Notes
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[1]
Je tiens à remercier Cécile Marceau pour la traduction de l’anglais. Je tiens également à remercier le Professor François Ost, le Dr Michael Salter (Université de Lancaster - UK) et le Dr Piyel Haldar (Birkbeck College, London) pour leur support et encouragement.
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[2]
J. Martin, Hanbury & Martins : Modern Equity, 14ème éd, 1993, Sweet & Maxwell, Londres, p. 1.
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[3]
Ibid.., p. 4.
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[4]
Lord Denning, Eves v Eves, 1975, 3 All ER 768 (voir p 769) 1 WLR 1338.
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[5]
J. Martin, op. cit., p. 26.
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[6]
1970, 2, All ER 790 g.
-
[7]
1975, 1 WLR 482.
-
[8]
Mountford v Scott, 1975, Ch 258.
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[9]
1882, 21 ch. D. 9.
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[10]
La décision à laquelle on était parvenu dans Midland Bank Trust v Green, 1981, AC 513 constitue un exemple flagrant d’une inobservation des règles permettant d’éviter une décision "inconcevable".
-
[11]
J. Martin, op. cit., p. 4.
-
[12]
J. Hackney, Understanding Equity and Trusts, 1987, Fontana, Londres, p. 16.
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[13]
Le débat historique sur la juridiction d’équité est présenté de façon traditionnelle dans la doctrine comme tournant autour de l’imagerie de la longueur du pied du chancelier, voir Martin, 1993, p. 4.
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[14]
1948, Ch 465-481.
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[15]
1975, 3 All ER 768.
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[16]
1929, AC 318.
-
[17]
Ibid., 335.
-
[18]
Snell, Snells Principles of Equity, Maxwell, Londres, 1990, 20ème éd., p. 192.
-
[19]
1919, 225 NY 380, 386.
-
[20]
Snell, Ibid., p. 192.
-
[21]
S. Milsom, Historical Foundations of the Common Law, 1981, Butterworths, Londres, p. 25.
-
[22]
Ibid., Chap. 1 aux pages 33-36.
-
[23]
J. Martin, op. cit., p. 94.
-
[24]
S. Milsom, op. cit., p. 94.
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[25]
Voir p. 43, Table talk of John Selden, éd. Pollock, 1927.
-
[26]
J. Martin, op. cit., p. 13.
-
[27]
Pour un aperçu de l’approche “positiviste” (black letter) dans les études juridiques, cf P. Fitzpatrick (éd), Critical legal studies, Blackwell, Oxford, 1992. En bref, cette approche se fonde sur la philosophie selon laquelle le droit se résume à apprendre des règles par cœur, comme un perroquet, et à les appliquer à un cas donné. Aucune crédibilité n’est accordée au contenu historique, philosophique ou même critique, puisque les règles sont présentées comme insusceptibles d’être remises en question.
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[28]
Pugh v Heath, 1882, 7 App. Cas at 237 (per Lord Cairns).
-
[29]
Snell, op.cit p. 18.
-
[30]
Cf. J. Martin, p. 25.
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[31]
Voir en général : P. Goodrich, Reading the Law, Blackwell, Londres, 1986, qui souligne cette tendance de la tradition du Common Law.
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[32]
Ceci est implicitement le cas dans Eves v Eves, dans le jugement de Lord Denning.
-
[33]
F. Ost & M. van de Kerchove, Le système juridique entre ordre et désordre, 1988, Presses Universitaires de France, Paris p. 124-128.
-
[34]
A.J. Oakley, Constructive Trusts, 2nd ed, Sweet & Maxwell, Londres, 1987, p. 10.
-
[35]
E.H. Burn, Maudsley & Burn’s Trusts & Trustees : Cases and Materials, 1990, Butterworths, Londres, p. 237.
-
[36]
Carl Zeiss Stiftung v Herbert Smith & Co, 1969, 2 Ch at 300 (per Lord Edmund Davies LJ).
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[37]
J. Martin, op.cit., p. 293.
-
[38]
Eves v. Eves, 1975, 1 WLR 1338.
-
[39]
J. Martin, op.cit., p. 323.
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[40]
(1972) 1 WLR 1286-1289.
-
[41]
R.H. Maudsley, 1977, 28 Northern Ireland Law Quarterly, p123.
-
[42]
J. Martin, op cit., p. 329.
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[43]
A.J. Oakley, op cit., p. 36.
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[44]
Cf. par exemple l’extrait de la Modern Equity de Martin, (note 26 de ce texte) où le développement du système de l’equity est décrit comme étant "celui qui se fonde sur les règles et les précédents plutôt que sur la conscience individuelle".
-
[45]
A.J. Oakley, op cit., p. 12.
-
[46]
Ibid., p. 13.
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[47]
771 c-d, 1975, 3 All ER.
-
[48]
1972, 2 All ER 38.
-
[49]
A.J. Oakley, op cit., p. 41.
-
[50]
Ibid., p. 14.
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[51]
Cf Gissing v Gissing, 1971, AC 886, 1970, 2 All ER 780.
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[52]
1970, 2 All ER, 790 g.
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[53]
Nous le verrons dans le jugement de Grant v Edwards, 1986, Ch 638, 2 All ER 426.
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[54]
1975, 3 All ER, 771 b-d.
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[55]
Cf. A.J. Oakley, op. cit., p. 12.
-
[56]
1975, 3 All ER - p. 769.
-
[57]
Ibid., 770.
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[58]
Cf E.H. Burn, 1990, p. 279, où il qualifie les propos de Lord Denning dans Eves v Eves de "wide".
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[59]
A.J. Oakley, op. cit., p. 12.
-
[60]
1972, 1 WLR 425.
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[61]
Ibid., 430.
-
[62]
Allen v Snyder, 1977, 2 N.S.W.L.R. 685-701.
-
[63]
1986, WLR 114.
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[64]
1986, WLR 114, 121.
-
[65]
1970, 2 All ER, 790 a-b.
-
[66]
Cf. Lord Denning, Eves v Eves, p. 769.
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[67]
Cf. J. Martin, op cit., p. 26.
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[68]
Voir en général : F. Ost & M. van de Kerchove, 1988.
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[69]
Ibid., p. 135-136.
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[70]
Cf. A.J. Oakley, op cit, p. 14.
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[71]
"Although the categories of situations in which English courts will impose constructive trusts should not be regarded as closed, these categories should be extended only where the courts are prepared to lay down some new principle which will apply generally. Any such principle must be capable of being applied with sufficient certainty to enable litigants to be safely advised as to the probable outcome of legal proceedings. Further, no such principle should be established without the fullest consideration of this effects thus produced on the general law upon the interests of the third parties nor should any such principle ever be established by deciding an individual case on grounds applicable only to a particular case." (nous soulignons), A.J. Oakley, p. 14.
1 – La "controverse" autour de l’equity
"Equity is a word with many meanings. In a wide sense, it means that which is fair and just, moral and ethical ; but its legal meaning is much narrower… it is not synonymous with justice in a broad sense… equity has no monopoly on the pursuit of justice." [2]
"Equitable principles are too often bandied about in common law courts as though the chancellor still had only the length of his foot to measure when coming to a conclusion." [3]
3Il semble revenir à l’épistémologue, à partir de l’examen de toutes les fausses évidences qui obscurcissent le concept d’equity, de recenser les raisons d’une telle confusion. Pour le théoricien du droit, l’enjeu sera de rendre cette tension signifiante. Un aspect de ce travail sera d’utiliser de manière extensive des exemples caractéristiques de la doctrine juridique anglaise. Des citations et des extraits tels que ceux mentionnés ci-dessus font ressortir la confusion qui caractérise le champ de l’equity ; ils illustrent également la controverse. Pourquoi les manuels qui portent sur l’equity entretiennent-ils une telle tension ? Pourquoi les juges anglais sont-ils si hésitants à l’égard des frontières légitimes de la juridiction d’équité ? On peut soutenir que cette confusion est l’un des caractères essentiels de l’equity, et le but de cet article est de montrer comment la dialectique et les paradigmes du jeu peuvent être utiles pour analyser cette zone sombre du système juridique anglais. Les théoriciens du droit doivent examiner de nouvelles approches pour donner un sens à leur sujet. Nous espérons montrer, par ce bref essai, que la théorie du système juridique anglais a besoin d’un nouveau paradigme afin de concilier ces tensions et ces paradoxes. Elle doit être à même de prendre en compte sa complexité, ce qui met au défi les moyens de compréhension traditionnels, parce que nous pouvons observer que, dans le champ de l’equity, de multiples logiques sont à l’œuvre. Nous montrerons ici comment le sens du jeu de certains juges correspond à une forme de logique qui est une logique de raisonnement selon l’equity, alors que pour les autres, il consiste en une logique selon le droit (la loi). Une telle tension se retrouve dans le droit moderne du constructive trust (*Trusts imposés par la loi en dehors de l’intention des parties ; fiction imposant l’obligation de restituer en cas d’enrichissement sans cause), pour lequel certains juges et auteurs de doctrine plaident en faveur d’une compréhension restrictive du concept, alors que les autres raisonnent en termes de justice selon l’equity et sont nettement plus libéraux dans leur approche. La controverse persiste parce qu’elle se situe dans une zone clef du droit anglais, nimbée de discours confus et paradoxaux, que nous tenterons d’éclaircir.
4Au cours de notre recherche, il sera utile de garder en mémoire les thèmes dialectiques que nous désirons illustrer, notre but premier étant de montrer comment la juridiction d’équité se prête à une analyse dialectique. Cela n’implique pas que d’autres branches du droit ne pourraient être analysées ainsi. Nous chercherons plutôt à mettre en lumière l’intérêt herméneutique d’une telle approche, étant donné la carence du droit anglais dans ce domaine. Commençons par mettre en lumière les couples dialectiques qui viennent à l’esprit quand on examine la controverse.
5L’un des plus importants, parce qu’il recouvre tout le champ de l’equity, est celui de la certitude et de l’incertitude, le couple réalité/fiction en est un autre. De telles oppositions sont présentes dans toute la doctrine. L’explication historique traditionnelle de l’émergence du champ de l’equity en est un exemple, parce qu’ici la doctrine, en relatant la réalité historique de façon totalement littérale, a besoin d’une métaphore pour élucider la nature de la juridiction d’équité. Ainsi, il est fait référence aux "deux courants" (two streams) de l’equity et de la Common Law, qui ne se sont pas "mêlés" (mixed) jusqu’au Judicature act de 1873.
6Les maximes de l’equity élargissent encore le champ de la réflexion. Celles-ci sont presque uniquement, comme nous allons voir, fondées sur des constructions métaphoriques, montages fictifs qui sont utilisés par la doctrine pour transmettre le sens de l’equity. Dire, par exemple, que l’equity "n’a pas dépassé l’âge de porter un enfant" [4], renvoie simultanément au sens littéral et figuré de la fécondité. Rapporter à l’equity la notion de fertilité humaine, entendue au sens propre, génère une tension, qui s’explique par l’absurdité d’un tel rapprochement. Mais l’interprétation figurée du sens s’avère salvatrice. La compréhension de la proposition judiciaire vient au secours de l’interprétation ; ainsi, ce qui paraissait absurde au départ peut se révéler, une fois que les connotations ont été prises en compte, hautement signifiant, et même éclairant. Comme nous le verrons, l’étude des métaphores est fondamentale lorsqu’on travaille dans le champ de l’equity.
1.1 – Les maximes de l’equity
"The maxims of equity embody the general principles which evolved in the court of Chancery. They are not rules which must be rigorously applied in every case, but are more in the nature of general guidelines in which equitable jurisdiction is exercised…they should be borne in mind when considering the varions rules and doctrines of equity." [5]
8Les raisons pour lesquelles la juridiction d’équité a besoin de telles lignes directrices doivent être examinées, notamment au vu de leur substance hautement métaphorique. En effet, l’examen du contenu de ces maximes et de la façon dont elles sont exprimées peut être révélateur de la nature de la juridiction d’equity. Il demeure cependant une certaine ambiguïté en ce qui concerne le statut des maximes d’equity. Comme cela a pu être illustré par la doctrine, ce ne sont pas des règles, mais seulement des lignes directrices. L’un des exemples illustrant la confusion générée par ces "lignes directrices" est fourni par un jugement de Lord Diplock, dans l’affaire Gissing v. Gissing [6], quand il statue, en 792 (i) :
"…the court is driven to apply as a rule of law, and not as an inference of fact, the maxim Equity is egality, and to hold that the beneficial interest belongs to the spouses in equal shares."
10Ceci remet en question le fondement selon lequel les juges attribuent le même poids à l’exposé raisonné de chaque maxime. Comment le juge interprète-t-il et applique-t-il les maximes ? Celles-ci ne symbolisent-elles pas l’incertitude qui caractérise le champ de l’equity ?
11La marge d’appréciation laissée au juge pour adopter ses propres règles du jeu est considérable, dès lors que lui ont été données les "lignes directrices" du fair play, les maximes d’equity.
Equity will not suffer a wrong to be without a remedy
12Le principe incarné par cette maxime est que l’equity va intervenir pour protéger un droit qui, en raison d’un défaut technique, n’est pas exécutoire. La maxime est renvoyée dans la sphère des remèdes équitables, qui peuvent être administrés quand le tort des défendeurs n’est pas reconnu par la Common Law.
He who seeks equity must do equity
13Un plaignant qui se fonde sur l’equity dans sa requête se doit d’agir avec equity à l’égard du défendeur. Par exemple, dans Chappell v Times Newspapers [7], il est apparu que le plaignant requérant une injonction ne l’obtiendrait pas s’il refusait de mener à bonne fin ses propres obligations.
He who comes to equity must come with clean hands
14Le principe des "mains propres" est rétroactif. Il se réfère à la conduite des plaignants avant le procès. Là encore, des exemples de l’observation de cette maxime sont à rechercher dans le domaine des remèdes équitables. Un acheteur ne peut obtenir la réalisation spécifique d’un contrat de bail s’il a pris avantage de l’illétrisme du vendeur qui n’a pas donné un avis indépendant [8]. Dans la situation où les deux parties ont les "mains sales" (unclean hands), la Cour doit seulement considérer celles du requérant, et ne doit pas équilibrer la mauvaise conduite de l’un par celle de l’autre.
Equity regards that as done which ought to be done
15Là où il existe une obligation spécifiquement exécutoire, l’equity regarde les parties comme étant déjà dans la position dans laquelle elles seraient après l’exécution de l’obligation. Ici on trouve la fameuse affaire Walsh v. Lonsdale [9], dans laquelle un contrat ayant trait à la terre est tenu pour spécifiquement exécutoire s’il est écrit.
Equality is equity
16Cette maxime est liée à la division du patrimoine matrimonial. Quand les parties ont chacune contribué de façon substantielle à l’acquisition de la propriété, et qu’il apparaît qu’il n’y a pas d’autre fondement pour le partage, alors l’equity préfère traiter les parties comme étant également attitrées plutôt que d’examiner leur contribution précise. Comme nous venons de le signaler, Lord Diplock avait utilisé cette maxime dans Gissing v. Gissing pour établir que s’il y a une évidence de "commune intention" au moyen de laquelle un mari peut être tenu pour le constructive trustee détenant un bénéfice partagé sur le trust au profit de sa femme après un divorce, un tel partage sera équitable.
Equity looks to the intent rather than the form
17La juridiction d’équité est sensée s’attacher plutôt au fond qu’à la forme. Par exemple, l’equity va qualifier une transaction d’hypothèque même si elle n’est pas décrite comme telle, si en substance il apparaît que la propriété a été transférée par sécurité.
18Pour le nouvel étudiant de l’equity, surtout s’il vient d’une autre tradition juridique, ces "lignes directrices" peuvent sembler plutôt étranges. On doit faire une petite mention de leur statut juridique réel pour connaître, par exemple, les cas où un juge doit avoir recours à une maxime afin de parvenir à une décision équitable. En effet, dans quelques décisions récentes où il aurait fallu respecter l’une de ces maximes, l’approche équitable a été dédaignée et on est arrivé à un résultat foncièrement inéquitable [10]. Nous reviendrons plus loin sur ces décisions. La question qui se pose alors est de savoir sur quelle forme de logique reposent ces maximes. Il semble que la logique de la discrétion en autorise des explications et des interprétations diverses. Il suffit de dire, pour l’instant, que l’incertitude et la confusion jouent un rôle majeur dans toute la discussion sur la juridiction d’équité.
2 – Visions de l’equity - L’equity comme conscience
"Developed systems of law have often been assisted by the introduction of a discretionary power to do justice, in particular cases where the strict rules of law cause hardship. Rules formulated to deal with particular situations may subsequently work unfairly as society develops. Equity is the body of rules which evolved to mitigate the severity of the rules of the common law. Its origin was the exercise by the chancellor of the residual dicretionary power of the king to do justice among his subjects in circumstances in which, for one reason or another, justice could not be obtained in a common law court." (nous soulignons) [11]
20L’une des manières de définir la nature de l’equity est de dire qu’elle autorise le juge à user d’un certain pouvoir discrétionnaire sur la base de ce qui est "concevable". Le but de cette section de notre article est de tenter de visualiser la nature de l’equity en soulignant le rôle qu’elle joue dans la réalisation d’un "résultat concevable" et, ce faisant, de mettre en lumière les paradoxes et les tensions qui subsistent dans le discours. Nombreux sont ceux qui soulignent que les principes de justice et de conscience sont à la base de la juridiction d’équité. Cet aspect est approfondi par Lawson et Rudden.
21Il est vrai que les concepts d’equity et de conscience ont longtemps été inextricablement mêlés. Dans sa forme primitive, l’equity était supposée fonctionner comme la "conscience" de la Common Law. Toutefois, ce qui est à l’origine de la confusion importante et de la tension ultérieure dans le champ de l’equity a partie liée avec les divers sens que les chanceliers, à des époques différentes, ont accordé au concept de "conscience". Il est important de retenir le caractère subjectif de cet élément du système juridique anglais, car il nous permet de retracer, à travers l’histoire et la jurisprudence, la tension et les paradoxes qui caractérisent le champ de l’equity.
22Il faut encore souligner qu’en considérant la conscience comme une forme d’expression importante du système, il était inévitable qu’apparaissent différents degrés de conscience et qu’il en découle des tensions, en raison du niveau de discrétion subjective autorisé.
23On peut se représenter l’equity sur la base de ce qui est concevable, étant donné que la conscience est à l’origine de nombreuses doctrines de l’equity.
24Implicitement, la conscience sous-tend les notions de constructive et de secret trusts, le caractère discrétionnaire des solutions équitables, les différentes formes d’estoppel ; d’abus de confiance, la règle de la bonne foi de l’acheteur, et enfin les nombreuses maximes d’equity dont, par exemple, la nécessité de venir à l’equity avec des "mains propres" (one must come to equity with clean hands). Hackney remarque que :
"Chancery had a reputation as a court administering an individual discretionary justice in contrast to the inflexible monoliths of the common law…much of the jurisprudence of the court has been concerned with working out the detailed administrative implications of having taken an earlier moral stance…it is impossible to read Equity cases of any period without being aware of it…it soon became a trademark of chancery thinking to emphasise good faith and to appeal to notions of « conscience »" [12].
26Permettre à une notion aussi subjective que celle de conscience d’être à la base de nombreuses décisions de justice devait inéluctablement entraîner tensions et paradoxes [13].
27Dans les décisions de l’immédiat après-guerre impliquant la juridiction d’équité, de fortes tensions ont vu le jour. Dans Re Diplock [14], la Cour d’appel disait que, si la plainte n’existait pas :
29A l’époque de cette décision, les cours traversaient une période fortement conservatrice dans l’application des principes d’equity. Ce qui ressort de toute étude substantielle concernant la juridiction d’équité est que l’equity subit une métamorphose perpétuelle. Parfois appliqués de façon libérale (par exemple dans les années 70, avec la décision Eves v Eves) [15], de tels principes ont aussi été appliqués de manière restrictive. En se concentrant sur ce thème de la juridiction d’equity, on peut découvrir le processus dialectique en spirale qui est une constante du champ de l’equity, et cela peut être mis en évidence en se référant non seulement aux auteurs doctrinaux mais aussi, de façon plus importante, aux jugements de la Cour d’appel et de la Chambre des Lords. En 1878, Jessel M.R. avait fait la remarque suivante, apparemment paradoxale : "this court is not, as I have often said, a court of conscience, but a court of law".
30Il s’avère nécessaire de s’arrêter sur les termes de ces expressions : d’une part, l’equity est fondée sur la conscience et, malgré cela, on ne peut l’invoquer seulement parce que "la justice du cas présent l’exige". La juridiction d’equity n’est pas "une cour de conscience mais une cour de droit". Le paradoxe et la contradiction ne sont pas rares et on peut trouver par de plus amples investigations de nombreux exemples illustrant la confusion et la tension en ce qui concerne cette juridiction.
2.1 – Bonne conscience (“conscionability”) et comportement
31Par ce titre, nous nous référons à la qualité morale véritable du comportement moral ou des intentions d’un individu. Cela est également lié à un sentiment d’obligation qui retient d’agir dans le sens de ce qui est considéré comme moralement répugnant, injuste et motivé par la mauvaise foi. De telles idées peuvent être explicitement illustrées par la jurisprudence des constructive trusts, ceux-ci étant imposés aux parties, souvent contre leur propre intention d’agir comme trustees, afin de contrecarrer leur conduite "inconsidérée ou leur fraude". Dans Blackwell v Blackwel [16], le Vicomte Sumner a établi que :
"For the prevention of fraud Equity fastens on the conscience of the legatee a trust, a trust that is, which would otherwise be inoperative…it lets him take what the will gives him and then makes him apply it, as the court of conscience directs, and it does so in order to give effect to the wishes of the testator, which would not otherwise be effectual." (nous soulignons) [17].
33Dès lors que la fraude a été constatée, l’equity peut s’opposer à ses effets par le dispositif du constructive trust. Lord Westbury établit que c’est "une juridiction selon laquelle une Cour d’equity, procédant sur le fondement de la fraude, transforme la partie qui l’a commise en trustee pour celle qui en a été la victime". La définition du constructive trust est l’une des plus renommées et des plus respectées des manuels sur l’equity ; elle est décrite en termes de ce qui est "imposé par l’equity afin de satisfaire les demandes de la justice et de la bonne conscience" [18]. Le célèbre juge américain Cardozo a statué, dans Beatty v Guggenheim Exploration Co que :
"A constructive trust is the formulae through which the conscience of equity finds expression. When property has been acquired in such circumstances such that the holder of the legal title may not in good conscience retain the beneficial interest, equity converts him into a trustee." [19]
35De telles conceptions, pour certains, manquent de spécificité. Snell note que "des propositions d’ordre général telles que celles-ci laissent inexpliquées les circonstances dans lesquelles la justice et la bonne conscience nécessitent un trust pour être imposées, et il peut être impossible et même indésirable, de limiter et de définir lesdites circonstances" [20].
36Une discussion plus approfondie concernant la doctrine du constructive trust sera prolongée plus loin puisque c’est à l’intérieur du champ de l’equity que l’on trouve les désaccords les plus significatifs, notamment dans la doctrine et les décisions de justice.
2.2 – Visions II : L’equity et l’histoire
"The rise of equity is intelligible only if we remember the medieval familiarity with earthy institutions of conscience, and the medieval belief in an absolute right" [21].
38Le point de départ traditionnel pour l’étudiant novice de l’equity est l’étude de l’histoire. Les étudiants en droit anglais ont eu à s’accommoder du système de la juridiction d’equity. Il se peut en effet que l’étudiant ait plus à apprendre de cette façon qu’en étudiant ses équivalents plus sophistiqués dans l’organisation judiciaire ; parce que, comme nous allons voir, la confusion sur la nature originaire de l’equity conduit à d’importantes erreurs dans les jugements. Le travail herméneutique met au premier plan la nécessité d’une approche approfondie du contexte historique, une telle stratégie étant féconde quand il faut affronter les phénomènes du présent. L’histoire de la juridiction d’equity n’a pas été notre point de départ ; au lieu de cela, il nous a semblé préférable de donner un rapide aperçu des paradoxes et des tensions qui subsistent dans le champ de l’equity pour que le lecteur soit averti de l’incertitude qui prévaut dans la doctrine d’hier et d’aujourd’hui.
39Le point de départ historique, pour l’étudiant de Common Law, ne va pas sans problèmes de présentation car, comme je tenterai de le montrer, celle-ci est menacée par le piège constant de l’explication dogmatique ou des fausses évidences. La littéralité prévaut dans le discours historique traditionnel sur l’equity, ce qui non seulement empêche de révéler et de prendre en considération la réalité complexe du droit anglais, mais nous prive également de la possibilité d’identifier les phénomènes juridiques majeurs, qui ont leur rôle dans la construction de la juridiction d’equity. Tout d’abord, il faut tenter d’analyser le discours historique. Nous le prendrons comme point de départ pour confronter le contenu des manuels traditionnels à une approche moins formaliste et dogmatique. Ce faisant, nous espérons que la nature dialectique des conflits qui apparaît dans la doctrine sera mise en évidence.
40La juridiction d’equity a vu le jour en raison de la nature du développement procédural du droit anglais. Le régime de Common Law des actes juridiques (writs) s’est développé à tel point que seules certaines situations, correspondant à des catégories précises, pouvaient être résolues en droit [22]. Au XIIIe s., les écrits disponibles couvraient un champ étroit. Cependant, le Roi siégeant en son Conseil gardait un large pouvoir discrétionnaire pour rendre la justice parmi ses sujets, et le plaignant pouvait toujours faire des pétitions au Roi et à son conseil, et espérer recevoir une réponse. De telles pétitions étaient uniquement adressées au chancelier quand le cas n’était pas couvert par les mécanismes ordinaires. Ainsi, il apparut que s’il y avait des lacunes dans le système, on pouvait avoir recours au chancelier qui agirait au nom du Roi :
"The common law system was taking on the appearance of a substantive as well as a comprehensive system, and the application to chancery was ceasing to look like a request for the same justice, withheld below by some mechanical fault. There seemed to be two parallel systems and the relationship between them had to be explained in theory and worked out in practice." [23].
42Le chancelier a souvent été confronté au devoir de résoudre des "cas difficiles". Il était le plus souvent issu d’un milieu religieux. Il prenait une décision, mais sans avoir explicitement recours au précédent, et il le faisait en fonction de l’effet qu’une décision x ou y aurait sur son sens du bien et du mal, en fonction des mérites de la plainte particulière portée devant lui. Ici est mise à jour la première pomme de discorde : la systématisation de la Common Law se développait et pourtant les lacunes et les injustices persistaient. Le pouvoir discrétionnaire individuel subjectif devait former la base d’un système complémentaire à celui de la Common Law qui a jusqu’ici développé les aspects d’un système aussi bien compréhensif que matériel : "Certainty resided in the common law courts, justice in the chancellors equity" [24]. L’ordre évoluait en raison du développement d’une partie du système mais, tout de même, pour que le système fonctionne de façon plus efficace et plus juste, on a cru bon d’introduire un élément discrétionnaire, facteur considérable de désordre. L’une des plus fortes critiques de la juridiction d’equity fut celle de J. Selden :
"Equity is a roguish thing. For law we have a measure….{but} equity is according to the conscience of him that is chancellor, and as that is longer or narrower, so is equity.’Tis all one as if they should make the standard for the measure a Chancellors foot." [25]
44Il s’ensuivit que la conclusion d’une plaidoirie réussie du Chancelier était différente de celle qu’une Cour de Common Law aurait obtenue. A la grande satisfaction du Chancelier, on vit souvent des situations qui prirent la tournure suivante : si le Chancelier découvre que Blackacre appartient à A mais en conscience qu’il devrait appartenir à B, il a le pouvoir d’ordonner à A de transférer la terre à B, ou de tenir la propriété légale pour le bénéfice exclusif de B. Le Chancelier ne peut pas soutenir, dans de telles circonstances, que B est le propriétaire. En Common Law, le droit de A est incontestable, et le chancelier ne peut changer le droit. Ce que le Chancelier peut faire, c’est ordonner à A soit de transmettre le bien à B, ou de le réfréner par l’action d’interférer sur les droits de B, comme cela est possible. La juridiction du Chancelier s’exerce in personam, et s’adresse à la conscience de l’individu en question.
2.3 – Les origines du concept de trust - l’usage (The Use)
45Il apparaît, au travers de notre investigation de l’histoire, que les juridictions de Chancellerie étaient vagues et indéfinies, il en résulte qu’elle furent aussi larges et inconsistantes que les situations de fait qui arrivaient devant elles.
46La chose essentielle à retenir ici est que l’intervention était nécessaire sur la base de la conscience. Une constante se fit jour au sein de la juridiction de la chancellerie : l’"usage" de la terre. Par exemple, si on attribue de la terre à A avec l’engagement de A de garder la terre pour l’usage et le bénéfice de B, il est inconcevable pour A de la garder pour son bénéfice propre. B cependant n’a pas de revendication juridique ni de titre de possession. L’acte translatif de propriété de A lui donne tout ce que le statut juridique avait transféré, et en Common Law, A peut exercer tous les droits que la possession lui donne.
47Le chancelier interviendra pour protéger les bénéfices de B et, ce faisant, obligera A à maintenir la terre pour l’usage exclusif et le bénéfice de B. A est le propriétaire en droit, alors que B est le propriétaire en equity. Avec le temps, les chanceliers en sont venus à établir les circonstances dans lesquelles de tels "usages" seraient reconnus. Cependant, comme nous le verrons, l’incertitude persiste toujours aujourd’hui sur la question de savoir si le concept de trust peut être invoqué dans certaines circonstances prédéterminées. Ce qui dicte souvent le résultat est le point de vue personnel du juge et son sens de la créativité ludique.
2.4 – La "transformation" de l’equity dans le système moderne
48Jusque là, nous avons donné un bref aperçu des origines de l’equity. Cependant, nous n’avons pas vu ce que les ramifications de tels développements ont eu comme conséquences sur le fonctionnement du système dans son ensemble.
49Nous avons vu toutefois la genèse de la tension qui à la fois environne et pénètre dans le champ de l’equity, avec le désaccord de John Selden, et son sarcasme à propos du "chancellor’s foot". Nous savons qu’il y a une tension, mais cette tension a tendance à être dissimulée par la doctrine juridique anglaise. On évoque simplement le débat, mais ce qu’il révèle quant à la nature du droit n’est jamais analysé. Pour améliorer notre compréhension de la réalité juridique, il nous faut préparer notre grille de réflexion afin qu’elle se prête immédiatement à une analyse dialectique. Examinons tout d’abord un extrait d’un des manuels les plus importants de droit anglais, pour pouvoir mettre en lumière la manière évidente en soi, littérale et dogmatique, selon laquelle l’equity est traditionnellement présentée.
"From the beginning of the Chancellorship of Lord Nottingham in 1673 and to the end of that of Lord Eldon in 1827, equity was transformed from a jurisdiction based upon the personal interference of the chancellor into a system of established rules and principles. We have seen that the early Chancellors were ecclesiastics. Lawyers and others were sometimes appointed during the Tudor and Stuart periods. But the retirement of Lord Shaftesbury in 1672 was the last occasion on which a non-lawyer held the Great seal. This factor influenced the development of the system into one based on rules and precedents rather than on individual conscience… Lord Nottingham did much to weld together, consolidate and stiffen the whole system."
51Telle est la contribution d’un manuel d’histoire d’une période importante de l’equity. Ce qui est significatif, c’est la "transformation", la métamorphose qui a eu lieu au sein de la juridiction d’equity. Cependant, comme c’est souvent le cas, le sens véritable d’une telle transformation demeure inexpliqué, la transformation est dissimulée et attribuée à l’introduction de "l’esprit juridique", par le juriste (l’homme de loi), qui a commencé à surveiller la juridiction d’equity et, comme il est souligné, c’est le facteur qui "influença le développement du système dans le sens d’un système fondé sur les règles et les précédents plutôt que sur la conscience individuelle…". Il apparut que ce qui était supposé compléter le système de Common Law succombait également à la systématisation.
52Non seulement un "système" d’equity fut développé, mais le droit moderne des trusts fut également modelé pour correspondre totalement aux nouvelles conditions de la vie sociale. La société se développait et, selon ses besoins, des processus de plus en plus complexes se mettaient en place.
53Il apparut alors que la juridiction d’equity était sujette à de constantes métamorphoses, mais ce qui la différenciait des changements des autres systèmes, c’est qu’en raison de la large marge discrétionnaire qu’elle accorde aux joueurs, de nombreuses possibilités de jeux restaient permises. Ceci peut être observé grâce à l’étude de l’histoire, de l’évolution du concept. Dans la juridiction d’equity, les règles du jeu sont manifestement incertaines, peut-être parce qu’elles sont restées historiquement "inexpliquées" à la fois aux juges et aux étudiants, et que leur forme dépend souvent du pouvoir individuel discrétionnaire du juge.
54Nous voyons d’après l’extrait ci-dessus que l’equity a été dans une certaine mesure systématisée mais, comme nous allons le voir, l’equity devait subir d’autres changements, et même un affaiblissement de la systématisation, une amplification du désordre. Augmentation du niveau de certitude, hausse de l’incertitude, comme si différents jeux étaient joués par différents juges en des temps différents, alors que de l’interaction des deux pôles de la Common Law et de l’equity, de nouveaux hybrides vont naître. La nature aisément changeante de l’equity a également permis la transcription des mutations sociales à l’intérieur du système juridique. Comme nous le verrons, l’introduction dans la culture sociétale d’attitudes plus libérales dans les formes de la vie de famille eut pour conséquence de faire pression sur l’égalité des droits de propriété des concubins par le biais de l’institution de l’equity.
55L’étudiant est informé, par la doctrine historique traditionnelle, de la systématisation de l’equity, et il sait que cette forme de justice "pure", qui trouve ses origines dans la morale ecclésiastique, s’est peu à peu trouvée assujettie à certains principes et a mis en place la doctrine du précédent. Si tel est le cas, pourquoi avons-nous remarqué un débat constant, une tension et une incertitude autour de la juridiction d’equity !
56Il y a un manque de consistance dans la définition juridique du concept d’equity. Cela projette une ombre sur les travaux de la juridiction elle-même, mais cela génère également de la confusion dans la doctrine. La réalité juridique de l’interaction entre la Common Law et l’equity est balayée par une vague de dogmatisme suffisant. Les étudiants apprennent le développement apparemment systématique de l’equity, et ceci malgré leurs lectures de juristes d’aujourd’hui, impliqués dans le débat acharné sur la nature de la juridiction d’equity, tant dans le domaine judiciaire qu’académique.
57L’objet de cet essai est de montrer que la réalité est bien différente, que la juridiction d’equity est, contrairement à ce que dit l’extrait, toujours partiellement fondée sur la conscience individuelle du juge, de sorte qu’il est lié aux principes et aux précédents et qu’il subit une pression en ce qui concerne la certitude. En effet, de telles caractéristiques augmentent la nature hybride de la juridiction d’equity ; les transformations (par exemple celles dues à un certain style de jugement qui augmentent le besoin de certitude) sont réciproques. Un tel jugement peut être suivi de façon relativement raisonnable par un autre qui souligne le besoin d’une application équitable de principes équitables.
58La tension dans la doctrine se manifeste de façon similaire, les paradoxes et les contradictions étant là aussi le lieu commun. Pour les prendre en compte, il nous faut un nouveau paradigme.
2.5 – Visions III - L’equity comme métaphore
59Afin de mettre en lumière les points faibles du discours historique traditionnel, au travers duquel l’étudiant de l’equity commence à étudier la nature de la juridiction, nous devons démontrer de quelle manière un tel discours est prédisposé au dogmatisme, et doit utiliser une forte dose de littéralité pour se substantiver. Par littéralité nous entendons l’explication "qui va de soi" du développement de la juridiction d’equity. De plus, en retraçant la systématisation de l’equity, il est important de voir dans quelle mesure le discours utilise le "non-littéral" (métaphore, figures de style) pour parvenir à ses fins explicatives. Le paradoxe persiste dans cette explication de l’histoire de l’equity parce qu’il va apparaître que, pour tenir compte de la vraie nature de l’equity, nous devons prendre en considération son caractère métaphorique ; les approches traditionnelles prennent aussi constamment en compte l’usage de la métaphore mais elles laissent la réalité de son utilisation totalement inexpliquée.
60Le paradoxe persiste ; non seulement les historiens positivistes du droit ne reconnaissent pas la nature métaphorique de l’equity, mais le discours juridique traditionnel ne parvient pas, de manière générale, à tenir compte de la signification profonde de ce phénomène [27].
3 – Les métaphores dans l’histoire de l’equity - les deux "courants" (“The two streams”)
61Suite aux Judicature Acts de 1873 et de 1875, la Cour de la Chancellerie fut abolie et le système de la Chancellerie qui administrait la juridiction d’equity “fusionné” avec le système des cours de Common Law. Dès lors, les deux Cours ne furent plus rivales mais partenaires dans le travail de l’administration de la justice. Le temps était venu de la fusion de ces deux juridictions en une cour unique, la Cour de Justice Suprême. Au XIXe s., des progrès considérables furent faits dans cette voie. Les Judicature Acts de 1873 et 1875 abolirent l’ancienne Cour séparée de la Reine, les défenses communes, la Cour de la Chancellerie, le tribunal des successions, la Cour de divorce et le tribunal maritime. Ils créèrent la Cour de Justice Suprême, avec une Haute Cour de Justice, divisée en sous-parties connues sous le nom de la Division du Banc de la Reine, la Division de la Chancellerie, la Division des successions, du divorce et du ministère de la marine. A chaque division fut reconnue la possibilité de juger à la fois selon la Common Law ou bien selon l’Equity. La Cour ne fut dès lors "ni une cour de droit, ni une cour d’equity, mais une cour de juridiction complète” [28].
62De toute évidence, il peut y avoir des cas où une cour qui applique à la fois les règles de la Common Law et celles de l’equity est confrontée au problème selon lequel l’application des règles de Common Law produirait un résultat et l’equity un autre. Ceci était prévu par l’Act de 1873 selon lequel (s 25, ss11) :
"Generally, in all matters not hereinbefore particularly mentioned in which there is any conflict or variance between the rules of equity and the rules of common law with reference to the same matter, the rules of equity shall prevail."
64A ce propos, les manuels de droit anglais traditionnels parlent d’une "fusion" et ils utilisent souvent la célèbre proposition métaphorique d’Ashburner selon lequel "les deux courants de la juridiction, même s’ils vont dans le même sens, s’écoulent côte à côte, et ne mélangent par leurs eaux" [29]. La Modern Equity de Maudsley et Martin s’achève sur ces mots :
"What can be said is that a century of fused jurisdiction has seen the two systems working more closely together ; each changing and developing and improving from contact with the other ; and each willing to accept new ideas and developments, regardless of their origin" They are coming closer together. But they are not yet fused." [30]
66Cet extrait issu de l’un des manuels doctrinaux les plus utilisés s’avère servir les fins de notre recherche. La nature dialectique de la relation entre le droit et l’equity y est mise en évidence et cependant la réalité dialectique demeure ignorée. En conséquence, la prééminence de la métaphore n’est toujours pas prise en considération, elle semble être cataloguée comme une simple formule d’expression. Mais ce qui n’est pas soupçonné, c’est à quel point le besoin de métaphores est crucial pour comprendre la juridiction d’equity.
67Si nous examinons ces métaphores de plus près, il se peut qu’à l’aide de nouveaux paradigmes, nous puissions mieux prendre en compte la réalité juridique, et savoir ce qu’il signifie en vérité d’apprendre, comprendre et invoquer la juridiction d’equity. C’est à partir d’une telle perspective épistémologique que nous espérons pouvoir enrichir la théorie du droit anglais.
3.1 – Les points faibles de l’histoire "Positiviste" (Black letter) de l’equity
68Il existe, en ce qui concerne les métaphores, une tension créatrice dans le discours juridique anglais, une tension dialectique entre l’approche traditionnelle du formalisme juridique et sa négation par différentes sortes d’approches scientifiques critiques. Cet espace intellectuel peut être ouvert pour des interprétations novatrices du "matériau juridique" traditionnel, des interprétations qui anticipent la reformulation des deux traditions. Nous avons souligné que les manuels tendent à ignorer l’utilisation des métaphores. Ce caractère est généralement ignoré comme si ce n’était rien de plus qu’une tournure de phrase stylistique, un accident ornemental, ou une figure de style, et considéré comme tel ; le sens de la métaphore n’est pas développé comme un thème en tant que tel. L’idée est ici de fonder une critique du discours traditionnel historique sur l’equity, en se fondant sur la façon dont il néglige le caractère métaphorique. Eu égard à notre principal objectif, cette section nous servira à montrer à quel point la doctrine historique, en ne prenant pas suffisamment en compte la réalité de l’histoire de l’equity, obscurcit la nature du système juridique, en passant sous silence la complexité sous-jacente de l’histoire du droit anglais (et finalement de tous les systèmes juridiques). En fixant des règles du jeu aussi strictes (en rapport avec ce que signifie de savoir, comprendre, et appliquer la doctrine de l’equity), la tension et la confusion judiciaires et doctrinales ne peuvent qu’être manifestes. On a souvent pu observer que la connaissance du passé peut aider à la compréhension du présent. Cependant, quand le passé est traité avec un tel dogmatisme, la réalité de l’histoire est immédiatement remise en cause, puisque la nécessité de la métaphore, le besoin des maximes d’equity est implicitement expliqué comme étant simplement "incident". Cela entraîne forcément des tensions par la suite : celles-ci sont permanentes dans le champ de l’equity.
69Dans ce domaine, nous l’avons vu, il existe des métaphores directrices, les maximes équitables, qui constituent les éléments fondamentaux de la nature de l’equity. Le sens véritable du caractère métaphorique de telles maximes est toutefois négligé par le discours juridique anglais traditionnel. Les travaux qui portent sur la doctrine de l’equity ne rendent pas compte ni même ne conceptualisent la présence de ces métaphores directrices, celles qui constituent et sous-tendent le champ couvert par l’equity. Au sein de la tradition de Common Law, l’attitude à l’égard des métaphores est si fortement négative que la prétendue nécessité de faire prévaloir la normalité de la première sur le caractère déviant de la seconde peut, sans discussion, être simplement tenue pour vraie. La préférence judiciaire anglaise pour la littéralité semble donc prévaloir [31].
70Parmi les principaux manuels concernant l’equity, il subsiste une tendance idéologique au formalisme orthodoxe. Une telle tendance est également dominante dans l’approche anglaise des études juridiques. Elle conduit à une attitude négative à l’égard de la métaphore judiciaire. Ceci parce que la compréhension du sens du jeu et la contestation de l’imagerie métaphorique par la doctrine juridique ne peut s’accommoder d’une approche qui stipule que le droit consiste en un système cohérent de règles et de principes autonomes (par exemple celle de la blackletter approach, l’approche légaliste). L’espace du jeu doctrinal est si étriqué, la vision positiviste du droit est si étroite, que pour rendre la réalité signifiante, ils ne peuvent prendre en compte la fiction. Et en raison de cet échec, l’émergence de la fiction (la métaphore, l’image rhétorique des "mains propres", l’"allure infantile", etc.) est symptomatique de l’échec de l’approche traditionnelle pour prendre en compte la réalité de la juridiction d’equity.
71Par essence, le pouvoir évocateur des expressions métaphoriques résiste à toute tentative formaliste de se voir réduire à la forme abstraite d’une règle technique afin d’être de cette façon "épinglée" par la présentation-type des manuels. Le paradoxe de la doctrine juridique traditionnelle anglaise est qu’elle explique à la fois la nature et l’histoire de l’equity en passant en revue les images métaphoriques et que, dans le même temps, leur nature et les tentatives pour expliquer en quoi elles sont nécessaires sont négligées.
72En conséquence, l’utilisation des métaphores illustre l’échec des juges dans leur tâche, qui consiste simplement à dire la loi. Ceci apparaît lorsque les juges prennent en considération le développement de l’equity en vue d’exprimer la nature de cette juridiction. Ils ont recours à un vocabulaire inhabituel, non littéral, qui ne peut se trouver dans aucun dictionnaire juridique (là encore, les métaphores concernant "la grossesse", et celles qui considèrent que la juridiction d’equity est l’un des deux "courants", viennent à l’esprit). Les juristes positivistes diraient que de telles déviances s’expliquent par l’échec des juges à établir une relation proprement juridique entre les mots et les objets juridiques. Au lieu de proposer une clarification précise du sens et la définition de règles juridiques formelles, ou même une élaboration précise de l’histoire doctrinale de l’equity, le positivisme accuse la métaphore juridique de brouiller les pistes, de susciter des ambiguïtés. Cependant, le paradoxe est que leur existence semble essentielle dans toute la doctrine traditionnelle. Mais insinuer qu’il s’agit seulement d’une ambiguïté ignore l’essentiel. Ne devrait-il pas être l’objet de la doctrine de s’interroger sur un tel recours à la métaphore ?
73Si les juristes, en accumulant leurs connaissances sur l’equity, apprennent de la doctrine qui ne donne aucune explication sur les métaphores (puisque leurs explications sont caractérisées par la méthode littérale), ne serait-il pas possible que confusions et paradoxes soient les fruits de cette doctrine littérale et positiviste, où la réalité de la métaphore est passée sous silence ? Ceci met en lumière le besoin de réexaminer les constructions épistémologiques de l’equity et de la Common Law pour voir ce que cela signifie réellement de connaître l’equity et son interaction avec la Common Law et les principes du droit de la propriété.
74Ainsi, dans la doctrine, il apparaît que la littéralité et le positivisme sont de mise actuellement. Le développement de la juridiction est relaté d’une façon "qui va de soi". Le statut de la métaphore est implicitement celui d’une formule de style, où les combinaisons figuratives sont incorporées dans une stratégie littérale afin de produire du sens, pour conférer un sens à l’equity. Par exemple, en ce qui concerne le système juridique anglais dans son ensemble, l’equity est présentée comme un "courant", qui n’a pas mêlé ses eaux à celles de la Common Law, jusqu’à leur fusion en 1873. Mais la raison pour laquelle ce courant était considéré comme nécessaire n’est pas vraiment expliqué. Il existe seulement pour minorer la sévérité de la Common Law, pour transformer les œuvres d’un système qui aurait produit un résultat inconcevable en un résultat juste [32]. Telle est l’essence de l’origine de l’equity, son désordre était supposé compléter l’ordre auquel on était parvenu avec le système de Common Law. La tension persiste parce que l’"entre-deux" est presque entièrement fondé sur la mauvaise compréhension, le recours à la métaphore, la tension doctrinale, le pouvoir discrétionnaire individuel et les controverses judiciaires qui en résultent. Dans la doctrine, les deux courants étaient séparés, puis furent réunis par fusion, mais ont-ils réellement fusionné ? Et si, en effet, ils l’avaient fait, pourquoi y-a-t-il toujours une telle tension ? Le problème ici est qu’ils n’ont jamais vraiment fusionné et que cela ne sera jamais possible tant qu’il y aura entre les deux une activité dialectique. De toute évidence, d’après la doctrine juridique anglaise, la fusion a eu lieu en 1873. Ce que les textes insinuent est que celle-ci a brusquement créé un système d’"ordre". Une telle explication doctrinale laisse la doctrine sans les clefs nécessaires à la compréhension du désordre qui a résulté d’une telle fausse représentation. De cette manière, l’histoire de l’equity ressemble à un calendrier, où les saints seraient les métaphores occasionnelles. C’est seulement en formulant une critique épistémologique de cette juridiction que nous serons capables d’identifier les sources de la tension. Et en adoptant une approche dialectique, nous pourrons poursuivre notre effort en créant un réseau dans lequel toute cette tension, ces confusions et ces paradoxes peuvent être passés au crible.
75L’"ambiguïté" de la métaphore entraîne davantage de confusion doctrinale, à tel point que les futurs lecteurs des arrêts (les autres juges, les étudiants de Common Law, etc…), sont contraints à une procédure d’interprétation expresse, où ils doivent rendre effectivement le sens d’une expression sans avoir à leur disposition aucun critère formel logique pour choisir entre les différentes significations. En d’autres termes, le discours ne peut maîtriser les conséquences des utilisations des métaphores dont il dépend, et cela (ce que l’on peut voir par le biais de l’analyse de la jurisprudence) conduit à une incertitude caractérisée dans la juridiction d’equity.
76Il ressort qu’en essayant de voir comment l’analyse dialectique peut être appliquée à l’étude de la juridiction d’equity au sein du système juridique anglais, nous sommes effectivement confrontés à un processus dialectique quand nous parvenons à percer la véritable nature de cette juridiction. Le positivisme de l’approche "black letter" met en place le dispositif (c’est-à-dire que l’étude se penche sur les règles et les principes), mais on trouve que le recours à la rhétorique est considérable lorsqu’il s’agit de comprendre la doctrine. En d’autres termes, le pôle de l’approche "black letter" est inextricablement lié et dépendant de son "autre" (la rhétorique figurative) pour se présenter au lecteur.
77L’enseignement juridique orthodoxe semble refléter la vue traditionnelle selon laquelle les métaphores sont de simples formules rhétoriques, et le paradoxe persiste là où les mots ou les phrases littéraux sont substitués aux figurés. On conçoit que la substitution du sens littéral au sens métaphorique se produise sur la base d’une ressemblance ou d’une comparaison qui pourrait être mieux rendue par une expression littérale. Cette tension entre le sens littéral et métaphorique produit donc une tension constante dans l’étude de l’equity. Cela nous fournit également des cas paradoxaux, la tendance du discours juridique orthodoxe étant d’"emprunter" à la rhétorique pour décrire l’equity, là où il serait plus cohérent, par rapport à l’approche d’ensemble, d’utiliser la méthode littérale. Le modèle dominant de la doctrine juridique, avec ses traits positivistes et son style littéral explicatif, est obligé de reposer sur son "autre", son opposé, le métaphorique, le figuratif, le non-littéral, afin d’être compréhensible. D’après les comptes rendus historiques sur l’equity, on découvre une grande répugnance dans la doctrine à reconnaître la "fiction" pourtant nécessaire pour décrire la "réalité".
4 – Le concept de constructive trust - Tension dans la doctrine
78Nous devons maintenant prendre en considération le rôle que la doctrine a joué dans la création de cette tension. Certains auteurs ont observé que la doctrine joue un rôle dans la systématisation du droit [33], mais nous devons ici interroger l’assomption selon laquelle la doctrine joue un rôle inestimable car, à première vue, elle n’explique pas seulement les catégories impliquées dans ce domaine, mais également l’activité judiciaire dans la jurisprudence. Ce que nous avançons ici est qu’une approche dialectique de la doctrine peut révéler des tensions qui sont réfléchies dans la jurisprudence. Nous avons déjà vu à quel point la doctrine historique déforme la réalité quand elle utilise la métaphore des "deux courants" afin d’esquisser le portrait de l’histoire de l’equity, comme si celle-ci était soudain devenue le complément systématiquement ordonné de la Common Law.
"The most important single factor that will determine when and on what grounds a constructive trust will be imposed is the role which the courts consider that the constructive trust occupies in the legal system as a whole. Their perception of this role must inevitably take into account the various possible consequences of the imposition of a constructive trust…" [34]
80Les problèmes naissent quand le droit anglais traite de la notion de constructive trust. Ce concept est fondamentalement le même que celui du trust, c’est-à-dire qu’il y a des trustees et des bénéficiaires impliqués. Mais la ressemblance cesse quand on en vient à examiner les situations où un constructive trust peut voir le jour.
"A constructive trust is one which arises by operation of law. It can arise in a number of circumstances. There is little agreement among writers as to the proper categories. There is much inconsistency in the terminology, and there are many situations involving overlap between the categories into which trusts are usually classified. Many of the issues which arise in this area appear also in other contexts…it is often assumed that a constructive trust, like any trust, is a situation in which specific property is vested in a trustee on trust for ascertained beneficiaries. This is not always so ; there are many differences between constructive trusts and others. A constructive trustee may not know that he is a trustee. Where the trust arises because a fiduciary has received a benefit in breach of a fiduciary obligation, it may be difficult to say what the trust property is." [35]
82Il y a de tout évidence confusion dans la doctrine juridique. Cela se vérifie quand on regarde la Modern Equity de Hanbury et Martin : "Ses limites (celle du constructive trust) ont peut-être été laissées délibérément vagues afin de ne pas restreindre la Cour par la technicité en décidant par avance ce que la justice d’un cas peut demander" [36]. Même dans ce texte, on lit que "le constructive trust est habituellement regardé comme un catégorie résiduelle, une de celles qui est appelée à entrer en scène quand la Cour désire imposer un trust et qu’aucune autre catégorie qui conviendrait n’est disponible" [37]. Il semble y avoir peu de certitude, peut-être est-ce la tendance générale du droit anglais de s’intéresser aux questions posées par des situations empiriques. La doctrine qui est censée donner un semblant d’ordre dans le droit est truffée d’un désordre considérable.
83Une large extension de l’opération du constructive trust a été introduite par Lord Denning, par un trust qu’il a qualifié de “nouvelle facture” [38]. L’essence de sa formulation est ainsi exposée par la doctrine : "Le principe au sens large est que l’on peut imposer le constructive trust sans prendre en compte des règles juridiques établies, afin d’atteindre le résultat nécessité par l’equity, la justice et la bonne conscience." [39].
84Le principe tel qu’il apparaît dans le jugement était articulé ainsi dans Hussey v Palmer : "C’est un trust imposé par la loi chaque fois que la justice et la bonne conscience le demandent. C’est une procédure libérale, fondée sur de larges principes d’equity… C’est une solution équitable par laquelle la Cour peut autoriser une partie lésée à obtenir la restitution" [40]. ("It is a trust imposed by law wherever justice and good conscience require it. It is a liberal process, founded on large principles of equity….It is an equitable remedy by which the court can enable an aggrieved party to obtain restitution.")
85Selon R. H. Maudsley : "il est possible de lire à travers les décisions récentes une règle qui, dans les cas où le plaignant doit gagner, mais n’a pas de doctrine juridique ni d’autorité pour le supporter, un constructive trust en sa faveur fera l’affaire" [41]. ("It is possible to read into recent decisions a rule that in cases in which the plaintiff ought to win, but has no legal doctrine or authority to support him, a constructive trust in his favour will do the trick")
86Tandis qu’à l’origine ils faisaient un accueil chaleureux à une application plus juste des remèdes équitables, de nombreux auteurs doctrinaux sont également prudents quant aux conséquences : "le concept de justice seul est trop vague pour être utilisé comme base pour déterminer les droits de la propriété, et inévitablement l’imposition du constructive trust sur cette base est impossible à prévoir" [42]. Une critique doctrinale ardente de ces juges et auteurs doctrinaux qui penchent plus vers la réussite du résultat concevable et équitable est celle de A.J. Oakley. Cependant, il fonde sa critique de l’état présent du droit sur la base d’une distinction que l’on peut interroger entre ce qui est "inconcevable" et ce qui est "inéquitable".
"..in the years immediately before and after 1970, a number of decisions emanating from the Court of Appeal imposed constructive trust of this type not only as a result of fraudulent or unconscionable conduct, but also as a result of conduct which the individual judges were prepared to class merely as inequitable" [43]
88Sur quelle base Oakley fonde-t-il sa distinction entre ce qui est inconcevable et ce qui est inéquitable ? N’est-ce pas la même chose ? Et s’il s’agit de deux concepts distincts, la distinction a-t-elle formellement été faite par la Chambre des Lords et par la Cour d’appel ? Autant que nous le sachions, cela n’a jamais été fait ni même évoqué. Cet extrait de la doctrine incarne la confusion concernant les termes qui sont utilisés pour décrire la juridiction d’equity. Des mots tels qu’"inconcevable" et "inéquitable" définissent la nature de cette juridiction et cependant sont basés sur des interprétations fondamentalement subjectives, dont il est extrêmement difficile de parler objectivement. Le paradoxe émerge parce que les deux notions sont toutes les deux subjectives, mais Oakley implique ici que l’une (unconscionability) est plus objective que l’autre (inequitability) et est en conséquence mieux appropriée comme "mesure" pour le système juridique. Ce qui apparaît ici est que les notions d’objectivité et de subjectivité en droit sont complètement brouillées par la doctrine. C’est cette confusion qui a déterminé la juridiction d’equity depuis que le Roi, il y a des siècles, a autorisé le Lord Chancelier à prendre des décisions en sa propre conscience individuelle et sans tenir compte des précédents. Depuis le début, malgré toutes les tentatives pour en finir avec la juridiction et pour la "systématiser" (par l’introduction des mesures de certitude, par exemple la doctrine du précédent, etc), elle a évité toutes ces tentatives de systématisation, et ce malgré les réclamations de la doctrine historique [44]. Une telle confusion et cette tension sont de toute évidence à l’origine de la doctrine actuelle.
89Une tension doctrinale supplémentaire est évidente dans l’œuvre de A.J. Oakley sur les constructive trusts, où il avance le point de vue suivant :
"As a matter of principle, such alterations of existing property rights should not be able to ensue merely from the desire of a court to do justice in the instant case. It has never been the practice of English courts to alter existing property rights merely in order to do justice inter parties. The House of Lords has repeatedly stated that rights of property are not to be determined according to what is reasonable and fair and just in all the circumstances" (nous soulignons) [45].
91Oakley se positionne fermement du côté de ces juristes qui croient que le type de justice proposée par la juridiction d’equity devrait être celle de la "justice selon le droit", car :
"This principle is crucial for the maintenance of that certainty which should be the hallmark of every system of laws. The imposition of a constructive trust in order to bring a dispute to a conclusion which appears to be just and equitable is inevitable contrary to such a principle. The consequences of the imposition of a constructive trust thus constitute powerful arguments against the use of the constructive trust as a means of doing justice inter parties." (nous soulignons) [46].
93En effet, comme nous le verrons, la divergence des vues que les auteurs doctrinaux eux-mêmes représentent est reflétée par celle de l’organisation judiciaire anglaise. C’est là le nœud de cet article : montrer que la tension judiciaire comme la tension doctrinale sont symptomatiques de la "métamorphose" dialectique de l’equity ; là où, en raison de sa nature, la juridiction d’equity est constamment dans un processus en spirale entre les pôles de certitude et d’incertitude, de la réalité et de la fiction, processus qui répond à la complexité du système juridique anglais. Comme le suggère Denning dans son jugement dans Eves v Eves [47], l’equity présentait un aspect plus rigide et plus formel avant les années 70 ; cependant, à cause de son interprétation du jugement de Lord Diplock dans Gissing v Gissing, l’equity devait permettre un plus juste résultat, et on voyait les juges adopter un plan de jeu plus libéral. Cependant, il y eut un considérable mouvement de retour à la position "traditionnelle", lorsque des auteurs doctrinaux tels qu’Oakley plaidèrent à la Chambre des Lords pour rejeter les propositions "larges" de Lord Denning, pointant la menace que de telles tentatives de rendre la justice représenteraient pour le système juridique dans son ensemble.
94Telles sont les vues d’Oakley à propos du raisonnement de Lord Denning dans l’affaire Cooke v Head [48].
"Lord Denning [in Cooke v Head] said that whenever two parties, by their joint efforts acquire property to be used for their joint benefit, the courts may impose or impute a constructive or resulting trust. Applying this principle, he held that the plaintiff was entitled to a one third interest in the proceeds. Once again, it is hard to support the imposition of a constructive trust….this renders the operation of the law uncertain and unpredictable." [49]
96Il nous reste à voir comment certains auteurs doctrinaux (ceux qui en sont venus à l’idée du besoin de la certitude dans le droit, et le mouvement de retour à la position plus traditionnelle sur l’equity) démontrent l’évidence d’une production hybride de leurs conclusions. Il nous faut effectivement examiner la conclusion afin de voir si, dans l’analyse doctrinale de la jurisprudence dans ce champ du droit anglais, on ne peut voir émerger quelques propriétés hybrides qui auraient résulté de la discussion portant sur les pôles de certitude et d’incertitude. Un extrait d’Oakley fournit matière à réflexion :
"Although the categories of situations in which English courts will impose constructive trusts should not be regarded as closed, these categories should be extended only where the courts are prepared to lay down some new principle which will apply generally. Any such principle must be capable of being applied with sufficient certainty to enable litigants to be safely advised as to the probable outcome of legal proceedings. Further, no such principle should be established without the fullest consideration of the effects thus produced on the general law and upon the interests of third parties nor should any such principle ever be established by deciding an individual case on grounds applicable only to that particular case." (nous soulignons) [50]
98Cet extrait est riche en substance pour notre analyse. L’émergence d’un processus dialectique dans la doctrine est évidente ici. Nous avons là un auteur doctrinal qui a adhéré à une forte conception de l’approche de la "justice selon le droit", mais qui cependant établit clairement que l’equity doit être autorisée à se reproduire, sa "matrice" ne doit pas être refermée. L’approche dans laquelle il s’engage alors sert de prétexte à une mesure nouvelle et universelle de “généralité”, qu’il pense être la voie du progrès. Là encore, dans cette discussion, son souci de mesures productrices de certitude est évident. Mais celles-ci sont sur le point d’être "transformées" car elles viennent après une allégation de non-fermeture de la capacité créatrice de l’equity, si bien que ces allégations pour une certitude renouvelée dans le système sont transformées en simples composantes de ce nouvel hybride de "généralité".
99Une telle généralité, semble-t-il, peut contrer l’éventualité menaçante selon laquelle un juge s’impliquerait de trop près dans une affaire pour obtenir la justice au cas par cas. Ce que l’on semble croire ici est que les principes qui sont généralement fondés, et qui peuvent fournir des mesures de certitude, peuvent annuler la menace d’un système où le juge cherche à résoudre les problèmes immédiats en négligeant de considérer son rôle de "systématicien" du droit.
100Nous avons vu la tension au sein de la doctrine, quelle est alors la situation à laquelle doit faire face le juge de Common Law quand il est confronté à une situation impliquant la possible invocation du constructive trust ?
5 – La jurisprudence du constructive trust - Tension dans les jugements
101Nous avons déjà vu la confusion doctrinale, nous allons maintenant voir l’évidence de la confusion et de la tension judiciaire. Nous verrons comment des juges différents ont des perceptions différentes de la façon de jouer le jeu juridique dans ce domaine. Les notions diffèrent non seulement en raison du sens du jeu adopté ; mais aussi, les différences voient le jour en ce qui concerne l’espace de jeu légitime disponible. Il faut noter que le paradigme du jeu nous permet de contenir une telle critique de la jurisprudence concernée. Il est entendu qu’appliquer le paradigme du jeu à l’analyse des cas ne va pas seulement rehausser la rigueur conceptuelle de l’analyse, mais cela va nous permettre, en fournissant une trame, de visualiser la tension dialectique qui prévaut dans ce domaine du droit anglais, étant donné que les caractéristiques du jeu, l’utilisation de l’espace disponible, etc., peuvent refléter les activités entreprises par les différents juges anglais quand ils se prononcent sur les situations de fait. Le paradigme va aussi nous permettre d’appréhender la réalité juridique, notamment la manière dont le juge entreprend d’introduire un principe équitable dans le jugement. Le type de constructive trust sur lequel nous devons nous concentrer ici est celui qui est lié à la propriété commune des concubins.
102Ici nous devons jeter un œil sur les cas-clefs mettant en jeu la propriété matrimoniale qui ont été jugés par les cours anglaises.
103Le premier cas est Gissing v Gissing qui a été jugé en 1970 [51]. Les faits étaient les suivants : un mari et une femme occupaient tous les deux la maison matrimoniale, la relation s’est rompue, le mari était le seul possesseur de la propriété matrimoniale, en droit. Les faits ont montré que la femme avait payé les meubles et contribué aux dépenses du ménage. Le problème de la Chambre des Lords était de savoir si la femme, qui n’était pas propriétaire en droit, et qui n’avait pas conclu d’accord exprès avec son mari au moment de l’achat, avait droit à un intéressement aux bénéfices de la maison. Dans de telles situations, l’objectif des juges est d’établir s’il peut y avoir inférence d’une intention commune de partager la propriété, en recherchant dans les actes des deux parties, afin d’établir s’il pouvait y avoir une intention commune implicite de partager la propriété. La Chambre des Lords soutenait que, d’après les faits, il n’était pas possible de déduire qu’il y avait une intention commune selon laquelle la femme devait tirer quelque bénéfice de la maison matrimoniale. Ce que l’on peut souligner ici est que dans les jugements qui traitent de la rupture d’un mariage et de la recherche conséquente pour savoir si un époux peut arguer d’un intérêt équitable, il apparaît qu’il se trouve peu de garantie concernant les mesures qui peuvent être adoptées afin d’établir l’existence de la sacro-sainte commune intention de partager la propriété. En l’absence d’un commun accord, Lord Diplock établit que la démarche du juge doit être la suivante :
"….parties to a transaction in connection with the acquisition of land may well have formed a common intention that the beneficial interest in the land shall be vested in them jointly without having used express words to communicate this intention to one another ; or their recollections of the words used may be imperfect or conflicting by the time any dispute arises. In such a case - a common one where the parties are spouses whose marriage has broken down - it may be possible to infer their intention from their conduct." [52]
105Ainsi, il y a une nécessité évidente pour le plaignant d’établir la commune intention. De manière significative, dans l’affaire Gissing, la femme a échoué dans sa requête à prouver qu’il y avait une telle intention commune, puisque les juges ont relevé que de ses contributions à la marche de la maison, on ne pouvait déduire une telle intention. Cependant, l’intérêt de ce cas pour notre étude se trouve dans ce que dit Lord Diplock en 790 :
"A resulting implied and constructive trust - and it is unnecessary for present purposes to distinguish between these three classes of trust - is created by a transaction between the trustee and the cestui que trust in connection with the acquisition by the trustee of a legal estate in land, whenever the trustee has so conducted himself that it would be inequitable to allow him to deny to the cestui que trust a beneficial interest in the land acquired. And he will be held so to have conducted himself if by his words or conduct he has induced the cestui que trust to act to his own detriment in the reasonable belief that by so acting he was acquiring a beneficial interest in the land."
107On peut trouver, dans ce passage, une répugnance considérable à tenter de classer ces trois différents types de trust (peut-être en raison de la confusion qui prévaut dans le champ de l’equity) mais ce passage est également important parce qu’il a été utilisé par Lord Denning afin de créer un constructive trust dans l’affaire suivante de 1975, Eves v Eves. Comme nous avons vu, Lord Denning interprète ce passage du discours de Lord Diplock d’une façon assez libérale, conduisant à un plus grand criticisme doctrinal de l’interprétation et, dans les affaires qui ont suivi, à des accusations implicites selon lesquelles Lord Denning aurait mal interprété cet extrait, négligeant le contexte dans lequel cette proposition avait été formulée [53].
5.1 – L’affaire Eves v Eves
108Janet avait déjà souffert de la rupture d’un mariage. Après cela, elle a rencontré un autre homme, un certain M. Eves, qui était un homme marié. La loi leur interdisait de se marier. Ils commencèrent à vivre ensemble, elle prit son nom et eut deux enfants de lui. La relation se brisa après quatre ans et demi. Dans les faits, ils vivaient comme mari et femme, la femme avait même pris son nom, même si, en droit, ils étaient concubins. Le problème survint parce que la relation a cessé avant qu’ils ne soient légalement mariés. Et l’homme a "roulé" Janet en lui faisant croire qu’en raison de son jeune âge, elle ne pouvait être enregistrée dans le titre du contrat comme propriétaire conjoint en droit. Objectivement, ils ne sont pas mariés légalement, mais subjectivement, ils apparaissent comme vivant maritalement. Des traces de cette dialectique entre la position stricte, objectiviste, des principes du droit de propriété et la position subjectiviste de l’equity peuvent être trouvées dans le jugement de Lord Denning, en 769 :
"In strict law she has no claim on him whatever. She is not his wife. He is not bound to provide a roof over her head. He can turn her into the street. She is not entitled to any maintenance from him for herself. All she can do is go the magistrates and ask for an affiliation order against him on the footing that she is a single woman : and get an order for him to pay maintenance for the children. If he does not pay, she may have great difficulty in getting any money out of him, even for the children. Such is the strict law. And a few years ago, even equity would not have helped her. But things have altered now. Equity is not passed the age of childbearing. One of her latest progeny is a constructive trust of new model. Lord Diplock brought it into the world and we have nourished it." (nous soulignons) [54]
110Ceci est l’extrait le plus révélateur d’un jugement de Common Law. L’extrait se termine par le recours à la métaphore afin d’imposer le constructive trust en faisant allusion à la fertilité de l’equity ("l’equity n’a pas passé l’âge de la maternité"). Mais afin d’apprécier de quelle manière Lord Denning parvient à ce point, il faut remarquer qu’il prend le plus grand soin de souligner ce qui arriverait si les règles strictes de la Common Law devaient être appliquées. Si l’on examine la procédure dans une perspective dialectique, nous pouvons voir l’interaction qui prend place ici entre les deux pôles. On peut voir comment ces deux pôles se complètent mutuellement dans le processus de raisonnement. De cette façon, ils sont partiellement liés, car les deux sont nécessaires pour parvenir à la conclusion.
111Tout d’abord, à l’intérieur de la trame, le pôle des règles de la propriété de la Common Law - comme si cela devait être une condition préalable de l’invocation de la juridiction d’equity. Immédiatement, un nouveau sens du jeu est engagé, qui inclut le recours à la métaphore. Dès lors, l’objet (la situation de la femme non-mariée) est transformé par l’interaction avec "l’autre", le pôle de l’equity. La juridiction d’equity est éclairée par le constraste. Comme nous l’avons vu, c’est cette partie du système juridique anglais (l’equity) qui agit comme un mécanisme discrétionnaire à l’encontre des monolithes de la Common Law. Ceci fournit un excellent exemple de la façon dont le contraste dialectique autorise le juge à développer son raisonnement et à aller vers un résultat plus juste. Le mouvement d’un pôle dialectique à l’autre facilite une forme de progrès à l’intérieur du système juridique. Mais il nous faut mettre en valeur à quel point ces deux pôles sont fortement liés. La métaphore récolte son pouvoir parce qu’elle est introduite après que les conséquences de l’adoption d’un des pôles soient discutées. C’est comme si la juridiction d’equity avait besoin de cette procédure contradictoire pour se mettre en œuvre, afin de légitimer son introduction.
112Ce qui crée la tension ici est que, suite à ce jugement de Denning, les juges concernés n’ont pas partagé le même sens du jeu. La décision Eves v Eves a effectivement créé beaucoup de tension dans le droit anglais, tension qui existe encore aujourd’hui. Des vues aussi contrastées de la notion d’"espace de jeu" ne mènent pas seulement à des résultats différents, elles reflètent aussi la tension continue et la controverse qui a existé en droit anglais depuis le début de la juridiction d’equity.
113Si l’on va plus loin dans l’examen du jugement, on peut mieux voir comment les faits (les éléments subjectifs) sont discutés à la fin par Denning. La question qui se pose ici est de confronter ce jugement au criticisme d’Oakley. Comme nous avons vu, ce dernier a stigmatisé le caractère indésirable de ces Cours qui fondent leurs conclusions sur la base d’un comportement qui semble être simplement inéquitable plutôt qu’inconcevable [55]. Si l’on examine de plus près ce jugement, qui peut dire si la conduite que Lord Denning condamne rétablit l’équilibre en faveur de ce qui est "inéquitable" ou de ce qui est "inconcevable" ?
"The principle [of the constructive trust] does apply in the present case. Although Janet did not make any financial contribution, it seems to me that this property was acquired and maintained by both their joint efforts with the intention that it should be used for their joint benefit until they were married and thereafter as long as the marriage continued. At any rate, Stuart Eves cannot be heard to say to the contrary. He told her that it was to be their home for them and their children. He gained her confidence by telling her that he intended to put it in their joint name (just as married couples often do) but that it was not possible until she was 21. The judge described this as a’trick’ and said that it’did not do him much credit as a man of honour’. The man never intended to put it in joint names but always determined to have it in his own name. It seems to me that he should be judged by what he told her - by what he led her to believe - and not by his own intent which he kept to himself." [56]
115Les faits concernant le comportement de M. Eves sont exposés ainsi. Mais si l’on appliquait les principes du droit commun de la propriété, M. Eves échapperait à toute condamnation substantielle. Ici, nous devrions nous souvenir de la maxime équitable selon laquelle : "L’equity considère que ce qui aurait dû être fait l’a été effectivement". Un partage s’effectue ici entre le "est" de la Common Law complété par le "aurait dû" de la juridiction d’equity. Mais plus qu’une dichotomie, il s’agit d’un processus dialectique. Comme nous l’avons vu, la doctrine historique traditionnelle établit que l’equity a été "systématisée" et n’a plus été assujettie à la conscience individuelle du juge anglais.
116Il doit être possible maintenant d’entrevoir la fausse représentation entretenue par la doctrine traditionnelle. Comme nous l’avons établi précédemment, la réalité est que la juridiction d’equity résulte d’une combinaison de ses propres systèmes et de la conscience individuelle du juge. En effet, la caractéristique de la juridiction d’equity est incarnée par la maxime précitée, parce que le "est" et le "aurait dû" seront toujours en conflit. Mais, au milieu de ce conflit, il y a aussi une coopération car les deux pôles jouent leur rôle dans l’acheminement vers la conclusion. Ceci est particulièrement évident dans ce jugement de Lord Denning.
117Dans l’esprit de ce dernier, au vu des faits, il serait inconcevable de permettre à M. Eves un tel comportement. Ce qui se lit peut-être implicitement dans le jugement, c’est l’échec de la Common Law de traiter de façon juste les faits tels qu’il sont donnés.
"She trusted him. She did not make any financial contribution, but she contributed in many other ways. She did much work in the house and garden. She looked after him and cared for the children. It is clear that if she had been a wife she would have had a good claim to have a share in it on divorce…" [57]
119Du point de vue d’un non-initié, il apparaîtra que Lord Denning a atteint ici une conclusion "équitable", en parfait contraste avec celle à laquelle on était parvenu dans Gissing v Gissing. Dans cette affaire, l’épouse n’avait pas réussi à avoir gain de cause dans sa revendication d’un partage équitable de la propriété matrimoniale, parce qu’à l’évidence, les juges ne pouvaient pas démontrer l’existence de la très importante "intention commune". C’était toutefois une décision à laquelle les juges sont arrivés à regret, comme Lord Diplock le souligne en 794-I : "Comme eux {les autres juges}, j’arrive moi aussi à cette conclusion avec un regret considérable". Cette disparité dans les conclusions atteintes peut être attribuée au sens du jeu que les juges ont adopté, celui de Denning étant de loin le plus "équitable".
120Toutefois, les décisions qui ont suivi Eves v Eves sont caractérisées par un éloignement des propositions "larges" [58] telles que celles de Lord Denning. Le jugement de ce dernier est un exemple classique d’un juge qui joue le jeu de la "justice selon l’equity", plutôt que la "justice selon le droit". Inutile de le dire, ce jugement de la Cour d’appel a provoqué une profonde tension doctrinale et judiciaire. Oakley est clairement en désaccord avec le point de vue de Lord Denning :
"As a matter of principle, such alterations of existing property rights should not be able to ensue merely from the desire of a court to do justice in the instant case. It has never been the practice of English courts to alter existing property rights in order to do justice inter parties. The House of Lords has repeatedly stated that rights of property are not to be determined according to what is reasonable and fair or just in all the circumstances." [59]
122Oakley continue également à justifier ce point de vue en clamant que cette attitude avait été observée dans l’affaire Gissing v Gissing, dans laquelle il avait le sentiment qu’on était arrivé à une conclusion à partir d’un raisonnement plus solide, mais que, significativement, la plaignante n’avait pas obtenu d’intérêt bénéficiaire. L’essence de cette approche de la "justice selon le droit" adoptée par quelques juges est mise en évidence dans l’extrait suivant, écrit par Bagnell J dans l’affaire Cowcher v Cowcher [60] :
"In any individual case the application of [established principles of property law] may produce a result which appears unfair. So be it : in my view that is not an injustice. I am concerned that in determining property rights, particularly property rights, the only justice that can be attained by mortals, who are fallible and not omniscient, is justice according to law ; the justice that flows from the application of sure and settled principles to proved or admitted facts. So in the field of property law the length of the chancellors foot has been measured or is capable of measurement. This does not mean that equity is passed the age of child bearing ; simply that its progeny must be legitimate by precedent out of principle. It is as well that this should be so ; otherwise no lawyer could safely advise on his clients title and every quarrel would lead to a law suit." [61]
124L’auteur doctrinal Oakley apporte son soutien à cette approche dans un extrait cité plus tôt dans cet article. La tension dialectique est manifeste ici, l’un des pôles est constitué par l’approche de Lord Denning et la poursuite de la justice dans tous les cas où on l’attribue à l’obtention d’un résultat équitable une plus grande valeur qu’au maintien de la certitude. L’autre contient les vues du groupe de la "justice selon la loi". Ce qui en ressort est un processus dialectique entre les deux pôles de certitude et d’incertitude. L’importante tension doctrinale et judiciaire, née de l’"entre-deux" de ce processus, sert d’arrière-plan à la bataille que se livrent les métaphores. La fécondité de l’equity est considérée comme légitime par quelques-uns mais, pour d’autres, elle donne naissance à des "mutants". Ceci ressemble à une "anti-métaphore", qui brandit le drapeau de la certitude contre les dangers que représente le champ juridictionnel de l’equity, "trop fertile" et qui se "surreproduit".
125La métaphore initiale proposée par Lord Denning au sujet de la fertilité de l’equity, qui induit une association d’idées positives en rapport à la naissance d’un enfant, est renversée en une métaphore où le "produit" de l’equity est vu comme quelque chose qui "manque de forme et d’allure", progéniture informe, elle engendre des "mutants". Dans la Modern Equity de Hanbury & Maudsley, le point de vue suivant est développé :
"…it has been said that the legitimacy of the "new model" [constructive trust] is at least suspect, at best it is a mutant from which further breeding should be discouraged." [62]
127Dans l’affaire Grant v Edwards [63], nous observons un retour à une approche plus traditionnelle, davantage fondée sur les principes de la certitude. L’éloignement par rapport à l’approche libérale de Lord Denning est flagrante.
128L’arrêt consiste en une situation similaire à celle d’Eves v Eves. Ici la propriété du couple concubin était seulement au nom de l’homme et de son frère, et non au nom joint des concubins.
129Le défendeur avait dit à la plaignante que son nom ne figurait pas dans le titre de propriété parce que cela entraînerait des problèmes dans la procédure pendante de son divorce. A partir d’août 1972, la plaignante fit ce qu’il est convenu d’appeler des contributions substantielles indirectes à l’emprunt concernant le paiement de la maison, en mettant ses ressources dans les dépenses communes de l’entretien de la maison, dans les courses et l’éducation des enfants. Le couple se sépara quelques huit années plus tard. La plaignante réclama une part de la propriété sur le fondement de la règle inter alia, qu’elle avait contribué de manière très substantielle au remboursement des deux emprunts par le biais de sa contribution aux dépenses du ménage, pour l’entretien de la maison, en nourissant et en élevant les enfants. La Cour d’appel a soutenu que, quand un couple non marié vivait dans une maison qui avait été enregistrée ou tenue pour être sous le nom d’une seule des parties, l’autre partie pouvait établir un intérêt bénéficiaire dans la propriété en montrant qu’il serait inéquitable pour le possesseur légal de réclamer pour lui seul le bénéfice de la propriété. Là encore, il fallait que soit établie l’existence d’une "commune intention". D’après les faits, les actions de la demanderesse suffisaient à démontrer la nécessaire intention commune et empêchait le défendeur de nier que la plaignante avait agi à son détriment en s’appuyant sur cette commune intention en apportant des contributions sans lesquelles l’emprunt pour le paiement de la maison n’aurait pu être fait.
130Ainsi, dans l’affaire Grant v Edwards, on est très proche de la solution d’Eves v Eves mais le même résultat a été obtenu par des chemins différents. Nourse LJ discute la décision prise dans Eves v Eves et offre le verdict suivant quant aux jugements proposés par Lord Denning :
"On an appeal to this court [the court of appeal, in Eves] the decision was unanimously reversed by Lord Denning MR on a ground which I respectfully think was at variance with the principles stated in Gissing…" [64]
132La conséquence ici est que Lord Denning a mal interprété le précédent tel qu’il était exposé par Lord Diplock dans Gissing v Gissing. Lord Denning a intentionnellement repris cet extrait du discours, qui implique qu’un constructive, resulting ou implied trust, peut être créé en raison du comportement inéquitable du défendeur. D’autres juges semblent porter attention aux dernières parties du jugement de Lord Diplock, comme le font les autres juges dans Eves v Eves, où leur priorité était de rechercher l’intention commune afin de trouver la base du recours aux principes équitables. On constate ici l’existence d’une "hiérarchie enchevêtrée", où l’on voit les juges avoir différentes perceptions quant à la manière d’appliquer l’un des traits fondamentaux du système juridique anglais, la doctrine du précédent. Ceci est inévitablement influencé par le sens du jeu individuel des juges. Voyons comment Lord Denning s’achemine vers un résultat équitable dans l’affaire Eves v Eves. Tout d’abord, il prend un extrait important du discours de Lord Diplock dans Gissing [65] et l’interprète comme si Lord Diplock avait mis au monde la progéniture du nouveau modèle de constructive trust, qu’il appartient au pouvoir judiciaire de nourrir. Cependant, il apparaît d’après la doctrine et les jugements que d’autres juges ont atteint la même conclusion, mais en empruntant des chemins différents, ce qui a entraîné une tension considérable. Ils ont observé différents aspects du jugement "hiérarchique" de la Chambre des Lords de Lord Diplock, et les ont incorporés à leur raisonnement. Il apparaît que des juges différents ont des perceptions différentes de la forme de hiérarchie à suivre ; la tension et les éléments d’incertitude sont dès lors inévitables. A l’origine, l’equity devait être comprise comme un élément complémentaire du jeune système écrit de Common Law, formant ainsi la base d’une hiérarchie "cohérente". Toutefois, la véritable nature de la juridiction dans sa fonction complémentaire fournit un support institutionnel pour permettre à quelques juges d’adopter les sens du jeu qui ignorent ou déforment la "hiérarchie" et, de ce fait, différentes formes de "hiérarchie" peuvent être observées, telles des propriétés qui émergeraient de la procédure dialectique.
133A cela, on peut ajouter les exemples de différentes notions de la doctrine du précédent que nous venons juste de voir. Les tentatives pour décrire les notions de logique linéaire et binaire qui doivent traditionnellement s’appliquer à tout système juridique s’obscurcissent immédiatement en raison d’une activité récursive caractérisée, de hiérarchies enchevêtrées qui informent les décisions subséquentes et du pouvoir discrétionnaire individuel subjectif. C’est en se référant à la logique dialectique que nous pouvons comprendre la réalité du droit dans ce domaine du système anglais.
134Que révèle une telle tension au sujet du système juridique anglais pris comme tout ? Nous avons vu de quelle manière l’observation de la doctrine du précédent dans la jurisprudence par les juges anglais semble être basée sur une hiérarchie plutôt enchevêtrée, impliquant le raisonnement suivi dans la décision précédente.
6 – Assembler le puzzle - Un paradigme dialectique pour l’equity et le système juridique anglais ?
135En rassemblant les quelques thèmes développés dans cet article, nous espérons que le système de l’equity et la Common Law n’apparaîtront plus comme une collection d’éléments mais davantage comme un réseau de processus générant des propriétés que les composantes ne possèdent pas si elles sont prises séparément : des hybrides sont créés.
136Par exemple, en raison de la métamorphose constante de l’equity, qui voit la juridiction évoluer constamment selon ses composantes entre l’ordre et le désordre, nous pouvons voir comment ce réseau de mécanismes peut affecter la solution juridique. Ainsi la métamorphose de l’equity conduit à l’imposition d’un "modèle nouveau" de constructive trust : "…il y a quelques années, l’equity ne l’aurait pas aidée…", mais maintenant elle le peut puisqu’elle "n’a pas dépassé l’âge de la maternité" [66].
137Le droit anglais nécessite également l’interaction entre l’equity et les principes de la Common Law afin de réguler son système du droit de la propriété. Dans le droit anglais de la propriété, la possession prend deux formes : la forme légale et la forme équitable. C’est comme si la combinaison de ces deux juridictions devait réguler une myriade de situations qui voient le jour dans le droit anglais ; elles sont chargées de donner un semblant d’ordre à la possession dans le système.
138Nous espérons que cet article a pu mettre en lumière la tendance selon laquelle l’equity, au regard de sa contribution au système juridique anglais, avant et après les Judicature Acts de 1873 et de 1875, représente une démultiplication des points de référence qui doivent être légitimement acceptés par le droit anglais. Elle coïncide, dès son début, à une amplification du pouvoir discrétionnaire subjectif du juge, qui a été permis par ce recours à l’equity et à ses maximes. Les simples notions de syllogisme judiciaire, les déductions linéaires proposées par le discours positiviste traditionnel apparaissent soudain comme mal fondées quand on voit la manière dont des juges différents ont des perceptions différentes de la finalité de la juridiction d’equity. Il apparaît maintenant que nous avons besoin d’un paradigme pour être capables de prendre en compte les échanges récursifs et les boucles rétroactives qui se manifestent dans le système. Le désordre pouvait s’introduire de force, la question s’est alors posée de savoir si le point de vue selon lequel le droit est un système ouvert était justifié.
139Ce qui semble significatif, d’après le dogme de la doctrine historique, est que le véritable modèle de système, après investigation, semble beaucoup moins formaliste que l’idéal imaginé par les manuels traditionnels, qui parlent seulement de la "fusion" des "deux courants" du droit et de l’equity dans le système. L’émergence de l’equity, de nombreuses façons, démontre une certaine ouverture du système de Common Law, et ajoute encore au curieux enchevêtrement de l’ordre et du désordre. Que peut faire un juge de Common Law quand il est confronté à certaines situations de fait, sans avoir recours à des principes équitables ? Si nous nous souvenons de notre histoire ici, l’histoire du développement du champ de l’equity, la dernière citation nous sert d’exemple pour montrer qu’en examinant les constructions mentales de l’equity, on peut voir comment l’amplification du désordre, dès le commencement de l’equity, est devenue sujette à des dosages variés d’ordre tout au long de l’histoire. Toutefois, si l’on considère ses métamorphoses permanentes, son constant processus "en spirale", on peut voir comment de nombreux éléments de désordre peuvent non seulement prévaloir, mais que leur sphère d’influence peut changer comme si elle dépendait de la "longueur du pied du chancelier" ("the length of the chancellors foot").
140L’ordre de la Common Law est complété par le désordre de l’equity. Il y a la solution statique, procédurale, fondée sur la juridiction de Common Law, qui est complétée par la nature dynamique, fondamentalement instable de la juridiction d’equity. En abordant le système de cette manière, on voit qu’il se présente à la fois comme un système formel (la Common Law, avec ses catégories de solutions, et la doctrine fondée sur le précédent) et, en même temps, substantiel (les notions équitables de moralité, les maximes, ce qui aurait dû être fait, les mains propres, etc…). Le système tend à se présenter comme un système fermé, (par exemple, le caractère dégénéré, "mutant", des enfants de l’equity), et pourtant, dans le même temps, ouvert (la fertilité de l’equity, sa capacité à se reproduire, à donner d’autres fruits, etc.). Il apparaît à la fois comme autonome (la justice selon le droit) et cependant dépendant des notions d’equity qui doivent être employées dans certains cas.
141Les styles de relation qui se sont développés parmi les éléments constitutifs d’un système, les types de relation entre les composantes du droit et de l’equity sont ceux d’une tension considérable mais il semble que cette tension soit essentielle, qu’elle caractérise le champ de la définition, du droit et de l’equity, la tension entre les deux courants, où l’un se définit par contraste avec l’autre. Nous le voyons dans les maximes équitables où "l’equity suit le droit" (Equity follows the law) [67], même si les principes équitables invoqués par le juge sont fréquemment introduits seulement après une longue discussion sur le point de savoir ce qui arriverait si les principes de la Common Law étaient appliqués. Il apparaît que la juridiction d’equity peut, semble-t-il, n’être invoquée que par voie de contraste ; ses principes semblent être intimement liés au raisonnement, alors que les principes de Common Law conduisent à une discussion ultérieure de l’equity. Leur relation suppose le conflit, mais également la coopération.
142En principe, cette sphère du droit anglais semble être un système qui possède des propriétés qui ne sont pas réductibles aux caractéristiques de ses éléments [68]. Ces propriétés ressortent quand on considère les tensions dialectiques dans le champ. La propriété de la "métaphore" se manifeste dans le raisonnement des juges, en partie parce que ceux-ci sont confrontés à la difficulté de trouver des expressions littérales pour décrire la nature de la juridiction d’equity, d’une part en raison du fait que la juridiction dans son ensemble est de caractère métaphorique, et d’autre part parce que les métaphores peuvent être laissées "ouvertes" et permettre à l’equity d’être appliquée de façon libérale, ou bien cette imagerie peut être utilisée pour restreindre un tel libéralisme, et restaurer un degré plus grand de certitude dans le système.
143Tension, interaction, incertitude, raisonnement métaphorique et désaccord judiciaire, débat, paradoxe, etc…, telles sont les propriétés du système juridique anglais. Ces propriétés voient le jour par l’interaction, la procédure dialectique entre les deux pôles de l’equity et de la Common Law.
144Il nous faut un paradigme grâce auquel nous pourrions canaliser tous ces paradoxes et ces tensions. Le passage sur la jurisprudence tentait de montrer les différents sens du jeu démontrés par les juges. Selon Ost et van de Kerchove : “Nous définirons le jeu comme une activité sociale qui combine, en proportion variable, un élément de convention ou de régularitié et un élément d’invention ou de créativitié… Un « espace de jeu » s’ouvre aux joueurs qui vont y déployer leur « sens du jeu » ou aptitude à utiliser au mieux les « ouvertures » du jeu (ses marges d’incertitude) pour placer les « coups » susceptibles de les mettre en position de gagner la partie. Mais à son tour, cet espace de jeu ne s’analyse pas comme pure indétermination ; le sens du jeu, au contraire, suppose un ajustement des comportements du joueur aux possibilités objectives du champ ou du système.” [69].
145Ce qui est frappant ici est de voir à quel point l’application du couple dialectique “invention” et “convention” peut enrichir les prises en compte théoriques de jeu auquel les juges choisissent de jouer. Par exemple, il peut être entendu que, dans Eves v Eves, Lord Denning démontre un sens du jeu qui met en valeur les propriétés hybrides d’une large part du sens de l’invention à l’intérieur de l’espace de jeu, alors qu’en même temps, son sens du jeu dénotait une prise en considération minimale de la convention. De telles observations doivent être justifiées en se référant à la jurisprudence.
146On voit que Lord Denning montre son sens de la convention en utilisant pour base de son jugement un extrait d’un jugement de la Chambre des Lords écrit par Lord Diplock dans Gissing v Gissing. Ceci révèle son sens de la convention car cela montre que Lord Denning a observé la doctrine fondamentale de la Common Law du précédent. Cependant, son interprétation de ce jugement est différente de celle des autres juges. Son sens du jeu est contredit par le sens du jeu des autres joueurs, les autres juges.
147Comme nous l’avons vu précédemment, Lord Denning utilise cet extrait du jugement de la Chambre des Lords pour conclure que Lord Diplock avait mis au monde une nouvelle progéniture de l’equity, le "nouveau modèle" du constructive trust. C’est précisément ici que Denning fait preuve d’invention. Il a recours à la métaphore pour mener son jeu, son sens de la créativité, son aptitude à porter des enfants, etc… Ceci contraste considérablement avec l’approche des autres juges, notamment dans les affaires suivantes, car leur sens du jeu est fait d’un contenu hybride qui comprend de nombreux éléments de convention, au détriment de l’invention.
148Dans cet article, nous avons également examiné les vues d’un autre auteur doctrinal, Oakley, qui offre une prise en compte doctrinale des récents développements du droit anglais sur les constructive trusts. Nous avons vu comment la doctrine tout à la fois reflète la tension et peut-être même comment elle la crée dans cette sphère du système. Son commentaire implique la prise en compte substantielle des jugements des cas auxquels nous nous sommes intéressés. Nous avons également vu dans cet article comment il prend en compte la position doctrinale pour plaider en faveur d’une allégation de la validité d’une approche fondée sur des principes généraux [70]. Cette propriété est le produit hybride du processus dialectique précédent, qui a lieu dans le travail d’Oakley quand il prend en considération le développement du droit dans cette sphère. Le sens du jeu d’Oakley est évident d’après sa manière d’approcher le sujet. Il penche vers le pôle de la Justice selon le droit, et offre son interprétation des jugements de cette manière. Il est en désaccord avec l’approche de Denning, et il tente de contribuer à la perspective de voir augmenter le niveau de la certitude dans cette sphère du droit. Il parvient à la conclusion qui a déjà été proposée dans cet article [71] et parle du besoin d’établir plus de certitude par l’introduction d’un principe général pour prendre en compte toutes les situations de fait futures. Ce qui sert notre fin est le fait qu’Oakley est d’accord sur le fait que l’equity doit maintenir sa capacité créatrice, de même que ses catégories doivent rester ouvertes, mais ceci est combiné à la recherche d’une plus grande certitude.
149Maintenant, les conséquences dialectiques de ce processus ont déjà été soulignées précédemment, mais ce qu’il est important de relever ici est ce qu’Oakley a montré en soutenant sa position : qu’en se référant aux deux pôles pour développer son argument, il tombe du côté de la justice selon le droit (pôle de certitude), mais, par essence, ce point de vue a été transformé par l’interaction dialectique avec l’"autre". Cet autre "pôle" étant nécessaire pour penser les besoins immédiats de la justice dans une affaire, il caractérise la nature de l’equity en tant que juridiction de la conscience individuelle aussi bien que comme une juridiction des principes et du précédent. Ce produit de l’entre-deux est implicite dans la doctrine d’Oakley. En appliquant le sens du jeu ici, il apparaît qu’Oakley a pris en compte l’autre pôle et l’a incorporé dans son sens du jeu. Non seulement il adhère maintenant à la règle de droit, mais aussi aux règles de l’equity, et au besoin d’éviter le résultat inconcevable.
150L’un des produits du processus dialectique est le fait que le sens du jeu de ces auteurs doctrinaux a été modifié. C’est en utilisant le modèle du jeu que l’on peut obtenir les moyens pour analyser à la fois le jugement et la doctrine de telle façon que les caractéristiques du jeu puissent être plausiblement attribuées à la fois aux auteurs doctrinaux et aux juges. Un nouveau paradigme peut aider tant à contenir qu’à expliquer une telle tension.
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Cécile Marceau pour la traduction de l’anglais. Je tiens également à remercier le Professor François Ost, le Dr Michael Salter (Université de Lancaster - UK) et le Dr Piyel Haldar (Birkbeck College, London) pour leur support et encouragement.
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[2]
J. Martin, Hanbury & Martins : Modern Equity, 14ème éd, 1993, Sweet & Maxwell, Londres, p. 1.
-
[3]
Ibid.., p. 4.
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[4]
Lord Denning, Eves v Eves, 1975, 3 All ER 768 (voir p 769) 1 WLR 1338.
-
[5]
J. Martin, op. cit., p. 26.
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[6]
1970, 2, All ER 790 g.
-
[7]
1975, 1 WLR 482.
-
[8]
Mountford v Scott, 1975, Ch 258.
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[9]
1882, 21 ch. D. 9.
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[10]
La décision à laquelle on était parvenu dans Midland Bank Trust v Green, 1981, AC 513 constitue un exemple flagrant d’une inobservation des règles permettant d’éviter une décision "inconcevable".
-
[11]
J. Martin, op. cit., p. 4.
-
[12]
J. Hackney, Understanding Equity and Trusts, 1987, Fontana, Londres, p. 16.
-
[13]
Le débat historique sur la juridiction d’équité est présenté de façon traditionnelle dans la doctrine comme tournant autour de l’imagerie de la longueur du pied du chancelier, voir Martin, 1993, p. 4.
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[14]
1948, Ch 465-481.
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[15]
1975, 3 All ER 768.
-
[16]
1929, AC 318.
-
[17]
Ibid., 335.
-
[18]
Snell, Snells Principles of Equity, Maxwell, Londres, 1990, 20ème éd., p. 192.
-
[19]
1919, 225 NY 380, 386.
-
[20]
Snell, Ibid., p. 192.
-
[21]
S. Milsom, Historical Foundations of the Common Law, 1981, Butterworths, Londres, p. 25.
-
[22]
Ibid., Chap. 1 aux pages 33-36.
-
[23]
J. Martin, op. cit., p. 94.
-
[24]
S. Milsom, op. cit., p. 94.
-
[25]
Voir p. 43, Table talk of John Selden, éd. Pollock, 1927.
-
[26]
J. Martin, op. cit., p. 13.
-
[27]
Pour un aperçu de l’approche “positiviste” (black letter) dans les études juridiques, cf P. Fitzpatrick (éd), Critical legal studies, Blackwell, Oxford, 1992. En bref, cette approche se fonde sur la philosophie selon laquelle le droit se résume à apprendre des règles par cœur, comme un perroquet, et à les appliquer à un cas donné. Aucune crédibilité n’est accordée au contenu historique, philosophique ou même critique, puisque les règles sont présentées comme insusceptibles d’être remises en question.
-
[28]
Pugh v Heath, 1882, 7 App. Cas at 237 (per Lord Cairns).
-
[29]
Snell, op.cit p. 18.
-
[30]
Cf. J. Martin, p. 25.
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[31]
Voir en général : P. Goodrich, Reading the Law, Blackwell, Londres, 1986, qui souligne cette tendance de la tradition du Common Law.
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[32]
Ceci est implicitement le cas dans Eves v Eves, dans le jugement de Lord Denning.
-
[33]
F. Ost & M. van de Kerchove, Le système juridique entre ordre et désordre, 1988, Presses Universitaires de France, Paris p. 124-128.
-
[34]
A.J. Oakley, Constructive Trusts, 2nd ed, Sweet & Maxwell, Londres, 1987, p. 10.
-
[35]
E.H. Burn, Maudsley & Burn’s Trusts & Trustees : Cases and Materials, 1990, Butterworths, Londres, p. 237.
-
[36]
Carl Zeiss Stiftung v Herbert Smith & Co, 1969, 2 Ch at 300 (per Lord Edmund Davies LJ).
-
[37]
J. Martin, op.cit., p. 293.
-
[38]
Eves v. Eves, 1975, 1 WLR 1338.
-
[39]
J. Martin, op.cit., p. 323.
-
[40]
(1972) 1 WLR 1286-1289.
-
[41]
R.H. Maudsley, 1977, 28 Northern Ireland Law Quarterly, p123.
-
[42]
J. Martin, op cit., p. 329.
-
[43]
A.J. Oakley, op cit., p. 36.
-
[44]
Cf. par exemple l’extrait de la Modern Equity de Martin, (note 26 de ce texte) où le développement du système de l’equity est décrit comme étant "celui qui se fonde sur les règles et les précédents plutôt que sur la conscience individuelle".
-
[45]
A.J. Oakley, op cit., p. 12.
-
[46]
Ibid., p. 13.
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[47]
771 c-d, 1975, 3 All ER.
-
[48]
1972, 2 All ER 38.
-
[49]
A.J. Oakley, op cit., p. 41.
-
[50]
Ibid., p. 14.
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[51]
Cf Gissing v Gissing, 1971, AC 886, 1970, 2 All ER 780.
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[52]
1970, 2 All ER, 790 g.
-
[53]
Nous le verrons dans le jugement de Grant v Edwards, 1986, Ch 638, 2 All ER 426.
-
[54]
1975, 3 All ER, 771 b-d.
-
[55]
Cf. A.J. Oakley, op. cit., p. 12.
-
[56]
1975, 3 All ER - p. 769.
-
[57]
Ibid., 770.
-
[58]
Cf E.H. Burn, 1990, p. 279, où il qualifie les propos de Lord Denning dans Eves v Eves de "wide".
-
[59]
A.J. Oakley, op. cit., p. 12.
-
[60]
1972, 1 WLR 425.
-
[61]
Ibid., 430.
-
[62]
Allen v Snyder, 1977, 2 N.S.W.L.R. 685-701.
-
[63]
1986, WLR 114.
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[64]
1986, WLR 114, 121.
-
[65]
1970, 2 All ER, 790 a-b.
-
[66]
Cf. Lord Denning, Eves v Eves, p. 769.
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[67]
Cf. J. Martin, op cit., p. 26.
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[68]
Voir en général : F. Ost & M. van de Kerchove, 1988.
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[69]
Ibid., p. 135-136.
-
[70]
Cf. A.J. Oakley, op cit, p. 14.
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[71]
"Although the categories of situations in which English courts will impose constructive trusts should not be regarded as closed, these categories should be extended only where the courts are prepared to lay down some new principle which will apply generally. Any such principle must be capable of being applied with sufficient certainty to enable litigants to be safely advised as to the probable outcome of legal proceedings. Further, no such principle should be established without the fullest consideration of this effects thus produced on the general law upon the interests of the third parties nor should any such principle ever be established by deciding an individual case on grounds applicable only to a particular case." (nous soulignons), A.J. Oakley, p. 14.