Notes
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[1]
Professeur de finance, IAE Lyon, Centre Magellan (EA 3713) - peter.wirtz@univ-lyon3.fr
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Professeur de finance, Ecole de Management de Lyon - laurent@em-lyon.com.
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Références des textes de cette partie : Rn, Qa, Mm, Gs, Oa, Le, in Le discours social de l’Eglise catholique de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Centurion, 1985 ; Srs, Paris, CCFD-Centurion, 1988 ; Ca in Le centenaire de Rerum novarum, Paris, Le Cerf, 1991 ; Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, Paris, Bayard-Cerf-Fleurus-Mame, 2005 ; Cv, in www.vatican.ca
Introduction
1Une grande partie de la recherche financière, notamment celle liée au courant law et finance (La Porta et al., 1998 ; La Porta et al., 1999), aborde la gouvernance d’entreprise exclusivement sous l’angle de la protection des droits et des intérêts des investisseurs financiers, face à des dirigeants potentiellement opportunistes. Pour Shleifer et Vishny (1997, p.737), la gouvernance correspond, en effet, aux moyens par lesquels « les apporteurs de ressources financières s’assurent d’un retour sur leur investissement [… et s’assurent] que les dirigeants ne volent pas le capital ». L’existence de mécanismes de gouvernance conduisant à une bonne protection d’un actionnariat nombreux et anonyme serait alors selon La Porta et ses coauteurs le déterminant essentiel de l’émergence d’un marché financier efficient. La protection légale est en effet censée réduire les coûts d’agence et rend viable la dispersion du capital parmi de nombreux actionnaires sans connaissance ni lien particuliers avec les entreprises dans lesquelles ils investissent. L’explication de la structure de propriété ouverte et du système de gouvernance qui permet son éclosion est donc essentiellement technique, c’est-à-dire que le choix d’un système de gouvernance et d’une structure de propriété particuliers y est fonction d’un calcul purement utilitariste. L’approche dominante de la gouvernance fonde ainsi sa justification sur la maximisation de la valeur actionnariale et les impératifs liés au bon fonctionnement du marché. Elle sous-tend un ensemble de prescriptions normatives qui ont fait l’objet d’une institutionnalisation progressive, depuis une vingtaine d’années environ, sous forme de codes de « meilleures pratiques » (Aguilera et Cuervo-Cazurra, 2004 ; Wirtz, 2008). Comme toute approche largement institutionnalisée, une partie des raisons qui fondent sa légitimité initiale échappent à la conscience des acteurs qui la pratiquent, car elles reposent sur un accord tacite (taken for grantedness). Ainsi, la question du système de valeurs mobilisé pour légitimer des choix en matière de gouvernance est peu abordée dans les recherches sur la corporate governance. Il peut alors s’avérer judicieux d’interroger un cas de gouvernance particulièrement original – c’est-à-dire éloigné du modèle dominant – et d’étudier le système de valeurs sur lequel il se fonde. L’étude d’un cas atypique comporte la promesse de rendre le système de valeurs relativement visible, car il existe a priori un besoin de légitimation dans un environnement institutionnel fondé sur d’autres prémisses. Comme ces dernières restent souvent tacites, l’examen du cas atypique permet par ailleurs, par contraste, de s’interroger sur la nature des valeurs qui fondent le modèle dominant. Le groupe Auchan est un tel cas atypique, car, malgré son développement et sa taille considérables, son capital n’a jamais été ouvert au-delà du cercle des membres de la famille Mulliez et des salariés. Par ailleurs, les membres de la famille ont toujours affiché leur attachement à un système de valeurs particulier, très explicitement ancré dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Auchan est aujourd’hui l’un des plus grands groupes de distribution français. Depuis une cinquantaine d’années, il fonctionne selon un système de gouvernance d’entreprise bien particulier. En effet, malgré sa taille aujourd’hui très importante, le capital est fermé, et l’entreprise n’est pas cotée en bourse. 85 % du capital sont détenus par la famille Mulliez à travers l’association familiale (AFM), qui contrôle également les autres enseignes liées à la famille (Décathlon, St Maclou…). L’association familiale compte aujourd’hui environ 500 membres. Elle affiche, malgré le nombre important, une remarquable stabilité dans le temps. Elle est régie par un règlement faisant référence à l’encyclique sociale de Jean XXIII de 1961. Le reste du capital est détenu par les salariés du groupe, à travers une structure nommée ValAuchan. Très tôt, Gérard Mulliez, fondateur du groupe, a en effet mis en place un mécanisme de participation des salariés, leur permettant un accès à la propriété d’une partie de leur outil de travail. Il était, à l’époque, un pionnier en la matière, devançant largement la législation sur la participation et l’actionnariat salarié. Le groupe reste volontairement à l’écart du marché boursier, se finançant largement par autofinancement et assurant la transmission du capital au sein-même de la famille. Ainsi, les structures de contrôle affichent une grande continuité, et le groupe Auchan ne communique pas sur le registre des « meilleures pratiques » de gouvernance, dont le discours tend par ailleurs à s’institutionnaliser de plus en plus au sein du capitalisme français (Wirtz, 2008 ; Wirtz, 2009). Auchan est donc un cas qui semble résister à certaines pressions isomorphiques (Aguilera et Curevo-Cazurra, 2004) concernant les pratiques de gouvernance. Dès lors, on peut s’interroger sur les croyances particulières qui sous-tendent ce modèle de gouvernance et qui sont susceptibles de permettre la compréhension de ses particularités.
2Ce travail est de nature exploratoire. En partant du cas Auchan, nous cherchons à comprendre le rôle d’un système de valeurs particulièrement marqué – en l’espèce il s’agit de la doctrine sociale de l’Eglise – dans le discours légitimant une pratique de la gouvernance d’entreprise qui s’écarte significativement du modèle dominant. La première partie de l’article est ainsi consacrée au cas Auchan et comporte une description de ses principaux mécanismes de gouvernance, ainsi qu’une mise en lumière de la référence fréquente à la doctrine sociale de l’Eglise (DSE). Celle-ci apparaît en effet dans le discours du fondateur comme le fondement légitime d’une façon particulière d’exercer les droits de propriété. La seconde partie s’interroge alors plus généralement sur le modèle de propriété de la firme défendu par la DSE. Elle permet de contraster la pensée catholique qui fonde ce modèle avec les valeurs néo-libérales implicitement défendues par les promoteurs du courant juridico-financier, aujourd’hui dominant en matière de gouvernance.
1 – Le cas Auchan : gouvernance familiale, participation des salariés et pensée catholique
3La gouvernance d’entreprise peut être définie comme « l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui ‘gouvernent’ leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire » (Charreaux, 1997, p. 421-422). Cette définition souligne, entre autres, la nature systémique de tout dispositif de gouvernance (« ensemble de mécanismes ») qui, loin de se résumer à un seul organe de contrôle, tel que le conseil d’administration, fait intervenir des instances de régulation du comportement managérial à des niveaux et de natures différentes. Charreaux (1997) propose une typologie des mécanismes de gouvernance, permettant de les classer selon leur degré de spécificité et selon le degré d’intentionnalité de leur mise en place, sachant que, d’une entreprise à une autre, la combinaison concrète et l’interaction des mécanismes de gouvernance peuvent être très différentes. Cette grille de lecture générale sera appliquée à notre étude de cas (voir tableau 1) et permettra d’exposer les particularités du système de gouvernance d’Auchan d’une façon systématique.
La spécificité du dispositif de gouvernance dans le groupe Auchan
La spécificité du dispositif de gouvernance dans le groupe Auchan
4L’analyse du système de gouvernance du groupe Auchan repose à la fois sur des données secondaires et de première main. Au titre des données secondaires, une revue de presse ainsi qu’un livre d’enquête (Gobin, 2006) ont fourni des éléments précieux. Les données primaires rapportées sont issues d’un entretien de groupe semi-directif d’environ trois heures mené le 16 octobre 2008 avec le fondateur du groupe, Gérard Mulliez (GM), ainsi que trois personnes de sa « garde rapprochée », hauts responsables de la direction. L’entretien a été entièrement enregistré et retranscrit. Pour caractériser les spécificités du système de gouvernance d’Auchan, nous avons procédé à une analyse de contenu des données qualitatives, en fonction de la grille typologique des mécanismes de gouvernance proposée par Charreaux (1997). Le résultat de ces analyses se trouve synthétisé dans le tableau 1, qui caractérise ainsi les spécificités de la gouvernance d’Auchan.
5Au niveau des mécanismes intentionnels et non spécifiques influençant le comportement des dirigeants d’Auchan, il convient de mentionner les encycliques sociales, qui font l’objet d’un véritable travail d’exégèse lors de réunions de famille. « Le travail de réflexion familial sous-tendu par la lecture et l’exégèse des encycliques papales et leurs propos sur le travail, la propriété, l’entreprise, progressivement permet de formaliser les valeurs fondamentales et l’éthique de l’entreprise. Respect de soi, respect d’autrui, du travail, confiance, esprit de service, responsabilisation, transparence, souci d’économie et de bonne gestion du patrimoine, font que ce modèle ressemble étrangement à celui du capitalisme rhénan » (Réale et Dufour, 2005, p. 259-260). Plusieurs auteurs ont mis en lumière la très forte influence de l’Eglise catholique et de sa doctrine sociale sur le capitalisme renaissant de l’Allemagne de l’ouest dans l’après-guerre (Langner, 1980 ; Gomez et Wirtz, 2008). Il peut également être noté que le principal auteur de l’encyclique quadragesimo anno du pape Pie XI fut le jésuite allemand Oswald von Nell-Breuning, qui joua par ailleurs un rôle politique non négligeable dans la jeune République Fédérale d’Allemagne.
6La référence explicite aux encycliques sociales dans la période de structuration du dispositif de gouvernance est confirmée par le fondateur, lorsqu’il déclare : « nous avons travaillé quand nous étions jeunes, mais de manière très forte, les encycliques » (entretien GM, 16/10/08). Cela montre que les encycliques sociales, qui comportent un certain nombre de principes et de recommandations, dont certains touchent directement aux questions de gouvernance, jouent pour l’encadrement du comportement des échelons supérieurs d’Auchan, au moins pendant la période clé où s’est forgée l’identité du groupe, un rôle comparable à celui des codes de « bonne conduite » ou codes de gouvernance dans certaines grandes entreprises cotées aujourd’hui. Le fondateur côtoie également les réseaux du patronat chrétien, qui lui permettent de « s’entretenir dans une certaine éthique » : « Dans nos réunions de CFPC ou de MCC, nous partageons les problèmes des uns et des autres. Nous échangeons à partir de documents, puis, nous essayons de dire ‘On est d’accord, on n’est pas d’accord’. Ou ‘oui, ça on pourrait peut-être l’appliquer’. Disons que nous nous entretenons constamment dans une certaine éthique. » (GM). Le CFPC a été créé en 1948 et a changé de nom en 2000 pour devenir Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (les EDC). Selon le site officiel du mouvement, il œuvre dès l’année de sa création « au profit d’une pensée et d’une action plus orientées vers la mise en pratique des enseignements de l’Église ». Le MCC, quant à lui, est le Mouvement Chrétien des Cadres et dirigeants. Rattaché à l’Eglise catholique de France, sa charte définit la mission suivante : « Le Mouvement a pour mission d’aider ses membres à agir davantage selon l’Esprit du Christ dans tous les lieux où s’exercent leurs responsabilités, partout où s’élaborent et se déterminent leurs décisions. Il apporte une attention privilégiée aux situations et aux responsabilités liées à la vie professionnelle, en particulier celles des cadres et dirigeants du monde économique et social, ainsi qu’aux environnements français, européens et mondiaux dans lesquels cette vie s’inscrit ». Ces réseaux chrétiens sont fortement structurés et peuvent de ce fait être considérés comme des relais intentionnels de la pensée catholique vers le monde des dirigeants d’entreprises. En tant que mécanisme de gouvernance, on peut donc bien les considérer comme un mécanisme intentionnel et non spécifique. La culture régionale des affaires fait partie des mécanismes de gouvernance non spécifiques et spontanés, dans la mesure où une culture ne se décrète pas, mais est un produit émergeant de l’interaction sociale. Bien qu’elle ne soit pas spécifique au groupe Auchan, elle a eu un impact certain sur les esprits des membres de la famille Mulliez et des dirigeants qui en sont issus : « le contexte régional, c’était important. Par exemple, tous les garçons avaient le droit de rentrer dans l’entreprise. Et on disait aussi : ‘Ton salaire, sera fonction de ton nombre d’enfants. » (GM). Le marché des biens et services fait bien partie des mécanismes de gouvernance (Fama, 1980 ; Charreaux, 1997), dans la mesure où il impose des limites à l’action stratégique du dirigeant. Il est bien reconnu comme tel et gouverne la conduite stratégique chez Auchan. « Le client est roi. Si le client n’est pas satisfait, l’entreprise n’existe plus. Une bonne entreprise, c’est une entreprise qui existe. Elle ne peut continuer à exister que si elle est rentable. » (GM). A l’évidence, ce mécanisme s’applique à toute entreprise (il est non spécifique), quel que soit d’ailleurs le système de valeurs. Dans la conception du fondateur, il représente le « pied physique » de l’entreprise à côté du « pied spirituel », la firme ayant, selon lui, besoin des deux pour avancer et se développer. A l’origine, la culture de la famille Mulliez est fortement imprégnée du catholicisme, et cette culture ne s’arrête pas au seuil de l’entreprise. « Mon père et son frère Louis faisaient partie de l’action catholique avec des prêtres, des jésuites et autres qui étaient tout à fait remarquables. Le père Ranson les a beaucoup marqués aussi. L’aumônier rentrait avec eux dans les détails de l’organisation des entreprises. » (GM). Au-delà de la forte implication du fondateur et de ses parents dans les milieux catholiques, un trait de caractère majeur de la culture familiale est le sens des responsabilités vis-à-vis des personnes engagées. Ce sens des responsabilités a été transmis par les parents, qui considéraient qu’il exigeait une réelle proximité avec les entreprises, dont la propriété devait signifier plus qu’un simple intérêt financier. « Nos parents voulaient que nous restions proches des entreprises. Ils estimaient que la propriété privée des moyens de production n’était pas une question d’argent, mais une question de responsabilités. Quand nous ouvrons un magasin, nous sommes responsables des personnes que nous embauchons, nous sommes responsables de leur permettre de grandir… Si nous devons faire évoluer les choses, nous en sommes responsables, nous ne sommes pas que des financiers. » (GM). Ce sens des responsabilités se double d’une très forte solidarité entre les membres de la famille, donnant lieu à la maxime du « tous dans tout » : « le règlement démarre par ces mots : ‘On reste ensemble parce que c’est mieux d’entreprendre ensemble que chacun séparément. C’est plus efficace, c’est plus intelligent d’entreprendre ensemble que chacun séparément’. » (GM). La culture familiale de la responsabilité et de la solidarité trouve son prolongement dans l’une des très grandes spécificités du modèle de gouvernance d’Auchan, à savoir l’organisation du marché de ses actions, interne à la famille, où les transactions se font une fois par an seulement parmi les environ 500 actionnaires familiaux, selon un processus très encadré. Devenir actionnaire présuppose ainsi l’obtention d’un agrément au sein de l’AFM (l’association familiale) et l’acceptation de la charte de cette dernière. Concernant le financement du développement de l’entreprise, la mise en réserves des revenus a toujours été privilégiée au financement externe. Marché familial des capitaux et financement interne du développement se fondent explicitement sur un rejet de la logique boursière d’allocation des ressources, pour privilégier les mécanismes relationnels fondés sur une bonne connaissance des affaires et une adhésion des personnes aux valeurs qui fondent la spécificité du système de gouvernance. Le fondateur compare explicitement le marché boursier et le marché familial des titres comme mécanismes de gouvernance alternatifs : « Pourquoi, à un moment donné, certaines affaires sont-elles allées en Bourse ? La tentation est forte pour un dirigeant de se dire : ‘J’aimerais bien satisfaire ma famille et je vais donc me coter en Bourse’. Il le fait : Et des années après, regardez ce qu’il en reste. En plus, les héritiers sont plus mal élevés (« mal élevés » traduit ici une perte de valeurs). Dans notre famille, nous n’avons le droit d’acheter ou de vendre qu’une seule fois par an, ce qui nous amène à réfléchir durant un an. » (GM) Ainsi, le fondateur refuse le marché boursier comme mécanisme de gouvernance pour garantir les intérêts des actionnaires de sa propre entreprise. Sa prise de position traduit la conviction du risque d’une certaine déresponsabilisation des actionnaires par le fait de mettre l’accent sur les seuls intérêts financiers facilement cessibles en bourse. Implicitement, une telle position reflète la conviction, empruntée à la pensée catholique, que la propriété, outre ses droits financiers, immédiatement monnayables au besoin, comporte également une responsabilité importante, qui oblige à prendre toute décision sur un éventuel désengagement avec discernement. Le fondateur d’Auchan oppose alors les vertus de l’organisation du marché du capital interne à la famille Mulliez, avec sa temporalité longue, au marché boursier perçu comme induisant une rupture du lien de responsabilité personnel entre l’actionnaire et l’entreprise. Sur le long terme, il est d’ailleurs convaincu qu’une telle approche n’est pas du tout antinomique avec les intérêts des actionnaires familiaux, bien au contraire : « je pense que les actionnaires familiaux se retrouvent plus riches et plus responsables, aujourd’hui, que les actionnaires d’autres familles, dont les entreprises ont été cotées en Bourse. Je pense que les actionnaires ont compris que c’était d’une efficacité économique et sociale considérable, et qu’en plus c’était quelque chose de juste. » (GM). Là encore, l’idée de responsabilité du propriétaire pour l’ensemble de l’entreprise est très présente. Dans le financement du développement de ses activités, la famille Mulliez privilégie l’autofinancement et adopte une vision à long terme : « c’est fondamental de laisser l’argent dans l’entreprise, parce que cela lui apporte de la croissance et donc une meilleure valorisation future. » (GM) Les revenus des activités matures permettent d’ailleurs de démarrer des affaires nouvelles, sans être soumis aux pressions court-termistes du marché financier. Outre la solidarité des membres de la famille, ce fonctionnement du marché interne du capital traduit un fort attachement au développement à long terme, au détriment, parfois, de la rentabilité financière à court terme. La finalité clairement affichée des choix financiers n’est donc pas le profit à court terme, mais le développement sur le long terme. « l’idée astucieuse de la famille Mulliez, c’est que, comme on est tous actionnaires de toutes les entreprises dans les mêmes proportions […], quand on fait un essai quelque part d’une nouvelle entreprise, même s’il faut 7 à 10 ans pour la mettre en route… disons, on supporte les pertes de démarrage, on supporte le temps qu’il faut pour former les gens, on supporte le temps qu’il faut pour s’adapter à la réalité nouvelle qu’on ne connaissait pas, etc. [N.B. on trouve implicitement l’idée d’une finance « durable », qui permet de soutenir un processus d’apprentissage nécessaire au développement] » (GM). Par contraste, le fondateur affiche une grande méfiance devant les marchés financiers : « Quand j’ai découvert les salles de marché, d’abord je ne savais pas ce que ça voulait dire, ces personnes qui sortent des grandes écoles, qui sont derrière des ordinateurs, et qui jouent sur quelque chose qui n’existe pas. C’est ahurissant. » (GM) Et puis : « Après avoir réglé la crise des bulles informatiques, après cette nouvelle crise, j’espère qu’on arrêtera de jouer sur ce qui n’est que virtuel, sans création de réelle richesse. Et, donc, qu’on utilisera l’argent pour véritablement fabriquer de la valeur ajoutée. » (GM - 16/10/2008). La « vraie valeur » émanant de l’investissement productif dans des entreprises qu’on connaît et dans lesquelles on s’implique personnellement est donc opposée aux « idoles » de la finance de marché, qui se crée une réalité virtuelle. Un système de gouvernance est un ensemble, où les différents éléments interagissent et s’imbriquent de façon complémentaire. Les mécanismes intentionnels spécifiques permettent ainsi de donner un caractère plus formel aux valeurs des dirigeants. L’un des premiers mécanismes intentionnels et spécifiques aux entreprises de la famille Mulliez sont les testaments, qui permettent de formaliser la conception de la propriété transmise par la culture familiale : « Quand mon père nous a donné la propriété des actions, bien avant de mourir, il a écrit : ‘Il vous est interdit de vendre les actions des entreprises, sauf pour créer une entreprise pour l’un d’entre vous ou l’un de vos frères, et à condition que ça soit avec l’accord d’au moins deux de vos frères, pour éviter la dispersion, les coups d’emballement, etc.’. […] Et je crois que cela est important, car ça prouve bien que nous ne sommes pas propriétaires, mais gestionnaires des biens de ce monde. On sera jugé là-dessus quand on arrivera de l’autre côté. Ce sont des biens qui sont mis à la disposition de la communauté. Aller vendre des actions pour jouer en bourse, je l’ai fait une fois, et j’ai perdu. […] J’ai été guéri, car, quand vous ne vous occupez pas directement des affaires, vous ne pouvez pas les faire évoluer. » (GM) Nous pouvons noter que dans l’esprit du testament, tel qu’il est perçu par le fondateur, transparaît clairement l’idée de la destination universelle des biens. Les relations des actionnaires de la famille connaissent aussi un certain degré de formalisation au sein de l’association familiale des Mulliez (AFM), bien que cette dernière n’ait pas vraiment d’existence juridique (ce n’est pas une association de la loi 1901). Elle dispose cependant d’un code de conduite, dont la première rédaction remonte à la génération des parents du fondateur d’Auchan. « Ce règlement intérieur est effectivement issu de nos valeurs familiales, de celles de mon grand-père, de celles de mes parents et de mes oncles, mais aussi de ce que nous sommes. Ce règlement évolue avec le temps, et le développement du nombre d’associés. » (GM). Ce règlement est issu d’un commun accord des membres de l’association et a été marqué par la forte culture catholique de ses premiers rédacteurs : « ils ont fait le règlement ensemble et se sont convaincus les uns les autres. J’ai assisté à la mise en place du premier règlement. On se réunissait de huit heures à midi tous les samedis matin et on lisait ligne à ligne. Mon père était souvent l’inventeur des lignes, et le dernier frère de mon père, Francis Mulliez, était le rédacteur définitif. Il lisait une phrase et disait : ‘Est-ce que vous êtes d’accord dessus ?’. On disait ‘oui’, on disait ‘non, on ne pourrait pas changer ceci, cela ?’. Et, donc, progressivement, on assimilait. Or, mon père et son frère Louis faisaient partie de l’action catholique […] Ils ont travaillé ça, puis, ils l’ont appliqué. » (GM). Outre le sens des responsabilités attachées à la propriété des actionnaires de la famille, la doctrine sociale de l’Eglise exige la possibilité d’un accès à la propriété pour le plus grand nombre. Cet élément de la DSE a été déterminant dans l’instauration de la participation des salariés d’Auchan au capital de leur entreprise. Lors de sa mise en place, Auchan était en avance sur son temps et, même aujourd’hui, une participation de l’ordre de 13 % reste très exceptionnelle pour un groupe de cette taille. Interrogé sur les raisons de la participation des salariés, le fondateur répond : « Eh bien, c’est à la fois juste et efficace pour tous » (GM). L’efficacité pour tous de la participation des salariés est également mise en avant par la théorie de l’agence, dans la mesure où elle permet un alignement des intérêts. La notion de « justice » invoquée par le fondateur d’Auchan trouve cependant son inspiration particulière au sein de la théologie morale. Du fait de leur participation au capital, qui est gérée au sein d’une structure baptisée Valauchan, un représentant des salariés siège également au conseil de surveillance. Il s’agit du président de Valauchan international. Pour le reste, la structuration du conseil de surveillance s’est faite de façon empirique, en notant que l’esprit qui anime les conseils n’est pas celui du soupçon d’un comportement potentiellement malhonnête à surveiller (comme le voudrait l’approche mainstream de la gouvernance). Il s’agit, au contraire, d’un accompagnement, pour assurer la viabilité des projets : « Le principe dans notre groupe, c’est que chaque équipe de direction doit avoir en face d’elle une équipe dite de surveillance - cela aurait été mieux de parler de comité d’accompagnement - […] et ce pour que l’équipe de surveillance plus l’équipe opérationnelle fassent mieux ensemble. […] Le dirigeant est toujours une personne qui est patron parce qu’il a une spécificité. Généralement, il est imbattable dans sa spécificité, et souvent plein de lacunes dans tout le reste. Donc, il faut à la fois l’aider à s’entourer dans les autres spécificités, c’est important, c’est un des rôles du conseil de le faire. » (GM). La politique de rémunération des dirigeants appartenant à la famille est à l’origine fortement déterminée par les besoins de la vie familiale : « on disait : ‘Ton salaire est fonction de ton nombre d’enfants, parce que c’est fonction de ton besoin pour vivre. » (GM) Cela correspond à la notion de « juste salaire » défendue par la DSE, et définie en référence aux besoins de la famille pour s’assurer une existence décente. Le fondateur considère que le salaire fixe doit faire preuve d’une certaine modération : « les dirigeants doivent avoir des fixes raisonnables, […] le reste de la rémunération doit être un système d’intéressement aux résultats. Et avoir des dirigeants qui soient surpayés alors que l’entreprise perd de l’argent ce n’est pas normal, c’est même amoral. » (GM).
7Le système de gouvernance, tel qu’il se présente aujourd’hui, est le résultat d’un processus d’évolution long, fortement influencé par les racines catholiques et les expériences propres des membres de la famille, dans leurs interactions les uns avec les autres ainsi qu’avec l’environnement socio-économique qui les entoure. La conception de la propriété défendue par la DSE est centrale et se reflète largement dans le discours du fondateur d’Auchan. Il y transparaît, notamment, l’idée de la destination universelle des biens, ainsi que celle de la responsabilité d’un usage actif et fructueux des droits conférés par la propriété, dont l’actionnaire est le simple dépositaire : « je pense que les entreprises ne nous appartiennent pas. Et si les actionnaires ne s’en occupent pas bien, il ne restera rien. S’ils s’en occupent bien, il restera quelque chose. Mais nous n’en sommes pas vraiment les propriétaires, nous le savons. » (GM). Un des piliers de la doctrine sociale de l’Eglise est l’affirmation de la légitimité de la propriété privée, ainsi que des effets bénéfiques de sa diffusion au plus grand nombre, et ceci dès l’encyclique rerum novarum. La famille Mulliez a manifestement fait sienne cette philosophie. Ainsi, l’un des oncles du fondateur (Gobin, 2006, p. 173) peut écrire : « Les membres de la famille Mulliez ont la conviction que la Propriété Privée est un moyen indispensable pour permettre l’exercice de la liberté humaine. Elle constitue une incitation au travail, à l’initiative individuelle, au progrès, à l’épargne et à la constitution d’un patrimoine. En cela, elle est un élément indispensable de la réussite économique et humaine mais à une condition : c’est que la propriété privée soit accessible au plus grand nombre et qu’elle soit effectivement diffusée parmi toutes les couches sociales. P.-S. : ces considérations sont tirées essentiellement de la lettre de Jean XXIII de 1961. » La citation suivante du fondateur illustre également cette adhésion à la doctrine catholique, tout en mettant en évidence son impact sur la légitimation d’une décision majeure concernant la structure capitalistique d’Auchan, à savoir la mise en place de la participation des salariés : « J’estime que l’on baigne dans une culture catholique, qu’on le veuille ou pas. Nous avons travaillé quand nous étions jeunes, d’une manière très forte, les encycliques où il est écrit : ‘La propriété privée devait être répandue’. Quand mes oncles ne voulaient pas que je lance l’actionnariat du personnel, je leur ai rappelé les encycliques. » (GM). Il explique ensuite la réticence initiale des oncles par leurs expériences dans le Nord, mais montre aussi qu’ils se sont laissés convaincre : « je comprends les réactions de mes oncles. Ils avaient vécu la guerre de 14, la guerre de 40 et les invasions successives, les grèves de 36, les grèves de 45 et de 46. En plus, quand vous avez failli déposer le bilan plusieurs fois … ma famille n’avait pas envie de retrouver autour de la table du conseil d’administration des syndicalistes avec lesquels elle pensait la cohabitation impossible à gérer – même si, par ailleurs, ils pratiquaient une gestion paritaire employeurs-salariés pour la gestion du logement social (allocations logement et 1 % construction). Donc, je comprends qu’ils aient eu peur. Ils ont fini par me dire : ‘OK, tu peux le faire à condition… que chaque personne ait suivi un cours d’économie d’entreprise avant de devenir actionnaire.’ Et nous avons mis en place avec l’aide de la Catho de Lille un cours d’économie d’entreprise qui au début durait 18 heures. » (GM).
2 – Doctrine sociale de l’Eglise et modèle dominant de gouvernance
8Le discours du fondateur d’Auchan se réfère explicitement et implicitement à la doctrine sociale de l’église (DSE). Celle-ci comporte un système de valeurs explicite et visible, notamment à travers les différentes encycliques papales. L’interrogation sur le système de valeurs légitimant la particularité de la gouvernance d’Auchan nous conduit donc naturellement à approfondir l’analyse de la DSE, telle qu’elle figure dans les textes officiels, en focalisant sur l’approche particulière de la propriété et de l’exercice des responsabilités y afférentes. Cette approche diffère à plusieurs égards de la pensée promue par l’approche juridico-financière dominante, révélant par là-même la relativité de cette dernière.
2.1 – La doctrine sociale de l’Eglise : propriété privée et responsabilité sociale
9Les fondateurs d’Auchan s’inscrivent expressément dans la tradition catholique, qui marque plusieurs différences avec la doctrine néo-libérale. Pour bien comprendre certaines options prises concernant la détention du capital et la structuration de la gouvernance de ce grand groupe de distribution, un examen plus attentif de la doctrine sociale catholique s’avère utile. Les valeurs de l’Eglise catholique s’opposent à une approche purement technique et matérialiste des droits de propriété. En plus d’un siècle, l’Eglise a élaboré un large corpus doctrinal, consacré aux questions économiques et sociales, dont l’encyclique caritas in veritate publié en 2009 par le pape Benoît XVI ne constitue que la dernière actualisation d’une longue série inaugurée en 1891 par Léon XIII [3]. Cette doctrine sociale de l’Eglise (DSE), qui relève du domaine de la théologie morale, défend rigoureusement le droit de propriété, mais en soulignant très fortement les responsabilités (notamment sociales) qui y sont attachées, et en fondant sa légitimité sur le rôle actif et productif que le propriétaire joue pour le progrès de la communauté. L’approche catholique de la propriété privée diffère donc de l’approche néo-libérale qui sous-tend le modèle standard de la gouvernance, en ce que (1) l’acquisition comme l’usage qui est fait des droits de propriété doit être guidé par le respect des personnes et la considération du bien commun et (2) le propriétaire est légitime seulement dans la mesure où il fait une contribution active à l’accroissement du bien commun. C’est-à-dire que la propriété privée et son accumulation par les personnes ne sont pas une fin en soi, mais simplement un moyen pour tendre vers d’autres valeurs (extra-financières) clairement affichées, reconnaissant, avec le principe de la destination universelle des biens, que les hommes sont seulement les dépositaires des biens qu’ils acquièrent. Une telle conception de la propriété, responsable et active, au service de la personne humaine dans son intégralité (c’est-à-dire pas seulement réduite à sa dimension économique et financière), a des implications pour la manière de concevoir le rôle et la structuration du système de gouvernance d’une entreprise qui se réclame de cette doctrine. Afin de mieux saisir les enjeux pour la gouvernance d’une entreprise comme Auchan, la présente partie a comme objectif de retracer de façon synthétique la conception de la propriété au sein de la DSE. Léon XIII, puis chacun de ses successeurs, affirment avec force le droit de propriété face aux idées collectivistes. Pour autant, l’Eglise ne fait pas de la propriété un droit intangible qui définit l’individu moderne comme le défend l’idéologie libérale. L’Eglise grève le droit de propriété d’une hypothèque sociale, avec le principe de la destination universelle des biens. Là où le libéralisme promeut la recherche par chaque individu de son intérêt, l’Eglise défend la subordination de l’action individuelle à l’harmonie de la société. Le Bien Commun exprime l’intérêt général de l’ensemble de la communauté politique auquel l’intérêt individuel est strictement subordonné : « Chaque partie aime naturellement le bien commun de ce tout plus que son bien particulier » (II-II, Q. 26, a. 3). Le bien commun chez Thomas d’Aquin « est la fin et la norme de tout agir social » nous dit Utz (1960, p. 127). L’Eglise ne condamne pas l’initiative individuelle sous réserve qu’elle ne nuise pas à l’intégration de chacun à la société. Le primat de l’harmonie du tout, autrement dit le souci de l’unité du corps social, explique la théorie singulière de la propriété dont Léon XIII pose les fondements repris et actualisés par ses successeurs en fonction des circonstances. Face aux affres de la société industrielle, le pape met en garde les catholiques contre les préceptes socialistes (Rn-3 et 4). Il se prononce sans aucune ambiguïté en faveur de la propriété privée (Rn-5), mais il subordonne son usage au principe de la destination universelle des biens, en s’appuyant sur les enseignements de Thomas d’Aquin : « Sur l’usage des richesses, voici l’enseignement d’une excellence et d’une importance extrême que la philosophie a pu ébaucher, mais qu’il appartenait à l’Eglise de nous donner dans sa perfection et de faire passer de la théorie à la pratique. Le fondement de cette doctrine est dans la distinction entre la juste possession des richesses et leur usage légitime. La propriété privée, nous l’avons vu plus haut, est pour l’homme de droit naturel. L’exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire à la vie humaine. ‘Il est permis à l’homme de posséder des biens en propre. C’est même nécessaire à la vie humaine’ (Thomas d’Aquin, II-II, Q. 66, a. 2). Mais si l’on demande en quoi il faut faire consister l’usage des biens, l’Eglise répond sans hésitation : ‘Sous ce rapport, l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu’il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C’est pourquoi l’apôtre a dit : Divitibus hujus soeculi proecipe facile tribuere, communicare – ordonne aux riches de ce siècle… de donner facilement, de communiquer leurs richesses’ (Thomas d’Aquin, II-II, Q. 65, a. 2) » (Rn-19). Le principe de la destination universelle des biens exprime le primat de la loi humaine sur l’inviolabilité de la propriété, au nom de l’harmonie de l’ensemble de la société. Son usage est subordonné à des critères de justice. L’Eglise affirme donc la double nature de la propriété. Celle-ci est à la fois individuelle et sociale. L’Eglise, dès l’origine de son enseignement social, porte un regard positif sur les entreprises qui concourent à la prospérité générale – « Or, ce qui fait une nation prospère, ce sont des mœurs pures, (…) le respect de la justice, (…), le progrès de l’industrie et du commerce » (Rn-26) – Pie XI défend même les vertus des activités lucratives : « Loin de déprécier, comme moins conforme à la dignité humaine, l’exercice des professions lucratives, cette philosophie nous apprend au contraire à y voir la volonté sainte du Créateur qui a placé l’homme sur la terre pour qu’il la travaille et la fasse servir à toutes ses nécessités. Il n’est donc pas interdit à ceux qui produisent d’accroître honnêtement leurs biens ; il est équitable, au contraire, que quiconque rend service à la société et l’enrichit, profite lui aussi, selon sa condition, de l’accroissement des biens communs, pourvu que dans l’acquisition de la fortune, il respecte la loi de Dieu et les droits du prochain, et que, dans l’usage qu’il en fait, il obéisse aux règles de la foi et de la raison. Si tout le monde, partout et toujours, se conformait à ces règles de conduite, non seulement la production et l’acquisition des biens de ce monde, mais encore leur consommation, aujourd’hui si souvent désordonnée, seraient bientôt ramenées dans les limites de l’équité et d’une juste répartition ; à l’égoïsme sans frein qui est la honte et le grand péché de notre siècle, la réalité des faits opposerait cette règle à la fois très douce et très forte de la modération chrétienne (…) » (Qa-147). Le droit de propriété est donc reconnu mais grevé d’une hypothèque sociale. Son usage est subordonné au service de la justice et du bien commun. Nous retenons notamment trois obligations inlassablement rappelées par les différentes encycliques sociales comme application concrète des devoirs qui incombent à la propriété des moyens de production : le juste salaire, la participation des salariés et la tempérance dans l’acquisition comme dans l’usage de la propriété.
10L’Eglise défend une approche morale du salaire qui reflète les apports complémentaires de chacun des facteurs de production : « Il serait radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effet combiné ; c’est bien injustement que l’une des parties, contestant à l’autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit » (Qa-59). Pour assurer l’harmonie, Léon XIII rappelle à chacun ses devoirs, principalement ceux qui dérivent de la justice (Rn-16), au premier rang desquels le devoir pour l’ouvrier de « fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s’est engagé par contrat libre et conforme à l’équité » (Rn-16) en se gardant de céder aux « discours mensongers » tenus par des « hommes pervers » qui ne font que des « promesses » illusoires voire l’incitent à des « revendications violentes » ou à des « séditions » (Rn-16). De leur côté, les employeurs « ne doivent pas traiter l’ouvrier en esclave » (Rn-16) ce qui débouche sur la problématique du « juste salaire » comme un devoir de justice du « patron » (Rn-17). Pie XI reprend l’idée Léonienne du « juste salaire », qui doit permettre à une famille de vivre de façon satisfaisante, à savoir se loger, se nourrir, se soigner et éduquer les enfants. Il s’oppose explicitement à la conception libérale du salaire considéré comme un prix librement négocié sur un marché au même titre que n’importe quelle marchandise. Léon XIII oppose la loi morale à la liberté de négocier un contrat salarial sur un marché libre : « Que le patron et l’ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu’il leur plaira, qu’ils tombent d’accord notamment sur le chiffre du salaire. Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée plus ancienne, à savoir, que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête » (Rn-34). Jean XXIII révoque en doute la détermination du salaire par le jeu du marché : « Nous estimons de Notre devoir d’affirmer, une fois de plus, que la fixation du taux de salaire ne peut être laissée à la libre concurrence ni à l’arbitraire des puissants, mais doit se faire conformément à la justice et à l’équité » (Mm-71). L’Eglise définit par ailleurs l’entreprise comme une institution humaine, avant d’être économique. Jean XXIII centre l’enseignement de l’Eglise sur la dignité des personnes, ce qui le conduit à qualifier l’entreprise de « communauté humaine » (Mm-91). Les encycliques conciliaires déclinent ainsi aux entreprises la thématique de la dignité de la personne. Plus récemment, Jean-Paul II très marqué par les idées personnalistes parle de son côté de « communauté de personnes » (Ca-35) ou de « société de personnes ». L’entreprise ne peut être considérée seulement comme une « société de capital » ; elle est en même temps une « société de personnes », dans laquelle entrent de différentes manières et avec des responsabilités spécifiques ceux qui fournissent le capital nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail. » (Ca-43). Cette conception de l’entreprise comme lieu de complémentarité des talents et des objectifs du capital et du travail ouvre à la participation. Dans leur modèle conceptuel général de l’entreprise, Hatchuel et Segrestin (2007) parlent ainsi de « potentialités ». L’idée est déjà avancée par Pie XI qui évoque aussi bien la participation à la gestion que celle relative aux profits : « Ainsi les ouvriers et employés ont été appelés à participer en quelque manière à la propriété de l’entreprise, à sa gestion ou aux profits qu’elle apporte » (Qa-72). Cette thématique est amplifiée par les papes conciliaires, Jean XXIII en premier lieu qui lui consacre plusieurs articles dans Mm, puis chacun de ses successeurs. Le « bon pape » défend la participation des salariés à la propriété de l’entreprise comme un moyen de promouvoir davantage de justice. Il avance même que les salariés, compte tenu des techniques financières du début des années 60, où l’autofinancement est une pratique commune, ont un droit de créance sur l’entreprise : « il convient d’évoquer une pratique commune à de nombreux pays : l’autofinancement, grâce auquel grandes et moyennes entreprises accroissent considérablement leur capacité de production. En ce cas, on peut affirmer, pensons-Nous, qu’en raison de cet autofinancement, les entreprises doivent reconnaître aux travailleurs une certaine créance » (Mm-75). Il s’appuie sur Pie XI pour rappeler qu’aucune partie ne peut s’arroger l’intégralité du fruit de la production (Mm-76 citant Qa-59). La participation ne doit toutefois pas se réduire à sa seule dimension économique à travers l’intéressement au profit. Elle doit concerner le travail lui-même, grâce à la collaboration effective de chacun à la marche d’ensemble de l’entreprise, à la formation (Mm-94), et à la valorisation de la promotion interne (Mm-93). Jean XXIII voit dans la participation le moyen de transformer concrètement l’entreprise en « communauté humaine ». La constitution conciliaire rappelle de son côté « promouvoir, selon des modalités à déterminer au mieux, la participation active de tous à la gestion des entreprises » (Gs-68), tandis que Jean-Paul II rappelle les propositions avancées par l’Eglise en faveur de « la copropriété des moyens de travail, la participation des travailleurs à la gestion et/ou aux profits des entreprises, ce que l’on nomme l’actionnariat ouvrier, etc. » (Le-14 puis Ca-16). La doctrine sociale craint, enfin, que la société moderne sacrifie l’homme à la recherche éperdue de ses seuls intérêts matériels et pécuniaires. Les papes conciliaires amplifient les critiques développées par leurs prédécesseurs contre la société moderne dominée par la sphère économique. Ils actualisent la condamnation de la chrématistique et de la consommation ostentatoire avec la stigmatisation du matérialisme contemporain. Pie XI est éloquent : « La déchristianisation de la vie sociale (…) dispose les hommes à l’entraînement facile des passions mauvaises et les incite violemment à mettre les biens périssables de ce monde au-dessus des biens durables de l’ordre surnaturel. De là cette soif insatiable des richesses et des biens temporels qui, de tout temps sans doute, a poussé l’homme à violer la loi de Dieu et à fouler les droits du prochain, mais qui, dans le régime économique moderne, expose la fragilité humaine à tomber beaucoup plus fréquemment. » (Qa-143). La constitution conciliaire fonde la distinction entre « l’avoir » et « l’être » en rappelant que « l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a » (Gs-35). L’Eglise se montre prescriptive en appelant les hommes et les femmes à faire montre de tempérance dans l’acquisition (le profit n’est pas la seule finalité de l’entreprise, la spéculation n’est pas vertueuse) comme dans l’usage de la propriété. Le sens de la mesure dans la consommation, au lieu et place de l’ostentation, rend alors possible le service de la justice et l’exercice de la solidarité en direction des moins favorisés, thématique que Benoît XVI défend avec vigueur en en appelant à de nouveaux styles de vie « dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon » (Cv-51 citant Ca-36).
2.2 – Retour sur le modèle dominant de la gouvernance et les valeurs sous-jacentes
11L’approche aujourd’hui dominante de la gouvernance trouve sa justification théorique dans la théorie de l’agence (Daily et al., 2003). Elle s’est développée en référence à un modèle particulier de détention de la propriété, à savoir celui de la grande entreprise dite « managériale » en raison de la forte dispersion des titres de propriété parmi un actionnariat anonyme et dispersé, peu enclin à interférer avec les décisions des managers professionnels. Selon l’approche juridico-financière dominante, la finalité de la gouvernance consiste à maximiser la valeur de marché des titres de propriété (Jensen, 2000), indépendamment de la personne de l’actionnaire et de ses valeurs particulières. A la recherche du système de valeurs qui sous-tend le modèle dominant de la gouvernance, on remarquera que celui-ci est bâti sur des fondations conceptuelles fortement inspirées par le (néo-) libéralisme. Ainsi, Fama et Jensen, les deux principaux contributeurs à la théorie positive de l’agence sont issus de l’école de Chicago. Charreaux (2003, p. 139) note que « tant les économistes autrichiens, comme Hayek, que sa formation à l’Université de Chicago, ont visiblement fortement influencé les options libérales défendues par Jensen. De plus, il est parfois difficile dans certains de ses travaux de séparer la part de l’analyse scientifique de celle de la prise de position idéologique. Ainsi, dans l’article coécrit avec Meckling (1994) sur la nature de l’homme… ». Fama, l’autre analyste des conséquences pour la gouvernance d’une détention de la propriété par un actionnariat nombreux et peu impliqué (Fama et Jensen, 1983) est, par ailleurs, le grand théoricien de l’efficience des marchés. Pour Hamon (2003, p.88), « les travaux de Fama couvrent en fait toutes les décisions financières et placent le marché au centre de l’analyse ». Dans son remarquable travail sur l’influence de l’idéologie politique sur l’émergence du modèle de gouvernance dominant la vie des affaires américaine, Roe (2000, p.554) souligne également l’importance du libéralisme de l’école de Chicago. Il considère que la perspective défendue en 1970 par un Milton Friedman dans le New York Times est aujourd’hui dominante dans les cercles d’affaires. Dans cette optique, le marché – notamment financier – joue un rôle central, occupant une position prioritaire dans la hiérarchie des mécanismes de gouvernance, en raison de son efficacité supposée à résoudre les problèmes d’agence (Jensen, 1991). Dans un souci d’efficience économique, les autres mécanismes de gouvernance, tels que les contraintes légales, doivent être compatibles avec le fonctionnement libre et sans entraves d’un marché financier développé (La Porta et al., 1998 ; La Porta et al., 1999). Le marché financier devient donc le mécanisme de gouvernance par excellence. Les autres mécanismes lui sont subordonnés, en vertu d’une idéologie néo-libérale, pour laquelle la maximisation de la valeur de marché des titres de propriété (valeur actionnariale) est la fin ultime, indépendamment des valeurs et aspirations individuelles des personnes qui portent ces titres à un moment donné. Selon cette approche, la gouvernance doit exclusivement être tournée vers la protection des intérêts financiers des détenteurs des droits de propriété. Suivant une interprétation particulière du droit et en vertu d’un certain flou juridique entourant la notion d’entreprise, la propriété des actions d’une société anonyme est d’ailleurs confondue avec la propriété de l’entreprise toute entière (Robé, 2011) dans l’approche juridico-financière de la gouvernance d’inspiration néo-libérale. Pourtant, cette approche particulière de la propriété n’est pas la seule possible et est institutionnellement et historiquement située (Hatchuel et Segrestin, 2007). Le primat de la protection des intérêts financiers des investisseurs – sans soulever la question de leur responsabilité sociale – est très explicite dans la définition-même du concept de corporate governance donnée par la synthèse de la littérature qui fait autorité au sein du main stream de la gouvernance : mécanismes par lesquels « les apporteurs de ressources financières s’assurent d’un retour sur leur investissement » (Shleifer et Vishny, 1997, p. 737). Tout en la simplifiant, souvent à l’excès, l’approche juridico-financière dominante de la gouvernance traduit une certaine philosophie libérale. Il convient, à présent, de contraster cette dernière avec les fondements de la doctrine ayant inspiré les fondateurs d’Auchan, afin de mieux saisir les particularités qui la caractérisent. L’enseignement de l’Eglise place le débat à un niveau anthropologique pour s’opposer à l’individualisme libéral et à la sécularisation de la vie sociale, issus de la pensée des Lumières qu’elle rend responsable de l’éclatement du corps social. L’homme moderne est défini en référence à ses droits, non à sa nature de créature divine comme dans la tradition chrétienne antérieure. En référence à Manent (1994), les conséquences de cette rupture anthropologique sont importantes pour penser l’organisation de la société. La philosophie chrétienne traditionnelle pense l’homme comme un animal politique qui doit lire dans la nature le dessein de Dieu pour lui. Autrement dit il reçoit de l’extérieur – de Dieu - le choix de ses fins, à savoir la recherche du salut. Chez les chrétiens la vie spirituelle est certes valorisée, mais cette question du salut se jouant aussi dans la vie quotidienne, l’Homme est invité à respecter en toute circonstance la dignité de son prochain, que lui confère sa nature de créature divine. Pour cela l’ordre social doit être subordonné à la morale chrétienne. Alors la recherche par l’Homme de son intérêt est strictement subordonnée au bien commun. La pensée libérale des Lumières s’oppose à cette influence politique des valeurs chrétiennes sur le fonctionnement de la société. Avec la pensée moderne l’homme est le seul créateur de ses valeurs si bien que les opinions sont multiples. Ce primat de la liberté conduit la théorie politique à penser une organisation de la société où l’autorité politique ne sert aucun système singulier de valeurs, pour éviter tout lien de subordination entre les individus. La loi que l’homme moderne se donne doit veiller au respect de ses droits. Le philosophe anglais Locke est un maillon important de l’histoire des idées modernes. Si la loi vise à protéger les droits de l’individu et non à servir des fins particulières – le Bien Suprême comme disent les philosophes classiques – alors convient-il pour penser l’ordre politique de partir de ce qui est animal en l’homme à savoir son besoin de conservation. Locke lie très étroitement la légitimité de l’appropriation privée à cette nécessité de se nourrir. Pour survivre, l’homme a légitimité à s’approprier le fruit de la terre qu’il travaille. L’homme moderne devient un animal propriétaire et travailleur, « propriétaire parce que travailleur, travailleur parce que propriétaire » (Manent, 1987, p.97). Dès lors la société devient économique. Le projet libéral moderne place la propriété et l’économie au cœur de la vie politique et sociale. « Ce que Locke nous a donné à voir, c’est le développement de la société économique complète à partir de ce si chétif commencement : l’individu qui a faim. Toute la vie économique, avec l’échange, la productivité du travail, le droit de propriété, prend en quelque sorte la « naturalité » et le caractère incontestable de droit qu’a l’individu qui a faim de se nourrir. Dans cet individu qui a faim réside la base substantielle, naturelle, primordiale de la vie humaine. On voit pourquoi le programme libéral, une fois qu’il est complètement élaboré, fait du droit de propriété, et tend à faire de l’économie en général, le fondement de la vie sociale et politique : si les règles qui organisent la vie sociale doivent naître du droit de l’individu solitaire, elles ne peuvent trouver leur fondement que dans le rapport de cet individu à la nature. » (Manent, 1994, p. 102-103). Alors le pouvoir moderne n’a pas d’autres buts que d’assurer l’inviolabilité de la propriété privée en vue de garantir les droits de l’Homme au premier desquels la liberté. Là où la loi chrétienne visait au perfectionnement moral de l’homme, la loi moderne devient un instrument destiné à protéger les droits de l’individu, seul créateur de ses valeurs. La socialisation des individus ne se fait plus en référence à de grandes idées, mais de façon à protéger leurs choix, autrement leurs intérêts. Smith est souvent cité comme le héraut du programme libéral : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du boulanger ou du brasseur que j’attends qu’ils me servent, mais de l’intérêt qu’ils ont à le faire ». Cette citation écrite en 1776 se trouve en exergue de l’article fondateur de la théorie positive de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). Il s’agit d’une évolution de fond du cours de la moralité traditionnelle. Elle se teinte d’utilitarisme – l’intérêt individuel prévaut - et de matérialisme – le système économique libéral est moral parce qu’il est efficace en termes d’accroissement de la richesse produite, donc, distribuée. La main invisible du marché concurrentiel est supposée transformer le jeu concurrentiel des égoïsmes individuels en harmonie sociale. Pour rendre justice à la pensée d’Adam Smith, il est cependant important de souligner qu’elle a été progressivement appauvrie, voire transformée, par les promoteurs les plus virulents de l’approche juridico-financière standard de la gouvernance, tels que La Porta et ses coauteurs. En effet, de la pensée de Smith, ces derniers ne retiennent que des éléments très partiels. Or Smith fut professeur de philosophie morale et auteur en 1759 d’un ouvrage de Théorie des sentiments moraux, et à ce titre un partisan de la justice sociale et d’un capitalisme moral.
Conclusion
12La famille fondatrice du groupe Auchan fonde la légitimité de son système de gouvernance particulier sur une référence forte à la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Elle rejette sur cette base un recours à la logique du marché financier comme référence ultime d’une « bonne » gouvernance. Cela illustre le fait que les choix en matière de gouvernance ne sont pas neutres en termes de valeurs. Ce constat, fait dans le cas singulier du groupe Auchan, où les valeurs chrétiennes catholiques sont affichées de façon très explicite, nous a également conduits à nous interroger sur le système de valeurs particulier dont l’approche dominante de la gouvernance tire sa légitimité. En effet, les « meilleures pratiques » de gouvernance promues par l’approche dominante, qui se garde de toute référence explicite à des valeurs religieuses, se sont désormais fortement institutionnalisées (Wirtz, 2008) et, sans justification explicite, leur « valeur supérieure » est souvent acceptée comme une évidence. On a alors tendance à oublier que le référentiel dominant fonde, lui-aussi, sa légitimité sur un système de valeurs particulier. Des cas atypiques comme Auchan nous permettent de mesurer la relativité du modèle dominant. Il n’est certes pas besoin de mobiliser spécifiquement l’expérience d’Auchan pour apprécier les limites de l’approche juridico-financière, et rien ne permet, d’ailleurs, d’affirmer qu’Auchan serait exemplaire du point de vu de la DSE, mais ce cas met en évidence un exemple concret d’une alternative viable et durable au modèle dominant, et cela pour un groupe de taille très significative. Notre étude comporte une double limite. Premièrement, dans la discussion des liens entre gouvernance et DSE, elle est très fortement focalisée sur la seule question de la propriété. Deuxièmement, l’analyse est relativement statique, en ce qu’elle n’aborde pas les évolutions de la DSE elle-même au cours du temps et de leur éventuelle influence sur le système de gouvernance du groupe. Ces limites tiennent au caractère relativement restreint des données empiriques disponibles à ce stade. Elles ouvrent essentiellement des pistes pour des recherches à venir.
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Mots-clés éditeurs : Auchan, gouvernance d'entreprise, modèle dominant, doctrine sociale de l'Eglise
Mise en ligne 27/08/2014
https://doi.org/10.3917/rimhe.013.0022Notes
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[1]
Professeur de finance, IAE Lyon, Centre Magellan (EA 3713) - peter.wirtz@univ-lyon3.fr
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[2]
Professeur de finance, Ecole de Management de Lyon - laurent@em-lyon.com.
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[3]
Références des textes de cette partie : Rn, Qa, Mm, Gs, Oa, Le, in Le discours social de l’Eglise catholique de Léon XIII à Jean-Paul II, Paris, Centurion, 1985 ; Srs, Paris, CCFD-Centurion, 1988 ; Ca in Le centenaire de Rerum novarum, Paris, Le Cerf, 1991 ; Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, Paris, Bayard-Cerf-Fleurus-Mame, 2005 ; Cv, in www.vatican.ca