1Avec 95 % de non-bancarisés en Afrique, 50 % en Asie et 20 % aux États-Unis, le monde sans banques est déjà une réalité, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas bon pour la sécurité et la qualité des échanges, et donc pour la population et l’économie de manière générale. Mais la tendance est au développement et à une forte bancarisation.
2La forte hausse de la régulation bancaire sur tous les continents (visant notamment à améliorer la lutte contre le blanchiment et à combattre plus efficacement le financement du terrorisme) et la traçabilité de toutes les opérations bancaires que permettent les paiements électroniques s’inscrivent dans une tendance lourde, celle d’un monde avec moins de cash. Cette demande de dématérialisation n’est pas qu’institutionnelle, les particuliers et les entreprises ont eux aussi de plus en plus besoin de sécurité et de garanties au fur et à mesure que le monde s’ouvre, qu’Internet devient le lieu des échanges et que le taux d’équipement en téléphonie se rapproche des 90 % sur tous les continents, dépassant même les 130 % dans les pays les mieux lotis.
3Malheureusement, les régulations sont nationales alors que la concurrence est, elle, mondiale, et l’on compte autant de régulateurs qu’il y a de pays. Il n’y a malheureusement aucune homogénéité, dans ce domaine. Néanmoins, partout, en leur qualité d’établissements régulés, les banques apportent une double garantie : celle de la fiabilité de leurs procédures (celles-ci étant régulièrement auditées par les banques centrales) et celle de la sécurisation des dépôts de leurs clients, qu’il s’agisse des particuliers, des institutions ou des entreprises.
4Pourtant, un grand paradoxe vient troubler ce jeu : plus le monde se régulera et se sécurisera (et donc plus l’électronique remplacera le cash), et moins l’on aura besoin d’une banque… Trois phénomènes majeurs viennent en effet perturber les activités bancaires.
5Le premier de ces phénomènes tient, justement, à la réglementation elle-même. Le régulateur, désireux de stimuler la concurrence et de faire baisser les prix pour le consommateur final, ouvre le terrain de jeu à de nouveaux entrants : en « saucissonnant » les différents métiers, il permet à de nouveaux établissements d’exercer certaines briques d’activité sans être tenus aux niveaux de diligence et de fonds propres exigés de ceux qui en exercent toute la panoplie, c’est-à-dire les banques. En Europe, la directive sur les services de paiement (transposée en droit français en 2009) a ainsi permis l’essor des sociétés de paiement. Une seconde directive sera applicable dès 2018 et ouvrira un champ des possibles nettement supérieur, notamment grâce à l’instant payment, mais aussi en définissant le cadre de l’utilisation des données. Jusque-là propriété des banques qui entendaient la protéger, la donnée pourra être mise de manière publique sur des API (interfaces de programmation), permettant, par exemple, aux particuliers d’effectuer un virement directement à partir d’un agrégateur, ou encore de bénéficier d’offres émanant de tiers.
6Le second phénomène est d’ordre technologique. Il représente le plus grand danger pour les banques dont les infrastructures sont vieillissantes. Parmi ces nouvelles technologies, il faut citer l’intelligence artificielle et les robot-advisors permettant d’anticiper le conseil, de concevoir de nouveaux produits adaptés à chacun des clients et de les aider à arbitrer leurs allocations dans une démarche dynamique, ou encore les applications de la blockchain, c’est-à-dire la mise en place de paiements de gré à gré dans un réseau distribué, sécurisé et certifié.
7L’intelligence artificielle devient accessible à tous. La reconnaissance des formes, l’évolution exponentielle de la puissance de calcul, de la vitesse de transmission des données – en un mot l’intelligence artificielle – permettent à tout un chacun, en temps réel, de disposer du bon diagnostic, de bénéficier d’avis partagés et de choisir des offres simples, transparentes et compétitives. L’intelligence s’est déplacée, le langage a évolué, les conseillers exerçant en agences sont de plus en plus démunis. Les Milleniums (la « génération Y ») baignent depuis leur naissance dans ce monde tout à leur service. Ils ne réalisent plus d’opérations au guichet et, de ce fait, les banques ne peuvent plus en appréhender les codes.
8Les API (Application Programming Interfaces) vont permettre de développer nombre de nouveaux usages en exposant les données bancaires à des tierces parties via des passerelles contrôlées et sécurisées. Les API privées ne posent pas de problème : elles sont conçues pour des usages internes dédiés aux clients des banques. Les API publiques n’en posent pas non plus (l’on connaît, par exemple, celles qui permettent à Google Maps de vous géolocaliser, ou à Twitter de vous relier au fil d’actualité de votre choix). Le principal sujet de préoccupation pour l’avenir est celui des API dites ouvertes (Open API). Pourra-t-on offrir aux clients de nouvelles solutions au travers des applications tierces ? Le cadre réglementaire est en cours de discussion. La standardisation des interfaces sécurisées permettant d’accéder aux informations confidentielles n’a pas encore été définie…
9Les assureurs, les opérateurs téléphoniques et les GAFA lorgnent tout particulièrement sur les Open API. Mais cela pourrait aller encore beaucoup plus loin et concerner tous les commerces, tous les services et, pourquoi pas, la vie administrative…
Boutique M-Pesa (M pour mobile et Pesa signifiant Argent en swahili) offrant un service de transfert d’argent via le téléphone mobile, à Nairobi (Kenya), mars 2014
Boutique M-Pesa (M pour mobile et Pesa signifiant Argent en swahili) offrant un service de transfert d’argent via le téléphone mobile, à Nairobi (Kenya), mars 2014
« Avec 95 % de non-bancarisés en Afrique, 50 % en Asie et 20 % aux États-Unis, le monde sans banques est déjà une réalité, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas bon pour la sécurité et la qualité des échanges, et donc pour la population et l’économie de manière générale. »10La révolution de l’accessibilité des données bancaires est en marche. Elle représente un risque majeur de disruption pour les banques, qui pourraient être dominées par de nouveaux acteurs qui offriraient de nouveaux services mieux conçus (à l’instar de Google Actualités qui a allègrement capté à son profit les contenus de tous les médias…).
11Dans ce domaine, l’Angleterre semble avoir pris de l’avance. Le département britannique du Trésor a créé l’Open Banking Working Group, fin 2016 : ce groupe réunit des banques, des associations de consommateurs et des instituts de recherche. Il a l’ambition de faire du territoire britannique un pionnier en matière d’Open-Banking. Les banques britanniques devraient adopter une norme numérique commune avant le 13 janvier 2018, à savoir la date arrêtée pour la transposition de la seconde directive européenne sur les Services de paiement (DSP2) dans l’ensemble de l’Union européenne…
12Sera-t-on prêt en France ? L’Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution (ACPR) y travaille, avec les Fintechs et avec les banques… L’échéance théorique est fixée à début 2018…
13Le troisième phénomène est lié à des évolutions sociétales, qui entraînent un changement complet des codes, des modes de référencement et des valeurs. Ce changement de paradigme s’illustre par le fait que chacun se fie désormais davantage à l’avis de ses pairs qu’à celui d’une institution distante et absconse, aussi prestigieuse soit-elle. Chacun, à l’avenir, générera son propre revenu, soit par l’évolution du mode d’emploi, soit parce que chaque individu deviendra commerçant en louant sa voiture sur OuiCar, son appartement via Airbnb ou en vendant son canapé sur Leboncoin…
14Le sujet le plus important du monde virtuel, celui des données et de la vie électronique, est la sécurité. La confiance est la clé de tout. Aujourd’hui, les banques sont des tiers de confiance très fiables. Elles vous donnent une identité bancaire, qui vous est délivrée après nombre de vérifications de documents officiels. Elles vous délivrent votre code d’identité bancaire, qui est un chiffre unique auquel on associe un autre chiffre unique, celui de votre carte de paiement. On y ajoute, de plus en plus souvent, un autre numéro unique, celui de votre numéro de téléphone portable. En France, Compte Nickel et C-Zam le font aussi. Après trois années d’existence, ce sont plus de 30 000 Comptes Nickel qui sont ouverts chaque mois, soit le double des comptes ouverts dans l’ensemble des banques.
15Aujourd’hui, pour vérifier que vous êtes bien à l’origine d’une transaction, le système vous envoie un challenge sur votre numéro de mobile : il s’agit d’un code délivré par texto (ce qui n’est pas très sécurisé) ou d’un chiffre obtenu via une application d’authentification.
16Demain, d’autres méthodes d’authentification infalsifiables liées à votre numéro unique d’identification bancaire (RIB) connaîtront un essor considérable et renforceront encore la sécurité des transactions : elles recourront à votre voix, qui est unique, à l’iris de votre œil, à votre empreinte digitale ou encore à la forme de votre visage ou de celle de votre oreille (au moment de payer, vous y collez votre portable, un ultrason est envoyé, qui reconnaît immédiatement et de manière irréfutable la forme de votre conduit auditif, et le paiement est ainsi validé…).
17La sécurité des systèmes d’authentification va continuer de se renforcer avec la vérification non plus d’un seul, mais de deux facteurs relevant de ce que le client connaît (son code secret), de ce qu’il est (biométrie) et de ce qu’il est le seul à détenir, à savoir un jeton d’authentification (ou token) intégré dans son téléphone portable.
18Demain, on pourra peut-être payer d’un simple clin d’œil ou en tirant la langue, sans cash. Sur la Toile, tout un chacun deviendra son propre tiers de confiance grâce à un certificat d’authentification, éventuellement complété d’un score donné par sa banque, par son opérateur téléphonique ou simplement par son établissement de paiement.
19D’un point de vue prospectif, ces trois phénomènes changeront la chaîne de valeur des activités financières. Nombre de nouveaux entrants se positionneront sur la donnée, sa sécurisation, son transport, les certificats, les API et leurs passerelles. Autant d’éléments qui pourraient échapper aux banques.
20Plus les activités bancaires offertes reposent sur une très forte valeur ajoutée (comme celles s’adressant à de grandes entreprises : financements structurés, financement de projets, dérivés, etc.), et plus leur accès sera difficile pour de nouveaux entrants ne bénéficiant pas d’une expérience suffisante.
21En revanche, plus l’activité bancaire est dédiée au grand public et aux TPE/PME grâce à un recours à des procédures automatisées, et plus on abaisse la valeur proprement bancaire dans la chaîne…
22À l’avenir, les nouveaux entrants vont-ils être à même de prendre des parts de marché significatives en faisant l’acquisition de franchises de marques et en réussissant à remonter dans la chaîne de valeur pour aller s’attaquer aux maillons les plus intéressants ?
23Aujourd’hui, en Europe, 10 % des investissements réalisés dans la technologie le sont dans les Fintechs ; une énorme série d’initiatives voit le jour, que ce soit par le biais des Telcos, des grandes entreprises ou de l’ensemble du marché des Fintechs, contribuant à créer de la valeur. Et contrairement à ce qu’a été la « bulle Internet », certains modèles commencent à être rentables et à acquérir des parts de marché équivalant à celles de petites banques régionales, comme en témoignent les progrès rapides du Compte Nickel.
24La chance qu’ont les nouveaux entrants est de voir des choses que les plus conservateurs ne voient pas. Si nous avions au départ pour objectif, avec le Compte Nickel, de réparer une injustice – celle de l’exclusion bancaire –, nous avons réalisé, après coup, que notre clientèle était en fait beaucoup plus large : les interdits bancaires, bien sûr, mais aussi tous ceux qui refusent de payer trop de frais bancaires (pouvant se chiffrer à plusieurs centaines d’euros par an), notamment les agios pour découverts, et qui ne veulent pas dépenser plus que ce qu’ils possèdent. Payer, et être payé, voilà qui relève d’une technologie simple et efficace.
25Le principal atout d’un nouvel entrant est aussi le fait qu’il part d’une feuille blanche technologique, et n’a donc pas à subir le pesant historique d’infrastructures lourdes. C’est ainsi qu’en France, seules les « néobanques » (banques de nouvelle génération) offrent un service de paiement en temps réel à leurs clients.
26Le Compte Nickel, ce compte « sans banque » que l’on peut ouvrir chez son buraliste, présente, au-delà de son positionnement sociétal, avant tout l’expérience du temps réel et de sa simplicité d’utilisation. L’ouverture du compte – par numérisation des documents d’identité et la constitution électronique du dossier client – s’effectue en quelques minutes seulement. Les données complémentaires sont saisies de manière ludique sur un écran.
27Puis le compte est activé, en temps réel, sur le terminal de paiement électronique, après vérification physique par un agent agréé par l’Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution (ACPR), en l’occurrence : le buraliste. Ensuite, le client reprend le contrôle. S’il paie 12 € à 11 h 22, c’est inscrit sur son site personnel (avec mention des coordonnées du commerçant), qu’il visualise sur son smartphone. Ces informations sont également accessibles sur son portable de base : il peut, s’il le souhaite, recevoir un texto instantané. Son solde est son solde réel : pas d’« opérations en cours », ni de « dates de valeur ». Il ne peut pas dépenser plus que son solde : donc, pas d’agio, pas de frais d’incident ou d’intervention, en bref : pas de punition ! Il sait toujours où il en est. Il n’a pas de mauvaise surprise. Il contrôle tout, et il ne peut que s’en féliciter…
28Demain, les agrégateurs, les personal finance managers (PFM), les cagnottes, les établissements de paiement, les sociétés de cartes prépayées et de transfert d’argent, celles de mobile payment, les grands distributeurs, les sociétés de télécommunication… : tous auront une stratégie non pas d’ubérisation des banques, mais d’ibanisation (action consistant à donner une identité bancaire aux consommateurs, un International Banking Account Number). La tenue de compte et les moyens de paiement pouvant être des prestations effectuées ailleurs que dans une banque, l’évolution se fera vers des multi-spécialistes. Les gens iront chercher une prestation au meilleur endroit (là où le parcours client sera le plus agréable et où les recommandations seront les meilleures), dans un marché très ouvert.
29Mais le chemin à parcourir sera encore dur, long et fastidieux. En France, bien que les banques en ligne existent depuis 1995, celles-ci ne représentent aujourd’hui que 4 % du marché. Mais les choses devraient s’accélérer en raison des éléments précédemment évoqués.
30Alors, un monde sans banque, est-ce possible ?
31Vraisemblablement pas. Mais un monde avec beaucoup plus de concurrence, certainement : les banques devront avoir des coûts nettement inférieurs, des processus beaucoup plus automatisés et des revenus plus modestes.
32Et un monde sans Fintechs et sans nouveaux entrants ?
33Certainement pas. Les différents métiers bancaires seront désimbriqués, les parts de marché sur chacun des segments vont se voir redistribuées. La seule inconnue est la vitesse de propagation de cette mutation.
Lancement officiel du Compte Nickel, un compte sans banque pouvant être ouvert dans un bureau de tabac
Lancement officiel du Compte Nickel, un compte sans banque pouvant être ouvert dans un bureau de tabac
« Le Compte Nickel, ce compte “sans banque” que l’on peut ouvrir chez son buraliste, présente, au-delà de son positionnement sociétal, avant tout l’expérience du temps réel et de sa simplicité d’utilisation. »34Quant au cash, une chose est sûre : il tiendra une place de moins en moins importante dans toutes les transactions.