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Article de revue

La blockchain, un levier de digitalisation pour les banques de financement et d’investissement (BFI)

Pages 34 à 37

Notes

Introduction

1Le temps où l’innovation était l’apanage du cadre professionnel, où la majorité des collaborateurs avaient accès à un matériel de pointe à leur travail et pouvaient parfois en faire bénéficier leur foyer, est aujourd’hui révolu.

2Le digital s’est d’abord développé auprès du grand public, celui-ci étant plus ouvert que les entreprises à l’expérimentation de nouveaux usages, avec les risques que ceux-ci comportent. En revanche, le rythme de la digitalisation de l’environnement professionnel a ralenti. Cela s’est traduit par un sentiment de frustration parmi les salariés des entreprises.

3Par ailleurs, les grands groupes (notamment industriels) reposent sur des strates de systèmes d’information construites sur de longues périodes (parfois depuis les années 1960) qui freinent leur démarche d’innovation et qui donnent un avantage certain aux petites et moyennes entreprises, plus agiles qu’eux et dont les systèmes d’information sont plus récents. Cet avantage est particulièrement important pour les FinTechs (les start-ups de l’industrie financière utilisant les nouvelles technologies) par rapport aux banques traditionnelles.

4Face à ces évolutions, les banques de financement et d’investissement doivent répondre aux attentes nouvelles de leurs clients et accompagner leurs expériences digitales par une efficacité d’exécution accrue. Cela ne pourra être fait sans une adoption des nouvelles technologies allant de pair avec une révision en profondeur de leurs processus. En revanche, elles ne doivent pas oublier qu’elles seront les garantes de la sécurisation des solutions qu’elles apporteront, la maîtrise des risques restant pour leurs clients un élément différenciant vis-à-vis de la concurrence nouvelle des FinTechs.

5La blockchain et ses dérivées, les technologies de registres distribués (DLT), sont des éléments de réponse importants, car ils pourraient apporter la confiance nécessaire aux institutions financières, à leurs clients, aux régulateurs ainsi qu’à de multiples acteurs des domaines de l’échange d’informations et de l’automatisation digitale dans un environnement sécurisé.

La disparition inéluctable du tiers de confiance ?

6À l’origine du bitcoin, il y avait le souhait de s’affranchir du système financier traditionnel (des banques et des banques centrales) et de proposer une alternative purement technologique à leur rôle de tiers de confiance validant le transfert de valeur. Après un peu moins de dix ans de recul sur ce phénomène, force est de constater que les banques, bien qu’elles soient en pleine transformation digitale, jouent toujours ce rôle. Pour l’utilisateur non informaticien chevronné, l’usage de bitcoins lui permet certes de se passer d’une banque, mais cela le contraint à accorder sa confiance à un service tiers de conservation de son wallet (équivalent à un porte-monnaie électronique dans lequel sont déposés ses bitcoins) ou à échanger sa crypto-monnaie contre une monnaie traditionnelle plus largement acceptée. Ce sont la plupart du temps ces nouveaux tiers de confiance qui se font prendre en défaut par les pirates et qui sont responsables des vols de crypto-monnaie qui font les gros titres de la presse.

7De manière analogue, le juriste détient une expertise qui lui permet de certifier la conformité juridique d’un contrat légal. Demain, le recours à un informaticien sera probablement nécessaire pour pouvoir valider la conformité pleine et entière du code définissant les smart contracts. Ainsi, il sera nécessaire de faire confiance à la personne en charge de coder le smart contract.

8À titre d’exemple, les promesses d’Arcade City et La’Zooz [1], en tant que concurrents potentiels d’Uber, viennent confirmer une fois de plus qu’un tiers de confiance demeure nécessaire. Ces plateformes sont une nouvelle forme d’opérateur offrant plus de flexibilité et de liberté à leurs utilisateurs (notamment sur les prix). En revanche, elles restent les opérateurs donnant accès à la plateforme et à la technologie, et les utilisateurs acceptent de placer leur confiance dans la technologie qu’elles mettent à leur disposition et grâce à laquelle elles opèrent.

9Contrairement à une idée reçue largement partagée, les BFI estiment généralement que la blockchain ne fait pas disparaître les tiers de confiance, mais qu’elle les redistribue sur la chaîne de valeur en transférant cette valeur vers la technologie et vers ceux qui la maîtrisent.

La promesse d’une vérité partagée

10Les technologies numériques (portées, par exemple, par l’essor d’Internet) facilitent, depuis de nombreuses années, la digitalisation et l’accélération des échanges. Cela a été en particulier remarquable dans le cas des activités de marchés de capitaux avec leur informatisation progressive durant les années 1980-1990, la connectivité d’Internet et, finalement, le trading haute fréquence, depuis les années 2000. Ces différentes révolutions technologiques ont favorisé la croissance des marchés d’échanges et leur liquidité.

11Une chose, cependant, n’a pas changé : chaque participant inscrit de son côté sa propre vision des échanges. La réconcilier avec celle de ses différentes contreparties demande un effort important et, même si, la plupart du temps, ces visions sont partagées, fréquemment des écarts subsistent. Ces écarts représentent un risque, mais, surtout, ils exigent une énergie considérable (et le coût y afférant) de la part des BFI afin de les expliquer. Malgré la présence de tiers de confiance (comme les chambres de compensation), pour une part importante de ces échanges, ces risques demeurent. Ils nuisent à l’efficacité des échanges, puisque le règlement s’effectue (en général, sur le marché Euro) deux jours plus tard, et ils ont un coût, puisque, sur cette période, le risque doit être provisionné.

12Pour le régulateur, cette situation est également loin d’être idéale. Ayant besoin d’une visibilité toujours plus importante et exhaustive afin de mener pleinement son action de contrôle, il reçoit de la part de chaque acteur cette vision partielle qu’il se doit de réconcilier avec celle des autres acteurs et avec la sienne propre.

13Les technologies de registre distribué ont la faculté de changer ce paradigme. Elles permettraient d’instaurer une vision unique et, par là même, une vision de référence, partagée entre l’ensemble des acteurs et des opérateurs d’un marché. Dans ce modèle, chacun aurait une vision limitée aux échanges sur lesquels il est intervenu, mais, d’une part, les écarts entre les différents acteurs devraient être nuls et, d’autre part, une vision globale et exhaustive serait offerte aux autorités de tutelle, qui pourraient alors jouer pleinement et de matière efficace leur rôle de contrôleur. Le règlement des échanges pourrait être effectué en fin de journée (voire plus fréquemment).

L’émergence de nouvelles plateformes digitales

14Le Trade Finance[2] est une activité qui, jusqu’ici, a globalement résisté aux tentatives de digitalisation. Les principes de base posés par les banques génoises et vénitiennes au Moyen Âge perdurent aujourd’hui, même s’ils se sont complexifiés et sophistiqués avec le temps. Le document papier règne encore en maître, passant de main en main, de signature en tampon, jusqu’à l’expertise nécessaire à sa reconnaissance. Le coût et le temps nécessaires à la gestion des documents papier sont très significatifs.

15C’est là le prix à payer pour qu’un grand nombre d’acteurs privés et publics d’horizons différents puissent instaurer entre eux la confiance minimale requise pour que l’échange de valeurs contre des produits ou services puisse avoir lieu par-delà les frontières et les territorialités.

16Aux yeux du banquier, son rôle est toujours d’accompagner les importateurs et les exportateurs dans leurs échanges en leur permettant de financer leurs besoins de trésorerie et de couvrir une partie des risques liés à l’échange. Mais ils ne sont qu’un maillon de la chaîne : inspecteurs, assureurs, transporteurs, douaniers… interviennent également sur cette chaîne afin de sécuriser l’échange.

17Les technologies de registre distribué permettent à ces acteurs de digitaliser cette chaîne, chacun y apportant son information tout en ayant la garantie qu’aucun membre, ni même un administrateur de l’ensemble, ne pourrait venir la corrompre. En revanche, la signature électronique certifiant cette information devient un élément engageant vis-à-vis des autres acteurs de la chaîne. De cette garantie naît la confiance nécessaire à cette collaboration, à ce partage d’informations et à la traduction réelle de l’exécution digitale de la transaction (paiement contre transfert de propriété, par exemple).

18Les entreprises viendraient sur ces plateformes afin d’obtenir soit une réduction de coût par rapport à une formule sécurisée sous le format actuel avec recours à un tiers de confiance, soit un surplus de sécurité, de traçabilité de leur transaction et de sécurisation de l’exécution des paiements, et ce, pour un coût comparable au coût actuel. Elles pourraient à terme accéder, par ce biais, à une market place de services de financement et de couverture de divers risques.

Focus sur la titrisation : une synthèse des bénéfices des technologies de registre distribué (DLT)

19Le financement de l’économie (dite « réelle ») est effectué massivement via les créances commerciales. Pour mémoire, une créance commerciale est la matérialisation dans le bilan d’une entreprise d’une prestation effectuée par un fournisseur, mais non encore payée par le client. De nombreuses entreprises se financent majoritairement grâce à leurs dettes commerciales.

20Aujourd’hui, la créance commerciale est peu standardisée (gestion des conflits, gestion des paiements, identification des clients…), ce qui rend cet actif peu liquide. Il est possible, pour une entreprise, de vendre cet actif (via la titrisation, l’affacturage ou le forfaiting) afin d’obtenir rapidement des liquidités. Mais le coût de cette vente est élevé en raison :

  • de la nécessité, pour la banque qui finance de connaître l’acheteur et le vendeur ;
  • de la nécessité, en général, de connaître les procédures de recouvrement et de litige entre l’acheteur et le vendeur ;
  • du mode de calcul du prix d’achat et de la structure de ce prix (par exemple, paiement différé du prix en fonction de la performance du portefeuille acheté).

21Le calcul du prix d’achat est soit très simple, mais, dans un tel cas, il n’est pas très efficace (en raison notamment de l’anti-sélection), soit complexe (auquel cas il nécessite un tiers de confiance pour le valider).

22La créance commerciale apparaît donc comme étant un très bon candidat pour l’utilisation de la blockchain, qui permettrait :

  • de standardiser la créance pour la rendre aussi liquide que possible ;
  • d’assurer un suivi simplifié des créances pour l’ensemble des parties prenantes ;
  • de simplifier la procédure de transfert ; l de limiter les coûts de structure via une réduction du nombre des intermédiaires et des tiers de confiance ;
  • d’effectuer un calcul fin du prix d’achat au sein d’un smart contract, qui limiterait les risques d’anti-sélection tout en maximisant le prix d’achat pour le vendeur ;
  • d’optimiser la fréquence des paiements : aujourd’hui, une opération de titrisation classique prévoit un transfert par mois, ce rythme pourrait passer, via une DLT, à un virement quotidien.

23Des prototypes permettant de créer un environnement propice au transfert simplifié des créances au sein de la blockchain ont déjà été mis en œuvre, dont l’un a montré que la blockchain pourrait supporter un smart contract relativement sophistiqué afin de calculer le prix de cession de manière fine, et ce, sans l’intermédiation d’un tiers de confiance explicite. Une prochaine étape devrait être de convaincre des entreprises partenaires de mettre en place l’ensemble du processus. De nombreuses questions juridiques restent en revanche ouvertes à ce stade, et nécessitent d’être traitées en parallèle.

Des questions demeurent…

24Lorsqu’Elon Musk s’est entendu expliquer que l’accélération de son premier concept d’Hyperloop tuerait probablement le passager, il a répondu : “It’s an issue[3]”, mais il n’a pas renoncé pour autant. Aujourd’hui, de nombreuses questions restent pendantes autour de l’exploitation de la technologie blockchain.

25La « scalabilité » en est une : il faut faire en sorte que les crypto-monnaies puissent être échangées dans les mêmes volumes de transaction que leurs grandes sœurs les monnaies fiduciaires sans que soient détériorés les mécanismes qui en assurent la sécurité. Certaines DLT proposent d’utiliser des méthodes de consensus plus efficaces, mais celles-ci ne conservent leur avantage que pour un nombre limité de participants.

26Le seul mécanisme « clé publique/clé privé » ne peut garantir l’anonymat de l’utilisateur. En effet, on peut imaginer que dès lors que l’on disposerait d’un nombre de transactions suffisant, des « patterns » apparaissent permettant d’établir un lien entre les transactions digitales d’une blockchain et les contreparties réelles intervenant sur celle-ci. La police danoise a ainsi été en mesure, à plusieurs reprises, de faire condamner des trafiquants se faisant payer en bitcoins pour échapper aux contrôles de la lutte anti-blanchiment [4]. Il faut donc imaginer une couche supplémentaire renforçant cette anonymisation afin de garantir la confidentialité des transactions.

27La gestion des données est un autre élément clé. Les blockchains publiques ne garantissent pas la confidentialité des données stockées. Il appartient donc, de prime abord, de définir si des données peuvent apparaître en clair dans les smart contracts (si, par exemple, il est impossible de les interpréter…) et d’identifier celles qui ne pourront pas être stockées sans se retrouver en infraction avec les réglementations en vigueur. Enfin, pour les données restantes, il convient de prévoir des mécanismes de cryptage permettant aux seules contreparties concernées de déchiffrer les données les concernant. Selon les cas, certaines DLT ont embarqué ces préoccupations très tôt dans leur développement et ont intégré les mécanismes répondant à ces problématiques. Il nous appartient donc d’être extrêmement vigilants dans le choix de la technologie à utiliser, en fonction du cas d’usage envisagé.

Conclusion

28Les promesses de la blockchain semblent aujourd’hui se confirmer, sans pour autant s’être pleinement concrétisées à ce jour. La technologie doit encore mûrir de façon à répondre aux inquiétudes qu’elle suscite. Le consensus par proof of work a montré ses limites (notamment en matière de « scalabilité ») et ses successeurs (qu’il s’agisse de la proof of stake, de l’insoluble problème des généraux byzantins ou du très prometteur Algorand) doivent encore faire leurs preuves. C’est dans la poursuite des expérimentations et dans une collaboration des BFI élargie à leurs clients et aux autres acteurs de leurs chaînes de valeur que la solution émergera pour le bénéfice de l’ensemble des parties prenantes de ces réseaux d’un type nouveau.


Date de mise en ligne : 26/07/2017.

https://doi.org/10.3917/rindu1.173.0034

Notes

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