1Dans leur livre La Société de Défiance (2007, CEPREMAP), Yann Algan et Pierre Cahuc montrent l’absolue nécessité de la confiance pour réussir une entreprise politique. Le déficit de confiance et la méfiance sont à l’origine des réglementations trop touffues et de l’incivisme. En effet, sans confiance, les procédures prennent le dessus et font perdre du temps et empêchent de prendre des risques.
2Bref, sans véritable confiance, pas de succès…, mais pas non plus de repos et de partage, et une société individualiste, atomisée, égoïste, sans but collectif, et surtout, sans esprit d’initiative.
3Dans un autre livre à succès paru aux États-Unis, La Sagesse des Foules (2008, Éditions JC Lattès), James Surowiecki montre la force de l’union de citoyens, même en l’absence de lien entre eux, et même s’ils sont ignorants : en effet, s’ils sont en grand nombre, ils l’emportent contre des experts désordonnés et trop sûrs d’eux. Les ressorts de la confiance ne se trouveraient donc pas dans la « technocratie ».
4Notre société est plutôt bâtie sur l’idée qu’un seul clairvoyant peut avoir raison contre mille aveugles ! La vérité l’emporte sur les illusions et les mensonges.
5Mais qui a raison ?
6Celui qui voit a-t-il pour autant nécessairement la confiance des autres ?
7La défiance et la sagesse des foules nous montrent combien il est difficile d’avoir raison et combien la correspondance entre la confiance et la raison est exceptionnelle… même si c’est ce que nous voudrions tous !
8Dans maints domaines, nous en faisons l’amère expérience, et il est bien difficile d’imposer la raison ou de faire rimer confiance avec raison. Que reste-t-il de cette célèbre phrase d’Auguste Comte : « Il faut savoir pour prévoir et pouvoir » ?
9On pourra, par exemple, expliquer que sans modification de notre comportement, le changement climatique se produira inéluctablement… Mais quel en sera l’effet… ?
10Dans le même registre, on préfèrera se fonder sur une « croyance » que voir la réalité en face. Il y a pléthore d’exemples en la matière. On a, par exemple, cru que le numérique, la transition énergétique et les biotechnologies allaient produire de la croissance, comme le bâtiment en avait produit lors des reconstructions de l’Après-guerre.
11Mais voilà : ça ne suffit pas !
12Et même, le progrès des uns, en termes d’emploi, fait le malheur des autres !
13À qui la faute ?
14Chercher et trouver un bouc émissaire, c’est toujours plus simple que de se remettre en question ! C’est plus simple que de travailler pour regagner la confiance… C’est plus facile, mais ça ne suffit pas !
15On peut invoquer le prix du pétrole, des réglementations trop complexes, la mauvaise volonté des banques, la concurrence asiatique, et enfin, naturellement, la Crise - que l’on nous présente comme permanente au point d’ajourner sans cesse la perspective d’une reprise…
16Les politiques ont essayé de la contourner, cette crise, d’enrayer la montée du chômage, de lutter contre les délocalisations, de garantir les prêts bancaires, de favoriser le capital-risque et les business angels… mais sans malheureusement y parvenir ! Cela a donné lieu à toute une série de politiques conjoncturelles aux effets de court terme, avec leur lot de dispositifs et d’outils de politiques publiques.
17Et la confiance, dans tout ça ?
18Avons-nous pris le problème par le bon bout ? Rappelons qu’un outil n’a pas de valeur intrinsèque, il n’est que ce que l’on en fait ! Il n’est que l’un des instruments d’un état d’esprit, d’une vision stratégique, lesquels réclament de la confiance.
19Or, voici que désormais un nouvel outil dans l’arsenal des dispositifs de financement participatif permet de se lancer dans cette course vers la confiance : le « crowdfunding ».
20Va-t-il chambouler le paysage et permettre le redémarrage de la croissance ?
21L’outil a bien des avantages, vu sa souplesse d’utilisation. Il peut tout aussi bien servir de souscription pour une activité culturelle que de financement pour un projet économique… ou des deux. Au-delà de la diversité de ses champs d’application, de la réduction des intermédiaires financiers et de l’allègement des démarches et des procédures qu’il implique, et au-delà, également, de cette promesse de transparence via une communication plus directe, il est surtout un outil novateur de « pédagogie économique ».
22Le « crowdfunding », c’est sans doute l’opportunité de faire partager et d’impliquer les citoyens dans la montée en puissance (ou parfois, l’échec) d’un projet, que celui-ci soit politique, culturel, commercial ou technologique. Je pense en effet qu’il faut voir derrière cet outil de financement participatif la base renouvelée d’une implication citoyenne dans une logique bottom-up faisant appel à diverses formes d’expertise.
23Les banques offrent leurs services pour gérer les montants récoltés et des experts-comptables travaillent à consolider chaque opération. Le « crowdfunding » est certes un moyen de financement venu rejoindre l’éventail déjà large des outils de financement participatif existants. Mais c’est aussi - et surtout - un incubateur de confiance pour de nombreux porteurs de projet. On réintroduit, grâce à lui, un peu de relations interpersonnelles et d’humanité depuis longtemps confisquées par les organismes financiers dans le prêt et le don d’argent. On redonne toute sa centralité à la relation de confiance entre porteurs de projet et donateurs.
24Pourtant, le « crowdfunding » vaut encore mieux que cela !
25C’est une aventure partagée faite de faiblesses, de doutes, de réussites, et plus encore, de croisements d’expériences et de compétences, si précieux sur le chemin qui mène à la création d’une entreprise ou à l’accomplissement des grands desseins…
26Le « crowdfunding », c’est avant tout un état d’esprit qui n’assure certes aucune équité dans le traitement des dossiers, mais qui pousse les porteurs de projet à se dépasser, à innover, à se mettre en avant, à se mettre en relation, à mobiliser des réseaux. Il met le tissu entrepreneurial en effervescence tant sur le plan des valeurs que sur celui des idées. Cet outil est producteur de sens…, et cela dépasse (et de loin) la seule transaction financière ou la logique du don/contre-don !
27À titre d’exemple, lorsque les Français ont répondu à la souscription pour la Statue de la Liberté, ils n’ont pas cherché à réaliser une bonne affaire ! Ils ont simplement voulu exprimer une amitié et des valeurs communes partagées. Ils ont voulu incarner et faire vivre un système de valeurs et de croyances porteur d’un horizon d’espoir et de progrès.
28Le « crowdfunding » voit sa pratique se démocratiser peu à peu, et ce d’autant plus que celle-ci s’inscrit dans ce qu’il est convenu de nommer l’« économie collaborative » ou l’« économie solidaire ». Les chiffres d’engagement montrent que nous sommes les deuxièmes en Europe, derrière l’Angleterre… mais très loin derrière (avec un montant total collecté 15 fois moindre) ! Malgré le peu de recul dont nous disposons pour apprécier la portée des usages de cet outil, le succès du « crowdfunding » est indéniablement un bon indice de confiance dans notre société. Une confiance qui libère les énergies et qui désinhibe la créativité et l’inventivité, faisant de celle-ci un véritable laboratoire d’idées et de projets.
29Je suis sûr que ce numéro de Réalités Industrielles y contribuera, sa parution intervenant à un moment particulièrement bien choisi !