Couverture de RIEJ_055

Article de revue

À la recherche des formes du droit : de la pyramide au réseau !

Pages 91 à 115

Notes

  • [1]
    Ce texte constitue une version légèrement modifiée et augmentée de l’exposé prononcé lors de la journée d’études organisée aux Facultés universitaires Saint-Louis le 9 novembre 2005 sur le thème : « De la pyramide et réseau : fécondité d’une hypothèse ? ».
  • [2]
    F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002. Notons qu’une partie des réflexions des auteurs avait déjà fait l’objet d’une publication sous la forme d’un article intitulé « De la pyramide au réseau. Vers un nouveau mode de production du droit ? », in R.I.E.J., 2000.44, p. 1 et s.
  • [3]
    Cf., entre autres, les nombreux travaux de M. Delmas-Marty, parmi lesquels différentes contributions publiées dans Mireille Delmas-Marty et les années UMR, Paris, Société de Législation Comparée, 2005 ; cf. aussi, de manière plus critique, P. Moor, Pour une théorie micropolitique du droit, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 2005.
  • [4]
    Cf. F. Tulkens, J. Callewaert, « Le point de vue de la Cour européenne des droits de l’homme », in J-Y. Carlier, O. De Schutter (sous la dir. de), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 219-240.
  • [5]
    Cf. J.-Y. Carlier, « La garantie des droits fondamentaux en Europe : pour le respect des compétences concurrentes de Luxembourg et de Strasbourg », in Revue québécoise de droit international, 2000, n° 13.1, p. 37-61.
  • [6]
    Pour une analyse plus approfondie de l’histoire de la loi de compétence universelle à travers l’hypothèse d’un changement de paradigme dans le droit, cf. A.Bailleux, La compétence universelle au carrefour de la pyramide et du réseau, Bruxelles, Bruylant, 2005.
  • [7]
    La loi dite « de compétence universelle » est en réalité la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des infractions graves aux Conventions internationales de Genève du 12 août 1949 et aux Protocoles I et II du 8 juin 1977 additionnels à ces Conventions (M.B., 5 août 1993). Elle fut modifiée par la loi du 10 février 1999 (M.B., 23 mars 1999) relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et par la loi du 23 avril 2003 (M.B., 7 mai 2003) modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et l’article 144ter du Code judiciaire. L’expression « loi de compétence universelle » n’est pas très rigoureuse car le droit belge consacre également la compétence universelle dans d’autres situations que celles visées par ladite loi. En outre, la loi de 1993 telle que modifiée en 1999 établit un régime général de répression des crimes de droit international humanitaire, dont l’établissement de la compétence universelle ne constitue qu’un aspect. Néanmoins, des raisons évidentes de lisibilité et la faveur accordée par l’opinion publique à cette expression nous conduisent à l’utiliser à notre tour.
  • [8]
    Abrogation opérée par la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, in M.B., 7 août 2003.
  • [9]
    Cf. notamment H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. trad. Ch. Eisenmann, 2e éd., Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., p. 336, à propos de « l’indétermination intentionnelle de l’acte d’application du droit ».
  • [10]
    C.I.J., 14 février 2002, disponible à l’adresse : http://www.icjcij.org/cij-www/cdocket/cOBE/ccobejudgment/ccobe_cjudgment_20020214.PDF ; pour un commentaire de l’arrêt, cf. J. d’Aspremont Lynden, F. Dopagne, « La loi de compétence universelle devant la Cour internationale de justice », note sous C.I.J., 14 février 2002, in J.T., 2002, p. 284-287 ; cf. également les commentaires recueillis dans la R.B.D.I, 2002, p. 469-559.
  • [11]
    On considère généralement que ces observations valent a fortiori pour les chefs d’État et de gouvernement. La question est plus controversée à l’égard des autres membres du gouvernement.
  • [12]
    Bruxelles, 16 avril 2002, in J.L.M.B., 2002, p. 918 ; Bruxelles, 26 juin 2002, in J.T., 2002, p. 539-543.
  • [13]
    La première, interprétative, est la proposition Destexhe et csrts, in doc.parl., Sénat, 18 juillet 2002, n°2-1255/1. La seconde, modificative, est la proposition Mahoux et csrts, in doc. parl., Sénat, 18 juillet 2002, n°2-1256/1.
  • [14]
    La Cour donna en effet de l’article 5 §3 de la loi une interprétation manifestement contraire à sa lettre et à son esprit. Elle considéra ainsi que, loin d’exclure le bénéfice de toute immunité aux dirigeants étrangers, cette disposition avait en réalité pour objet de rappeler que la qualité officielle d’une personne n’entraînait pas son irresponsabilité pénale. Une affirmation sur laquelle tout le monde s’accorde depuis bien longtemps et qui se trouve au fondement même du droit international pénal…
  • [15]
    Cass., 12 février 2003, in J.L.M.B., 2003, p. 368 et s.
  • [16]
    C.A., 23 mars 2005. Arrêt n°62/2005 disponible sur le site www.arbitrage.be.
  • [17]
    C.A., 13 avril 2005. Arrêt n°68/2005 disponible sur le site www.arbitrage.be.
  • [18]
    Cass., 29 juin 2005, disponible sur le site www.juridat.be.
  • [19]
    Slaats et autres c. Belgique, requête n° 38379/03. Cette requête a été déclarée irrecevable par une décision de comité du 25 février 2005.
  • [20]
    Certains commentateurs considèrent qu’aux yeux des États membres, l’insertion d’un catalogue des droits fondamentaux dans le texte des Traités aurait eu pour effet de subvertir le principe d’attribution des compétences en étendant les pouvoirs de la Communauté jusqu’aux limites tracées par ces droits. Ces résistances souverainistes pourraient ainsi expliquer le silence du Traité à cet égard. Cf. e.a. J. Weiler, « Methods of Protection : Towards a Second and Third Generation of Protection », in A. Cassese, A. Clapham, J. Weiler (eds), European Union : The Human Rights Challenge, Baden-Baden, Nomos, 1991, p. 574 ; du même auteur, « Eurocracy and Distrust : Some Questions Concerning the Role of the European Court of Justice in the Protection of Fundamental Human Rights Within the Legal Order of the European Communities », in Washington Law Review, 1986, p. 1112 ; F. Mancini, « Safeguarding Human Rights : The Role of the European Court of Justice », in F. Mancini, Democracy and Constitutionalism in the European Union - Collected Essays, Oxford - Portland Oregon, Hart, 2000, p. 82. Cette crainte est, semble-t-il, réapparue au moment de la rédaction de la Charte : cf. P. Biglino Campos, « Derechos fundamentales y competencias de la Union : El argumento de Hamilton », in Revista de derecho comunitario, 2003, n°14, p. 45-67.
  • [21]
    Selon certains, suite aux échecs successifs de la Communauté européenne de défense et de la Communauté politique européenne - dont les textes fondateurs contenaient des références explicites aux droits fondamentaux -, les rédacteurs du Traité de Rome ont pu considérer qu’il n’était pas possible d’obtenir un consensus dans des matières qui dépassaient le cadre purement économique. Cf. e.a. M. Dauses, « The Protection of Fundamental Rights in the Community Legal Order », in E.L.Rev., 1985, p. 399 ; P. Pescatore, « The Context and Significance of Fundamental Rights in the Law of the European Communities », in Human Rights Law Journal, 1981, p. 296.
  • [22]
    La majorité de la doctrine estime que c’est sans doute parce qu’ils ne voyaient pas en quoi le droit communautaire - alors limité au domaine économique - aurait pu porter atteinte aux droits fondamentaux que les États ont jugé inutile d’introduire un régime de protection de ces derniers dans les Traités. Cf. e.a. G. Cohen-Jonathan, « Les droits de l’homme dans les Communautés européennes », in Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, p. 399-400 ; J-P. Puissochet, « La Cour de Justice et les principes généraux de droit », in X, La protection juridictionnelle des droits dans le système communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 2 ; C. Schneider, « En marge de l’anthropologie juridique. Brèves réflexions sur la dialectique de l’ordre et du désordre pour une histoire des droits fondamentaux dans le système communautaire », in Au carrefour des droits - Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2002, p. 637. Par ailleurs, à une époque où la primauté du droit communautaire n’était pas à l’ordre du jour, la présence de catalogues de droits fondamentaux dans les ordres juridiques nationaux pouvait paraître offrir une garantie suffisante aux citoyens des États membres contre les actes des institutions : cf. mutatis mutandis H. Rasmussen, On law and Policy in the European Court of Justice, Dordrecht-Boston-Lancaster, Martinus Nijhof, 1986, p. 391-392 ;
  • [23]
    Cf. 1/58 Friedrich Stork & Cie contre Haute Autorité, 4 février 1959, in Rec., 1959, p. 43 ; 36, 37, 38 & 40/59, Geitling et autres c. Haute Autorité, 15 juillet 1960, in Rec., 1960, p. 857 ; 40/64, Sgarlata et autres c. Commission, 1er avril 1965, in Rec., 1965, p. 279.
  • [24]
    Du côté allemand, BVerfGE, 2e Ch., 29 mai 1974 (arrêt Solange I). Pour une traduction française, cf. Rev. trim. dr. eur., 1975, p. 316-333 et note M. Fromont, p. 333-336 ; cf. également les observations de G. Cohen-Jonathan, « Cour constitutionnelle allemande et règlements communautaires », in Cah. dr. eur., 1975, р. 173-206. Du côté italien, Cour constitutionnelle italienne, Frontini c. Ministerio delle Finanze, déc. n° 183, 27 décembre 1973. Pour une traduction française, cf. Rev. trim. dr. eur., 1974, p. 148-153 et note S. Neri, p. 154-159. Notons que, préalablement à ces décisions, la Cour avait déjà élevé les droits fondamentaux au rang de principes généraux du droit communautaire. Cette reconnaissance formelle n’avait toutefois eu aucune influence sur l’issue des litiges : cf. 29/69 Erich Stauder с. Ville d’Ulm – Sozialamt, 12 novembre 1969, in Rec., 1969, p. 419 ; 11/70 Internationale Handelsgesellschaft mbH c. Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel et 27/70 Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel c. Köster, 17 décembre 1970, in Rec., 1970, p. 1125 ; 4/73 J. Nold, Kohlen- und BaustoffgroBhandlung c. Commission des Communautés européennes, 14 mai 1974, in Rec., 1974, p. 491.
  • [25]
    Cf. notamment F. Ost, M. van de Kerchove, op. cit., p. 352-371.
  • [26]
    Sur cette question, cf. H. Kelsen, Théorie générale des normes, coll. Léviathan, PUF, ch. 28, p. 151-160, où Kelsen discute la "théorie de la transformation" de Josef Esser.
  • [27]
    P. Timsit, Les noms de la loi, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1991, passim.
  • [28]
    C-36/02 Omega Spielhallen- und Automatenaufstellung GmbH c. Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn, 14 octobre 2004, in Rec., 2004, p. I-6911.
  • [29]
    Pour mieux comprendre la cohérence propre au raisonnement de la Cour, d’une part, et à la théorie kelsénienne, d’autre part, on peut se risquer à représenter les logiques qui les sous-tendent sous la forme de syllogismes dont les prémisses sont partiellement distinctes. Le syllogisme de Kelsen se formulerait comme suit : 1) Il existe de multiples ordres de valeur ou "systèmes moraux". 2) Or, le droit revêt un contenu uniforme et/ou s’applique de manière uniforme. 3) Donc, la validité du droit ne peut être contrôlée à l’aune de la morale. Le syllogisme qui sous-tend le raisonnement de la Cour se formulerait en revanche comme suit : 1) Il existe de multiples ordres de valeur ou "systèmes moraux". 2) Or, une mesure étatique visant à protéger les convictions morales de la communauté nationale peut déroger au droit communautaire (soit sur base de l’article 30 TCE, soit sur base de la jurisprudence "Cassis de Dijon" et des "raisons impérieuses d’intérêt général"). 3) Donc, le droit communautaire revêt un contenu variable et/ou s’applique de manière variable selon les destinataires.
  • [30]
    On songe ici au droit communautaire, dont le champ d’application se voit limité par une norme nationale traduisant des convictions morales.
  • [31]
    On songe ici à la norme nationale, dont la "moralité" qu’elle traduit conditionne la validité au regard du droit communautaire.
  • [32]
    On songe ici à la notion d’ordre public et à celle de dignité humaine, dont la signification n’apparaît qu’à la lumière des convictions morales de la communauté qui les invoque.
  • [33]
    C-368/95 Familiapress GmbH c. Heinrich Bauer Verlag, 26 juin 1997, in Rec., 1997, p. I-3689 ; C-112/00 Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge c Republik Österreich, 12 juin 2003, in Rec., 2003, p. I-5659.
  • [34]
    C-415/93 Union royale belge de sociétés de football association e.a. c. Bosman e.a., 15 décembre 1995, in Rec., 1995, p. I-4921.
  • [35]
    C-36/02 Omega Spielhallen…, loc. cit., p. I-6911.
  • [36]
    Cf. par exemple C-368/95 Familiapress GmbH…, loc. cit., p. I-3689 ; C-288/89 Stichting Collectieve Antennevoorziening Gouda et autres c. Commissariaat voor de Media, 25 juillet 1991, in Rec., 1991, p. I-4007.
  • [37]
    C-159/90 SPUC c. Grogan, 4 octobre 1991, in Rec., 1991, p. I-4685.
  • [38]
    Ces remarques s’inspirent librement des conceptions de la norme développées d’une part par F. Müller (Discours de la méthode juridique, 5e éd., trad. O. Jouanjan, coll. Léviathan, Paris, PUF, 1996) et d’autre part par P. Moor (Pour une théorie micropolitique du droit, op. cit.).
  • [39]
    F. Ost, M. van de Kerchove, Le système juridique entre ordre et désordre, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1988.
  • [40]
    Cf. e.a. trib. Bruxelles (ord.), 6 novembre 1998, in Rev. dr. pén. crim. 1999, p. 278-293 ; Gerechtshof Amsterdam, in Bouterse, 20 novembre 2000.
  • [41]
    Pour un panorama général, cf. A. Cassese, M. Delmas-Marty (dir.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002.
  • [42]
    H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 311 et s.
  • [43]
    J. Allard, A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.
  • [44]
    La critique la plus célèbre de la jurisprudence de la Cour en cette matière reste indubitablement celle de J. Coppel, A. O’Neill, « The European Court of Justice : Taking Rights Seriously ? », in C.M.L.Rev., 1992, vol. 29, p. 669-692. Voy. aussi la réponse virulente de J. Weiler, N. Lockhart, «’Taking Rights Seriously’ Seriously : the European Court and its Fundamental Rights Jurisprudence », in C.M.L.Rev., 1995, p. 51-94 (part I) ; in C.M.L.Rev., 1995, p. 579-627 (part II).
  • [45]
    Cf. déjà l’article 3 du projet de Traité portant statut de la Communauté (politique) européenne, qui incorporait explicitement la Convention européenne des droits de l’homme au droit communautaire. Cf. également le mémorandum de la Commission européenne envisageant la question de l’adhésion dès 1979 (Bulletin des Communautés européennes, supplément 2/79). Sur ces premiers projets, cf. G. Cohen-Jonathan, « La problématique de l’adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des Droits de l’Homme », in Mélanges offerts à Pierre-Henri Teitgen, Paris, Pédone, 1984, p. 81-108. Mais cette question prit un tour plus dramatique lorsque la Cour de justice, saisie d’une demande d’avis du Conseil, considéra que l’adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l’homme devait nécessairement passer par une modification du Traité (Opinion 2/94, 28 mars 1996, in Rec., 1996, I-1759 ; pour un commentaire parmi tant d’autres, cf. O. De Schutter, Y. Lejeune, « L’adhésion de la Communauté à la Convention européenne des Droits de l’Homme. À propos de l’avis 2/94 de la Cour de justice des Communautés », in Cah. dr. eur., 1996, p. 555-606). La question est loin d’être devenue caduque puisque le projet de Traité constitutionnel dispose en son article I.7.2 que « l’Union s’emploie à adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Pour un commentaire de cette disposition, cf J. Dutheil de la Rochère, « Les droits fondamentaux dans le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe », in Libertés, justice, tolérance. Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 761-769, spéc. p. 767-768.
  • [46]
    Traité signé à Rome le 29 octobre 2004, in Journal officiel de l’Union européenne, 16 décembre 2004, C. 310. Rappelons, si besoin en était, que ce Traité n’est pas (encore) entré en vigueur.
  • [47]
    Pour un commentaire du contenu de la Charte, cf. e.a. G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : témoignages et commentaires, Paris, Seuil, 2001 ; J-Y. Carlier, O. De Schutter (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002. Concernant l’incorporation de la Charte dans le Traité constitutionnel et les modifications qui en ont résulté, cf. S. Koukoulis-Spiliotopoulos, « Incorporating the Charter into the Constitutional Treaty : What Future for Fundamental Rights ? », in C. Rodriguez Iglesias et al., Problèmes d’interprétation - À la mémoire de Constantinos N. Kakouris, Athènes - Bruxelles, Sakkoulas - Bruylant, 2004, p. 223-258 ; L. Burgorgue-Larsen, « Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », in Cah. dr. eur., 2004, n°5-6, p. 663-690 ; A. Arnull, « Protecting Fundamental Rights in Europe’s New Constitutional Order », in T. Tridimas, P. Nebbia (éds), European Union Law for the Twenty-First Century, Oxford - Portland Oregon, Hart, 2003, p. 95-112. On remarquera que l’idée d’un catalogue des droits de l’Union européenne n’est pas neuve : voy. déjà les résolutions du Parlement européen du 10 juillet 1975 sur l’Union européenne (Journal officiel, 6 août 1975, C-179/28) et du 12 avril 1989 portant adoption de la Déclaration des droits et libertés fondamentaux (Journal officiel, 16 mai 1989, C-120/51). Cf. aussi K. Lenaerts, « Fundamental Rights to be Included in a Community Catalogue », in E.L.Rev., 1991, p. 367-390.
  • [48]
    Cf. G. Della Cananea, « The Concept of Fundamental Rights in the EU Charter », in Rev. eur. droit public, 2002, vol.14, p. 795-813, spéc. p. 800-802.
  • [49]
    Article 52.5 : « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions et organes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de tels actes ». Cf. aussi l’article 51.1. Pour un commentaire, cf. L. Burgorgue-Larsen, loc. cit., p. 663-690, spéc. p. 682-690.
  • [50]
    Article 51.1 : « Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et agences de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement quand ils mettent en œuvre le droit de l’Union. » (nous soulignons). Cette disposition est en totale contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour, qui étend son contrôle en matière de droits fondamentaux aux mesures nationales qui « entrent dans le champ d’application » du droit communautaire. Pour un commentaire récent, cf. A. Knook, « The Court, the Charter and the Vertical Division of Powers in the European Union », in CMLRev., 2005, vol. 42, p. 367-398. Cf. aussi P. Eeckhout, « The EU Charter of Fundamental Rights and the Federal Question », in CMLRev., 2002, vol. 39, p. 945-994. Pour une analyse plus « politique », cf. P. Goldsmith, « A Charter of Rights, Freedoms and Principles », in W. Heusel (ed.), The Charter of Fundamental Rights and Constitutional Development in the EU, Schriftenreihe der Europäischen Rechtsakademie Trier, Bundesanzeiger, 2002, p. 35-42.
  • [51]
    "(…) la Charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du Praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte" (extrait du préambule de la Charte). Le texte de ces explications est consultable sur www.europa.eu.int/constitution/fr/ptoc146_fr.htm. Concernant leur statut, cf. e.a. L. Burgorgue-Larsen, loc. cit., p. 671-681.
  • [52]
    Cette approche se retrouve également dans les premières lignes d’un autre ouvrage cosigné par les auteurs et intitulé Le droit ou les paradoxes du jeu (coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1992) : « Sans doute est-il avéré que chaque époque appelle une théorie du droit déterminée. Saisir le contexte culturel de son temps s’impose donc comme un préalable obligé à toute intelligence du droit. Qu’est-elle donc cette époque, dite "postmoderne" ? » (p. 7).

Introduction

1Trois ans après leur publication, les pénétrantes réflexions de F. Ost et de M. van de Kerchove relatives au passage de la pyramide au réseau [2] ont acquis une notoriété incontestable. On ne s’étonnera certainement pas que ces réflexions, qui font l’hypothèse d’un changement de paradigme dans le droit, aient suscité de nombreuses réactions, souvent enthousiastes, parmi les théoriciens du droit [3]. Il est en revanche plus surprenant, mais ô combien révélateur de leur fécondité, de voir les thèses de F. Ost et M. van de Kerchove invoquées par des praticiens - juges [4] ou avocats [5] - dans le but d’éclairer certains aspects du droit contemporain. Mais si les références au déclin de la pyramide et à l’émergence du réseau se multiplient dans la doctrine, il est rare qu’elles y occupent le devant de la scène. Mentionnées en notes infrapaginales, citées à titre d’illustration, invoquées en renfort théorique, elles font rarement l’objet d’une analyse approfondie dans le cadre d’une étude de droit positif.

2Les pages qui suivent ne prétendent pas remédier à une telle carence. La mission est trop vaste pour qu’un article suffise à la remplir. Ecrite dans la perspective d’une journée d’étude consacrée au passage de la pyramide au réseau, cette contribution s’efforce toutefois de mesurer, au départ de situations juridiques concrètes, la fécondité de certains aspects des thèses des auteurs.

3Afin de mener à bien cette mission d’évaluation, je procéderai en trois temps dans cet article. D’abord, je tâcherai d’expliquer dans quelle mesure mes recherches sur le terrain du droit positif ont confirmé les propos des auteurs relatifs aux "bougés" de la pyramide et à l’affaiblissement de la structure hiérarchique et linéaire de nos ordres juridiques. Dans un second temps, et toujours à l’aide d’exemples tirés du droit positif, j’essaierai de montrer en quoi la figure du réseau peut effectivement prétendre au statut de paradigme pour la science du droit contemporaine. Enfin, je conclurai en m’interrogeant sur les raisons qui ont poussé F. Ost et M. van de Kerchove à assortir le titre de leur ouvrage d’un point d’interrogation destiné à relativiser la radicalité du passage de la pyramide au réseau.

4Avant de passer à l’analyse proprement dite, il convient de préciser que mes réflexions s’enracineront dans deux domaines juridiques distincts. La loi belge dite de compétence universelle constituera ma première éprouvette [6]. Nous verrons que les caractéristiques et l’histoire de cette loi ainsi que le contexte dans lequel elle s’inscrit confirment indubitablement l’hypothèse d’un changement de paradigme. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes constituera mon second angle d’attaque. Nous verrons en particulier que les relations qui s’y nouent entre les droits de l’homme et les autres principes fondamentaux de l’ordre juridique européen obéissent à des logiques qui évoquent davantage le réseau que la pyramide.

1 – L’effacement des frontières. Quand le droit dépasse les bornes

5Dans la première partie de leur ouvrage, F. Ost et M. van de Kerchove s’attachent à décrire les "bougés" de la pyramide kelsénienne. Au travers d’une série d’exemples, les auteurs mettent en lumière les bouleversements qui affectent aujourd’hui la structure hiérarchique et linéaire de nos ordres juridiques. Les mutations récentes à l’œuvre dans le droit bousculent ses représentations classiques, en forme d’arborescence ou de pyramide.

6Disons-le d’emblée, mes investigations dans le champ du droit positif ont très largement corroboré ces observations. Tant la loi belge de compétence universelle que la jurisprudence communautaire en matière de droits fondamentaux traduisent l’émergence de logiques floues et la multiplication de boucles étranges qui cadrent mal avec le modèle pyramidal. Dans cette première partie, je tenterai d’apporter un éclairage nouveau à ces évolutions aujourd’hui bien connues en les analysant comme autant de signes d’un effacement progressif des frontières sur lesquelles repose la théorie kelsénienne du droit. Nous verrons que ce phénomène de fragilisation des limites, qui consacre le retour du tiers exclu et condamne la logique binaire de la pensée positiviste, affecte non seulement la description pyramidale de l’ordre juridique mais également sa représentation sous la forme d’un solide quel qu’il soit.

a – Les frontières internes de l’ordre juridique : au-dessus et en dessous

7Les frontières internes de l’ordre juridique, qui séparent les différents étages de la pyramide et ordonnancent les multiples niveaux de normes (constitutionnel, législatif, réglementaire, juridictionnel, privé), sont les premières à céder face aux développements du droit contemporain. L’apparition de boucles étranges brouille la structure hiérarchique et linéaire décrite dans la Théorie pure du droit. La montée en puissance des acteurs privés, la contractualisation du droit, le succès du concept de "gouvernance" participent de ce phénomène de décloisonnement des étages de la pyramide et consacrent, à rebours du modèle kelsénien, le principe d’une écriture à plusieurs mains de la norme. Le droit ne se crée plus de haut en bas et de façon monologique, mais résulte d’un processus de production complexe dans lequel interagissent de façon désordonnée les niveaux et les acteurs.

8S’il se laisse observer à tous les niveaux de la pyramide, ce processus d’effacement des frontières est particulièrement visible à l’intersection de la loi et du jugement. Mieux qu’un long discours, un rappel succinct de l’histoire de la loi de compétence universelle nous aidera à prendre la mesure du flou qui atteint aujourd’hui cette summa divisio de la pensée positiviste, qui oppose le législateur souverain au juge serviteur.

9Rappelons d’abord que cette loi, adoptée le 16 juin 1993 [7] et aujourd’hui formellement abrogée [8], donnait compétence aux juridictions belges pour connaître de certaines infractions particulièrement graves, quel que soit le lieu de leur commission et indépendamment de la nationalité de leur auteur et de leur victime. Initialement limité aux crimes de guerre, le champ d’application de la loi fut ensuite étendu aux crimes de génocide et aux crimes contre l’humanité. Dans le même temps, une disposition fut introduite qui déniait le bénéfice de toute immunité aux dignitaires étrangers.

10On conviendra sans doute qu’en les habilitant à poursuivre et juger littéralement "tout le monde", la loi de compétence universelle conférait aux juges une visibilité, un pouvoir et un statut qui cadrent mal avec la position subalterne qu’ils occupent dans la conception kelsénienne de l’ordre juridique. A ce stade toutefois, on ne peut pas encore parler d’effacement des frontières. En effet, si le juge est placé à l’avant-plan de la lutte contre l’impunité et s’il jouit d’un pouvoir exorbitant à l’égard des ressortissants étrangers, c’est uniquement parce que le législateur en a décidé ainsi. Kelsen lui-même reconnaissait l’existence de telles "lois d’habilitation" qui, si elles laissent au juge un large pouvoir discrétionnaire, n’ébranlent pas pour autant la souveraineté de la loi et la structure pyramidale du droit [9].

11En revanche, on ne voit guère comment cette même structure pourrait rendre compte de l’influence qu’exercèrent les juges sur le destin de la loi de compétence universelle. Ce fut d’abord la Cour internationale de Justice qui, dans l’Affaire du mandat d’arrêt du 11 avril 2000, condamna la Belgique à reconnaître l’immunité des dirigeants étrangers [10]. Tout en évitant de se prononcer sur l’applicabilité des immunités aux anciens dignitaires étrangers en matière de crimes de droit international humanitaire, la Cour déclara que le droit international conférait aux ministres des Affaires étrangères en exercice[11] une immunité absolue qui faisait obstacle à toute forme de poursuite devant des tribunaux étrangers.

12Ce fut ensuite la Cour d’appel de Bruxelles [12] qui, au prix d’une surprenante interprétation de l’article 12 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, limita radicalement la portée de la loi de compétence universelle et suscita le dépôt de deux proposition de loi [13]. Ce fut encore la Cour de cassation qui, en rendant à la loi de compétence universelle sa portée originaire et en ignorant ses dispositions en matière d’immunités [14], entreprit à la fois d’apaiser les parlementaires et de restaurer la validité internationale de la loi [15]. Ce fut aussi la Cour d’arbitrage qui, après l’abrogation de la loi, annula partiellement une disposition du régime qui succédait à celle-ci et instaurait un "filtre" à l’exercice des poursuites. La Cour considéra que cette disposition, introduite en réaction contre l’avalanche de plaintes suscitée par la loi de compétence universelle, était en partie inconstitutionnelle au motif qu’elle introduisait une discrimination injustifiée entre les victimes de crimes de droit international humanitaire et les victimes d’autres types de crimes [16]. Ce fut enfin ce curieux dialogue entre la Cour de cassation et le juge constitutionnel sur la validité d’une disposition transitoire du nouveau régime qui réglait le sort des plaintes introduites sous l’empire de la loi de compétence universelle. Alors que la Cour d’arbitrage avait conclu à l’inconstitutionnalité d’une telle disposition au nom des principes d’égalité et de non-discrimination [17], la Cour de cassation considéra que le principe de la légalité des incriminations commandait malgré tout son application au cas de l’espèce [18].

13Observées depuis la pyramide, ces interventions juridictionnelles multiples et désordonnées - auxquelles a failli s’ajouter une décision de la Cour européenne des droits de l’homme [19] - donnent une formidable impression de désordre. La structure hiérarchique sur laquelle trônait un législateur omnipotent ne permet pas de cerner ces rapports nouveaux par lesquels se crée le droit. Loin d’être séparés par une cloison étanche, juges et législateur sont unis par des liens complexes qui, des jeux d’influence aux jeux de pouvoir, forment aujourd’hui la vie du droit.

b – Les frontières externes de l’ordre juridique : dedans et dehors

14Mais les développements récents du droit ne se limitent pas à ébranler la pyramide de l’intérieur en corrodant les échelons fixes et séparés, supérieurs et inférieurs, qui la composent. Ils mettent également en question l’étanchéité de ses parois et, par ce biais, la pertinence même de la représentation du droit sous la forme d’un corps solide quel qu’il soit (sphère, cube …). Alors que la théorie pure du droit de Kelsen fait clairement le départ entre droit et non-droit, entre l’intérieur et l’extérieur de la pyramide, l’analyse attentive de certains phénomènes dévoile une réalité beaucoup plus complexe, où droit et morale s’entremêlent et où la normativité se conjugue au pluriel. Après ses étages, ce sont les parois de la pyramide qui s’effacent à leur tour. Afin d’illustrer ces affirmations, j’évoquerai quelques aspects de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en matière de droits fondamentaux.

15Rappelons d’abord que cette jurisprudence s’est construite sans l’aide d’un texte. En effet, alors que les rédacteurs des Traités de Paris (CECA) et de Rome (CEE) n’avaient pas jugé bon [20], possible [21] ou utile [22] d’y introduire des dispositions relatives aux droits fondamentaux, la Cour de justice fut progressivement amenée à intégrer ces derniers dans l’ordre juridique communautaire sous la forme de principes généraux du droit. S’inspirant des traditions constitutionnelles communes des États membres et de certains instruments internationaux (en particulier la CEDH), la Cour élabora un système de protection des droits de l’homme à l’égard des actes des institutions européennes ainsi que des mesures nationales entrant dans le champ du droit communautaire.

16À ce stade, une première réflexion s’impose, qui concerne les relations entre droit et morale. Il est bien connu que Kelsen, en adversaire féroce du iusnaturalisme, a toujours défendu l’idée que le droit devait être considéré indépendamment de la moralité de son contenu. L’apparition des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la CJCE semble toutefois contredire cette affirmation. Rappelons en effet que, dans un premier temps, la Cour de Luxembourg avait refusé de contrôler la validité des actes communautaires à l’égard des droits fondamentaux au motif que ceux-ci ne se trouvaient pas repris dans le Traité de Rome [23]. Kelsen eût vraisemblablement approuvé une telle jurisprudence, qui limitait le contrôle de la validité des normes à l’examen de leur conformité aux règles supérieures (en l’occurrence les dispositions des Traités) sans se soucier de leur légitimité. Cette approche révéla cependant ses limites lorsqu’en réaction à la jurisprudence de la Cour de justice, les cours constitutionnelles allemande et italienne prétendirent contrôler elles-mêmes la validité des normes communautaires au regard des droits fondamentaux [24]. Cette menace qui pesait sur l’effectivité du droit dérivé incita la Cour de justice à en évaluer également la légitimité en subordonnant sa légalité au respect des droits de l’homme. On retrouve ainsi, à l’origine de la jurisprudence de la CJCE en matière de droits fondamentaux, le modèle des trois cercles sécants de la validité (légalité, effectivité, légitimité) défendu de longue date par F. Ost et M. van de Kerchove [25].

17On pourrait objecter que, loin d’apporter un démenti à la doctrine positiviste, l’intégration des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire en confirme les thèses. Elle démontre en effet que la morale ne peut prétendre influencer la validité d’une norme juridique qu’à partir du moment où elle est elle-même coulée dans une règle de droit positif. Dans cette perspective, la consécration des droits de l’homme au rang de principes généraux du droit communautaire s’analyse comme le transfert formel d’un corpus de règles de la sphère de la morale à celle du droit. Et la nécessité même de ce transfert témoigne de l’existence d’une frontière qui sépare la légalité de la légitimité, le droit de la morale, l’intérieur de l’extérieur de la pyramide [26].

18Pour rassurante qu’elle puisse paraître, cette présentation ne fait que repousser le problème au stade suivant, celui de la détermination du contenu des droits fondamentaux et de leur application in concreto. À cet égard, on s’aperçoit très vite que la jurisprudence de la Cour n’apporte guère de crédit à l’image d’une pyramide européenne au sommet de laquelle trôneraient des droits de l’homme sevrés une fois pour toutes de leurs origines morales. Il apparaît au contraire que privée de "bill of rights" juridiquement contraignant, la Cour en est réduite à trouver ailleurs - c’est-à-dire, en dehors de la pyramide - le matériau qui lui permet de déterminer la portée de ces droits et de résoudre la question de leur articulation avec les autres principes fondamentaux de l’ordre juridique européen. Dans ce processus constant de construction de la règle, où la "surdétermination" se substitue à la "prédétermination" [27], la Cour s’appuie sur des traditions pétries de valeurs où droit et morale sont difficiles à distinguer.

19Plus radicalement encore, on notera que, dans cette jurisprudence éminemment casuistique, le contenu et la portée des droits fondamentaux - et, par effet réflexe, du droit communautaire - peuvent varier en fonction des destinataires de la décision. Ainsi fut-il jugé récemment que la protection de l’ordre public et la préservation de la dignité humaine telles qu’elles étaient conçues en Allemagne permettaient aux autorités de ce pays de déroger au principe cardinal de la libre prestation des services. En l’occurrence, confrontée à une tempête de protestations au sein de son opinion publique et au risque sérieux de troubles de l’ordre public, l’Allemagne avait décidé d’interdire l’importation d’un jeu dont le but était de tuer - fictivement - ses adversaires, à l’aide de mitraillettes émettant un rayon laser [28]. En décidant que la protection de l’ordre public et de la dignité humaine peut justifier l’instauration de mesures limitant la libre prestation des services, la Cour laisse entendre dans cet arrêt que les convictions morales d’une communauté nationale sont susceptibles de faire obstacle à l’application d’une norme communautaire.

20Cet exemple, qui s’inscrit en faux contre la pensée de Kelsen et consacre l’idée d’une validité à "géométrie variable" du droit [29], suffit à montrer que la morale n’a pas fait l’objet d’une cristallisation juridique instantanée ou d’une prise d’otage subite au sein de la pyramide. C’est au contraire par un processus constant d’infiltration qu’elle vient nourrir l’entreprise de délimitation [30], de justification [31] et d’interprétation [32] de la règle de droit.

21Si nous poursuivons notre analyse, nous nous apercevons qu’en plus d’être poreuses, les parois de la pyramide sont mouvantes. Le développement d’un droit mou, flou ou doux, à la normativité incertaine, frappe au cœur de la construction kelsénienne et de sa logique binaire. Le statut des droits fondamentaux - et plus largement des principes généraux - dans l’ordre juridique européen est révélateur de cette tendance. Loin d’y apparaître comme des atouts qui emportent un respect inconditionnel ou comme l’étage supérieur d’une nouvelle pyramide, les droits et libertés fondamentales y ont, au mieux, le statut d’intérêts juridiquement protégés, au pire, celui de sources du droit. Dans les deux cas, ils discréditent sérieusement la conception kelsénienne du droit.

22Je m’explique. La jurisprudence de la CJCE fourmille d’exemples de conflits entre principes fondamentaux de l’ordre juridique européen. Ici, c’est la liberté d’expression et de manifestation qui s’oppose au principe de la libre circulation des marchandises [33]. Là, c’est la libre circulation des travailleurs qui s’oppose à la liberté d’association [34]. Là encore, c’est le droit à la dignité humaine qui s’oppose à la libre prestation des services [35]. Dans d’autres cas enfin, c’est la liberté d’expression qui s’oppose au respect du pluralisme [36] ou au droit à la vie [37]. À mille lieues du statut envié de droit subjectif, les droits, libertés et principes fondamentaux apparaissent ici comme des intérêts qu’il importe certes de préserver au maximum, mais dont la défense s’arrête là où la protection d’intérêts concurrents le commande. Dans ces situations de plus en plus fréquentes, le droit apparaît comme la résultante, calculée au coup par coup par le juge, qui jaillit de l’opposition entre les principes cardinaux de l’ordre juridique européen.

23À bien réfléchir, on peut encore aller plus loin et voir dans ces principes et droits fondamentaux les sources d’un droit qui se construit à travers eux et se nourrit de leurs relations. Dans cette perspective, les droits de l’homme et les libertés économiques ne sont pas du droit ; ils ne sont que le matériau qui aidera à la confection de celui-ci [38]. À vrai dire, on ne voit guère ce qui reste de la pyramide et l’idéal de sécurité juridique qu’elle incarne dans ces situations où, en amont du procès, les frontières entre droit et non-droit restent incertaines et où le seul droit dur est celui qui émane de la bouche du juge.

2 – Des frontières aux synapses - Quand le droit retrouve des formes

a – Du chaos au réseau

24Les analyses qui précèdent ont confirmé l’incapacité du modèle kelsénien à décrire de manière convaincante le fonctionnement de nos ordres juridiques contemporains. Observé depuis la pyramide, le droit est aujourd’hui gagné par le désordre, voire le chaos. Les frontières qui balisaient traditionnellement le champ juridique (entre juge et législateur, droit et morale, droit et non-droit, etc.) sont submergées par un droit protéiforme. Nos observations empiriques soutiennent donc l’hypothèse de F. Ost et de M. van de Kerchove relative aux bougés de la pyramide. Mais à ce stade, nous n’avons encore parcouru que la moitié du chemin auquel les auteurs nous invitent. Et encore s’agissait-il là de la partie la plus aisée : déconstruire le modèle kelsénien et s’inscrire ainsi dans la mouvance de tous ceux qui évoquent l’émergence d’un droit postmoderne, doux ou flou.

25Après avoir détruit, il nous appartient maintenant de rebâtir. Car en définitive, le droit qui organise notre société ne peut être seulement ce chaos, ce désordre qui se laisse voir depuis la pyramide. Et si le droit a dépassé les frontières dans lesquelles l’avait enfermé le positivisme juridique, il s’en faut de beaucoup qu’il ait par-là même perdu toute consistance. L’observation de la réalité juridique témoigne à chaque instant de l’existence de points d’ancrage, de racines qui empêchent le droit de se perdre complètement dans les limbes de la morale, le juge d’agir comme un législateur, ou l’étudiant de confondre l’intérêt du consommateur et le droit de créance du vendeur. En somme, comment ne pas partager les vues de F. Ost et M. van de Kerchove qui écrivaient ailleurs que le système juridique se situe entre ordre et désordre [39] ?

26Il nous faut maintenant avancer, à la suite des auteurs, en quête d’un paradigme qui nous permette de penser positivement cette situation d’entre-deux. Un dernier coup d’œil en arrière nous rappelle que la pyramide est incapable de remplir cette fonction. Dans la logique binaire qui la soutient, soit le droit est ordre, système hiérarchisé et encadré par des limites strictes, soit il n’est pas.

27Nous le savons, c’est la figure du réseau qui a reçu la faveur de F. Ost et M. van de Kerchove. D’emblée, on perçoit l’intérêt de cette figure pour conceptualiser le désordre qui se donnait à voir depuis la pyramide. Les entrelacs, les boucles étranges, les hiérarchies enchevêtrées forment le mode d’être du réseau qui se développe dans l’ignorance de toute logique simple et au mépris des frontières qui prétendraient le contenir. Mais il faut être prudent et dépasser les apparences. Si l’on entend faire de la figure du réseau un nouveau paradigme pour la science du droit, alors il faut démontrer qu’elle est davantage qu’une simple métaphore utilisée par des kelséniens nostalgiques pour désigner le désordre ou le chaos. En réalité, il me semble que le véritable défi du réseau, ce n’est pas de nous aider à concevoir l’anarchie du droit contemporain - qui était déjà patente depuis la pyramide -, mais c’est au contraire de nous permettre d’apercevoir en creux de ce désordre, les nouvelles formes du droit : des formes qui n’ont certes plus la physionomie angulaire, solide et hermétique de la pyramide mais qui, à leur manière, donnent de la consistance au droit et permettent de repenser l’idéal de la sécurité juridique. Des formes qui, nées des tensions entre ordre et désordre, confirmeraient toute la pertinence d’une théorie dialectique du droit.

28C’est à la recherche de ces formes que, munis de nos éprouvettes, je nous invite à présent.

b – Entre ordre et désordre : les filets du réseau

29On conviendra sans doute que ce qui distingue le réseau tant du chaos que de la pyramide, ce sont les connexions qui relient entre eux tous les points qui le composent. Ces liens entremêlés constituent la caractéristique du réseau. Flexibles, mouvants, éphémères, ils lui donnent une apparence désordonnée. Serrés, invisibles, innombrables, ils lui confèrent une grande solidité. Un bref détour par le droit pénal international et par le droit européen nous le confirmera : ces formes du réseau sont également celles du droit contemporain.

b.1 – Un réseau de connexions - la toile pénale transnationale

30Considérés sous l’angle de la pyramide, les développements récents du droit pénal international témoignent du désordre qui gagne aujourd’hui nos systèmes juridiques. La prolifération des juridictions internationales (Tribunaux pénaux ad hoc, Cour pénale internationale), la montée en puissance des juges étatiques à la faveur de la compétence universelle, l’importance grandissante de la société civile sont autant de phénomènes qui inquiètent les juristes formés au modèle kelsénien. C’est avant tout la perte de sécurité juridique que fait craindre ce développement incontrôlé et désordonné du droit. Ces craintes sont très certainement fondées. Pensons par exemple à ces jurisprudences récentes qui refusent le bénéfice de toute forme d’immunité aux anciens dirigeants étrangers suspectés d’avoir commis des crimes de droit international humanitaire [40]. Pensons aussi à ces lois qui, en Belgique ou ailleurs, donnent à leurs cours et tribunaux une compétence universelle pour connaître de ces mêmes crimes [41]. Il n’est pas question ici d’apprécier le bien-fondé de telles tendances mais bien d’en constater le caractère flou et largement controversé. À n’en pas douter, la sécurité juridique souffre de cette évolution qui se déroule largement en marge des conventions internationales et est le fait de quelques juges épaulés par des panels d’experts et acclamés par les organisations non gouvernementales.

31On rétorquera sans doute que cette tendance se fonde, de l’aveu même des juges qui l’incarnent, sur le droit international coutumier et qu’à ce titre, elle émane du sommet de la pyramide et non de sa base. Admirons ici le "garde-flou" épistémologique que fournit fort à propos le modèle kelsénien. En intégrant la coutume dans sa description hiérarchique du droit et en en faisant le produit immédiat de la norme fondamentale du droit international [42], la Théorie pure du droit donne des apparences rassurantes de rigueur et de solidité à des normes mouvantes et insaisissables. Mais, dans le cas qui nous occupe, l’illusion est de courte durée. Loin de répondre à la définition que l’on en donne classiquement, la coutume invoquée par les juges en ces matières repose moins sur des pratiques étatiques et sur des déclarations politiques reflétant une opinio iuris que sur des commentaires doctrinaux et sur des décisions rendues par d’autres juridictions. Si le droit coutumier est déjà en lui-même source d’instabilité et d’insécurité juridique, on mesure combien plus dangereux encore apparaîtront ces développements du droit qui dissimulent mal leurs boucles étranges sous des dehors pyramidaux.

32Observés à travers le prisme du réseau, ces phénomènes acquièrent toutefois une signification nouvelle. Loin de favoriser l’expansion du désordre dans nos systèmes juridiques, ils contribuent à la production du droit. Un droit qui ne coule plus de haut en bas le long de la cascade des normes, mais qui fait l’objet d’un tissage patient auquel contribuent tous les acteurs de l’ordre juridique. Tout comme la prolifération des synapses entre les neurones favorise le développement cérébral, la multiplication des liaisons entre les différents foyers de droit nourrit le développement du système juridique. Dans cette perspective, la création de juridictions pénales internationales, le lobbying des organisations non gouvernementales ou le ‘"commerce des juges" [43] apparaissent non pas comme des dysfonctionnements mais, à l’inverse, comme les conditions nécessaires du développement du droit pénal international.

33Une fois encore, on aurait tort de ne voir dans ces images qu’une métaphore simpliste destinée à enjoliver une situation complexe. Les phénomènes observés dans le champ du droit pénal international nous montrent que, prise au sérieux, la figure du réseau permet de repenser l’idéal de sécurité et de prévisibilité qui fonde le droit. S’il est vrai que l’ordre juridique contemporain n’offre pas la garantie d’un droit stable, rarement modifié et toujours par le haut, sa structure en réseau donne l’assurance de toujours y trouver un point où s’accrocher. Certes, une personne suspectée de crime contre l’humanité ne sait plus aujourd’hui avec certitude devant quel juge ni selon quelle loi elle sera jugée. Elle ne sait pas davantage dans quel pays elle le sera ni si la procédure qui y est en vigueur aujourd’hui le sera encore demain. Ce qu’elle sait en revanche, c’est qu’elle aura à sa disposition plus d’armes pour se défendre et plus d’arbitres pour compter les points qu’elle n’en a jamais eu. L’importance grandissante de la société civile, la montée en puissance des cours constitutionnelles, la multiplication des juridictions internationales chargées de faire respecter les droits de l’homme, la mondialisation des médias nous apportent aujourd’hui une certitude : celle de se faire entendre et de pouvoir, à son échelle, influencer la production du droit.

34Envisagé de ce point de vue, le droit contemporain se trouve confronté à de nouveaux défis. Le premier consiste à multiplier les synapses, à favoriser le dialogue et la communication, à resserrer les liens de sorte qu’il soit impossible de passer "entre les mailles du filet". Le droit pénal international nous offre une bonne illustration de l’importance de cet objectif. Si juges nationaux et internationaux sont aujourd’hui nombreux à s’engager dans la lutte contre l’impunité, les rapports de coopération qui les unissent sont encore insuffisants pour créer une véritable toile pénale transnationale qui organiserait sans heurts la répression des crimes les plus graves. Face à cette situation, la figure du réseau invite les acteurs internationaux à emprunter un chemin inédit, qui consiste à jeter entre eux des ponts et des passerelles pour que, de l’entrelacs des principes de primauté, de complémentarité et de "non bis in idem", jaillisse un ensemble coordonné, dense et solide qui redonne ses formes au droit.

35Si le premier défi consiste à multiplier les connexions, le second implique en revanche l’aménagement de barrages. Une fois encore, la figure du réseau nous permet de mesurer clairement le danger que représente pour la sécurité juridique la prolifération d’organes habilités à dire successivement le droit sur un même sujet. Les affaires menées sous l’empire de la loi de compétence universelle mettent en lumière ce risque d’une ingressio ad infinitum. qui, promenant les justiciables d’un point à l’autre de la toile, empêche le droit d’arrêter sa course et, pour un temps seulement, de se cristalliser. De la Cour d’arbitrage à la Cour internationale de Justice, des juridictions de fond à la Cour de cassation, des assemblées parlementaires à la Cour européenne des droits de l’homme, tout se passe comme si chacun avait son mot à dire sur le droit sans que personne n’ait le pouvoir de clore la discussion, au moins provisoirement. Il y a là, me semble-t-il, un défi majeur pour nos systèmes juridiques et pour notre compréhension du droit. Un droit qui se nourrit des interactions entre les différents points du réseau juridique, mais qui, à force d’être revêtu de toutes les formes par toutes les autorités, risque bien de perdre toute forme et toute autorité.

b.2 – Un réseau de communication - le raisonnement judiciaire

36La figure du réseau permet également d’aborder à frais nouveaux les propositions plus ou moins récentes qui, sur le terrain institutionnel, cherchent à encadrer, voire à contrôler la jurisprudence de la Cour de justice en matière de droits fondamentaux. Il est vrai que, construite sans l’aide de texte juridiquement contraignant et sur base de principes aux contours flous, cette jurisprudence a de quoi surprendre et effrayer des juristes habitués à situer les décisions des juges au bas de la pyramide des normes [44].

37On ne s’étonnera pas, dès lors, que depuis de nombreuses années, la question de l’adhésion de la Communauté (ou de l’Union) européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme revienne régulièrement à l’avant-plan de l’agenda politique [45]. On perçoit d’emblée l’attrait d’un tel projet, qui entreprend de soumettre les actes des institutions européennes et les décisions de la CJCE à un contrôle externe en matière de droits de l’homme. On ne s’émouvra pas davantage de l’incorporation récente, dans le Traité établissant une Constitution pour l’Europe [46], d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [47]. Au flou et à l’imprévisibilité du droit prétorien, une telle initiative entend substituer la clarté rassurante d’un "bill of rights" juridiquement contraignant. En rétablissant l’antériorité du texte sur le jugement et en soumettant celui-ci à un contrôle externe, l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme et l’adoption d’un catalogue de droits fondamentaux semblent donc limiter le pouvoir discrétionnaire des juges et remettre la pyramide sur ses pieds.

38Une observation plus attentive de la réalité conduit toutefois à nuancer sérieusement cette affirmation. Loin de museler la créativité des juges et de réduire l’emprise de leur gouvernement, la Charte des droits fondamentaux consacre le droit qu’ils ont créé et alimente ses développements futurs. En "fondamentalisant" des principes tels que la liberté des arts et des sciences (art. 13), la protection de la santé (art.35) ou encore celle des consommateurs (art.37), la Charte allonge la liste de ces normes au contenu et au statut flous et rend plus probable encore l’apparition de "hard cases" surgis des conflits entre principes fondamentaux [48]. Par ailleurs, la distinction entre "droits" et "principes" [49], la question de l’application de la Charte aux mesures nationales [50], ou encore le statut des "explications" [51] mentionnées dans le préambule sont autant de points qui, laissés délibérément flous pour favoriser le consensus politique, renforcent plus qu’ils ne limitent la marge de discrétion des juges.

39La perspective de l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme ne réhabilite pas davantage le modèle kelsénien. Si elle rétablit une logique hiérarchique en soumettant la Cour de justice au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme, la stratégie de l’adhésion ne fait bien évidemment que déplacer le problème du gouvernement des juges de Luxembourg à Strasbourg et la question des notions floues de la Charte à la Convention.

40Si elles n’aident pas au rétablissement de la pyramide, ces initiatives contribuent en revanche au développement d’un droit en réseau. Là où la pyramide ne donnait à voir dans ces situations que le désordre et la déliquescence d’un droit devenu synonyme d’équité et d’arbitraire, la figure du réseau permet d’apercevoir l’existence de balises qui, entre droit et non-droit, entre contrainte et liberté, encadrent le raisonnement de la Cour dans les "cas difficiles". Au nombre de ces balises, on comptera par exemple les dispositions des Traités, celles de la Charte, les précédents qui forment la jurisprudence de la Cour, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et des juridictions des États Membres, les opinions des avocats généraux ou encore les commentaires de la doctrine. On notera que si aucune de ces sources - pas même le texte des Traités - ne fournit de réponse toute faite à la Cour, leur combinaison permet à celle-ci de dégager une solution perçue à la fois comme rationnelle et raisonnable.

41En mettant en lumière ces balises invisibles pour des yeux pyramidaux, le réseau nous invite, sur les pas de Perelman et Habermas, à repenser les conditions de possibilité du raisonnement judiciaire face à des "cas difficiles" et à replacer l’argumentation et la communication au centre de l’activité juridictionnelle. Libérée de la clarté aveuglante d’un seul guide - la loi - et de l’angoisse de sa disparition - lorsque surgissent les "hard cases" et, à leur suite, le spectre de l’équité -, cette perspective réhabilite des sources et des pratiques longtemps laissées dans l’ombre par le positivisme dominant. Le jugement n’apparaît alors ni comme le fruit de la découverte d’un sens toujours-déjà là, ni comme le résultat aléatoire d’un choix arbitraire, mais plutôt comme le produit d’une réflexion plus ou moins réussie selon qu’elle est parvenue à intégrer les points de vue des différents acteurs du réseau et à emporter l’adhésion de l’auditoire auquel elle s’adresse.

42Ici encore, on remarquera la fécondité du paradigme du réseau qui, à l’heure où l’on observe la prolifération des principes aux contours flous, permet de rétablir des critères d’évaluation du jugement et de lever l’obscurité persistante liée aux absences de la loi, dans laquelle Kelsen et Hart ne distinguaient plus le droit de l’équité.

43Arrivés au terme de notre parcours, le résultat souffre peu de contestation. Nos observations dans le champ du droit positif ont confirmé la pertinence de la double thèse de F. Ost et M. van de Kerchove : d’une part, l’apparition récente de bougés au sein de la pyramide, qui mettent en question la pertinence du modèle kelsénien et de l’approche positiviste du droit. D’autre part, la capacité de la figure du réseau à "prendre le relais" et, alimentée d’une théorie dialectique du droit, à revêtir le statut de paradigme pour la science du droit contemporaine. CQFD.

3 – Entre les entre-deux : dialectique, ponctuation et loi de la bipolarité des erreurs

44La démonstration étant bouclée, le test de falsifiabilité brillamment réussi, il reste, en guise de conclusion de cet exposé, à soumettre les thèses de F. Ost et de M. van de Kerchove aux interrogations délibérément provocatrices d’un jeune doctorant. Au départ de mes réflexions se trouve le point d’interrogation qui ponctue le titre de l’ouvrage de F. Ost et de M. van de Kerchove (De la pyramide au réseau ?) et qui, de l’avis même des auteurs, illustre l’approche dialectique qui a guidé leurs analyses. En mettant leur titre à la forme interrogative, les auteurs entendent en effet relativiser la radicalité du passage de la pyramide au réseau (p. 20) et résister ainsi à la "loi de la bipolarité des erreurs" de Bachelard, selon laquelle "l’esprit ne se délivre généralement d’une erreur que pour succomber au travers opposé, par l’effet d’une sorte de mouvement dogmatique de balancier". Constatant que la logique linéaire et hiérarchique n’a pas partout disparu, F. Ost et M. van de Kerchove situent dès lors notre ordre juridique quelque part entre la pyramide et le réseau.

45Cette explication laisse cependant songeur. Nul ne contestera que subsistent au sein de nos ordres juridiques des relations hiérarchiques qui rappellent le modèle kelsénien. Mais faut-il pour autant conclure à la relativité du passage de la pyramide au réseau ? Les auteurs n’écrivent-ils pas eux-mêmes, à la suite de H. Bakis, que "(…) sans nécessairement tomber dans la "contradiction", on peut parfaitement concevoir l’existence de "réseaux hiérarchisés" (…) ? Si, au carrefour de la pyramide et du chaos, la figure du réseau permet à elle seule de rendre compte des tensions qui structurent nos ordres juridiques (entre ordre et désordre, entre dur et doux, entre liquide et solide), ce nouvel entre-deux que traduit le point d’interrogation du titre est-il bien nécessaire ? Voire pire : n’est-il pas néfaste, nous entraînant dans la quête infinie des entre-deux, emportés par le mouvement dogmatique de balancier dénoncé par Bachelard et contre lequel la dialectique était censée nous prémunir ?

46Ces réflexions reçoivent un prolongement inattendu dans la comparaison de la démarche épistémologique adoptée par les auteurs dans De la pyramide au réseau avec celle qui guida leurs réflexions dans un ouvrage antérieur intitulé Le système juridique entre ordre et désordre. On remarquera en effet que dans De la pyramide au réseau, l’hypothèse d’un changement de paradigme se nourrit de l’observation attentive de phénomènes empiriques : la remise en cause du modèle pyramidal kelsénien s’appuie ici sur les évolutions récentes enregistrées dans les domaines juridiques et socio-politiques. Ce n’est que dans un second temps que, forts des enseignements tirés de l’observation de la réalité, les auteurs entreprennent d’aborder, à la lumière du paradigme du réseau, un certain nombre de questions théoriques relatives à la définition du droit, à sa validité, au raisonnement juridique, etc.

47Cette approche contraste fortement avec la démarche adoptée dans Le système juridique entre ordre et désordre. Dans cet ouvrage, F. Ost et M. van de Kerchove s’attaquent au positivisme de Hart et de Kelsen à travers le prisme de la dialectique en questionnant la représentation, héritée des Modernes, du droit comme système parfaitement clos et ordonné. Mais, si les conclusions des auteurs, situant le système juridique entre ordre et désordre, annoncent déjà leurs thèses relatives au réseau, la méthode utilisée dans ce livre diffère largement de l’approche privilégiée dans leur dernier ouvrage. En effet, au lieu d’appuyer leurs réflexions théoriques sur des observations empiriques invalidant d’elles-mêmes le modèle kelsénien, F. Ost et M. van de Kerchove attaquent ici la doctrine positiviste avec ses propres armes, c’est-à-dire au seul moyen de la pensée spéculative. Cette différence dans la méthode employée dans les deux livres a bien évidemment une incidence sur la portée de leurs conclusions respectives. En effet, là où De la pyramide au réseau laisse entendre que les évolutions récentes du droit témoignent d’une complexité qui ne se laisse plus saisir par le modèle pyramidal d’antan [52], Le système juridique entre ordre et désordre entend au contraire démontrer que ce modèle, contesté sur le plan théorique, n’a jamais reflété la réalité du droit.

48Il me semble que les auteurs s’expliquent de ce paradoxe apparent dans l’introduction de leur dernier ouvrage (p. 21). Ils y mettent en garde le lecteur contre la tentation de confondre les changements dans la réalité observée (en l’occurrence, les mutations récentes d’un droit devenu plus complexe) avec le changement dans la perspective adoptée pour les observer (en l’occurrence, le passage d’une lecture hiérarchisée et linéaire à une approche dialectique et nuancée). Cette précision explique dès lors qu’indépendamment de toute observation empirique, le point de vue dialectique adopté dans Le système juridique entre ordre et désordre ait par lui-même suffi à faire apparaître la complexité inhérente aux systèmes juridiques et à disqualifier pour partie le modèle positiviste. En ce sens, les changements observés dans la réalité et consignés dans De la pyramide au réseau ne feraient que renforcer cette impression de complexité, provoquant ce moment "qui fait basculer le centre de gravité de la représentation dominante et conduit progressivement l’observateur à voir les choses ‘sous un autre œil’" (p. 21), celui du réseau en l’occurrence.

49Cette explication convaincante, que j’espère ne pas mettre indûment sous la plume des auteurs, nous ramène toutefois à notre point de départ, c’est-à-dire au point d’interrogation qui ponctue le titre de leur dernier livre. Cette formule interrogative aurait certainement convenu à l’époque où la réalité juridique donnait encore du crédit au modèle pyramidal et où seul un héroïque changement de perspective aurait pu dévoiler les failles toujours-déjà présentes dans le modèle kelsénien ainsi que la part de désordre inhérente aux systèmes juridiques. Mais aujourd’hui, alors que le droit positif confirme et dépasse la théorie, n’y a-t-il pas un scrupule excessif, fruit d’une dialectique poussée trop loin, à mettre à l’interrogatif ce qui pourrait s’énoncer à l’impératif ?

50Cette question, qui met en évidence la possibilité d’un "excès de dialectique", mérite sans doute d’être posée. Du reste, nul ne contestera cette évidence typographique qui veut qu’entre des entre-deux, il y ait plus de place pour un signe d’exclamation que pour un point d’interrogation.

Notes

  • [1]
    Ce texte constitue une version légèrement modifiée et augmentée de l’exposé prononcé lors de la journée d’études organisée aux Facultés universitaires Saint-Louis le 9 novembre 2005 sur le thème : « De la pyramide et réseau : fécondité d’une hypothèse ? ».
  • [2]
    F. Ost, M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002. Notons qu’une partie des réflexions des auteurs avait déjà fait l’objet d’une publication sous la forme d’un article intitulé « De la pyramide au réseau. Vers un nouveau mode de production du droit ? », in R.I.E.J., 2000.44, p. 1 et s.
  • [3]
    Cf., entre autres, les nombreux travaux de M. Delmas-Marty, parmi lesquels différentes contributions publiées dans Mireille Delmas-Marty et les années UMR, Paris, Société de Législation Comparée, 2005 ; cf. aussi, de manière plus critique, P. Moor, Pour une théorie micropolitique du droit, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 2005.
  • [4]
    Cf. F. Tulkens, J. Callewaert, « Le point de vue de la Cour européenne des droits de l’homme », in J-Y. Carlier, O. De Schutter (sous la dir. de), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 219-240.
  • [5]
    Cf. J.-Y. Carlier, « La garantie des droits fondamentaux en Europe : pour le respect des compétences concurrentes de Luxembourg et de Strasbourg », in Revue québécoise de droit international, 2000, n° 13.1, p. 37-61.
  • [6]
    Pour une analyse plus approfondie de l’histoire de la loi de compétence universelle à travers l’hypothèse d’un changement de paradigme dans le droit, cf. A.Bailleux, La compétence universelle au carrefour de la pyramide et du réseau, Bruxelles, Bruylant, 2005.
  • [7]
    La loi dite « de compétence universelle » est en réalité la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des infractions graves aux Conventions internationales de Genève du 12 août 1949 et aux Protocoles I et II du 8 juin 1977 additionnels à ces Conventions (M.B., 5 août 1993). Elle fut modifiée par la loi du 10 février 1999 (M.B., 23 mars 1999) relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et par la loi du 23 avril 2003 (M.B., 7 mai 2003) modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et l’article 144ter du Code judiciaire. L’expression « loi de compétence universelle » n’est pas très rigoureuse car le droit belge consacre également la compétence universelle dans d’autres situations que celles visées par ladite loi. En outre, la loi de 1993 telle que modifiée en 1999 établit un régime général de répression des crimes de droit international humanitaire, dont l’établissement de la compétence universelle ne constitue qu’un aspect. Néanmoins, des raisons évidentes de lisibilité et la faveur accordée par l’opinion publique à cette expression nous conduisent à l’utiliser à notre tour.
  • [8]
    Abrogation opérée par la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire, in M.B., 7 août 2003.
  • [9]
    Cf. notamment H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. trad. Ch. Eisenmann, 2e éd., Bruxelles-Paris, Bruylant-L.G.D.J., p. 336, à propos de « l’indétermination intentionnelle de l’acte d’application du droit ».
  • [10]
    C.I.J., 14 février 2002, disponible à l’adresse : http://www.icjcij.org/cij-www/cdocket/cOBE/ccobejudgment/ccobe_cjudgment_20020214.PDF ; pour un commentaire de l’arrêt, cf. J. d’Aspremont Lynden, F. Dopagne, « La loi de compétence universelle devant la Cour internationale de justice », note sous C.I.J., 14 février 2002, in J.T., 2002, p. 284-287 ; cf. également les commentaires recueillis dans la R.B.D.I, 2002, p. 469-559.
  • [11]
    On considère généralement que ces observations valent a fortiori pour les chefs d’État et de gouvernement. La question est plus controversée à l’égard des autres membres du gouvernement.
  • [12]
    Bruxelles, 16 avril 2002, in J.L.M.B., 2002, p. 918 ; Bruxelles, 26 juin 2002, in J.T., 2002, p. 539-543.
  • [13]
    La première, interprétative, est la proposition Destexhe et csrts, in doc.parl., Sénat, 18 juillet 2002, n°2-1255/1. La seconde, modificative, est la proposition Mahoux et csrts, in doc. parl., Sénat, 18 juillet 2002, n°2-1256/1.
  • [14]
    La Cour donna en effet de l’article 5 §3 de la loi une interprétation manifestement contraire à sa lettre et à son esprit. Elle considéra ainsi que, loin d’exclure le bénéfice de toute immunité aux dirigeants étrangers, cette disposition avait en réalité pour objet de rappeler que la qualité officielle d’une personne n’entraînait pas son irresponsabilité pénale. Une affirmation sur laquelle tout le monde s’accorde depuis bien longtemps et qui se trouve au fondement même du droit international pénal…
  • [15]
    Cass., 12 février 2003, in J.L.M.B., 2003, p. 368 et s.
  • [16]
    C.A., 23 mars 2005. Arrêt n°62/2005 disponible sur le site www.arbitrage.be.
  • [17]
    C.A., 13 avril 2005. Arrêt n°68/2005 disponible sur le site www.arbitrage.be.
  • [18]
    Cass., 29 juin 2005, disponible sur le site www.juridat.be.
  • [19]
    Slaats et autres c. Belgique, requête n° 38379/03. Cette requête a été déclarée irrecevable par une décision de comité du 25 février 2005.
  • [20]
    Certains commentateurs considèrent qu’aux yeux des États membres, l’insertion d’un catalogue des droits fondamentaux dans le texte des Traités aurait eu pour effet de subvertir le principe d’attribution des compétences en étendant les pouvoirs de la Communauté jusqu’aux limites tracées par ces droits. Ces résistances souverainistes pourraient ainsi expliquer le silence du Traité à cet égard. Cf. e.a. J. Weiler, « Methods of Protection : Towards a Second and Third Generation of Protection », in A. Cassese, A. Clapham, J. Weiler (eds), European Union : The Human Rights Challenge, Baden-Baden, Nomos, 1991, p. 574 ; du même auteur, « Eurocracy and Distrust : Some Questions Concerning the Role of the European Court of Justice in the Protection of Fundamental Human Rights Within the Legal Order of the European Communities », in Washington Law Review, 1986, p. 1112 ; F. Mancini, « Safeguarding Human Rights : The Role of the European Court of Justice », in F. Mancini, Democracy and Constitutionalism in the European Union - Collected Essays, Oxford - Portland Oregon, Hart, 2000, p. 82. Cette crainte est, semble-t-il, réapparue au moment de la rédaction de la Charte : cf. P. Biglino Campos, « Derechos fundamentales y competencias de la Union : El argumento de Hamilton », in Revista de derecho comunitario, 2003, n°14, p. 45-67.
  • [21]
    Selon certains, suite aux échecs successifs de la Communauté européenne de défense et de la Communauté politique européenne - dont les textes fondateurs contenaient des références explicites aux droits fondamentaux -, les rédacteurs du Traité de Rome ont pu considérer qu’il n’était pas possible d’obtenir un consensus dans des matières qui dépassaient le cadre purement économique. Cf. e.a. M. Dauses, « The Protection of Fundamental Rights in the Community Legal Order », in E.L.Rev., 1985, p. 399 ; P. Pescatore, « The Context and Significance of Fundamental Rights in the Law of the European Communities », in Human Rights Law Journal, 1981, p. 296.
  • [22]
    La majorité de la doctrine estime que c’est sans doute parce qu’ils ne voyaient pas en quoi le droit communautaire - alors limité au domaine économique - aurait pu porter atteinte aux droits fondamentaux que les États ont jugé inutile d’introduire un régime de protection de ces derniers dans les Traités. Cf. e.a. G. Cohen-Jonathan, « Les droits de l’homme dans les Communautés européennes », in Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, p. 399-400 ; J-P. Puissochet, « La Cour de Justice et les principes généraux de droit », in X, La protection juridictionnelle des droits dans le système communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 2 ; C. Schneider, « En marge de l’anthropologie juridique. Brèves réflexions sur la dialectique de l’ordre et du désordre pour une histoire des droits fondamentaux dans le système communautaire », in Au carrefour des droits - Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2002, p. 637. Par ailleurs, à une époque où la primauté du droit communautaire n’était pas à l’ordre du jour, la présence de catalogues de droits fondamentaux dans les ordres juridiques nationaux pouvait paraître offrir une garantie suffisante aux citoyens des États membres contre les actes des institutions : cf. mutatis mutandis H. Rasmussen, On law and Policy in the European Court of Justice, Dordrecht-Boston-Lancaster, Martinus Nijhof, 1986, p. 391-392 ;
  • [23]
    Cf. 1/58 Friedrich Stork & Cie contre Haute Autorité, 4 février 1959, in Rec., 1959, p. 43 ; 36, 37, 38 & 40/59, Geitling et autres c. Haute Autorité, 15 juillet 1960, in Rec., 1960, p. 857 ; 40/64, Sgarlata et autres c. Commission, 1er avril 1965, in Rec., 1965, p. 279.
  • [24]
    Du côté allemand, BVerfGE, 2e Ch., 29 mai 1974 (arrêt Solange I). Pour une traduction française, cf. Rev. trim. dr. eur., 1975, p. 316-333 et note M. Fromont, p. 333-336 ; cf. également les observations de G. Cohen-Jonathan, « Cour constitutionnelle allemande et règlements communautaires », in Cah. dr. eur., 1975, р. 173-206. Du côté italien, Cour constitutionnelle italienne, Frontini c. Ministerio delle Finanze, déc. n° 183, 27 décembre 1973. Pour une traduction française, cf. Rev. trim. dr. eur., 1974, p. 148-153 et note S. Neri, p. 154-159. Notons que, préalablement à ces décisions, la Cour avait déjà élevé les droits fondamentaux au rang de principes généraux du droit communautaire. Cette reconnaissance formelle n’avait toutefois eu aucune influence sur l’issue des litiges : cf. 29/69 Erich Stauder с. Ville d’Ulm – Sozialamt, 12 novembre 1969, in Rec., 1969, p. 419 ; 11/70 Internationale Handelsgesellschaft mbH c. Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel et 27/70 Einfuhr- und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel c. Köster, 17 décembre 1970, in Rec., 1970, p. 1125 ; 4/73 J. Nold, Kohlen- und BaustoffgroBhandlung c. Commission des Communautés européennes, 14 mai 1974, in Rec., 1974, p. 491.
  • [25]
    Cf. notamment F. Ost, M. van de Kerchove, op. cit., p. 352-371.
  • [26]
    Sur cette question, cf. H. Kelsen, Théorie générale des normes, coll. Léviathan, PUF, ch. 28, p. 151-160, où Kelsen discute la "théorie de la transformation" de Josef Esser.
  • [27]
    P. Timsit, Les noms de la loi, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1991, passim.
  • [28]
    C-36/02 Omega Spielhallen- und Automatenaufstellung GmbH c. Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn, 14 octobre 2004, in Rec., 2004, p. I-6911.
  • [29]
    Pour mieux comprendre la cohérence propre au raisonnement de la Cour, d’une part, et à la théorie kelsénienne, d’autre part, on peut se risquer à représenter les logiques qui les sous-tendent sous la forme de syllogismes dont les prémisses sont partiellement distinctes. Le syllogisme de Kelsen se formulerait comme suit : 1) Il existe de multiples ordres de valeur ou "systèmes moraux". 2) Or, le droit revêt un contenu uniforme et/ou s’applique de manière uniforme. 3) Donc, la validité du droit ne peut être contrôlée à l’aune de la morale. Le syllogisme qui sous-tend le raisonnement de la Cour se formulerait en revanche comme suit : 1) Il existe de multiples ordres de valeur ou "systèmes moraux". 2) Or, une mesure étatique visant à protéger les convictions morales de la communauté nationale peut déroger au droit communautaire (soit sur base de l’article 30 TCE, soit sur base de la jurisprudence "Cassis de Dijon" et des "raisons impérieuses d’intérêt général"). 3) Donc, le droit communautaire revêt un contenu variable et/ou s’applique de manière variable selon les destinataires.
  • [30]
    On songe ici au droit communautaire, dont le champ d’application se voit limité par une norme nationale traduisant des convictions morales.
  • [31]
    On songe ici à la norme nationale, dont la "moralité" qu’elle traduit conditionne la validité au regard du droit communautaire.
  • [32]
    On songe ici à la notion d’ordre public et à celle de dignité humaine, dont la signification n’apparaît qu’à la lumière des convictions morales de la communauté qui les invoque.
  • [33]
    C-368/95 Familiapress GmbH c. Heinrich Bauer Verlag, 26 juin 1997, in Rec., 1997, p. I-3689 ; C-112/00 Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge c Republik Österreich, 12 juin 2003, in Rec., 2003, p. I-5659.
  • [34]
    C-415/93 Union royale belge de sociétés de football association e.a. c. Bosman e.a., 15 décembre 1995, in Rec., 1995, p. I-4921.
  • [35]
    C-36/02 Omega Spielhallen…, loc. cit., p. I-6911.
  • [36]
    Cf. par exemple C-368/95 Familiapress GmbH…, loc. cit., p. I-3689 ; C-288/89 Stichting Collectieve Antennevoorziening Gouda et autres c. Commissariaat voor de Media, 25 juillet 1991, in Rec., 1991, p. I-4007.
  • [37]
    C-159/90 SPUC c. Grogan, 4 octobre 1991, in Rec., 1991, p. I-4685.
  • [38]
    Ces remarques s’inspirent librement des conceptions de la norme développées d’une part par F. Müller (Discours de la méthode juridique, 5e éd., trad. O. Jouanjan, coll. Léviathan, Paris, PUF, 1996) et d’autre part par P. Moor (Pour une théorie micropolitique du droit, op. cit.).
  • [39]
    F. Ost, M. van de Kerchove, Le système juridique entre ordre et désordre, coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1988.
  • [40]
    Cf. e.a. trib. Bruxelles (ord.), 6 novembre 1998, in Rev. dr. pén. crim. 1999, p. 278-293 ; Gerechtshof Amsterdam, in Bouterse, 20 novembre 2000.
  • [41]
    Pour un panorama général, cf. A. Cassese, M. Delmas-Marty (dir.), Juridictions nationales et crimes internationaux, Paris, PUF, 2002.
  • [42]
    H. Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., p. 311 et s.
  • [43]
    J. Allard, A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.
  • [44]
    La critique la plus célèbre de la jurisprudence de la Cour en cette matière reste indubitablement celle de J. Coppel, A. O’Neill, « The European Court of Justice : Taking Rights Seriously ? », in C.M.L.Rev., 1992, vol. 29, p. 669-692. Voy. aussi la réponse virulente de J. Weiler, N. Lockhart, «’Taking Rights Seriously’ Seriously : the European Court and its Fundamental Rights Jurisprudence », in C.M.L.Rev., 1995, p. 51-94 (part I) ; in C.M.L.Rev., 1995, p. 579-627 (part II).
  • [45]
    Cf. déjà l’article 3 du projet de Traité portant statut de la Communauté (politique) européenne, qui incorporait explicitement la Convention européenne des droits de l’homme au droit communautaire. Cf. également le mémorandum de la Commission européenne envisageant la question de l’adhésion dès 1979 (Bulletin des Communautés européennes, supplément 2/79). Sur ces premiers projets, cf. G. Cohen-Jonathan, « La problématique de l’adhésion des Communautés européennes à la Convention européenne des Droits de l’Homme », in Mélanges offerts à Pierre-Henri Teitgen, Paris, Pédone, 1984, p. 81-108. Mais cette question prit un tour plus dramatique lorsque la Cour de justice, saisie d’une demande d’avis du Conseil, considéra que l’adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l’homme devait nécessairement passer par une modification du Traité (Opinion 2/94, 28 mars 1996, in Rec., 1996, I-1759 ; pour un commentaire parmi tant d’autres, cf. O. De Schutter, Y. Lejeune, « L’adhésion de la Communauté à la Convention européenne des Droits de l’Homme. À propos de l’avis 2/94 de la Cour de justice des Communautés », in Cah. dr. eur., 1996, p. 555-606). La question est loin d’être devenue caduque puisque le projet de Traité constitutionnel dispose en son article I.7.2 que « l’Union s’emploie à adhérer à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Pour un commentaire de cette disposition, cf J. Dutheil de la Rochère, « Les droits fondamentaux dans le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe », in Libertés, justice, tolérance. Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 761-769, spéc. p. 767-768.
  • [46]
    Traité signé à Rome le 29 octobre 2004, in Journal officiel de l’Union européenne, 16 décembre 2004, C. 310. Rappelons, si besoin en était, que ce Traité n’est pas (encore) entré en vigueur.
  • [47]
    Pour un commentaire du contenu de la Charte, cf. e.a. G. Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : témoignages et commentaires, Paris, Seuil, 2001 ; J-Y. Carlier, O. De Schutter (dir.), La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002. Concernant l’incorporation de la Charte dans le Traité constitutionnel et les modifications qui en ont résulté, cf. S. Koukoulis-Spiliotopoulos, « Incorporating the Charter into the Constitutional Treaty : What Future for Fundamental Rights ? », in C. Rodriguez Iglesias et al., Problèmes d’interprétation - À la mémoire de Constantinos N. Kakouris, Athènes - Bruxelles, Sakkoulas - Bruylant, 2004, p. 223-258 ; L. Burgorgue-Larsen, « Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », in Cah. dr. eur., 2004, n°5-6, p. 663-690 ; A. Arnull, « Protecting Fundamental Rights in Europe’s New Constitutional Order », in T. Tridimas, P. Nebbia (éds), European Union Law for the Twenty-First Century, Oxford - Portland Oregon, Hart, 2003, p. 95-112. On remarquera que l’idée d’un catalogue des droits de l’Union européenne n’est pas neuve : voy. déjà les résolutions du Parlement européen du 10 juillet 1975 sur l’Union européenne (Journal officiel, 6 août 1975, C-179/28) et du 12 avril 1989 portant adoption de la Déclaration des droits et libertés fondamentaux (Journal officiel, 16 mai 1989, C-120/51). Cf. aussi K. Lenaerts, « Fundamental Rights to be Included in a Community Catalogue », in E.L.Rev., 1991, p. 367-390.
  • [48]
    Cf. G. Della Cananea, « The Concept of Fundamental Rights in the EU Charter », in Rev. eur. droit public, 2002, vol.14, p. 795-813, spéc. p. 800-802.
  • [49]
    Article 52.5 : « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions et organes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de tels actes ». Cf. aussi l’article 51.1. Pour un commentaire, cf. L. Burgorgue-Larsen, loc. cit., p. 663-690, spéc. p. 682-690.
  • [50]
    Article 51.1 : « Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et agences de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement quand ils mettent en œuvre le droit de l’Union. » (nous soulignons). Cette disposition est en totale contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour, qui étend son contrôle en matière de droits fondamentaux aux mesures nationales qui « entrent dans le champ d’application » du droit communautaire. Pour un commentaire récent, cf. A. Knook, « The Court, the Charter and the Vertical Division of Powers in the European Union », in CMLRev., 2005, vol. 42, p. 367-398. Cf. aussi P. Eeckhout, « The EU Charter of Fundamental Rights and the Federal Question », in CMLRev., 2002, vol. 39, p. 945-994. Pour une analyse plus « politique », cf. P. Goldsmith, « A Charter of Rights, Freedoms and Principles », in W. Heusel (ed.), The Charter of Fundamental Rights and Constitutional Development in the EU, Schriftenreihe der Europäischen Rechtsakademie Trier, Bundesanzeiger, 2002, p. 35-42.
  • [51]
    "(…) la Charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du Praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte" (extrait du préambule de la Charte). Le texte de ces explications est consultable sur www.europa.eu.int/constitution/fr/ptoc146_fr.htm. Concernant leur statut, cf. e.a. L. Burgorgue-Larsen, loc. cit., p. 671-681.
  • [52]
    Cette approche se retrouve également dans les premières lignes d’un autre ouvrage cosigné par les auteurs et intitulé Le droit ou les paradoxes du jeu (coll. les voies du droit, Paris, PUF, 1992) : « Sans doute est-il avéré que chaque époque appelle une théorie du droit déterminée. Saisir le contexte culturel de son temps s’impose donc comme un préalable obligé à toute intelligence du droit. Qu’est-elle donc cette époque, dite "postmoderne" ? » (p. 7).
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.173

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions