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Article de revue

Apport de l’ingénierie du vivant aux applications innovantes de la biologie industrielle : cas des matériaux agro-sourcés

Pages 29 à 33

IFMAS, un Institut pour la Transition Énergétique au service de la chimie du végétal et des matériaux biosourcés

1IFMAS repose sur un actionnariat public-privé équilibré rassemblant des partenaires à la fois académiques et industriels (ses dix fondateurs sont : Roquette Frères, Mäder, Florimond-Desprez, le Pôle de compétitivité Matikem, le CNRS, l’INRA, Mines Douai, l’École nationale supérieure de chimie de Lille (ENSCL) et les Universités Lille 1 et d’Artois).

2Installé sur le Parc scientifique de la Haute Borne (à Villeneuve d’Ascq), IFMAS dispose d’un centre de recherche d’une superficie de 2 400 m2 composé de six laboratoires couvrant les domaines de la synthèse, de la polymérisation, de la plasturgie, des analyses, des caractérisations structurales et de la formulation. L’entreprise bénéficie également de moyens partagés par le biais de plateformes technologiques situées chez ses associés regroupés principalement en région Hauts-de-France, notamment au sein du campus universitaire scientifique de Lille (catalyse, analyses chimiques, etc.) et de Mines Douai (plasturgie et composites). Les plateformes dont dispose IFMAS lui permettent de travailler aux échelles laboratoire et pré-pilote, d’accueillir des chercheurs visiteurs ou des créateurs de start-ups et de travailler en open innovation.

3L’ambition d’IFMAS est de développer une filière industrielle de production de matériaux biosourcés à hautes performances intégrant des ressources issues de la biomasse locale. Autrement dit, son ambition est de synthétiser de nouveaux produits issus de plantes afin de les substituer aux produits issus du pétrole. Sa force tient au fait qu’il intègre l’ensemble de la chaîne de valeur en matière de recherche, en partant de la sélection des variétés végétales les plus intéressantes jusqu’à la mise en œuvre des matériaux sous la forme d’objets manufacturés. Ceux-ci devront être non seulement issus de plantes produites en Europe, mais ils devront également être écoconçus, durables et recyclables (ou biodégradables).

4L’objectif est double : limiter notre dépendance vis-à-vis des ressources fossiles et réduire l’impact environnemental de la filière matériaux. Les grands défis qui se posent à la filière chimie du végétal et aux matériaux biosourcés, et auxquels IFMAS répond, sont ainsi de plusieurs ordres, mais il en est un qui surpasse tous les autres : le défi économique. Avec des prix du pétrole extrêmement bas et l’émergence de nouvelles matières premières fossiles peu coûteuses comme le gaz de schiste, il est un fait que la production à partir de la biomasse de nombre de produits est aujourd’hui difficilement envisageable dans des conditions qui soient économiquement rentables. Pour y parvenir, il est dès lors indispensable d’apporter une réelle plus-value en termes de propriétés applicatives, de respect de l’environnement et de santé humaine : c’est la voie dans laquelle IFMAS inscrit l’ensemble de ses actions.

5Nos recherches, pilotées par les besoins et les attentes des marchés, sont organisées en plusieurs grands programmes. De l’amont vers l’aval, il s’agit : a) d’optimiser les bioressources, b) de synthétiser les molécules et c) de développer les matériaux (plastiques, composites, revêtements, peintures, vernis). Elles visent un accès au marché à court terme (typiquement entre 3 et 5 ans) en apportant des briques technologiques à haute valeur ajoutée dans les domaines de la biologie, de la biochimie, de la chimie, de la synthèse de molécules fonctionnelles et de polymères, des procédés du génie chimique, de la plasturgie, des composites et des revêtements, tous biosourcés. Les applications visées par IFMAS concernent tous les secteurs d’activité utilisateurs de matériaux (plastiques, composites, revêtements et peintures) ou d’intermédiaires chimiques (tensioactifs, solvants, additifs, etc.) : l’emballage, le transport, le bâtiment, l’électronique, le médical, la cosmétique, etc.

Optimiser les bioressources

6Pour fabriquer des matériaux biosourcés de qualité, il est essentiel d’optimiser les ressources végétales à l’origine de ces matériaux. C’est l’objet du programme de R&D se situant le plus en amont de la filière, qui se décline en deux volets : l’un concerne les matières premières végétales et l’autre les résines végétales.

7Le volet relatif aux matières premières végétales porte essentiellement sur les plantes amidonnières (blé, pomme de terre, etc.). L’amidon est en effet le principal glucide de réserve à être synthétisé par les végétaux supérieurs et sa production dépasse les trois millions de tonnes par an en France. Plusieurs objectifs sont poursuivis : sélectionner les variétés d’amidon les plus intéressantes (teneur en amidon, taille des grains, etc.) par criblage végétal, comprendre les mécanismes de contrôle de la structure de l’amidon au cours de la biosynthèse et développer des techniques rapides pour évaluer le potentiel de nouveaux amidons. Sont dans le champ des études d’autres macro-molécules végétales comme la cellulose, les hémicelluloses (ou autres polysaccharides) et la lignine, voire des fibres ou certaines protéines.

8Le volet relatif aux résines végétales est, quant à lui, motivé par le fait que l’amidon ne peut être utilisé directement comme bioplastique : en effet, il doit être au préalable modifié chimiquement pour le rendre apte à répondre aux cahiers des charges des industriels utilisateurs. En greffant certaines molécules sur l’amidon, on modifie ses propriétés afin de le rendre utilisable en tant que résine polymère dans le domaine des plastiques, des composites et des revêtements. En particulier, ces transformations visent à améliorer les propriétés mécaniques de l’amidon et à le rendre plus hydrophobe. On s’efforce également de caractériser et de modéliser la composition et la structure macromoléculaire de ces amidons modifiés, et d’analyser leur stabilité face aux conditions extérieures (humidité, température, microorganismes, lumière) et au vieillissement. L’approche adoptée dans le cas des amidons pourra aussi être étendue à d’autres résines végétales.

Synthétiser les molécules

9Une fois les plantes optimisées pour la chimie, il convient de les transformer pour fabriquer des molécules biosourcées (synthons, polymères) susceptibles de se substituer aux produits pétrochimiques et présentant de ce fait un intérêt pour l’industrie chimique.

L’un des trois ateliers de la plateforme technologique Plasturgie & Composites (7 500 m2) de Mines Douai, site partenaire d’IFMAS

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L’un des trois ateliers de la plateforme technologique Plasturgie & Composites (7 500 m2) de Mines Douai, site partenaire d’IFMAS

Photo © Mines Douai

10Un premier volet est ainsi consacré à la fabrication des briques de base de l’industrie chimique, appelées synthons, à partir de biomasse locale, notamment l’amidon ou autres polysaccharides. Il s’agit de synthétiser ces molécules en s’appuyant sur les grands principes de l’écoconception et de la chimie verte (économie d’atomes et d’énergie, valorisation des produits secondaires, etc.) et en développant des procédés de synthèse plus respectueux de l’environnement. En particulier, est développée la chimie des sucres afin d’obtenir des molécules « plateformes » aptes à engendrer un grand nombre de produits chimiques différents. Sont notamment visés l’isosorbide et ses dérivés, les monomères aromatiques et furaniques, les monomères à quatre atomes de carbone et plus, les diamines et les polyamines et des monomères insaturés. Enfin, on cherche aussi à remplacer des molécules toxiques (comme le styrène) et des perturbateurs endocriniens (comme le bisphénol-A ou les phtalates).

11À partir de ces synthons, éventuellement combinés avec d’autres molécules biosourcées, un second volet vise à produire des polymères biosourcés destinés aux marchés des plastiques et composites, ainsi qu’à ceux des peintures et revêtements, en mettant au point de nouvelles voies de synthèse pour la polymérisation. À court terme (d’ici 2017-2018), nous visons notamment le développement de liants ou d’additifs biosourcés pour la formulation des plastiques ou des peintures, en remplacement de leurs homologues actuels d’origine pétrochimique. Seront ensuite développés des polymères biosourcés destinés à remplacer les résines époxydes, uréthanes ou acryliques. Là encore, l’écoconception est au cœur des préoccupations, avec la prise en compte – dès leur production – du recyclage, de la biodégradabilité et, plus largement, de la fin de vie des matériaux polymères.

Synthèse de polymères biosourcés dans les laboratoires d’IFMAS

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Synthèse de polymères biosourcés dans les laboratoires d’IFMAS

Photo © IFMAS

Développer des matériaux à hautes performances

12Les molécules biosourcées issues de la chimie du végétal ne peuvent trouver de marché et de valorisation industrielle sous la forme de matériaux agro-sourcés et d’objets manufacturés que moyennant l’optimisation de leur formulation (compoundage), de leur aptitude à la mise en forme (plasturgie), de leurs propriétés d’usage et de leur recyclabilité. C’est l’objet de notre programme de R&D se situant le plus en aval, celui relatif aux matériaux (plastiques et composites, revêtements, vernis et peintures) et aux procédés associés à leur mise en œuvre.

13En effet, un large accès des matériaux polymères biosourcés (et composites associés), qu’ils soient thermoplastiques ou thermodurcissables, aux marchés applicatifs visés est soumis à une condition sine qua non : les industriels fabricants d’objets manufacturés (c’est-à-dire les plasturgistes) ne peuvent pas, pour des raisons de compétitivité, investir lourdement dans de nouveaux moyens de production. Il est par conséquent crucial de faire en sorte que les polymères issus de ressources végétales s’intègrent bien dans les chaînes de fabrication actuelles, en assurant des performances techniques, des cadences et des coûts de production qui soient compatibles avec les contraintes du marché. Il convient donc d’optimiser et d’adapter les conditions de mise en œuvre de ces plastiques biosourcés dans les procédés existants de la plasturgie et des matériaux composites.

14Ainsi, parmi ses projets en cours, IFMAS s’attache à développer des systèmes polymères biosourcés répondant aux préoccupations d’allègement et de performances fonctionnelles (mécaniques, thermiques, acoustiques) pour différents secteurs applicatifs (transports, emballage, bâtiment, etc.).

15En effet, s’agissant des transports (automobile, ferroviaire, aéronautique, etc.), l’impact environnemental des matériaux utilisés n’est pas seulement lié à leur origine et aux technologies permettant leur mise en forme : il l’est également aux émissions de gaz à effet de serre induites par les masses transportées. D’où l’importance de l’allègement des pièces et des composants manufacturés, pour lequel diverses solutions techniques peuvent être envisagées, par exemple le développement de matériaux cellulaires (moussage), ou le renforcement thermomécanique (pour atteindre des performances thermomécaniques équivalentes avec des épaisseurs réduites) par structuration de mélanges de polymères (fibrillation in situ) et/ou mélanges de polymères compatibilités in situ (renforcement des interfaces et/ou amélioration de la cristallisation).

16En ce qui concerne les matériaux cellulaires, les verrous scientifiques et techniques auxquels nous nous intéressons portent essentiellement sur :

  • l’adaptation de la rhéologie (par greffage, additivation, mélanges…) des plastiques biosourcés aux procédés de moussage (par injection et extrusion) que ceux-ci soient chimiques ou physiques ;
  • le développement de modèles phénoménologiques ou numériques prenant en compte l’ensemble des phénomènes et des mécanismes impliqués dans la formation de la structure cellulaire (dissolution, diffusion, nucléation, expansion, consolidation, lors de l’écoulement et du refroidissement) sur la base d’une caractérisation de la structure cellulaire aux différentes échelles pertinentes.

Développement de pièces injectées et de profilés extrudés allégés en plastiques biosourcés alvéolaires sur la plateforme technologique de Mines Douai

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Développement de pièces injectées et de profilés extrudés allégés en plastiques biosourcés alvéolaires sur la plateforme technologique de Mines Douai

Photo © Mines Douai

17En outre, ces matériaux alvéolaires présentent des fonctionnalités complémentaires potentiellement intéressantes non seulement dans le secteur des transports, mais également dans celui du bâtiment (comme l’isolation thermique et phonique) ; des travaux sont donc engagés en parallèle pour développer des outils et des méthodologies de prévision des propriétés (thermiques et acoustiques) d’usage induites sur la base de la connaissance des matériaux et de la structure alvéolaire. L’objectif est, à terme, de proposer une chaîne aussi intégrée que possible qui permette d’optimiser le choix des matériaux constitutifs (propriétés physico-chimiques, thermomécaniques, thermiques et rhéologiques), des procédés (moussage physique ou chimique) et de leurs paramètres (températures, vitesses), ainsi que la conception des outillages en fonction des performances applicatives visées (masse, performances thermomécaniques, thermiques et acoustiques).

18Le volet Renforcement thermomécanique est, quant à lui, abordé suivant deux axes principaux : la structuration in situ de mélanges de polymères (fibrillation) et la comptabilisation de mélanges de polymères par extrusion réactive.

19Dans le premier cas, le concept (qui a été validé dans un autre contexte par Mines Douai pour des polymères non nécessairement biosourcés) est basé sur le développement de composites polymères/polymères par structuration de mélanges immiscibles dans lesquels la phase minoritaire se présente sous la forme de filaments dispersés dans la phase majoritaire. L’obtention de telles structures nécessite néanmoins de respecter un certain nombre de critères rhéologiques (rapports de viscosité et d’élasticité des constituants dans les conditions d’écoulement et de refroidissement induites par les procédés), physico-chimiques (tensions interfaciales) et de renforcement des interfaces, ces problématiques scientifiques et techniques définissant les axes de recherche de ce projet. Si ces critères sont respectés, alors ces matériaux, exclusivement constitués de polymères thermoplastiques, peuvent constituer une voie techniquement et économiquement intéressante pour répondre conjointement aux problèmes de renforcement mécanique, d’allègement et de recyclabilité des polymères et des composites thermoplastiques. Les premiers résultats obtenus confirment la transposabilité de ce concept à certains couples de plastiques agro-sourcés présentant un certain intérêt.

20Dans le deuxième cas, il s’agit d’utiliser un polymère auxiliaire pour upgrader, à moindre coût, les performances thermomécaniques d’un polymère hôte. La plupart des polymères étant immiscibles, leur mélange présente des morphologies grossières et des interfaces peu cohésives qui en réduisent d’autant les performances atteignables. Il est donc nécessaire de comptabiliser ce mélange, la solution la plus employée consistant en l’ajout de copolymères. Pour certaines familles de polymères, cette solution peut être contournée via une stratégie d’extrusion réactive, qui a été validée pour de nombreux mélanges pétrosourcés et qui permet de stabiliser les interfaces entre les deux matériaux lors de la phase de compoundage. Les travaux engagés sur ce thème ont mis en évidence la faisabilité de cette compatibilisation in situ, qui est plus rentable et plus facile à mettre en œuvre que la voie additive traditionnelle, pour certains couples de plastiques biosourcés.

21En somme, IFMAS et son partenaire Mines Douai s’inscrivent dans une démarche forte en faveur de la chimie du végétal et des matériaux biosourcés. À ce titre, l’intérêt que portent IFMAS et Mines Douai aux problématiques d’allègement et de performances fonctionnelles des matériaux, témoigne de leur volonté de répondre aux besoins actuels des marchés applicatifs en apportant une réelle plus-value, en termes de propriétés d’usage, de respect de l’environnement et de la santé humaine.


Date de mise en ligne : 22/02/2017

https://doi.org/10.3917/rindu1.171.0029

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