Introduction
1En dépit de l’accélération de la légifération au profit de l’égalité professionnelle depuis les années 2000 et de la volonté qu’affiche le législateur depuis 2010 de travailler sur le caractère coercitif de ces lois, dont la loi Copé-Zimmerman de 2011 ou l’index égalité de 2018 sont des exemples, force est de constater que les phénomènes inégalitaires handicapant les femmes dans leurs évolutions professionnelles persistent (Lallement, 2003). Selon certains travaux relevant du champ des études de genre, ces phénomènes trouvent leur source dans les représentations sociales (RS) liées à la femme et à sa place dans la société (Guillaume et Pochic, 2009 ; Derville et Pionchon, 2005) qui « justifient et accompagnent cette domination que ce soit dans le « sens commun » ou dans la connaissance scientifique » (Laufer, 2016, p.96). En effet, selon Kergoat (2010), le point de tension des rapports sociaux de sexe est le travail. D’un point de vue sociologique, l’asymétrie de ces rapports, en raison d’une domination masculine « transhistorique et universelle » (Bidet-Mordrel, Bidet, 2010, p.16), a donné lieu à une division sexuelle du travail affectant les femmes à la sphère domestique. De nombreux travaux en sciences de gestion se basent sur les stéréotypes comme unité d’analyse (Bruna, 2016 ; Belghiti-Mahut et Landrieux-Kartochian, 2008). En effet, pour Falcoz (2018, p.207), « les stéréotypes constituent le niveau pertinent puisqu’ils se situent avant la formation des préjugés, expression plus agglomérée, négative et hiérarchisée que ces derniers ». En outre, ils « jouent un rôle-clé dans les processus discriminatoires » (Bruna et al., 2017, p.443). Or, si les stéréotypes sont des construits sociocognitifs stables, puisqu’ils ont une fonction identitaire (Deschamps et al., 2012), qu’ils sont déterminés socialement et font partie des « savoirs pratiques » (Seca, 2010, p.13), ils ont pour caractéristique d’être stables. Ainsi, d’après Moliner et Vidal (2003), les stéréotypes se trouvent majoritairement dans le noyau central de la représentation sociale concernée, et la résistance aux pratiques dissonantes qu’on leur prête vient davantage de la place nodale qu’ils occupent dans celle-ci que de leur nature même de stéréotypes. Ce positionnement nous semble pouvoir expliquer le faible impact des démarches visant à développer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Notre étude vise alors à proposer une autre approche consistant à prendre en compte l’ensemble de la structure des représentations sociales, c’est-à-dire non seulement les éléments du noyau central, par nature stables et inconditionnels et permettant d’expliquer les résistances, mais aussi les éléments cognitifs périphériques qui, quant à eux, sont négociables et conditionnels (Abric, 1976), et peuvent servir de base à des actions de formation et de sensibilisation. Notre objectif est d’aboutir à la construction d’un instrument de prévention des inégalités de genre, permettant de développer des pratiques de diversité sur-mesure (Cornet et Warland, 2008) en s’appuyant sur l’identification du contenu et de la structure des RS de genres, dont les stéréotypes sont un des composants.
1 – La théorie des représentations sociales comme grille de compréhension de la persistance des inégalités de genre au travail et support d’instrumentation
2Comment expliquer la persistance des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes malgré l’ensemble des mesures et des dispositifs mis en place dans les entreprises ? La théorie des représentations sociales permet d’apporter des éléments de réponse ouvrant sur une nouvelle instrumentation des dispositifs de prévention.
1.1 – Des stéréotypes aux représentations sociales comme unité d’analyse
3Dans les études sur le genre, le rôle des représentations sociales et plus spécifiquement de l’un de leurs constituants - les stéréotypes - est mis en évidence comme étant à l’origine des phénomènes inégalitaires qui handicapent les femmes dans leurs évolutions professionnelles (Naschberger et al., 2012). De nombreux travaux en sciences de gestion vont alors proposer différents types d’outils visant à réduire les inégalités professionnelles, que nous proposons de classer en 4 grandes catégories. Nous retrouvons dans la première tous les outils liés à la création et à la mise en place d’une politique d’égalité professionnelle, appelant à une action contextuelle, raisonnée et inclusive. Nous pouvons citer comme exemples : la réalisation d’un audit égalité reposant sur des indicateurs quantitatifs complétés par une analyse qualitative (Sabeg et Charlotin, 2006) ; l’implication de toutes les parties prenantes en amont de la démarche égalité (Falcoz, 2007) ; la réalisation d’un plan d’action précis, raisonnable et nominatif (Cornet et Warland, 2008) ; la mise en place d’une logique top-down et bottom-up, assurée par un maillage conséquent de correspondants égalité au plus près des équipes afin de limiter les résistances (Bruna, 2016). La deuxième catégorie d’outils vise la limitation de l’effet des stéréotypes sur les carrières. On y trouve des mesures comme la formalisation des pratiques RH (Bender et Pigeyre 2004), le contrôle des décisions managériales (Bielby, 2000), la neutralisation des critères discriminants (Lacroux et Martin Lacroux, 2017), et enfin des mesures pour aider à la socialisation des femmes (Falcoz, 2018). La troisième catégorie d’outils vise à faire évoluer les stéréotypes via des actions de formation et de communication qui prennent différentes formes : impliquantes, en co-training ou enracinées pour Bruna (2016), descendantes, sous forme de serious games et d’entretiens filmés pour Sabeg et Charlotin (2006), ou encore de théâtralisation par l’humour pour Falcoz (2007). Enfin la dernière catégorie d’outils vise à aider à l’équilibre des temps de vie afin, face aux inégalités dans la répartition des charges domestiques, de permettre aux femmes d’avoir les mêmes opportunités d’évolution professionnelle. On retrouve ici, l’évitement des réunions tardives, les formations régionales, les aides à la garde, la mise en place du forfait jour pour les cadres. Cette classification fait ressortir le rôle pivot de l’unité d’analyse choisie par la grande majorité des chercheurs spécialisés : les stéréotypes. Elle pointe également le rôle joué par le management, notamment intermédiaire, dans la lutte ou le maintien des inégalités professionnelles. Or, l’ensemble de ces outils semble être inefficace ou insuffisant pour permettre d’éradiquer le phénomène : les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes persistent.
4L’une des explications de cette persistance pourrait être dans la focalisation des travaux sur les stéréotypes qui ne représentent qu’un des composants des représentations sociales. Nous proposons une approche plus large, prenant en compte non pas un élément mais l’ensemble de la RS, dont la notion a été initialement définie puis conceptualisée par Moscovici (1961). Celui-ci fonde principalement sa réflexion sur le concept de représentation collective de Durkheim (1898) dont il critique le caractère objectif, univoque et contraignant. La rigidité que ces caractéristiques confèrent à la représentation collective ne lui permet pas, selon le psychologue social, d’expliquer les évolutions que connaissent les sociétés humaines. Il propose de les aborder sous le prisme de la notion de représentation sociale, qui selon Gaffié (2004, p.7) « se présente comme un ensemble de connaissances, croyances, schèmes d’appréhension et d’action à propos d’un objet socialement important. Elle constitue une forme particulière de connaissance de « sens commun » qui définit la réalité pour l’ensemble social qui l’a élaborée dans une visée d’action et de communication ». Système sociocognitif, la représentation sociale se construit dans un environnement social et culturel qui lui est propre ; elle est donc contextuelle. Cependant, en dépit de cette caractéristique, des travaux démontrent qu’il existerait, en fonction des objets, un cadre qui influencerait l’appréhension des enjeux liés à un objet de représentation. Ce cadre, appelé thêma (Moscovici et Vignaud, 1994), se construit selon Moloney, Jedrezejczyk et Hall (2016) sur le principe d’antinomie. Ainsi, comme le mentionne Héritier (1996), la représentation sociale de la femme et de sa place dans la société, se construirait dans le cadre du thêma fondé sur l’antinomie masculin/féminin. Selon Jodelet (2003), les RS tiennent une place importante au sein des sociétés humaines en raison de leurs quatre fonctions : de savoir, identitaire, d’orientation et justificatrice. En effet, la RS, par les interactions sociales qu’elle implique, est source de création d’un savoir indispensable aux individus pour évoluer dans leur environnement et communiquer avec leurs pairs.
1.2 – L’inégalité professionnelle femmes/hommes comme objet de représentation sociale
5Pour pouvoir mobiliser ce cadre théorique, il importe de s’assurer que l’inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes est bien un objet de représentation sociale. En effet, tous les objets ne sont pas sources de représentations sociales. Pour Moscovici (1961), ils doivent remplir trois conditions : la dispersion de l’information, la focalisation et la pression à l’inférence. Le sens commun s’élabore collectivement par la création de savoir autour d’un objet spécifique. Pour que cette co-construction se produise, il faut que l’information soit suffisante, diverse et de sources variées. La deuxième condition renvoie à la nécessaire prise de position d’un groupe en fonction des enjeux que l’objet revêt pour lui. Enfin, la pression à l’inférence désigne la mise en place de mécanismes sociocognitifs permettant de « retravailler l’information pour la rendre utile et consensuelle » (Guimelli, 1999, p.70). De tous les types d’objets peuvent naître des RS dès l’instant qu’ils dépassent l’individu et produisent des interactions entre les membres d’un même groupe social remettant en question son identité et/ou sa cohésion et opposant des groupes sociaux. La mise en place d’échanges sociaux est ainsi indispensable à la création de la pensée représentationnelle (Moliner et al., 2002). Concernant l’inégalité professionnelle femme/homme, elle présente les caractéristiques d’un objet de représentation sociale. Elle est un problème de société pour lequel il existe une demande sociale grandissante et qui a suscité une réaction des institutions. Elle dépasse largement le cas individuel et oppose les groupes sociaux. Les débats qu’elle suscite ne sont pas exempts d’impacts car elle est porteuse d’enjeux importants tant dans l’allocation du travail que dans les rapports sociaux entre sexes (Kergoat, 2010). Elle génère des interactions internes entre les membres d’un même groupe (réseaux professionnels, association, mouvements féministes).
1.3 – L’analyse structurale des représentations sociales comme grille explicative de l’échec des démarches de prévention des inégalités de genre au travail
6Plusieurs courants de recherche se sont développés pour étudier les RS. L’un d’entre eux est l’approche structurale distinguant le noyau central des éléments périphériques et permettant d’identifier les leviers de changement cognitif. Pour (Abric, 2003, p.59), « tous les éléments de la représentation n’ont pas la même importance. Certains sont essentiels, d’autres importants, d’autres, enfin, secondaires. Il importe alors, si l’on veut connaître, comprendre et agir sur une représentation, de repérer son organisation, c’est-à-dire la hiérarchie des éléments qui la constitue et les relations que ces éléments entretiennent entre eux ». Ainsi, Abric (1976) identifie une structure composée d’un noyau central, et d’éléments en périphérie. Le noyau central regroupe les éléments cognitifs les plus importants de la représentation : les éléments centraux. Ils sont indubitables, stables et conditionnent les actions des membres dudit groupe (Dany et Apostolidis, 2007). Selon Abric (2003), le noyau central a deux fonctions : une fonction génératrice de sens, puisqu’il définit l’objet de la représentation et donne une signification aux éléments périphériques ; une fonction organisatrice car il gère aussi toutes les relations qui existent entre chaque composant.
7Par ailleurs, le noyau central revêt aussi plusieurs dimensions. Pour Abric (2001), il peut être fonctionnel en orientant les comportements des individus, ou normatif en régulant la manière dont les individus doivent appréhender un objet. Pour Flament (2001), il n’existe pas de différence entre les éléments cognitifs et tout élément a trois dimensions : normative, fonctionnelle et descriptive. Enfin, Moliner (1995) participe à cette réflexion sur le rôle que jouent les éléments centraux sur les comportements et les attitudes des individus en proposant un modèle bidimensionnel qui rapproche à la fois la théorie des représentations sociales et celle des attitudes puisque, pour lui, chaque zone de la RS a, à la fois, une dimension descriptive et évaluative.
8S’agissant des éléments périphériques, nous nous référons à la définition donnée par Lo Monaco et Guimelli (2008, p.36) : « ils peuvent être considérés comme l’interface entre le noyau central et la réalité quotidienne ». En effet, les périphéries sont constituées de cognitions qui ont quatre fonctions : de concrétisation, de prescription, de régulation et de défense (Abric, 2001 ; Flament, 2001). Ainsi, grâce à la première fonction, les éléments périphériques permettent à la représentation de s’adapter aux évolutions sociétales en les intégrant et en les rendant concrets, intelligibles. Ces éléments ont aussi une fonction prescriptive : « les schèmes périphériques assurent le fonctionnement quasi instantané de la représentation comme grille de décryptage d’une situation : ils indiquent de façon parfois très spécifique ce qui est normal (et par contraste, ce qui ne l’est pas), et donc, ce qu’il faut faire, comprendre, mémoriser, … » (Flament, 2003, p.209). La troisième fonction renvoie au caractère conditionnel des éléments périphériques qui vont permettre à la représentation de faire des concessions mineures pour assurer son adaptation aux changements sociétaux. Ceci rend possible l’intégration d’éléments contradictoires avec la signification que donne le noyau central à la RS. Ces schèmes seront alors soit modifiés pour entrer en cohérence, autant que faire se peut, avec la RS ; ils seront soit minimisés, soit acceptés à titre exceptionnel. Les éléments périphériques occupent une fonction de tampon entre les évolutions que connaissent les sociétés humaines et le noyau de la représentation. Selon Moliner et Guimelli (2015), il existe deux types de mécanismes de défense des éléments centraux : la réfutation et la rationalisation. Par définition, il n’est donc pas aisé de faire évoluer les éléments centraux d’une représentation sociale, tandis que les éléments périphériques sont plus malléables. L’échec des démarches visant à rétablir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes pourrait alors trouver une explication dans leur tentative de transformer les stéréotypes situés dans le noyau central des représentations sociales, ce qui ne fait qu’activer les mécanismes de défense afin d’en préserver la stabilité.
1.4 – Vers une nouvelle instrumentation favorisant l’évolution des représentations sociales de genre ?
9Faire évoluer les représentations sociales n’est pas pour autant vain. Moscovici (1961, p.43) définit d’ailleurs la RS comme étant évolutive par essence puisqu’elle est « propre à notre société et à notre culture ». Nos sociétés étant en constante évolution, des objets nouveaux viennent remettre en question les RS existantes. C’est cette remise en cause qui peut amener à une transformation. A ce titre, Moliner, Rateau et Cohen-Scali (2002), identifient trois phases de développement d’une RS : l’émergence, la stabilité et la transformation. En nous appuyant sur les travaux de Rateau et Lo Monaco (2016), il s’avère qu’il existe trois types de transformation d’une RS : progressive, brutale et résistante. Trois facteurs conditionnent le type de transformation : le niveau de contradiction de la nouvelle pratique, le niveau de rupture avec le passé (irréversibilité/réversibilité) et l’action des mécanismes de défense.
10Si les circonstances semblent définitives, et qu’une stratégie de transformation progressive partant des éléments périphériques est mise en place, la RS se verra dans l’obligation d’évoluer lorsque celle-ci ne pourra plus assurer sa cohérence en raison d’un nombre important de modifications. Cette incohérence finira par atteindre les éléments centraux. Dans ce cas de figure il n’y a pas de rupture avec le passé. Lorsque les raisons sont contradictoires et les circonstances réversibles, seuls les éléments périphériques se modifient pour absorber les changements et assurer la persistance de la RS. Lorsque les raisons sont contradictoires avec la RS et que les circonstances semblent être irréversibles, une transformation radicale se fera. Celle-ci peut prendre deux formes. La première, est la transformation résistante. Dans ce cas le niveau de contradiction déclenche des mécanismes de défense permettant de protéger le noyau pour un temps et quand la cohérence ne pourra plus être assurée, les éléments centraux seront atteints et la RS évoluera. Il y a alors une rupture avec le passé. La seconde, est la transformation brutale, les mécanismes de défense ne suffisent pas à protéger le noyau qui éclate. Pour Flament (2001) la transformation résistante n’est que transitoire et débouche, par l’acharnement des pratiques contradictoires, à une transformation brutale. L’auteur précise que les transformations brutales en première intention sont très rares, autrement dit la modification des éléments conditionnels, périphériques, est la plus répandue. Au vu de l’importance que ces travaux donnent aux éléments périphériques dans la transformation des RS, l’unique prise en compte des stéréotypes, situés le plus souvent dans le noyau central (Moliner et Vidal, 2003), permet d’expliquer le faible impact des démarches visant à lutter contre les inégalités de genre.
11L’analyse structurale des représentations sociales ouvre sur une nouvelle instrumentation des politiques d’égalité professionnelle car elle peut permettre de rendre intelligibles les éléments cognitifs composant les RS des différents groupes concernés par les évolutions des carrières des femmes en évitant l’activation des mécanismes de défense des éléments centraux pour impulser une dynamique d’évolution par les éléments périphérique des RS.
2 – Méthodologie de l’instrumentation
12Afin d’approfondir une nouvelle forme d’instrumentation de la prévention des inégalités professionnelles de genre, nous avons mis en œuvre une méthodologie nous permettant d’étudier à la fois le contenu et la structure des représentations sociales des groupes concernés par les évolutions de carrière des femmes cadres. Pour cela, nous avons opté pour l’étude de cas exemplaire (David, 2004) : la filiale française d’une multinationale du secteur de l’ingénierie engagée pour l’égalité professionnelle depuis 2006, via la signature d’accords non standards (Charpenel et al., 2017), c’est-à-dire d’accords adaptés au contexte de l’organisation. Notre choix s’est porté sur cette organisation car elle a réussi à se démarquer en matière d’égalité professionnelle dans un secteur d’activité, que Couppié, Dupray et Moullet (2006) qualifieraient de masculin en raison de l’existence d’une ségrégation éducative favorisant les hommes, grâce à la proactivité de son service dédié à la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Cette démarche a été ainsi justifiée non seulement par l’intérêt économique que revêt la mixité mais aussi par une volonté de justice sociale. Nous nous sommes focalisés sur le site du sud-est de la France, qui emploie 2600 personnes, en raison de sa représentativité des activités du groupe. Ce cas peut être considéré également comme exemplaire en raison de la diversité des mesures présentes dans les accords égalité ayant permis à l’organisation d’adopter une approche globale concernant tous les volets de la gestion des ressources humaines (Annexe 1).
2.1 – Mode de recueil des données
13Six groupes d’étude ont été initialement constitués (Tableau 2) pour mener notre étude en croisant le sexe avec trois statuts professionnels : les cadres non-managers, les cadres managers et les responsables des ressources humaines (RH).
Les six groupes de répondants aux deux premières phases de l’étude
Hommes | Femmes | |
---|---|---|
Cadres non-managers | 7 | 10 |
Cadres managers | 14 | 11 |
RH | 2 | 7 |
Total | 23 | 28 |
Les six groupes de répondants aux deux premières phases de l’étude
14Selon Apostolidis (2003), la mise en place d’une pluri-méthodologie est un impératif lorsque l’on souhaite réaliser une étude de terrain sur les représentations. Pour l’auteur, les études qualitatives gagnent en robustesse lorsqu’elles utilisent une stratégie de triangulation. trois outils de collecte des éléments de contenu et de la structure des représentations sociales ont ainsi été mobilisés dans notre étude : le réseau d’associations, la technique de substitution et le test d’indépendance au contexte. En effet, pour Abric (2003), 4 étapes sont à respecter lorsque l’on souhaite étudier une RS : l’exploration du contenu, de la zone muette, de la structure et le contrôle de la centralité des éléments.
15Le premier outil méthodologique utilisé a été le réseau d’associations (De Rosa, 1995) qui présente de nombreux avantages liés à son accessibilité pour des non spécialistes et à sa flexibilité, les stimuli pouvant prendre de nombreuses formes (De Rosa, 2003). Il a permis en une seule séance de connaître le contenu et la structure de la RS (même si une vérification de la centralité sera nécessaire) et d’introduire la technique de substitution pour investiguer la zone muette. Concrètement, une feuille A4 contenant en son centre un stimulus est remise aux sujets qui doivent le plus rapidement possible associer le maximum de noms ou adjectifs à ce dernier en prenant bien soin de noter l’ordre d’arrivée, la polarité (si le mot dans ce contexte leur semble positif, négatif ou neutre), de faire des liens (facultatifs) entre les associations, et de les hiérarchiser. Des débats existent sur la pertinence de l’ordre d’apparition des mots et ce qu’il indique. Selon Abric (2003), c’est la réflexion a posteriori des sujets et la priorisation qui sont les meilleurs indicateurs de la structure d’une RS. Selon lui, le temps de mise en confiance peut retarder l’évocation d’éléments essentiels. L’idéal, selon de Carlos (2015) est de saisir à la fois les mots évoqués en premier et ceux considérés comme importants afin d’identifier les éléments immuables, donnant une bonne indication de la centralité, ce que le réseau d’association permet. Le stimulus (S1) utilisé a été : « Selon moi, il est plus compliqué pour les femmes d’évoluer dans ces métiers (ingénierie) car … »
16Afin d’explorer la « zone muette », où se trouveraient des éléments centraux cachés consciemment ou non par souci de désirabilité sociale (Abric, 2003), nous avons utilisé un second outil méthodologique, la technique de substitution, introduite par les travaux de Guimelli et Deschamps (2000). Pour ce faire, nous avons proposé à nos sujets de réaliser un deuxième réseau d’associations dont le stimulus (S2) adopté un autre point de vue : « S2 : Selon les français, il est plus compliqué pour les femmes d’évoluer dans ces métiers (ingénierie) car… »
17Enfin, le troisième outil méthodologique mobilisé a été le test d’indépendance au contexte développé par Lo Monaco et ses coauteurs (2008). En effet, la dernière étape du processus d’étude du contenu et de la structure des RS proposée par Abric (2003) est la vérification de la centralité des éléments. Cette technique s’est construite sur le caractère inconditionnel des éléments centraux. Aussi, pour s’assurer de la centralité des éléments, un questionnaire est réalisé et toutes les questions qui le composent se construisent comme suit : « A votre avis, il est plus compliqué pour les femmes cadres d’évoluer professionnellement car elles sont, TOUJOURS et dans TOUS LES CAS, moins disponibles que les hommes ». Un questionnaire de 8 questions (Annexe 1), basé sur les résultats de l’analyse des RS a été envoyé a posteriori par mail via le site Framaforms® aux 51 personnes de notre étude avec un retour de 31 répondants, dont 15 femmes (6 non-managers et 9 managers) et 16 hommes (5 non-managers, 11 managers). 4 choix de réponses étaient proposés : « certainement non, plutôt non, plutôt oui, certainement oui ». Les éléments centraux auront une majorité de réponses positives : « plutôt oui, certainement oui ».
2.2 – Mode d’analyse des données
18Il existe plusieurs méthodes d’analyse des données issues de la technique du réseau d’associations, dont De Rosa fait part dans sa communication de 2003. Nous avons choisi pour ce faire, un logiciel en accès libre sur internet permettant des analyses multidimensionnelles de textes et de questionnaires : Iramuteq®. Il utilise le langage R et permet la réalisation d’analyses prototypiques. Celles-ci ont été développées par Vergés en 1992. Elles partent de la base de données créée pour chacun des 6 groupes de la population de l’étude (Tableau 2) dans lesquels on retrouve toutes les évocations présentes dans les réseaux d’associations de chaque sujet rencontré, assorties de leur rang d’apparition et de leur rang d’importance. Le logiciel calcule ensuite pour chaque groupe les rapports de fréquence/apparition et de fréquence/importance. Cela permet de construire le tableau de synthèse à 4 cases décrit par Abric (2003).
Tableau de synthèse d’une analyse prototypique (Abric, 2003, p.64)
IMPORTANCE | |||
---|---|---|---|
Grande | Faible | ||
FREQUENCE | Forte | Case 1 Noyau | Case 2 1ère périphérie |
Faible | Case 3 Eléments contrastés | Case 4 2e périphérie |
Tableau de synthèse d’une analyse prototypique (Abric, 2003, p.64)
19Concernant la case appelée noyau, une vérification de la centralité est indispensable avec les résultats du test d’indépendance au contexte, car tous les éléments la composant n’en font pas forcément partie. En case 2 se trouve la première périphérie, les éléments ou schèmes normaux (Flament, 2003) y sont fréquents mais négociables. En case 3 se trouvent les éléments contrastés qui peuvent être considérés comme des compléments à la première périphérie quand ils sont cohérents avec le sens de la RS. Enfin, la case 4 regroupe les cognitions peu fréquentes et dont le rang est peu élevé. Cette analyse a été réalisée pour chaque stimulus. En raison du faible nombre de sujets des deux groupes de responsables des ressources humaines (RH), les réseaux d’associations concernés ont été intégrés dans le groupe des hommes et celui des femmes. Finalement, quatre groupes ont été analysés : les hommes, les femmes, les cadres managers, les cadres non-managers.
20Concernant le test d’indépendance au contexte, une analyse statistique des répartitions des réponses a été réalisée à l’aide de framaforms®. La valeur-p (p-value) a été calculée sur les tableaux de répartition obtenus pour chaque groupe étudiée afin de confirmer que la probabilité que les données soient compatibles avec l’hypothèse d’une répartition uniforme des réponses est inférieure à 1%.
21Un tableau de synthèse a été réalisé pour chaque groupe d’analyse rassemblant les résultats de l’analyse prototypique du rapport fréquence/importance, du rapport fréquence/apparition et celle de la technique de substitution (Tableaux 4, 5, 6 et 7). Il présente ainsi l’analyse structurale des représentations sociales des inégalités professionnelles femmes/hommes.
3 – Résultats de l’analyse structurale des représentations sociales dans la filiale française d’une multinationale du secteur de l’ingénierie
22Le contenu et la structure des représentations sociales des inégalités professionnelles de genre ont pu être identifiés au sein de l’organisation étudiée. Les résultats des deux premières phases de l’étude sont tout d’abord présentés par groupes, puis nous complétons l’analyse avec les résultats du test d’indépendance au contexte.
3.1 – La représentation sociale des femmes des inégalités professionnelles de genre
23L’étude du contenu et de la structure de la RS du groupe des 28 femmes (Tableau 4), montre que selon les éléments centraux de l’analyse principale (S1), ces dernières pensent que les difficultés d’évolutions que rencontrent les femmes cadres et ingénieures sont dues à leur moindre disponibilité, à la norme de genre qui considère qu’elles sont destinées à la sphère domestique, et à la hiérarchie masculine en place. Si l’on s’intéresse au rapport fréquence/apparition (S1bis), le facteur « parentalité » apparait. Il est aussi le premier cité dans le cadre de l’investigation d’éléments masqués dans la zone muette (S2), et est aussi présent en première place de la première périphérie.
Structure et contenu de la RS pour les femmes de l’étude
Noyau | Première périphérie | ||
importance S1 | apparition S1bis | substitution S2 | importance S1 |
moins disponibles | parentalité | parentalité | parentalité |
norme de genre | moins disponibles | moins disponibles | secteur masculin |
hiérarchie masculine | normes de genre | moins compétentes | misogynie |
hiérarchie masculine | |||
misogyne | |||
Eléments contrastés | Seconde Périphérie | ||
importance S1 | importance S1 | ||
autocensure | ségrégation éducative | ||
implication domestique | moins compétentes | ||
faire plus ses preuves | culture présentiel | ||
moins ambitieuses | |||
priorisation vie familiale | |||
moins belliqueuses |
Structure et contenu de la RS pour les femmes de l’étude
3.2 – La représentation sociale des hommes des inégalités professionnelles de genre
24S’agissant du noyau de la RS du groupe des hommes (Tableau 5), on y retrouve l’adhésion au consensus « norme de genre ». Contrairement au groupe des femmes, on observe chez les hommes la présence dès la première périphérie de l’élément : « priorisation vie familiale ». Ainsi, pour les hommes de l’étude, si les femmes cadres et ingénieures rencontrent des difficultés à évoluer, c’est avant tout en raison de leur propre choix de favoriser leur vie personnelle. Ce n’est que dans un second temps que l’élément « misogynie » apparait. En revanche, tout comme chez les femmes, on retrouve chez les hommes, dans les éléments contrastés et la seconde périphérie, des croyances renvoyant à un manque d’ambition des femmes et à une défaillance pour évoluer.
Structure et contenu de la RS pour les hommes de l’étude
Noyau | Première périphérie | ||
importance S1 | apparition S1bis | substitution S2 | importance S1 |
norme de genre | parentalité | parentalité | parentalité |
moins disponibles | norme de genre | norme de genre | priorisation vie familiale |
priorisation vie familiale | misogynie | ||
moins disponible | |||
misogynie | |||
Eléments contrastés | Seconde Périphérie | ||
importance S1 | importance S1 | ||
n’aiment pas le conflit | ségrégation éducative | ||
autocensure | hiérarchie masculine | ||
moins de recherche de pouvoir | manque de confiance | ||
moins crédibles | effet nombre | ||
moins ambitieuses |
Structure et contenu de la RS pour les hommes de l’étude
3.3 – La représentation sociale des managers des inégalités professionnelles de genre
25Si l’on retrouve dans le noyau de la RS des cadres managers (Tableau 6) l’élément « norme de genre » comme pour le groupe des hommes et le groupe des femmes, nous notons l’absence de « moins disponible » du rapport fréquence/importance (S1). Celui-ci se retrouve en zone muette (S2), laissant supposer qu’il est masqué. Le noyau de la RS des cadres managers se distingue d’abord par la présence de l’élément « misogynie » qui, selon nos entretiens, renvoie à la hiérarchie masculine sans pour autant la remettre en cause. L’élément « hiérarchie masculine » est d’ailleurs absent de la RS des cadres managers alors qu’il est présent pour tous les autres groupes. S’agissant des éléments périphériques, le groupe des cadres-managers est celui dans lequel on retrouve le plus de préjugés liés à une défaillance intrinsèque des femmes cadres et ingénieures à évoluer dans cette organisation, et ce, dès la première périphérie : « moins ambitieuses ». Alors que le groupe des cadres managers est constitué de 11 femmes et de 14 hommes, leur RS se rapproche de celle du groupe des hommes.
Structure et contenu de la RS pour les managers de l’étude
Noyau | Première périphérie | ||
importance S1 | apparition S1bis | substitution S2 | importance S1 |
misogynie | parentalité | parentalité | parentalité |
norme de genre | misogynie | norme de genre | moins disponibles |
norme de genre | moins disponibles | secteur masculin | |
secteur masculin | priorisation vie familiale | moins ambitieuses | |
Eléments contrastés | Seconde Périphérie | ||
importance S1 | importance S1 | ||
priorisation vie familiale | moins carriéristes | ||
n’aiment pas le conflit | moins compétentes | ||
temps partiel | culture du présentiel | ||
moins belliqueuses | moins crédibles | ||
manque de confiance | |||
autocensure | |||
moins de recherche de pouvoir |
Structure et contenu de la RS pour les managers de l’étude
3.4 – La représentation sociale des non-managers
26Dans le noyau de la RS du groupe des cadres non-managers (Tableau 7) on retrouve un socle commun aux autres groupes : « norme de genre » et « moins disponible ». Ce qui distingue le plus le groupe des cadres non-managers des autres groupes et particulièrement des cadres managers, est l’absence totale d’éléments sur une supposée défaillance intrinsèque des femmes cadres et ingénieures à évoluer professionnellement. On retrouve cependant, comme dans tous les autres groupes, l’élément concernant la priorisation des femmes pour leur vie privée et leur moindre disponibilité.
Structure et contenu de la RS pour les managers de l’étude
Noyau | Première périphérie | ||
importance S1 | apparition S1bis | substitution S2 | importance S1 |
norme de genre | parentalité | parentalité | parentalité |
moins disponibles | moins disponibles | norme de genre | |
moins disponibles | |||
Eléments contrastés | Seconde Périphérie | ||
importance S1 | importance S1 | ||
priorisation vie familiale | secteur masculin | ||
hiérarchie masculine | misogynie | ||
ségrégation éducative | implication domestique |
Structure et contenu de la RS pour les managers de l’étude
3.5 – Indépendance au contexte et analyse inter-groupes
27A la vérification de la centralité des éléments (Tableau 8), le test d’indépendance au contexte (TIC) nous apprend que pour 58.1% des 31 répondants dans cette phase de l’étude, « moins disponible » n’est pas central, car les femmes ne sont pas toujours et dans tous les cas moins disponibles que les hommes. En revanche, l’élément « parentalité », pourtant absent du rapport fréquence/importance (S1) des femmes, est central. Pour les hommes, nous faisons la même analyse que pour celui des femmes quant à la centralité de « moins disponible » lorsque cet élément est associé à l’élément masqué « parentalité ». S’agissant de l’élément « hiérarchie masculine », il n’est présent que dans le noyau du groupe des femmes et pourtant, il ressort comme central pour 74.1% des répondants au TIC. Cependant, il apparaît comme un élément périphérique de seconde zone pour les hommes et les cadres non-managers, et il est absent de la RS des cadres managers alors qu’il est central selon le TIC pour 10 cadres non-managers sur 11, dont 4 hommes et 6 femmes, et pour 13 cadres managers sur 20 dont 6 femmes et 7 hommes. En revanche, puisqu’il n’est pas présent dans le noyau des RS des hommes, des managers et des non-managers, nous le considérons central uniquement pour le groupe des femmes.
Indépendance au contexte des éléments des RS (n=31)
Indépendance au contexte des éléments des RS (n=31)
28S’agissant de l’élément « priorisation familiale », le TIC montre que pour 64.5% des répondants, si les femmes cadres et ingénieures sont moins disponibles c’est en raison, TOUJOURS et dans TOUS LES CAS, de la priorité qu’elles donnent à leur vie personnelle. Cet élément est central selon le TIC. Or, si l’on s’intéresse à la composition des 64.5%, on note que 7 cadres sur 11 ont répondu en ce sens, dont 3 hommes et 4 femmes, ainsi que 13 managers sur 20, dont 6 hommes et 7 femmes. Ces résultats peuvent sans doute s’expliquer par le lien qui existe entre « priorisation vie familiale » et « norme de genre » renvoyant à une idéologie définissant la manière dont les groupes sociaux vont appréhender les enjeux que revêt la division sexuelle du travail. Cet élément, en renvoyant à une notion de choix, est plus évaluatif que l’élément « parentalité ». Comme seul le groupe des cadres managers l’affiche en zone muette (S2), nous considérons qu’il n’est central que pour celui-ci.
4 – Discussion : l’analyse structurale des représentations sociales des inégalités professionnelles femmes/hommes comme nouvel instrument de gestion
29Nos résultats montrent que malgré la présence d’un socle commun au sein des éléments centraux entre les différents groupes de l’étude, il existe des variations dans les représentations sociales des inégalités professionnelles femmes/hommes. Si l’élément « norme de genre » dédiant les femmes aux activités domestiques se retrouvent chez tous nos répondants, des variations sont observables, plus précisément dans les noyaux des RS du groupe des femmes et du groupe des cadres managers, mais aussi dans les éléments périphériques entre les RS des cadres managers et des cadres non-managers. Notre étude comporte des limites liées notamment au nombre de répondants, mais aussi à l’éventualité que l’analyste a de faire peser ses propres représentations sur l’analyse malgré la triangulation des méthodes de recueil et d’analyse des données.
4.1 – Les enseignements pour l’étude de la persistance des inégalités professionnelles de genre
30Notre étude a permis de montrer que l’analyse ne doit pas s’arrêter aux stéréotypes, car l’on retrouve dans les RS, d’autres types d’éléments cognitifs. En outre, la pluri-méthodologie que nous avons mise en place, nous a permis d’identifier que certains éléments périphériques étaient en réalité centraux (« parentalité ») et que l’élément « moins disponible » n’était central que lorsqu’il était adossé à « parentalité ». Par ailleurs, la place centrale de l’élément « norme de genre » dans les quatre groupes de l’étude est également un apport de nos résultats exploratoires. En effet, ils nous ont permis de mettre en évidence l’existence d’un socle commun aux représentations sociales des femmes, des hommes, ou encore des managers et des non-managers. Les femmes semblent ainsi ne pas s’être émancipées des rôles sociaux de sexe instaurant une domination masculine. Pour Jost, Banaji et Mosek (2004), le fait que les hommes et les femmes s’accordent sur ces normes s’explique par la théorie de la justification du système dont Jost et Banaji (1994) sont à l’origine. Selon ces derniers, les individus ne sont pas uniquement positifs envers eux-mêmes et envers les membres de leur groupe d’appartenance, ils recherchent aussi le consensus et respectent l’ordre établi. Dans notre cas, la justification du système du côté des hommes permet d’assoir leur position de domination en discréditant les femmes (Fiske et Rusher, 1993), alors qu’il permet aux femmes, dominées, d’attribuer cette position à leur appartenance au groupe des femmes plutôt qu’à leur propre personne. A ce propos, Jost and Kay (2005) montrent que plus les femmes sont exposées à ce qu’ils nomment le sexisme bienveillant et aux stéréotypes de genre, plus celles-ci justifient le système en place. Malgré tout, le fait que notre terrain appartienne au secteur de l’ingénierie, caractérisé par une forte représentation masculine, peut expliquer la présence centrale de l’élément « norme de genre » au sein de la représentation sociale des femmes de l’étude. Un approfondissement de ces travaux dans d’autres secteurs d’activités et d’autres organisations en ressort comme nécessaire avant toute proposition de généralisation.
4.2 – La construction d’un nouvel instrument de prévention des inégalités de professionnelles de genre
31Le premier apport de notre étude réside toutefois dans la proposition du recours à l’analyse structurale de la RS comme nouvel instrument de gestion permettant la prévention des inégalités professionnelles basées sur le genre. En effet, si l’investigation du contenu est importante, celui de la structure l’est aussi puisque les éléments présents dans le noyau central et les périphéries n’ont pas les mêmes fonctions, ni les mêmes dimensions. Les éléments centraux sont inconditionnels et protégés par des mécanismes de défense. Aussi, au vu de l’importance de l’élément « norme de genre » qui se retrouve dans les quatre groupes de l’étude, et semble renvoyer au thêma fondamental (Héritier, 1996) qui s’est construit sur l’antinomie masculin/féminin, il nous parait nécessaire d’adopter une stratégie de contournement des éléments centraux pour se diriger vers une transformation radicale-résistante et non brutale (Flament, 1994). Ce contournement des éléments centraux peut permettre d’éviter les oppositions frontales entre les femmes et les hommes. Ainsi, programmer des formations remettant en cause la norme de genre, comme la moindre disponibilité supposée des femmes en raison de leur rôle de mère, aura, dans le meilleur des cas, un effet éphémère (Moliner et Guimelli, 2015). Dans le pire des cas, de telles actions renforceront les représentations des hommes et de certaines femmes. En revanche, la mise en place d’outils appartenant à la catégorie visant la limitation des effets des RS, comme le contrôle des décisions managériales ou la formalisation des pratiques (Bielby, 2000) pourront être utiles, même s’ils risquent de créer des résistances.
32Nous proposons donc de contourner ces éléments en travaillant sur le surinvestissement via le recours conjoint, comme le proposent Moliner et Guimelli (2015), à la théorie du noyau central d’Abric (1976) et à une technique de modification comportementale développée par Freedman et Fraser (1966) : le pied dans la porte. En outre, on s’attachera à identifier les profils de managers les moins en accord avec la « norme de genre » afin de travailler sur la déconstruction de ce statuquo et ensuite de les impliquer dans la démarche égalité de l’organisation. En revanche, les éléments périphériques, conditionnels de nature, pourront être utilisés comme leviers des actions de communication et de formation qui peuvent venir renforcer la démarche.
33Le second intérêt managérial de notre travail, renvoie directement à la théorie du noyau central. En effet, les variations que nous constatons dans les RS des inégalités professionnelles de genre selon les groupes, tant au niveau des éléments centraux que périphériques, confortent l’importance de ce type de démarche en amont de la création d’une politique d’égalité au sein des organisations. Ainsi, on pourra adapter les outils de l’égalité aux résistances des différents groupes. S’agissant des cadres managers, compte tenu de la présence, dès la première périphérie, de l’élément considérant qu’il existe une défaillance intrinsèque des femmes cadres à évoluer professionnellement, et de l’élément central « misogynie », nous proposons la mise en place de cycles de formation de différents types (Bruna, 2016). La formation pourra aborder ces éléments figurant dans les RS. Pour les femmes, nous proposons que soit mis en place dès leur intégration dans l’organisation, un accompagnement sous forme de mentoring et de coaching (Sabeg et Charlotin, 2006) qui puisse être ouvert aux hommes sur la base du volontariat. Les femmes, plus impliquées dans la sphère domestique, gagneraient également à ce que soient poursuivies et développées les actions visant l’aide à l’équilibre des temps de vie (Cornet, Warland, 2008), sans pour autant les présenter comme propres aux femmes, mais plutôt aux parents.
Conclusion
34L’apport principal de cet article réside dans la construction d’un instrument de prévention des inégalités professionnelles de genre permettant d’orienter les pratiques de management. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur l’analyse structurale des représentations sociales. Notre étude mise en œuvre au sein d’une filiale française d’une multinationale du secteur de l’ingénierie conforte la nécessité de ne pas se limiter à l’étude des stéréotypes en adoptant une approche plus large des représentations tout en considérant la multiplicité des représentations sociales présentes au sein de la même organisation. Tout en permettant d’expliquer le phénomène du maintien des inégalités professionnelles entre femmes et hommes par les dynamiques de défense des éléments centraux des représentations sociaux mais aussi par la persistance de la norme de genre y compris chez les femmes de notre étude, nos résultats ouvrent sur de nouvelles pistes de recherche et sur des recommandations managériales.
Principales mesures de l’accord de 2006 du cas de l’étude
Promotion de l’égalité professionnelle | Opérations de communication externe de la politique de mixité aux parties prenantes |
Opérations de communication interne du contenu de l’accord : réunions d’équipes, managériales | |
Organisation de conférences, groupes d’échange, programmes spécifiques aux femmes | |
Nomination d’un référent égalité par site rapportant en partie au service RSE | |
Recrutement | Objectifs de féminisation |
Retrait critères de sélection discriminants, idem pour les offres d’emploi | |
Mixité des emplois | Objectifs de féminisation |
Programmes d’évolution vers les métiers techniques + avantages | |
Evolution professionnelles | Veille globale sur l’attribution des promotions (managers/RH) |
Entretiens de carrières à partir d’un haut niveau de responsabilité | |
Processus départ/retour maternité : entretiens, promotion moyenne, accord temps partiel | |
Accès identique à la formation + veille globale | |
Organisation d’un groupe de travail sur égalité | |
Rémunération | Salaire de départ identique et proportionnel au temps de travail |
Analyse des écarts de salaire et rattrapage selon un pourcentage voté | |
Suivi des organisations les moins féminisées | |
Neutralisation de l’impact du congé maternité/paternité | |
Parentalité | Application des dispositions légales et élargissement aux pères |
Si reconversion vers un métier technique +200% du CPF | |
Articulation des temps de vie | Evitement des réunions tardives |
Privilégier les formations locales | |
Conciergerie, assistante sociale | |
Jours enfants malades + accompagnement aux journées de rentrée |
Questionnaire du test d’indépendance au contexte
Question 1 | Etes-vous une femme ou un homme ? |
Question 2 | Quel est votre âge |
Question 3 | Etes-vous manager ? |
Question 4 | Selon vous, pour évoluer dans votre entreprise il faut être toujours et dans tous les cas disponible ? |
Question 5 | A votre avis, il est plus compliqué pour les femmes cadres d’évoluer professionnellement car elles sont toujours et dans tous les cas moins disponibles que les hommes ? |
Question 6 | A votre avis, cette moindre disponibilité des femmes est toujours et dans tous les cas en raison de la priorité qu’elles donnent à leur vie personnelle ? |
Question 7 | A votre avis, cette moindre disponibilité des femmes est toujours et dans tous les cas en raison de leur rôle de mère ? |
Question 8 | A votre avis, si les femmes cadres évoluent plus difficilement, c’est en raison, toujours et dans tous les cas, de la hiérarchie masculine en place ? |
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Mots-clés éditeurs : représentations sociales, inégalités professionnelles, instrument de prévention, genre
Date de mise en ligne : 22/07/2021
https://doi.org/10.3917/rimhe.043.0003