1L’entrepreneuriat constitue ces dernières décennies un enjeu de développement et un moyen privilégié pour atteindre les objectifs du développement durable. Il joue un rôle primordial dans la création d’emplois, la croissance économique, la réduction de la pauvreté et l’égalité des sexes. De façon spécifique, l’entrepreneuriat des femmes bénéficie d’un intérêt croissant des institutions internationales, des gouvernements et des organisations locales de développement. En effet, l’entrepreneuriat des femmes apparaît comme un moyen d’autonomisation, d’élargissement de leurs opportunités ainsi que de renforcement de leurs contributions à la production nationale et à la création d’emplois productifs.
2Malgré l’importante contribution des femmes au fonctionnement des divers secteurs économiques, leurs apports à la production et plus spécifiquement au produit intérieur brut (PIB) sont minimisés : 98 % des femmes béninoises opèrent en effet dans le secteur informel. Or, des études sur l’économie informelle mettent en évidence l’absence d’une rationalité économique pouvant engendrer une accumulation de capital telle que celle observée dans l’économie des pays occidentaux (Boserup, 1983 ; Cordonnier, 1992 ; Muchnik, 1990 ; Coquery-Vidrovich, 1994). D’autres travaux (Rathgeber, 1988 ; Rogers, 1980 ; Young, 1990) réfutent la thèse de la valorisation du travail domestique féminin et, par conséquent, de son apport à la création de la richesse nationale dans les pays d’Afrique subsaharienne.
3Cet ouvrage apporte un éclairage sur l’entrepreneuriat des femmes comme enjeu du développement socio-économique au Bénin. Il offre l’avantage de s’appuyer sur une démarche pluridisciplinaire, au carrefour de l’économie, de la sociologie et de l’anthropologie. Yvette Onibon Doubogan discute les données de l’enquête modulaire intégrée sur les conditions de vie des ménages (EMICoV) de 2011, du deuxième recensement général des entreprises (RGE 2) de 2010, puis des entretiens individuels approfondis et de groupes réalisés auprès des femmes exerçant principalement dans les villes de Cotonou, Porto-Novo et Parakou, pour démontrer comment elles sont devenues actrices à part entière d’une économie en construction grâce à leur capacité à percevoir et à saisir des occasions d’affaires.
4L’ouvrage examine l’efficacité des politiques publiques de promotion des activités économiques des femmes en insistant sur les obstacles qui entravent le développement de l’auto-emploi et de l’entrepreneuriat des femmes dans le contexte particulier du Bénin. Il démontre, à partir d’une analyse diachronique, que l’histoire de l’entrepreneuriat féminin remonte à la période du commerce caravanier, notamment par l’implication des femmes dans le secteur agricole et leur rôle prépondérant dans la commercialisation du palmier à huile. S’il est vrai que la crise sociopolitique et économique des années 1980 a eu pour conséquence l’aggravation des discriminations sociales basées sur le genre et la réduction systématique des opportunités d’auto-emploi chez les femmes, l’auteure soutient que ce n’est qu’à partir des années 1990 que les gouvernants béninois ont véritablement manifesté un intérêt pour la promotion de l’entrepreneuriat féminin. Toutefois, elle note que les nombreuses politiques mises en œuvre manquent de cohérence et que leurs effets sur l’entrepreneuriat féminin restent limités, entraînant de fait la nécessité de concevoir des dispositifs de soutien plus adaptés aux défis et enjeux auxquels sont confrontées les femmes.
5L’analyse du parcours des femmes révèle que la plupart d’entre elles n’ont pas reçu de formation professionnelle à l’entrepreneuriat. De nombreuses femmes appartenant à des familles de tradition marchande ont ainsi construit leur carrière en observant leurs parents exercer cette activité. Néanmoins, Onibon Doubogan démontre que la combinaison de l’apprentissage traditionnel et de la formation professionnelle en entreprise permet d’obtenir une génération moderne de femmes entrepreneures qui exploitent judicieusement à la fois les connaissances acquises dans les universités et les expériences accumulées par la pratique pour renforcer leurs compétences managériales. On les appelle les « Golden lady’s ».
6Pour analyser les déterminants de l’entrepreneuriat féminin, l’auteure s’inscrit dans la perspective des travaux de Yueh (2009), confrontant des variables socio-démographiques (lieu de résidence, âge, expérience, statut matrimonial, nombre d’enfants et niveau d’instruction) et économiques (accès au microcrédit, revenu mensuel du conjoint, situation de richesse du couple, emploi). Les données de terrain révèlent par exemple que lorsque les femmes n’ont aucun niveau d’instruction, elles entreprennent beaucoup plus ; et que la capacité entrepreneuriale de la femme est réduite lorsqu’elle a plus de trois enfants en bas âge.
7L’ouvrage apporte une contribution cruciale sur l’impact de l’entrepreneuriat des femmes sur le développement humain et social. L’application de l’estimateur ATT du Kernel Matching montre que l’entrepreneuriat féminin contribue de 5,6 % à la réduction de la pauvreté. L’entrepreneuriat des femmes constitue un facteur primordial à leur autonomisation et engendre de profondes mutations dans les relations de genre. Les femmes entrepreneures sont ainsi moins perçues comme des membres du « sexe faible » que comme des actrices capables d’apporter une « plus-value » à la cellule familiale et, de ce fait, au développement de la société.
8L’auteure relève l’existence de plusieurs défis pour l’évolution de l’entrepreneuriat féminin au Bénin. Les femmes entrepreneures sont confrontées à l’insuffisance de capital, à une concurrence inéquitable (par rapport aux hommes), à des préjugés culturels relatifs à leurs capacités managériales, à des difficultés d’accès à l’information économique et à des difficultés d’ordre réglementaire et législatif. Elle propose comme solution à ces défis, d’une part, une approche visant au renforcement des capacités des femmes à la gestion et à l’innovation pour faire face aux évolutions du marché ; d’autre part, la valorisation des savoirs et savoir-faire, et un lobbying auprès de toutes les catégories sociales, pour une participation accrue des femmes aux instances de décision à tous les niveaux. Toutefois, elle manque de mettre l’accent sur la nécessité de définir des politiques et stratégies capables de favoriser un « entrepreneuriat de qualité » plutôt qu’un « entrepreneuriat de masse » (Hessels et al., 2008) basé sur l’auto-emploi et l’économie informelle.
9Ainsi, l’ouvrage constitue un véritable outil de diagnostic et d’aide à la prise de décision pour les gouvernants et pour les acteurs de développement. Il apporte des réponses aux questionnements sur la problématique du développement social et inclusif au Bénin et renforce la nécessité d’œuvrer pour accroître l’autonomisation économique des femmes. Toutefois, il manque d’analyser l’entrepreneuriat non productif qui se caractérise par des mécanismes diminuant la richesse de l’ensemble de la société à travers des rentes produites par des activités marchandes illégales (Banque africaine de développement, 2011). En effet, s’il est vrai que l’auteure met en évidence les capacités des femmes entrepreneures à contribuer à la productivité et à la création de la richesse nationale, il n’en demeure pas moins qu’elle n’interroge pas la « qualité » de l’entrepreneuriat des femmes qui semble bien s’inscrire dans la perspective d’un entrepreneuriat « à tout prix » (Shane, 2009) ou d’un entrepreneuriat « par nécessité » (Tersier Dargent, 2015). Une analyse des conceptions et types d’entrepreneuriat, qu’il soit productif, non productif ou même destructeur (Baumol, 1990), aurait permis à l’auteure de mieux apprécier les effets de l’entrepreneuriat des femmes sur le développement au Bénin.