Notes
- [1]
-
[2]
Pour une étude tout à fait illustrative, voyez : J. Patrick, « Canadian Blasphemy Law in Context : Press, Legislative, and Public Reactions », Annual Survey of International & Comparative Law, vol. 16, 2010, n° 1, p. 129-163
-
[3]
Wissenschaftsrat, Perspektiven der Rechtswissenschaft in Deutschland. Situation, Analysen, Empfehlungen, 2012, ISBN 978-3-935353-65-6
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[4]
Ibid., p. 57
- [5]
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[6]
Une publication souvent citée pour expliquer cette démarche typiquement contextuelle de l’ethnographe, est le chapitre intitulé « Thick Description : Towards an Interpretive Theory of Culture », dans l’ouvrage de l’anthropologue américain Clifford Geertz : C. Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973. En anthropologie sociale et culturelle, « Thick description» est devenu depuis synonyme de l’approche ethnographique d’une culture, tant comme ordre de faits, que comme conception intellectuelle et scientifique.
-
[7]
Voy. notamment, L. Nader (ed), Law in Culture and Society, Berkeley, University of California Press, 1997 (1969). Plus récemment : G. Hesseling, M. Djire, B. Oomen (eds), Le droit en Afrique. Expériences locales et droit étatique au Mali, Paris/Leiden, Karthala/Afrika-Studiecentrum, 2005.
-
[8]
S. Roberts, « Do we need an Anthropology of Law? », Royal Anthropological Institute News, vol. 25, 1978, p. 4-7.
-
[9]
Pour une étude, devenue classique depuis, qui illustre cette observation, voy. : M. Gluckman, The Judicial Process among the Barotse of Northern Rhodesia, Manchester UP, 1955 ; plus récemment, pour une illustration d’un genre très différent qui traite des modes de référence à l’Islam dans la pratique constitutionnelle égyptienne : B. Dupret, Au nom de quel droit, Paris, L.G.D.J., 2000.
-
[10]
J. Vanderlinden, Anthropologie juridique, Paris, Dalloz, 1996, p. 26.
-
[11]
R. Lafargue, « Juges de la coutume », in Ethnologie juridique. Autour de trois exercices, G. Nicolau, G. Pignarre, R. Lafargue (dir.), Paris, Dalloz, 2007, p. 233-341.
-
[12]
A propos de l’identification des droits de l’homme, voy. notamment : R.A. Wilson (ed.), Human Rights, Culture & Context. Anthropological Perspectives, London, Pluto Press, 1997.
-
[13]
L. Assier-Andrieu, « Le juridique des anthropologues», Droit et Société, n° 5, 1987, p. 91-110.
-
[14]
Voy. notamment: J.M. Conley et W.M. O’Barr, « Legal Anthropology Comes Home: A Brief History of the Ethnographic Study of Law», Loyola Law Review (n° à thème: “Reweaving the Seamless Web: Interdisciplinary Perspectives on the Law”), vol. 27, 1993, n° 1, p. 41-64.
-
[15]
L. Rosen, Law as Culture : An Invitation, Princeton UP, 2008.
-
[16]
Une très belle illustration de ce constat reste, en dépit des années qui ont passé depuis, l’ouvrage de B. Botiveau, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Paris, Karthala, 1993 ; voy. également : Ch. De Lespinay (ed.), Anthropologie et droit: intersections et confrontations, Paris, Karthala, 2004.
-
[17]
D. Nelken, Beyond Law in Context : Developing a Sociological Understanding of Law, Burlington/Vermont, Ashgate Press, 2009, xii.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid., xvii-xviii.
-
[20]
Ibid., xiii.
Introduction
1La revue prend un nouveau départ. Elle le fait notamment à travers l’ajout du sous-titre « Droit en contexte ». Dans son invitation à contribuer à ce premier numéro dans sa forme renouvelée, le rédacteur en chef nous écrivait que, ce faisant, une des ambitions du comité de rédaction était de « (...) rendre la ligne éditoriale plus parlante pour des juristes qui ne sont pas rompus à la théorie du droit ».
2Est-ce le bon pari ? C’est la question qui nous occupera ici, dans cette brève contribution. Nous proposons trois voies à notre réflexion. La première consiste à souligner les différents motifs qui plaident en faveur de l’ajout de la notion de droit en contexte. Le deuxième cheminement va plus loin et est, par la même occasion, plus critique, en observant que le nouveau sous-titre risque de n’ajouter qu’une répétition à ce qui est déjà énoncé par le titre principal de la revue qui lui, heureusement, est maintenu. On pourrait en quelque sorte craindre un pléonasme. Enfin, notre troisième réflexion se résume à un avertissement: il ne faudra pas que le changement du titre de la revue ne fasse perdre à celle-ci son identité distinctive dans le monde des revues juridiques. Ces trois réflexions sont complémentaires.
L’émergence de la notion « Droit en contexte »
3En décidant de renouveler la politique éditoriale de la RIEJ par l’adoption d’un sous-titre qui met la réflexion dans le domaine de la théorie du droit désormais plus explicitement en lien avec l’ensemble des circonstances dans lesquelles s’insère le phénomène juridique pris au sens large, la revue s’aligne sur une approche qui est aujourd’hui déjà très largement répandue dans le monde anglophone. Il est effectivement frappant de constater que, depuis le milieu des années septante du siècle précédent, une littérature en croissance exponentielle adopte, tantôt le titre, tantôt le sous-titre « law in context ». La Trobe Law School en Australie publie depuis de nombreuses années la revue « Law in Context. A socio-legal journal». Plus proche de nous, en Grande-Bretagne, on pense très spontanément au « International Journal of Law in Context » qui est une initiative du très prolifique Michael Freeman. Aux Pays-Bas, la revue « Recht der Werkelijkheid » travaille dans la même veine. Dans la catégorie des collections, Cambridge University Press assurait depuis son lancement dans les années 1970 la parution de plusieurs dizaines de volumes dans la série « Law in Context ». Cette collection cherche à être un canal pour la publication d’ouvrages qui, de l’avis des directeurs de celle-ci, « (…) treat law and legal phenomena critically in their social, political and economic contexts from a variety of perspectives. (…) A contextual approach involves treating legal subjects broadly, using materials from other social sciences, and from any other discipline that helps to explain the operation in practice of the subject under discussion. » [1] L’ambition est d’appréhender de la manière la plus globale possible le(s) droit(s) étudié(s), en prenant pour champ d’investigation également les pratiques concrètes, les usages et l’histoire plus ou moins longue dont ils sont issus et, plus généralement, la culture comme celle-ci est vécue par ceux qui s’en réclament. Le droit s’inscrirait donc d’abord dans le contexte d’une société déterminée, ces sociétés pouvant parfaitement être des structures non étatiques.
4Les ouvertures qu’offre pareille conception de l’étude du droit sont pour ainsi dire sans limites. On prendra pour preuve les innombrables sujets qui ont ainsi déjà été traités à travers le prisme de la notion de droit en contexte et qui alimentent la production de revues et de séries ayant pris pour étendard l’approche contextuelle du droit. Les initiatives susmentionnées connaissent un succès éditorial indéniable. Leurs comités de rédaction réussissent à confectionner, à intervalles très réguliers, des numéros qui, chacun à sa façon et dans des environnements les plus divers, cherchent à mettre le droit en contexte. Des centaines de numéros à thème (special issues) ont ainsi été produits ces dernières années qui, tous, offrent la démonstration des enseignements qu’il est permis de tirer à propos d’une approche du droit et contexte, c.à.d. qui met celui-ci en lien avec certains changements sociaux, induits par la règle de droit en vigueur ou au contraire, dont celle-ci est l’effet. Qu’il s’agisse du droit de l’environnement, des droits des femmes, de la protection des droits de l’enfant, de pratiques professionnelles particulières, de mécanismes de règlements de conflits de tous genres, du crime et de sa sanction, ou de tant d’autres sujets traitant de formes de pouvoir/contrôle social, tous se prêtent parfaitement à une approche contextuelle [2]. Celle-ci cherche à apporter le plus de clarté possible sur les ressources, les conduites, les logiques, les processus, les enjeux, les ordres sociaux, etc. qui accompagnent l’élaboration, le maintien ou au contraire, la remise en question de normes et de règles de conduite.
5On voit aussitôt toute l’importance que peut avoir une telle approche pour une meilleure compréhension du phénomène juridique et, de ce fait, également pour la formation de jeunes juristes qui se préparent à exercer la profession de praticiens du droit : elle leur permet de passer de la simple connaissance et description des règles, au niveau de la compréhension au sens large, de l’explication, de la relativisation aussi, et éventuellement, de la théorie du droit. Plusieurs facultés de droit de par le monde mettent aujourd’hui l’approche contextuelle au programme de la formation de leurs étudiants au motif que dans notre monde en pleine mouvance, les sociétés ne ressemblent plus, même de très près, à celles constituées par les États et que de ce fait, les juristes sont tenus de s’intéresser également à d’autres logiques normatives (infra- ou para-étatiques) qui tiennent le contrôle et à apprendre leur fonctionnement. En Allemagne, le conseil scientifique (Wissenschaftsrat) publiait, fin 2012, un rapport qui passe au crible la formation des juristes dans les universités allemandes [3]. Le rapport identifie plusieurs points épineux de la formation. Pour éviter que les juristes allemands ne continuent à construire trop étroitement leur image de la réalité au départ d’une formation qui reste presque exclusivement ancrée dans les textes, les auteurs du rapport plaident notamment en faveur de l’approche contextuelle comme partie intégrante du curriculum : « Die Fakultäten sollten für eine breit angelegte und umfassend verstandene “Juristische” entwickleln, mit denen die Vermittlung von Kontext- und Grundlagenwissen systematisch gestärkt, die Methodenkompetenz zur Erfassung von strukturellen uns systemischen Zusammenhängen gefördert und zum Ausgleich das Studium von Detailwissen entlastet wird ». [4] On notera toutefois que l’analyse contextuelle et l’étude des fondements du droit sont mentionnées conjointement.
6Toujours en Allemagne, le prestigieux Wissenschaftskolleg zu Berlin permettait en 2009 que soit lancée sous son égide une nouvelle initiative à laquelle fut donné le nom « Berlin Research Network Recht im Kontext ». Le réseau est particulièrement dynamique, offrant des bourses de recherche, des programmes de formation, une école d’été etc. Il suffit de visiter leur site pour s’en rendre compte. [5]
7La liste que nous établissons ici des initiatives qui se réclament aujourd’hui de l’approche contextuelle du droit, n’est bien évidemment pas exhaustive. Mais elle peut suffire pour illustrer que cette approche, depuis quelques années déjà, a le vent en poupe. Son succès commence également à être perceptible en Europe, même s’il est de date plus récente. Le choix d’un nouveau titre pour la RIEJ s’inscrit donc dans la mouvance d’une approche du droit qui l’apparente à ce qui se fait déjà ailleurs, et la rendra ainsi plus aisément reconnaissable aux yeux de ceux qui connaissent, voire pratiquent déjà cette approche dans leur analyse du phénomène juridique.
Le risque de pléonasme
8Notre seconde réflexion est plus critique, elle prend son départ dans l’anthropologie sociale et culturelle et sa conception particulière du droit dont nous nous faisons ici le porte-parole. L’anthropologue qui s’intéresse au droit adopte, pour ainsi dire nécessairement, une approche qui est contextuelle. L’expérience de terrain qui caractérise l’étude ethnographique de la vie des sociétés conduit l’anthropologue à se focaliser davantage sur la réalité et, avec elle, le détail des relations sociales qu’au travail d’abstraction de la règle qui joue en arrière-fond de ceux-ci. [6] Le raisonnement est en quelque sorte à l’inverse de celui du juriste qui privilégie la norme par rapport au processus.
9Au départ d’une expérience de terrain et d’une approche qui cherche à appréhender au plus près le droit de la société qu’il étudie ainsi que les raisonnements (les discours) qui l’accompagnent, le champ d’investigation privilégié de l’anthropologue est dans un premier temps, très naturellement, le contexte des comportements. [7] L’ethnographe propose habituellement une analyse très dynamique des rapports sociaux - dans leur contexte - sans se concentrer, a priori, sur l’existence d’une règle particulière. La règle, si elle existe, s’efface au second plan derrière les comportements, souvent complexes, et derrière un nombre invraisemblable de facteurs qui, chacun à sa manière, permettent d’expliquer un comportement ou un raisonnement et qui sont pour la plupart, étroitement liés au contexte. [8] L’anthropologue, très souvent, est amené à constater que le contenu d’une règle n’est pas constant, mais dépend dans une très large mesure, des circonstances concrètes. [9] Jacques Vanderlinden illustre fort bien cette fluidité de la règle et sa façon caractéristique d’être, dans une très large mesure, conditionnée par le contexte, dans son petit ouvrage intitulé Anthropologie juridique: « Lorsque, dans le pays zande, j’ai posé, pour la première fois une question tendant à établir l’ordre des successibles d’un défunt, la réponse fut (…) : [cela dépend]. L’essentiel n’était en effet pas d’avoir des règles en matière successorale, mais bien d’assurer le plus utilement possible, en fonction d’une multitude de paramètres divers, la transmission des pouvoirs du défunt, à la fois sur un patrimoine et sur un lignage, à la personne la mieux indiquée à cette fin » [10].
10Le juriste habitué à penser la réalité au départ d’une règle préexistante, ne manquera pas d’être frappé, à la lecture d’études ethnographiques, du rôle réduit de la règle en tant que source de droit [11]. La littérature ethnographique à propos du droit risque de ce fait d’ébranler ses certitudes à propos de l’identification du proprement juridique [12]. L’anthropologue fut longtemps identifié à l’étude des coutumes [13], ce qui est en quelque sorte correct, à la condition que l’on s’entende sur le sens de la notion de coutume. La coutume fut effectivement durant très longtemps un thème dominant des études ethnographiques du droit. Elle assure la cohésion sociale dans les sociétés qui distinguent moins clairement la loi, la jurisprudence et la doctrine que ne le font les sociétés dites modernes, et donnent préséance à la résolution des conflits sur le maintien de la règle préétablie. C’est le tissu social qui est en jeu et doit être préservé. Les auteurs anglophones utilisent à ce propos volontiers l’expression de « seamless web », qui appelle l’image du tissu sans coutures [14] : une société de droit se maintient en veillant à ce que ne se produisent pas de déchirures qui mettraient en péril l’existence même du groupe. La conception que ces sociétés se font de la règle est donc fondamentalement celle d’une norme dont l’application est conditionnée moins par son contenu que par le contexte de son application. L’anthropologue du droit américain, Lawrence Rosen, a consacré de superbes pages à cette conception particulière du droit, en s’efforçant d’expliquer à son lecteur (anglophone) que notre conception occidentale du droit, fixée sur la règle et le précédent, serait plutôt l’exception lorsque l’on met en comparaison les différentes cultures juridiques de par le monde et leur façon de voir le rôle de la règle dans la façon dont se maintient un système juridique [15].
11En somme, ce que nous voulons souligner ici, c’est que pour les anthropologues du droit qui se comptent parmi les lecteurs de la RIEJ l’ajout du sous-titre « droit en contexte » sera très probablement interprété comme un pléonasme : pour eux, il n’y a pas de droit sans contexte. Ou pour le dire encore plus fortement, c’est le contexte qui détermine le droit [16].
Un avertissement : attention aux cures de jouvence qui rétrécissent le champ de vue !
12Notre troisième réflexion contient un avertissement. Il ne faudrait pas qu’une revue comme le RIEJ qui a su se forger une impressionnante réputation internationale dans le domaine de la théorie du droit et qui, par son titre initial déjà (Revue interdisciplinaire d’études juridiques) affichait une très large ouverture à la collaboration avec d’autres branches de connaissance qui concernent le droit, n’induise son lecteur en erreur.
13Le sous-titre pourrait effectivement être trompeur en faisant croire que désormais, c’est l’approche contextuelle du droit qui jouira de la préséance. Certains auteurs mettent en garde contre ce qu’ils appellent les « contextualizers ». [17] David Nelken, comparatiste et théoricien du droit qui, par ailleurs fut lui-même un des promoteurs de l’approche contextuelle et publiait en son temps divers articles dans notamment la revue « Journal of Law and Society », s’est récemment montré plus réticent. Il consacra aux motifs de sa réticence plusieurs chapitres dans un ouvrage intitulé « Beyond Law in Context ». [18] Il justifie le choix du titre de son ouvrage de la manière suivante : « The reason for calling this volume “Beyond the Law in Context” is thus to draw attention to the need to interrogate the broader foundational presuppositions of (…) the law in context approach. (…) What is gained (and what may be lost) by putting law in context ? What attempts have been made beyond this approach ? What are their (necessary) limits ? Can law be seen as anything other than in some way both separate from and related to “the social” ? What else could it be related to ? (…) each attempt to contextualize law or to approach it from some sort of external perspective is itself in need of contextualization » [19].
14En somme, pour Nelken, l’erreur serait de s’arrêter à l’approche contextuelle du droit. Il est évident qu’en optant pour une revue qui, à l’avenir, propose de s’intéresser davantage à la science de la règle telle qu’admise dans ses applications au quotidien et dans les sociétés les plus diverses, les responsables de la RIEJ n’ont pas eu pour but d’enfermer la revue dans une approche contextuelle du droit. Le succès indéniable de l’approche contextuelle s’explique probablement du fait qu’elle permet de faire voir les limites d’une approche exclusivement positiviste du droit et offre, par contraste, une analyse plus dynamique, plus empirique aussi de l’ingénierie juridique prise au sens large du terme, sans se limiter aux droits produits ou contrôlés par l’État. Mais il faut également admettre que, depuis quelques années, elle se renouvelle encore très peu. Nelken a donc raison de mettre en garde contre l’idée qui consisterait à présenter l’analyse contextuelle comme une analyse qui pourrait remplacer (le rôle de) la théorie du droit : « The originators of the law in context approach were deliberately light on theory and claimed not to be making rigid prescriptions about what could be meant by the term » [20]. Le propos est clair, on mesure le risque de la réduction. Dans le cas de la RIEJ, il faut espérer que le renouvellement par la voie d’un ajout de sous-titre ne vienne pas rétrécir le champ de vue.
En guise de conclusion
15Il nous fut demandé de contribuer à un numéro à thème qui consisterait en des regards croisés sur la notion de « droit en contexte ».
16Notre plus vif souhait est que la RIEJ, en faisant « peau neuve », puisse rester le périodique incontournable pour tout un chacun qui, maîtrisant la langue française, s’intéresse à la théorie du droit en incluant plus généralement les approches interdisciplinaires de l’étude du phénomène juridique au sens large.
17A travers les trois réflexions ci-dessus développées, nous ne cherchons nullement à jeter l’ombre sur le nouveau chapitre que la revue entame, au contraire, nous adhérons avec grand enthousiasme à son projet de renouvellement. Mais c’est parce que nous voulons à tout prix que réussisse la nouvelle ligne éditoriale de la revue que nous nous sentons en droit d’exprimer également quelques craintes. En bref, ces craintes se limitent au nombre de deux. La première est la moindre, elle se rapporte à la lecture que feront notamment les anthropologues du nouveau sous-titre : celui-ci, à leurs yeux, ne fera que confirmer le rôle d’une revue juridique qui se veut interdisciplinaire. Il est prévisible que les sociologues feront la même lecture – quelque peu cynique – du nouveau sous-titre. L’autre crainte est probablement plus substantielle : il ne faudrait pas que le choix du nouveau sous-titre fasse conclure à certains que la RIEJ, en adoptant le sous-titre « Droit en contexte », cherche à devenir un canal de publication pour un type d’analyse qui, dans la littérature anglophone, a affiché très clairement dès le départ, comme le rappelle Nelken, son intention de se distancier de la théorie. Il faut à tout prix veiller à ce que la RIEJ reste un forum sans équivalent pour la théorie du droit dans le monde des revues juridiques francophones.
Notes
- [1]
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[2]
Pour une étude tout à fait illustrative, voyez : J. Patrick, « Canadian Blasphemy Law in Context : Press, Legislative, and Public Reactions », Annual Survey of International & Comparative Law, vol. 16, 2010, n° 1, p. 129-163
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[3]
Wissenschaftsrat, Perspektiven der Rechtswissenschaft in Deutschland. Situation, Analysen, Empfehlungen, 2012, ISBN 978-3-935353-65-6
-
[4]
Ibid., p. 57
- [5]
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[6]
Une publication souvent citée pour expliquer cette démarche typiquement contextuelle de l’ethnographe, est le chapitre intitulé « Thick Description : Towards an Interpretive Theory of Culture », dans l’ouvrage de l’anthropologue américain Clifford Geertz : C. Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973. En anthropologie sociale et culturelle, « Thick description» est devenu depuis synonyme de l’approche ethnographique d’une culture, tant comme ordre de faits, que comme conception intellectuelle et scientifique.
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[7]
Voy. notamment, L. Nader (ed), Law in Culture and Society, Berkeley, University of California Press, 1997 (1969). Plus récemment : G. Hesseling, M. Djire, B. Oomen (eds), Le droit en Afrique. Expériences locales et droit étatique au Mali, Paris/Leiden, Karthala/Afrika-Studiecentrum, 2005.
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[8]
S. Roberts, « Do we need an Anthropology of Law? », Royal Anthropological Institute News, vol. 25, 1978, p. 4-7.
-
[9]
Pour une étude, devenue classique depuis, qui illustre cette observation, voy. : M. Gluckman, The Judicial Process among the Barotse of Northern Rhodesia, Manchester UP, 1955 ; plus récemment, pour une illustration d’un genre très différent qui traite des modes de référence à l’Islam dans la pratique constitutionnelle égyptienne : B. Dupret, Au nom de quel droit, Paris, L.G.D.J., 2000.
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[10]
J. Vanderlinden, Anthropologie juridique, Paris, Dalloz, 1996, p. 26.
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[11]
R. Lafargue, « Juges de la coutume », in Ethnologie juridique. Autour de trois exercices, G. Nicolau, G. Pignarre, R. Lafargue (dir.), Paris, Dalloz, 2007, p. 233-341.
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[12]
A propos de l’identification des droits de l’homme, voy. notamment : R.A. Wilson (ed.), Human Rights, Culture & Context. Anthropological Perspectives, London, Pluto Press, 1997.
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[13]
L. Assier-Andrieu, « Le juridique des anthropologues», Droit et Société, n° 5, 1987, p. 91-110.
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[14]
Voy. notamment: J.M. Conley et W.M. O’Barr, « Legal Anthropology Comes Home: A Brief History of the Ethnographic Study of Law», Loyola Law Review (n° à thème: “Reweaving the Seamless Web: Interdisciplinary Perspectives on the Law”), vol. 27, 1993, n° 1, p. 41-64.
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[15]
L. Rosen, Law as Culture : An Invitation, Princeton UP, 2008.
-
[16]
Une très belle illustration de ce constat reste, en dépit des années qui ont passé depuis, l’ouvrage de B. Botiveau, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Paris, Karthala, 1993 ; voy. également : Ch. De Lespinay (ed.), Anthropologie et droit: intersections et confrontations, Paris, Karthala, 2004.
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[17]
D. Nelken, Beyond Law in Context : Developing a Sociological Understanding of Law, Burlington/Vermont, Ashgate Press, 2009, xii.
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[18]
Ibid.
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[19]
Ibid., xvii-xviii.
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[20]
Ibid., xiii.