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Article de revue

Pérenniser un dispositif de prévention des risques psychosociaux au travail : mission impossible ? Le cas d’un observatoire au sein d’un organisme de recherche

Pages 3 à 26

Notes

  • [1]
    Gollac M., Bodier M. (2011), Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maitriser, Rapport au Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé - https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf (consulté le 31-08-21)
  • [2]
    Organisation Internationale du Travail (OIT), Organisation Mondiale de la Santé (OMS), National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH), Eurofound, Occupational Safety and Health Administration (OSHA).

Introduction

1Depuis le début des années 2000, les évolutions législatives imposent aux organisations privées et publiques la mise en place de pratiques de prévention et de protection de la santé mentale des salariés (Montreuil, 2017). Des travaux ont mis en évidence la diversité de ces pratiques englobant diagnostic, prévention et résolution et concernant plusieurs sujets (stress, risques psychosociaux, harcèlement, …). Plus précisément, la littérature recense et met en lumière certaines expériences au sein des organisations, comme la création d’espaces de discussion (Detchessahar, 2011) ou encore d’observatoires (Levet, 2013 ; Sarazin, 2015). Ces travaux retracent le contexte et les raisons de création de ces pratiques, analysent la méthodologie de prévention choisie par les acteurs concernés et caractérisent leurs conditions d’opérationnalisation.

2Dans cet article, nous présentons les résultats d’une étude de cas réalisée pendant deux ans au sein d’un observatoire des risques psychosociaux (RPS) mis en place dans un organisme public de recherche. Les principaux travaux ayant étudié les observatoires sociaux, lieux de production de connaissances sur de nombreux sujets (métiers, conditions de travail, …), concernent les établissements publics, comme EDF-GDF ou France Télécom (Igalens et Loignon, 1997 ; Galey, 2001). La focalisation des observatoires sur les RPS, définis comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » [1] (Gollac et Bodier, 2011, p.31), est plus récente. Concept apparu au début des années 2000, dans la continuité du stress au travail, les RPS sont progressivement devenus un objet de recherche central pour les sciences de gestion (Chakor et al., 2015 ; Edey-Gamassou et al., 2018) et une préoccupation majeure des organisations, confrontée au phénomène de la souffrance au travail. Afin d’analyser les difficultés et les blocages dans la mise en place de ce dispositif de prévention, nous avons mobilisé la sociologie de la traduction et une méthodologie qualitative d’étude de cas unique.

3La première partie de cet article présente une revue de la littérature autour des RPS au travail et notre cadre théorique. La seconde partie est consacrée à la méthodologie de recherche mise en œuvre. La troisième partie expose nos résultats, soulignant un processus de traduction inachevé. Enfin, la quatrième et dernière partie permettra de mettre en discussion la question de l’appropriation des outils et des dispositifs de gestion en management de la santé au travail, et leur dimension potentiellement stratégique à des fins de pérennisation.

1 – Le système d’acteurs au cœur de la prévention des risques psychosociaux au travail

4Les acteurs d’une organisation jouent un rôle décisif dans la manière d’appréhender et d’analyser la prévention des risques psychosociaux, mais également dans la mise en œuvre des dispositifs prévus à cet effet.

1.1 – Des dispositifs de prévention prônant le dialogue entre les acteurs

5Dans l’élaboration d’une démarche de prévention des RPS, les acteurs d’une organisation peuvent difficilement s’appuyer sur des référentiels de gestion des risques ou des outils classiques de la sécurité et de la santé au travail, car ces derniers accentuent l’invisibilité des RPS par rapport aux autres types de risques (Vuattoux, 2020). De plus, il n’existe pas de consensus autour de leur périmètre terminologique. En effet, les RPS ne sont pas des « risques classiques » car ils sont caractérisés par : l’existence de logiques d’occurrence multiples, une dynamique où les mêmes causes génèrent différents effets, un délai de latence entre l’exposition au risque et ses conséquences ou encore les dénis de la part du management ou du travailleur lui-même (Gollac et al., 2006 ; Chakor, 2015). Appréhender les risques psychosociaux est complexe et les outils de gestion à mettre en place pour les prévenir doivent tenir compte de leurs spécificités. Traditionnellement, les dispositifs de prévention des RPS sont classés en distinguant les préventions primaire, secondaire et tertiaire. Cette typologie est reprise par les organismes multinationaux de protection et de promotion de la santé et de la sécurité au travail [2]. La prévention primaire est considérée comme la seule prévention efficace sur le long terme (Murphy, 1988 ; Quick et al., 1992), alors que les autres sont plus liées soit à des actions correctives (secondaire), soit à une prise en charge a posteriori (tertiaire). Au-delà de cette typologie largement usitée, une littérature, notamment francophone, s’est constituée depuis une dizaine d’années, autour des limites d’une approche mécaniste de la gestion des RPS (Attias-Delattre et Szpirglas, 2013), de leurs déterminants organisationnels et managériaux (Detchessahar, 2011 ; Neveu, 2012), ou de la place centrale du manager (Abord de Chatillon et al., 2012). Les travaux de recherche présentés proposent diverses possibilités sans qu’aucun outil de prévention ne fasse autorité. Cela s’explique principalement par le fait que le contexte organisationnel et social est déterminant.

6Valléry et Leduc (2012) proposent six étapes essentielles pour réussir une démarche de prévention : 1) se préparer en mobilisant les acteurs et en identifiant leurs rôles ; 2) s’accorder sur les motivations des acteurs et l’objectif de l’action de prévention ; 3) repérer les risques psychosociaux à travers un pré-diagnostic et un diagnostic ; 4) mettre en place des groupes de travail ; 5) appliquer une conduite du changement ; 6) piloter le suivi des actions. Les auteurs soulignent que l’enjeu de ce type de démarche est de permettre la production d’analyses objectives afin de réunir les conditions d’un dialogue constructif et la confrontation des points de vue. Dans le cadre d’une démarche de prévention, une maîtrise des connaissances concernant la santé, le travail ou encore l’organisation et la mobilisation d’un collectif d’acteurs leur semblent nécessaires.

7Un autre dispositif de prévention a fait l’objet de nombreux travaux : les espaces de discussion. Ce sont des lieux visant à favoriser la régulation du travail (Abord de Chatillon et Desmarais, 2017) et à redonner du sens au travail. En effet, les injonctions de performances sont multiples, parfois contradictoires, mettant à mal les salariés et les managers. Pour Detchessahar (2013, p.59), les espaces de discussion sont « un médium à travers lequel se réalise l’ensemble des arrangements, compromis et bricolages que supposent l’incomplétude de la prescription et le caractère irréductiblement erratique de l’activité concrète ». Selon cet auteur, les espaces sont des opérateurs de santé au travail car ils permettent au management une prise de connaissance du travail réel et de ses difficultés.

8Cette prise de connaissance du travail réel est l’une des missions d’un autre dispositif de prévention des RPS : les observatoires. Dans leurs travaux, Levet (2013) et Sarazin (2015) soulignent que ces dispositifs liés à la santé au travail ont été créés, dans des contextes différents, pour mettre en place des pratiques de transformations organisationnelles et managériales, comme au Crédit Agricole à la suite de la signature d’un accord concernant les conditions de travail ou à EDF à la suite d’événements dramatiques. Ces observatoires ont pour objectif « d’influencer les situations de travail par l’exemplarité, la diffusion de bonnes pratiques, l’expérimentation et l’élaboration de documents référence, validés par l’ensemble des acteurs » (Sarazin, 2015, p.91). De plus, l’une de leurs missions est d’avoir une meilleure connaissance de leur organisation en se rapprochant au plus près des lieux de travail pour recueillir l’information à la source et réfléchir à de nouvelles pratiques plus adaptées. Ainsi, l’observatoire du Crédit Agricole se revendique comme un « laboratoire d’innovation sociale » caractérisé par l’analyse du travail, les discussions entre les acteurs et des expérimentations.

9Il en ressort que le dialogue social est un élément central de la prévention des RPS. On retrouve dans les différents dispositifs de prévention présentés dans la littérature, une ambition de dialoguer et de s’entourer de nombreux acteurs (direction, syndicats, salariés, experts, …) pour une meilleure compréhension des phénomènes existants dans l’organisation du travail. L’importance pour le fonctionnement et la pérennité des dispositifs de prévention du rôle des acteurs et de leurs interactions est soulignée.

1.2 – Le rôle de la mobilisation de tous les acteurs dans la prévention des risques psychosociaux au travail

10Dans la littérature, la collaboration effective de tous les acteurs ressort comme essentielle pour la réussite de la prévention des RPS dans les organisations. Dans le cas des espaces de discussion, Detchessahar et ses coauteurs (2015) soulignent qu’il faut connecter plusieurs discussions se déroulant à des niveaux différents de l’organisation : la discussion du travail incluant les opérationnels et le management de proximité, la discussion de conception avec les organisateurs, et, enfin, la discussion stratégique impliquant la direction. L’objectif est que chacune de ces discussions s’informent mutuellement, les discussions stratégiques et de conception devant pouvoir être nourries par la discussion du travail. Néanmoins, les auteurs soulignent que, dans la pratique, cette connexion entre les différents niveaux de l’organisation ne se réalise pas forcément. La discussion s’effectue généralement entre pairs, d’une manière horizontale, alors qu’elle devrait être plus verticale impliquant alors toute la ligne hiérarchique. Cette difficulté relevée est importante car, pour produire des transformations durables du travail et de l’organisation, il est essentiel de passer par un dialogue conjoint entre les niveaux opérationnel, de conception et stratégique. Abord de Chatillon et Desmarais (2017) insistent notamment sur le fait que peu importe la forme ou les sujets des espaces de discussion, le plus important est qu’ils vivent et engendrent des discours différents sur l’activité.

11De la même façon, les travaux déjà menés sur les observatoires liés à la santé au travail mettent, tout d’abord, en évidence que les observatoires ne sont pas des espaces de décision mais plutôt de discussion (Sarazin, 2015). L’objectif est de formuler des recommandations sur la base d’un dialogue social cadré par l’expertise des acteurs internes et externes à l’organisation. Or, bien que ce dialogue et cette expertise produisent des connaissances permettant la formulation de recommandations, l’appropriation de ces recommandations sur le « terrain » n’est pas évidente (Levet, 2013). L’une des raisons évoquées est le fonctionnement rigide et les transformations importantes que cela entrainerait dans les organisations (Sarazin, 2015). Il reste toujours difficile dans les observatoires de déterminer de quelle manière les acteurs décisionnaires se saisissent des recommandations pour transformer l’organisation. Un autre point important a un impact direct sur la pérennité des observatoires : la mobilisation des acteurs sur le long terme. La création d’un observatoire dans une organisation n’est soumise à aucune obligation légale et dépend donc de la volonté des acteurs de le faire vivre. Un risque d’essoufflement existe donc, ces derniers restant occupés dans leurs fonctions quotidiennes. Sarazin (2015) rappelle que la construction de la confiance et la parole libérée entre les membres d’un observatoire prend du temps et que le départ des membres fondateurs remet en cause l’ancrage définitif du dispositif.

12Au regard du rôle de la discussion et de la mobilisation des acteurs, notre étude s’est focalisée sur l’opérationnalisation par les acteurs d’un dispositif spécifique de prévention : un observatoire des RPS au sein d’un organisme de recherche.

2 – La sociologie de la traduction comme grille d’analyse de l’opérationnalisation d’un dispositif de prévention

13La sociologie de la traduction s’est présentée comme une grille d’analyse pertinente pour notre étude, dans la mesure où elle donne la possibilité d’analyser les rapports entre la diversité des acteurs présents dans le dispositif de prévention des RPS afin d’en comprendre le fonctionnement.

2.1 – Une grille théorique visant à appréhender les conditions de convergence d’acteurs autour d’un projet

14L’analyse du fonctionnement d’un observatoire peut s’opérer à partir de nombreuses grilles théoriques. Parmi celles-ci, la sociologie des organisations permet de mettre en lumière les jeux de pouvoir, l’entreprise étant appréhendée comme un espace de relations, un champ d’affrontement où chaque acteur tente d’optimiser ses gains et ses ressources. Elle diffère de l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg (1977) qui montre la structuration des relations entre groupes d’acteurs (conflits, négociations, ententes durables et accords provisoires), tandis que l’approche de Reynaud (1989) éclaire la construction des règles par lesquelles un groupe social se structure et devient capable d’actions collectives. Quant aux travaux de Sainsaulieu (1988) autour de l’identité au travail, ils abordent cette construction par les dimensions affectives des acteurs et leurs positions idéologiques. La sociologie de la traduction permet de compenser une limite majeure de ces autres grilles d’analyse théorique : la « quasi-cécité sur la question des conditions de production de l’accord entre acteurs » (Amblard et al., 1996, p.128).

15La sociologie de la traduction permet de saisir les conditions à partir desquelles les acteurs d’une situation donnée sont en convergence ou non autour d’un projet donné. Ce cadre d’analyse se présente, notamment en sciences de gestion, comme un guide pour la conduite du changement, témoignant alors de son pouvoir normatif (Dervaux et al., 2011), ou comme une grille de recherche-intervention, par exemple dans le cadre d’un projet de prévention des RPS (Durand et al., 2018).

2.2 – Les cinq étapes du processus de traduction

16Selon cette grille d’analyse que nous retenons pour notre étude d’un observatoire des RPS, le processus de traduction peut être analysé en cinq étapes : la contextualisation, la problématisation, l’intéressement, l’enrôlement et le rallongement du réseau. La première permet d’identifier les contextes internes et externes capables d’influencer le processus de changement. La problématisation a un rôle de créateur de sens pour les acteurs afin de déterminer leurs intérêts communs. Cela nécessite un « point de passage obligé », en l’occurrence le basculement d’un positionnement individuel des acteurs à une coopération (Amblard et al., 1996). L’intéressement est l’action des acteurs promoteurs du projet pour intéresser de nombreux acteurs concernant celui-ci. Les promoteurs usent d’outils et de moyens pour réaliser la traduction. Ils peuvent également s’appuyer sur des « centres de traduction » (Callon et Law, 1988) pour favoriser cette traduction. L’enrôlement est une étape permettant de mobiliser des acteurs dans le réseau et de leur attribuer des rôles afin qu’ils deviennent des porte-paroles et aident au développement du projet en enrôlant à leur tour de nouveaux acteurs. Enfin, le rallongement du réseau permet d’élargir le projet en intégrant des nouveaux partenaires pour le maintenir dans le temps.

17Nous aborderons ainsi l’observatoire comme un réseau appréhendant et fédérant l’ensemble des actants participant à la réalisation d’un projet sociotechnique (Amblard et al., 1996). Nous considèrerons le processus à l’œuvre comme pouvant potentiellement être jalonné de controverses issues des conceptions différenciées, pour certaines stratégiques, de l’observatoire, de son utilité ou encore de ses apports. Enfin, la traduction reposera, théoriquement, sur le succès de la construction de l’observatoire, la convergence des actants, et constituera la transformation effective de plusieurs énoncés intelligibles en un seul énoncé, consensuel et stabilisé.

3 – Présentation du terrain et méthodologie de la recherche

18Nous avons étudié un observatoire des RPS présent au sein d’un établissement public de recherche. Notre recherche qualitative s’est principalement focalisée sur les membres de l’observatoire afin d’analyser leur processus de traduction et ses conséquences sur le fonctionnement du dispositif. Nous avons opté pour une étude de cas afin de mieux comprendre et expliquer les phénomènes étudiés et leurs liens avec un contexte donné (Yin, 1981).

3.1 – Choix et présentation du cas unique de l’étude

19Notre choix de réaliser une étude de cas unique est justifié par plusieurs raisons. Tout d’abord, les observatoires sont des dispositifs difficiles d’accès. Ils représentent des lieux politiques traitant d’informations sensibles et stratégiques pour une organisation (Hereng, 2003). Les travaux existants ont été généralement produits par des agents de l’agence nationale d’amélioration des conditions de travail (ANACT), en charge d’accompagner les organisations dans la mise en place de leur observatoire (Levet, 2013 ; Sarazin, 2015). Nous avons pu nous associer à une étude mise en place dans l’objectif de mettre en lumière les changements au sein des laboratoires de l’établissement et leurs effets sur la santé des agents. Cela nous a permis d’avoir accès à l’observatoire et d’établir un lien de confiance avec ses membres, élément déterminant lors d’une recherche avec un terrain difficile d’accès et un sujet potentiellement sensible (Condomines et Hennequin, 2013). L’approche qualitative de notre recherche nous a permis également de minimiser la distance sociale (Lee, 1993).

20L’établissement dans lequel est rattaché l’observatoire étudié compte plus de 2300 agents en France et à l’étranger. Il possède deux centres en métropole, en plus de son siège, qui assurent les missions de recherche, de formation et les ressources pour ses unités de recherche et ses représentations à l’étranger. L’observatoire des RPS est défini à travers sa charte de fonctionnement comme une instance dite de « coordination-animation » de la démarche de prévention primaire des RPS. Il a pour objectif de formuler à la direction des préconisations concernant l’organisation et l’amélioration des conditions de travail en rédigeant annuellement un rapport comprenant ses analyses globales et son activité générale, qui est également communiqué au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L’observatoire, lors de sa création, était composé de seize membres dont trois externes (Tableau 1) qui se réunissent deux fois par an. Il faut noter l’existence de liens hiérarchiques entre certains membres. L’assistante sociale et le chargé des RPS recrutés après la deuxième réunion de l’observatoire dépendent hiérarchiquement du chef de projet qui est responsable du service dédié à la santé au travail au sein de la DRH. De plus, ce chef de projet a pour responsables hiérarchiques le DRH et son adjoint.

Tableau 1

Composition de l’observatoire des RPS

Acteurs internesCadre RH, chef de projet de l’observatoire
Directrice des ressources humaines (DRH)
Adjoint du DRH
Chargé des RPS
2 directeurs de départements scientifiques
3 représentants d’organisations syndicales (dont 2 siègent au CHSCT)
Assistante sociale
Conseillère de prévention
Médecin de l’établissement
Médiateur
Acteurs externesConsultant (animateur)
Chercheure spécialiste du management de la recherche
Médecin consultant

Composition de l’observatoire des RPS

21L’observatoire de notre étude a disparu trois ans après sa création. Il n’a pu commanditer qu’une seule étude pendant son existence sans produire des recommandations pouvant avoir un impact sur l’organisation. Les nouveaux acteurs au sein de la direction ont mis en place une nouvelle politique de prévention des RPS en recourant à un autre dispositif.

3.2 – Mode de recueil des données

22Nous avons mobilisé trois types de méthodes de récolte de données (Tableau 2). Ce choix nous permet d’accroitre la validité de la recherche, en diversifiant les sources d’informations (écrites et orales), les méthodes d’enquête et les informateurs (Hlady-Rispal, 2015).

Tableau 2

Méthodes, sources et nature des données récoltées

MéthodesSourcesDonnées récoltées
Entretiens semi-directifsMembres de l’observatoire (14 sur les 16)Historique et fonctionnement du dispositif
Rôle des membres
Discours et représentations concernant les RPS et le dispositif
Observations participantesRéunions de l’observatoire (3)Fonctionnement du dispositif
Echanges entre les membres (points d’accord, de divergences, controverses, …)
Discours et représentations concernant les RPS et le dispositif
Analyse documentaireComptes rendus du CHSCT (7)
Bilans sociaux 2006-2014
Baromètre social
Pré-diagnostic RPS de l’établissement
Présentation de la nouvelle démarche de prévention
Charte de fonctionnement de l’observatoire
Comptes rendus des réunions de l’observatoire (5)
Contexte de l’établissement (indicateurs, politique de prévention)
Historique de création du dispositif
Fonctionnement du dispositif

Méthodes, sources et nature des données récoltées

23Nous avons mené 14 entretiens semi-directifs, enregistrés et intégralement retranscrits, d’une durée moyenne d’une heure et demie avec les membres de l’observatoire. En effet, sur les 16 membres, nous n’avons pas pu rencontrer la DRH, qui était en partance, et le médecin tout juste arrivé dans l’établissement. Un guide d’entretien a été réalisé en appui sur la revue de la littérature (Annexe 1). Nous avons également analysé plusieurs documents en lien avec l’observatoire permettant de comprendre sa création et son fonctionnement. Enfin, nous avons pu réaliser des observations participantes au sein de l’observatoire à différentes étapes de son fonctionnement. Nous avons observé sa mise en place au sein du service dédié à la santé au travail lié à la DRH et les différentes réunions pendant la réalisation de l’étude commanditée par l’observatoire. Lors de sa création ou la réalisation de sa première étude, ces observations aux différentes phases de la démarche nous permettaient de comprendre le processus et le comportement des membres de l’observatoire (Baumard et al., 1999) autour des sujets liés à la prévention des RPS et au fonctionnement de l’observatoire.

3.3 – Mode d’analyse des données

24Nous avons réalisé une analyse de contenu thématique en nous focalisant sur les évènements et le processus d’interactions entre les acteurs à l’origine de la mise en œuvre de l’observatoire et permettant de comprendre son fonctionnement. Ce type d’analyse permet de surmonter la complexité d’un phénomène ayant peu d’éléments empiriques et théoriques existants (Allard-Poesi et al., 2007). Nous avons codé le contenu des entretiens, des documents et des observations en fonction de catégories constituant un ensemble d’unités d’analyse (Allard-Poesi, 2003). Les unités d’analyse ont renvoyé aux différentes étapes de la sociologie de la traduction (Tableau 3).

Tableau 3

Grille de codage de l’analyse de contenu

Etapes de la traductionEléments de codageDonnées mobilisées
ContextualisationIdentifier les contextes internes et externes de l’établissement de recherche expliquant la création de l’observatoire.Documents (comptes rendus CHSCT, bilans sociaux, baromètre social)
Entretiens (membres de la DRH, syndicats, acteurs médico-sociaux)
ProblématisationDéterminer le passage d’une représentation isolée de chaque acteur de la prévention des RPS à une acceptation de coopération avec la mise en place de l’observatoire.Documents (comptes rendus CHSCT, pré-diagnostic RPS, présentation de la nouvelle démarche de prévention)
Entretiens (membres de l’observatoire ayant participé au groupe de travail CHSCT débouchant sur la création de l’observatoire)
IntéressementMettre en avant les gains des acteurs proposés par les traducteurs pour leur participation à l’observatoire.Entretiens (14 personnes sur les 16 membres de l’observatoire)
EnrôlementCaractériser le rôle des acteurs.Documents (charte de fonctionnement de l’observatoire, comptes rendus des réunions de l’observatoire)
Observations (réunions de l’observatoire)
Entretiens (tous les membres de l’observatoire)
Rallongement du réseauRelever les actions des membres de l’observatoire pour élargir le réseau d’acteurs et le maintenir dans l’organisation.Observations (réunions de l’observatoire)
Entretiens (tous les membres de l’observatoire)

Grille de codage de l’analyse de contenu

25Ces catégories ont été affinées notamment en portant la focale sur le rôle des acteurs et sur les actions ou événements exerçant une influence sur la dynamique de l’observatoire dans l’organisation.

4 – Résultats : Un processus de traduction inabouti

26Les résultats de notre étude mettent en avant les différentes étapes de la traduction entre les membres de l’observatoire dans sa mise en place et son fonctionnement. Bien que les intérêts des acteurs convergent sur la nécessité d’une prévention des RPS au sein de l’établissement, plusieurs manquements dans le processus de traduction ont été relevés, entraînant des conséquences sur la pérennisation de l’observatoire.

4.1 – Co-construction initiale de l’observatoire et rôle central de la DRH

27A la fin des années 2000, l’établissement de recherche a fait face aux nombreuses transformations de son environnement institutionnel mais également à sa propre organisation. Les nouvelles procédures d’évaluation ou encore le déménagement du siège provoquant le départ important des membres fondateurs sont des éléments de contexte favorisant le mal-être des agents. En 2011, une étude a été commanditée par le CHSCT de l’établissement. Un groupe de travail, composé de représentants syndicaux, de cadres, de la DRH, de l’assistante sociale, du médecin du siège et d’un consultant, était chargé d’analyser les résultats de l’étude. Ceux-ci ont montré, entre autres, une intensification du travail pour tous les agents, des rapports sociaux de mauvaise qualité entre les services, notamment entre les unités de recherche et l’administration centrale, ou encore la précarité des situations de travail avec la multiplication des contrats de courte durée. Dans le compte-rendu de ses travaux, le groupe de travail a recommandé la mise en place d’un dispositif de prévention afin d’anticiper et de trouver des solutions concernant les problématiques de santé au travail en émettant l’idée de la création d’un observatoire.

28Initialement, la mission de l’observatoire était l’accompagnement individuel des agents en souffrance. Par la suite, cela a été un problème pour la DRH. Les objectifs de la création d’un observatoire des RPS ont donc été reprécisés lors des différentes instances de l’établissement, comme le CHSCT.

29

« Le groupe de 2011 avait préconisé une structure qu’on avait déjà appelée observatoire mais qui était supposée faire en même temps de la prévention primaire, de l’accompagnement individuel, ce n’était pas très clair ».
(Responsable développement, entretien)

30

« On est quand même dans des problématiques managériales, donc voilà, on voyait très mal que s’il y avait trois situations qui sortaient du même service, par exemple, même si on leur demandait de garder de la confidentialité, on ait, tout de suite après, une espèce d’alerte des syndicats sur le management du service en question ».
(Responsable développement social, entretien)

31

« Je leur ai expliqué ce que j’explique tout le temps. Qu’on ne pouvait plus travailler uniquement en mode pompier. Qu’il fallait avoir une structure qui fasse des préconisations plus en amont, que ça n’était le cas jusqu’à présent, une structure composée de gens expérimentés ».
(Responsable développement, entretien)

32Pour les représentants du personnel et la conseillère de prévention qui siègent au CHSCT, si l’observatoire doit permettre d’éclairer la problématique des RPS, le CHSCT doit garder une place importante dans la prévention de la santé au travail.

33

« J’avais un besoin d’aller au-delà du CHSCT, qui, finalement, avait un peu le nez dans le guidon, et donc de prendre un peu de recul… Mais si vous voulez, moi, je ne veux pas qu’on marche sur les pieds du CHSCT ».
(Représentant syndical, entretien)

34Bien qu’il ait eu des divergences sur le format et les objectifs de l’observatoire, au début du projet, et notamment dans la phase de problématisation, plusieurs types d’acteurs étaient impliqués. La direction, les syndicats ou les acteurs médico-sociaux ont coconstruit le projet de prévention, ce qui était important pour légitimer le projet et faciliter le processus de traduction.

35

« Disons que je suis rentré à l’observatoire pour une raison un peu particulière, c’est que je suis membre du CHSCT, et c’est par différentes discussions et décisions au sein du CHSCT et du groupe de travail associé qu’est né l’observatoire. Donc, à partir du moment où les représentants du personnel du CHSCT avaient acté la création de l’observatoire, l’idée, c’était aussi d’y participer, notamment pour pouvoir faire un retour auprès CHSCT de ce qui s’y disait. »
(Représentant syndical, entretien).

36

« Le médecin de prévention, qui était en interne, au départ, la DRH, les représentants du personnel, la conseillère sociale, … donc au départ des réunions, des discussions, et une mise en forme, l’élaboration de la politique et la concrétisation écrite, faites par la responsable du développement social, avec le cabinet qui nous accompagnait. Il faisait un compte rendu, il nous le soumettait, on réagissait et on faisait nos remarques. »
(Assistante sociale, entretien).

37

« Des actions de moyen terme sont également envisagées : s’engager dans une pérennisation et une amélioration technique du baromètre en confiant au groupe de travail déjà mobilisé sur la création d’un observatoire des risques psychosociaux la gouvernance du baromètre ».
(Compte rendu comité technique)

4.2 – Les rôles flous des membres de l’observatoire

38La DRH et le responsable du service du développement social ont dû convaincre certains acteurs de l’organisation de participer à l’observatoire :

39

« Je leur ai expliqué qu’on allait les former, je leur ai dit que comme ils étaient expérimentés, ils nous donneraient des pistes sur les sujets à traiter en priorité, qu’eux n’auraient pas forcément de travail à faire entre les sessions, que nous, nous porterions le travail, mais qu’ils seraient sollicités de temps en temps ».
(Responsable développement durable, entretien)

40Le responsable du service du développement social déclare avoir vu un par un les membres de l’observatoire et que la DRH allait appuyer la démarche si certaines personnes hésitaient à l’intégrer. Les acteurs n’ont pas hésité très longtemps, conscients aussi de l’intérêt de l’outil et de la nécessité de leur présence.

41

« Le fait que je sois à l’observatoire me permet d’agir avec l’administration au niveau optimal, dans mon activité syndicale, dans le cadre de l’accompagnement des agents en difficulté ».
(un représentant syndical, entretien)

42La première réunion de l’observatoire a eu lieu en 2013 avec pour objectif de déterminer son fonctionnement définitif. Quelques mois plus tard, la deuxième réunion a été l’occasion de réaliser une formation à destination des membres sur des éléments théoriques et terminologiques concernant les RPS. Les membres ont été formés par les consultants animant les réunions de l’observatoire. Cette formation permettait à tous les membres de partager un socle commun de connaissances. La terminologie acquise facilitait les discussions entre les membres mais ces derniers pouvaient également l’exploiter dans leurs fonctions quotidiennes.

43

« Nous avons été formés, tous les membres de l’observatoire, lors de la deuxième réunion de l’observatoire, sur une journée de formation, sur les risques psychosociaux, pour avoir un langage commun. Il y a eu l’intervention d’un médecin qui a très bien expliqué ce qu’était le travail réel et le travail prescrit, et donc, ça, je le savais parce que je le vois au quotidien, mais c’était très riche, et tout le monde a été satisfait, je pense, et ça permet, pour nous tous au moins, d’avoir une vision commune ».
(Assistante sociale, entretien)

44

« Le responsable du Service du développement social présente le contenu de la première réunion de l’observatoire du juin 2013 : Présentation d’une charte de fonctionnement ; Une analyse des attentes des membres de l’observatoire ; Une nécessité d’interroger l’organisation du travail et les modalités d’un « travailler ensemble » dans un organisme éclaté ; Une volonté de tous les participants présents de faire vivre et travailler cette structure ; Un souhait unanime d’être formé et de partager un vocabulaire commun. »
(Compte rendu CHSCT)

45Lors des réunions, les membres devaient apporter leur expérience concernant l’établissement et le sujet de la santé au travail. Cependant, le positionnement et le rôle de chaque membre n’était pas clairement établi, notamment dans la charte de fonctionnement de l’observatoire.

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« Moi, c’est le retour d’expérience que je peux avoir. Je ne suis pas un spécialiste du tout des RPS. C’est simplement le retour d’expérience, vu mon âge, mon parcours, mon expérience et mon action syndicale, c’est expliquer concrètement ce que je ressens et le retour des agents. »
(Représentant syndical, entretien).

47

« Je suis à l’observatoire car j’ai une consultation de pathologie professionnelle, et dans ce cadre-là, dans un collectif de travail avec des médecins du travail, des avocats, des inspecteurs du travail, des analystes, des ergonomes, etc., on a essayé de créer une manière d’intervenir, qui nous a amenés à proposer un certain nombre de formations sur la question du travail et la question de la décompensation au travail. Dans le cadre d’une formation qui était proposée à l’INSEE, j’ai rencontré le responsable du développement social, il l’a trouvée intéressante et donc, il m’a demandé de participer à l’observatoire. »
(Médecin consultant, entretien).

48

« Dans tous les documents qu’on écrit, on a du mal à positionner tous les acteurs, que ce soit les acteurs RH, les CHSCT, les syndicats, etc ».
(Adjoint de la DRH, entretien)

49Ce manque de clarté dans le positionnement de chaque acteur dans cet observatoire a été la source de certains problèmes dans le fonctionnement même de la structure. Tout d’abord, lors de nos observations des réunions de l’observatoire, nous avons constaté que certains membres intervenaient peu dans les débats, voire jamais. Cela s’est expliqué notamment par le fait qu’il existe des liens hiérarchiques entre certains membres, réduisant alors une prise de parole totalement libre, et sans que ce sujet concernant les liens hiérarchiques entre les membres de l’observatoire n’ait fait l’objet d’une réelle clarification.

50

« Travailler avec le collègue, en confiance, plutôt que de le voir comme un ennemi, un danger potentiel, et, du coup, tout le monde est un peu sur sa réserve ».
(Assistante sociale, entretien)

51Un autre exemple concerne le cabinet de consultants sélectionné pour animer les réunions de l’observatoire. Lors des deux premières réunions, les séances étaient animées par deux consultants. Or, le responsable du service du développement social et certains membres de l’observatoire, notamment le médecin extérieur à l’établissement, n’étaient pas satisfaits. Ils reprochaient aux consultants d’intervenir beaucoup trop au détriment des échanges, ce à quoi les consultants répondaient que leur activité principale était de conseiller les acteurs d’une organisation et non d’animer des réunions. L’arrêt de leur collaboration avec l’observatoire a été envisagée. La solution trouvée a été qu’un seul consultant anime les réunions.

52

« La question de notre positionnement sur ce rôle d’animation qui a longtemps un peu questionné du coup… on se posait les mêmes questions si on allait continuer ou pas dans cette démarche-là ».
(un consultant, entretien)

53Le flou relevé dans la définition des rôles des membres de l’observatoire résidait également dans le périmètre d’action de l’observatoire et le sens même de la structure. L’un des représentants syndicaux voulait intégrer l’observatoire pour justement intervenir dans les unités afin de résoudre directement les problèmes des agents, tandis que le responsable du développement social s’interrogeait sur ses difficultés à définir les missions de l’observatoire.

54

« Je pensais qu’on allait voir des unités, les analyser, voir les problèmes qui apparaissent et avoir une analyse de ces problèmes. Voyez, c’est comme ça que moi je voyais l’observatoire ».
(Représentant syndical, entretien)

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« Mon attente serait qu’on trouve la meilleure manière de l’approcher, la prévention des RPS … Le mot est joli, mais concrètement … On fait quoi là-dedans ? Ce serait bien que si quelqu’un me pose la question dans le couloir, je puisse dire : « voilà concrètement ce qu’on a fait » … Ce n’est pas le cas ».
(Responsable de développement social, entretien)

56L’incompréhension des acteurs concernant leurs rôles et les actions de l’observatoire témoignent des carences du processus de traduction, notamment dans l’enrôlement de ces acteurs. Après sa mise en œuvre effective, la DRH, par l’intermédiaire du responsable du service de développement, a piloté et administré exclusivement l’observatoire, laissant peu de marge de manœuvre aux autres membres. Des désaccords sur les objectifs et le fonctionnement de l’observatoire ont alors émergé.

57

« De voir s’écharper le cabinet de consultant et le médecin…. Le problème est que le consultant…il était hyper dans « je vais vous expliquer ce qu’il faut faire ». Il n’a pas bien compris dans quel univers il était tombé […] Alors, évidemment, quand on est face à des chercheurs, les choses énoncées comme ça sont très problématiques […] on a senti très rapidement qu’il y avait des tensions »
(Chercheure, entretien)

58

« Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais l’un des représentants syndicaux voulait absolument aborder un sujet individuel, on l’a cadré un peu avant, et l’adjoint de la DRH l’a cadré aussi pendant, et le consultant l’a cadré aussi, enfin, c’est-à-dire pour lui dire que ce n’était pas le lieu. D’eux-mêmes, naturellement, ils auraient envie qu’on vienne sur ce que ne fait pas la direction, ce que ne fait pas la DRH, bon, mais justement, on voulait éviter ce genre de discussions. Ça ne sert à rien. C’est pour cela que je ne voulais pas un système paritaire où on se met face à face ».
(Responsable développement social, entretien)

59

« C’est pour ça que les échanges entre les membres sont compliqués. Je ne vais pas aller contacter quelqu’un qui est extérieur à l’organisme. Et puis, dans un moment où on essaie tous de faire des économies, avoir des extérieurs implique que les réunions sont beaucoup plus coûteuses à organiser. […] Dans un cadre budgétaire très restreint, ce n’est pas forcément comme ça que j’aurais organisé les choses […] et l’argent, du coup, je ne l’aurais pas forcément mis dans cet observatoire ».
(Représentant syndical, entretien)

4.3 – L’absence d’acteurs de terrain et le départ des membres, fondateurs de l’observatoire

60Au-delà des incertitudes sur le rôle des membres présents au sein de l’observatoire, certains ont regretté l’absence de rallongement du réseau par l’inclusion d’agents de terrain, privant l’observatoire de la connaissance de la réalité du travail des agents de l’établissement, qui leur semble essentielle dans la prévention des RPS. Le responsable du service du développement social souligne qu’il était difficile d’avoir un représentant des agents de l’étranger pour des raisons de moyens et de disponibilité.

61

« Mais moi, j’aurais été demandeuse, dès le départ, effectivement, qu’il soit plus ouvert sur des acteurs de terrain pour de vrai… Parce que le risque, c’est que ce soit des études qui restent lettre morte, ou qui ne soient pas appropriées sur le terrain, avec des arguments ».
(enseignant-chercheur, entretien)

62Si l’observatoire a des difficultés à inclure de nouveaux membres ou rallonger son réseau, il a dû gérer les départs de l’établissement de plusieurs de ses membres, ce qui a présenté des inconvénients dans la composition de l’observatoire surtout au regard du faible nombre de réunions organisées avec de moins en moins de participants. Cela a généré des craintes sur l’avenir de la structure, dont les faits ont confirmé le fondement, puisque l’observatoire a été fermé au bout de trois ans après sa création.

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« Dans la phase de démarrage, on aurait dû se voir beaucoup plus fréquemment, pour que l’observatoire devienne visible, pour qu’on lance tout de suite des choses. En fait, le risque aussi, tous les organismes sont soumis au turn-over, le turn-over peut être de 15% par an. Le risque de devoir repartir de zéro, reformer… ».
(Adjoint de la DRH, entretien)

64

« La DRH va partir, là, en mobilité. Puis, l’un des représentants syndicaux va partir aussi, en détachement. Mais voilà, on peut craindre qu’au bout de 4 ou 5 réunions, il y en ait un qui dise : « Mais vous faites quoi, là ? Si c’est ça » … Je ne sais pas ».
(Responsable développement social, entretien)

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« Mais, par contre, la dernière réunion, j’étais un peu déçu. Rien. Il manquait la moitié des membres, et à partir du moment où la moitié des membres est absente, c’est un peu bizarre ».
(un représentant syndical, entretien)

5 – Discussion : Les obstacles à la pérennisation des dispositifs de prévention des risques psychosociaux

66Notre recherche présente certaines limites liées aux caractéristiques propres aux observatoires, et pour notre étude de cas, au rattachement à un organisme de recherche dans un contexte de montée en puissance de nouveau management public bien différent de celui des organisations privées. Par ailleurs, nous n’avons pas pu rencontrer la DRH présente au moment de la création de l’observatoire et le médecin de l’établissement, deux acteurs importants dans la mise en place d’un dispositif de prévention des RPS. L’objectif de notre article était de tirer des enseignements, à partir d’une étude de cas exploratoire de deux ans, de la mise en place d’un observatoire des RPS au sein d’un organisme public de recherche, de ses difficultés, de ses blocages au prisme des relations entre les acteurs impliqués, leurs intérêts, leurs rôles et leurs interactions. Nous avons ainsi mis en évidence trois phases, donnant à voir une problématisation des RPS opérée à la suite de changements institutionnels et organisationnels, un enrôlement et une mobilisation des alliés limités, et, enfin, des difficultés de pérennisation et de rallongement du réseau de l’observatoire. Cette trajectoire, de la création de l’observatoire à l’arrêt de son activité, nous a permis d’identifier une défaillance dans le processus de traduction que nous discutons dans cette partie.

5.1 – Les trois phases de la mise en place d’un dispositif de prévention des risques psychosociaux au travail

67Notre revue de littérature a souligné l’importance dans les dispositifs de prévention primaire des RPS de la mobilisation des acteurs, de l’identification de leurs rôles et d’un accord autour de leurs motivations et de l’objectif de la démarche, comme autant de préalables essentiels. Ces éléments constituent ainsi le socle d’une démarche constructive, discutée et partagée, axée sur la réalité de l’activité de travail. Notre étude de cas, appréhendée au prisme de la sociologie de la traduction, nous permet d’aller plus loin avec l’identification de trois phases de mise en place d’un dispositif de prévention des RPS : 1) la perception du dispositif de prévention par les acteurs ; 2) l’expérimentation réelle de ce dispositif ; 3) la consolidation de la prévention. La première phase regroupe les logiques de contextualisation, de problématisation et d’intéressement. L’objectif est d’identifier la spécificité du contexte (interne et externe) et de créer du sens pour chaque acteur, devant y trouver un intérêt à la fois individuel et collectif. Elles doivent permettre d’ancrer la démarche et le dispositif de prévention dans la réalité de l’organisation et des différentes parties prenantes. Le fait que, dans notre étude de cas, la mission initiale de la démarche ait changé, passant de l’accompagnement individuel des agents en souffrance à la création d’un observatoire des RPS, témoigne de cette nécessité de construire ensemble le projet de prévention. L’expérimentation du dispositif représente une phase « de vérité » où, soit le processus préventif s’amorce réellement, soit il se bloque. Elle regroupe essentiellement tout ce qui relève de l’enrôlement des acteurs afin de passer des intentions à l’action préventive effective. Elle suppose des objectifs opérationnels, des modalités de fonctionnement et une gouvernance claires. Le rôle attribué au CHSCT est éclairant : quelle place, quel rôle doit-il occuper dans une démarche de prévention des RPS, notamment vis-à-vis de la direction ? Plus largement, comment penser les rôles, la parole et le pouvoir de décision de chacune des parties prenantes, dans un contexte où la présence de différents niveaux hiérarchiques peut favoriser l’auto-censure, la déformation de la réalité ou la recherche de bouc-émissaire désigné comme responsable de la souffrance au travail ? Concernant la troisième phase de consolidation de la prévention, elle repose sur un réseau solide d’acteurs en prévention des RPS dans une visée de pérennisation de la démarche. Dans notre étude de cas, la démobilisation progressive des acteurs après l’espoir initial suscité par la démarche, a rendu impossible l’extension du réseau et l’achèvement du processus de traduction et a conduit à la disparition de l’observatoire. Ainsi, en l’absence d’un enrôlement des acteurs, d’un diagnostic coconstruit et/ou d’actions auprès des parties prenantes, cette dernière étape a très peu de chances de survenir.

5.2 – Une problématique inhérente aux observatoires dans les organisations

68Ces difficultés pour pérenniser le dispositif de prévention avec un processus de traduction inabouti peuvent être liées à des problématiques inhérentes aux observatoires. Sarazin (2015) soulignait déjà que ces dispositifs sont fragilisés par les tensions qui traversent les organisations. La priorité de certaines préoccupations ou encore le turn-over fréquent dans les organisations ne sont pas des conditions favorables au processus de traduction au sein des observatoires et donc à leur pérennisation. Dans notre cas, les départs successifs de plusieurs membres ont précipité l’échec de l’observatoire. Sarazin (2015) pointe un paradoxe sur ce sujet. Selon elle, d’une part, un renouvellement plus régulier des acteurs pour ne pas épuiser les forces est important, et d’autre part un turn-over trop important peut altérer la construction d’une confiance entre les membres. Nous suggérons que la présence d’acteurs de terrain dès le début de la démarche permettrait plus facilement d’ancrer l’observatoire dans le fonctionnement de l’organisation pour consolider son existence et son utilité. Ce dispositif ne dépendrait plus de quelques acteurs principalement issus de la direction dont le départ ou le changement de priorité compromet le maintien de l’observatoire.

69Le fonctionnement général de l’observatoire dans l’organisme est également un élément explicatif de sa disparition trois ans après sa création. La faible fréquence des réunions durant une année et le fait que les membres échangent très peu en-dehors de ces réunions n’a pas permis la construction d’une base de fonctionnement solide conditionnant la pérennisation du dispositif. De même, la place de l’observatoire a joué un rôle. Elle n’a pas permis de déboucher concrètement sur la mise en œuvre d’une démarche de prévention des RPS. Les observatoires sont des dispositifs d’échanges et non de décision. Ils ne sont, de plus, régis par aucune disposition légale. Bien qu’ils permettent d’instaurer un dialogue entre divers acteurs dans un nouveau lieu, les liens avec les instances décisionnaires sont fréquemment éludés. Il est souvent difficile de déterminer de quelle manière les recommandations de l’observatoire seront prises en compte. C’est une vulnérabilité propre aux observatoires à laquelle les acteurs doivent être vigilants au moment de créer ce type de dispositif.

5.3 – Une carence de traducteurs dans la co-construction des dispositifs de gestion

70Nos résultats nous conduisent à considérer la nécessité de coconstruire les outils et dispositifs gestionnaires en management de la santé au travail, tels que les observatoires sociaux, afin d’éviter le détournement stratégique de leurs missions par tout ou partie des acteurs de l’organisation. Dans notre cas, c’est la DRH qui a piloté et administré exclusivement l’observatoire par le biais de son responsable du service du développement social. Ce dernier a dû convaincre différents acteurs de l’organisation de participer à l’observatoire des RPS selon sa propre configuration. Bien que les représentants syndicaux ou les acteurs médico-sociaux aient été présents aux prémices de la démarche en 2011, toute la construction effective de l’observatoire s’est faite du côté de la DRH. Ce manque de co-construction a entraîné des conséquences sur la compréhension des acteurs concernés le sens de la démarche et, d’un point de vue pratique, sur les règles de fonctionnement, les missions et les frontières de l’observatoire. Un débat concernant l’origine et les objectifs de l’action de prévention n’a pas eu réellement lieu, alors que c’est une étape essentielle pour la réussite du dispositif dans le cadre d’un consensus collectif (Detchessahar, 2013 ; Abord de Chatillon et Desmarais, 2017). De plus, ce manque de co-construction s’est fait ressentir au cours du temps sur l’implication des acteurs au sein de l’observatoire. Durand, Baret et Krohmer (2018) soulignent le rôle-clé du traducteur dans ce genre de situation. En effet, au-delà de convaincre les acteurs à participer, il est important de désigner des porte-parole pour les enrôler dans la construction de la démarche et éviter des problématiques d’incompréhension et de manque d’implication. Dans ce cas, la construction et le pilotage de l’observatoire exclusivement par la DRH ont été une erreur pour la pérennisation de la démarche. Cela a également eu un impact sur l’enrôlement des acteurs de terrain : leur absence ne permettait pas une prise en compte du travail réel et donc des problématiques de santé au travail existantes, ce que Detchessahar (2013) avait déjà souligné. Cette absence a été d’autant plus problématique que plus de 40 % du personnel de l’organisme de l’étude se trouve à l’étranger. De ce fait, certains problèmes spécifiques n’ont pas pu être discutés en profondeur par manque de connaissance des situations concrètes. La stratégie d’enrôlement a été toute autre et n’a pas forcément montré des résultats positifs. L’observatoire comprenait des acteurs principalement issus des directions RH et scientifiques et des représentants syndicaux. Dans cette configuration, cela s’apparentait à ce que Conjard et Journoud (2013) désignent comme une conversation stratégique et qui est importante dans des démarches de prévention de la santé au travail. Dans les faits, les discussions au sein de l’observatoire ne produisaient pas une réelle vision stratégique de la prévention des RPS, se contentant de faire des états lieux sans déclencher une démarche réflexive sur les sujets. Ces erreurs dans le processus de traduction ont pour résultats des débats stériles ne permettant pas de mobiliser l’expérience et l’expertise des acteurs d’une manière optimale.

71Ainsi, nos résultats ouvrent la voie à de nouvelles recherches autour de la conception, de l’usage et de l’appropriation des dispositifs de gestion en management de la santé au travail. Fruits de constructions sociales complexes (Grimand, 2006 ; Oiry, 2012), ces instrumentations (Gilbert, 1997 ; David, 1998) ou dispositifs de gestion (Boussard et Maugeri, 2003) ne sont jamais totalement déconnectés de leur processus de conception (de Vaujany, 2005).

Conclusion

72L’objectif de notre article était d’appréhender un cas spécifique d’observatoire des RPS et sa mise en place afin d’éclairer le processus et ses éventuels blocages, au prisme des stratégies d’acteurs. Après avoir mis en évidence trois phases, en nous appuyant sur le cadre théorique de la sociologie de la traduction, nous avons mis en relief une trajectoire débutant de la création de l’observatoire à sa disparition, et illustrant une défaillance dans le processus de traduction, ainsi que certaines difficultés spécifiques aux observatoires dans les organisations. Ces résultats ont permis d’ouvrir la discussion sur la nécessité que ces dispositifs de gestion soient coconstruits dans une optique d’appropriation et de pérennisation. Il sera intéressant de prolonger cette réflexion autour de ces observatoires et des dispositifs en management de la santé au travail dans de futures contributions, afin de les caractériser et d’analyser leurs conditions de succès et de maintien dans le temps.


Annexe 1

Guide d’entretien (membres de l’observatoire des RPS)

731) Pourriez-vous nous présenter brièvement votre parcours professionnel et votre formation ?

742) Depuis quand travaillez-vous au sein de l’établissement et quelles sont les fonctions que vous occupez aujourd’hui ?

753) Que pouvez-vous nous dire de ce que vous faites au quotidien ?

764) L’établissement a-t-il évolué́ depuis votre arrivée ? De quelle manière ?

775) Avez-vous travaillé sur la thématique des RPS avant d’intégrer l’Observatoire ?

786) Quelle définition donneriez-vous à la notion de « RPS » ?

797) De quelle manière cette question des RPS a-t-elle-émergé au sein de l’établissement ?

808) Pourriez-vous nous présenter, avec vos propres mots, l’Observatoire des RPS ?

819) Quand a été créé l’Observatoire des RPS ?

8210) Depuis quand êtes-vous membre de l’Observatoire des RPS ?

8311) Quels sont les acteurs à l’initiative du projet de l’Observatoire ?

8412) Dans quel contexte a-t-il été créé ?

8513) De quelle manière le projet a été présenté́ notamment aux acteurs de l’établissement (syndicats, direction générale…) ?

8614) Selon vous, d’où̀ vient l’appellation « Observatoire des RPS » et qu’en pensez-vous ?

8715) Quels sont, selon vous, les objectifs/enjeux de la création d’un observatoire des RPS au sein de l’établissement ?

8816) Comment expliquez-vous que l’Observatoire soit une initiative/prérogative de la DRH ?

89Le travail de mise en place de l’Observatoire

9017) Quels sont les acteurs qui ont participé́ à la mise en place de l’Observatoire ?

9118) Existait-il des dispositifs / initiatives proches de l’Observatoire avant sa création ?

92- Si oui, vous êtes-vous appuyé́ ensuite sur ces dispositifs/initiatives pour créer l’Observatoire ?

9319) La création de l’Observatoire a-t-elle rencontré des obstacles ? Si oui, Lesquels ?

9420) De quelle manière les membres de l’observatoire ont-ils été choisis ?

9521) Quelles ont été́, selon vous, les raisons qui ont incité les personnes à rejoindre l’Observatoire ?

9622) Des personnes ont-elles refusé de participer à l’Observatoire ? Si oui, quelles ont été les raisons évoquées ?

97Le fonctionnement actuel de l’Observatoire et les pratiques de ces membres

9823) De quelle manière fonctionne l’Observatoire (nombre, déroulement des réunions, prise de décisions…) ?

9924) Quels sont les moyens alloués à l’Observatoire ? Qui décide des moyens alloués ? Jugé vous qu’ils sont suffisants ?

10025) L’Observatoire communique-t-il les produits/fruits de ses actions/discussions aux agents de l’établissement ? De quelle manière ?

10126) Est-ce que vous vous informez sur la thématique des RPS en dehors de l’Observatoire ?

10227) Quels ont été les évènements que vous avez vécus jusqu’ici dans le cadre de l’Observatoire ? Pourriez-vous les décrire (réunions, échanges, etc.…) ?

10328) Avez-vous un rôle précis au sein de l’Observatoire ? Si oui, quel est-il ? Et ce rôle a-t-il évolué́ ?

10429) Communiquez-vous souvent avec les autres membres concernant les travaux de l’observatoire en dehors des réunions de cette instance ?

10530) Travaillez-vous avec les autres membres en dehors des travaux de l’observatoire ? - Si oui sur quel type de sujets (pourriez-vous nous donner un ou deux exemples) ?

10631) Est-ce que d’autres personnes en dehors de l’établissement et de l’observatoire participent aux travaux de ce dernier ? Si oui quels sont leurs rôles ?

107Les attentes et les projections concernant l’observatoire

10832) Quelles sont vos attentes vis-à-vis de cet Observatoire ?

10933) Qu’est-ce que vous apporte votre participation à l’Observatoire ?

11034) Êtes-vous satisfait du fonctionnement de l’Observatoire ?

Bibliographie

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  • Vuattoux J. (2020), Gérer les risques psychosociaux dans les organisations ? Etat de l’art pour un contrôle de gestion des RPS, Revue de l’Organisation Responsable, vol.15, n°3, p.7-14.
  • Yin R. (1981), The case study crisis : some answers, Administrative Science Quarterly, n°26, p.58-65.

Notes

  • [1]
    Gollac M., Bodier M. (2011), Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maitriser, Rapport au Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé - https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf (consulté le 31-08-21)
  • [2]
    Organisation Internationale du Travail (OIT), Organisation Mondiale de la Santé (OMS), National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH), Eurofound, Occupational Safety and Health Administration (OSHA).
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