Notes
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[1]
À la fin du Moyen Âge apparaît une profonde inquiétude religieuse. La crainte de la mort conduisait les chrétiens à avoir peur du jugement divin qui peut les mener au purgatoire ou en enfer. Pour éviter ce triste sort et obtenir le salut éternel, l’unique solution était l’achat des indulgences (grâce octroyée automatiquement par l’Église aux pécheurs) ou l’offrande de dons au clergé.
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[2]
La thèse luthérienne sur la raison est contraire à celle de saint Thomas, qui assure que, si c’est Dieu qui s’exprime par les livres sacrés et lui aussi qui nous a donné la capacité de raisonner, il ne pourra pas y avoir de désaccord entre ce que la foi nous enseigne et ce que la raison nous impose. De ce fait, si la raison est au service de la foi – car elle pourra démontrer les propositions qu’on connaît par la foi et mieux exposer celles qui ne sont pas démontrables rationnellement –, on pourra, en faisant usage de la raison, parvenir à la vraie connaissance. Voir Saint Thomas d’Aquin, par André Cresson, Presses universitaires de France, Paris, 1957.
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[3]
Le protestantisme – qui a comme dogme que le chrétien, considéré comme prédestiné, ne peut pas mériter lui-même le salut par ses bonnes œuvres car seul Dieu est autorisé, par sa grâce, à le donner – se divise en : luthéranisme (doctrine de Luther), calvinisme (doctrine du français Jean Calvin [1509-1564] qui, à la suite de Luther, écrira L’Institution de la religion chrétienne) et l’anglicanisme (religion qui naît en Angleterre sous le règne d’Elisabeth I, comme conséquence de la rupture avec la papauté survenue sous le règne d’Henry VIII en 1533-1535, et qui adopte le dogme calviniste).
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[4]
La Compagnie de Jésus fut fondée par Ignace de Loyola en 1534 et approuvée par le pape Paul III en 1540.
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[5]
Bañez développa la doctrine de praemotio physica contre la scientia media moliniste. Dans sa praemotio physica, il proclamait qu’une personne ne peut accepter la grâce divine qu’en étant incitée par Dieu à le faire.
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[6]
Saint Augustin (354-430) pensait, face à l’humanisme païen de son époque et face à la doctrine de Pélage (400) – qui soutenait, au détriment de la grâce divine, le pouvoir du libre arbitre humain ؘ–, que, si l’homme est pécheur par nature, lui-même par sa propre volonté ne peut pas obtenir son salut. Donc, seul Dieu peut choisir les âmes qui doivent bénéficier de la grâce divine. D’où l’idée de prédestination gratuite et de grâce efficace. Voir La Prédestination de Francis Ferrier, Que sais-je ?, n° 2537.
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[7]
Saint Thomas étaya la doctrine augustinienne, mais en lui donnant des bases rationnelles. Il se demande si la grâce de Dieu est quelque chose que l’homme accepte librement ou si cette acceptation est déterminée par Dieu. De ce fait, il considère que, si l’homme au moyen de son libre arbitre refuse la grâce de Dieu, le reproche doit s’adresser à l’homme et non à Dieu. Donc, on peut déduire que, quoique l’homme soit prédestiné par Dieu, il pourra refuser sa grâce sous sa responsabilité. Ibidem.
-
[8]
Dictionnaire de l’histoire du christianisme, Albin Michel, Encyclopaedia universalis, 2000, p. 346.
-
[9]
Pour une information plus complète sur le jansénisme, ibidem, p. 536-543.
-
[10]
Le miracle de Théophile de Rutebeuf, présentation et traduction par Jean Dufournet, éd. GF Flammarion, Paris, 1987.
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[11]
Le Volksbuch a connu un grand succès dès sa parution. Il fut traduit en différentes langues, parmi lesquelles il faut signaler des traductions anglaises qui ont été à la base du Faust de Marlowe de 1593.
-
[12]
Comme on l’a déjà avancé, le Volksbuch est un récit d’un auteur anonyme. Cependant, après lecture, on est obligé d’envisager l’hypothèse qu’il ait été écrit par plusieurs personnes. On s’aperçoit de la différence qu’il y a entre les premiers et les derniers chapitres, et tous ceux qui sont consacrés à la démonstration du pouvoir de la magie. Cette hypothèse sera étayée par le fait que, si on regarde attentivement les chapitres dédiés aux exploits magiques de Faust, il semble que l’auteur s’y complaise et même qu’il ait une sympathie pour ceux-ci. Ne les développe-t-il pas largement, voire comiquement ? Par contre, les autres chapitres adoptent un ton très sérieux et moralisant, condamnant et critiquant durement toute pratique magique. Donc, il semble y avoir différents styles et sensibilités pour une même histoire. En même temps, d’un autre point de vue, on pourrait se demander la raison de l’anonymat. Ces différences de sensibilité pourraient donner à penser que les chapitres moralisateurs sont la conséquence directe de l’interdiction qui existait à cette époque-là de pratiquer et croire en toute sorte de magie, sous peine d’être condamné aux flammes du bûcher. Cependant, dans cet article, on considérera l’œuvre comme création d’un même auteur, avec sa finalité didactique et moralisante.
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[13]
Voir « Introduction » de J. Lefebvre, dans L’Histoire du Docteur Faust (1587), éd. Les Belles Lettres, Paris, 1970, p. 20.
-
[14]
Le Magicien Prodigieux (El Mágico Prodigioso) de Calderon ; édition, introduction, traduction et notes par Bernard Sesé, Collection bilingue des classiques étrangers, éd. Montaigne, Paris, 1969.
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[15]
La plupart des textes qui se publient en Espagne entre 1550 et 1750 sont l’œuvre de clercs ; généralement, il s’agit d’une littérature de propagande au service de la Contre-Réforme (voir L’Espagne de 1492 à 1808 par Jean-Pierre Dedieu, éd. Belin SUP, Paris, 1994, p. 205). Même Calderón (Madrid, 1600 – Madrid, 1681), écrivain typique du XVIIe siècle, étudiant en humanités et en théologie à l’école des Jésuites, et en scolastique juridique aux universités de Salamanque et d’Alcalá, fut ordonné prêtre à la fin de sa vie, en 1651.
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[16]
L’Esclave du Démon de Mira de Amescua met en scène l’histoire de saint Gil de Santarem qui, vaincu par la tentation démoniaque, vend son âme au Diable pour obtenir une vie d’action. Repenti et converti, après une vie de péché, il obtient le salut de Dieu. Il s’agit d’une œuvre qui parle de la grâce, de la prédestination et du libre arbitre avec une conception moliniste. Voir Historia de la Literatura Española par Angel Valbuena Prat, éd. Gustavo Gili, S.A. tome II, 1963, p. 423-428.
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[17]
On peut penser que Calderón connaissait aussi la légende du pacte avec le Diable à travers la grande tradition littéraire produite au Moyen Âge, où on peut signaler plusieurs œuvres espagnoles qui traitaient déjà de ce même sujet : Las Cántigas de Santa María de Alfonso X el Sabio (XIIIe siècle) ; Los Milagros de Nuestra Señora de Gonzalo de Berceo (XIIIe siècle) ; El Libro del Buen Amor del Arcipreste de Hita (XIVe siècle) ; ou El Conde de Lucanor de Don Juan Manuel (XIVe siècle). Selon Bruce W. Wardropper, Calderón ne paraît pas avoir été influencé par la légende de Faust – encore qu’il semble qu’au XVIIe siècle elle était bien connue en Espagne –, parce qu’on trouve de grandes différences entre les deux histoires (voir l’introduction de El Mágico Prodigioso de B. W. Wardropper, éd. Cátedra, Madrid, 2000, p. 18-19). Mais, si on peut affirmer que l’histoire de Faust, celle du Volksbuch ou celle de Marlowe, était très connue en Espagne, ne peut-on penser aussi que l’intention de Calderón, face à la morale protestante de ces deux versions, était d’écrire une histoire complètement différente – avec la même base du pacte avec le Diable – pour développer la thèse opposée à celle-ci ? Nous allons essayer d’analyser ces différences dans la dernière partie de cet article.
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[18]
Angel Valbuena Prat, Historia de la Literatura Española, op. cit., p. 551.
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[19]
Antioche était la troisième capitale de l’Empire, après Rome et Alexandrie, et le centre du christianisme hellénique. Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 53-58.
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[20]
Le passage, qui provient de l’œuvre de Pline Historia Naturalis (Livre II, chapitre 7), dit : « Dieu est unique bonté suprême, / unique essence, unique substance ; / il voit tout, il est tout-puissant. » (M. P. p. 65).
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[21]
À côté de l’histoire de Cyprien et Justine, plusieurs histoires se succèdent en même temps, qui ne laissent pas d’être importantes : celle de Clarín, Moscón et Livie, triangle amoureux ; Floro et Lelio, tous les deux amoureux de Justine ; Lysandre, père de Justine, qui, avec le dévoilement de son secret, découvre la foi chrétienne de sa fille ; le Gouverneur d’Antioche, père de Lelio, qui représente la persécution des chrétiens. Rien dans l’œuvre ne pourrait être enlevé, car tout converge vers l’histoire des deux protagonistes.
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[22]
Le seul problème juridique exposé dans l’Histoire du Docteur Johann Faust est celui de la représentation conventionnelle, parce qu’une des parties n’agit pas en son nom propre. Méphostophilès, serviteur de Lucifer « le véritable maître du Dr Faust », a besoin du consentement formel de son supérieur pour pouvoir arriver à un accord avec Faust, puisqu’« il n’avait pouvoir absolu qu’autant que le lui concédait le maître qui régnait sur lui. » (V. p. 75)
-
[23]
Malgré la méconnaissance qu’avait Cyprien de l’authentique identité du Diable à l’instant de la signature du pacte, le contrat produira son obligation juridique. Ce sera précisément, comme on verra plus tard, au moment où Cyprien la découvrira qu’il demandera d’annuler le contrat.
-
[24]
Faust et Cyprien écriront, l’un : « J’ai écrit la présente promesse de ma propre main, y ai souscrit de mon propre sang soutiré pour ce faire ; et en toute possession de mon esprit et jugement, de ma pensée et volonté, l’ai fermée et attestée de mon sceau, etc. » (V. p. 80), et l’autre : « Moi, le grand Cyprien, je dis / que je donnerai mon âme immortelle. / […] à qui m’enseignera des sciences / […] qui me permettront d’attirer à moi / Justine, mon ingrate maîtresse ! / Et j’ai signé cela de mon nom. » (M.P. p. 169) Ils obtiennent tous deux l’accord du Diable ; pour le premier : « L’Esprit volant se montra derechef à Faust, et s’offrit à lui être assujetti et obéissant en toutes choses, vu que son maître suprême lui en avait donné pouvoir. » (V. p. 76), et pour le second : « Eh bien, j’accepte ce contrat » (M.P. p. 163).
-
[25]
La première formulation se présente en trois articles : I- « Qu’il devrait lui être sujet et obéissant en toutes choses qu’il commanderait, demanderait et ordonnerait, pendant toute sa vie, et jusqu’à sa mort, à lui, Dr Faust ; II- Qu’il ne devrait rien lui cacher de ce qu’il voudrait apprendre de lui ; III- Qu’à toutes ses demandes il ne répondit rien qui ne fût véritable. » (V. p. 75).
-
[26]
Par contre, dans la deuxième apparaissent six articles : I- « Qu’il pût prendre et garder lui aussi physionomie, forme et faculté d’un esprit ; II- Que l’Esprit fît tout ce qu’il désirerait et lui donnât tout ce qu’il voudrait avoir de lui ; III- Qu’il lui fût diligent, sujet et obéissant comme un serviteur ; IV- Qu’à toute heure qu’il l’appellerait et manderait, il se trouvât en son logis ; V- Qu’il gouvernât invisible en son logis et ne se fît voir de personne que de lui, sauf à sa volonté et à son commandement ; VI- Que toutes et quantes fois qu’il le demanderait, il eût à se montrer, et sous telle forme qu’il exigerait de lui. » (V. p. 77).
-
[27]
Parallèlement, Méphostophilès exige en cinq articles : I- « Que Faust lui jurât et promît qu’il serait sien, à lui, l’Esprit ; II- Que, pour confirmation, il ratifiât cette promesse par son propre sang, et s’engageât de la sorte par écrit envers lui ; III- Qu’il fût ennemi de tous les chrétiens ; IV- Qu’il abjurât la foi chrétienne ; V- Qu’il ne se laissât pas séduire si certains voulaient le convertir. » (V. p. 77).
-
[28]
Claudio Magris, « Les métamorphoses de Faust », in Europe, Revue Littéraire mensuelle, « Faust », n° 813-814 / Janvier-Février 1997, p. 12.
-
[29]
Pour une étude approfondie sur le temps dans le contrat « faustien », voir « Temps et contrat. Critique du pacte faustien. La relativité du contrat », par F. Ost, Travaux de l’Association H. Capitant, LGDJ, Paris, 2000.
-
[30]
« L’heure de Faust approchait, comme le sable qui s’écoule en un sablier » (V. p. 170) ou « Le sablier est là devant mes regards, m’avertissant qu’il faut que je me tienne prêt pour le moment où il sera écoulé, et que le Diable me viendra chercher cette nuit même… » (V. p. 178).
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[31]
La première proposition est faite par Cyprien, après qu’il ait été éconduit par Justine, dans la solitude et entraîné par son désespoir : « […] que je donnerais […] / au génie le plus diabolique / […] vaincu déjà, déjà soumis / à l’agonie, à la peine éternelle, / pour jouir de cette femme, / je donnerais mon âme. » (M.P. p. 123-125). La deuxième est faite pendant l’aveu au Diable de son amour pour Justine. Le Diable, travesti en étranger magicien, lui propose l’art de la magie comme la seule solution de voir accompli son désir : « J’ai dit (et je ferai ce que j’ai dit), / que j’offrirais libéralement / mon âme à un génie infernal / (juge par là de ma passion), pour que cet amour qui m’afflige […] » (M.P. p. 161-163). Et la dernière proposition se place après qu’il ait été convaincu par la démonstration des pouvoirs magiques du Diable : « […] Oui, je crois à ta science ! / Oui, j’avoue que je suis ton esclave… » ; « Moi, le grand Cyprien, je dis / que je donnerai mon âme immortelle… » ; « Et l’âme que je t’offre / est à toi désormais, et pour l’éternité. » (M.P. p. 169).
-
[32]
« Spéculateur » : étymologie, en 1532, en latin « observateur ». Nouveau dictionnaire étymologique et historique, A. Dauzat, J. Dubois, H. Mitterand, Librairie Larousse, Paris, 1964.
-
[33]
Étymologie de « Magie », au XVIe siècle du grec « mageia » qui signifie « religion des mages » et, du latin « magia » qui signifie « sorcellerie ». Ibidem.
-
[34]
Voir Faust ou l’Autre en question. Dieu, la pensée, le mal, par F. Mies, Presses Universitaires de Namur, Namur, 1994, p. 115.
-
[35]
Le Diable, au début de l’histoire, essaie de convaincre Cyprien, par la dialectique, qu’il est arrivé à une conclusion philosophique erronée – l’existence d’un Dieu supérieur et unique –, mais, comme il ne le réussit pas, touché dans son orgueil diabolique, il jure vengeance : « […] (puisque tes études te conduisent si loin, / je ferai en sorte que tu oublies l’étude, / ravi par une rare beauté. / Puisque j’ai licence / de poursuivre Justine de ma rage, / d’un même effet je tirerai / une double vengeance. » (M.P. p. 73).
-
[36]
Tandis que Faust utilise le pouvoir magique pour réaliser tout l’imaginable, Cyprien ne le consacre qu’à l’obtention d’une seule finalité, sans tenir compte de tous les avantages qu’il pourrait obtenir grâce à lui.
-
[37]
Voir J. Lefebvre, « Introduction », L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 32.
-
[38]
G. Thines, « La trahison du disciple », in Europe, op. cit., p. 23.
-
[39]
« […] Ainsi, c’est toi qui m’as trompé / puisqu’en mettant ta science à exécution, / je ne découvre qu’un fantôme / là où je cherche la beauté. » (M.P. p. 207)
-
[40]
L’information utilisée sur la théologie luthérienne est extraite du Dictionnaire de l’histoire du christianisme, Encyclopaedia universalis. Albin Michel, 2000.
-
[41]
« Calderón ha hecho de sus figuras cristianas la base de un drama universal en cuanto que teatraliza el principio de la reflexión, el estudio, como ideales del intelectual, de cuyo arquetipo la comedia es una verdadera apología », (Angel Valbuena Prat, Historia de la Literatura española, op. cit., p. 553 – traduction française par nos soins).
-
[42]
Théologie basée sur l’expérience vécue, car la raison et la foi sont incompatibles. Voir Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 625.
-
[43]
Dès la fin du Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, on considère que le pouvoir des sorciers est le résultat d’un pacte signé avec le Diable. Au XVIe siècle (pleine époque de la chasse aux sorcières) la magie est considérée comme le pouvoir sur la nature en collaboration avec des esprits malins. Toutes les sciences, comme l’alchimie, l’astrologie, les mathématiques ou la médecine, dont les résultats sont incompréhensibles pour la population, sont considérées, elles aussi, comme liées à la magie. Le Volksbuch cristallise cette méfiance populaire envers l’incompréhen-sible. Pour l’auteur, sa pratique est le symbole du péché ; par conséquent, dès la « Préface au lecteur chrétien », il la condamne en s’appuyant sur de nombreuses citations bibliques (« Le Diable en personne devient le propre bourreau des magiciens » [V. p. 67]), puisque la Bible l’interdit expressément. L’histoire de Faust doit être un avertissement contre tous ceux qui pensent s’en servir. Par conséquent, ce sujet surgira de nouveau avec force au moment où Faust s’adressera à ses amis les étudiants en leur disant : « La magie n’a d’autre origine que le diable. » (V. p. 177).
-
[44]
« Il avait aussi la tête orgueilleuse, portée à la sottise et à la déraison, à telle enseigne qu’on l’appela toujours le Spéculateur ; il fréquenta la mauvaise compagnie, mit pendant un temps les Saintes Écritures derrière la porte et sous le banc et mena une vie d’infamie et d’impiété » (V. p. 71).
-
[45]
Faust « évoque tous les élans humains vers la vie, le savoir et le pouvoir, depuis les désirs les plus mêlés jusqu’aux aspirations les plus élevées, le tout pouvant mener à l’égocentrisme et à la volonté de puissance les plus absolus ou aussi bien à la générosité et au service des autres : l’homme porte en lui-même un rêve de grandeur infinie, le besoin d’un “toujours plus” », André Dabezies, « Miroirs du mythe », in Europe, op. cit. p. 6.
-
[46]
« […] Il refusa qu’on l’appelât théologien, devint un mondain, prit le nom de docteur en médecine, se fit astrologue et mathématicien et par pure convenance pratiqua la médecine » (V. p. 72).
-
[47]
Faust croit dominer le Diable, parce que c’est lui qui l’a fait apparaître et qu’il connaît son nom : « Puis il demande au Diable comment il s’appelait et quel était son nom. L’Esprit répondit qu’il s’appelait Méphostophilès » (V. p. 78). Connaître l’identité du Diable est ce qui transforme celui-ci en un être accessible, aux yeux de Faust.
-
[48]
Luther s’oppose à la définition classique de l’homme comme être vivant doué de raison.
-
[49]
Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 625-626.
-
[50]
« Dans l’agréable solitude / de ce séjour paisible, / splendide labyrinthe / de fleurs, de roses et de plantes, / vous pouvez me laisser, en laissant avec moi / (car leur compagnie me suffit) / les livres que je vous ai dit de prendre chez moi ; / en effet, cependant qu’Antioche / célèbre par tant de fêtes / […] je veux consacrer à l’étude / le temps qui reste jusqu’à la fin du jour. » (M.P. p. 57).
-
[51]
Cyprien lui-même le confirme en disant : « […] Clarín apporte-moi / sur-le-champ une épée et des plumes, / car l’amour en effet se complaît / dans un objet paré d’éclats et de splendeurs : / foin, désormais, des livres et de l’étude ! / Et que l’on dise en toute vérité / que de l’esprit l’amour / est la perte assurée. » (M.P. p. 113).
-
[52]
Sur l’altérité, voir F. Mies, Faust ou l’Autre en question. Dieu, la pensée, le mal, op. cit., p. 14.
-
[53]
Œuvre que s’appuie sur les principes du code de l’honneur qui régissent la société espagnole de l’époque de Philippe IV. Le sens de l’honneur social, où l’offense et l’affront ne trouvent réparation que dans le sang, et où la femme est prisonnière de sa réputation, est différent pour Cyprien. « L’honneur, pour lui, implique le respect de la femme aimée, et s’il connaît les obligations du rang il refuse pourtant d’en accepter les règles tyranniques. » (Le Magicien Prodigieux, op. cit., p. 34).
-
[54]
« Dès qu’il se trouvait seul et voulait songer à la parole divine, le Diable déguisé en une belle femme venait le trouver, le tenait acollé et s’adonnait avec lui à la luxure, tellement qu’il oubliait bien vite la parole de Dieu, l’envoyait par-dessus les moulins et persistait dans son dessein criminel. » (V. p. 98-99).
-
[55]
Il sera si convaincu de sa perte qu’il confirmera de nouveau le pacte avec le Diable, malgré qu’« un vieil homme […] qui aimait les saintes Écritures » (V. p. 158) essayera de le persuader qu’il est encore temps d’obtenir la grâce de Dieu, en l’assurant qu’« il n’est pas encore trop tard, si vous retournez en arrière et priez Dieu de vous accorder grâce … » (V. p. 159).
-
[56]
« Et je me suis pris moi-même au piège. Si j’avais eu de pieuses pensées, si je m’étais tenu à Dieu par la prière et n’avais laissé le diable prendre si fortes racines en moi, un tel malheur de l’âme et du corps ne me serait jamais arrivé. Las ! Qu’ai-je fait ? » (V. p. 92).
-
[57]
Voir J. Lefebvre, « Introduction », in L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 38.
-
[58]
« La voie de la révision s’étant refermée, il reste donc à exécuter le pacte mécaniquement […] ainsi se traduit la nature du contractualisme diabolique : une stricte logique de rétribution, étrangère à toute idée d’équité, de grâce ou de miséricorde qui, débordant la réciprocité contractuelle, eût pu inscrire l’engagement dans le registre du don ou du pardon. » (F. Ost, « Le pacte faustien ou les avatars de la liberté », in Faust ou les frontières du savoir, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, p. 269.
-
[59]
« Ainsi c’est toi qui m’as trompé / puisqu’en mettant ta science à exécution, / je ne découvre qu’un fantôme / là où je cherche la beauté. » (M.P. p. 207).
-
[60]
Justine sera l’instrument fondamental pour que Cyprien reçoive la grâce de Dieu car, au moment où Cyprien demandera au Diable « Qu’est-ce qui a pu faire / qu’il s’oppose à moi ? », le Démon lui répondra « Que Justine soit chrétienne. » (M.P. p. 213).
-
[61]
Le Diable avait essayé de le convaincre – de la même façon que le Diable de Faust – qu’« […] il est trop tard, il est trop tard / pour que toi tu le trouves, si je juge / qu’étant mon esclave / tu ne seras point son vassal. » (M.P. p. 213).
-
[62]
« Nul ne punit qui s’est soumis, / et moi je le suis puisque je l’appelle. » (M.P. p. 215).
-
[63]
« N’ayant point, avec les dons qui m’ont été départis d’En-Haut et gracieusement attribués, trouvé dans mon entendement cette faculté et ne pouvant l’apprendre des hommes, je me suis soumis à l’Esprit envoyé à moi, et ici présent… » (V. p. 79).
-
[64]
A. Dabezies, « Miroirs du mythe », in Europe, op. cit., p. 5-6.
-
[65]
Selon F. Mies, le pacte symbolise le travestissement de l’Alliance. Voir, pour mieux approfondir ce sujet, F. Mies, « Avertissement à l’Europe – Les Faust de Klaus et Thomas Mann », in Europe, op. cit., p. 93.
-
[66]
Face à la pensée médiévale et humaniste sur le libre arbitre qui considérait que l’homme peut collaborer dans une certaine mesure à l’action de la grâce, Luther estime que l’effort de l’homme pour contribuer à son salut est source d’esclavage. L’homme, dans la quête de son salut, sera toujours poursuivi par l’incertitude de ne pas savoir s’il a fait suffisamment pour le mériter et, pour cette raison, il deviendra esclave de sa propre volonté. C’est pourquoi Luther renverse l’idée médiévale et humaniste du libre arbitre et constitue sa propre thèse, celle du serf arbitre.
-
[67]
« Je le veux savoir, ou bien je meurs ! Il faut que tu me le dises. » (V. p. 93). C’est précisément à cause de sa spéculation « trop rationaliste en matière de religion, que Faust est fermé aux paradoxes luthériens sur la grâce. ». Voir J. Lefebvre, « Introduction », in L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 38.
-
[68]
Pour cette raison, l’auteur, pendant toute l’histoire, condamne Faust pour avoir abandonné Dieu. Et, au moyen de citations bibliques, car la Bible est pour le luthéranisme la seule source du christianisme, il tentera de prévenir tous les chrétiens de ce qui arrive à tout qui profane le mystère de la foi. Par exemple : « Soyez soumis à Dieu, résistez au diable, et il fuira loin de vous CUM GRATIA ET PRIVILEGIO » – qui apparaît dans le titre même du récit – ou « Soyez vigilants et prenez garde, car votre adversaire le Diable rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. Résistez-lui par une foi ferme » – par laquelle l’auteur termine l’histoire (V. p. 181).
-
[69]
Voir Bruce W. Wardropper, « Introduction », in El Mágico Prodigioso, éd. Catedra, Madrid, 2000.
-
[70]
« Oh ! malheureux, que vois-je ? / Un cadavre roide et muet m’attend entre ses bras ! » (M.P. p. 203).
-
[71]
L’Espagne affiche, à cette époque, un vif intérêt pour le surnaturel. Dans chaque ville de la Mancha existe, aux XVIe et XVIIe siècles, un ou deux spécialistes de la magie. Il s’agit de professionnels reconnus qui inspirent à la population un sentiment
mélangé de crainte et d’admiration. Entre 1580 et 1650 se produira une forte répression de la magie par le clergé, car celui-ci revendiquera le monopole du contact avec le surnaturel et se posera en seul détenteur de la vérité. De plus, il est le seul capable d’élaborer des règles religieuses et sociales. Ainsi, ceux qui obéissent à d’autres que Dieu ou l’Église ne pouvaient être que de suppôts du Diable, puisque le Diable est l’ennemi de Dieu, et, en conséquence, ils seront poursuivis par les tribunaux, par l’État et par l’Inquisition. Seule l’Église a les armes nécessaires pour le combattre. -
[72]
Pour cette raison Cyprien affirmera à la fin de l’histoire « Je me rends à toi, résolu / à souffrir mille morts / car je connais enfin / que, sans ce grand Dieu que je cherche, / que j’adore et que je révère / toutes les gloires humaines ne sont / que poussière, fumée, cendre et vent. » (M.P. p. 225).
-
[73]
« Ma défense consiste en Dieu » et « J’en appelle au ciel de cette offense, / afin que le ciel dissipe / cette apparence de ma réputation, / comme la flamme à l’air s’évanouit… » (M.P. p. 191) Ses prières sauveront son honneur et sa vertu.
-
[74]
« Eh bien, tu failliras à ta promesse ; / car cette peine, cette passion / qui ont affligé ma pensée, / ont emporté mon imagination, / mais non pas mon consentement. » (M.P. p. 189) et à la question du Démon « Si une science inouïe / sur toi exerce son pouvoir, / comment peux-tu vaincre, Justine, si elle incline avec tant de force / qu’elle force tout en inclinant ? », elle répondra « En sachant faire usage / de mon libre pouvoir. » (M.P. p. 189).
-
[75]
« C’est le Dieu des chrétiens / qu’à grands cris je confesse ; / s’il est vrai que je suis maintenant / l’esclave de l’enfer / et que de mon sang même / j’ai signé un pacte, / mon sang l’effacera / dans le martyre que j’espère. » (M.P. p. 225).
-
[76]
« […] En effet, quoique mon grand pouvoir / ne puisse vaincre une volonté libre… » (M.P. p. 177).
-
[77]
« Cyprien, je t’avais dit / que je t’aimerais dans la mort, / et puisque je vais à la mort avec toi, / j’ai tenu ma promesse. » (M.P. p. 233).
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Faust lui-même, à la fin de l’ouvrage, accusera la raison et le libre arbitre d’être cause de sa condamnation : « Las ! Raison et libre arbitre, à quel châtiment exposez-vous mon corps, qui ne peut rien attendre d’autre que la privation de la vie ! Las ! Vous mes membres, et toi mon corps encore plein de santé, vous ma raison et mon âme, plaignez-moi, car j’aurais eu liberté de vous imposer ce sort et de vous y soustraire, et j’aurais pu grâce à vous m’amender ! » (V. p. 171).
« La passion c’est donc ce qui me conditionne en tant qu’être humain, ce à quoi je ne puis échapper et dont il faut que je me libère autant que possible. Par la foi diront certains, par la raison soutiendront les autres… »
Introduction
1Quoique le mythe de Faust puisse être étudié selon différentes perspectives : sociologique (impact social de l’ouvrage), psychologique (doutes existentiels de Faust), etc., cet article adoptera une perspective juridique et théologique.
2Nous allons voir que, quel que soit le nom du héros, Théophile, Faust, saint Gil ou Cyprien, tous démontrent, encore qu’à différents points de vue, comment un homme ambitieux et anxieux de voir accomplis certains désirs se sentira capable de vendre son âme au Diable pour les réaliser. Nous verrons comment ce pacte diabolique adoptera toujours la forme d’un contrat juridique et, en conséquence, nous nous demanderons : pourquoi un contrat en bonne et due forme, et non une simple convention, est-il nécessaire pour établir un pacte avec le Diable ? Quel est le rôle que l’auteur lui octroie dans chaque histoire ? Quel sera la récompense de ce comportement ? Qui est vraiment celui qui décide de la condamnation ou du salut de chacun des protagonistes ?
3Pour répondre à toutes ces questions, nous allons analyser L’Histoire du Docteur Johann Faust, d’un auteur anonyme, publié en 1587 (Volksbuch, dans la suite de l’article), et Le Magicien Prodigieux de Calderón de la Barca, publié en 1663. Nous avons choisi ces deux ouvrages parce qu’écrits au cours de deux siècles de profondes crises religieuses, ils présentent deux histoires qui, bien qu’ayant comme sujet principal le pacte avec le Diable, illustrent deux théories théologiques tout à fait opposées et deux contrats juridiques aux finalités différentes.
4L’article sera divisé en trois parties que nous considérons nécessaires pour arriver aux réponses pertinentes. Une première partie où sera exposé le contexte historique de chaque ouvrage, afin de mieux comprendre l’idéologie manifeste de l’époque où il a été écrit, les influences reçues, ses origines et ses conséquences. Dans la deuxième, nous envisagerons l’étude du pacte comme catégorie juridique, et nous analyserons quels sont les éléments qui le constituent, ainsi que sa validité et son interprétation. La dernière partie sera consacrée à une critique théologique des œuvres. Nous analyserons de la même façon les deux histoires afin de déduire la technique utilisée par l’auteur, sa source d’inspiration, sa finalité et son message implicite.
5À travers la confrontation de ces deux perspectives, juridique et théologique, nous essaierons, en conclusion, de démontrer que l’adoption juridique du pacte avec le Diable est une forme logique nécessaire pour mettre en évidence la thèse de chaque auteur.
1 – Contexte historique
6À la fin du XVe siècle et au début du XVIe s’étend en Europe occidentale la pensée humaniste de la Renaissance. L’Humanisme, mouvement culturel qui veut rompre avec les valeurs du Moyen Âge, s’inspire des auteurs de l’Antiquité et se consacre à l’étude de l’homme et de la nature. C’est l’époque de l’exaltation de la grandeur de l’homme, car l’homme se sent capable de découvrir l’univers et de le contrôler de plus en plus. En fait, on pense que l’homme atteindra sa plénitude seulement au moyen du savoir. Ainsi, les principaux centres d’intérêt des écrivains humanistes seront la philosophie politique et morale (Machiavel, Thomas More) et la philosophie de la nature, qui concernait les sciences, l’occultisme et la métaphysique (Paracelse, Copernic). Grâce à leurs écrits et à la découverte de l’imprimerie, les idées des auteurs de l’Antiquité et des auteurs de l’époque se divulgueront rapidement, de telle sorte que l’influence des écrivains augmentera et que la culture ne sera plus réservée au clergé. À ce propos, les humanistes adoptent une position critique face à la religion, puisqu’ils critiquent les abus de l’Église catholique et les nombreuses superstitions d’une population chrétienne ignorante, en même temps qu’ils demandent une adaptation du culte et une meilleure instruction chrétienne [1] (on se préoccupe de découvrir le vrai message du Christ dans les textes sacrés). Un Erasme par exemple, essaie, par l’étude de commentaires et de nouvelles éditions de l’Ancien et du Nouveau Testament, de proposer une compréhension plus large des Écritures et des enseignements chrétiens. Cependant, les projets de réforme des humanistes n’atteignent pas le but escompté par ceux-ci. En effet, la population chrétienne continue d’être très attachée à ses traditions religieuses.
7Cette situation favorisera l’apparition de la Réforme Protestante. Martin Luther (1483-1546), chef de la Réforme, critiquera la vente des indulgences et contestera le dogme et la hiérarchie de l’Église. De fait, Luther affirme que l’homme trouve son salut uniquement par le biais de la foi, et que les bonnes œuvres (prières, charité, etc.) ou les donations au clergé ne sont pas nécessaires. Seul Dieu, par sa grâce, peut donner le salut. De plus, il considère la raison comme l’ennemie de Dieu, car, si elle a été corrompue par le péché originel, elle ne peut donner une vision réelle de la relation entre Dieu et l’homme [2]. Ainsi, la raison ne peut servir que dans les affaires terrestres et non dans les affaires divines. Luther affirmera que la Bible est la seule source du christianisme parce que Dieu manifeste sa présence seulement par la parole divine. En 1534 est publiée la traduction luthérienne de la Bible, qui sera la base de toutes les Bibles allemandes postérieures.
8Avec la théologie luthérienne s’ouvre une profonde crise religieuse, intellectuelle et politique.
9Face au protestantisme [3], l’Église Catholique incitera à une reconquête politique et militaire des régions devenues protestantes : c’est la Contre-Réforme. Entre 1545 et 1563, le Concile de Trente condamnera ces thèses réformistes en réaffirmant la nécessité des bonnes œuvres et du culte de la Vierge et des saints pour obtenir le salut divin, et en assurant que la vérité se trouve autant dans les Écritures que dans la tradition.
10L’Espagne sera un pays clef dans ce mouvement de réforme. Les théologiens espagnols prendront une part prépondérante dans les décisions du Concile de Trente, et la monarchie espagnole acceptera celles-ci comme loi du royaume le 12 juillet 1564. De telle sorte que l’Espagne, pays très catholique au XVIe siècle, refusera dès le début la pensée de Luther et interdira la diffusion de ses œuvres. Les revendications les plus actives contre la Réforme viendront des Jésuites [4] qui essaieront d’en terminer avec la pensée pessimiste du protestantisme en proclamant que la grâce divine et la prédestination ne sont efficaces qu’avec l’aide de la volonté humaine. C’est le jésuite Luis Molina (1536-1600) qui, avec son œuvre Concordia liberi arbitrii cum gratiae donis, publiée en 1588, instaurera l’enseignement de la doctrine de la scientia media. Le but de cette doctrine est de renforcer le libre arbitre de l’homme, parce que, bien que Dieu connaisse préalablement ce que les hommes choisiront de faire, ni cette connaissance, ni la grâce de Dieu ne déterminent la volonté humaine. Donc, il y a une prédestination conformément aux mérites et une grâce suffisante qui ne deviendra efficace que par le concours de la volonté de l’homme, car chacun est libre d’utiliser ou non cette potentialité. Mais, la thèse de Molina aura également des détracteurs. Elle sera attaquée dès sa parution par le dominicain de Salamanque
11Dominique Bañez [5]. En conséquence, en 1597, la première des Congregationes de auxiliis divinae gratiae (assemblées de théologiens catholiques réunies à propos du molinisme) se tiendra à Rome, au titre de commission de censure chargée de se prononcer sur le livre de Molina. Le molinisme sera accusé d’être contraire à l’enseignement de saint Augustin [6] et de saint Thomas [7] sur la grâce et la prédestination. Deux écoles s’établiront : la thèse des Dominicains – qui affirme que l’efficacité de la grâce est due à la prédétermination divine de la volonté humaine –, et la thèse des Jésuites – qui assure la conformité du décret divin à la prescience que Dieu a des libres décisions humaines [8]. Néanmoins, les congrégations ne condamneront pas Molina et la discussion continuera ; en 1640, avec l’Augustinus de Jansénius, le débat sera repris [9].
12Bref, l’Espagne restera un pays profondément catholique et anti-luthérien jusqu’au XVIIIe siècle.
a – Le mythe de Faust
13C’est dans cette ambiance de grande agitation intellectuelle et de profonde inquiétude théologique qu’apparaît le mythe du Docteur Faust.
14Avant de devenir un personnage mythique, on pense que Faust était un personnage historique. Il semble que ce soit un homme appelé Johann Faust [Knittlingen (Wurtemberg) vers 1480 – Staufen (Brisgau) vers 1540], médecin, astrologue et alchimiste, qui ait donné son nom à la légende de Faust. Faust, connu pour son grand pouvoir de séduction, ses pratiques magiques, son commerce avec le Diable et sa mort effrayante, a fait l’objet de nombreuses anecdotes et récits populaires qui racontent ses prouesses. La légende de Faust se propagea d’une façon spectaculaire à travers toute l’Allemagne du fait de la grande fascination que suscita ce personnage.
15Au XIIIe siècle déjà, Le Miracle de Théophile [10] de Rutebeuf parlait de pacte avec le Diable (légende inspirée par une ancienne histoire écrite en grec vers le VIe siècle). Il s’agit d’un récit qui raconte comment l’ecclésiastique Théophile, pour recouvrer fonctions et dignités, offre son âme au Diable, et comment, profondément repenti (à la différence du Faust du Volksbuch), il obtient la grâce de Notre-Dame. Rutebeuf évoque, dans ce récit, la conversion et le repentir du pécheur, aussi bien que le pouvoir de la Vierge face au Malin.
16La figure littéraire de Faust a ses racines dans ces premières légendes, mais surtout dans les nombreux récits populaires qui surgissent à partir du XVIe siècle et qui portent sur le même sujet.
17L’Histoire du Docteur Johann Faust [11] (V. dans les citations qui suivent), d’un auteur anonyme [12], éditée en 1587 à Francfort-sur-le-Main, sera la première œuvre littéraire sur le mythe de Faust. Il s’agit d’un texte en prose qui exprime les profondes crises intérieures et contradictions essentielles de l’être humain. De cette façon, la caractéristique la plus originale du Volksbuch de 1587 est qu’il met en évidence, pour la première fois dans la littérature allemande, la contradiction entre le désir de l’homme de posséder un savoir et un pouvoir sans limites et le rigorisme religieux. La quête de savoir et de pouvoir de Faust est incompatible avec les fondements de la foi chrétienne proclamés par Luther, car il s’agit d’une quête susceptible de rompre avec les conceptions traditionnelles du sacré.
18Faust est le nouveau type de pécheur, qui correspond à la nouvelle pensée du XVIe siècle, homme de savoir effréné, « quintessence d’une double transgression qui allie la soif de vivre à l’ambition de connaître » [13].
19Le Volksbuch est divisé en trois parties. Elles sont précédées d’un prologue de Spiess qui avertit les chrétiens de se « mettre en garde » (V. p. 63), et d’une « Préface au lecteur chrétien » qui indique la morale de l’histoire : tout homme qui renie volontairement Dieu et qui, à travers la magie et la sorcellerie, traite avec le Diable sera condamné au châtiment éternel. Les trois parties du Volksbuch racontent comment le Docteur Faust, « Spéculateur » et expert en théologie, non satisfait de ses dons naturels qui l’empêchent d’atteindre la vraie connaissance, signe de sa propre main et avec son propre sang un pacte avec le Diable. Le pacte établit que Faust jouira pendant vingt-quatre ans des services de l’Esprit diabolique Méphostophilès, en échange de quoi il lui livrera son âme au terme dudit délai. Mais Faust perdra son temps entre le plaisir charnel, la gloutonnerie, les voyages fantastiques au ciel et en enfer, la magie, les discussions avec le Diable sur la théologie et la cosmologie et les crises de désespoir. Donc, Faust s’avérant incapable d’un vrai repentir et une vraie conversion, le Diable viendra le chercher et une mort terrible le frappera. La condamnation à la souffrance éternelle sera son destin.
20Le pacte avec le Diable est l’élément clef de toute l’histoire. Il représente la possibilité d’atteindre l’insaisissable, de transgresser les limites de la condition humaine et d’aller contre le temps. Le pacte signifie renier Dieu et tous les hommes pour rester seul.
21Le pacte diabolique, comme on le verra plus loin, sera aussi l’élément fondamental du drame calderonien Le Magicien Prodigieux.
22Le Magicien Prodigieux [14] (M.P. dans les citations qui suivent) est une œuvre qui appartient au genre des drames religieux, appelés « Comedias de Santos » [15], très populaires au Siècle d’Or espagnol. Cette œuvre a eu deux versions : une première composée en 1637 sur commande de la petite ville de Yepes (Toledo) pour être jouée pendant les fêtes du Corpus Christi, et une deuxième qui, publiée pour la première fois en 1663, s’éloignera de ce modèle. Dans la rédaction de 1637, Calderón tirait la légende de saint Cyprien et de sainte Justine des nombreux Flos Sanctorum qui déjà l’exposaient à l’époque, et le sujet du pacte avec le Diable de la comédie L’Esclave du Démon [16] publiée en 1612 par Mira de Amescua [17]. En ce qui concerne la version de 1663, Calderon maintient, de la première, le pacte diabolique et la scène de la figure fantasmagorique qui se convertit en squelette, déjà présente chez Amescua, et lui ajoute la scène de la tentation qui n’existait pas auparavant. Cette dernière version est celle qui nous intéresse et que nous analyserons.
23La comédie Le Magicien Prodigieux, d’une conception profondément catholique et avec une forte influence de la doctrine moliniste sur la grâce et le libre arbitre, montre comment les passions contradictoires qui défient l’être humain peuvent, s’il ne parvient pas à les contrôler, l’entraîner à sa propre perte. Si la raison est le seul moyen d’arriver à la vérité absolue, l’homme aveuglé par ses passions et éloigné de toute raison ne pourra que se détourner de Dieu. Calderón choisit comme motif idéologique central de l’histoire la recherche du chemin de la vérité [18]. Ainsi, Cyprien est un intellectuel païen qui, à travers la réflexion, le doute et l’étude, atteindra la vérité essentielle du catholicisme.
24Le texte se présente en trois actes ; les deux premiers occupent la durée d’une journée et le troisième se passe un an plus tard. L’histoire, qui se déroule à Antioche [19] vers le IIIe siècle, à l’époque des persécutions des chrétiens sous l’Empereur romain Dèce, raconte la conversion de Cyprien. Le héros, présenté comme un philosophe païen, interpellé par la lecture d’un passage de Pline [20], s’interroge sur la définition du Dieu des chrétiens. Un voyageur, qui lui apparaît pendant ses méditations, se montrera intéressé par ses préoccupations intellectuelles et tous deux poursuivront une conversation sur les attributs d’un Dieu unique et supérieur. Le voyageur – qui n’est autre que le Diable –, touché dans son orgueil démoniaque par l’affirmation de l’existence d’un Dieu supérieur, promet de se venger. La vengeance consistera, en premier lieu, à provoquer chez Cyprien une passion si forte pour Justine – jeune fille d’une grande vertu et profondément chrétienne – qu’elle l’éloignera de la raison et la méditation, et, en second lieu, à diffamer la vertu de cette fille. Cyprien, entraîné par sa passion, déclare son amour à Justine, laquelle lui affirme que le seul moyen pour les unir sera la mort. Face au refus de celle qu’il aime, le jeune philosophe ne voit d’autre issue que de vendre son âme au génie le plus diabolique en échange de cette femme. Ainsi, le Diable, cette fois déguisé en érudit magicien, le convainc que l’instrument indispensable pour voir comblés ses désirs est la magie. Le pacte est établi, tandis que Justine est diffamée publiquement. Le diable essaie de tenter la jeune fille mais, comme elle reste fidèle à sa pureté et à sa foi, il ne trouve pas d’autre solution que de faire apparaître un spectre qui a l’apparence extérieure de Justine. Au moment où Cyprien essaie de l’embrasser, cette figure se change en squelette entre ses bras. Face à l’échec de la magie pour obtenir l’amour de Justine et face à la découverte que son maître est le Diable, Cyprien renonce au pacte et invoque le Dieu des chrétiens. La conversion s’est produite. Cyprien annonce publiquement sa foi, dévoile sa conversion et réclame le martyre. Les deux amoureux se rejoignent au moment de la mort, comme Justine l’avait prédit. L’histoire finira avec la déclaration de la vérité faite publiquement par le Diable à toute la population d’Antioche [21].
25On a vu comment nos deux héros, Faust et Cyprien, qui tous les deux cherchent la vérité absolue et font un pacte avec le Diable trouvent une fin tout à fait différente. Nous allons en voir la raison.
2 – Le pacte comme contrat juridique
26Avant de répondre à la question clef de cet article (Pourquoi un contrat juridique pour le pacte « faustien » ?), il sera nécessaire d’analyser quels sont les éléments qui donnent au pacte signé entre Faust/Cyprien et le Diable la forme d’un contrat juridique.
27Le Volksbuch et Le Magicien Prodigieux présentent, tous les deux, un contrat synallagmatique de vente, car Faust/Cyprien doit livrer son âme au Diable en échange de certains avantages ; bilatéral, puisqu’il a été conclu entre Faust [22]/Cyprien [23] et le Démon ; et consensuel, car il y a une manifestation claire de deux volontés concordantes [24].
28En ce qui concerne le contenu du contrat, dans le Volksbuch, il s’expose en trois formulations ; deux du côté de Faust : une première, qui attend de Méphostophilès obéissance et soumission absolue, sincérité et vérité [25] ; la deuxième qui exige des pouvoirs magiques (pouvoir de prendre figure et faculté d’un esprit), la soumission, l’obéissance et la disponibilité absolue de l’Esprit [26] ; la troisième formulation, du côté de Méphostophilès, exige de Faust le déni de Dieu, la soumission absolue et l’impossibilité d’une conversion [27]. Le contrat se termine par une clause de rejet de toutes les créatures : « je renie tous les vivants, toutes les cohortes célestes, et tous les hommes » (V. p. 80) et une clause temporelle de vingt-quatre ans, au terme de laquelle sera exigé par le diable le prix (l’âme), suivant la formulation suivante : « En échange de quoi je lui promets et certifie que, quand vingt-quatre années, à compter de la date de la présente, seront passées et écoulées, il aura plein pouvoir de me régenter et conduire à sa guise et selon son bon plaisir, et de disposer de moi et de tout mon corps [âme], chair, sang et biens, et cela pour l’éternité. » (V. p. 79-80).
29On voit que « Faust est en quête d’un instant où la vie se présenterait à lui pleine et entière, sans confins, tandis que le diable pense à l’éternité des récompenses et des châtiments » [28], de telle sorte que le pacte représentera l’éphémère face à l’éternel. De fait, le temps est un élément décisif du contrat, car « c’est l’avenir anticipé, c’est du futur irrévocablement engagé » [29] et, de plus, représenté par le sablier [30] comme métaphore du compte à rebours de la vie de Faust. En conséquence, le temps triomphera car les vingt-quatre ans passent en vain pour Faust et, sans qu’il ait réalisé ses projets, il connaîtra une mort effrayante et sera condamné au tourment éternel.
30Cependant, dans Le Magicien Prodigieux, le contenu du contrat n’est pas aussi explicite. D’un côté, Cyprien offre trois fois son âme au « génie le plus diabolique » avant de signer le pacte [31] où, à la différence de Faust, il ne cherche ni le pouvoir ni la vraie connaissance, puisqu’il ne désire que posséder la belle Justine. Et de l’autre, le Diable, en lui demandant « pour caution un billet » signé de son sang et de sa main (M.P. p. 169), lui offre en échange de son âme « celle de Justine » (M.P. p. 169). Dans ce cas, le contrat se termine aussi avec une clause temporelle, mais cette fois d’un an et sous condition : « Un an, à condition que… / […] enfermés dans une grotte, / sans rien étudier d’autre, / nous vivions tous les deux / sans autre serviteur / que ce valet… » (M.P. p. 169-171).
31De fait, le Diable exige de Cyprien, pendant un an, l’acharnement absolu dans l’apprentissage de la magie, sans penser à rien d’autre, vu que la magie est le seul moyen d’obtenir ce qu’il désire. Toutefois et bien que Cyprien aussi découvre que le temps est passé en vain pour lui, puisqu’il ne pourra attirer que le spectre de son aimée, il vaincra le Diable et le temps en renonçant au contrat. La renonciation entraînera sa conversion et son martyre et, en conséquence, le bonheur éternel.
32Une fois exposé qui sont les parties au contrat et quel est son contenu, il est important rechercher quelle est sa cause juridique, c’est-à-dire pourquoi le contractant s’est engagé ?
33Dans le Volksbuch, tandis que la motivation du Diable semble claire : obtenir l’âme de Faust une fois passé le délai de vingt-quatre ans, les motivations de Faust se présentent d’une façon plus complexe.
34Faust, déçu par les limites auxquelles l’être humain est confronté et devant un Dieu qui ne le satisfait pas, voit comme seule issue le pacte avec le Diable. Le pacte signifie la possibilité immédiate de voir accomplis tous ses désirs : « [qu’après avoir entrepris de spéculer sur les éléments], et n’ayant point, avec les dons qui m’ont été départis d’En-Haut et gracieusement attribués, trouvé dans mon entendement cette faculté et ne pouvant l’apprendre des hommes, je me suis soumis à l’Esprit envoyé à moi, et ici présent… » (V. p. 79).
35Son esprit spéculatif [32], sa curiosité et sa soif de connaissance démesurées le poussent à défier les limites de la condition humaine et à renier Dieu et tous les hommes, car « le propre du Dr Faust était d’aimer ce qu’il ne fallait pas aimer. Il y tendait jour et nuit, prit les ailes de l’aigle et voulut sonder les fondements derniers dans le ciel et sur la terre, car sa curiosité présomptueuse, son libertinage et sa légèreté le poignaient tellement qu’il entreprit pour un temps de mettre en œuvre et de tenter diverses formules, figures, caractères et conjurations de magie, par quoi le Diable lui pourrait apparaître. » (V. p. 72).
36La magie [33] sera son instrument pour réaliser l’impossible (« Faust dévora et engloutit les chevaux, puis le foin et la charrette » [V. p. 138]), parce que « la magie n’a pas besoin du temps comme durée pour s’approprier une chose, pour modeler un élément : elle réalise tout dans l’instant, néglige toute patience, travail ou espérance. » [34]. Raison pour laquelle Faust consacrera le délai de vingt-quatre ans à la pratique des formules magiques (arts divinatoires) et à la spéculation religieuse (sur la création ou la nature de l’enfer) et cosmologique (dimensions de la terre ou mouvement des étoiles), avec la seule finalité d’atteindre la vérité religieuse et de découvrir les secrets de l’univers.
37Mais, à son esprit spéculatif et à sa passion pour la magie, il faut ajouter sa soif de plaisir, et bien qu’elle ne soit pas mentionnée expressément dans le pacte, ni dans les clauses, Faust ne doutera pas de les satisfaire, car « sa concupiscence le poignait jour et nuit. » (V. p. 84). Ainsi Faust « ne croyant pas qu’il y eût un Dieu, ni Enfer, ni Diable, et pensant que l’âme mourait en même temps que le corps » (V. p. 84) s’abandonne à une vie épicurienne : « Et il brûla dès lors d’une telle luxure que jour et nuit il aspirait à posséder le corps de belles femmes… » (V. p. 86).
38En conclusion on peut déduire que les principales motivations de Faust pour signer le pacte avec le Diable sont son « orgueil téméraire », son esprit spéculatif, sa soif de connaissance, sa passion pour la magie et ses tendances contraires à la morale établie.
39Cependant, dans Le Magicien Prodigieux, la motivation du Diable sera un sentiment de vengeance [35] qui consistera à provoquer en Cyprien une passion d’amour si aveugle pour Justine qu’elle l’éloigne de la raison et qu’en conséquence, elle le conduise à sa perte. La seule façon de l’obtenir sera de s’approprier son âme. Par contre, les motivations de Cyprien, à la différence de celles de Faust, apparaissent très clairement.
40Cyprien qui, bien que païen, essaie de trouver la vérité absolue, fait passer, victime des manigances du Diable, son désir de savoir après son désir d’amour : « […] Car l’amour en effet se complaît / dans un objet paré d’éclats et de splendeurs : / foin, désormais, des livres et de l’étude ! / Et que l’on dise en toute vérité / que de l’esprit l’amour / est la perte assurée. » (M.P. p. 113).
41Oubliant l’étude, et en conséquence la raison, sa seule obsession sera obtenir l’amour de la divine Justine. Et devant le rejet de Justine à qui il vient déclarer son amour, sa passion démesurée l’entraînera jusqu’au point de vendre son âme au Diable : « Et cette passion si fort / entraîne ma pensée ; / ce tourment emporte si loin, / hélas, mon imagination / que je donnerais […] / au génie le plus diabolique / […] pour jouir de cette femme, / je donnerais mon âme. » (M.P. p. 123-125).
42À sa passion d’amour il faut ajouter celle de la jalousie, parce qu’il sera vaincu par celle-ci lorsqu’il essaiera d’aider ses amis Floro et Lelio : « Deux galants prétendent à elle / l’un par l’autre offensés ; / et moi, doublement jaloux, / je ne sais même pas quelle jalousie m’offense. / Je sais seulement que mes soupçons / me font tomber par leurs furies / du mépris aux injures, / de l’affront à l’angoisse. » (M.P. p. 114).
43À l’instar de Faust, la magie [36] sera pour Cyprien l’instrument qui lui permettra d’obtenir ce qu’il désire. Cependant, dans ce cas-ci, notre héros consacrera un an à l’apprentissage des science occultes au lieu de vingt-quatre ans. Mais, tandis qu’on a vu que Faust utilise les formules magiques pour assouvir de nombreuses passions, Cyprien les utilisera avec un seul objectif, l’amour de Justine : « Oh ! si je pouvais obtenir / que cet homme m’apprît la magie ! / Grâce à elle, peut-être, mon amour pourrait-il / en partie distraire ma peine ; / ou bien peut-être ainsi mon amour pourrait-il / tout entier obtenir la cause ravissante / de ma rage, de ma fureur, de mon tourment. » (M.P. p. 137).
44Pourtant, une fois qu’il aura signé le pacte avec le Diable, persuadé que la magie lui donnera la possibilité de posséder Justine, Cyprien sera aussi envahi par l’orgueil : « C’est bon. Mon esprit et mon amour / d’un coup provoquent deux bonheurs : / Justine sera mienne / et moi, par de nouvelles sciences, / je ferai l’étonnement du monde. » M.P. p. 171).
45Et plus loin : « Allons ! Mon esprit pourvu d’un tel maître / mon amour d’un objet si haut, / éternel sera par le monde / Cyprien le magicien. » (M.P. p. 171).
46On peut conclure que, bien que la motivation principale de Cyprien pour signer le pacte avec le Diable soit d’obtenir l’amour de Justine, elle se trouvera mêlée à la jalousie et l’orgueil. La soif de connaître la pratique de la magie sera, en tout cas, le seul moyen d’assouvir son désir.
47On finira cette analyse en s’interrogeant sur la validité du contrat, parce que, bien que pendant tout le Volksbuch sa validité n’est mise en question à aucun moment, on peut remarquer que, du point de vue juridique, les motifs de nullité du pacte sont toujours présents.
48Ainsi, si on considère la thèse de Lefebvre selon laquelle Faust possède une double personnalité, c’est-à-dire que la figure du Diable est seulement « un moi second projeté illusoirement à l’extérieur, [qu’] il est l’incarnation tangible de son angoisse et de sa mauvaise conscience » [37], on pourrait être face à un contrat conclu avec soi-même et par conséquent juridiquement nul.
49On ne peut s’empêcher de remarquer l’énorme préjudice que subit Faust au moment de l’accomplissement de sa contre-prestation. Ne s’engage-t-il pas à un tourment éternel en échange de quelques années de jouissance ? Énorme préjudice qui pourrait donner lieu, lui aussi, à un motif de nullité par lésion.
50De sorte qu’il est impossible de ne pas se demander comment Faust peut s’engager à sa propre condamnation. On peut en déduire que Faust ne sait pas à quoi il fait face, l’éternité à laquelle il est condamné se présente à lui éloignée, immatérielle, il n’est conscient que du temps présent. En réalité Faust, d’accord avec Thinès, « porte, sur le concept d’éternité tel que le définit la théologie, un jugement inspiré par l’opposition qu’il perçoit entre l’instant éternel de la survie et l’instant fugace de la vie concrète ; l’éternité est un “temps nul” face auquel le temps vécu de la finitude lui apparaît comme le seul réel » [38] Alors, si l’on considère l’hypothèse que Faust était convaincu d’obtenir des avantages du pacte, car il supposait qu’il ne serait pas possible de se débarrasser de son âme, on serait face à un vice du consentement pour l’une des parties, qui peut donner lieu, de nouveau, à une annulation du contrat.
51Par contre, dans Le Magicien Prodigieux, la validité du contrat sera mise en question à tel point qu’il sera annulé. D’abord, elle sera remise en cause à travers une discussion entre Cyprien et le Diable : Cyprien : « Aussi, puisque tu n’as pas rempli / les conditions qu’avait posées mon amour, / je veux seulement de toi, / puisque je suis décidé à fuir ta vue, / que tu me rendes le pacte, / car le contrat est nul. ». Le Démon : « Je t’avais dit que je m’engageais / à t’enseigner des sciences / capables d’attirer Justine / à l’appel de ta voix ; / et puisque le vent a fait venir pour toi / Justine jusqu’ici, / le contrat a été observé / et j’ai tenu parole. » (M.P. p. 209).
52De fait, si on remarque qu’il s’agit d’un contrat sous condition résolutoire, car l’exécution du contrat ne dépend que des résultats de la magie, en appliquant le principe du droit canonique condictio ab causam – qui établit que l’inexécution de la convention de la part d’un des contractants peut donner lieu à la résolution –, la vente peut être révoquée pour défaut de paiement du prix. Vu que l’effectivité de l’engagement est subordonnée à l’exécution de l’obligation corrélative, Cyprien pourra demander la résolution du contrat et de son obligation. Pour cette raison, Cyprien, après d’avoir constaté que le Diable (l’acheteur) n’a pas accompli son obligation [39], renonce au contrat et celui-ci est déclaré nul.
53Enfin, en ce qui concerne l’objet et la cause du contrat, on peut poser la question de la validité des deux pactes. Étant donné que, d’une part, l’objet de l’obligation – l’âme de Faust/Cyprien – par sa nature est hors du commerce selon la loi, car, si l’homme vend le plus profond de son être, il attente à l’intégrité humaine ; que, d’autre part, la cause du contrat est contraire à l’ordre public – un contrat pour toute la vie attente à la liberté individuelle – et aux bonnes mœurs de l’époque – il s’agit d’un acte immoral opposé aux principes considérés comme essentiels pour la société des XVIe et XVIIe siècles, qui croyait à la possibilité d’avoir commerce avec le Diable et qui punissait cette action par les flammes du bûcher –, les deux pactes pourraient être annulés.
54Toutefois, l’importance de voir expressément interrogée ou non la validité du pacte dans chacune des œuvres se révélera vraisemblablement grâce au point de vue théologique.
3 – Le pacte, symbole du libre arbitre ou de la faiblesse humaine ?
55Si le Volksbuch et Le Magicien Prodigieux ont été écrits avec une finalité moralisante, il est important de décrire quels sont les principes théologiques qui la sous-tendent.
56On peut avancer que le Volksbuch se nourrit de la théologie de Luther [40]. Bien que les principes luthériens ne soient pas clairement explicites dans l’œuvre, leur présence est perceptible pendant toute l’histoire. C’est précisément le comportement de Faust – comme exemple de ce que ne doit pas faire un bon chrétien – qui révèle leur existence. Car Faust, esprit défiant et vaniteux, désire, au moyen de la raison, atteindre la vérité suprême, le mystère celé aux simples mortels. Ainsi, le danger de la « conduite faustienne » repose sur le fait qu’il ose aller au-delà des limites imposées à la nature humaine. Donc, chacune de ses actions l’amène à une lente mais inexorable dégradation, dont le point culminant sera la condamnation dernière au tourment éternel.
57C’est grâce à la technique de l’exemple négatif que les principes luthériens apparaissent en toute clarté.
58En ce qui concerne Le Magicien Prodigieux, on peut signaler que, conformément au courant des idées de la Contre-Reforme, il révèle les principes fondamentaux du catholicisme, plus particulièrement ceux qui proviennent de la doctrine thomiste sur la raison et de la doctrine moliniste sur la grâce et le libre arbitre. Dans ce cas, « Calderón a fait de ses figures chrétiennes la base d’un drame universel dans la mesure où il théâtralise le principe de la réflexion, de l’étude, comme idéaux de l’intellectuel, un archétype duquel la comédie est une vraie apologie. » [41]. De ce fait, son héros Cyprien, jeune païen passionné par la philosophie et la méditation, montre comment, à travers la raison, on peut arriver à la vérité essentielle du catholicisme. En conséquence, malgré le fait qu’entraîné par ses passions il fera passer son désir amoureux avant la recherche de la vérité, il obtiendra le salut éternel en revendiquant sa liberté et en se convertissant.
59On peut dire, en suivant la même structure d’analyse, que Calderón, grâce à la technique de l’exemple positif, dévoile quelle est, selon lui, la vraie conception catholique sur la grâce et le libre arbitre.
60Pour cette raison, grâce à l’analyse de l’attitude des deux héros, on découvrira les principes relatifs à la raison, la grâce et libre arbitre luthériens, d’un côté, thomistes et jésuites, de l’autre.
a – Faust et Cyprien adoptent tous deux une attitude rationnelle sur le plan théologique
61Dans le Volksbuch, avant le pacte, on présente, depuis le premier chapitre, un Faust « Docteur en théologie » (V. p. 71), « très versé dans l’Écriture divine » (V. p. 72) et doué d’une intelligence « vive et assidue » (V. p. 71) supérieure à la moyenne. Si l’on tient compte des principes luthériens qui affirment que la foi naît seulement de la parole divine – ni la tradition, ni le clergé, ni les prophètes ne peuvent donner une bonne interprétation de la Bible –, et que « l’expérience seule fait le théologien » [42], Faust possède, en principe, tout ce qui est nécessaire pour devenir un bon luthérien.
62Cependant, à cause de son orgueil, de sa passion pour la magie [43] (interdite par la Bible) et de mauvaises fréquentations qui l’amèneront à une « vie d’infamie et d’impiété » [44], Faust [45] s’éloigne des Écritures et de la théologie [46]. Il désire par dessus tout posséder les « ailes d’aigle […] et sonder les fondements derniers dans le ciel et sur la terre » (V. p. 72), être libre, outrepasser toute limite et pénétrer tous les secrets de l’univers. Pour cela, il renie Dieu qui ne le satisfait pas – un Dieu transcendant, « En-Haut » (V. p. 79) et inaccessible –, et s’allie à Méphostophilès – un Esprit immanent, « ici présent » (V. p. 79) et accessible [47] – qui lui offrira la possibilité de voir accomplis tous ses désirs.
63En conséquence, si, comme affirme Luther [48], « c’est en vivant, c’est-à-dire en mourant et en étant déclaré coupable qu’on devient théologien, et non en réfléchissant, en lisant ou en spéculant » [49], Faust commettra la grande erreur de vouloir obtenir la vérité religieuse au moyen de la raison. Car, vu que la raison donne une image déformée de la relation entre Dieu et l’homme, elle ne peut que rester confinée aux affaires humaines et non s’aventurer sur le terrain théologique.
64Bref, tandis que Faust « pensait toujours que, par fréquentes et continuelles disputes, questions et entretiens avec l’Esprit, il pourrait parvenir à amendement, repentir et abstinence de péché » (V. p. 93), ce sera précisément cette attitude très rationaliste qui l’amènera à sa propre condamnation. Car le salut divin ne peut s’obtenir qu’à travers la foi et, de plus, Faust « connaissait fort bien la loi du Christ : et qui connaît la volonté du Seigneur et ne la fait pas, sera frappé doublement. » (V. p. 72).
65Dans Le Magicien Prodigieux, avant le pacte, on montre un Cyprien « en costume d’étudiant » qui, mécontent de son éducation païenne et avec une profonde inquiétude théologique et religieuse, médite [50], grâce à la lecture d’un passage de Pline, sur la définition du Dieu des chrétiens : « Me voici seul ; enfin je vais pouvoir, / si mon esprit en est capable, / étudier cette question / qui sans cesse tient mon âme en suspens, / depuis que dans Pline j’ai lu, / en paroles mystérieuses, / la définition de Dieu. / Car mon esprit ne trouve pas / ce Dieu à qui puissent convenir / tant de mystères et d’attributs. / Cette vérité cachée, / il me faut la tirer au clair. » (M.P. p. 61).
66Si on considère ce que pensent les thomistes, à savoir qu’au moyen de la raison l’homme accède à la vraie connaissance de Dieu, on voit que le jeune érudit prend, sans en être conscient, dans sa solitude et dans son angoisse existentielle, le chemin qui le conduira à la foi chrétienne. Toutefois, Cyprien, prisonnier de ses passions, abandonnera le monde de la réflexion pour le monde des sentiments. Métamorphose qui, symbolisée par le changement de son « costume d’étudiant » en celui de galant, le détournera de Dieu : « Je suis tellement fou d’amour, / pour que ma douleur t’émerveille, / qu’afin de paraître un autre homme, /j’ai changé d’habits pour me donner le change. / J’ai abandonné mes études à l’oubli, / ma gloire à la foule vulgaire, / mon esprit à ma passion, / mon cœur à mes sanglots, / mon espérance au vent, / et ma raison au seul mépris. » (M.P. p. 161).
67Ainsi si, comme l’affirme le thomisme, les passions sont les principaux motifs de l’éloignement de Dieu – car celles-ci détournent l’homme de la raison – Cyprien commet la grande erreur de se laisser entraîner par elles [51]. Donc, l’homme ne peut faire face aux passions qu’en prenant conscience de leur existence, et le seul moyen pour les contrôler est la raison.
68On a vu que si, dans le Volksbuch, la raison se présente comme incompatible avec la foi, dans Le Magicien Prodigieux elle sera un acte de foi qui permettra à l’homme d’accéder à la connaissance de Dieu.
b – Faust renie Dieu et tous les hommes pour rester seul / Cyprien est entraîné par ses passions
69Dans le Volksbuch, le pacte avec Méphostophilès signifie choisir le Diable contre Dieu, c’est-à-dire s’affirmer soi-même. De ce fait, le pacte symbolisera la négation de toute altérité [52]. À ce propos, Luther dit que cette affirmation de soi-même, cette protection de la valeur propre face à Dieu, est le péché. C’est pour cette raison que l’homme se révèle profondément pécheur face à Dieu, plutôt que par un manquement moral, une transgression, ou une mauvaise action. En conséquence, cette attitude signifiera fondamentalement l’incroyance.
70Pourtant, dans Le Magicien Prodigieux, le pacte avec le Diable ne signifie pas nécessairement choisir le Diable contre Dieu, puisque Cyprien, au moment où il signe le pacte, ne connaît pas la véritable identité du Démon. On pourrait l’interpréter comme la faiblesse de l’homme face à ses passions. Car Cyprien, bien qu’il soit présenté avec une personnalité sensible, généreuse et avec le sens de l’honneur [53] et de l’amitié, succombe à la tentation du Diable. Mais ce péché ne sera pas irrémédiable, puisque Cyprien pourra être pardonné par le Dieu des chrétiens en se reconnaissant pécheur en face de Lui.
71Face au pessimisme du Volksbuch – où l’homme est tellement pécheur que, même s’il renonce à ses passions, il ne pourra trouver son salut que dans la grâce divine, jamais par lui-même –, on trouve l’optimisme « calderonien » – où le fait que l’homme se reconnaisse comme pécheur devant Dieu et se détourne de ses passions lui donnera la possibilité d’obtenir par lui-même le salut divin.
c – Faust désespère de la grâce divine / Cyprien recourt à elle
72Faust, après le pacte, tourmenté par son péché et terrifié par sa condamnation, souffre souvent de crises de repentir et semble percevoir la voix de Dieu à travers sa mauvaise conscience. Mais sa faiblesse, intensifiée et manipulée par le Diable [54], le vainc, et il s’égare entre la magie et la luxure. La ruse du Diable réussit à le persuader que son péché est si grand qu’« il est trop tard » pour lui d’être pardonné [55] : « Il serait encore temps pour moi, si je m’amendais ? » demande Faust. « Oui », répond l’Esprit, « si tu pouvais, même avec tes grands péchés, revenir en la grâce de Dieu, mais à présent il est trop tard, et la colère de Dieu est descendue sur toi. » (V. p. 100).
73Après s’être rendu compte du piège tendu par son maître [56], il ne réagira qu’en se sentant complètement coupable et en se plongeant dans un profond désespoir. C’est pourquoi, au terme des vingt-quatre ans, il implorera : « Qui me sauvera, misérable que je suis ! Où est mon refuge ? Où trouver protection, aide et abri ?… » (V. p. 176). De telle sorte que, quoique Faust ait « […] sans cesse le repentir au cœur […] son repentir était comme repentir et pénitence de Caïn et de Judas : il y avait bien repentir en son cœur, mais il désespérait de la grâce de Dieu, et il lui semblait chose impossible qu’il pût recouvrer la clémence divine. Tout ainsi que Caïn qui désespérait, pensant que ses péchés étaient trop grands pour lui être pardonnés. » (V. p. 92-93).
74Puisque, selon Luther, c’est seulement en acceptant le jugement de Dieu que l’homme cessera de s’opposer à Lui – car le jugement ne se convertit en grâce que par la foi –, Faust commettra l’erreur « […] de s’être abandonné au doute et au mauvais désespoir » [57]. En conséquence, Faust ne pourra obtenir que sa propre condamnation [58].
75Tandis que Cyprien, dès le moment où il découvre le piège de son maître – car il n’a pu obtenir par la pratique de la magie qu’un spectre de Justine [59] –, décide de renoncer au pacte : « Désormais, je renonce à tout le pacte / que j’ai fait avec toi ; / et au nom de ce Dieu, je te demande : / Qu’est-ce qui l’a obligé à la protéger ? » (M.P. p. 211).
76Cette renonciation au contrat symbolisera le retour de Cyprien à la raison et l’oubli de ses passions. Donc, ce sera à partir de cet instant que Cyprien obtiendra du Diable, par le biais d’une discussion empreinte d’éloquence et de logique, la réponse à sa question initiale : qui est le Dieu dont parle Pline ? « C’est le Dieu des chrétiens ! » (M.P. p. 213). L’affirmation d’un Dieu tout-puissant et unique donnera lieu à la découverte de la véritable identité du Diable. Ainsi, la reconnaissance d’un Dieu qui fait tout ce qu’il veut provoquera pour la première fois un sentiment de culpabilité chez Cyprien : « N’ai-je donc aucune espérance, / nulle aide, nul appui, nul recours / qui soient capables d’effacer un pareil crime. » (M.P. p. 213).
77Mais Justine sera le seul exemple à suivre pour Cyprien, puisque ce sera le souvenir de sa foi [60] qui renforcera sa volonté pour faire face au Diable [61] : « Ce fer acéré ne doit plus dans ma main / demeurer inutile. / Qu’il transperce mon cœur et qu’il soit / le bourreau qu’à moi-même j’inflige. / Mais que dis-je ? Celui qui a pu / délivrer Justine de toi, / ne pourra-t-il me libérer aussi ? » (M.P. p. 215).
78Cette déduction logique le conduira à la conclusion que, si Dieu est tout-puissant, « […] le pardon et la récompense / doivent pour lui être une même chose ». De ce fait, repenti [62] et converti il implorera le pardon du Dieu des chrétiens : « Grand Dieu des chrétiens ! / Au milieu de mes peines / je t’appelle au secours. » (M.P. p. 215)
79Étant donné que, selon la doctrine moliniste, l’homme peut contribuer à l’acte surnaturel de la grâce divine, Cyprien, en faisant face à la tentation du Diable et en renonçant à ses péchés et par conséquent à ses passions, provoquera l’échec du Diable et assurera son propre salut.
d – Faust choisit volontairement sa propre condamnation / Cyprien, son salut
80Dans le Volksbuch, Faust, dès le début comme l’auteur lui-même le signale, dispose de toutes les possibilités de choisir d’autres chemins, différents du pacte avec le Diable. Cependant, on a vu que, non satisfait de ses dons naturels [63] et poussé par « son orgueil téméraire et son libertinage », Faust décidera de s’allier à Méphostophilès.
81Le pacte symbolisera le choix en faveur du Diable face à Dieu, puisque, du point de vue religieux, il « pourrait être interprété comme le refus catégorique de “l’Alliance” libératrice proposée dans la Bible et comme sa perversion en une sorte de contre-alliance, qui accapare et aliène la liberté, la fermant sur elle-même dans le refus de toute altérité. » [64]. Donc Faust négligera l’allégeance à Dieu symbolisée par l’Alliance, préférant, au moyen du pacte [65], l’assujettissement à Méphostophilès. De fait, ce sera cette libre élection qui sera l’origine de sa propre destruction.
82En conséquence, si on applique la thèse de Luther du serf arbitre [66], qui assure la totale absence de liberté de choix et d’autodétermination de la volonté humaine sur la grâce divine, on pourrait affirmer que Faust, en choisissant lui-même son propre destin, se rebelle contre la volonté de Dieu. Ainsi, étant donné que l’homme ne peut devenir libre qu’en se reconnaissant impuissant en face de Dieu, car le salut n’est qu’un don divin, Faust aura décidé de sa propre condamnation. De fait, si c’est lui-même qui, en succombant à la manipulation diabolique et en ne parvenant ni au vrai repentir ni à la conversion, détermine son destin, on pourrait déduire aussi que Faust n’est pas prédestiné.
83Avec cette détermination, Faust ne deviendra que l’esclave de sa propre volonté, puisqu’il passera les vingt-quatre ans du pacte en cherchant la façon de trouver son salut. Ne consumera-t-il pas tout ce délai entre le repentir et l’angoisse et les discussions avec le Diable, comme si la connaissance pure était la seule voie de salut [67] ? Donc, on voit que son désir ardent de conversion et de repentir sera vaincu par son désespoir, ce qui confirmera la thèse luthérienne du serf arbitre.
84De ce fait on déduit que, si l’homme ne peut obtenir son salut que si celui-ci est indépendant de sa volonté – il faut que la volonté soit radicalement soumise face à Dieu – et cela est une affirmation de la foi – car celle-ci cristallise son impuissance et sa dépendance à l’égard de la grâce de Dieu –, l’homme ne sera absolument libre que par la foi. En conséquence, l’usage du libre arbitre de Faust ne pourra le conduire qu’au châtiment du tourment éternel.
85En conclusion, la condamnation (et la mort effrayante) de Faust sera nécessaire dans le Volksbuch, car c’est seulement à travers elle que l’auteur pourra accomplir sa tâche pédagogique et moralisante [68]. Le salut de Faust signifierait aller à l’encontre de la théologie luthérienne, la foi chrétienne et, en définitive, s’opposer à Dieu.
86Dans Le Magicien Prodigieux, c’est à cause de la passion d’amour effrénée de Cyprien pour Justine que le pacte avec le Diable aura lieu. Ainsi, Cyprien, aveuglé par sa passion, oubliera la raison – le véritable chemin pour accéder à la connaissance de Dieu – et, impuissant à la contrôler, empruntera la voie de la sensualité qui le mènera à sa perte.
87Dans ce cas, comme nous l’avons déjà noté, le pacte symbolisera la faiblesse humaine face à ses passions. Étant donné que Dieu donne la liberté à l’homme de choisir entre le Bien et le Mal, entre actes moraux supérieurs et inférieurs, le pacte pourrait être interprété comme le choix d’un bien inférieur, car Cyprien préférera l’amour sensuel de la chair à l’amour philosophique de la vérité, c’est-à-dire un bien sensuel (inférieur) à un bien spirituel (supérieur). [69]
88C’est pourquoi Cyprien, après d’une année d’isolément et d’apprentissage de toutes les sciences occultes, ne pourra obtenir qu’un spectre de son aimée [70] au moment où il mettra en pratique toute la technique de la magie [71] diabolique reçue en échange de son âme. Spectre qui lui rappellera que « Telles sont […] toutes les gloires de ce monde » (M.P. p. 202). Ce moment, instant crucial de l’histoire, provo-quera la transformation brutale de Cyprien qui, en découvrant la vraie identité de son maître et profondément désillusionné face à la figure fantasmagorique de Justine, décidera se rebeller contre le Diable en revendiquant sa liberté, de renoncer à ses passions pour retourner à la raison, et de se convertir au christianisme [72].
89Étant donné que, guidée par sa foi [73], Justine a vaincu [74] le Démon en invoquant Dieu et en faisant usage de son libre arbitre, quand le Démon essaiera de la tenter avec le chant de l’amour, elle sera, par sa victoire, la cause de la transformation de son spectre en squelette. Ainsi, Justine, présentée comme inaccessible, profondément chrétienne et de grande vertu – car elle refuse l’amour de tous ses prétendants et se consacre uniquement à l’amour de Dieu –, obtiendra la conversion de Cyprien. Sa conversion signifiera se libérer de la condamnation démoniaque pour recevoir, au côté de son aimée, le martyre au nom du Dieu des chrétiens, qui lui vaudra le salut éternel [75].
90Si on considère la théorie moliniste du libre arbitre qui assure que l’homme n’est pas prédestiné, car il possède la liberté d’accepter la grâce divine ou de la refuser, Justine symbolise cette liberté. Car même le Diable, qui est capable de déplacer les montagnes, d’inciter à l’amour et autres prodiges incroyables, devra se déclarer impuissant face à son libre arbitre. [76]
91Donc, on peut conclure que le salut de Cyprien sera nécessaire dans Le Magicien Prodigieux, tout comme la condamnation dans le Volksbuch. C’est précisément, le martyre de Justine et Cyprien qui fera triompher le libre arbitre proclamé par les jésuites, parce que, bien que Cyprien trouve également la mort, il l’accueillera – à la différence de Faust – avec joie, conscient qu’elle lui apportera le bonheur éternel.
Conclusion
92Nous avons vu deux histoires qui, présentant chacune un homme qui décide de pactiser avec le Diable, il est vrai avec des motivations différentes, auront deux dénouements tout à fait opposés. Nous rappellerons brièvement les aventures de chacun de nos protagonistes.
93On a vu que Faust, déçu de ses dons naturels et avec une soif de savoir illimitée, décide, en pleine possession de ses esprit, pensée et volonté, de pactiser avec le Diable. Le pacte sera un échange de conditions au moyen desquelles Faust verra accomplis ses désirs en échange de l’abandon de son âme au Diable au terme de vingt-quatre ans. Cependant ce délai, établi dans le contrat, s’écoule pour Faust entre discussions théologiques et cosmologiques avec le Diable, prouesses magiques (vols spectaculaires, arts divinatoires et voyages à des endroits inaccessibles pour l’homme), grands festins, plaisirs charnels et crises de repentir, de désespoir et d’angoisse existentielle. Donc, les ans passeront en vain pour lui et ses élans pour atteindre la pleine connaissance ne se transformeront qu’en quête obsessionnelle du salut divin. De ce fait, Faust, convaincu de sa pleine culpabilité et de l’impossibilité pour lui d’une conversion, connaîtra, dans l’effroi, une mort terrible et sera damné pour l’éternité.
94Par contre, dans Le Magicien Prodigieux, le pacte aura lieu du fait des passions effrénées de Cyprien, provoquées par le Diable. Dans ce cas, le contrat établira que, sous la condition temporelle d’un an, Cyprien devra se consacrer exclusivement, dans une grotte éloignée du monde extérieur, à l’apprentissage des sciences magiques qui éventuellement capteront l’amour de Justine. Mais ce sacrifice sera fait en vain car, après avoir mis en pratique les connaissances acquises, Cyprien ne pourra attirer que la figure fantasmagorique de Justine. De telle sorte que, découvrant le piège tendu par son maître, repenti, il renoncera au pacte et se convertira au Dieu des chrétiens. Avec joie il recevra le martyre auprès de son aimée – comme elle l’avait prédit [77] – et, à la différence de Faust, obtiendra le bonheur éternel.
95Une fois exposées les deux histoires, on remarque que le contrat est leur point commun et, en conséquence, le point essentiel des deux ouvrages. Car, dans le Volksbuch, la signature du pacte symbolisera la réaffirmation de la volonté de Faust, son développement la transformation de celui-ci en l’archétype du pécheur luthérien, et son dénouement – la condamnation finale – l’échec de la volonté humaine face à la volonté divine. Tandis que, dans Le Magicien Prodigieux, la naissance du pacte symbolisera l’affirmation des passions de Cyprien provoquées par le Diable, son développement le changement de Cyprien en l’archétype du pécheur catholique, et son dénouement – le salut – la conscience de son péché au moyen de la raison et, par conséquent, le triomphe de la volonté humaine face à la tentation démoniaque.
96Si nous avons procédé dans cet article à l’analyse du pacte depuis deux points de vue, juridique et théologique, c’était pour éprouver comment la présence d’un contrat juridique devient essentielle pour renforcer la théorie théologique existante dans chaque ouvrage. En premier lieu, l’analyse du pacte avec le Diable du point de vue théologique a permis de dévoiler, d’un côté, comment Faust détruira tous les principes de la théologie luthérienne sur la relation entre la foi et la raison, la grâce et le libre arbitre [78] et, de l’autre, comment Cyprien met en évidence, à travers son comportement, les principes thomistes sur la raison et les principes jésuites sur la grâce et le libre arbitre. En deuxième lieu, l’analyse du pacte du point de vue juridique a permis de discerner que, bien que dans les deux ouvrages les causes d’annulation du contrat soient présentes, celui-ci ne sera annulé que dans Le Magicien Prodigieux.
97De telle sorte que, pour donner une réponse à la question de savoir pourquoi le contrat de Faust reste valide malgré toutes les causes d’annulabilité qu’il présente et pourquoi, par contre, celui de Cyprien est annulé, il faudra prendre en considération les différentes théories théologiques sur lesquelles s’appuie chaque auteur. Pour cette raison, si l’on peut dire que la validité juridique du contrat dépend en dernier ressort du point de vue théologique, il n’est pas moins certain que les thèses théologiques s’appuient sur la réponse qu’on donne à la question de la validité juridique. Par conséquent, l’analyse en termes strictement juridiques ne suffit pas pour expliquer les divergences de solutions (les contrats étant hautement problématiques du point de vue de leur validité), mais l’analyse théologique ne suffit pas non plus pour comprendre la nécessité qu’ont éprouvée les auteurs de donner une forme juridique au pacte afin de renforcer leur thèse. Il faut en conclure que les deux sphères normatives ont une relation d’interdépendance mutuelle.
98Ainsi, si le message de l’auteur dans le Volksbuch tend à mettre en valeur la doctrine luthérienne, qui assure que l’autonomie de la volonté humaine s’oppose à la volonté divine du fait qu’elle revient à renier Dieu, quelle meilleure façon de cristalliser ce libre arbitre qu’au moyen d’un contrat juridique ? Celui-ci n’est-il pas l’expression la plus sublime de l’autonomie de la volonté ? Tout amène donc à penser que c’est pour cette raison que, tout au long du récit, on ne mettra jamais en doute la validité juridique du contrat, puisque, si le contrat apparaît comme valide aux yeux du droit, la thèse de l’auteur se fortifie. Si, comme on l’a remarqué antérieurement, l’homme n’est absolument libre qu’à travers la foi, toute revendication individuelle de l’autonomie de la volonté comme source de connaissance ou de pouvoir sera assujettie à celle-ci. En somme, l’argument de l’auteur pourrait être simplifié de cette façon : si l’homme ne peut se libérer de l’esclavage de sa propre volonté grâce au libre arbitre, celui-ci ne sera pas le moyen d’obtenir le salut.
99De fait, si on a montré que l’autonomie de la volonté dans sa forme la plus parfaite et institutionnalisée (le contrat juridique) ne mène pas au salut éternel, la conclusion logique nécessaire a fortiori sera que, dans tous les autres domaines, l’autonomie sera toujours, par définition, déficitaire. En conséquence, il semble que, dans le Volksbuch, Droit et Foi (le terrestre face au spirituel) s’opposent, car il s’agit du libre arbitre symbolisé par le contrat juridique face au serf arbitre luthérien symbolisé par la condamnation de Faust.
100Par contre, dans Le Magicien Prodigieux tout contribue à présenter une doctrine tout à fait opposée à celle du Volksbuch. Car Calderón, à travers la doctrine moliniste du libre arbitre, essaiera de montrer que l’homme est libre d’accepter ou refuser la grâce de Dieu. Nous venons d’exposer que le contrat juridique symbolise le libre arbitre ; comment justifier alors sa présence, s’il cause la perte de Cyprien ? Pourquoi, à la différence du Volksbuch, sera-t-il annulé et avec quelle finalité ?
101Dans ce cas, si le message thomiste de Calderón indique que la raison est le véritable chemin pour arriver à la connaissance, et que l’homme pourra en être détourné à cause de passions incontrôlées, on pourrait discerner que la véritable cause de la naissance du contrat doit être la manipulation du Diable. C’est-à-dire si, du fait de la vengeance démoniaque, Cyprien est pris d’une passion si effrénée qu’elle le détourne de la raison et l’amène à vendre son âme au Diable, on sera face à une volonté tout à fait manipulée. En conséquence, si par définition le contrat doit être signé avec une volonté libre et consciente, celui-ci ne pourra être valide. Alors, s’il s’agit de montrer qu’à travers les passions l’homme est perdu, donner validité au contrat conduirait à la conclusion contraire. De ce fait, on s’aperçoit que la déclaration de nullité du contrat est logiquement nécessaire pour confirmer la thèse thomiste sur la raison.
102Reste la question de la théorie moliniste du libre arbitre qui, comme on l’a déjà vu, assure que l’homme est libre de décider de son propre destin. Quelle meilleure façon de le démontrer qu’en annulant le contrat au moyen de sa renonciation ? Puisque l’annulation du contrat symbolise l’affirmation de la volonté de Cyprien, ce sera à partir de cette annulation qu’il commencera à choisir sa propre chance. Ce sera donc précisément ce libre arbitre qui vaincra la tentation démoniaque et qui, en conséquence, lui apportera le salut éternel.
103En somme, on a vu que, tandis que le contrat dans le Volksbuch reste valide pour confirmer la thèse du serf arbitre luthérien, dans Le Magicien prodigieux il sera annulé pour garantir le libre arbitre moliniste.
Bibliographie
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- F. MIES, Faust ou l’Autre en question. Dieu, la pensée, le mal, Presses Universitaires de Namur, Namur, 1994.
- F. OST, « Le pacte faustien ou les avatars de la liberté », in Faust ou les frontières du savoir, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, p. 263-316.
- F. OST, « Temps et contrat. Critique du pacte faustien, La relativité du contrat », Travaux de l’Association H. Capitant, LGDJ, Paris, 2000, p. 137 – 168.
- RUTEBEUF, Le Miracle de Théophile, présentation et traduction par Jean Dufournet, éd. GF Flammarion, Paris, 1987.
- Angel VALBUENA PRAT, Historia de la Literatura Española, éd. Gustavo Gili, S.A. Tomo II, 1963.
- A. VALBUENA PRAT, El Teatro Español en su Siglo de Oro, éd. Planeta, Barcelona, 1969.
Notes
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[1]
À la fin du Moyen Âge apparaît une profonde inquiétude religieuse. La crainte de la mort conduisait les chrétiens à avoir peur du jugement divin qui peut les mener au purgatoire ou en enfer. Pour éviter ce triste sort et obtenir le salut éternel, l’unique solution était l’achat des indulgences (grâce octroyée automatiquement par l’Église aux pécheurs) ou l’offrande de dons au clergé.
-
[2]
La thèse luthérienne sur la raison est contraire à celle de saint Thomas, qui assure que, si c’est Dieu qui s’exprime par les livres sacrés et lui aussi qui nous a donné la capacité de raisonner, il ne pourra pas y avoir de désaccord entre ce que la foi nous enseigne et ce que la raison nous impose. De ce fait, si la raison est au service de la foi – car elle pourra démontrer les propositions qu’on connaît par la foi et mieux exposer celles qui ne sont pas démontrables rationnellement –, on pourra, en faisant usage de la raison, parvenir à la vraie connaissance. Voir Saint Thomas d’Aquin, par André Cresson, Presses universitaires de France, Paris, 1957.
-
[3]
Le protestantisme – qui a comme dogme que le chrétien, considéré comme prédestiné, ne peut pas mériter lui-même le salut par ses bonnes œuvres car seul Dieu est autorisé, par sa grâce, à le donner – se divise en : luthéranisme (doctrine de Luther), calvinisme (doctrine du français Jean Calvin [1509-1564] qui, à la suite de Luther, écrira L’Institution de la religion chrétienne) et l’anglicanisme (religion qui naît en Angleterre sous le règne d’Elisabeth I, comme conséquence de la rupture avec la papauté survenue sous le règne d’Henry VIII en 1533-1535, et qui adopte le dogme calviniste).
-
[4]
La Compagnie de Jésus fut fondée par Ignace de Loyola en 1534 et approuvée par le pape Paul III en 1540.
-
[5]
Bañez développa la doctrine de praemotio physica contre la scientia media moliniste. Dans sa praemotio physica, il proclamait qu’une personne ne peut accepter la grâce divine qu’en étant incitée par Dieu à le faire.
-
[6]
Saint Augustin (354-430) pensait, face à l’humanisme païen de son époque et face à la doctrine de Pélage (400) – qui soutenait, au détriment de la grâce divine, le pouvoir du libre arbitre humain ؘ–, que, si l’homme est pécheur par nature, lui-même par sa propre volonté ne peut pas obtenir son salut. Donc, seul Dieu peut choisir les âmes qui doivent bénéficier de la grâce divine. D’où l’idée de prédestination gratuite et de grâce efficace. Voir La Prédestination de Francis Ferrier, Que sais-je ?, n° 2537.
-
[7]
Saint Thomas étaya la doctrine augustinienne, mais en lui donnant des bases rationnelles. Il se demande si la grâce de Dieu est quelque chose que l’homme accepte librement ou si cette acceptation est déterminée par Dieu. De ce fait, il considère que, si l’homme au moyen de son libre arbitre refuse la grâce de Dieu, le reproche doit s’adresser à l’homme et non à Dieu. Donc, on peut déduire que, quoique l’homme soit prédestiné par Dieu, il pourra refuser sa grâce sous sa responsabilité. Ibidem.
-
[8]
Dictionnaire de l’histoire du christianisme, Albin Michel, Encyclopaedia universalis, 2000, p. 346.
-
[9]
Pour une information plus complète sur le jansénisme, ibidem, p. 536-543.
-
[10]
Le miracle de Théophile de Rutebeuf, présentation et traduction par Jean Dufournet, éd. GF Flammarion, Paris, 1987.
-
[11]
Le Volksbuch a connu un grand succès dès sa parution. Il fut traduit en différentes langues, parmi lesquelles il faut signaler des traductions anglaises qui ont été à la base du Faust de Marlowe de 1593.
-
[12]
Comme on l’a déjà avancé, le Volksbuch est un récit d’un auteur anonyme. Cependant, après lecture, on est obligé d’envisager l’hypothèse qu’il ait été écrit par plusieurs personnes. On s’aperçoit de la différence qu’il y a entre les premiers et les derniers chapitres, et tous ceux qui sont consacrés à la démonstration du pouvoir de la magie. Cette hypothèse sera étayée par le fait que, si on regarde attentivement les chapitres dédiés aux exploits magiques de Faust, il semble que l’auteur s’y complaise et même qu’il ait une sympathie pour ceux-ci. Ne les développe-t-il pas largement, voire comiquement ? Par contre, les autres chapitres adoptent un ton très sérieux et moralisant, condamnant et critiquant durement toute pratique magique. Donc, il semble y avoir différents styles et sensibilités pour une même histoire. En même temps, d’un autre point de vue, on pourrait se demander la raison de l’anonymat. Ces différences de sensibilité pourraient donner à penser que les chapitres moralisateurs sont la conséquence directe de l’interdiction qui existait à cette époque-là de pratiquer et croire en toute sorte de magie, sous peine d’être condamné aux flammes du bûcher. Cependant, dans cet article, on considérera l’œuvre comme création d’un même auteur, avec sa finalité didactique et moralisante.
-
[13]
Voir « Introduction » de J. Lefebvre, dans L’Histoire du Docteur Faust (1587), éd. Les Belles Lettres, Paris, 1970, p. 20.
-
[14]
Le Magicien Prodigieux (El Mágico Prodigioso) de Calderon ; édition, introduction, traduction et notes par Bernard Sesé, Collection bilingue des classiques étrangers, éd. Montaigne, Paris, 1969.
-
[15]
La plupart des textes qui se publient en Espagne entre 1550 et 1750 sont l’œuvre de clercs ; généralement, il s’agit d’une littérature de propagande au service de la Contre-Réforme (voir L’Espagne de 1492 à 1808 par Jean-Pierre Dedieu, éd. Belin SUP, Paris, 1994, p. 205). Même Calderón (Madrid, 1600 – Madrid, 1681), écrivain typique du XVIIe siècle, étudiant en humanités et en théologie à l’école des Jésuites, et en scolastique juridique aux universités de Salamanque et d’Alcalá, fut ordonné prêtre à la fin de sa vie, en 1651.
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[16]
L’Esclave du Démon de Mira de Amescua met en scène l’histoire de saint Gil de Santarem qui, vaincu par la tentation démoniaque, vend son âme au Diable pour obtenir une vie d’action. Repenti et converti, après une vie de péché, il obtient le salut de Dieu. Il s’agit d’une œuvre qui parle de la grâce, de la prédestination et du libre arbitre avec une conception moliniste. Voir Historia de la Literatura Española par Angel Valbuena Prat, éd. Gustavo Gili, S.A. tome II, 1963, p. 423-428.
-
[17]
On peut penser que Calderón connaissait aussi la légende du pacte avec le Diable à travers la grande tradition littéraire produite au Moyen Âge, où on peut signaler plusieurs œuvres espagnoles qui traitaient déjà de ce même sujet : Las Cántigas de Santa María de Alfonso X el Sabio (XIIIe siècle) ; Los Milagros de Nuestra Señora de Gonzalo de Berceo (XIIIe siècle) ; El Libro del Buen Amor del Arcipreste de Hita (XIVe siècle) ; ou El Conde de Lucanor de Don Juan Manuel (XIVe siècle). Selon Bruce W. Wardropper, Calderón ne paraît pas avoir été influencé par la légende de Faust – encore qu’il semble qu’au XVIIe siècle elle était bien connue en Espagne –, parce qu’on trouve de grandes différences entre les deux histoires (voir l’introduction de El Mágico Prodigioso de B. W. Wardropper, éd. Cátedra, Madrid, 2000, p. 18-19). Mais, si on peut affirmer que l’histoire de Faust, celle du Volksbuch ou celle de Marlowe, était très connue en Espagne, ne peut-on penser aussi que l’intention de Calderón, face à la morale protestante de ces deux versions, était d’écrire une histoire complètement différente – avec la même base du pacte avec le Diable – pour développer la thèse opposée à celle-ci ? Nous allons essayer d’analyser ces différences dans la dernière partie de cet article.
-
[18]
Angel Valbuena Prat, Historia de la Literatura Española, op. cit., p. 551.
-
[19]
Antioche était la troisième capitale de l’Empire, après Rome et Alexandrie, et le centre du christianisme hellénique. Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 53-58.
-
[20]
Le passage, qui provient de l’œuvre de Pline Historia Naturalis (Livre II, chapitre 7), dit : « Dieu est unique bonté suprême, / unique essence, unique substance ; / il voit tout, il est tout-puissant. » (M. P. p. 65).
-
[21]
À côté de l’histoire de Cyprien et Justine, plusieurs histoires se succèdent en même temps, qui ne laissent pas d’être importantes : celle de Clarín, Moscón et Livie, triangle amoureux ; Floro et Lelio, tous les deux amoureux de Justine ; Lysandre, père de Justine, qui, avec le dévoilement de son secret, découvre la foi chrétienne de sa fille ; le Gouverneur d’Antioche, père de Lelio, qui représente la persécution des chrétiens. Rien dans l’œuvre ne pourrait être enlevé, car tout converge vers l’histoire des deux protagonistes.
-
[22]
Le seul problème juridique exposé dans l’Histoire du Docteur Johann Faust est celui de la représentation conventionnelle, parce qu’une des parties n’agit pas en son nom propre. Méphostophilès, serviteur de Lucifer « le véritable maître du Dr Faust », a besoin du consentement formel de son supérieur pour pouvoir arriver à un accord avec Faust, puisqu’« il n’avait pouvoir absolu qu’autant que le lui concédait le maître qui régnait sur lui. » (V. p. 75)
-
[23]
Malgré la méconnaissance qu’avait Cyprien de l’authentique identité du Diable à l’instant de la signature du pacte, le contrat produira son obligation juridique. Ce sera précisément, comme on verra plus tard, au moment où Cyprien la découvrira qu’il demandera d’annuler le contrat.
-
[24]
Faust et Cyprien écriront, l’un : « J’ai écrit la présente promesse de ma propre main, y ai souscrit de mon propre sang soutiré pour ce faire ; et en toute possession de mon esprit et jugement, de ma pensée et volonté, l’ai fermée et attestée de mon sceau, etc. » (V. p. 80), et l’autre : « Moi, le grand Cyprien, je dis / que je donnerai mon âme immortelle. / […] à qui m’enseignera des sciences / […] qui me permettront d’attirer à moi / Justine, mon ingrate maîtresse ! / Et j’ai signé cela de mon nom. » (M.P. p. 169) Ils obtiennent tous deux l’accord du Diable ; pour le premier : « L’Esprit volant se montra derechef à Faust, et s’offrit à lui être assujetti et obéissant en toutes choses, vu que son maître suprême lui en avait donné pouvoir. » (V. p. 76), et pour le second : « Eh bien, j’accepte ce contrat » (M.P. p. 163).
-
[25]
La première formulation se présente en trois articles : I- « Qu’il devrait lui être sujet et obéissant en toutes choses qu’il commanderait, demanderait et ordonnerait, pendant toute sa vie, et jusqu’à sa mort, à lui, Dr Faust ; II- Qu’il ne devrait rien lui cacher de ce qu’il voudrait apprendre de lui ; III- Qu’à toutes ses demandes il ne répondit rien qui ne fût véritable. » (V. p. 75).
-
[26]
Par contre, dans la deuxième apparaissent six articles : I- « Qu’il pût prendre et garder lui aussi physionomie, forme et faculté d’un esprit ; II- Que l’Esprit fît tout ce qu’il désirerait et lui donnât tout ce qu’il voudrait avoir de lui ; III- Qu’il lui fût diligent, sujet et obéissant comme un serviteur ; IV- Qu’à toute heure qu’il l’appellerait et manderait, il se trouvât en son logis ; V- Qu’il gouvernât invisible en son logis et ne se fît voir de personne que de lui, sauf à sa volonté et à son commandement ; VI- Que toutes et quantes fois qu’il le demanderait, il eût à se montrer, et sous telle forme qu’il exigerait de lui. » (V. p. 77).
-
[27]
Parallèlement, Méphostophilès exige en cinq articles : I- « Que Faust lui jurât et promît qu’il serait sien, à lui, l’Esprit ; II- Que, pour confirmation, il ratifiât cette promesse par son propre sang, et s’engageât de la sorte par écrit envers lui ; III- Qu’il fût ennemi de tous les chrétiens ; IV- Qu’il abjurât la foi chrétienne ; V- Qu’il ne se laissât pas séduire si certains voulaient le convertir. » (V. p. 77).
-
[28]
Claudio Magris, « Les métamorphoses de Faust », in Europe, Revue Littéraire mensuelle, « Faust », n° 813-814 / Janvier-Février 1997, p. 12.
-
[29]
Pour une étude approfondie sur le temps dans le contrat « faustien », voir « Temps et contrat. Critique du pacte faustien. La relativité du contrat », par F. Ost, Travaux de l’Association H. Capitant, LGDJ, Paris, 2000.
-
[30]
« L’heure de Faust approchait, comme le sable qui s’écoule en un sablier » (V. p. 170) ou « Le sablier est là devant mes regards, m’avertissant qu’il faut que je me tienne prêt pour le moment où il sera écoulé, et que le Diable me viendra chercher cette nuit même… » (V. p. 178).
-
[31]
La première proposition est faite par Cyprien, après qu’il ait été éconduit par Justine, dans la solitude et entraîné par son désespoir : « […] que je donnerais […] / au génie le plus diabolique / […] vaincu déjà, déjà soumis / à l’agonie, à la peine éternelle, / pour jouir de cette femme, / je donnerais mon âme. » (M.P. p. 123-125). La deuxième est faite pendant l’aveu au Diable de son amour pour Justine. Le Diable, travesti en étranger magicien, lui propose l’art de la magie comme la seule solution de voir accompli son désir : « J’ai dit (et je ferai ce que j’ai dit), / que j’offrirais libéralement / mon âme à un génie infernal / (juge par là de ma passion), pour que cet amour qui m’afflige […] » (M.P. p. 161-163). Et la dernière proposition se place après qu’il ait été convaincu par la démonstration des pouvoirs magiques du Diable : « […] Oui, je crois à ta science ! / Oui, j’avoue que je suis ton esclave… » ; « Moi, le grand Cyprien, je dis / que je donnerai mon âme immortelle… » ; « Et l’âme que je t’offre / est à toi désormais, et pour l’éternité. » (M.P. p. 169).
-
[32]
« Spéculateur » : étymologie, en 1532, en latin « observateur ». Nouveau dictionnaire étymologique et historique, A. Dauzat, J. Dubois, H. Mitterand, Librairie Larousse, Paris, 1964.
-
[33]
Étymologie de « Magie », au XVIe siècle du grec « mageia » qui signifie « religion des mages » et, du latin « magia » qui signifie « sorcellerie ». Ibidem.
-
[34]
Voir Faust ou l’Autre en question. Dieu, la pensée, le mal, par F. Mies, Presses Universitaires de Namur, Namur, 1994, p. 115.
-
[35]
Le Diable, au début de l’histoire, essaie de convaincre Cyprien, par la dialectique, qu’il est arrivé à une conclusion philosophique erronée – l’existence d’un Dieu supérieur et unique –, mais, comme il ne le réussit pas, touché dans son orgueil diabolique, il jure vengeance : « […] (puisque tes études te conduisent si loin, / je ferai en sorte que tu oublies l’étude, / ravi par une rare beauté. / Puisque j’ai licence / de poursuivre Justine de ma rage, / d’un même effet je tirerai / une double vengeance. » (M.P. p. 73).
-
[36]
Tandis que Faust utilise le pouvoir magique pour réaliser tout l’imaginable, Cyprien ne le consacre qu’à l’obtention d’une seule finalité, sans tenir compte de tous les avantages qu’il pourrait obtenir grâce à lui.
-
[37]
Voir J. Lefebvre, « Introduction », L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 32.
-
[38]
G. Thines, « La trahison du disciple », in Europe, op. cit., p. 23.
-
[39]
« […] Ainsi, c’est toi qui m’as trompé / puisqu’en mettant ta science à exécution, / je ne découvre qu’un fantôme / là où je cherche la beauté. » (M.P. p. 207)
-
[40]
L’information utilisée sur la théologie luthérienne est extraite du Dictionnaire de l’histoire du christianisme, Encyclopaedia universalis. Albin Michel, 2000.
-
[41]
« Calderón ha hecho de sus figuras cristianas la base de un drama universal en cuanto que teatraliza el principio de la reflexión, el estudio, como ideales del intelectual, de cuyo arquetipo la comedia es una verdadera apología », (Angel Valbuena Prat, Historia de la Literatura española, op. cit., p. 553 – traduction française par nos soins).
-
[42]
Théologie basée sur l’expérience vécue, car la raison et la foi sont incompatibles. Voir Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 625.
-
[43]
Dès la fin du Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, on considère que le pouvoir des sorciers est le résultat d’un pacte signé avec le Diable. Au XVIe siècle (pleine époque de la chasse aux sorcières) la magie est considérée comme le pouvoir sur la nature en collaboration avec des esprits malins. Toutes les sciences, comme l’alchimie, l’astrologie, les mathématiques ou la médecine, dont les résultats sont incompréhensibles pour la population, sont considérées, elles aussi, comme liées à la magie. Le Volksbuch cristallise cette méfiance populaire envers l’incompréhen-sible. Pour l’auteur, sa pratique est le symbole du péché ; par conséquent, dès la « Préface au lecteur chrétien », il la condamne en s’appuyant sur de nombreuses citations bibliques (« Le Diable en personne devient le propre bourreau des magiciens » [V. p. 67]), puisque la Bible l’interdit expressément. L’histoire de Faust doit être un avertissement contre tous ceux qui pensent s’en servir. Par conséquent, ce sujet surgira de nouveau avec force au moment où Faust s’adressera à ses amis les étudiants en leur disant : « La magie n’a d’autre origine que le diable. » (V. p. 177).
-
[44]
« Il avait aussi la tête orgueilleuse, portée à la sottise et à la déraison, à telle enseigne qu’on l’appela toujours le Spéculateur ; il fréquenta la mauvaise compagnie, mit pendant un temps les Saintes Écritures derrière la porte et sous le banc et mena une vie d’infamie et d’impiété » (V. p. 71).
-
[45]
Faust « évoque tous les élans humains vers la vie, le savoir et le pouvoir, depuis les désirs les plus mêlés jusqu’aux aspirations les plus élevées, le tout pouvant mener à l’égocentrisme et à la volonté de puissance les plus absolus ou aussi bien à la générosité et au service des autres : l’homme porte en lui-même un rêve de grandeur infinie, le besoin d’un “toujours plus” », André Dabezies, « Miroirs du mythe », in Europe, op. cit. p. 6.
-
[46]
« […] Il refusa qu’on l’appelât théologien, devint un mondain, prit le nom de docteur en médecine, se fit astrologue et mathématicien et par pure convenance pratiqua la médecine » (V. p. 72).
-
[47]
Faust croit dominer le Diable, parce que c’est lui qui l’a fait apparaître et qu’il connaît son nom : « Puis il demande au Diable comment il s’appelait et quel était son nom. L’Esprit répondit qu’il s’appelait Méphostophilès » (V. p. 78). Connaître l’identité du Diable est ce qui transforme celui-ci en un être accessible, aux yeux de Faust.
-
[48]
Luther s’oppose à la définition classique de l’homme comme être vivant doué de raison.
-
[49]
Dictionnaire de l’histoire du christianisme, op. cit., p. 625-626.
-
[50]
« Dans l’agréable solitude / de ce séjour paisible, / splendide labyrinthe / de fleurs, de roses et de plantes, / vous pouvez me laisser, en laissant avec moi / (car leur compagnie me suffit) / les livres que je vous ai dit de prendre chez moi ; / en effet, cependant qu’Antioche / célèbre par tant de fêtes / […] je veux consacrer à l’étude / le temps qui reste jusqu’à la fin du jour. » (M.P. p. 57).
-
[51]
Cyprien lui-même le confirme en disant : « […] Clarín apporte-moi / sur-le-champ une épée et des plumes, / car l’amour en effet se complaît / dans un objet paré d’éclats et de splendeurs : / foin, désormais, des livres et de l’étude ! / Et que l’on dise en toute vérité / que de l’esprit l’amour / est la perte assurée. » (M.P. p. 113).
-
[52]
Sur l’altérité, voir F. Mies, Faust ou l’Autre en question. Dieu, la pensée, le mal, op. cit., p. 14.
-
[53]
Œuvre que s’appuie sur les principes du code de l’honneur qui régissent la société espagnole de l’époque de Philippe IV. Le sens de l’honneur social, où l’offense et l’affront ne trouvent réparation que dans le sang, et où la femme est prisonnière de sa réputation, est différent pour Cyprien. « L’honneur, pour lui, implique le respect de la femme aimée, et s’il connaît les obligations du rang il refuse pourtant d’en accepter les règles tyranniques. » (Le Magicien Prodigieux, op. cit., p. 34).
-
[54]
« Dès qu’il se trouvait seul et voulait songer à la parole divine, le Diable déguisé en une belle femme venait le trouver, le tenait acollé et s’adonnait avec lui à la luxure, tellement qu’il oubliait bien vite la parole de Dieu, l’envoyait par-dessus les moulins et persistait dans son dessein criminel. » (V. p. 98-99).
-
[55]
Il sera si convaincu de sa perte qu’il confirmera de nouveau le pacte avec le Diable, malgré qu’« un vieil homme […] qui aimait les saintes Écritures » (V. p. 158) essayera de le persuader qu’il est encore temps d’obtenir la grâce de Dieu, en l’assurant qu’« il n’est pas encore trop tard, si vous retournez en arrière et priez Dieu de vous accorder grâce … » (V. p. 159).
-
[56]
« Et je me suis pris moi-même au piège. Si j’avais eu de pieuses pensées, si je m’étais tenu à Dieu par la prière et n’avais laissé le diable prendre si fortes racines en moi, un tel malheur de l’âme et du corps ne me serait jamais arrivé. Las ! Qu’ai-je fait ? » (V. p. 92).
-
[57]
Voir J. Lefebvre, « Introduction », in L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 38.
-
[58]
« La voie de la révision s’étant refermée, il reste donc à exécuter le pacte mécaniquement […] ainsi se traduit la nature du contractualisme diabolique : une stricte logique de rétribution, étrangère à toute idée d’équité, de grâce ou de miséricorde qui, débordant la réciprocité contractuelle, eût pu inscrire l’engagement dans le registre du don ou du pardon. » (F. Ost, « Le pacte faustien ou les avatars de la liberté », in Faust ou les frontières du savoir, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002, p. 269.
-
[59]
« Ainsi c’est toi qui m’as trompé / puisqu’en mettant ta science à exécution, / je ne découvre qu’un fantôme / là où je cherche la beauté. » (M.P. p. 207).
-
[60]
Justine sera l’instrument fondamental pour que Cyprien reçoive la grâce de Dieu car, au moment où Cyprien demandera au Diable « Qu’est-ce qui a pu faire / qu’il s’oppose à moi ? », le Démon lui répondra « Que Justine soit chrétienne. » (M.P. p. 213).
-
[61]
Le Diable avait essayé de le convaincre – de la même façon que le Diable de Faust – qu’« […] il est trop tard, il est trop tard / pour que toi tu le trouves, si je juge / qu’étant mon esclave / tu ne seras point son vassal. » (M.P. p. 213).
-
[62]
« Nul ne punit qui s’est soumis, / et moi je le suis puisque je l’appelle. » (M.P. p. 215).
-
[63]
« N’ayant point, avec les dons qui m’ont été départis d’En-Haut et gracieusement attribués, trouvé dans mon entendement cette faculté et ne pouvant l’apprendre des hommes, je me suis soumis à l’Esprit envoyé à moi, et ici présent… » (V. p. 79).
-
[64]
A. Dabezies, « Miroirs du mythe », in Europe, op. cit., p. 5-6.
-
[65]
Selon F. Mies, le pacte symbolise le travestissement de l’Alliance. Voir, pour mieux approfondir ce sujet, F. Mies, « Avertissement à l’Europe – Les Faust de Klaus et Thomas Mann », in Europe, op. cit., p. 93.
-
[66]
Face à la pensée médiévale et humaniste sur le libre arbitre qui considérait que l’homme peut collaborer dans une certaine mesure à l’action de la grâce, Luther estime que l’effort de l’homme pour contribuer à son salut est source d’esclavage. L’homme, dans la quête de son salut, sera toujours poursuivi par l’incertitude de ne pas savoir s’il a fait suffisamment pour le mériter et, pour cette raison, il deviendra esclave de sa propre volonté. C’est pourquoi Luther renverse l’idée médiévale et humaniste du libre arbitre et constitue sa propre thèse, celle du serf arbitre.
-
[67]
« Je le veux savoir, ou bien je meurs ! Il faut que tu me le dises. » (V. p. 93). C’est précisément à cause de sa spéculation « trop rationaliste en matière de religion, que Faust est fermé aux paradoxes luthériens sur la grâce. ». Voir J. Lefebvre, « Introduction », in L’Histoire du Docteur Faust, op. cit., p. 38.
-
[68]
Pour cette raison, l’auteur, pendant toute l’histoire, condamne Faust pour avoir abandonné Dieu. Et, au moyen de citations bibliques, car la Bible est pour le luthéranisme la seule source du christianisme, il tentera de prévenir tous les chrétiens de ce qui arrive à tout qui profane le mystère de la foi. Par exemple : « Soyez soumis à Dieu, résistez au diable, et il fuira loin de vous CUM GRATIA ET PRIVILEGIO » – qui apparaît dans le titre même du récit – ou « Soyez vigilants et prenez garde, car votre adversaire le Diable rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. Résistez-lui par une foi ferme » – par laquelle l’auteur termine l’histoire (V. p. 181).
-
[69]
Voir Bruce W. Wardropper, « Introduction », in El Mágico Prodigioso, éd. Catedra, Madrid, 2000.
-
[70]
« Oh ! malheureux, que vois-je ? / Un cadavre roide et muet m’attend entre ses bras ! » (M.P. p. 203).
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[71]
L’Espagne affiche, à cette époque, un vif intérêt pour le surnaturel. Dans chaque ville de la Mancha existe, aux XVIe et XVIIe siècles, un ou deux spécialistes de la magie. Il s’agit de professionnels reconnus qui inspirent à la population un sentiment
mélangé de crainte et d’admiration. Entre 1580 et 1650 se produira une forte répression de la magie par le clergé, car celui-ci revendiquera le monopole du contact avec le surnaturel et se posera en seul détenteur de la vérité. De plus, il est le seul capable d’élaborer des règles religieuses et sociales. Ainsi, ceux qui obéissent à d’autres que Dieu ou l’Église ne pouvaient être que de suppôts du Diable, puisque le Diable est l’ennemi de Dieu, et, en conséquence, ils seront poursuivis par les tribunaux, par l’État et par l’Inquisition. Seule l’Église a les armes nécessaires pour le combattre. -
[72]
Pour cette raison Cyprien affirmera à la fin de l’histoire « Je me rends à toi, résolu / à souffrir mille morts / car je connais enfin / que, sans ce grand Dieu que je cherche, / que j’adore et que je révère / toutes les gloires humaines ne sont / que poussière, fumée, cendre et vent. » (M.P. p. 225).
-
[73]
« Ma défense consiste en Dieu » et « J’en appelle au ciel de cette offense, / afin que le ciel dissipe / cette apparence de ma réputation, / comme la flamme à l’air s’évanouit… » (M.P. p. 191) Ses prières sauveront son honneur et sa vertu.
-
[74]
« Eh bien, tu failliras à ta promesse ; / car cette peine, cette passion / qui ont affligé ma pensée, / ont emporté mon imagination, / mais non pas mon consentement. » (M.P. p. 189) et à la question du Démon « Si une science inouïe / sur toi exerce son pouvoir, / comment peux-tu vaincre, Justine, si elle incline avec tant de force / qu’elle force tout en inclinant ? », elle répondra « En sachant faire usage / de mon libre pouvoir. » (M.P. p. 189).
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[75]
« C’est le Dieu des chrétiens / qu’à grands cris je confesse ; / s’il est vrai que je suis maintenant / l’esclave de l’enfer / et que de mon sang même / j’ai signé un pacte, / mon sang l’effacera / dans le martyre que j’espère. » (M.P. p. 225).
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[76]
« […] En effet, quoique mon grand pouvoir / ne puisse vaincre une volonté libre… » (M.P. p. 177).
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[77]
« Cyprien, je t’avais dit / que je t’aimerais dans la mort, / et puisque je vais à la mort avec toi, / j’ai tenu ma promesse. » (M.P. p. 233).
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[78]
Faust lui-même, à la fin de l’ouvrage, accusera la raison et le libre arbitre d’être cause de sa condamnation : « Las ! Raison et libre arbitre, à quel châtiment exposez-vous mon corps, qui ne peut rien attendre d’autre que la privation de la vie ! Las ! Vous mes membres, et toi mon corps encore plein de santé, vous ma raison et mon âme, plaignez-moi, car j’aurais eu liberté de vous imposer ce sort et de vous y soustraire, et j’aurais pu grâce à vous m’amender ! » (V. p. 171).