Couverture de RIMHE_037

Article de revue

La créativité sous le prisme de l’innovation. Une enquête par entretiens semi-directifs auprès de 40 chercheurs industriels

Pages 3 à 28

Notes

  • [1]
    Traduction de “the intentional introduction and application of ideas, processes, products or procedures, new to the relevant unit of adoption, designed to significantly benefit” (West et Farr, 1990, p. 9).
  • [2]
    Traduction de “Creativity is identified with ideas generation, while innovation implies ideas transformation into new products or services. In this sense, innovation is the implementation of creativity results. Thus creativity is part of the innovation process” (Alves et al., 2007, p. 28).
  • [3]
    Traduction de “There remains a lack of general agreement between researchers over what constitutes precisely either creativity or innovation” (Anderson et al., 2004, p. 1299).
  • [4]
    Traduction de “innovation must confer intended benefit at one or more levels of analysis : the job role, work group or wider organization. Again, this is not necessarily the case for creativity” (Anderson et al., 2004, p. 148)
  • [5]
    Traduction de “Creativity is truly novel, whereas innovation can be based on ideas that are adopted from previous experience or different organizations” (Rank et al., 2004, p.520)
  • [6]
    Traduction de « Creativity is thinking about new things, innovation implementation is about doing new things » (West et Rickards, 1999, p. 46).
  • [7]
    Manuel de Frascati (2002), Méthode type proposée pour les enquêtes sur la recherche et le développement expérimental, La mesure des activités scientifiques et technologiques, Paris, Editions OCDE.
  • [8]
    Pf Indust. désigne un Profil industriel ; Pf Acad. désigne un Profil académique
  • [9]
    Traduction de « In the Tayloristic industrial system it was psychologically impossible to deprive employees from opportunities to satisfy the instinct for play » (Roy, 1959, p.160).

Introduction

1 La créativité des salariés est à la base de l’innovation organisationnelle permettant de faire face aux évolutions technologiques et de saisir les opportunités émergentes de façon à gagner en avantage concurrentiel durable (Shalley et al., 2004). Depuis les travaux de Schumpeter (1934), l’innovation est présentée comme le résultat d’une invention porteuse de nouveauté et de valeur commerciale sur le marché. Elle est étudiée sur le plan organisationnel en relation avec la créativité, considérée comme son précurseur.

2 Les recherches effectuées sur la créativité semblent faire l’hypothèse implicite que les mêmes facteurs opèrent de manière similaire dans les emplois nécessitant une part importante de créativité, comme les chercheurs (Amabile, 1983), et les emplois où la créativité apparaît à la marge des missions principales, comme les infirmières (Binnewies et al., 2007) ou les techniciens (Gilson et al., 2005). Présente dans toutes les sphères de l’activité humaine (Simonton, 2000), et recouvrant les résultats les plus remarquables aux plus incrémentaux, la créativité est définie, en référence à Shalley, Zhou et Oldham (2004, p. 949), comme « un construit unitaire » (unitary construct) avec un recours quasi-exclusif à deux critères, la nouveauté et l’utilité, également usités pour l’innovation.

3 Créativité et innovation sont ainsi des concepts parfois utilisés de façon synonyme. Or, les antécédents favorisant la créativité ne sont pas les mêmes que les précurseurs de l’innovation. Par exemple, West (2002) mentionne qu’un niveau de contraintes élevé entrave la créativité, mais favorise l’innovation. Amabile, Conti, Coon, Lazenby et Herron (1996) précisent que si certains impératifs, comme un niveau de concurrence externe élevé, sont propices à la créativité, d’autres obligations, par exemple, la pression horaire, y sont préjudiciables. Ce même niveau d’exigences n’est pas paralysant pour l’innovation car, selon West (2002), la pression exercée sur les équipes favorise l’innovation.

4 Malgré leur proximité et leurs interférences, Anderson, Potočnik et Zhou (2014) notent une déconnexion des deux champs de recherche. Les domaines de la créativité et l’innovation ont, en effet, des ancrages disciplinaires qui leur sont propres : les sciences du comportement, la psychologie, les sciences de l’éducation pour la première ; les sciences de l’ingénieur, l’économie, la sociologie, le management des organisations, pour la seconde.

5 Dans l’objectif de clarifier la nature de la créativité sous le prisme de l’innovation, nous présentons dans un premier temps, une revue de la littérature, pour, après en avoir clarifié la méthodologie, analyser et discuter les résultats d’une étude qualitative menée par entretiens semi-directifs auprès de 40 chercheurs industriels, avec pour question de recherche : « Comment les chercheurs de l’industrie décrivent-ils la nature de leur créativité au regard de l’innovation ? ».

1 – Définitions et comparaison des concepts de créativité et d’innovation

6 Depuis soixante ans, les deux critères clef de la créativité identifiés par Stein (1953), la nouveauté et l’utilité, sont mentionnés dans les définitions des articles les plus cités (Simonton, 1984 ; Amabile et al., 1996 ; Shalley et al., 2004), quel que soit leur domaine ou leur objet de recherche, ou la méthodologie utilisée. Cependant, ces deux critères, nouveauté et utilité définissent également l’innovation, considérée comme « l’introduction et l’application intentionnelle des idées, des processus, des produits ou de la procédure, nouveaux et bénéfiques pour l’entité qui les adopte » [1] (West et Farr, 1990, p. 9). Il existe un accord relativement unanime des chercheurs pour considérer que le processus créatif constitue la phase amont du processus d’innovation (AxTell et al., 2000 ; West, 2002 ; Gupta et al., 2007) : « La créativité concerne l’étape de génération des idées, alors que l’innovation implique la transformation des idées en produits et services. En ce sens, l’innovation est la mise en œuvre des résultats de la créativité. La créativité fait partie du processus d’innovation » (Alves et al., 2007, p. 28) [2]. En conséquence, qu’est-ce qui amène des experts de la créativité et de l’innovation comme Anderson, Potočnik et Zhou à soutenir dans un article paru en 2014 dans le Journal of Management : « Il manque un accord global entre les chercheurs sur ce qui constitue précisément la créativité et l’innovation » (Anderson et al., 2004, p. 1299) [3] ?

1.1 – La créativité et l’innovation en tant que résultat nouveau et utile

7 Comme la créativité, l’innovation dans le champ des entreprises concerne un produit, une technologie, un service, une solution, un processus ou encore des pratiques de management.

8 Les deux caractéristiques intrinsèques à la créativité et à l’innovation, la nouveauté et l’utilité, sont combinées depuis plusieurs décennies (Stein, 1953 ; Barron, 1955) dans la définition conceptuelle, dite aussi « standard » (Amabile, 1983). Dans la littérature, le caractère d’utilité est traduit par un spectre large. Les chercheurs égrènent les qualificatifs : une idée est évaluée positivement lorsqu’elle est « efficace » (Runco, 2012), adaptée/adéquate/appropriée (Barron, 1955, Feist 1998, Lubart, 2001, Fliaster et Schloderer, 2010), de valeur (Royce, 1898, Woodman et al., 1993), ou, de façon plus évasive, importante (Royce, 1898), correcte (Amabile, 1983), satisfaisante (Stein, 1953), ou tout simplement bonne (Sternberg et Kaufman, 2011).

9 Dans tous les cas, seule sa mise en œuvre effective pourra qualifier l’idée d’innovation : la différence entre créativité et innovation tient au fait que même si les salariés partagent leurs idées avec les autres, c’est seulement quand les idées sont implantées avec succès dans l’organisation qu’elles peuvent être considérées comme innovantes (Mumford et Gustafson, 1988 ; Kazanjian et al., 2000). Cela nous amène à identifier deux sens différents donnés à la notion d’utilité. Du côté de la créativité, l’utilité est évaluée au regard du domaine d’expertise (Csikszentmihályi, 1988), sans vocation de valeur d’usage. De l’autre côté, Schumpeter (1934), en définissant le concept d’innovation comme une « nouvelle combinaison », sous-entend que toute innovation est porteuse de bénéfice : « L’innovation doit conférer les avantages escomptés à un ou plusieurs niveaux d’analyse : rôle professionnel, groupe de travail ou organisation au sens large. Encore une fois, ce n’est pas nécessairement le cas pour la créativité » (Anderson et al., 2004, p. 148) [4]. L’évaluation de l’utilité pour l’innovation s’entend ainsi en termes de valeur au regard du marché ou au regard de l’écosystème.

10 Quant au nouveau, il recouvre ce qui est inédit, inhabituel ou statistiquement peu fréquent, unique (Barron, 1955 ; Feist, 1998), inattendu (Fliaster et Schloderer, 2010). A l’opposé du nouveau, il y a le commun, l’ordinaire ou le conventionnel (Runco et Jaeger, 2012). Sans nouveauté, la résolution de problème n’est pas créative (Runco, 2004). Anderson et King (1993) distinguent la nouveauté « relative » (composée d’éléments préexistants connus) de la nouveauté au sens « absolu » (n’existant nulle part ailleurs). Or, pour la plupart, les innovations sont un mélange de processus émergents et de procédures adaptées qui sont d’usage courant ailleurs (Anderson et al., 2014). Dans cette lignée, Rank et ses coauteurs (2004) résument ainsi leur conception de la créativité et de l’innovation : « La créativité est vraiment nouvelle, alors que l’innovation peut trouver son origine dans des idées issues d’expériences précédentes ou déjà adoptées dans d’autres organisations » (Rank et al., 2004, p.520) [5]. Van de Ven (1986, p. 592) utilise le terme « imitation » pour l’innovation. Bain, Mann et Pirola-Merlo (2001, p.57) ont mobilisé la notion « d’innovations créatives » pour distinguer les innovations technologiques qui intègrent une idée nouvelle au sens absolu de celles qui intègrent une idée déjà existante et ne sont donc pas créatives.

11 De plus, il est à préciser que les critères de l’utile et du nouveau portent une valeur subjective car leur évaluation est inscrite dans une époque et liée au contexte historique, culturel et social qui les reconnaît (Sternberg, 2001).

1.2 – La créativité et l’innovation en tant que processus

12 Le positionnement de la créativité par rapport au processus d’innovation est variable selon les auteurs. Pour certains (AxTell et al., 2000 ; West, 2002 ; Gupta et al., 2007), le processus d’innovation concerne toutes les phases du processus de créativité et d’implémentation. Dans ce cas, le processus créatif constitue la phase amont du processus d’innovation (West, 2002). D’autres (Amabile, 1988 ; Oldham et Cummings, 1996 ; West et Rickards, 1999 ; Rank et al., 2004 ; De Sousa et al., 2012) identifient deux processus distincts. Ainsi, pour West et Rickards (1999, p. 46) [6] : « la créativité consiste à réfléchir à de nouvelles choses, l’innovation consiste à faire de nouvelles choses ». Une tendance peut être identifiée consistant à aborder le processus de l’innovation en deux étapes : une phase d’exploration et une phase d’implémentation, tandis que dans les travaux sur la créativité, deux processus sont distingués : un processus créatif suivi du processus d’innovation. Rank, Pace et Frese (2004) appellent à une intégration des deux approches. En effet, la phase d’exploration de l’innovation correspond à une étape de recherche de nouvelles idées, souvent chaotique, non prévisible et non structurée, qui inclut prise de risques, expérimentation et jeu. Elle rejoint la notion d’heuristique explicitée par Amabile (1983) dans ses travaux sur la créativité. L’auteur opposait ainsi les problèmes fermés, sans aucune ambiguïté, avec une réponse unique, aux tâches ouvertes, nécessitant la recherche de solutions, comme la découverte d’un nouveau système mathématique ou l’invention d’une nouvelle recette de gâteau. Cette seconde catégorie est nommée heuristique et constitue un troisième critère de la définition du phénomène créatif (Amabile, 1983). Dans la littérature, il existe des distinctions proches, comme la typologie de définition d’un problème (Getzels et Csikszentmihályi, 1976), distinguant les problèmes bien définis (well-defined) caractérisés par le fait d’avoir un objectif, une méthodologie connue et une réponse correcte, des problèmes mal définis (ill-defined) caractérisés par une multitude de méthodes, d’objectifs, et la possibilité d’avoir plusieurs solutions acceptables. C’est justement de cette ambiguïté, de cette incertitude, que la créativité émerge (Reiter-Palmon et Illies, 2004). Préciser la nature du problème et son ambiguïté éventuelle permet d’identifier les tâches heuristiques. Quand les deux premiers critères, la nouveauté et l’utilité, évaluent le résultat, le critère heuristique ne peut être appréhendé qu’en recourant à une analyse processuelle.

1.3 – Définition d’une grille d’analyse de la créativité au regard de l’innovation

13 Dans le domaine technologique, « radical » et « incrémental » décrivent deux types d’innovations opposées. Les innovations radicales représentent des changements majeurs susceptibles de générer un impact significatif, comme, par exemple, dans la technologie. Au contraire, les innovations incrémentales consistent en des améliorations mineures d’intensité plus modeste (Munson et Pelz, 1979). Il s’agit de petites innovations en continu portant sur le concept de produit, des ajustements technologiques, le procédé de fabrication ou même l’organisation. La différence majeure capturée par les étiquettes « radicale » et « incrémentale » réside dans le degré de contenu novateur, les connaissances nouvelles intégrées dans les processus technologiques de l’innovation (Dewar et Dutton, 1986). Durant (1992) précise que l’intensité de l’innovation se situe sur une gradation de changements variables, dont celui de l’innovation micro-radicale définie comme une innovation de micro-rupture, susceptibles de perturber la dynamique concurrentielle d’un secteur sans pour autant remettre en cause les équilibres en présence ni la position stratégique des entreprises établies.

14 Si cette terminologie n’est pas appliquée à la créativité, le modèle des « Quatre C » (C pour créativité) développé par Kaufman et Beghetto (2009) offre une typologie quelque peu équivalente en distinguant quatre niveaux d’intensité progressive de la créativité (Simonton, 2012 ; Sternberg, 2012) : « Big-C », la créativité légendaire des génies dont l’apport créatif perdure ; « Pro-C », le niveau de créativité d’expertise professionnelle ; « little-c », la créativité du quotidien reconnue par les autres ; « mini c », la genèse, dans le sens de créativité initiale, de l’expression créative.

15 Big-C et Pro-C représentent un type de créativité radicale, correspondant à la découverte d’un contenu scientifique ou à l’originalité exceptionnelle d’une œuvre artistique. Ces deux premiers niveaux de créativité peuvent être appréhendés avec une intensité de nouveauté au sens « absolu », à l’issue d’un processus d’exploration heuristique. Si la valeur de l’invention est suffisante, et si toutes les conditions liées à la stratégie de l’entreprise sont satisfaites, ils peuvent être mis en œuvre dans une innovation de type radical pour laquelle le processus amont est dit exploratoire. A leur opposé se trouve mini-c, qui représente une nouveauté au caractère « relatif » débouchant sur une innovation de type incrémental, constituée de tâches parfois complexes, mais à l’issue d’un processus amont direct. Little-c offre un niveau de créativité intermédiaire aboutissant à une innovation de niveau micro-radical.

16 Le modèle des Quatre C nous semble ainsi susceptible de permettre des correspondances entre les différents niveaux de créativité et d’innovation (voir tableau 1). En intégrant la notion de nouveau au sens absolu et au sens relatif, et les caractéristiques spécifiques de la créativité et de l’innovation, il se présente comme une grille d’analyse permettant de clarifier la nature de la créativité au regard de l’innovation.

Tableau 1

Comparatif des caractéristiques de la créativité et de l’innovation

Tableau 1
Nouveau (sens absolu) Nouveau (sens relatif) Résultat Processus Résultat Processus Créativité Big-C et Pro-C Evaluation de la valeur de l’idée scientifique/technologique par les pairs Heuristique little-c et mini-c Evaluation de la solution technique Direct Innovation Innovation radicale Evaluation de la valeur du résultat au regard du marché ou de l’écosystème Exploratoire Innovation micro-radicale et incrémentale Evaluation de la valeur d’usage Complexe (tâches)

Comparatif des caractéristiques de la créativité et de l’innovation

2 – Méthodologie de l’étude empirique menée dans le monde de la recherche industrielle

17 Dans l’objectif de répondre à notre question de recherche sur la nature de la créativité au regard de l’innovation, nous avons eu recours à une approche de type exploratoire, en engageant une enquête par entretiens semi-directifs dans le contexte organisationnel d’une unité de Recherche et Développement (R&D) d’une firme européenne : IT Labs.

2.1 – Choix et présentation du terrain de recherche

18 Dans le sillage d’Amabile et Gryskiewicz (1987), notre recherche empirique a été conduite auprès de 40 chercheurs industriels, dont le cœur de métier consiste à concevoir des idées, dans un contexte où le niveau de créativité est de nature « extrême » dans une visée d’étude des mécanismes de façon « transparente » (Pettigrew, 1990), c’est-à-dire avec lisibilité et efficacité. La créativité dans un contexte de R&D se traduit par le dépôt de brevets, la publication d’articles scientifiques, la réalisation de prototypes présentés, par exemple, lors de concours annuels internes ou l’implémentation de tout ou partie de l’idée dans un produit. Afin de prendre en compte les diverses formes de créativité, nous avons intégré dans les activités des chercheurs industriels, les activités de développement qui y sont souvent imbriquées, notamment au moment du prototypage.

19 L’unité de recherche étudiée, IT Labs, filiale de IT Labs World, est une firme européenne spécialisée dans l’édition de logiciels qui emploie autour de 60 000 salariés dans le monde entier. Au moment de l’étude empirique (2011-2015), l’entreprise multinationale est leader dans son domaine et réalise les meilleurs résultats financiers depuis sa création. Fondée en 1998, IT Labs s’est étendue sur plusieurs localisations, avec des activités de R&D, des activités commerciales, et des activités de support. L’organisation matricielle lie cette entité R&D locale à une direction locale et à une direction R&D du Groupe qui affiche un fort engagement dans la recherche appliquée pour des solutions futures. Les ambitions déclarées sont d’anticiper les tendances technologiques émergentes, les traduire en percées innovantes de premier plan par l’exploration des idées prometteuses, pour aboutir à de nouvelles solutions mises en vente sur le marché.

20 L’entité de Recherche et Développement de IT Labs est composée de deux ensembles distincts, le département de la Recherche et celui du Développement. L’étude est centrée sur le département de la Recherche relativement récent sur le site qui a connu en 10 ans une forte croissance, passant de 3 à 41 chercheurs. La quasi-totalité des travaux menés au sein de l’unité est financée par des appels d’offres nationaux et européens. Les projets, européens ou internes, ont une durée de 3 ans et sont réalisés avec des partenaires européens issus du monde de la recherche industrielle et universitaire.

21 Une équipe projet de base est composée d’un chef de projet, d’un ou deux chercheurs, d’un doctorant, d’un stagiaire. En général, les chercheurs sont simultanément affectés à deux ou trois projets, chacun avec un chef de projet (chercheur senior). Deux profils de chercheurs peuvent être distingués : le profil académique dont la plupart sont docteurs et publient régulièrement, et le profil industriel qui sont des docteurs et des ingénieurs non publiants. Les chercheurs sont principalement des hommes européens, avec une ancienneté dans le métier variant de quelques mois pour les doctorants à 15 ans pour les plus aguerris.

22 Quatre types d’activités de recherche et développement se côtoient au sein de l’entité de R&D de IT Labs : la recherche fondamentale, la recherche appliquée, l’ingénierie avancée et le développement innovant. Pour les définir, nous nous référons aux trois activités définies par Frascati [7], complétées par une quatrième : l’ingénierie avancée. La recherche fondamentale est réalisée indépendamment des besoins tangibles en réponse à des appels à projets européens et nationaux, en association avec des partenaires issus du monde de la recherche publique et industrielle. Dans le contexte d’IT Labs, ces projets n’aboutissent pas directement à des transferts internes. La recherche appliquée consiste en des travaux originaux mais essentiellement dirigés vers un but ou un objectif pratique déterminé. Dans l’ingénierie avancée, le chercheur industriel adapte des solutions à des problèmes concrets en combinant des concepts ou méthodologies d’un domaine à l’autre. L’activité de développement innovant utilise les connaissances existantes et met au point des solutions incrémentales pour fabriquer de nouveaux dispositifs.

2.2 – Mode de recueil et d’analyse des données

23 En amont de l’enquête menée au sein du département de R&D de IT Labs, nous avons réalisé 12 entretiens exploratoires non directifs avec des chercheurs de différents secteurs d’activité (biomédical, téléphonie, automobile, software). A l’issue de ces entretiens, la créativité des chercheurs a émergé comme un concept dominant des activités de recherche, se manifestant au travers des brevets, des publications et des transferts de technologie. Au sein de IT Labs, nous avons rencontré 26 chercheurs (incluant 4 managers) et deux développeurs, auprès desquels nous avons conduit des entretiens semi-directifs d’1 heure 30 en moyenne. Le profil des répondants est détaillé en annexe 1.

24 Nous avons eu recours à un guide d’entretien présenté en annexe 2. Le premier thème évoqué était relatif aux interactions entre collègues dans l’élaboration et le partage des idées. Un second thème a émergé des discussions, nous amenant à réviser le guide d’entretien en intégrant des questions sur la façon dont les chercheurs caractérisent leur créativité lorsqu’ils décrivent la nature de leurs activités. Le guide d’entretien portait donc sur les relations professionnelles et les échanges créatifs, puis les questions étaient dirigées vers la créativité, dans le but d’appréhender toute la richesse des détails concrets des projets liés à ce concept. La plupart des répondants a cherché à positionner la créativité au regard de l’innovation. Nous avons également été invitée à observer le déroulement de trois réunions d’équipe et d’une réunion de managers.

25 La transcription intégrale des interviews et des réunions a été intégrée dans N’Vivo 10, afin d’enregistrer, de croiser les codes émergeant des données et d’en garder la trace. Procéder ainsi permet de trouver rapidement les concepts similaires et leurs exemples représentatifs qui peuvent être synthétisés en un plus petit nombre de catégories et de thèmes (Gioia et al., 2010). Les catégories d’analyse ont été en partie déduites de la littérature, notamment dans la sollicitation de la grille d’analyse des Quatre C. D’autres caractéristiques de la créativité ont été induites de nos données. Elles sont apparues dans les descriptions des projets des chercheurs et ont été répertoriées, analysées et même dénombrées.

26 Dans le but de procéder à une triangulation de nos résultats, une restitution a été organisée en présence de cinq répondants (deux chercheurs académiques/trois industriels) afin de recueillir leurs réactions. Cette technique nous a permis de conforter la pertinence de notre proposition de modélisation. La réunion a permis de confronter plusieurs points de vue, d’affiner certaines notions et de recueillir de nouveaux verbatim. Les commentaires des répondants collectés lors de cette restitution ont été inclus dans l’analyse des données qualitatives.

3 – Résultats : clarification et approfondissement des niveaux de créativité

27 Il ressort de nos résultats que les quatre niveaux de créativité du modèle Quatre C se retrouvent chez IT Labs. Nous avons pu établir leurs liens avec les projets d’innovation et identifier leurs vecteurs par rapport aux projets de IT Labs tout en précisant leurs caractéristiques en termes de résultat et de processus (voir tableau 2).

Tableau 2

Les quatre niveaux de créativité chez IT Labs

Tableau 2
Big-C Pro-C little-c mini-c Activité recherche et développement Recherche fondamentale Recherche appliquée Ingénierie avancée Développement innovant Innovation Radicale Micro-radicale Incrémentale Vecteur Projet européen, thèse Projet de transfert industriel. Mélange de mécanismes existants. Evolution d’un produit. Caractéristiques du processus Directives générales, structure simple, heuristique, recherche de théories fondamentales, de méthodologies. Projet peu précisé, heuristique, résultats applicables. Projet complexe et pratique, nombreuses tâches interdépendantes. Très pratique, seulement du développement, réponses directes. Durée du projet 3 ans 6 mois à 1an Moins de 6 mois Très court terme Résultats Concept, théorie, nouvel algorithme publication, brevet théorique. Nouvel algorithme, Prototypage, Brevet, Publications, Présentation aux concours internes. Prototypage, Brevet d’affaires. Implémentation directe.

Les quatre niveaux de créativité chez IT Labs

3.1 – Trois critères pour caractériser les résultats créatifs

28 Trois critères apparaissent dans les discours des chercheurs pour décrire le résultat d’une activité créative. En plus du nouveau et de l’utile, un troisième critère est ressorti des verbatim : l’élégant.

29 Tout d’abord, tous les répondants de notre enquête s’accordent sur l’importance du caractère « nouveau » et l’ont mentionné à de nombreuses reprises. Ainsi pour Maxime : « Dès que c’est nouveau, c’est R&D » (Chercheur senior 5, Profil Pf Indust. [8]).

30 Les chercheurs ont très souvent recours à des comparaisons entre la recherche et le travail du développement pour décrire leur mission. D’après Giulia qui a traversé au cours de sa vie professionnelle des phases de travail dans le milieu de la recherche et du développement, les chercheurs ont davantage d’opportunités que les développeurs pour proposer du nouveau.

31

« Quand on est développeur, on a un cycle de développement de plus en plus court, et donc ce qu’on demande, c’est de la productivité. En fait y a la phase de design, la plus intéressante […]. Toute la phase de brainstorming où on est le plus créatif et qu’on essaie de proposer des choses nouvelles, elle est très très courte ».
(Giulia, Chercheuse senior 10, Pf Acad.)

32 Les chercheurs au profil industriel de notre population d’étude associent au qualificatif « nouveau », un substantif concret et précis : il est question de produit, business, projet, prototype, fonctionnalité, technologie. Les chercheurs au profil académique ont eu recours à des termes plus vagues et abstraits : l’idée, la chose, la pensée, le concept. Au niveau de la recherche fondamentale (Big-C), les chercheurs décrivent des idées radicales à l’origine de nouveaux projets, qui se manifestent dans la recherche exploratoire de nouvelles méthodologies, de concepts qui n’existaient pas. Dans la recherche appliquée (Pro-C), le chercheur est amené à inventer une idée également radicale sur un plan théorique pour résoudre un problème concret. Giulia a utilisé le terme de « pure innovation » pour évoquer les idées dues au hasard qui ont abouti à des dépôts de brevets. Le résultat final, l’un conceptuel, l’autre tangible, aboutissant à une innovation, est discriminant pour distinguer les deux types de nouveauté.

33

« ici, on n’est pas dans le côté recherche de maths où derrière, il va falloir encore une étape ou une autre vie avant de pouvoir l’appliquer à un cas concret dans l’entreprise ».
(Gulia, Chercheuse senior 10, Pf Acad.)

34 Concernant le critère d’utilité, nous avons relevé les adjectifs et noms suivants dans les discours de répondants : utile, efficace, applicable, concret, faisable, valeur, impact, pratique, pertinent, ou le verbe « faciliter » pour caractériser la créativité.

35

[Quelles sont les caractéristiques d’une idée créative ?] « Une bonne idée, c’est quelque chose qui est utile ».
(Denis, Chercheur senior 8, Pf Acad.)

36 Parfois aussi, la recherche industrielle est définie comme pratique et appliquée, orientée vers l’amélioration de produits pour la satisfaction des utilisateurs. Elle peut être aux dépens de ce que Thibaut appelle l’innovation.

37

« Actuellement, nous développons un nouveau processus d’amélioration des produits IT Labs. Donc, c’est vraiment… pratique, mais encore… il y a cette préoccupation de recherche au fonds. Parce que c’est quelque chose de nouveau, il y a de l’innovation ; il y en a, un peu moins, je dirais, que la recherche par la recherche, j’aime la recherche pure, mais en même temps, travailler sur des sujets comme cela qui vont devenir réels, avec des utilisateurs. Donc, c’est… toujours de la recherche, mais plutôt de la recherche appliquée ».
(Thibaut, chercheur Junior 4, Pf Acad.)

38 L’utilité de la créativité se manifeste concrètement par la mise au point de prototypes destinés à être implémentés. Parmi nos répondants, les chercheurs de profil industriel valorisent l’utilité de leurs travaux qui apportent des solutions concrètes.

39

« En recherche académique… on a avancé l’état de l’art. Nous, on ne peut pas se permettre de ne faire que ça. Ça, ça peut être intéressant, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi que l’on apporte des solutions aux problèmes concrets ».
(Helder, Manager 2, Pf Ind.)

40 Quand Noé décrit les brevets déposés par ses collègues au profil académique, il oppose le réalisme des profils industriels à l’amour de ses collègues académiques pour les nouveaux concepts, tout en les trouvant décalés par rapport aux besoins pratiques des clients.

41

« Des patents théoriques, c’est un nouveau concept de protocole algorithme qui [ne] sera jamais implanté à IT Labs, donc c’est quelque chose…horizon 2030 […] Je peux faire des « patents » à « tire larigot » sur des choses qui n’existent pas encore, je ne suis simplement pas capable de les implémenter, c’est pas possible. […] Ils [Les chercheurs] aiment la nouveauté, après la question qui est derrière, c’est : Est-ce qu’on peut fournir ça aux clients ? … ah ouais c’est super votre truc, ça sert à quelque chose ? ».
(Noé, Chercheur senior 9, Pf indust.)

42 Ainsi, pour les profils industriels, plus une idée a pour vocation d’être appliquée, d’être pratique, moins elle est orientée vers la recherche pure. Selon eux, la recherche est utile quand elle est réalisée à des fins industrielles, c’est-à-dire pour être implémentée.

43 Pour les profils académiques, la nouveauté peut se trouver en concurrence avec l’utilité. Leur constat est parfois sévère sur la prédominance du second critère. La notion d’innovation est associée à la réussite commerciale de projets de type ingénierie avancée.

44

« Je ne sais pas si IT Labs a vraiment créé quelque chose depuis quarante ans mais innovation c’est…je sais pas…innovation pour eux c’est quelque chose…créer l’idée qui peut apporter de l’argent, ça c’est innovation ».
(Denis, Chercheur senior 8, Pf Acad.)

45 Les chercheurs académiques indiquent que les « vraies » problématiques sont dans les problèmes abstraits, de long terme, sans concrétisation immédiate. Ils dénoncent le fait que leur performance créative n’est pas évaluée à sa juste valeur par les utilisateurs et par la hiérarchie. En effet, la demande de créativité des utilisateurs et du top-management se limite à réclamer, par exemple, « une interface jolie et simple », au détriment de la recherche dans son sens noble, celle qui produit des résultats « efficaces » ou robustes (secure).

46 Les répondants, quel que soit leur profil, considèrent toutefois que l’implémentation des idées est l’enjeu de la recherche industrielle, même si les différents rapports à l’utilité génèrent des tensions entre les profils académiques et industriels chez IT Labs, le regard des premiers étant tourné vers la création de connaissances, alors que celui des seconds est davantage orienté vers l’organisation et les clients.

47 Enfin, les répondants ont eu recours au registre de l’esthétique pour évoquer leurs résultats créatifs. Les adjectifs « beau/belle/nice » ont été utilisés 46 fois dans le corpus recueilli et « élégant » est apparu 15 fois. Ainsi, Ugo décrit la solution élégante, par le sens du beau. Dans son explication, Ugo décrit le « beau geste » du travail créatif, qui a pour objet l’utilisation subtile des matériaux disponibles dans l’environnement pour une efficacité optimale.

48

« Euh, solution élégante c’est un truc où…on le voit, on dit… je sais pas comment dire…mais c’est pas…c’est beau quoi. C’est un peu comme on regarde un tableau quoi. Le tableau il est beau, on regarde le tableau, on a cette sensation de dire « c’est beau, quoi ! ».
(Ugo, Chercheur senior 4, Pf Acad.)

49

« On doit fabriquer un pont, il y en a un qui va tout bétonner et puis qui va bétonner la rivière, et qui va faire un bloc voilà, c’est pas super élégant, alors qu’il y en a un qui va essayer d’utiliser le minimum de produit, de matériaux possibles, qui sait peut-être utiliser ce qu’il a autour de lui, voilà ça c’est élégant. Voilà. C’est ça que j’appelle élégant en fait ».
(Ugo, Chercheur senior 4, Pf Acad.)

50 De son côté, Léo fait référence à une communauté de personnes avec lesquelles il aime travailler car il partage des valeurs communes et le goût de l’élégance

51

[un attrait pour]« résoudre les problèmes de façon élégante, même si des solutions moins élégantes sont plus rapides, plus faciles à développer ».
(Léo, PhD doctorant 1, Pf. Acad.)

52 L’élégance et la notion du beau représentent également la simplicité, la parcimonie, l’accessibilité d’un message livré sans fioritures.

53

« L’idée élégante, elle est simple, elle est facile à communiquer et c’est une bonne caractéristique des idées créatives aussi… ».
(Raoul, chercheur junior 2, Pf Acad.)

54 Lors de la présentation des résultats à un groupe de chercheurs, les répondants ont confirmé le recours à la notion d’élégance en la précisant. L’élégance signe l’exigence, et même la « grandeur » d’une idée liée à l’exploration et aux risques pris à entreprendre une recherche de long-terme, mais elle peut aussi apparaître à l’étape du prototypage (little-c), quand elle est l’expression aboutie d’une idée de recherche appliquée. Les chercheurs ont mis en avant que cette notion n’existe pas selon eux dans le développement (mini-c).

3.2 – Trois caractéristiques pour définir les processus créatifs

55 Trois caractéristiques apparaissent dans les discours des répondants pour décrire le processus relatif à une activité créative : la dimension exploratoire ou heuristique, la notion de risque, et aussi la notion de jeu.

56 Au cours des entretiens, des termes proches du critère « heuristique » ont été cités  : « plusieurs façons de procéder », « beaucoup d’exploration », « penser hors de la boîte », « creuser », « trouver la façon », « non direct ». Ils ont été relevés auprès de chercheurs académiques, dont un manager ainsi qu’auprès d’un manager au profil industriel. Là aussi, le critère heuristique fait l’objet d’une comparaison entre activités de recherche fondamentale (Big-C), de recherche appliquée (Pro-C) et d’ingénierie avancée (little c). Dans le Big-C, le problème de recherche est complexe et mal défini. La recherche est dite exploratoire car il n’existe pas une façon unique d’aborder le problème, et la méthodologie pour le résoudre a une grande importance. Elle est souvent à construire.

57

« Au niveau conceptuel… c’est pas tout défini, en fait il [n’] y a presque rien de défini. ».
(Jules, chercheur Junior 5, Pf Acad.)

58 L’exploration des projets de recherche appliquée (Pro-C) s’effectue dans un cadre plus déterminé. Les projets d’ingénierie avancée (little-c) consistent à investiguer des solutions existantes.

59

« J’invente un concept dès le début, donc ça, c’est pour moi la recherche, donc on attend pour faire des résultats, y a beaucoup de travail en amont. Ce qu’ils font, eux [les chercheurs au profil industriel], par exemple, c’est : on connait une certaine problématique, on connaît les solutions, les solutions ne sont pas implémentées à IT Labs, et eux ils vont aider à les implémenter ».
(Jean, Chercheur senior 3, Pf Acad.)

60 A l’opposé de la dimension exploratoire présente dans la recherche fondamentale se trouvent les problématiques de développement (mini-c) où la complexité provient d’une masse importante de tâches de résolution beaucoup plus directe.

61

« Pour chaque tâche, la façon de la résoudre est assez directe, pas toujours bien sûr, mais en général. ».
(Pablo, Manager 4, Pf Indust.)

62 La dimension heuristique signe les problématiques ouvertes sur le plan conceptuel et méthodologique, et décroît selon les niveaux de créativité. C’est un facteur de distinction notable entre les processus Pro-C et little-c.

63 Les répondants ont fait également référence à une prise de risque attachée à deux niveaux d’incertitude de leurs activités de recherche industrielle. Le premier niveau de risque est celui qui tient au fait d’explorer des domaines inconnus, en dépassant les frontières de la connaissance existante. Lorsqu’ils s’engagent dans l’exploration, les chercheurs ne savent pas ce qu’ils vont découvrir. Leur quotidien est imprévisible, et ils doivent accepter le risque de l’échec.

64

« Il y a beaucoup euh d’aléatoire dans le domaine de la recherche […] le milieu de la recherche n’est pas quelque chose de prévisible, c’est-à-dire que l’on peut commencer une recherche et voir que ça marche pas, ou que le domaine est pas productif ».
(William, Développeur, ancien chercheur senior)

65 La vie du chercheur oscille entre des moments de créativité qui le font progresser dans son travail, et des moments de recherche sans résultat qui rendent son quotidien éprouvant.

66

« En fait, c’est un truc cyclique en fait, donc ça a commencé avec le désespoir, ben voilà je trouve quelque chose, donc voilà [tout sourire], après le désespoir [rire], les mêmes symptômes donc ça passe très vite, je ne fais rien, c’est déjà un an, après [petit sourire], on a discuté, on a trouvé des idées on est productif, après c’est le désespoir, donc c’est un truc cyclique. ».
(Matéo, Doctorant 5, Pf Acad.)

67 De leur côté, les managers de la recherche indiquent que le risque lié à la recherche est une vraie problématique pour eux, car ils doivent faire des choix d’affectation de ressources. Cette question est cruciale pour le financement de la recherche.

68

« Il y a deux grandes différences entre Recherche et Non recherche : en recherche, vous devez faire face à beaucoup d’incertitude ; dans la recherche, c’est prédominant : c’est un défi pour le management. Parce que lorsque vous démarrez un projet, vous ne savez pas comment atteindre l’objectif. La solution n’a pas encore été inventée. Ce n’est pas le cas dans d’autres domaines du management. C’est la grande différence ».
(Firas, réunion managers)

69 La spécificité du projet de recherche, par rapport à la gestion d’un projet classique, est qu’il est beaucoup plus difficile d’en anticiper les étapes. Plus la durée du projet est longue et plus la prise de risque est conséquente. En effet, un projet de long terme implique la mobilisation de ressources de longue durée, sans certitude de résultats probants. Aussi, les managers, indiquent que la notion de risque discrimine le type de recherche. A un extrême, se situe la recherche fondamentale, exploratoire, de long terme ; et à l’autre, le développement, avec des échéances d’implémentation très courtes, et une moindre prise de risque. Dans la recherche incrémentale, l’implémentation est plus immédiate, le risque est moindre. Savoir doser entre ces deux types d’activités est la clef du retour sur investissement de la recherche.

70 Il existe dans la recherche industrielle un second niveau de risque lié à la concomitance de la maturité de l’idée avec celle du marché. Une fois que l’idée a abouti à un résultat validé sur le plan scientifique, elle doit trouver preneur, et correspondre aux besoins du client à un temps T. La décision d’implémentation est liée à la logique de profitabilité des investissements privés. D’après nos répondants, cette décision revêt une autre part d’incertitude car elle engage un pari sur les estimations des besoins du marché à une échéance ultérieure. Plus l’échéance du résultat est lointaine, plus la prise de risque est importante. Les managers de la recherche indiquent qu’une de leurs problématiques majeures est de parvenir à trouver le bon équilibre entre la liberté d’exploration requise pour la recherche et sa rentabilisation. Du point de vue des chercheurs, les décisions d’implémentation ne sont pas toujours fondées uniquement sur des arguments de rentabilité mais aussi sur une part de subjectivité. En conséquence, la part d’incertitude en est encore augmentée.

71

[Qu’est-ce-qui fait finalement qu’une idée est valable chez IT Labs]« D’après mon expérience c’est : un, savoir la vendre et deux, être aligné avec ce que perçoit le manager. Pour moi on est capable de vendre du vent, on est capable, si on le vend bien de vendre du vent et on est capable, si on vend mal de jeter à la poubelle quelque chose qui est crucial, primordial pour IT Labs »
(Jean, Chercheur senior 3, Pf Acad.)

72 Ainsi, la recherche appliquée combine une prise de risque liée à l’engagement dans une activité créative, à une incertitude quant à la concomitance entre la maturité de l’idée et celle du marché, et parfois aussi des décisions de l’organisation difficiles à anticiper. La prise de risque dans la recherche appliquée peut être considérée comme supérieure à celle de la recherche fondamentale.

73 Enfin, le jeu apparaît comme une dimension de la créativité de nos répondants, dont les termes ludiques utilisés pour évoquer leurs activités sont entre autres : « c’est amusant », « pour plaisanter », « on s’est éclaté », « on va faire un truc super sympa », « fun », « challenge ».

74

« Farfelue c’est dans le sens … ça part d’une utilisation personnelle, de… à la maison ou sur Twitter ou je sais pas… sur mon portable et je dis « tiens si on faisait ça ? » et c’est un truc qui n’a rien à voir ».
(Jean, Chercheur senior 3, Pf Acad.)

75 Très rapidement, le contexte du jeu devient social, et les idées sont développées dans une ambiance mêlant l’humour, les rires, parfois la dérision. Le récit de ces moments de partage ludique est source de plaisir. Les répondants en parlent en souriant et avec les yeux qui pétillent.

76

« C’est beaucoup de dérision, de rires, c’est la façon dont on fonctionne avec Wanderson et avec Jean. Après, le processus peut être totalement différent avec d’autres personnes mais les choses arrivent comme ça, en plaisantant ».
(Ugo, Chercheur senior 4, Pf Acad.)

77 Les références au jeu sont citées dans le cadre des projets de recherche appliquée (Pro-C) et d’ingénierie avancée (little-c). Par contraste, les échanges liés aux idées de recherche fondamentale (Big-C), tout en présentant des moments intenses de partage et de satisfaction, sont beaucoup plus posés, mesurés, sérieux, et ne présentent pas les mêmes caractéristiques de partage ludique. Les chercheurs ont confirmé lors de la réunion de présentation des résultats que de leur point de vue, le jeu n’est pas présent dans les activités de développement.

78

« Le développement, je suis d’accord que le jeu n’existe pas dans le sens ils ont des deadlines, ils n’ont même pas le temps d’y penser. Quand je vois les purs développeurs qui ont des sprints, des machins… Le jeu… D’où des fois, justement les retours où tu te dis… La pression est telle qu’en développement, bah on n’a pas le temps. Parce que le jeu implique un peu plus de temps parce que ce n’est pas un truc direct »
(Noé, Chercheur senior 9, Pf indust, réunion de présentation des résultats)

79 Ainsi, les critères « heuristique », « risque » et « ludique » permettent de caractériser le processus de créativité en le positionnant dans le processus d’innovation. Un processus de créativité évalué Pro-C pouvant générer une innovation radicale est caractérisé par une dimension exploratoire, parfois très risquée, qui le distingue d’un processus little-c ou mini-c dont les processus investiguent des solutions plus directes, moins risquées et plus ludiques pour little-c.

80 Le tableau 3 présente une synthèse des caractéristiques en termes de résultat et de processus des différents niveaux de créativité.

Tableau 3

Caractérisation des niveaux de créativité

Tableau 3
Big -C Pro-C little-c mini-c Résultat Nouveau Nouveau concept, nouvelle méthodologie Nouvel apport théorique pour résoudre un problème de recherche concret Adaptation de solutions existantes Choix parmi les solutions existantes et modifications à la marge Utile Performante à long terme Applicable Efficace Productive Elegant Elégance (concept) Elégance (méthodologie, architecture) Elégance (prototype) N’apparaît pas dans nos données Processus Heuristique Exploration Exploration dans un cadre déterminé Investigation des solutions existantes Réponse quasi-directe Risque Elevé (Long Terme) Très élevé car double incertitude Faible Quasi nul Jeu N’apparaît pas dans nos données Ludique Très ludique N’apparaît pas dans nos données

Caractérisation des niveaux de créativité

4 – Discussion : Mise en perspective des quatre niveaux de créativité

81 Nos résultats ont permis de mieux saisir la nature de la créativité en termes de résultats et de processus sous le prisme de l’innovation. S’ils demandent à être confrontés à d’autres terrains de recherche, ils débouchent sur deux constats principaux, qui sont autant de pistes de recherche à développer, et sur des recommandations managériales.

4.1 – Entre l’utile et le nouveau, la double contrainte de la créativité

82 Comme le suggéraient Bain, Mann et Pirola-Merlo (2001, p.57) avec leur notion « d’innovations créatives », le « nouveau absolu » de la créativité Big-C et Pro-C se distingue assez aisément du « nouveau relatif » de la créativité little-c et mini-c. L’utilité recouvre également des sens différents dans les discours des répondants, selon que l’on se place sur le court terme ou long terme. Sur le court terme, l’utilité s’apparente à une quête d’efficacité ou de productivité pour l’organisation ou l’écosystème. A l’opposé, se trouvent les idées issues de projets de recherche au longcourt dont la performance est saillante mais pas directement applicable. Le critère « nouveau » du Big C et du Pro-C se trouve mis en tension avec le critère d’utilité. Cette tension est révélatrice de la double contrainte, telle que Gouldner (1957) la définit, qui pèse sur les chercheurs d’IT Labs. En effet, ils appartiennent à une profession qui a pour raison d’être la production de connaissances, mais ils doivent leur emploi à une entité qui attend d’eux la réalisation de recherches applicables et rentables. Dans quelle mesure ce constat peut-il être généralisé à l’ensemble des chercheurs industriels ? Varie-t-il en fonction des pratiques de gouvernance des entreprises concernées ? Les chercheurs académiques universitaires sont-ils placés dans une double contrainte comparable ?

83 Un troisième critère, l’élégance, est apparu dans les données. Dans les environnements de recherche fondamentale, Root-Bernstein, Bernstein et Garnier (1995, p. 126) ont décrit l’instant créatif des scientifiques comme « un intense plaisir esthétique, au-delà de la raison pure ». D’après Zuo (1998), c’est la sensibilité à la tension, à un manque d’ordre et d’harmonie qui a conduit Darwin et Einstein à découvrir d’importants problèmes dans leurs domaines. La réponse à cette tension est d’ordre esthétique, car elle révèle la notion de beauté et de vérité idéale d’une personne. Les chercheurs de IT Labs ont exprimé une sensibilité esthétique partagée, en décrivant leurs représentations du phénomène créatif au travers de l’élégance. Un des apports de notre étude est de rendre compte de la présence de la notion d’élégance non seulement dans les idées de recherche fondamentale, mais aussi dans les idées de recherche appliquée au travers de la méthodologie ou de l’architecture (Pro-C) et même dans le prototypage (little-c). L’importance accordée à l’élégance est-elle une façon pour les chercheurs d’échapper à la double contrainte due à l’exigence conjointe de résultats utiles et nouveaux ?

4.2 – La prise de risque et l’émergence du jeu dans le processus créatif

84 Dans la recherche appliquée, la créativité génère une double prise de risque liée d’une part à l’incertitude des résultats, d’autre part à la décision d’implémentation qui échappe aux créatifs. La notion de risque n’est pas nouvelle dans la littérature de l’innovation pour distinguer les innovateurs des adaptateurs (Kirton, 1976). Cependant, peu de travaux (Dewett, 2007) ont été entrepris sur cet aspect dans la créativité, alors que cette notion apparaît comme une caractéristique majeure des projets de R&D de long terme. Par exemple, dans la littérature de l’innovation, Charue-Duboc et Gastaldi (2017) ont mentionné la double incertitude présente au stade de l’exploration du processus d’innovation. Les auteures expliquent que cette double prise de risque est générée par les avancées non concomitantes des recherches sur les aspects techniques avec les usages des clients et les valeurs pour l’entreprise.

85 Il est intéressant de relever dans le discours des chercheurs la dimension sociale du jeu. Le jeu n’est pas une activité professionnelle en soi comme l’ont souligné Beatty et Torbert (2003). Pourtant, Henri de Man observait qu’au sein du système taylorien en 1927, il était « psychologiquement impossible de priver les employés de satisfaire leur instinct du jeu » (Roy, 1959, p.160) [9]. Plusieurs groupes de service où le rôle de la créativité est important, comme par exemple IDEO (Sutton et Hargadon, 1996), ont élevé le jeu à une place centrale dans leur culture, mais cette notion n’a pas été étudiée dans le contexte de la recherche industrielle.

86 Comment expliquer que les pratiques ludiques apparaissent lorsque les chercheurs se consacrent à leurs projets de recherche appliquée, en particulier little-c, mais ne sont pas présentes quand ils évoquent leurs projets européens, leur travail de thèse ? Au niveau du processus, au niveau de création Big-C, c’est l’intensité exploratoire qui l’emporte, alors que le niveau little-c est caractérisé par une dimension plus ludique.

87 Les critères d’heuristique-risque inhérents à toute recherche exploratoire apparaissent-ils en tension avec le jeu dans la phase de créativité ? Ou bien, le plaisir du jeu se supplée-t-il à la fierté de contribuer à l’avancement de la science ?

4.3 – Les expériences esthétiques et ludiques comme leviers de management de la créativité

88 Sur le plan managérial, les environnements de R&D intègrent des projets de nature bien différente (Bain et al., 2001). Définir l’intensité de la créativité au regard de celle de l’innovation permet de limiter les frontières des deux types d’activités qui ne peuvent pas être managés de façon identique, au risque d’ajouter de l’insatisfaction au sentiment déjà existant de manque de reconnaissance des experts (Gastaldi et Gilbert, 2016). Les projets créatifs nécessitent une part de liberté, d’autonomie, permettant l’exploration de nouveaux pans de connaissances. A l’opposé, les projets de développement innovant, tout en intégrant une part mini-c de créativité, sont plus strictement définis ; ils font appel à des compétences propres comme la gestion de projet. Les pratiques de management des deux profils de chercheurs académiques et industriels ne seront pas identiques, sur les aspects de direction de travail, d’organisation, d’évaluation.

89 Les aspects esthétique et ludique sont sans doute des ressorts organisationnels intéressants pour développer la créativité et le partage. Une organisation souhaitant encourager la créativité de ses salariés pourra favoriser les expériences artistiques (Berthoin Antal et Friedman, 2017), les pratiques ludiques (Sutton et Hargadon, 1996), ou réduire la pression et encourager les projets éloignés du cœur de métier. Cependant, les organisations se garderont d’en faire leur solution unique pour développer le processus d’idéation, parce que l’esthétique et le jeu reposent sur des dimensions d’ordre émotionnel qui ne peuvent être ni dirigées ni manipulées.

Conclusion

90 Loin de considérer le concept de créativité comme assimilable à celui d’innovation, cette recherche nous a permis d’approfondir la nature de la créativité au regard de celle de l’innovation au travers des représentations des chercheurs industriels interrogés. En mobilisant de nouveaux critères pour distinguer les niveaux de la créativité, notre étude théorique et empirique montre d’une part que la classification des quatre niveaux de créativité de Kaufman et Beghetto (2009) fonctionne dans le domaine de la Recherche et Développement du monde industriel, et d’autre part que les niveaux d’innovation permettent d’éclairer les niveaux de créativité. Cette approche doit permettre d’engager des travaux de recherche selon le type de créativité. Ainsi, le contexte des travaux sur les chercheurs industriels (Amabile, 1983) correspond à un niveau Pro-C qu’il conviendrait à rapporter à des recherches de même niveau de créativité et non à la créativité d’individus amenés à proposer épisodiquement des solutions pour résoudre des problèmes d’intensité créative de plus faible ampleur. De nouvelles possibilités de convergences de recherches s’ouvrent également en rapprochant la littérature de la créativité de logiques d’innovation d’exploration versus exploitation (March, 1991).


Annexe 1

Profil des répondants

Statut Profil Sexe
Académique (Docteur et publications en cours) 2 Industriel (Ingénieur, peu de publications) 1 F H
Chercheur junior 3 3
Chercheur senior 3 1 2 1 2
Manager 6 6 2 4
Entretiens exploratoires 12 3 9 3 9
Doctorants 5 4 1 1 4
Chercheurs juniors 6 6 2 4
Chercheurs seniors 13 5 8 1 12
Managers 4 1 3 4
Entretiens étude principale 28 16 12 4 24
Total des répondants 40 19 21 7 33

91 Chercheur junior et chercheur senior sont les dénominations de grades officiels et contractuels.

92 Les managers supervisent les projets de recherche qu’ils prennent parfois en charge directement.

Annexe 2

Guide d’entretien chercheurs industriels

93 A. Qui êtes-vous et quel est votre rôle au sein de IT Labs ?

  1. Pouvez-vous vous présenter : depuis combien de temps travaillez-vous chez IT Labs, quel est votre parcours (formation, diplômes, fonctions occupées) ?
  2. Quel est votre métier, en quoi consiste votre travail ? Quel est votre rôle, quelles sont vos responsabilités chez IT Labs ? Pouvez-vous me donner un exemple de projet sur lequel vous avez travaillé récemment ?
  3. Au quotidien, avec qui travaillez-vous ? Avec qui échangez-vous ? Quelles sont (ou quel est) les (l’) équipe(s) de travail avec lesquelles (laquelle) vous travaillez au quotidien ?

94 B. Travail en équipe et rôles au sein des équipes.

  1. Concrètement, comment travaillez-vous ensemble ? Quand travaillez-vous de façon plutôt individuelle, quand travaillez-vous ensemble ? Est-ce que vous échangez, vous vous réunissez ?
  2. Pouvez-vous me donner un exemple de situation dans laquelle vous n’auriez pas pu faire ce que vous avez fait sans une ou plusieurs personnes ? Qui, pourquoi ?
  3. Pouvez-vous me donner un exemple de situation dans laquelle un collègue a sollicité votre aide ? Et d’une situation dans laquelle vous avez sollicité l’aide d’un de vos collègues ?
  4. Demander de l’aide ou en recevoir est-il, selon vous, lié à l’expérience d’un chercheur ?
  5. Prenons un exemple de projet que vous avez mené à bien ensemble récemment. Pouvez-vous me décrire le rôle de chacun des membres de l’équipe – pas le rôle formel, mais le rôle réel joué par chacun dans l’avancement du projet ?

95 C. Créativité et interactions

  1. Pouvez-vous penser à une situation récente dans laquelle vous avez ressenti le besoin de partager une idée que vous avez eue avec une ou plusieurs personnes, d’en discuter ? De quelle idée s’agissait-il ? Pourquoi ?
  2. Quels sont les critères sur lesquels vous êtes évalué ? La créativité fait-elle, à votre avis, partie de ces critères ? Est-ce, selon vous, pertinent ?
  3. Pouvez-vous penser à une idée créative que vous avez eue récemment ou à un projet dans lequel vous avez fait preuve de créativité ? Pouvez-vous me décrire précisément la façon dont ça s’est passé, les circonstances dans lesquelles vous avez eu cette idée ? Avez-vous alors eu envie de partager cette idée avec d’autres, d’en discuter ?
  4. Selon vous, qu’est-ce qui en général favorise la créativité ?

96 D. Que représente la notion de créativité dans votre travail ?

  1. Qu’est-ce qu’une idée créative chez IT Labs ? Est-ce lié à un brevet, une publication ? Tous les brevets/publications reposent-ils sur une ou plusieurs idées créatives ? Pouvez-vous illustrer votre propos par vos expériences personnelles ?
  2. Avez-vous vécu différemment la notion de la créativité au cours de votre carrière de chercheur ?
  3. A quelle(s) notion(s) associez-vous l’idée créative des chercheurs IT Labs au regard de vos expériences ?
  4. La contribution créative des chercheurs est-elle selon vous de même nature ? Est-il possible d’identifier au sein d’une équipe de chercheurs, différents profils créatifs ?
  5. Si demain vous deveniez directeur de la recherche IT LABS, quelles décisions prendriez-vous pour faciliter la créativité des chercheurs ?

Bibliographie

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Notes

  • [1]
    Traduction de “the intentional introduction and application of ideas, processes, products or procedures, new to the relevant unit of adoption, designed to significantly benefit” (West et Farr, 1990, p. 9).
  • [2]
    Traduction de “Creativity is identified with ideas generation, while innovation implies ideas transformation into new products or services. In this sense, innovation is the implementation of creativity results. Thus creativity is part of the innovation process” (Alves et al., 2007, p. 28).
  • [3]
    Traduction de “There remains a lack of general agreement between researchers over what constitutes precisely either creativity or innovation” (Anderson et al., 2004, p. 1299).
  • [4]
    Traduction de “innovation must confer intended benefit at one or more levels of analysis : the job role, work group or wider organization. Again, this is not necessarily the case for creativity” (Anderson et al., 2004, p. 148)
  • [5]
    Traduction de “Creativity is truly novel, whereas innovation can be based on ideas that are adopted from previous experience or different organizations” (Rank et al., 2004, p.520)
  • [6]
    Traduction de « Creativity is thinking about new things, innovation implementation is about doing new things » (West et Rickards, 1999, p. 46).
  • [7]
    Manuel de Frascati (2002), Méthode type proposée pour les enquêtes sur la recherche et le développement expérimental, La mesure des activités scientifiques et technologiques, Paris, Editions OCDE.
  • [8]
    Pf Indust. désigne un Profil industriel ; Pf Acad. désigne un Profil académique
  • [9]
    Traduction de « In the Tayloristic industrial system it was psychologically impossible to deprive employees from opportunities to satisfy the instinct for play » (Roy, 1959, p.160).
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