Couverture de RIMHE_005

Article de revue

Quelle perception du management des seniors par la génération Y ?

Pages 96 à 105

Notes

  • [1]
    Professeur, LARA/PROPEDIA/IGS, 3S-CIMEOS - rdelaye@groupe-igs.fr
  • [2]
    EU Youth Report de 2009 (rapport de l’Union Européenne sur la jeunesse)
  • [3]
    3,28 pour les français versus 5,47 pour les chinois sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord)
  • [4]
    Cette étude porte sur un échantillon de 850 jeunes âgés de 17 à 23 ans non bacheliers. Ceci n’est donc pas une représentation de l’intégralité des tendances observées dans les forces armées françaises.
  • [5]
    Un lip dub est une vidéo réalisée en playback et en plan-séquence par des collaborateurs au sein d’une organisation et généralement destinée à une diffusion sur Internet ou autres réseaux
  • [6]
  • [7]
    Entre 22 et 25 ans, 32,3% de réponses entre 1 et 2, entre 26/28 ans, 22,5% et 16,7% pour les 29/32 ans
  • [8]
    Une enquête IFOP (2010) montrait que 96% des jeunes Y étaient membre au moins d’un réseau social

1Nombreux dans l’entreprise sont ceux qui croient encore que les phénomènes observables entre les générations de « baby boomers » (BB), les « X » et les « Y » sont normales et s’estomperont alors que les derniers auront « mûri ». Si l’on peut retrouver des points communs aux trois générations, les perceptions et les modes de fonctionnement divergent nettement et il serait suicidaire pour l’entreprise, qui doit désormais faire face à de nouveaux enjeux économiques, sociétaux et technologiques, de ne pas intégrer cette réalité dans sa stratégie, élément essentiel dans la cohésion et dans les processus de transmission du savoir et de la culture dans les organisations. Le lien intergénérationnel s’étiole et nous nous trouvons confrontés à une problématique qui relève du management interculturel avec des codes qui ne sont plus partagés et qui apparaissant pour certains comme incompréhensibles voire méconnus. En découle un véritable problème de continuité car la génération intermédiaire (les X), qui est légitime pour cette mission est étouffée par des BB s’accrochant au pouvoir et des Y qui les « poussent » pour prendre leur place. Comble de leur destin, ils sont peu nombreux, si l’on observe les pics démographiques et de part leur naissance professionnelle précaire et par conséquent forcés d’adopter une posture de défense. C’est donc un véritable fossé générationnel qui se creuse dans l’entreprise, avec des conséquences managériales que l’on commence à entrevoir et une nécessité de recréer un lien quelque peu mis à mal et dont les représentations de sont pas toujours partagées par les différents acteurs en présence. Aussi, si certaines entreprises ont intégré le fait qu’elles doivent modifier les règles du jeu afin de fidéliser les juniors et les séniors (Marbot, 2007), très peu se sont interrogées sur la question de la perception que peuvent avoir les juniors des seniors. Cet article doit permettre au lecteur d’appréhender les spécificités de la génération Y et de découvrir les contours de la relation que ses membres entretiennent avec l’univers du travail. Mais il a un second objectif en faisant prendre conscience du décalage qui existe entre les perceptions, attentes, modes de fonctionnement et par conséquent de l’urgence et de la nécessité de faire évoluer les pratiques managériales des managers en situation de séniorité. Telle semble être l’enjeu culturel à relever si nous voulons donner à la génération Y, qui représente les collaborateurs d’aujourd’hui et les leaders de demain, la possibilité de prendre en main son destin et d’écrire son histoire dans un contexte où la créativité a cédé le pas à l’innovation, processus de survie dans lequel leurs contributions sont les éléments clés d’un édifice qui ne peut se construire sans eux.

1 – Les générations se suivent mais ne se ressemblent plus

2Rappeler les caractéristiques de « Génération Y » demeure indispensable tant les dénominations sont nombreuses. Ce concept a été évoqué pour la première fois en 1993 par le magazine Advertising Age. Il désigne la génération dont les membres sont nés entre 1979 et 1995, suivant la « Génération X », nés approximativement à partir de 1965. On retrouve d’autres qualificatifs pour la « Génération Y » : « Echos Boomers », « Millenials », « Digital Natives » pour les Américains ou tout simplement « GenY » ou « Yers » ou encore génération pourquoi et en raison de sa capacité à remettre en cause systématiquement ce qui lui est imposé. Il s’agit de la population la plus importante depuis la génération des baby-boomers. Avec 13 millions d’âmes en France, 70 millions aux Etats-Unis et 200 millions en Chine, ils représenteront 15% de la population européenne [2] et 40% des actifs en France en 2015 (Pouget, 2010). On comprend pourquoi leur arrivée sur le marché du travail doit être considérée comme une priorité pour le management. Outre les démographiques qui sont l’objet de cet article, il existe une autre catégorie de Y qui ne peut être occultée et qui ne doit pas être confondue : les Y technologiques encore nommés Y 2.0. Ils représentent plus une philosophie, un mode de vie liés aux T.I.C. Cette communauté est composée d’adeptes des outils collaboratifs, évoluant avec une culture du partage et des échanges, du téléchargement sur le net, des MP3, IPod, IPhone et autres tablettes numériques. Leur âge se situant entre 35 et 40 ans, ils ne sont plus véritablement considérés comme des Y mais représentent une cible que les grandes marques s’arrachent à coup d’équipements hi-Tech (téléphone, contacts et musiques en Bluetooth, emplacement pour les MP3,) preuve en est dans certaines BMW (jusqu’à la série 5), alors plutôt assimilées à une clientèle mûre.

1.1 – Les X et les Y, un tuilage difficile

3L’importance des valeurs diffère d’une génération à l’autre. Cependant les périodes définissant ces catégories sont quelque peu floues. Les Cocos (collectifs-concrets), nés avant 1941 se placent sur le registre de la tradition, du savoir-faire et du patrimoine. Pour eux, le travail rime avec hiérarchie, fidélité et sécurité. Les Bobos (bourgeois-bohêmes), nés entre 1942 et 1967 partagent, quant à eux, les valeurs des idéaux de la jeunesse des années 60-70. Ils sont toujours très (trop ?) présents dans les instances de direction des entreprises actuelles. Les Momos (moraux-mobiles), dont la date de naissance se situe dans l’intervalle 1968-1978 (pour Strauss et Howe cette génération est celle née entre 1961 et 1981), ils sont éthiques, pragmatiques, au service de la Cité, mobiles et conscients que l’entreprise ne fera pas leur bonheur. Plus connue sous le nom de Génération X, elle était initialement décrite comme la génération Baby Bust, en raison du faible taux de natalité par comparaison à la période du Baby-boom. Cette génération de la guerre froide, qui a eu comme parents celles et ceux qui ont eu à reconstruire l’après-guerre, peine à trouver ses repères. Arrivés dans les années 90 sur un marché de l’emploi totalement sinistré où CDD, emplois jeunes et stages ont rythmé leur début de carrière, les X n’ont eu comme choix que celui d’accepter les exigences du marché du travail sans remettre en cause les codes de l’entreprise. Génération du HIV et de Tchernobyl, souvent considérée comme une Génération sacrifiée par ceux qui la composent, ses membres sont encore, aujourd’hui, contraints de s’adapter quotidiennement aux évolutions d’une société, créée par les Baby-boomers et qui vieillit. Enfin, les Yoyos (Young bobos), c’est-à-dire les Y, nés entre 1980 et 1995, ont pour leur part un socle de valeurs comme la tribu, la sensation et le plaisir direct et rapide (Excousseau, 2000). Leurs postures reposent sur les droits et la consommation plutôt que sur les devoirs. Il est cependant difficile de leur reprocher de tels comportements alors qu’ils sont les témoins permanents de la précarité sociale de membres de la génération qui les précède. Ces derniers, impliqués plus que de raison dans leurs entreprises, allant jusqu’à en oublier qu’ils avaient une famille, ne sont pas pour autant épargnés dans les plans sociaux, et ce, quel que soit leur statut. On comprend donc beaucoup mieux pourquoi la « Génération Y », est construite sur la notion d’acquis. Pour eux « Un bon salaire est un acquis puisqu’il va de pair avec la reconnaissance de leurs compétences » déclare Alexandre Le Helley, consultant formateur chez ITC. Ils n’hésitent pas à revendiquer ouvertement une frontière très nette entre la vie privée et la vie professionnelle. Cela les différencie significativement de leurs aînés de la « Génération X » et « Baby-boomers » pour lesquels la notion de devoirs et d’engagement total étaient la preuve incontestable de leur loyauté envers leur entreprise. Si les X ont été contraints à une stratégie caméléon de l’assimilation et de l’adaptation, cela a laissé peu de place au développement et à l’affirmation personnels, élément de fond chez les Y pour lesquels l’entreprise est avant tout un lieu de passage dans lequel ils vont avant tout servir leur réussite individuelle et leur épanouissement. C’est ce qui explique leur propension à la convivialité ce qui n’est pas incohérent avec leur perpétuelle quête du bonheur. Conscients qu’ils auront à travailler plus longtemps, ils préfèrent évoluer dans un environnement agréable et « se faire plaisir ». Comment les incriminer alors qu’il ont été élevés dans l’ère du développement personnel » ? Ils sont là en totale rupture avec les X qui ont donné une connotation forte de pénibilité au travail, fondée sur la recherche de l’efficacité dont les contours ne sont autres que les procédures, les réunions et les tableaux Excel qui n’ont que peu de sens aux yeux des Yers. La prospérité mutuelle passe donc au second rang dans leurs préoccupations. Nous sommes très proches de la notion d’entreprise de Soi (Aubrey, 2000), dans laquelle l’auteur nous montre que l’individu augmente sans cesse sa capacité à se connaître, à s’éduquer et à s’adapter aux contextes sociaux avec de véritables développements de stratégies de vie, mais avec un égoïsme très marqué.

1.2 – De l’adulte roi au tyran roi

4Dotés d’un égo surdimensionné et vouant un véritable culte à la jouissance immédiate, faisant preuve d’une allergie à toute frustration, les Y ont été éduqués par les « 5s » Surconsommation, surstimulation, survalorisation, surprotection et surcommunication fonctionnent en suivant la règle des « 4i » Individualisme, impatience, interactivité et interconnexion. Ces éléments, loin d’être constructifs semblent avoir généré davantage d’asociaux que de jeunes heureux (Pleux, 2012). Elevés par des parents peu présents à cause de leur emploi, ils ont été habitués à tout négocier et à tout obtenir. Leurs désirs devenus des ordres ils ont développé des comportements « d’enfants gâtés et capricieux » reposant sur une approche très personnelle et individualiste du principe de contribution/rétribution qui penche très significativement pour la rétribution. Très critiques envers les formes d’autorité, s’ils ne sentent pas en son dépositaire le respect de l’équité et la volonté profonde de contribuer au sens, ils demeurent cependant des victimes du tout marketing qui les a également habitués à ne pas différer leur plaisir et à consommer immédiatement avec le moins de contraintes à surmonter, expliquant leur capacité à construire des stratégies d’évitement très perfectionnées. Au regard de ces éléments, leur individualisme exacerbé et leur propension à la procrastination deviennent cohérents, tout comme leur rejet de tout ceux « qui savent mieux et qui peuvent faire réfléchir, voire infléchir », comme le souligne le psychologue Didier Pleux. Le véritable souci c’est que ce désintérêt pour la chose commune est en décalage total avec les attentes centrales de l’entreprise actuelle. Alors qu’elle recherche le sens de l’effort, l’engagement et la fiabilité, le Y est quant à lui un consommateur du turn-over qui s’est engagé dans la recherche de l’emploi idéal où il pourra faire ce qu’il veut dans un travail motivant et stimulant. Mais le choc intergénérationnel c’est également une série de reproches qui met en évidence une véritable crise de confiance vis-à-vis des aînés. Le faible score obtenu à la question « êtes-vous prêt à payer les impôts nécessaires pour verser les retraites des générations les plus âgées » [3] (Stellinger et Wintrebert, 2008, p.10) est sans équivoque et révélateur de ce fossé qui se creuse et qui montre à quel point la solidarité intergénérationnelle qui se dégrade. Que veulent-ils ainsi exprimer ? Sans doute une revanche envers ceux qu’ils accusent d’être à l’origine de nombreux facteurs à l’origine des situations de précarité à laquelle la jeunesse actuelle se trouve confrontée. Les comportements jugés irresponsables dans les processus de réchauffement planétaire, la monopolisation des plus hauts postes et donc des meilleurs salaires ou alors la dégradation du marché de l’immobilier et surtout la disparition de l’accès gratuit aux études supérieures, tels sont les principaux griefs que les Y avancent, et plus particulièrement vis-à-vis des Baby Boomers. Les propos peuvent même s’avérer d’une grande violence comme en témoigne un ouvrage Australien écrit par un « Yers » (Heath, 2006) dans lequel ce dernier, sans détours, demande aux seniors de leur céder la place. La réponse des « Anciens » ne se fait pas attendre. Ils leur rétorquent « qu’eux ils ont pris leur vie en main plus jeunes, qu’ils ont connu le Service National et qu’ils étaient matures beaucoup plus tôt » que ces jeunes qu’ils voient comme superficiels, peu impliqués et bons à ne maîtriser que leurs Smartphones, MacBook et PC comme eux utilisaient leur stylo et leur calculatrice. Et pourtant, même s’il est vrai que leur traitement des projets peut paraître plus superficiel et qu’ils rencontrent plus de difficulté pour se concentrer sur un sujet (et pour cause, avec la stimulation permanente qui est très bien décrite dans Le paradigme de l’éducation), « la Génération Y peut devenir la génération la plus productive que l’on ait eue » (Tulgan et Martin, 2001, p. 3). Avec une formidable capacité à maîtriser les nouveaux paramètres de l’espace-temps, ils sont capables de collecter et de traiter une centaine d’informations (contre trente à peine pour leurs aînés dans le même laps de temps). Ces hyper connectés sont par ailleurs de formidables multitâches, tout ce dont l’entreprise a besoin au regard des nouvelles temporalités qui rythment l’entreprise d’aujourd’hui. La conception de la sphère privée est un autre point qui divise particulièrement les générations. On se trouve en présence d’une « génération des parents » et d’une « génération des transparents », selon l’éditorialiste canadien John Freed. Pour les premiers, la recherche de la protection de la vie privée est quasi obsessionnelle ce qui les pousse à adopter des postures à la limite de la paranoïa, pour les seconds, la gestion de leur patrimoine informationnel est totalement inexistante car ils sont habitués à la caméra et à l’exposition. Ils appartiennent à une génération où, filmés dès leur état embryonnaire par les échographies, ils n’ont aucun complexe à partager leurs expériences avec la planète entière et comme le souligne Elizabeth Denham, Commissaire-adjointe à la protection de la vie privée du Canada, les jeunes arrivent à « se demander si les choses se passent réellement quand personne ne les regarde ». L’engouement pour les reality shows démontre bien cette tendance qui frôle, si l’on écoute les plus anciens, le voyeurisme. La transparence existe également sur le plan des échanges. Ce n’est plus obligatoirement le chef ou celui qui possède l’information qui détient le pouvoir, mais celui qui sait la partager. Une véritable révolution dans l’univers des pratiques managériales où il devient vital d’intégrer la veille et la collecte des informations très souvent disponibles via les réseaux sociaux. Indéniablement, l’avantage revient à cette génération « always on » qui en possède la maîtrise.

2 – La Génération Y et le monde du travail

5Le management semble sous-estimer les profondes modifications organisationnelles que va induire l’intégration de ces jeunes. A commencer par des changements de comportements notoires. Si jusqu’à présent nous pouvions observer l’intrusion du travail dans la sphère privée, aujourd’hui c’est la vie privée qui s’invite au bureau et il est très fréquent de voir des Y, qui sans aucun signe de culpabilité, dialoguent sur Facebook ou commandent leurs courses durant les heures de travail, considérant que de les empêcher relèverait de la violation de leur liberté et estimant qu’ils doivent être évalués sur le résultat final qui seul compte.

2.2 – Projets et proximité

6Dans une enquête décrivant les processus d’organisation des connaissances sur la carrière et l’emploi, Pralong (2010) révèle que les schémas cognitifs des salariés de la « génération Y » ne diffèrent pas de ceux de la génération précédente, (ce qui ne semble pas être le cas des étudiants). Il laisse ainsi sous-entendre que les schémas seraient donc liés au statut et non à l’appartenance générationnelle. Les Y attendraient donc de l’entreprise qu’elle soit, outre un « outil » de développement personnel comme mentionné dans le paragraphe précédent, un véritable lieu d’apprentissage et de promotion sociale que l’on abandonnera sans regrets si elle ne satisfait pas à ces deux exigences. Il faut considérer cette contrainte comme une opportunité car elle va quelque peu forcer la remise en cause de pratiques managériales et modèles économiques devenus obsolètes dans l’environnement concurrentiel qu’est le nôtre au sein du « village Monde ». Dans une étude (Ramany, 2008) réalisée auprès de 850 jeunes non bacheliers, entre 17 et 23 ans, on peut découvrir des critères de la motivation des jeunes engagés dans l’armée française [4] qui peuvent apparaître comme surprenants. En effet, ils recherchent une sécurité de l’emploi (94% souhaitent un contrat longue durée), ce qui n’est pas surprenant compte-tenu du contexte dans lequel évolue l’emploi, un travail en équipe (89%) et des rapports humains et d’affection (75%), ce qui corrobore le besoin de proximité et de lien social exprimés précédemment, une diversité des activités afin d’éviter de tomber dans une routine, « ne pas faire tout le temps la même chose » (79%), enfin être sur le terrain (64%) et bénéficier d’une autonomie et d’une marge de man œuvre (66%), rien de bien différent des autres générations. Ce qui est en parfait décalage, c’est incontestablement la recherche de stabilité géographique (66%), et la volonté de « rentrer chez soi tous les soirs » (85%).

2.3 – Des entreprises conscientes de l’enjeu de la gestion des « Yers »

7Pour beaucoup, ces jeunes Y adoptent davantage une attitude de suiveur digne de la théorie du banc de poisson, laissant l’honneur et l’engagement au second plan. Et pourtant, « On observe ainsi que, loin d’être désengagés, les jeunes adressent au contraire des messages forts au politique. Autonomie, participation, équilibre, projet commun » (Stellinger et Wintrebert, 2008, p. 20) qui en font de véritables talents pour l’entreprise. Ils en sont conscients et n’hésitent pas à faire jouer en leur faveur le marché de l’offre et de la demande. C’est sans doute en cela que le management traditionnel doit évoluer. S’adapter au besoin incessant de reconnaissance immédiate, de participation aux décisions, de recadrage par la preuve et surtout à l’incontournable quête de sens dans un travail qui doit d’être utile. La question cruciale qui se pose si l’on se place dans le périmètre managérial relève plus du mode opératoire à utiliser pour manager ces jeunes qui souhaitent davantage de liberté et d’autonomie tout en refusant le passage à l’état d’adulte suivant les critères des baby boomers et des X. Ils demeurent très individualistes tout en appartenant à pléthore de « communautés » ou de « tribus » virtuelles, ce qui nous apparaît comme totalement paradoxal. Pour Jacques Attali, « l’entreprise ne doit plus être l’usine, le lieu de la discipline ou de l’organisation du travail, mais l’espace de convivialité, de créativité avec une absence de hiérarchie où chacun est l’égal de l’autre et où le chef est partout ». C’est sans doute pourquoi la DRH du Club Med mène actuellement une réflexion sur la méthode la plus pertinente visant à faire évoluer les processus d’intégration et de management de la Génération Y, elle a ainsi réussi à faire chuter le turn over de 18 à 3% et elle n’est pas la seule grande entreprise sensible à cette question. Du Lip dub [5] du CHU de Limoges pour recruter, au suivi personnalisé chez Casino pour fidéliser montre bien que le contrat moral et le sens priment sur le contrat de travail et l’alimentaire. Chez Mac Donald France, la situation est encore plus surprenante car, avec 100% de turn-over chez les équipiers (entre 18 et 20 ans de moyenne d’âge), on constate que les managers, à peine âgés de 25 ans (donc Y) ont eux-mêmes du mal à décoder les employés de 20 ans qui flirtent avec la nouvelle génération silencieuse, appelée ainsi car elle car elle serait comparable dans la théorie américaine des générations à la génération des personnes nées entre 1925 à 1945. L’entreprise a du reste fait évoluer ses pratiques par rapport à ce que l’on pouvait constater dans les entreprises de restauration rapide il y a moins d’une décennie (Brochier, 2001) et plus particulièrement dans le domaine du recrutement qui se s’adapte à la nouvelle population à laquelle l’entreprise doit avoir recours pour faire face. Cela se traduit par des diminutions de la présentation institutionnelle, qui passe de 3 heures à 15 minutes, davantage d’échanges sur la tenue de travail, les différentes retenues sur le salaire, autant de concept auxquels ces jeunes ne sont pas sensibilisés. « Et pour cause, peut de ces derniers ont dans leur entourage un membre de leur famille en emploi », nous précise Hubert Mongon, le VP Ressources humaines de l’entreprise de restauration rapide en France. Autre grand groupe à adapter ses modes de fonctionnement, PricewaterhouseCoopers avec une campagne de recrutement « je peux-je veux », en 2007-2008 qui permet aux étudiants par mail ou SMS, de laisser leur « je veux » sur un site dédié. [6] L’entreprise L’Oréal a quant à elle décidé de façonner son approche RH en y intégrant une dimension marketing. Sur le principe d’un business game, le L’Oréal Brainstorm demande aux participants de réinventer une marque du groupe. Cela permet à la RH de détecter les talents et de communiquer sur les métiers. TF1 et Bouygues Télécom ont également leur adaptation en matière de recrutement en embarquant des candidats dans une course de voile virtuelle, l’aventure Virtual Regatta. Mais toutes ces initiatives seront vite oubliées si le contrat n’est pas respecté. Un véritable contrat psychologique matérialisant la part « non exprimée » des attentes et des engagements que les deux parties prenantes de la relation d’emploi envisagent sans forcément les avoir formalisées (Riant, 2010). C’est là une clé d’une intégration réussie, sans laquelle le départ sera irrémédiable. Anticiper cette volatilité est un exercice difficile quand on sait que la durée moyenne à un poste de travail est de 16 mois pour un Y et que 30% envisagent de changer de secteur d’activité avant 5 ans (Trotereau, 2008). Cependant, si l’on peut aujourd’hui affirmer qu’il existe un véritable mur entre les Yers et les autres générations, il faut absolument trouver les bonnes portes pour qu’ils communiquent. Et cela doit inéluctablement passer par une analyse précise de la perception et des attentes des Digital Natives. Après tout, leurs attentes aujourd’hui sont elles réellement si extravagantes par rapport à celles que nous opposions à nos parents et qu’eux-mêmes avaient vis-à-vis de leurs aînés ?

2.4 – Quelle perception du management des seniors par les Digital Natives ?

8Afin de mieux comprendre le phénomène Y nous avons interrogé 315 étudiants en alternance, inscrits dans des cursus de niveau Licence et Master en gestion. L’alternance est primordiale dans la mesure où nous avons des réponses émanant de jeunes pratiquant l’entreprise régulièrement favorisant ainsi la pertinence des réponses concernant les pratiques managériales de la Génération X et des Babyboomers. Ce travail se veut une première étape dans une enquête qui sera approfondie par la suite. Néanmoins, nous avons été agréablement surpris du nombre de réponses obtenues (93/315 soit près de 30% de réponses) dans les dix jours qui ont suivi l’envoi des questionnaires. Cela montre clairement l’intérêt et l’attente des jeunes générations vis-vis de cette question. L’échantillon ayant répondu est composé de femmes à 57,1% de femmes, dont l’âge se situe entre 22 et 25 ans pour 72,2% d’entre eux, entre 26 et 28 pour 14,4%. Les 29/32 ans représentent quant à eux 13,3%. 31,2% vivent à Paris ou en Région parisienne, 22,6% dans le Sud-est, 21,5 en région Lyonnaise, 15,1% dans l’Ouest, 1,1% dans l’Est et 6,5% dans le Nord. Leur vision du management efficace est sensiblement similaire à celui qui est décrit dans les manuels de management traditionnel. Cependant, les mots-clés qui ressortent de l’analyse sont la communication dans le groupe, la participation aux décisions et l’innovation. Ce qui est surprenant, c’est qu’aucun des enquêtés ne fait référence aux actes de gestion comptable. Ce qui est primordial, c’est le respect de l’Homme dans l’entreprise. La recherche de l’égalité dans le travail, davantage de responsabilité et de délégation et abandon du paternalisme exacerbé sont les axes sur lesquels les X et Baby boomers doivent travailler s’ils souhaitent intégrer dans les meilleures conditions les Y dans leurs équipes. La flexibilité et la remise en cause des modèles édictés il y a quinze ans sont également à prendre en compte. En effet, les jeunes soulignent clairement que leur motivation n’est plus liée uniquement au niveau de rémunération et au prestige de l’entreprise, mais surtout à l’intérêt porté aux projets ainsi qu’à l’ambiance qui règne dans l’équipe. Autre point important, c’est le droit à l’échec que les jeunes demandent.

9Le sentiment de reconnaissance et de respect des juniors par les seniors est un point qu’il convient de traiter avec précaution. En effet, c’est un des reproches majeurs des juniors à l’égard de leurs aînés. L’enquête réalisée nous montre que seuls 41,9% d’entre eux s’estiment traités comme des salariés à part entière dans l’entreprise (4 et 5 sur une échelle de 5). L’essentiel des réponses se situant entre 2/3 (52,7%), laissant tout de même 5,4% de jeunes ayant le sentiment d’être totalement considérés comme de simples stagiaires de passage. Si le sexe n’intervient pas dans la perception positive, dans les cas inverses (manque de reconnaissance) les femmes semblent davantage touchées. Autre point qui a son importance, plus le Y avance dans l’âge, plus il a le sentiment d’être considéré comme un salarié à part entière. Si l’on considère que sa hiérarchie est plutôt stable sur trois ou quatre années, cela montre que le Y s’adapte à son environnement, acquière les codes. L’expérience le rend davantage mature et semble changer sa perception de l’organisation. En effet, plus il prend de l’âge, moins le Y a le sentiment de ne pas être reconnu par le senior [7]. Si l’on mesure le sentiment de reconnaissance sur une échelle allant de 1 (pas du tout reconnu) à 5 (totalement reconnu), notre enquête montre que la non reconnaissance (1 et 2) diminue très significativement avec l’âge. Cela peut s’expliquer par le changement de palier professionnel et donc d’ambitions et par conséquent d’attentes lors du passage dans cette dernière tranche d’âge des Y. « On prépare à 30 ans sa carrière de 40 » comme le précisait le Professeur Peretti en 2006 à l’occasion d’une intervention à Pointe-Noire traitant des inégalités dans l’entreprise. Lorsque l’on croise les données du ressenti (adolescent/adulte) avec celle du sentiment d’appartenir à la catégorie des salariés on constate un lien fort et cohérent. Le manque d’appartenance est d’autant plus fort que le jeune se sent considéré comme un adolescent et l’inverse est encore davantage vérifié. Celui ayant un sentiment de reconnaissance fort se sent perçu comme adulte (57,9% vs 5,3%).

10Néanmoins, il nous est apparu intéressant de recenser les éléments qualitatifs qui ressortent de cette question de la considération. Dans l’ensemble des réponses, c’est une mauvaise maîtrise des technologies de l’information, un paternalisme et une volonté de prouver « qu’ils » sont les meilleurs, avec les meilleures pratiques qui sont mis en avant, ce qui n’empêche pas 92,4% des Y de considérer que les seniors les respectent. C’est sans doute ce qui explique que 59,1 « font confiance » aux seniors, 30,1% plus ou moins et 10,8 pas du tout. En croisant les données, on remarque que le respect est une base incontournable pour qu’il y ait confiance chez les Y. Cependant, 55% des Y ne souhaitent pas suivre l’exemple de leurs Anciens. Un autre reproche récurent découle de la frustration provoquée par les sollicitations sur la forme (problème d’ordre technique) plutôt que sur le fond (stratégie, décisions). Le ton employé est également intéressant. Certains Y estiment que leurs aînés, voyant en eux des jeunes de l’âge de leurs propres enfants, ont du mal à admettre que leurs progénitures « ne sont plus des bébés ». Reviennent les soucis liés à la délégation et à l’accès aux données confidentielles et stratégiques, à la mise en avant systématique de l’expérience des X et Baby boomers. Ces derniers estiment qu’ils détiennent la sagesse et le pouvoir décisionnaire. En matière de détection des talents, la majorité des réponses se situe dans les 2/3 sur 5 (62%). L’explication donnée par les personnes interrogées fait référence à la peur des générations antérieures quant à leur emploi qu’ils voient menacé par l’arrivée des plus jeunes. La créativité, l’innovation et la collecte d’informations semblent considérées comme talents et détectées. Ainsi près de 35% des talents des Y sont utilisés par les managers. La rétention d’informations par les plus anciens est incontestablement ressentie par les plus jeunes (58% de oui vs 38% de non) qui les perçoivent comme « donneurs de leçon » à 58%.

Conclusion : recommandations aux managers

11Les managers d’aujourd’hui doivent prendre conscience de la nécessité de proposer des emplois stimulants, mais surtout avec un véritable sens et des défis à relever. En matière de management, il est indispensable d’expliquer ce qui est attendu, d’accepter la contradiction et surtout de permettre une évolution sociale et un enrichissement continuel des connaissances des collaborateurs Y. Il est nécessaire de faire participer ces derniers aux diverses comités de pilotage de l’organisation, d’améliorer leur marge de man œuvre dans la prise de décision, et les féliciter pour les « petites victoires » qu’ils ont à leur actif. En matière de politique de rémunération, la question de l’ancienneté est à bannir des discours. Elle n’a aucun effet direct sur la motivation. La rémunération reliée à la contribution est un moyen de montrer au jeune Y sa valeur ajoutée dans l’entreprise. Concernant les conditions de travail, elles doivent être « personnalisées » et orientées vers la qualité de vie en veiller à un équilibre vie professionnelle/vie privée, assurer une flexibilité des horaires et créer un environnement de travail agréable et sécuritaire. Enfin, il est nécessaire de revaloriser le management de proximité car si le directeur montre la direction, le manager immédiat doit donner le sens. A l’écoute, davantage sur une mission d’accompagnateur plutôt que hiérarchique, il sera à même de créer des « moments de partage » entre les générations à l’image de Time Warner qui a mis en place une opération de « mentoring à l’envers » ou tutorat inversé. Cette dernière consiste à utiliser les compétences en multi médias des Y afin de former les Baby boomers aux réseaux sociaux, car les deux populations s’entendent plutôt bien, à l’image de ce qui se passe dans la vie privée avec la complicité qui existe entre grands-parents et petits enfants. Coordonner tout cela relève du paradoxe et le manager devra ménager ses seniors et ses X tout en veillant à fidéliser cette population volatile, très souvent diplômée et qui ne se préoccupe guère de la sécurité de l’emploi, même en situation de crise contrairement aux militaires non diplômés qui recherchaient cette sécurisation de l’emploi dans l’étude de Ramany. Avec des CV sur le net, une appartenance forte et naturelle à des réseaux sociaux [8] et un « pushing » de leurs téléphones portables, ils sont tenus informés dans l’immédiateté de l’intérêt porté par les cabinets et entreprises pour leurs talents et n’hésitent pas à se positionner comme de véritables « produits à compétences distinctives ajoutées » sur un marché qui est à leur avantage. Le rapport au temps se trouve également modifié d’une manière significative car la connexion simultanée aux différents réseaux leur permet l’ubiquité et par conséquence de mener de front plusieurs projets. L’implication du marketing dans les ressources humaines est donc devenue incontournable si l’on souhaite organiser l’intégration des générations futures facilitant la transmission des savoirs, vecteur de continuité. Mais comme l’indique régulièrement Luc Boyer, Directeur de recherche à l’université Paris Dauphine et à l’IAE de Caen, dans ses conférences sur l’innovation : « pour qu’il y ait continuité, il doit y avoir des ruptures ». La crise générationnelle que nous vivons ne doit-elle pas être vécue comme une rupture qui laisserait entrevoir un tuilage générationnel intelligent pour l’avenir ? Le vieux proverbe africain qui résume parfaitement la situation : « c’est au bout des vieilles cordes que l’on tisse les nouvelles » ? …faille-t-il encore qu’elles créent les conditions pour. Enfin, il faut également prendre conscience que la posture démagogue qui consiste à faire preuve de toujours plus de reconnaissance et d’attention peut avoir l’effet inverse à celui escompté. Flatter leur égo par crainte de les voir partir alors qu’ils représentent les talents de l’entreprise ne fera que renforcer leurs comportements de capricieux. Le management directif, même s’il peut aboutir au conflit peut permettre de les ramener à la réalité et de leur réapprendre la vie en communauté et les règles élémentaires. Le rôle éducatif de l’entreprise, au sens littéral « pousser aux limites du cadre » n’a jamais été autant d’actualité, l’enjeu est donc de mettre en place un « management de tutorat » sans pour autant se substituer aux parents qui restent paradoxalement très tardivement présents dans l’éducation des Y.

Bibliographie

Références

  • Aubrey B. (2000), L’entreprise de Soi, Flammarion.
  • Brochier C. (2001), Des jeunes corvéables. L’organisation du travail et la gestion du personnel dans un fast-food, Actes de la recherche en sciences sociales, p. 73-80
  • Excousseau J.-L. (2000), La mozaïque des générations, Editions d’Organisation.
  • Heath R. (2006), Please just F* off, It’s Our Turn Now, holding baby boomers to account, Pluto Press
  • Marbot E. (2007), La gestion des âges et l’équité entre les générations, La Documentation française Vol. 51
  • Pleux D. (2012), De l’adulte roi à l’adulte Tyran, Odile Jacob
  • Pouget J. (2010). Intégrer et manager la génération Y, Vuibert
  • Pralong J. (2010), L’image du travail selon la génération Y, Editions ESKA, Vol. XVII
  • Ramany V. (2008), Etude sur le recrutement local des engagés volontaires. Armée française, Service des essences des armées, SGA
  • Riant J.-P. (2010), Modélisation des attentes d’une relation de subordination ou d’échange par le Contrat Psychologique, in Cahier Management et régulation, le rôle dans l’entreprise coordonné par Yvon Pesqueux et Richard Delaye, Management & Avenir, vol. 32, p.210
  • Stellinger A., Wintrebert R. (2008), Les jeunes face à leur avenir, une enquête internationale Fondation pour l’innovation politique, Fondation pour l’innovation politique, Kairos Future. Trotereau A. (2008), Quelles innovations pour recruter et manager la Gen Y ? Business Digest, Vol. 184, p. 2-4
  • Tulgan B., Martin C. A. (2001), Managing Generation Y : Global Citizens Born in the Late Seventies and Early, HRD PRESS

Notes

  • [1]
    Professeur, LARA/PROPEDIA/IGS, 3S-CIMEOS - rdelaye@groupe-igs.fr
  • [2]
    EU Youth Report de 2009 (rapport de l’Union Européenne sur la jeunesse)
  • [3]
    3,28 pour les français versus 5,47 pour les chinois sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord)
  • [4]
    Cette étude porte sur un échantillon de 850 jeunes âgés de 17 à 23 ans non bacheliers. Ceci n’est donc pas une représentation de l’intégralité des tendances observées dans les forces armées françaises.
  • [5]
    Un lip dub est une vidéo réalisée en playback et en plan-séquence par des collaborateurs au sein d’une organisation et généralement destinée à une diffusion sur Internet ou autres réseaux
  • [6]
  • [7]
    Entre 22 et 25 ans, 32,3% de réponses entre 1 et 2, entre 26/28 ans, 22,5% et 16,7% pour les 29/32 ans
  • [8]
    Une enquête IFOP (2010) montrait que 96% des jeunes Y étaient membre au moins d’un réseau social
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