Notes
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[1]
Chr. Schaut, “La dimension spatiale des relations de quartier et les effets de la territorialisation des contrats de sécurité H.-O. Hubert, “Confiance et routines : les interactions sur le parvis Saint-Antoine à Forest Chr. Schaut, “Le sentiment d’insécurité comme fait social total : le cas d’un groupe de paroles”.
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[2]
J.-F. Cauchie, “Effet des contrats de sécurité sur le secteur de l’intervention médico-psycho-sociale en toxicomanie” ; Chr. Schaut, “Travail social et nouveaux dispositifs : entre tension et redéfinitions” ; H.-O. Hubert et Chr. Schaut, “La précarité au service de la précarité”.
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[3]
M.-S. Devresse, “Police, usage de drogues et nouvelles politiques sociopénales : un impossible ménage à trois ?” ; V. Francis, “Rencontre entre gendarmerie et usagers de drogues. Une recherche sur une brigade de gendarmerie belge” ; J.-M. Chaumont, “Post-scriptum”.
-
[4]
H.-O. Hubert, “Ce que les ‘incivilités’ ne comprennent pas… Déconstruction d’un concept et de ses simplifications”.
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[5]
Chr. Guillain et C. Scohier, “La gestion pénale d’une cohorte de dossiers stupéfiants. Les résultats disparates d’une justice dite alternative” ; Chr. Guillain, “Le parquet : entre indépendance institutionnelle et autonomie décisionnelle” ; C. Scohier, “Genèse et stratégie de la cellule ‘justice accélérée, de proximité et de démantèlement’. Une organisation à légitimité limitée” ; M.-S. Devresse, “Le test d’urine appliqué aux usagers de drogues : entre étiquetage et réduction de l’incertitude”.
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[6]
L. Van Campenhoudt, D. Kaminski et F. Digneffe, “Les effets des politiques de sécurité” ; Y. Cartuyvels, Ph. Mary et A. Rea, “L’État social-sécuritaire”.
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[7]
C. Faugeron, “Diversité de l’action publique et gestion des risques” ; L. Van Outrive, “Pénalisation du social et non-socialisation du pénal ; évaluation et alternatives politiques”.
1L’ouvrage dont il nous incombe de rendre compte est l’aboutissement d’un processus de recherche collectif ayant eu pour ambition d’interroger la réalité du terrain dans un domaine où, le plus souvent, les dispositifs normatifs sont seuls étudiés : la lutte contre l’insécurité. Le but de l’entreprise est, au-delà de l’étude de l’action de l’État, de disséquer les a priori du système, leur rôle concret et leur influence sur les comportements des acteurs de terrain. Pour ce faire, deux axes ont été choisis : les contrats de sécurité et la prise en charge des usagers de drogues. Le type d’approche est principalement ethnographique.
2Le livre est divisé en cinq sections que nous nous proposons de présenter brièvement ci-dessous.
3La première section (“ Relations sociales et question de l’insécurité dans les quartiers ‘à risque’”, introduite par Andrea Rea) cherche à définir le sentiment d’insécurité et à rendre compte des relations entre les services de police et les travailleurs sociaux. Le terrain des recherches est constitué des quartiers dits « à risque ». Les trois textes qui constituent cette section [1] mènent à une relativisation de l’importance de l’infraction pénale dans le processus de construction du sentiment d’insécurité, tout en mettant l’accent, d’une part, sur l’importance de la fragilité socio-économique, de l’incertitude et de la perte de mobilité sociale et géographique des individus et, d’autre part, sur le caractère significatif de la perte des routines sociales. Loin de la vision simpliste du sentiment d’insécurité comme résultante d’un grand nombre d’infractions, les auteurs nous le montrent sous son vrai jour : un fait social total dont les composantes sont nombreuses et interagissent de manière complexe. À l’inverse, la vision « naïve » promue par l’État contribue à l’accentuation du sentiment d’insécurité.
4La deuxième section (“ L’encadrement psychosocial de la précarité”, introduite par Yves Cartuyvels) est le lieu d’une étude de l’impact sur le travail social des nouveaux dispositifs socio-pénaux et des approches « globales-intégrées » qui en découlent. Les auteurs [2] nous y apprennent combien les politiques des années ʼ90 ont bouleversé le secteur. Elles ont non seulement créé un nouveau type d’aide sociale fortement rattaché aux institutions répressives, mais elles ont aussi contaminé le secteur traditionnel, le déstabilisant de manière profonde. Le risque d’une absorption de l’aide sociale par des institutions de contrôle et de répression à l’occasion de la mise sur pied de stratégies de coopération est ainsi pointé. Le malaise est donc grand chez les travailleurs sociaux, non seulement du fait de l’influence régulatoire visant la réduction des risques qu’ils subissent, mais aussi de celui de la précarité professionnelle dans laquelle ils sont maintenus. De restructuration en politiques à court terme, c’est un secteur précaire qui est censé apporter son aide aux groupes précarisés de notre société.
5La troisième section (“ Les relations des forces de l’ordre avec les populations ‘menaçantes’ et ‘menacées’”, introduite par Dan Kaminski et Françoise Digneffe) vise à rendre compte des modalités de rencontre entre forces de l’ordre et populations présentées comme menaçantes ou menacées. Deux axes sont ainsi choisis : celui de la relation aux usagers de drogues [3] et celui de la réponse aux « incivilités » commises par des jeunes [4]. La recherche y est centrée sur les interactions et non sur les définitions des comportements considérés. En matière de drogues, d’ailleurs, les définitions sont uniquement policières et construites en fonction de stratégies de contrôle indépendantes de tout appel de populations menacées. C’est donc la recherche d’un certain type d’interaction qui guide l’adoption d’une définition particulière de la problématique. Le travail policier est par ailleurs étonnamment peu influencé par les politiques sociosécuritaires, théoriquement portées par les nouveaux dispositifs.
6Quant aux incivilités, il apparaît qu’elles sont le fruit d’une interaction problématique entre des ensembles d’individus dans le cadre de tentatives d’appropriation de l’espace public, interaction à l’occasion de laquelle l’un des protagonistes sollicite l’appui des forces de l’ordre. On apprend aussi que, sous la rigidité de l’étiquetage social, la plasticité des catégories de menaçants et de menacés est importante, ceux-ci pouvant se faire menaçants et ceux-là se sentir menacés.
7Qu’il s’agisse des problématiques de drogues ou des incivilités, leur usage est justifié par l’invocation de leur intervention supposée dans la genèse de comportements délinquants, permettant ainsi le développement de stratégies de contrôle social.
8La quatrième section (“ Le traitement pénal de l’usage des drogues”, introduction de Philippe Mary) se centre également sur les questions de drogues. Le toxicomane, dont les années ʼ90 ont fait une figure de l’insécurité, se voit ciblé par des politiques répressives. Leur effet est cependant fort limité du point de vue de l’usage de drogues et aboutit le plus souvent à une instrumentalisation des usagers au profit de stratégies de répression d’autres formes de criminalité.
9Les quatre contributions qui forment cette section [5] se centrent sur l’action du ministère public. Il en ressort que la justice « alternative » ne l’est que dans la rhétorique tant est faible son impact sur l’action du ministère public. Parallèlement à cette résistance d’une institution qui n’entend pas se laisser contrôler, on constate une volonté d’exercer un contrôle durable et intensif sur un maximum d’individus, dans le cadre de dossiers pénaux. À cet égard, le développement, hors de tout cadre légal, de la pratique de tests d’urine pour les usagers de drogues montre tout le potentiel de la technologie au service d’une institution répressive et de contrôle social. De la même manière, la présence hégémonique du ministère public dans de nombreux organes de contrôle et de concertation donne le sentiment de sa montée en puissance.
10Par ailleurs, l’étude d’une cohorte de dossiers de stupéfiants permet de conclure à l’importance du rôle de facteurs discriminants tels que l’origine ethnique, l’âge, le sexe ou le degré d’intégration sociale dans la détermination par le ministère public des suites à donner aux dossiers pénaux.
11La cinquième section de l’ouvrage est constituée des conclusions [6]. Car l’ambition, au-delà de l’étude de domaines particuliers des politiques de sécurité actuelles, est de tirer des enseignements plus larges. Ainsi, les politiques de sécurité sont-elles jugées comme globalement inefficaces, ce qui ne signifie pas qu’elles soient sans effets. Une efficacité discursive peut leur être trouvée en ce qu’elles permettent de définir les problèmes et le type de solution à leur apporter. Par contre, leur influence sur l’action de l’appareil d’État est minime, à l’inverse de celle sur le secteur du travail social. Cette orientation sécuritaire de l’État crée pour bonne partie le sentiment d’insécurité et promeut des actions gestionnaires dans le domaine pénal.
12Une lecture plus globale permet de conclure à l’émergence d’un État social-sécuritaire. Dans un contexte de marché, la lecture économique de la société prend le pas sur toute autre. De ce fait, la demande de sécurité est réduite à celle de sécurité des biens et des personnes, elle-même ramenée à la question de la petite délinquance. Dans ce cadre, l’État abandonne toute volonté d’apporter une solution au problème pour se rabattre sur des politiques de gestion. Les problèmes fondamentaux sont dissimulés par des tentatives d’invisibilisation des populations problématiques et par la mise en avant de stratégies à court terme. Dans ce contexte, le discours sécuritaire s’autonomise, devient performatif et provoque un retour des légitimités charismatiques dans l’enceinte publique.
13Après les conclusions tracées par les coordinateurs des recherches, viennent deux postfaces, regards extérieurs jetés par des autorités dans les matières étudiées [7]. C’est ainsi que C. Faugeron trace des perspectives d’avenir, pour la recherche et pour l’évolution de la matière. Il y est relevé la tendance à l’hégémonie de l’économisme, à la superposition des dispositifs gérant le champ pénal, au développement de la sphère d’intervention de l’expertise et à la centralité de la notion d’insécurité. Enfin, L. Van Outrive, à travers des enseignements tirés des contributions, nous livre sa vision du système répressif actuel, entre politique imposée et discours de peur, de refus et de retrait, entre stigmatisations problématiques et alliances discutables.
14Des « discours aux pratiques », l’ambition était de taille. Le défi nous semble cependant relevé. Cette tâche ardue débouche sur un livre salutaire, le mot n’est pas trop fort pour décrire cette entreprise de déchiffrement (d’une partie) du contexte sociopénal dans lequel nous baignons depuis plus de 10 ans. Car des discours, il y en eut. Qu’on se doutât qu’ils ne correspondaient souvent que peu à la réalité, voilà qui est certain, mais qu’on nous présente aujourd’hui, en un ouvrage, tant de confirmations de l’étendue du problème et tant de clefs pour en comprendre les ressorts, voilà qui est peu commun. Ce livre est non seulement un point de la situation, mais aussi (et surtout, serions-nous tenté de dire) un appel à continuer les recherches, à pousser plus loin la réflexion, à s’engager dans des processus de dialogues interdisciplinaires afin de dévoiler le réel et de déconstruire les discours. Des discours, les chercheurs sont passés aux pratiques, pour ensuite reconstruire un discours scientifique indispensable pour penser réellement les systèmes répressifs.
Notes
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[1]
Chr. Schaut, “La dimension spatiale des relations de quartier et les effets de la territorialisation des contrats de sécurité H.-O. Hubert, “Confiance et routines : les interactions sur le parvis Saint-Antoine à Forest Chr. Schaut, “Le sentiment d’insécurité comme fait social total : le cas d’un groupe de paroles”.
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[2]
J.-F. Cauchie, “Effet des contrats de sécurité sur le secteur de l’intervention médico-psycho-sociale en toxicomanie” ; Chr. Schaut, “Travail social et nouveaux dispositifs : entre tension et redéfinitions” ; H.-O. Hubert et Chr. Schaut, “La précarité au service de la précarité”.
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[3]
M.-S. Devresse, “Police, usage de drogues et nouvelles politiques sociopénales : un impossible ménage à trois ?” ; V. Francis, “Rencontre entre gendarmerie et usagers de drogues. Une recherche sur une brigade de gendarmerie belge” ; J.-M. Chaumont, “Post-scriptum”.
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[4]
H.-O. Hubert, “Ce que les ‘incivilités’ ne comprennent pas… Déconstruction d’un concept et de ses simplifications”.
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[5]
Chr. Guillain et C. Scohier, “La gestion pénale d’une cohorte de dossiers stupéfiants. Les résultats disparates d’une justice dite alternative” ; Chr. Guillain, “Le parquet : entre indépendance institutionnelle et autonomie décisionnelle” ; C. Scohier, “Genèse et stratégie de la cellule ‘justice accélérée, de proximité et de démantèlement’. Une organisation à légitimité limitée” ; M.-S. Devresse, “Le test d’urine appliqué aux usagers de drogues : entre étiquetage et réduction de l’incertitude”.
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[6]
L. Van Campenhoudt, D. Kaminski et F. Digneffe, “Les effets des politiques de sécurité” ; Y. Cartuyvels, Ph. Mary et A. Rea, “L’État social-sécuritaire”.
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[7]
C. Faugeron, “Diversité de l’action publique et gestion des risques” ; L. Van Outrive, “Pénalisation du social et non-socialisation du pénal ; évaluation et alternatives politiques”.