1Ce numéro 245 de la Revue internationale des études du développement (RIED) a été conçu et bouclé avant l’apparition de la pandémie, ce qui explique qu’aucun article n’y fasse référence. La crise du Covid-19, survenue au début de l’année 2020, renforce cependant la légitimité d’une réflexion sur la figure héroïsée de ces entrepreneurs-développeurs, dont l’émergence est supposée – enfin ? – garantir un futur radieux pour le continent africain.
2Si, à l’exception notable de l’Afrique du Sud, les pays africains ont été jusqu’à présent relativement épargnés par ce virus (en termes de contaminations et de mortalité), leurs entreprises en supportent cependant les conséquences de plein fouet, du fait des mesures prises par de nombreux gouvernements pour empêcher la propagation de la maladie et du fait de leur connexion au marché mondial pour l’achat des intrants et l’exportation des produits finis. En appliquant une nouvelle méthodologie pour l’analyse des chaînes d’approvisionnement, l’International Trade Center estime ainsi que l’Afrique risque une perte de 2,4 milliards de dollars d’exportations en 2020 en raison de fermetures d’usines à l’étranger (ITC, 2020). De surcroît, la baisse significative des transferts monétaires provenant des migrants en Europe ne peut qu’avoir un impact négatif sur le financement de certaines activités (Gubert, 2020). L’Afrique subsaharienne aura ainsi connu en 2020 sa première récession depuis un quart de siècle, avec un recul du produit intérieur brut (PIB) qui pourrait atteindre 3,3 % (Zeufack et al., 2020).
3Sur ce continent, l’immense majorité des entreprises relève du secteur informel et la plupart d’entre elles sont de petite taille. Ces dernières, pourtant classiquement plus résilientes, ont été particulièrement touchées par la crise. Une enquête récente de l’International Trade Center (ITC, 2020) révèle que deux petites et moyennes entreprises sur trois ont déclaré avoir été fortement affectées par la pandémie, particulièrement du fait d’une réduction des ventes (75 %) ou des difficultés d’accès aux inputs (54 %). On assiste ainsi aujourd’hui à un scénario qui diffère radicalement des crises classiques où l’économie informelle réagissait de façon contracyclique et jouait un rôle d’amortisseur (les ménages recourant à l’économie informelle comme source de revenu principal ou d’appoint mais également pour pouvoir avoir accès à des produits moins chers pour leur consommation). La crise provoquée par le Covid-19 est bien différente : elle frappe plus fortement les entreprises et emplois informels, lesquels représentent 85,8 % de l’emploi total en Afrique (Mbaye & Bamba Diagne, 2020 ; OIT, 2020a).
4Ces derniers sont constitués de salariés non protégés mais surtout d’individus travaillant à leur propre compte, pour une large part des microentrepreneurs vivant de ce qu’ils gagnent au jour le jour (Roubaud & Torelli, 2013). Exerçant souvent leur activité dans la rue ou sur les marchés, compensant la faiblesse de la productivité par un important volume horaire et étant très fortement dépendants de la consommation quotidienne des ménages, ils sont alors sévèrement touchés par les mesures de confinement. Certes, compte tenu de l’hétérogénéité du secteur informel, il faudrait normalement distinguer deux groupes : le premier, constitué d’activités de subsistance, aux performances limitées et sans perspective d’accumulation ; le second, rassemblant les entrepreneurs dynamiques capables de générer des profits substantiels. Pourtant, compte tenu de leurs marges de manœuvre limitées par l’absence de filet de sécurité, du difficile accès aux financements et du fait que leurs débouchés sont en partie liés aux exportations, ils pourraient aussi avoir été fortement et durablement affectés par la crise en cours.
5Dès lors, il apparaît assez illusoire de compter uniquement sur l’inventivité des entrepreneurs africains et la flexibilité de leurs organisations pour renouer avec la croissance et la soutenir durablement dans les prochaines années. Cette crise économique est, en Afrique, avant tout une crise de la demande et appelle donc des solutions dans ce sens. Ce sont d’abord les populations les plus vulnérables qui en pâtissent, dans un jeu qui confine même parfois au « perdant-perdant » (Rizk, 2020), avec des entrepreneurs contraints de s’exposer au risque d’être contaminé pour limiter celui de perdre leurs moyens de subsistance. Or, bien que cette crise ait attiré l’attention – au moins des institutions internationales – sur la grande vulnérabilité de ceux qui travaillent dans l’informel, il n’est pas sûr que les mesures économiques mises en œuvre ou prévues soient à la hauteur des besoins. Les transferts monétaires ciblant les plus vulnérables, quand ils sont mis en place, ont en effet été jusque-là de portée limitée et/ou ponctuelle (OIT, 2020b). Quant aux « plans de relance », lorsqu’ils sont envisagés, ils n’incluent guère les opérateurs de l’économie informelle.
Bibliographie
- Gubert, F. (2020, 19 avril). Covid-19 : double peine économique en vue pour les pays en développement. The Conversation. https://theconversation.com/covid-19-double-peine-economique-en-vue-pour-les-pays-en-developpement-136480
- ITC (International Trade Centre) (2020). SME Competitiveness Outlook 2020: Covid-19. The Great Lockdown and its Impact on Small Business. ITC. https://www.intracen.org/uploadedFiles/intracenorg/Content/Publications/ITCSMECO2020.pdf
- Mbaye, A. A., & Bamba Diagne, C. A. (2020, 7 mai). Sauver l’économie informelle face au Covid-19 en Afrique de l’Ouest. The Conversation. https://theconversation.com/sauver-leconomie-informelle-face-au-covid-19-en-afrique-de-louest-137822
- OIT (Organisation internationale du travail) (2020a, avril). Les conséquences du Covid-19 sur l’économie informelle en Afrique et les mesures prises pour y faire face. Note de synthèse sur les politiques. OIT.
- OIT (Organisation internationale du travail) (2020b). Rapport mondial sur les salaires 2020-21 : salaires et salaire minimum au temps du Covid-19. OIT. https://www.ilo.org/global/research/global-reports/global-wage-report/2020/WCMS_762318/lang--fr/index.htm
- Roubaud, F., & Torelli, C. (2013). Employment, Unemployment and Working Conditions in Urban Labor Markets of Sub-Saharan Africa: Main Stylized Facts. In De Vreyer, P., & Roubaud, F. (Eds.). Urban Labor Markets in Sub-Saharan Africa. The World Bank. https://doi.org/10.1596/9780821397817_CH01
- Rizk N. (2020, June 19). Vulnerabilities Exposed: COVID-19 and Informal Livelihoods in Egypt. medium.com. https://medium.com/the-network-of-centers-collection/vulnerabilities-exposed-covid-19-and-informal-livelihoods-in-egypt-b6f755ea01bd
- Zeufack A. G., Calderon, C., Kambou, G., Djiofack, C. Z., Kubota, M., Korman, V., & Cantu Canales, C. (2020). Africa’s Pulse, 21. https://issuu.com/world.bank.publications/docs/9781464815683