Notes
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[1]
Le Botswana, l’Éthiopie, le Lesotho, le Malawi, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie.
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[2]
‘Political settlements’ can be defined as ‘a combination of power and institutions that is mutually compatible, and also sustainable in terms of economic and political viability’. (Khan, 2010 : 4).
1Depuis les années 2000, et plus sûrement encore depuis une dizaine d’années, la protection sociale est au cœur de la reconfiguration du paradigme de l’aide internationale, érigée comme moyen privilégié pour atteindre les objectifs du développement durable (ODD).
2La multiplication récente des programmes de protection sociale en Afrique subsaharienne nécessite de développer un cadre réflexif sur les processus en œuvre. Or, la littérature existante reste largement centrée sur des questions techniques impulsées par les besoins des partenaires techniques et financiers (questions de ciblage, d’efficacité et d’impact notamment). En outre, les modèles analytiques développés antérieurement ne conviennent que partiellement à l’analyse des évolutions de la protection sociale en Afrique en raison d’un contexte historique, économique, politique et institutionnel spécifique.
3Ainsi, l’ouvrage intitulé The Politics of Social Protection in Eathern and Southern Africa apporte un éclairage nécessaire et original sur la construction politique de la protection sociale en Afrique subsaharienne. Son ancrage en économie politique le démarque de la littérature techniciste dominante et complète ainsi utilement la littérature existante.
4Le principal résultat de l’ouvrage est de montrer que le processus de promotion, de contestation et de mise en œuvre de la protection sociale dans les pays étudiés revêt un caractère négocié à un double niveau : celui de la nature transnationale de la gouvernance et celui de l’interaction entre gouvernants et gouvernés. En outre, si, dans les pays en développement, la dualité national/international des processus de décision a souvent été soulignée, la principale conclusion de l’ouvrage prend le contre-pied des constats habituels en soulignant que les impératifs politiques nationaux l’emportent sur les pressions externes dans la définition des politiques nationales de protection sociale et de leurs modalités de financement.
5Afin de démontrer cela, l’ouvrage adopte une démarche empirique qualitative, mobilisant essentiellement des entretiens auprès d’acteurs clés et retraçant l’histoire des systèmes de protection sociale observés. Les auteurs produisent sur cette base une analyse comparative des processus politiques de mise en place de programmes de transferts monétaires dans huit pays d’Afrique de l’Est et Australe [1] qui en reflètent la diversité, en termes de taille de la population, de produit intérieur brut, de taux de pauvreté, de part de l’emploi agricole, de dépendance à l’aide et de qualité de la démocratie.
6La perspective adoptée par l’ouvrage associe étroitement l’analyse de l’évolution des structures économiques et politiques à celle des régimes de protection sociale. Les auteurs s’inscrivent en cela dans la lignée des approches sur les études des caractéristiques spécifiques de la protection sociale en Afrique, lesquelles tiennent à :
- la structure rurale de l’économie, impliquant la prédominance de l’assistance sur l’assurance ;
- la prédominance des risques ruraux et agricoles sur les risques industriels et urbains ;
- les défis de la dé-agrarianisation dans un contexte de changement structurel ;
- l’influence des acteurs transnationaux en interaction avec les acteurs nationaux.
8Du point de vue analytique, l’ouvrage s’appuie sur le concept de « political settlements », définis, à la suite de Khan (2010, p. 4), comme « la combinaison de pouvoirs et d’institutions compatibles entre elles et soutenables tant économiquement que politiquement [2] ». Dans cette perspective, les auteurs soulignent que la protection sociale est alors conçue comme une ressource qui, d’une part, fait l’objet de négociation entre les acteurs et les institutions et qui, d’autre part, est modelée par les stratégies de survie de l’élite politique, les relations clientélistes et les structures locales du pouvoir. Le political settlements est, en outre, par nature dynamique et se transforme sous l’impulsion des changements économiques mais aussi des interactions de pouvoir, des conflits et de leur résolution.
9L’analyse comparative montre que l’accointance entre les idées promues par les bailleurs et celles portées par les équilibres politiques nationaux joue un rôle crucial dans l’adoption et l’extension des programmes d’assistance sociale. De la même façon, la capacité pour les partisans de la protection sociale à forger des coalitions cohérentes regroupant des acteurs internationaux, des hommes politiques et des représentants de la société civile, ainsi que l’ancrage de ces personnes dans des positions clés du political settlements, influent de façon décisive sur l’adoption de programmes nationaux de transferts monétaires.
10Ainsi, bien que l’influence des acteurs internationaux soit décisive pour impulser des programmes pilotes de protection sociale, leur mise à l’agenda politique national est nécessaire pour aller au-delà. Plus particulièrement, les auteurs pointent trois facteurs clés dans l’adoption et l’expansion des programmes de transferts monétaires. Le premier facteur, décisif, repose dans le rôle des élites politiques qui s’emparent de la promotion de la protection sociale lorsqu’elle devient un enjeu de leur propre survie. Le deuxième facteur, de moindre importance en Afrique subsaharienne qu’en Amérique latine, tient au processus électoral et à la pression populaire. Le troisième facteur est l’influence des idées et des idéologies qui imprègnent l’électorat et l’élite politique.
11Les études de cas tendent ainsi à montrer que la mise à l’échelle des programmes pilotes ou les décisions de financement sur ressources nationales sont avant tout liées aux enjeux de politique nationale. Les auteurs concluent à une tendance à la surestimation du pouvoir des acteurs internationaux dans les études antérieures. Ils l’expliquent par la moindre dépendance à l’aide internationale de l’Afrique subsaharienne contemporaine et la faible coordination des acteurs internationaux. Ils rappellent que les partenaires techniques et financiers reconnaissent eux-mêmes que les réformes, pour impulser un véritable changement, doivent être « appropriées » par les gouvernements nationaux.
12Ainsi, l’ouvrage apporte une contribution décisive à la littérature sur la protection sociale en Afrique subsaharienne. Toutefois, il est centré sur les programmes d’assistance sociale que sont les transferts conditionnels en espèces et ne traite pas directement la question des formes alternatives de protection sociale et les débats clés d’aujourd’hui : assistance vs assurance, ciblage sur critères de pauvreté/ vulnérabilité vs universalité.
Notes
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[1]
Le Botswana, l’Éthiopie, le Lesotho, le Malawi, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie.
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[2]
‘Political settlements’ can be defined as ‘a combination of power and institutions that is mutually compatible, and also sustainable in terms of economic and political viability’. (Khan, 2010 : 4).