Dominique Auzou-Riandey et Bernadette Moussy (2007) Les enjeux du métier d’EJE, Paris, ESF, 187 p. Marie-Laure Cadart (2006) Des parents dans les crèches, utopie ou réalité ? Toulouse, Erès, 239 p. Nathalie Coulon et Geneviève Cresson (coord.), (2007) La petite enfance. Entre familles et crèches, entre sexe et genre, Paris, L’Harmattan, 227 p. Bernard Pueyo (2009) Enseigner, former intervenir dans le champ de la petite enfance, Paris, L’Harmattan, 176 p
1Ces ouvrages très différents se centrent néanmoins tous les quatre sur le secteur de la petite enfance, ce qui justifie qu’on les rassemble dans cette même note de lecture.
2Depuis une dizaine d’années, les transformations du champ et des pratiques du travail social ont été si nombreuses que l’on peut parler d’une véritable recomposition de cet univers professionnel. Dans la reconfiguration en cours ce sont les cadres et les processus de la formation et de la professionnalisation des travailleurs sociaux qui sont appelés à évoluer. C’est certainement l’assimilation de l’action des professionnels du travail social à une « prestation de service » et l’introduction de référentiels professionnels, à partir desquels sont élaborés référentiels de certification et référentiels de formation, qui ont contribué à une grande déstabilisation de l’univers de la formation professionnelle.
3Parmi les 14 diplômes du Code de l’action sociale et des familles (CASF), celui d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE) n’échappe pas à la règle, d’où l’intérêt de la mise au point proposée par Dominique Auzou-Riandey et Bernadette Moussy, cinq ans après la publication de l’ouvrage d’Yves Meunier et de Daniel Chétoui [1] et les réactualisations du désormais classique Verba [2]. L’ouvrage comprend trois parties. Après un historique de la profession d’éducateur de jeunes enfants, qui compte davantage d’éducatrices, il s’agit pour les auteurs de présenter les caractéristiques spécifiques du métier dans des environnements professionnels diversifiés et enfin de préciser les modalités d’accès à la formation et la nature du processus de qualification actuel.
4Même si les éducateurs de jeunes enfants constituent certainement la profession pivot des crèches parentales, c’est à un(e) médecin et anthropologue, Marie-Laure Cadart, qu’on doit ce livre qui retrace le mouvement des crèches parentales, l’ACEPP : Association des collectifs enfants-parents-professionnels (à partir de 1988). L’ouvrage comprend trois parties correspondant chacune à une période de durée inégale. La première partie, assez courte, consacrée à la naissance du mouvement des crèches parentales se subdivise en deux périodes : des crèches sauvages à la structuration du réseau associatif (1968-1986), puis la période 1986-1995 est marquée par la création des lieux d’accueil dans les quartiers et la problématique centrale de l’interculturalité. La deuxième et la troisième parties couvrent en un peu moins d’une centaine de pages chacune les périodes 1995-2000 et 2000-2005. Après la crise de 1995 liée à une chute des financements européens et à la nécessaire décentralisation à opérer, ce sont les orientations et les chantiers de l’association qui sont présentés au cours de la dernière décennie.
5L’ouvrage collectif publié sous la direction de Nathalie Coulon et Geneviève Cresson rassemble plusieurs contributions réunies à la suite d’une journée d’étude de 2005 intitulée « Petite enfance et rapports sociaux de sexe ». Celles-ci se réfèrent tour à tour à la psychologie, la sociologie et l’économie dans un ouvrage comprenant trois parties. La première se centre sur l’accueil collectif des enfants à la crèche et délaisse quelque peu l’accueil de type familial chez une assistante maternelle : alors que Dominique Golay étudie « Le jeu libre en crèche : expression des rapports sociaux de sexe ? », Geneviève Cresson qui a observé la vie quotidienne dans les crèches montre que si la question du genre pour les professionnelles ne semble pas se poser, le genre s’avère néanmoins une grille de lecture implicite utilisée par les professionnelles. Dans la deuxième partie, ce sont des interrogations quant au genre qui sont traitées en milieu professionnel, d’abord dans une approche historique des crèches (Catherine Bouve), ensuite à travers une expérience de formation (Nadine Plateau), enfin à partir de l’analyse de revues professionnelles (Sandie Delforge). La troisième partie se focalise sur la place du père, d’abord à propos de leur implication dans la garde des jeunes enfants (Anne Bustreel), ensuite quant au congé parental (Danielle Boyer), avant que le dernier chapitre, rédigé par les deux coordinatrices de l’ouvrage, reprenne les principaux résultats des travaux développés en sciences humaines sur la place respective des hommes et des femmes dans la parentalité.
6Bernard Pueyo met à la disposition du public, à notre connaissance pour la première fois, le texte intégral d’un « mémoire » de validation des acquis de l’expérience (VAE) en vue de l’obtention d’un Master de Sciences de l’éducation. À bien des titres, le présent ouvrage ne manquera pas d’apparaître exceptionnel. En effet, alors qu’on est assez bien informé maintenant du dispositif et des modalités de certification via la VAE, on ne dispose pas jusqu’à présent de documents (comment les nommer ?) produits à l’occasion de la soutenance en vue de l’obtention d’un diplôme, universitaire qui plus est. Contrairement aux écrits universitaires habituels (mémoires, thèses, notes de soutenance pour l’habilitation à diriger des recherches …), certes plus ou moins aisément consultables en bibliothèque, il n’y a guère de traces des documents produits pour l’obtention d’un diplôme par VAE.
7Le texte, précédé d’une préface de Jeanine Chamond, Maître de Conférences de Psychologie et en charge de l’accompagnement des candidats à la VAE à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense, permet d’approcher le traitement des expériences professionnelles pour en extraire les compétences et donne également à comprendre le travail de réappropriation du parcours qui s’opère au cours d’une démarche de VAE. L’ouvrage comprend quatre parties correspondant aux différentes périodes du trajet de professionnalisation de Bernard Pueyo : d’abord enseignant vacataire de psychologie sociale dans un centre de formation aux métiers de l’accompagnement éducatif et social (alors qu’il exerçait en qualité de responsable éducatif en IME), puis formateur d’éducateurs de jeunes enfants avant d’assurer la responsabilité de cette filière au sein d’un centre de formation de travailleurs sociaux. Exerçant en formation professionnelle initiale et continue, Bernard Pueyo a également développé un ensemble d’actions d’intervention et de formation sur site auprès d’équipes de professionnels de la petite enfance. Enfin, une postface de l’auteur s’attache à restituer le cheminement et les enjeux du passage à l’écrit dans la démarche de VAE.
8L’ensemble constitue ainsi un document précieux pour celles et ceux qui s’intéressent à titre personnel ou professionnel à la VAE. Il représente également un témoignage sur une pratique professionnelle de formateur et de consultant d’orientation psychosociologique que les formateurs d’intervenants sociaux apprécieront tout particulièrement.
9Dominique Fablet
Éric Santamaria (2009). Handicap mental et majorité. Rites de passage à l’âge adulte en IME Paris : Éditions L’Harmattan, 169 pages
10Que se passe-il lorsqu’un jeune éducateur travaillant dans un Institut Médico-Éducatif (établissement accueillant des enfants en situation de handicap) devient apprenti ethnologue ? L’ouvrage rédigé par Éric Santamaria se conjugue à la première personne, ce qui contribue à charmer le lecteur qui suit dans une première partie le récit de toutes les rencontres, aléas, interrogations et réflexions qui accompagnent la genèse d’un travail de thèse en sciences de l’éducation, portant sur le suivi dans l’établissement où il exerce, de la mise en place de l’Inter-unité des jeunes majeurs, structure destinée à marquer le changement de statut des jeunes liés à la majorité.
11Au-delà de la fraîcheur des anecdotes, c’est une réflexion sur les questions soulevées par la pratique de recherche en ethnologie qui interroge le lecteur. On voit comment l’apprenti chercheur s’approprie l’approche méthodologique de l’ethnologie fondée sur « une imprégnation longue et continue des groupes humains étudiés [ …] l’ethnologue doit écouter, mais aussi regarder, se promener, flâner, prendre le temps d’accompagner celui des autres » (p. 17). Quelle posture adopter lorsqu’on est à la fois chercheur et professionnel sur un même lieu ? Comment gérer ce double statut vis-à-vis des collègues, vis-à-vis des usagers ? Que faire avec tous ces « cahiers de terrain » qui s’accumulent, fruit de plusieurs années de « participation observante » ? Petit à petit, É. Santamaria s’ajuste, trouve des réponses, fait son travail « d’éponge » du discours, des gestes, des interactions de la communauté pour affiner sa compréhension de l’autre.
12Une deuxième partie permet au lecteur d’entrer dans le vif du sujet en abordant les réflexions, tant conceptuelles que pratiques, qui ont abouti à l’élaboration du projet de création de l’Inter-unité des jeunes majeurs par ses acteurs. La réflexion théorique du chercheur est en effet sans cesse alimentée par ses lectures, comme il se doit dans un travail de thèse, mais aussi par le cheminement de la pensée institutionnelle. L’auteur interroge tout d’abord le concept de handicap et les représentations sociales de la déficience mentale qui accompagnent actuellement son usage. Il rappelle que l’utilisation du terme de handicap stigmatise la personne par un manque, mais renvoie aussi à l’idée de réadaptation et d’un gommage possible des différences, idée généreuse mais qui comporte ses risques et ses limites. Il souligne les difficultés de la société à concevoir « cet éternel enfant » qui ne guérira pas, ce « monstre asocial » qu’on aimerait bien pouvoir « intégrer ».
13L’IMPro (Institut Médico-Professionnel) accueille des adolescents et des jeunes adultes entre 14 et 20 ans et ne fait pas la distinction entre les jeunes mineurs et les jeunes majeurs (plus de 18 ans). La mission quotidienne des professionnels qui y travaillent est de fournir aux usagers une éducation adaptée à la grande hétérogénéité des âges et des pathologies de leur public et de les protéger des espaces sociaux extérieurs traditionnels dans lesquels ils rencontrent difficultés et dangers.
14Cette mission de protection délimite avec force le « dedans » et le « dehors » de l’institution qui doit demeurer malgré tout un lieu ouvert sur la société, ce qui nécessite symboliquement que la porte d’entrée ne soit pas fermée à clé. Hors un beau jour, quelques jeunes, arguant des droits que leur procurent une majorité toute neuve, franchissent librement le seuil de l’établissement pour une petite promenade dans la rue. De cet incident, va naître le projet institutionnel de prendre en compte la question du passage vers l’âge adulte des jeunes en situation de handicap.
15L’ouvrage d’Éric Santamaria nous renseigne sur la genèse de ce nouveau projet institutionnel, qui, souhaitant apporter des réponses pratiques, interroge l’identité de la personne handicapée devenue majeure. Travailler sur le temps qui passe fait partie des objectifs pédagogiques. Quelques pages consacrées aux activités mises en place pour faciliter l’acquisition des notions temporelles nous permettent de prendre la mesure de la complexité de la tâche. Les intéressés, quant à eux, interrogés sur le sens qu’ils attribuent au fait de devenir majeur, réclament « le droit de sortir dans la rue et le droit de fumer ». Tel se déroule sous nos yeux, entre réflexion théorique et récits de moments de vie quotidienne de l’IMPro, la genèse du projet institutionnel qui aboutit à l’élaboration d’une Inter-unité de jeunes majeurs dotée d’instances de régulation et de règles de fonctionnement propres.
16Dans une troisième partie, l’auteur développe son point de vue qui va composer le thème principal de l’ouvrage : ce nouveau cadre constitue un rite de passage, au sens ethnologique du terme, car il reconnaît symboliquement au jeune son changement de statut et le replace dans le déroulement des cycles de vie. Les difficultés rencontrées et les questions sont importantes : la volonté des professionnels de former un groupe cohérent sur la base du critère d’âge se heurte à la diversité des pathologies ; que signifie, en outre, le concept d’« autonomie » qui définit le passage à l’âge adulte, alors que l’accès à une vie professionnelle, amoureuse, familiale, citoyenne relève pour beaucoup d’une illusion qu’il importe de déconstruire ? Mais, au-delà de l’ambiguïté du dispositif, et si pratiquement il s’agit d’accompagner, de renforcer et de préparer le jeune majeur à son départ vers une institution pour adultes, force est de constater que l’accès au monde du « dehors », point de départ du projet institutionnel, est demeuré très limité. Dans sa conclusion, É. Santamaria plaide pour que les professionnels aillent encore plus loin et s’approprient encore davantage ce rôle de « passeur » vers le monde extérieur.
17Monique Robin
Catherine Sellenet (2009). Souffrances dans l’adoption. Pistes pour accompagner les adoptés et les adoptants. Bruxelles, De Boeck, 211 pages
18L’ouvrage dont le titre « Souffrances dans l’adoption » est peu banal, sort des registres habituels de la littérature sur l’adoption d’enfants. Son auteur, C. Sellenet a pris soin de le structurer de telle sorte que le lecteur ne puisse pas s’évader du questionnement soulevé.
19Les titres des huit chapitres sont forts et sans ambiguïté possible. Les deux exemples suivants « les agrafés de la vie », des « parents défaits », permettent sans mal de deviner que le problème posé est épineux. Le constat est que « l’adoption ne réussit pas dans tous les cas ».
20Dans un premier temps, le livre expose à ciel ouvert ce qui ne se dit pas facilement autour des enjeux des adoptions au niveau national ou international. Les raisons des « échecs » multiples sont ainsi débattues au fil des chapitres. Des présupposés tels que « tous les enfants seraient adoptables » ou qu’il n’existe « aucune différence entre une famille biologique et une famille adoptive » sont mis cause. La réponse est claire et la pertinence de l’argumentation développée par l’auteure permet en fin de compte de distinguer les modalités particulières du processus d’adoption. Il y a nécessité de prendre en considération la multiplicité des facteurs tant du point de vue des parents adoptifs que du point de vue de l’enfant si celui-ci est en âge de s’exprimer. Il peut souhaiter « être adopté ou non », « être séparé de sa fratrie ou non » et les parents quant à eux peuvent exprimer le désir de ne pas accueillir « un tout-petit, un garçon », etc. Se pose alors la question de savoir comment de telles demandes peuvent être transmises et travaillées en vue d’une prise de décision cohérente de la part des services compétents. Au fil des pages, on s’aperçoit que rien n’est simple.
21Dans un second temps, c’est un état des lieux qui est dressé autour des moyens possibles à mettre en œuvre afin d’éviter les écueils. Le problème est centré sur le processus d’adoption en lui-même. Les caractéristiques des parents et des enfants en voie d’adoption sont passées au crible. Y aurait-il des facteurs déterminants pour une adoption « réussie » comme l’âge, le sexe, la nationalité ? Rien n’est moins sûr car, comme le souligne C. Sellenet, il ne s’agit pas de sombrer dans la fatalité mais plutôt d’analyser le phénomène dans son intégralité afin d’instaurer de nouvelles modalités d’accompagnement à l’adoption.
22Ce livre propose un regard distancié sur les différentes problématiques telles que le refus, la rupture, les déchirements ou l’incompréhension de part et d’autre. L’argumentation est étayée par de nombreux exemples d’enfants et de parents qui ne sont pas parvenus à se rencontrer. Les situations décrites à l’aide de témoignages qui rendent parfois compte de placement voire de l’abandon de l’enfant, sont alarmantes.
23L’auteure parle de « trajectoires brisées » par des malentendus, un mal-être des deux parts. Face à ce désarroi, se pose la question du positionnement des professionnels de l’éducation et du travail social qui côtoient ces familles. Comment se situent-ils et que mettent-ils en place lorsque se présentent des situations aussi dramatiques pour les éviter ? Quelles sont leurs pratiques d’accompagnement et quels sont les manques ? La réponse est faite à travers un foisonnement de témoignages de familles. Le lecteur est ainsi conduit à une prise de conscience de la gravité de ces nombreuses situations dégradées et de l’urgence à réellement accompagner les parents et les enfants dans un processus en trois temps : se préparer à l’adoption, vivre son déroulement et réorganiser sa vie.
24En conclusion, cet ouvrage ouvre un champ d’études resté jusqu’à présent dans l’ombre pour de multiples raisons. Il s’adresse à tout type de lecteur concerné par le problème de l’adoption. Son style est fluide et les nombreux exemples conduisent à mieux saisir les tenants et les aboutissants dans le processus d’adoption. Il devrait permettre de progresser dans les réflexions et de repenser les actions ciblant les adoptants et adoptés afin d’aboutir à des ajustements qui semblent réellement nécessaires. On souhaite que cette lecture puisse enrichir la réflexion d’un nombre conséquent de professionnels du secteur social et éducatif et de parents adoptants.
25Anne-Marie Doucet-Dahlgren