Notes
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Nos remerciements pour la réalisation de cet article vont à : Nathalie Ferrand-Stip, Laurent Savignac et Olivier Traineau, acteurs historiques de ce beau projet.
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Sources : Étude de fréquentation et des retombées économiques de La Loire à Vélo (2010) et dossier de presse 2015 de La Loire à Vélo (documents édités par les régions Centre-Val de Loire et Pays de la Loire).
Introduction
1 Vingt ans d’efforts ont conduit à la success story à la française qu’est La Loire à Vélo. Cette véloroute française, qui est la plus connue en Europe, enregistre chaque année près d’un million de passages de cyclistes et génère de fortes retombées économiques. Elle est devenue un parcours initiatique pour des touristes souhaitant s’essayer à la découverte de l’itinérance à vélo. Comment expliquer une telle réussite ?
La vallée de la Loire : un creuset favorable
2 Avec sa nature giboyeuse mêlant vastes forêts, vallées et coteaux, la vallée de la Loire regroupe à proximité de Paris une infinie diversité de paysages et offre une biodiversité remarquable. Ce n’est donc pas un hasard si les rois de France en avaient fait leur chasse gardée et leur jardin favori.
3 Depuis longtemps, la vallée de la Loire est un condensé du rayonnement de la France dans le monde. Plusieurs rois de France y ont séjourné durant leur règne, et chaque château témoigne des petites et des grandes histoires qui ont façonné l’Histoire de France. Le Val de Loire a comme aimanté les personnages célèbres, de Jeanne d’Arc à Léonard de Vinci, imprégnant de sa lumière l’âme des inventeurs. Berceau de la langue française, de Ronsard à Julien Gracq, le Val de Loire a été la muse de bon nombre d’écrivains…
4 Mêlant une nature préservée, la culture française, sa gastronomie et un patrimoine unique au monde (châteaux, édifices religieux, coteaux troglodytiques, villages entièrement en tuffeau, vignobles…), c’est tout naturellement que le Val de Loire s’est imposé comme une destination touristique internationale de tout premier plan.
Nom de code : Vélo Loire
5 Le facteur clé de l’émergence de ce projet de véloroute fut la volonté politique de deux régions, celles du Centre et des Pays de la Loire. En 1994, ces deux régions collaborent déjà entre elles en matière de transport ferroviaire (avec le TER 200 Interloire, reliant Orléans au Croisic), d’agriculture, de formation dans la filière viticole. Une coopération supplémentaire, dans le domaine du tourisme, fut alors envisagée. Tout naturellement, un protocole d’accord encadrant le projet interrégional Vélo Loire est signé en fin d’année 1994 par les présidents des deux régions précitées. Cette convention donnera le top départ à une opération qui génère aujourd’hui près de 20 millions d’euros de retombées économiques par an pour les territoires desservis.
6 En 1995, l’Agence Française d’Ingénierie Touristique (AFIT) édite sa première étude consacrée au vélo, sous le titre La pratique du vélo en France, qui met en avant notamment l’intérêt économique de la filière. Dans la foulée, un voyage d’études sur Le Danube à vélo confortera élus et techniciens des deux régions précitées dans leur conviction de la transférabilité d’un itinéraire vélo longue distance en vallée de la Loire.
7 Fort de l’appui politique local et du terrain favorable créé par sa notoriété touristique internationale, le Val de la Loire combine plusieurs atouts qui ont renforcé l’idée de la création d’un tel parcours à vélo :
- il constitue un axe de circulation naturel qui se prête au tourisme à vélo (une quasi absence de reliefs, des voies sur berges praticables…) ;
- une pratique bien ancrée de la randonnée pédestre et un important patrimoine architectural à découvrir ;
- une longue pratique de clubs de cyclotourisme le long du plus long fleuve de France, et ce, de sa source (au Mont-Gerbier de Jonc) jusqu’à son estuaire ;
- une desserte ferroviaire existante tout au long de l’itinéraire proposé aux cyclotouristes ;
- une offre existante de séjours à vélo commercialisés auprès de clientèles étrangères via des tour-opérateurs étrangers, notamment nord-américains.
8 Au regard de la fréquentation étrangère et à la suite des sollicitations des prestataires touristiques du Val de Loire, des marques se sont développées, comme Vélotel-Vélocamp-Vélogite en région Centre et Vélo vert-Vélo bleu en Pays de la Loire, qui proposent déjà des services et des produits touristiques adaptés aux cyclistes. Ils préfigurent l’émergence de la marque nationale Accueil Vélo et le développement de séjours vélo packagés en vallée de la Loire.
9 Dès lors, le projet Vélo Loire est lancé. Il deviendra rapidement La Loire à Vélo.
La construction progressive du projet La Loire à Vélo
10 La recherche d’une structure pour assurer la maîtrise d’œuvre de l’itinéraire par l’AFIT débouche sur la sélection de la société d’ingénierie AtlanConsult. L’étude de faisabilité intitulée Étude exploratoire « La Loire à Vélo » sera livrée fin 1995.
11 À la suite de cette étude qui s’appuie sur une reconnaissance fine du terrain, les deux régions concernées affirment leur position de copilotes du projet et deux personnes sont recrutées pour le mener à bien.
12 Les deux chargés de mission (Laurent Savignac pour la Région Centre, et Olivier Traineau pour les Pays de la Loire) coopèrent dans l’élaboration des premiers documents-cadres, ils s’investissent dans la réussite du projet durant plusieurs années.
13 Les grandes étapes de la réalisation du projet ont été les suivantes :
- mars 1996 : signature du protocole général de coopération interrégionale ;
- 1er semestre 1996 : élaboration des documents-cadres de référence ;
- 2ème semestre 1996 : signature de la convention-cadre spécifique La Loire à Vélo entre les deux Régions, élaboration d’une étude préliminaire du tracé ;
- 1er semestre 1997 : analyse et étude du tracé avec les groupes de travail locaux et le comité de pilotage ;
- courant 1997 : début des analyses techniques et financières du projet et aménagement prioritaire de secteurs tests en vue de l’expérimentation du projet ;
- courant 1998 : début des travaux sur les zones expérimentales.
14 Finalement, la première section sera ouverte officiellement au public en 2001 à Chalonnes-sur-Loire (dans le département du Maine-et-Loire). S’ensuivront d’autres ouvertures locales jusqu’à l’ouverture officielle de tout l’itinéraire, en 2012.
Les clés de la réussite
15 Avant d’arriver à la réussite d’un tel projet, les ingrédients à réunir ont été nombreux.
16 Il a tout d’abord fallu mettre en place un pilotage cohérent mené sans discontinuer par les deux régions concernées, avec une volonté de s’inscrire dans la durée en dépit de l’alternance des majorités politiques. En amont, une sensibilisation de tous les acteurs du territoire concerné pendant le développement du projet a été mise en place, associant partenaires publics et privés.
17 Des techniciens motivés ont fait un travail de terrain très détaillé en concertation avec les édiles locaux pour argumenter leurs choix d’itinéraires. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur des bureaux d’études spécialisés dans les circulations douces pour conforter les choix faits entre les divers itinéraires proposés et valider les solutions techniques les plus pertinentes.
18 Une veille perpétuelle et l’ambition de tendre vers le meilleur niveau de qualité possible, tout en avançant progressivement sans négliger de prendre le temps nécessaire à la construction de l’itinéraire, ont permis de trouver pour chaque cas particulier les solutions adaptées à l’environnement naturel protégé de la vallée de la Loire. La vision internationale, prise en compte dès le démarrage du projet, ainsi que l’ambition de se hisser au niveau des meilleures références en Europe n’ont fait que renforcer cette volonté d’excellence.
19 La Loire à Vélo s’est aussi inscrite dès le départ dans la logique du réseau des itinéraires structurants français alors balbutiants. Elle a tout de suite été considérée comme un axe majeur, sur lequel d’autres itinéraires pouvaient venir se greffer. Ce positionnement lui a permis de l’inscrire dans une logique de développement tant local que national et européen. La Loire à Vélo s’est donc tout naturellement intégrée à l’EuroVelo 6, dite Euro-véloroute des fleuves, permettant le montage d’un projet INTERREG qui a favorisé les échanges de bonnes pratiques et a permis de financer des actions structurantes mutualisées portant sur la signalisation, la fourniture de services, ainsi que sur l’observation économique et les outils de promotion.
20 La transversalité du projet La Loire à Vélo a permis un décloisonnement des métiers et une collaboration efficace entre aménagement du territoire et tourisme, tout en favorisant par ailleurs la coopération entre le secteur public et le secteur privé. L’inscription des professionnels du tourisme dans la démarche de qualité Accueil Vélo à destination des touristes à vélo est un bel exemple de la complémentarité entre ces deux secteurs autour d’un projet novateur.
21 Une importante communication multi-supports en appui à des événements locaux a permis de faire connaître, dès l’ouverture des premières sections, et année après année, l’itinéraire, La Loire à Vélo, aux publics français et étranger.
Le carnet de route de La Loire à Vélo
Le carnet de route de La Loire à Vélo
22 La diffusion en grand nombre d’objets promotionnels (tels que des carnets de route, des plaquettes, des fanions, des porte-cartes, des gilets réfléchissants et autres sets de table) a contribué à populariser La Loire à Vélo auprès du grand public.
23 Rapidement, les deux régions concernées ont soutenu différentes éditions commerciales de cartes et de topoguides qui ont accompagné le développement de la notoriété de l’itinéraire. Ainsi, en 2015, Le Guide du Routard a lancé sa nouvelle collection de guides « vélo » avec La Loire à Vélo. Enfin, le site Internet http://www.loireavelo.fr, édité en 4 langues, a installé l’itinéraire dans le paysage touristique numérique du XXIe siècle. Suivra en 2012 une application mobile.
Le guide Le Routard consacré à La Loire à Vélo, éd. 2015
Le guide Le Routard consacré à La Loire à Vélo, éd. 2015
24 Enfin, ce qui n’est pas rien, un puissant soutien financier apporté au projet par les deux régions impliquées en a permis un développement efficace. Ainsi, les études ont été financées à 100 % et les travaux d’infrastructure à 60 % par les régions, le complément étant à la charge des autres collectivités territoriales concernées. En fin de compte, ce sont pratiquement toutes les collectivités ligériennes qui ont aménagé des voies cyclables locales s’intégrant à La Loire à Vélo, alliant ce faisant leurs projets touristiques à l’aménagement durable de leur territoire.
25 Tout comme le fleuve évoluant sans cesse au gré des fluctuations de son débit et des marées, La Loire à Vélo est un itinéraire vivant dont les aménagements sont améliorés en permanence pour apporter confort, sécurité et plaisir aux vélotouristes. Reconnaissance hautement symbolique, 280 kilomètres du parcours de La Loire à Vélo sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis l’année 2000 !
Une nouvelle filière économique en France [2]
26 En dix ans, 50 millions d’euros ont été investis dans cet itinéraire cyclable. Avec, à chaque saison, près de 1 million de passages sur ce linéaire de 800 kilomètres de longueur, on peut affirmer que l’itinéraire rencontre un beau succès et que les investissements consentis portent leurs fruits. Ainsi, de janvier à août 2014, on a constaté une hausse de la fréquentation de 10 % (par rapport à 2013) malgré un contexte économique déprimé. Une étude quantitative et qualitative lancée en 2015 confirmera sûrement cette évolution positive.
27 Et ce succès de fréquentation de la véloroute s’accompagne de retombées économiques tangibles. Sur La Loire à Vélo, les retombées estimées avoisinent les 20 millions d’euros par an, ce qui constitue un retour sur investissement exceptionnel pour un projet public. Elles proviennent à 96 % des touristes (contre 4 % pour les excursionnistes). Les touristes représentent environ 49 % de la fréquentation annuelle en nombre de sorties à vélo et dépensent en moyenne environ 65 euros par jour.
28 Les vélotouristes séjournent en moyenne 8 jours dans les régions ligériennes, alors que la moyenne des séjours touristiques est de 6 jours en Pays de la Loire et de 5 jours dans la région Centre. Il s’agit plutôt d’une clientèle de longs séjours (72 % des touristes séjournent 4 jours et plus), la moitié des touristes séjournant plus de 6 jours. La durée des séjours des touristes étrangers est plus importante que celle des séjours des Français (9,6 jours, contre 7). La Loire à Vélo atteint ainsi un de ses objectifs initiaux : contribuer à allonger la durée moyenne des séjours. Les touristes à vélo utilisent de manière importante les hébergements marchands en privilégiant le camping (39 % d’entre eux) et l’hôtel (24 %) pour se loger pendant leur périple, et ce, qu’ils soient itinérants ou en séjour.
29 Face à l’afflux croissant de ces nouveaux touristes, les professionnels sont de plus en plus nombreux à rejoindre la marque Accueil Vélo (copropriété des régions Centre et Val de Loire et de France-Vélo Tourisme). Début 2015, ce sont près de 500 professionnels qui peuvent se prévaloir des marques Accueil Vélo et La Loire à Vélo (hébergements, loueurs de vélos, sites de visite, offices de tourisme) sur la totalité de l’itinéraire. Ils ont choisi de s’inscrire dans une démarche qualité afin de satisfaire les attentes de ces touristes aux besoins un peu particuliers (garages à vélo, petits-déjeuners énergétiques, informations sur le parcours, etc.). Une stratégie qui prend tout son sens quand on sait que près d’un cycliste sur trois a déjà parcouru La Loire à Vélo et que cette clientèle, qui est fidèle, s’organise pour revenir d’une année sur l’autre parcourir les sections qu’elles n’ont pas encore découvertes lors de précédentes expériences. Cette démarche est couronnée de succès puisque certains hôteliers affirment que les touristes à vélo représentent aujourd’hui près de 70 % de leur clientèle.
30 Sur La Loire à Vélo, 64 % des itinérants sont aujourd’hui des Français (cette expérience d’un grand itinéraire cyclable est d’ailleurs pour beaucoup d’entre eux une première). La Loire à Vélo se révèle être un parcours initiatique et contribue fortement à créer une économie de niche de l’itinérance à vélo en France. Aujourd’hui, chaque tour-opérateur qui commercialise des séjours à vélo propose dans son catalogue au moins un produit La Loire à Vélo : c’est là un signe indéniable de l’attractivité de cet itinéraire cyclable majeur.
Conclusion
31 Il y a vingt ans, le contexte favorable du développement des modes de déplacement doux, d’un tourisme durable respectueux de l’environnement et du patrimoine, la forte volonté politique conjuguée de deux régions et la mobilisation des acteurs locaux des territoires ligériens ont permis la naissance de La Loire à Vélo.
32 La plus grande des réussites de ce projet est peut-être d’avoir permis de fédérer les acteurs, par-delà les limites administratives, au profit d’une nouvelle filière touristique, ce qui est une gageure quand on connaît la complexité du « mille-feuille administratif et territorial » français. De fait, en vingt ans, l’itinéraire s’est construit progressivement en s’appuyant sur l’expérimentation, avec toujours comme objectif revendiqué le souci d’une haute qualité des aménagements et des services, seuls véritables gages, on le sait aujourd’hui, avec la beauté des paysages traversés, de la fréquentation du parcours.
33 Surfant sur cette dynamique sans cesse renouvelée, la véloroute la plus célèbre de France continue d’expérimenter et d’avancer chaque année, consciente désormais d’être dans un espace plus concurrentiel, d’être observée et copiée, mais toujours désireuse de maintenir son avance sur le peloton des autres véloroutes. La filière du tourisme à vélo aujourd’hui promue par France Vélo Tourisme possède assurément, avec La Loire à Vélo, sa meilleure ambassadrice, pour longtemps encore.
Notes
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Nos remerciements pour la réalisation de cet article vont à : Nathalie Ferrand-Stip, Laurent Savignac et Olivier Traineau, acteurs historiques de ce beau projet.
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Sources : Étude de fréquentation et des retombées économiques de La Loire à Vélo (2010) et dossier de presse 2015 de La Loire à Vélo (documents édités par les régions Centre-Val de Loire et Pays de la Loire).