Notes
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[1]
Jean-Claude Kalubi, Professeur titulaire à la Faculté d’Éducation, Université de Sherbrooke. Directeur du département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale 2500 Boul. Université, Sherbrooke (Québec), J1K 2R1, Canada
Courriel : jc.kalubi@usherbrooke.ca -
[2]
Jean-Marie Bouchard, Professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche sur la réadaptation de Montréal (Québec, Canada).
Courriel : jean-marie@videotron.ca -
[3]
Le présent texte se base essentiellement sur les expériences de partage avec les groupes de parents rencontrés au Québec (Canada) le 23 juin 2005.
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[4]
« Lorsque les parents ne sont pas capables de s’occuper de leurs enfants, ils sont alors confiés à des familles d’accueil étrangères par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). […] Le rôle de la famille d’accueil est essentiellement un rôle de parent substitut. C’est un rôle qui se situe dans le temps, ce que la famille d’accueil se doit de ne pas oublier. Son rôle est d’accompagner un jeune dans son cheminement, selon ses besoins identifiés, et ce, pour un temps plus ou moins long. […] La famille d’accueil doit être attentive au développement affectif du jeune en l’acceptant tel qu’il est, en le respectant et en lui portant confiance et affection » (Fédération des familles d’accueil du Québec [FFAQ]). [En ligne] Accès : http://www.ffaq.ca/ethique.htm.
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[5]
Il faut reconnaître que depuis la réforme, qui a permis la création des conseils d’établissement, les parents d’élèves présentant des difficultés de divers ordres possèdent un cadre d’action permettant d’explorer quelques zones d’influence pour montrer leurs propres capacités, rôles et responsabilités.
Introduction
1Il y a plusieurs années, Graves (1992) expliquait, au sujet des communautés d’apprentissage, que le débat autour de ces dernières véhicule quelques idées maîtresses concernant l’existence d’un processus d’apprentissage qui privilégie la prise d’initiatives par l’apprenant lui-même, considéré alors comme le principal auteur, catalyseur ou initiateur de ses acquis. Ce débat met aussi l’accent sur le caractère intrinsèquement social de l’apprentissage, sur la valorisation des interactions ou des rapports interpersonnels ainsi que sur l’importance des contextes et cadres culturels concernés. En outre, il est de nature à encourager les perspectives de développement, de complémentarité et d’interdépendance positive. Il met l’accent autant sur les liens entre école-communauté que sur le rôle de différents membres de la communauté, dans leur apport en tant qu’agents de réussite éducative. Il remet au cœur du processus d’évolution personnelle des caractéristiques spécifiques relatives à la collaboration, à la participation active, à la démocratisation, au cheminement progressif tout au long de la vie, au respect de la diversité humaine, etc.
2C’est l’incertitude accompagnant la mise en place des réformes curriculaires (MEQ, 2001) et l’application de nouvelles technologies qui a imposé la communauté d’apprentissage comme un thème hautement médiatisé depuis quelques années. Son usage comme proposition de réponse significative dans plusieurs domaines trahit tout de même le besoin d’une analyse des actions quotidiennes de tous les acteurs interagissant avec les élèves ou avec des enfants, pour voir à quel point les bouleversements de l’ensemble du système scolaire du Québec influencent la vie quotidienne, suscitent des inquiétudes et compliquent la continuité des réussites scolaires ou éducatives. Ce débat aide également à soulever des questions tangibles, afin de clarifier les interconnexions entre les comportements des élèves au cours des projets d’apprentissage et les rôles joués par les adultes qui les entourent : leurs enseignants et leurs parents. C’est sans doute sous cet angle que le rapport publié en 2003 par l’OCDE envisageait les écoles du futur : de vibrants centres d’innovation communautaire, non seulement comme ancrage social pour le voisinage, mais aussi et surtout comme force de revitalisation au cœur de la communauté. L’école est appelée à créer un cadre où les familles peuvent apprendre à se connaître et ériger une base de cohésion sociale en collaboration avec les enseignants. Comme le souligne l’hypothèse de Cookson (1986), il s’agit d’une dynamique de croissance continue. La participation des familles croît dans la mesure où des amis ou des membres de la famille participent déjà à d’autres expériences de collaboration avec les milieux scolaires. Dès lors, tout projet d’initiation aux pratiques du cercle familles-professionnels prend une importance significative. Plus tard, les valeurs de socialisation dans le groupe ainsi créé ou enrichi pourraient influencer la participation des uns et des autres, dans une perspective générale de participation en continuité.
3Nombre de travaux (Coleman, 1998 ; Lambert, & Lambert-Boîte, 1993; Bouchard, & Kalubi, 2003 ; Kalubi, & Lesieux, 2006) centrés sur la participation des familles montrent en effet que celle-ci est souvent présentée comme défaillante et insuffisante. Les enseignants se plaignent de la faible participation des parents d’élèves, qu’ils voient comme une source importante du manque de solidarité entre l’école et la famille. Pour plusieurs parents, il s’agit là plutôt des signes de la discrimination dont souffrent les familles, en particulier lorsque celles-ci comptent un ou plusieurs enfants en difficulté. Le débat sur les relations entre les parents et l’école se transforme souvent en une série de récriminations, de contradictions et d’accusations. Pour sortir d’un tel rapport de confrontation, l’accent doit être mis sur l’analyse des systèmes de soutien. Les travaux menés par Bouchard et Kalubi (2000) montrent que le soutien reçu par les parents a une influence décisive sur le processus de prise de décision, en particulier lorsqu’il s’agit des situations d’enfants vivant avec des difficultés. L’hypothèse générale qui se dégage de différentes formes d’engagement privilégiées chez les acteurs-clés (parents, enseignants ou autres intervenants) montre que ces derniers sont amenés par des expériences structurées à modifier leur parcours d’apprentissage, jusqu’à trouver quelque valeur ajoutée qui pourrait modifier leur « monde vécu » (Habermas, 1987). Quels que soient les obstacles (d’ordre circonstanciel, institutionnel, communicationnel ou psychosocial) à franchir, la richesse de l’expérience d’interaction entre acteurs concernés permet d’évoluer vers des solutions appropriées et efficaces. Il sera sans doute pertinent de l’illustrer dans le présent texte et de montrer qu’en participant aux expériences des groupes de réflexion considérées comme des communautés d’apprentissage, les parents s’ouvrent à un certain nombre de rôles décisifs. C’est à travers ces rôles que se matérialise leur projet d’apprentissage au regard des obstacles du système scolaire, de la collaboration avec les enseignants, professionnels et intervenants de la communauté, de même qu’au regard des exigences de compréhension du domaine complexe des difficultés d’attention avec lesquelles vivent leurs enfants.
Conditions pour travailler ensemble
4La notion de communauté apprenante permet de revenir sur les représentations (abstraites) d’un espace de rencontre, de confiance, de solidarité en vue d’améliorer les habitudes de vie et les pratiques quotidiennes, en faveur de la réussite scolaire et dans le cadre strict de l’énoncé des politiques éducatives du Québec. Elle permet aussi de souligner la complémentarité (Grise, 1996) entre la mission d’apprendre (conçue comme une adéquation impérative dans une société du savoir) et la mission d’éduquer (champ de bataille de tous les idéologues au moment où plusieurs voix s’élèvent pour questionner l’avenir du système éducatif). Une véritable communauté éducative voit à la cohérence des interventions et à l’harmonisation des différents services. De plus, elle mise sur la compréhension des gestes des acteurs, de même que sur l’organisation de leur participation aux réalisations communes. Le recours à ce cadre a été renforcé de deux façons : par la recherche de nouvelles avenues d’action en contexte de réforme et de changements sociaux et par l’essor des perspectives socioconstructivistes en éducation (Prawatt, 1996) selon lesquelles l’apprentissage résulte davantage d’un agencement des actions sociales ou des activités de socialisation. L’apprentissage est alors envisagé dans une perspective d’action où tous les acteurs se voient engagés dans la production de nouvelles idées, dans la recherche de nouvelles alternatives, de nouvelles formes de construction sociale.
5L’action d’une communauté d’apprentissage est toujours soumise à un processus de reconfiguration et d’incertitude (Prawatt, 1996). Elle met en marche un ensemble de symboles, de métaphores, de rituels et de forces dont la dynamique facilite l’évolution des acteurs vers un but commun. De là découle la complexité du défi qui attend les acteurs et qui met à rude épreuve leurs compétences ainsi que leurs attitudes d’ouverture et de confiance. Dans l’optique de Kohler et Strain (1999), une participation fonctionnelle aux actions d’une communauté apprenante devrait avant tout satisfaire aux critères d’intercompréhension ; la satisfaction à ces critères viendrait faciliter les conditions de partage des pouvoirs et du vivre ensemble tant à l’école qu’au sein de la société. L’accent mis sur les moyens de socialisation contribue à donner aux participants (quels que soient leurs âge et identité) des clefs pour saisir le sens de leur vie réelle et s’inscrire dans un esprit de continuité : en partant de la famille pour se poursuivre dans la communauté et vice-versa.
6Toutefois, les contradictions intrinsèques relatives aux actions collectives relancent la réflexion sur les limites des comportements d’apprentissage en commun ainsi que sur le sens à donner aux différentes expériences particulières réussies. Il faudrait rappeler, en parlant des expériences particulières, que l’école québécoise reconnaît aujourd’hui la diversité de ses élèves (Dunst, Herter, Shields, & Bennis, 2001 ; Dunst, Trivette, & Cutspec, 2002 ; Eraut, 2002). Parler de communauté apprenante donne en effet l’occasion de réfléchir sur le statut réel de chacun de ces élèves, sur la place qu’occupent les membres de leurs familles dans leur cheminement scolaire, de même que sur les efforts que déploie chaque enfant pour répondre à l’esprit de compétences et de succès recommandé par les autorités scolaires. Le discours professionnel sur les communautés d’apprentissage tend à ramener l’attention des observateurs vers l’idée de construction progressive. Il s’agit surtout de remettre l’accent sur les possibilités productives de l’idée de consensus dans une société qui a fait le choix de promouvoir les capacités du mieux vivre ensemble.
7Aussi un tel exercice semble-t-il en mesure d’aider plusieurs équipes de parents et professionnels à créer des conditions favorables à l’implantation des plans d’intervention individualisés, à instaurer des pratiques de participation conjointe des parents et membres de la communauté locale, dans l’application des programmes de réforme scolaire. Il s’agit en définitive d’accélérer l’adoption d’un langage commun autour des besoins spécifiques des élèves. Pour y arriver, les rapports de force doivent être ramenés autant que possible à leur degré zéro, à leur plus bas niveau de nuisance, de confrontation et d’inégalité. C’est ce que rappelle Bouchard (1996) dont l’analyse de 40 rencontres de plans de services individualisés a permis de circonscrire les zones de partage de pouvoirs et responsabilités. En examinant ces zones, les observateurs peuvent comprendre le degré d’influence et déterminer si les apprentissages salutaires et le partenariat deviennent possibles à l’intérieur d’une communauté. Ces zones concernent les domaines communs des informations, des responsabilités, des compétences, des décisions et des obligations. Alors que les parents, les enseignants et les autres professionnels concernés par ces plans d’intervention déclaraient agir en partenariat, les analyses basées sur l’enregistrement vidéo des rencontres et sur les notes appropriées tirées de carnets de bord montrent la difficulté permanente de déboucher sur des décisions effectives et consensuelles, sans manipulation de la part des acteurs qui montrent ou détiennent plus d’influence. C’est certainement sous l’angle du défi des décisions prises en commun que peuvent s’accroître les rôles des parents dans le partenariat avec l’école. Lorsqu’elle tourne du bon côté, cette situation peut avoir comme corollaire le renforcement des sentiments d’appartenance et l’élargissement des valeurs collectives d’inclusion dans la communauté (Durand, & Weil, 1990).
8Sur le terrain essentiellement pédagogique, Sapon-Shevin (1999) esquisse pour sa part les facteurs qui alimentent l’action des milieux scolaires accueillant des enfants en difficulté : les sentiments de sécurité, les possibilités de communication ouverte, le partage des expériences individuelles et collectives, la diversité des besoins personnels, la capacité de soutien mutuel, la poursuite des buts et objectifs communs et le renforcement des liens de confiance. Pour chacun de ces facteurs, l’élève a besoin de se sentir soutenu. Voilà pourquoi l’accompagnement offert par les parents permet aux élèves de faire face à leurs propres obligations contre l’exclusion et la discrimination sociale d’un élève, les formes de participation, l’amélioration des relations de pouvoir et diverses causes d’incertitude. Chaque communauté d’apprentissage assure la promotion des actions positives des parents dont les marqueurs permettent d’instaurer un régime effectif des droits, en encourageant le respect des autres et la participation à diverses sphères de la vie institutionnelle, nationale ou internationale. Pour mieux comprendre les rôles des parents, particulièrement ceux relatifs aux actions en faveur de l’élève vivant avec des difficultés d’attention, il est nécessaire de recourir à un protocole d’analyse susceptible de clarifier les angles d’interaction entre les attitudes, les valeurs et les croyances des participants à la communauté d’apprentissage.
Une question de balise
9Étant donné les usages et mésusages du concept de communauté d’apprentissage, des clarifications de sens s’imposent au sujet des lois sous-jacentes présidant aux interactions entre acteurs, leurs statuts et leurs valeurs de référence. En situant l’action dans le cadre scolaire, plusieurs niveaux d’interférence doivent être identifiés avec la classe comme niveau de base, champ de référence et repère structurant. La communauté apprenante peut alors être approchée comme un espace organisationnel intégrateur dont les niveaux de fonctionnement varient en fonction du cadre d’observation, voire en fonction des logiques et préoccupations des observateurs.
10Pour l’analyse des données de recherche, le caractère changeant des rôles apparaît comme une cible ou un facteur prioritaire mettant en évidence des critères distinctifs. Il s’agit de trouver les moyens de diriger la réflexion vers la compréhension du caractère fonctionnel ou significatif de ces rôles. La transformation des logiques personnelles et l’hétérogénéité des comportements des acteurs offrent un cadre pour comprendre les contradictions et oppositions communes, dans un contexte global comme celui des communautés d’apprentissage ; d’où l’intérêt de structurer l’approche de ces oppositions.
11Le sens des expériences vécues peut être expliqué à partir de quatre angles allant du microsystème au macrosystème. En positionnant le microsystème (Bronfenbrenner, 1979 ; Beckman, 1996) à la hauteur de la classe, au moins trois autres sphères de participation doivent être déterminées en dehors de la classe. Le mésosystème couvrirait les liens d’influence entre différentes classes, à l’intérieur même de l’espace scolaire. C’est au niveau de l’exosystème que se situeraient les interrelations entre l’école, la famille et la collectivité environnante. Quant au macrosystème, il renvoie aux influences du système éducatif (exemple : gouvernement) et sociétal dans son ensemble, de même que l’ensemble de facteurs qui peuvent influencer le développement intégral de l’élève présentant des difficultés d’attention. C’est une question de représentation. Toutefois, c’est la vision et la définition des rôles, des interférences et des influences entre acteurs qui déterminent le sens accordé à la notion complémentaire de communauté éducative.
12À chaque niveau, un effort doit être déployé pour établir des liens clairs entre les rôles appréhendés et l’évolution des actions des élèves. Il sera aussi pertinent de montrer, comme souligné plus haut, l’articulation des rôles du modèle d’agir communicationnel décrite dans les travaux de Bouchard (1998). Ces rôles contribuent en fin de compte à structurer et améliorer les formes d’action des participants en milieu scolaire, au-delà des caractéristiques particulières constatées chez les élèves. L’analyse des rôles des parents dans une communauté apprenante met en évidence la nécessité des ponts à consolider entre les parents et les enseignants, dans le but d’atteindre les objectifs de réussite pour tous. D’une manière ou d’une autre, il faudrait un dispositif stratégique permettant d’amener tous les acteurs à poser des gestes cohérents et complémentaires, dans le respect des valeurs et priorités du système éducatif québécois.
Entretiens de groupe et recherche de cohérence
13Pour atteindre cet objectif d’analyse, nous avons eu recours, au-delà de la recension des écrits, aux entretiens de groupe dirigé (« Focus Group ») [3]. Le groupe de discussion comme approche essentiellement qualitative offre la possibilité d’explorer, grâce à la dynamique du cours d’action, les zones complexes de résistance et de motivation chez les participants, en l’occurrence les parents d’enfants vivant avec des difficultés d’attention.
14Les messages émis par les participants suggèrent des points de convergence et de divergence ente les groupes de l’échantillon (Simard, 1989). Ils stimulent une démarche semi-automatique de synthèse et induisent l’élaboration d’une grille d’analyse centrée sur l’examen de thèmes émergents.
15La rencontre a été organisée suivant l’approche proposée par Boudreault (Boudreault, & Moreau, 2004) sous l’appellation générique de Démarche réflexive d’analyse en partenariat (DRAP) : un groupe de participants sélectionnés livre des rétroactions guidées sur les pratiques effectives, les problèmes perçus, les rôles joués et les solutions construites. La dernière période de ce processus est marquée par un exercice de prise de décision en fonction des solutions explorées. La flexibilité du protocole DRAP permet d’effectuer, tout au long des discussions, des réflexions et analyses sur l’articulation des valeurs personnelles des parents aux exigences du système éducatif. Le protocole DRAP a aussi l’avantage de faciliter le traitement des données d’observation et d’orienter en pleine séance d’échange la sélection des énoncés pour l’analyse de contenu. L’efficacité de cette approche réside dans le fait que l’animation part toujours de questions ouvertes, malgré l’apparence de rigidité que suggère le protocole informatisé.
16L’approche structurée suivant les fonctions offertes par le logiciel DRAP est bâtie autour de neuf principales étapes à réaliser idéalement en deux jours avec des groupes de différentes tailles : (1) choix de thèmes à traiter ; (2) sélection des participants ; (3) réunion du groupe de discussion ; (4) évaluation des énoncés ; (5) identification des pistes de solution ; (6) tri en fonction des thèmes ; (7) analyses quantitatives; (8) analyses qualitatives; et (9) analyse croisée pour discussion. Dans le présent projet, seules les étapes (1) à (6) ont été privilégiées.
17Les parents d’élèves ont été recrutés par le biais de leur groupe ou communauté, dans laquelle se développe depuis quelques années une solidarité autour des problèmes d’élèves présentant des difficultés d’attention. Le groupe (5 mères) qui a été soumis partiellement au processus des entretiens DRAP se compose essentiellement de parents d’accueil [4]. Ceux-ci ont été réunis au domicile de la personne responsable du groupe dans le but avoué de décrire les relations entre l’école, la famille et la communauté, dans une perspective de partenariat et de communauté d’apprentissage. L’accent mis sur les rôles permettait de clarifier la dynamique constructive, en limitant autant que possible les procès d’intention au profit de l’identification des rôles actifs. La discussion entre les parents a été animée par le chercheur principal, assisté d’une étudiante de maîtrise pour tous les aspects de logistique.
18Pour saisir les rôles des parents comme membres de communauté d’apprentissage et partenaires (Lecocq-Roosen, 2001 ; Mérini, 1999 ; Pugh, 1989) voulant renforcer les actions de leurs enfants, il s’est avéré nécessaire d’aborder la réalité des familles d’accueil, les itinéraires d’engagement des parents d’accueil, les dispositifs de partage d’expertise et du vécu dans l’aide aux élèves.
19En partant des éléments récurrents retenus par balayages successifs des interactions entre membres du groupe au cours de la séance de discussion, une orientation se dégage et donne un sens spécifique à l’engagement des parents, dans l’optique d’une articulation des rôles joués. Selon la perception des parents, aux besoins reconnus, il faut des réponses rapides, appropriées et significatives. Les parents possèdent une expérience précieuse relative à ces besoins. Ils souhaitent mettre à profit ce vécu. Malgré la complexité des rôles assumés, ils souhaitent aussi que des forces se dégagent pour leur prêter main forte et aider concrètement à la réussite.
Le triple rôle des parents
20Trois rôles dominants et structurants se dégagent des constats et analyses : le rôle d’informateur, le rôle de promoteur de la communication fonctionnelle et le rôle de contrôleur dans le suivi des mesures adaptées.
Rôle d’informateur
21L’analyse des énoncés discutés en groupe par les parents montre que la plupart vivent des situations de malaise dans le rôle d’informateur. Cela est dû d’abord à la nature des exigences, aux tâches intrinsèques et aux activités d’information :
- sur les ressources alternatives en dehors de l’école ;
- sur l’utilité des messages transmis par l’école ;
- sur des solutions, des trucs et des recettes en contextes spécifiques ;
- sur la manière de reformuler les objectifs pour permettre une compréhension mutuelle entre les différents acteurs de la communauté ;
- sur les forces de l’élève et sur les atouts en commun ;
- pour construire une image positive de l’enfant.
22Il est intéressant de voir comment les parents comprennent et interprètent les problématiques liées au partenariat école-famille-communauté. La plupart des parents perçoivent la participation de l’école comme insuffisante. Ils militent alors pour faire reconnaître l’influence de la famille sur le cheminement scolaire, clarifier le cadre [5] du partenariat et harmoniser les priorités d’intervention commune. Or, pour les élèves en difficulté d’attention, il n’existe pas de diagnostic clair sur leurs caractéristiques et habiletés. Parents et enseignants doivent compter sur la régularité de leurs échanges d’information ou sur la stabilité de leurs rapports de collaboration.
23Cela est aussi dû au défi des compétences. Pour être efficace et aider les enseignants à atteindre des résultats cohérents, les parents doivent proposer des informations complémentaires.
24Car, à l’heure actuelle, l’aspect de la complémentarité n’est pas toujours perçu par tout le monde comme étant prioritaire. La logique des cas et exemples particuliers l’emporte souvent :
« Quand l’enfant essaie justement quelque chose de nouveau (veut, veut pas), on le surcharge avec beaucoup d’explications […] Ce qu’on dit et on entend souvent est : “ Ah, mon Dieu! Ne fais pas ça, ça, ça. Tu vas te perdre ”. C’est comme si chacun de nous ne part que de son vécu avec un enfant, au cours de sa vie ».
26Les propos formulés par les parents montrent que cette logique prend des proportions importantes lorsqu’il y a manque de confiance. Les différents protagonistes se questionnent en effet autour des outils susceptibles de modifier les attitudes et leurs marges de confiance mutuelle :
« Là, j’ai demandé : “ je ne comprends pas que vous n’aviez pas dans les écoles du temps pour éduquer les professeurs là-dessus. Qui sont ces enfants-là ? ” Des fois, quel que soit le problème qu’ils ont, que ce soit n’importe quel problème, ça se résume à une chose : ne surtout pas les rejeter. Essayer de les organiser ces enfants-là ! ».
28Les relations entre parents et professionnels sont rarement caractérisées par un climat de franche collaboration. Elles semblent plutôt dominées par des histoires d’échecs, et particulièrement par la somme de croyances sur les compétences déficitaires des familles. Il est vrai que tous les parents n’ont pas le même niveau de compréhension des difficultés de leur enfant. Les limites dans la compréhension de ces difficultés peuvent devenir un obstacle, dans l’observation des aspects de la vie de l’enfant en dehors de l’école.
29Dès lors, le contexte d’interaction entre parents (lors d’une expérience du groupe de discussion) revêt un sens spécifique, en termes de valorisation individuelle d’abord, mais surtout en termes de renforcement et d’« empowerment ». En découvrant la détresse d’autres parents plus expérimentés (en regard du nombre d’années de suivi de leur enfant dans le système scolaire), plusieurs parents découvrent leurs propres capacités et s’expriment mieux dans leur rôle d’informateur. Ils s’éveillent aussi à leurs propres forces, dans la mesure où ils peuvent contribuer davantage au système scolaire sur les services à accorder à leur enfant : enrichir le tableau de connaissance des besoins de l’enfant, en fonction des caractéristiques de ce dernier dans des contextes variés, renforcer le pouvoir de décisions en montrant aux acteurs du système scolaire combien les parents croient eux-mêmes à leur enfant, à son potentiel, ainsi qu’aux services attendus du système scolaire :
« Moi, j’ai dit : “ Écoute, on va appeler la commission scolaire. […]. Ça ne se peut pas, quant à l’envoyer à St-Michel”. […] J’aimais mieux faire le tour des écoles et leur demander ce qu’ils avaient à offrir. […] C’est là qu’ils ont convoqué une grande réunion avec le monsieur de l’adaptation scolaire, le docteur. En tout cas, on était surpris. Et tout à coup, Max est devenu l’élève le plus fin de l’école pour des raisons que j’ignore ».
31Il a été possible de constater, en partant des échanges, que le fait d’évoluer au sein d’une communauté a aidé les parents à apprendre les uns des autres, de même qu’à exprimer plus aisément leurs perceptions des difficultés d’attention. Selon les parents, ces caractéristiques sont plus complexes que celles décrites par les professionnels du milieu scolaire :
« Tout ce qu’il entend, c’est tout en même temps. Il n’est pas capable de se concentrer. Quand on dit “ pas capable”, ce n’est pas des farces, il n’est pas capable. Le professeur va lui demander de sortir son cahier bleu à côté du cahier vert. Il comprend vert et là, il ne le sort pas ».
33Le manque de concentration entraîne une désorganisation : « les enfants en difficulté d’attention ne peuvent fonctionner normalement, ils n’arrivent pas à écouter ce qu’on leur dit, à suivre les consignes, à répondre aux questions. Du coup, ils vivent des situations de rejet, d’exclusion : ils sont pointés du doigt et se font chicaner » (énoncé, 2002).
34À l’instar de leurs enfants, les parents développent divers mécanismes de défense ; ils s’enferment « dans leur monde », leur « boîte » ou encore préparent des réponses toutes faites aux questions qu’on leur pose, sans toutefois que celles-ci correspondent aux attentes de l’enseignant.
35Pour les parents, ces réalités sont souvent incomprises par les enseignants. Elles relèvent d’un schème général qui a une incidence directe sur leur « estime de soi » et une conséquence directe sur l’adaptation au caractère évolutif des difficultés d’attention de leur enfant. L’interaction entre parents aide à mettre en lumière un faisceau de facteurs interconnectés dans une relation de cause à effet, dont l’aboutissement demeure à ce jour pressenti comme inévitable : l’exclusion scolaire et sociale de leur enfant. L’image externe de l’enfant s’impose alors comme sujet de discussion avec le personnel enseignant, aussi bien qu’entre pairs et parents. Elle devient une source majeure de ralliement entre parents, au-delà des particularités de leur enfant. Les lacunes constatées chez l’enfant (manque de concentration, turbulences, agitation, désorganisation, etc.) sont certes une pierre d’achoppement pour le fonctionnement des classes, mais elles seraient en grande partie amplifiées par les défaillances de l’estime de soi. Aussi doivent-elles faire l’objet d’interpellation de l’ensemble des acteurs. En définitive, le rôle des parents s’avère être ambiguë : autant ils souhaitent être écoutés comme informateurs, autant ils semblent craindre d’être mis devant les exigences et détails de l’expertise.
Rôle dans la communication et le développement de l’écoute
36Dans le rôle de promoteur de la communication, les parents affrontent surtout le défi des habiletés interpersonnelles. Quelles stratégies doivent-ils accentuer, sur quelles compétences doivent-ils se baser pour fonctionner adéquatement et convaincre les professionnels de l’intérêt d’agir ensemble autour des objectifs communs ? En effet, en dehors du cadre légal du Plan d’intervention, parents et enseignants partagent rarement des optiques convergentes portant attention aux besoins mutuels de soutien. Les recherches menées auprès de ces catégories d’acteurs montrent pourtant que de chaque côté existent des attentes et souhaits de trouver des alliés sûrs à l’intérieur comme à l’extérieur du système scolaire :
« Il faut travailler fort. Il faut que la direction soit […] en connivence avec nous. Il faut qu’on marche ensemble parce que si on attend qu’il se passe quelque chose, il ne se passera rien. Ça, c’est évident ».
38Dans le contexte des communautés d’apprentissage, cela doit être facilité par les priorités communes fixées pour la poursuite des actions en groupe.
39Le groupe dont les énoncés ont été analysés, étant constitué uniquement de parents, disposait de toute latitude de parole (Hansotte, 2002) pour montrer la capacité de partager des préoccupations communes en faveur de leur enfant, sans la présence embarrassante des professionnels. Aussi a-t-il été possible de lire sous un certain angle la détermination des parents :
« Je pense que, surtout nous, en tant que familles d’accueil, je pense qu’on n’a pas le choix de faire toutes les démarches pour justement que les enfants soient capables de fonctionner autant à l’école qu’ailleurs ».
41Le sens des démarches des uns et des autres se règle sous forme d’un contrat implicite qui s’enrichit des rôles joués par chacun aussi bien dans l’interaction dialogique immédiate que dans les échanges multiples avec les milieux scolaires (Kellerhals, & Montandon, 1991 ; Zaouche-Gaudron, Ricaud, Granié, & Beaumatin, 1997). Dans ce cercle où les parents se sentent presque entourés uniquement par des intimes, ils laissent leur imagination aller vers des formes alternatives de communication ou d’intervention. Ils font émerger de nouvelles facettes de leur identité pour être prêts à s’asseoir avec des équipes multidisciplinaires :
« Moi, à l’école où mes enfants allaient, à St-Denis, on avait formé un groupe multidisciplinaire pour les deux groupes. Tu avais un psychologue, tu avais un aide social, tu avais la direction de l’école, le tuteur et il y avait moi. On était cinq et il y avait le jeune qui des fois était convié à la réunion et des fois non. Ça, c’était bien, parce qu’on mettait tout le monde au courant ».
43L’éveil personnel du point de vue des compétences communicationnelles aide plusieurs parents à se rappeler collectivement la place de leurs valeurs, des comportements souhaités, des résultats attendus, de l’organisation des services efficaces ainsi que l’obligation de miser sur les atouts de la coopération :
« Mais tout le reste, toutes les autres écoles, j’ai toujours eu une belle coopération autant avec les professeurs que la direction. Mais, je pousse toujours. “ S’il y a de quoi, vous m’appelez. Je vais reprendre ça” ».
45Les propos formulés dans ce genre d’échanges aident chaque parent à se sentir valorisé par ses pairs. Cela devient une base pour formuler des revendications spécifiques :
- avoir la charge d’établir un climat de confiance au départ et créer des liens ;
- donner des exemples des forces et possibilités en dehors de l’école ;
- défendre les besoins de l’enfant et des attentes des parents ;
- insister sur les attentes des parents et des groupes de défense de parents face aux exigences du système scolaire ;
- sur les forces de l’élève et sur les atouts en commun ;
- assurer la rétroaction critique par rapport à des activités précédentes
- établir une communication qui aille au-delà des rencontres officielles ;
- harmoniser les interventions pédagogiques de part et d’autre ;
- soutenir la volonté de collaboration des parents ;
- renverser le désintérêt et l’insouciance des enseignants qui ne s’engagent pas ;
- renouveler le personnel enseignant pour éviter que son vieillissement et sa fatigue rendent difficiles les relations entre les parents et les enseignants ;
- former les parents afin que tous puissent apporter leur aide.
46Dans le propos des parents, le rôle relatif à la communication et à l’écoute mutuelle doit être élargi à plusieurs activités pour s’assurer de fournir de meilleurs services à l’enfant. La communication demande de grandes habiletés. Elle peut contribuer à solidifier les liens entre l’école et les membres de la communauté. Pour fonctionner, elle exige divers mécanismes de réciprocité, en fonction de la personnalité des acteurs, de leurs attitudes, de leurs besoins et des ressources disponibles. Pour les parents, la communication avec les professionnels n’a de sens que dans la mesure où elle facilite la relation d’aide en faveur de leur enfant. La chaîne de coopération devrait alors rester ininterrompue. Cela n’est pas toujours possible ni réalisable, à cause de la surcharge et de l’épuisement qui guettent autant ces parents que les enseignants.
Rôle d’audit et suivi des mesures adaptées
47La lutte que mènent les parents contre l’incertitude augmente les risques de désaccord entre le milieu familial et le milieu scolaire. L’action globale des parents s’inscrit avant tout dans une telle lutte certes, mais elle s’oriente vers toute recherche de solutions partout où ces dernières semblent accessibles. C’est dans ce sens qu’il faudrait lire les suggestions énoncées par quelques parents :
« C’est de demander au professeur si tu l’as cette année-là. Avoir un genre de petit plan d’intervention qui dit que si ça ne va pas à la première, pourquoi ? Pour qu’on soit au courant de ce qui se passe ».
49La mesure du Plan d’intervention (MELS, 2007) n’est pas citée par hasard. Elle apporte des approches misant sur la qualité des interventions et des services que le système professionnel est sensé offrir aux parents et à leur enfant. Elle constitue un instrument important dans le suivi des changements. Comme ressort d’action et instrument stratégique, le Plan d’intervention prend en effet une grande place. Cela correspond tout à fait à l’esprit de la loi du Québec sur l’Instruction publique (MEQ, 2003) qui prévoit une mesure de planification afin de stimuler des actions coordonnées, dans une démarche de concertation. Comme le rappelle le document du Ministère de l’éducation (1999), ce plan envisagé pour être au service de la réussite de l’élève repose sur la mobilisation de tous les acteurs concernés (élève, enseignant, parent, gens de la collectivité, etc.), afin de trouver ensemble des solutions adaptées aux difficultés et risques d’échecs. La mise en place des ressources d’adaptation nécessite des prises de décisions avec la collaboration de tous les membres de la communauté éducative (MEQ, 2003). Le discours sur la valeur de plans d’intervention apporte une dynamique positive dont les effets vont au-delà des applications pédagogiques et communicationnelles. Pourtant, ce ne sont pas tous les parents qui en entendent parler au quotidien. Certains en ont entendu parler sans nécessairement voir des liens avec leurs intérêts, avec les services à recevoir. Toutefois, le seul fait d’évoquer et d’expliquer le Plan d’intervention, ses étapes et son protocole dans une assemblée réunissant des parents en discussion constitue un fond d’expertise et un objet de formation continue de parents par leurs pairs. Ce genre de discours offre à tous une voie de renseignement sur les étapes inévitables lorsque l’on désire investir dans l’amélioration de la qualité de services pour élèves ou enfants en difficulté d’attention :
« Même un moment donné, on a fait un calendrier et il avait des comportements à améliorer, comme faire tes devoirs en une heure parce que ça prenait trop de temps. Rester à table pour souper. Pendant le souper, pas se lever. Une fois que tu es couché, tu ne peux pas te lever. Toutes des choses comme ça. Tu fais un soleil par chose et au bout de la semaine, mettons, que tu avais maximum six soleils par jour. […]À la fin de la semaine […] Ça pouvait des fois être, veiller une demi-heure plus tard que les autres ou écouter une émission tout seul avec moi ou je lisais une histoire. Quelque chose comme ça ».
« Moi, à l’école, il y en a à qui je demande une feuille, justement pour savoir ce qui est… Pour leurs comportements, parce que je sais qu’ils en ont besoin d’une. Donc, je demande au professeur : “ Ça serait peut-être bon qu’il ait une feuille de route”. Comme faire des plans d’intervention, ces choses-là. Ça, j’ai toujours eu ça ».
52Dans le même ordre d’idées, l’élaboration d’une feuille de route est aussi considérée comme un geste de prévention, centré sur la protection des intérêts de l’élève et de sa famille. Cela permet aussi de garantir l’adaptation et l’avancement de l’élève, conformément aux objectifs de performance fixés par le système éducatif :
« Il faisait des gros progrès. Ça faisait trois ans qu’à partir de mars cet enfant-là était suspendu toutes les semaines. 2 jours. 3 jours. 2 jours. 3 jours. Et là, on disait… L’intervenante, la travailleuse sociale a commencé à regarder tous les rapports pour voir si au mois de mars, dans sa vie, il ne s’était pas passé quelque chose d’effrayant pour que cet enfant-là, en mars… […]Ben bon ! On a fait en avril. Depuis ce temps-là, […]Il a terminé l’année. Il a fait des acquis. Il a appris plus à écrire. Il compte.[…] Ils l’ont réintégré dans leur groupe. Ils se sont aperçus de qui était cet enfant-là ».
54En définitive, ce que les parents apprennent des autres, c’est surtout la capacité d’analyser les situations, de manière à mieux se contrôler comme intervenants auprès de leur enfant, mais surtout de manière à assurer le suivi des services prévus :
« Souvent les enfants qui ont des problèmes de trouble d’attention, d’hyperactivité ou autres, des problèmes de vécu qu’ils ont eus, il faut s’entendre, on est une famille d’accueil. Souvent, ces enfants-là ces choses pour qu’on puisse les aider dans leurs études à la maison, mais ils ont beaucoup de sanctions comme ça. “ Non, tu n’amènes pas ça, sinon ça ne revient pas”. On ne peut pas, ne serait-ce que l’agenda… Ça, on n’a pas de support là-dessus ».
56C’est seulement à ce prix que des résultats peuvent leur être garantis :
« La réussite ça ne fera pas la plupart des premiers ministres, peut-être qu’oui, on ne sait pas ce qui va arriver à ces enfants- là. Mais les résultats, je trouve que ce n’est pas si important que ça. […] on aide dans la mesure où les enfants sont capables de comprendre et de cheminer là-dedans et tout ça. Mais l’important, c’est que ces enfants-là soient bien dans ce qu’ils vivent, tous les jours. C’est de ne pas avoir d’étiquettes ».
58Il est clair que les parents s’influencent en insistant certes sur les vertus de la coopération ou de la collaboration, mais en se rappelant surtout combien il est important de jouer un rôle de contrôleur :
- noter chaque changement, chaque progrès ;
- veiller aux étapes dans l’application des mesures favorables à la réussite ;
- inviter d’autres parents de la classe et de l’école à être vigilants ;
- contribuer à généraliser les apprentissages pour une application extrascolaire, dans la famille, dans le quartier, etc.
Évolution des rôles sous la pression des besoins
59Parmi les rôles exercés par les parents, celui d’informateur semble plus complexe, non seulement parce qu’il exige de bien connaître l’enfant et l’évolution des besoins d’intervention, mais aussi parce qu’il nécessite un suivi attentif dans toutes les sphères de l’écosystème. En investissant dans un groupe centré sur l’enrichissement mutuel (par le dialogue, la discussion), les parents semblent relever ensemble le défi de la valorisation des différences ainsi que des rôles sociaux. Ils ont appris de leur pouvoir commun tout en tirant profit des faits venant de l’ensemble des contextes dans lesquels ils évoluent.
60L’émergence des aspects de l’information va de pair avec l’évolution des compétences communicationnelles et sociales. Les parents s’expriment en effet en faisant souvent référence à leurs expériences de vie (par exemple : le rang de l’enfant dans leur famille) et la durée comme membre de la communauté de référence. L’évocation des expériences de l’enfant en difficultés d’attention dans plusieurs contextes et sphères microsystémiques n’intervient qu’à l’issue d’un constat de rejet, de fermeture du système scolaire.
61Par ailleurs, l’information distribuée au sein du groupe de parents n’est pas exempte de l’influence des médias qui occupent de plus en plus une place de choix dans la vie quotidienne des parents et de leur enfant : les médias modifient aujourd’hui le langage des parents, leurs choix techniques, éducatifs et idéologiques. Les rôles joués par les parents dans le groupe conçu comme une communauté d’apprentissage apportent un enrichissement concret susceptible de restaurer pour chacun une confiance dans les dispositifs de l’apprentissage dans la réciprocité (Bouchard, & Kalubi, 2000).
62Reprenant à son compte une lecture spécifique de la théorie de l’agir communicationnel de Habermas (1987), Bouchard (1996) a mis en évidence l’intérêt d’une pédagogie sociale qui laisserait plus de place aux parents. Or l’analyse des rôles présentés ci-dessus montre l’importance des rôles stratégiques dans lesquels peuvent camper certains acteurs en fonction de leurs prétentions au pouvoir. L’entraînement à la coexistence pacifique (tel que le permettent les expériences de communauté apprenante) devient alors un atout dans une chaude lutte dont l’enjeu n’est pas l’affirmation individuelle, mais bien l’exposition du monde vécu des parents. La communauté d’apprentissage apporte aux parents réunis un espoir : la possibilité de construire un monde commun dans le but de convaincre enseignants et divers professionnels de la nécessité de croire aux parents, à leur potentiel, à leur volonté d’œuvrer à l’amélioration de l’environnement scolaire dans son ensemble.
63La plupart des parents confient qu’une formation adéquate du personnel enseignant pourrait faciliter l’amélioration des services offerts à leur enfant. Ils ne remettent pas en cause pour autant les compétences des enseignants ; ils insistent plutôt sur une dimension jugée pauvre en d’autres circonstances par les enseignants eux-mêmes : la compétence partenariale ou la compétence collaborative. En multipliant les rencontres de groupe et des discussions d’ordre communautaire, ils se donnent les moyens de se soutenir au chapitre du développement des compétences. Ils créent un cadre permanent de référence justifiant la mise en commun des ressources. Ils mettent ainsi l’accent sur la croissance et l’amélioration des possibilités de leur bien-être familial. Sans une telle approche, tous les obstacles explicites ou implicites entretiendraient une zone de conflits dont l’ampleur nuirait non seulement à l’application de leurs valeurs, mais amèneraient davantage des problèmes.
Conclusion
64La communauté d’apprentissage traitée dans ce texte a comme principale caractéristique l’organisation de la participation de parents à un forum autodirigé. Bien avant la rencontre de recherche (avec l’approche DRAP), ces parents se retrouvaient déjà entre eux avec comme préoccupation de trouver des solutions aux problèmes scolaires de leurs enfants vivant avec des difficultés d’attention. Leurs efforts collectifs ont toujours été orientés vers la défense des intérêts communs. Cela explique leurs arguments qui convergent et témoignent d’un profil identitaire cohérent. Il ressort de nos analyses que le cours de vie des familles est sensiblement perturbé par la situation des services offerts à l’élève vivant avec des difficultés d’attention. La volonté démontrée par les parents de construire ensemble des voies alternatives est encouragée par les dispositions actuelles des réformes qui replacent le plan d’intervention au cœur des dispositifs de soutien et recommandent une recherche continue des pistes de solutions répondant aux attentes des familles, et non seulement aux attentes du système scolaire.
65Grâce aux dispositions structurées pour les besoins de recherche, il a été possible de suivre les parents reconstruisant le fonctionnement de leur communauté. La préoccupation commune de ces parents réunis au sein de la communauté d’apprentissage consiste à créer des conditions durables favorisant la résolution de problèmes (Beckman, 1996 ; Bronfenbrenner, 1979), même si ces derniers viennent surtout du fonctionnement intrinsèque du système scolaire. Concernant le statut de rencontres de groupe, il est important de souligner qu’il n’existe pas de déclaration officielle d’adhésion à l’entité désignée comme communauté d’apprentissage. Aucun parent n’a en effet signé un formulaire pouvant lui donner le droit d’apprendre et de faire apprendre quelques stratégies aux autres parents, en foi de quoi son expertise serait plus reconnue que celle d’un autre. Il s’agit plutôt de l’aboutissement d’initiatives personnelles, du « leadership » d’un ou de plusieurs parents qui se sont assidûment appliqués à leur quête de reconnaissance vis-à-vis des exigences du système scolaire. Leurs préoccupations communes et leurs constats respectifs ont mis en évidence des questions qui ont servi de moteur de discussion. La répétition de ces discussions est une question de confiance mutuelle stimulée, dans une situation ou des gens désavantagés par les mécanismes des services publics recherchent de manière informelle des appuis, des voies de soutien. Au cours des séances d’échange, la plus grande part des transferts de compétences qui font évoluer les uns et les autres relève de ce que Pourtois et Desmet (2004) appellent « l’éducation implicite ». L’analyse des rôles de protagonistes montre combien tout tourne autour de la place du rôle d’aidant : le rôle de ceux qui influencent le cours d’action ou le cours de vie des autres. Sans l’animation active de ceux qui ont la facilité de prodiguer des conseils à d’autres, il n’y aurait aucune possibilité de parler de communauté d’apprentissage réunissant uniquement des parents d’enfants qui vivent avec des difficultés d’attention. Il reste cependant beaucoup de travail d’analyse à poursuivre pour mieux comprendre les mécanismes de l’influence et saisir comment la valorisation de certains rôles détermine toute organisation de la participation des parents.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : apprentissage, relation école-famille, rôles des parents, communauté, difficultés d'attention
Mise en ligne 01/10/2011
https://doi.org/10.3917/rief.023.0103Notes
-
[1]
Jean-Claude Kalubi, Professeur titulaire à la Faculté d’Éducation, Université de Sherbrooke. Directeur du département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale 2500 Boul. Université, Sherbrooke (Québec), J1K 2R1, Canada
Courriel : jc.kalubi@usherbrooke.ca -
[2]
Jean-Marie Bouchard, Professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche sur la réadaptation de Montréal (Québec, Canada).
Courriel : jean-marie@videotron.ca -
[3]
Le présent texte se base essentiellement sur les expériences de partage avec les groupes de parents rencontrés au Québec (Canada) le 23 juin 2005.
-
[4]
« Lorsque les parents ne sont pas capables de s’occuper de leurs enfants, ils sont alors confiés à des familles d’accueil étrangères par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). […] Le rôle de la famille d’accueil est essentiellement un rôle de parent substitut. C’est un rôle qui se situe dans le temps, ce que la famille d’accueil se doit de ne pas oublier. Son rôle est d’accompagner un jeune dans son cheminement, selon ses besoins identifiés, et ce, pour un temps plus ou moins long. […] La famille d’accueil doit être attentive au développement affectif du jeune en l’acceptant tel qu’il est, en le respectant et en lui portant confiance et affection » (Fédération des familles d’accueil du Québec [FFAQ]). [En ligne] Accès : http://www.ffaq.ca/ethique.htm.
-
[5]
Il faut reconnaître que depuis la réforme, qui a permis la création des conseils d’établissement, les parents d’élèves présentant des difficultés de divers ordres possèdent un cadre d’action permettant d’explorer quelques zones d’influence pour montrer leurs propres capacités, rôles et responsabilités.