlements et d’une directive adoptés en octobre 2011.
-
[5]
L’écart de Bâle est l’écart du ratio crédit/PIB par rapport à une tendance non linéaire de long terme. Si cet indicateur est sujet à débats dans la littérature, c’est la variable privilégiée par la surveillance macroprudentielle en Europe.
-
[6]
Notons qu’une telle évolution serait cohérente avec le fléchage d’une partie des fonds du budget européen vers l’accompagnement des réformes structurelles (voir la proposition de la Commission européenne, 2018).