Couverture de RIED_241

Article de revue

Les couloirs humanitaires : un régime d’exception pour gérer des réfugiés « désirables »

Pages 65 à 86

Notes

  • [1]
    À ne pas confondre avec son homonyme désignant des corridors démilitarisés pour apporter l’aide humanitaire aux zones touchées par des conflits armés.
  • [2]
    L’équivalent du ministère de l’Intérieur.
  • [3]
    Face aux retards, ce critère a été plus tard tacitement changé à durée illimitée.
  • [4]
    Un demandeur d’asile est un individu ayant instruit une demande d’asile auprès du pays concerné et en attente d’une décision sur l’octroi de la protection internationale. Un réfugié est une personne dont l’État d’asile a reconnu le droit à la protection internationale.
  • [5]
    Les visas humanitaires forment une catégorie de visas en expansion qui permettent, en fonction du pays, soit une protection temporaire pour la durée du conflit dans le pays d’origine, soit la venue du futur demandeur d’asile pour déposer une demande d’asile et son éventuelle relocalisation dans ce pays.
  • [6]
    Global Refugee Sponsorhip Initiative, 2019, http://refugeesponsorship.org (consulté en octobre 2019).
  • [7]
    Dans d’autres cas, les futurs demandeurs d’asile accèdent légalement au territoire français par le biais d’un visa délivré pour une autre raison, souvent pour le tourisme ou les études.
  • [8]
    La Sûreté générale se réserve le droit d’autoriser le départ du territoire libanais de tout réfugié par l’octroi d’un « exit visa ».
  • [9]
    Notamment l’octroi des visas par le Consulat français au Liban en collaboration avec les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, et la prise en charge par la Sécurité sociale après l’arrivée en France.
  • [10]
    « Agenda du Ministre, du 11 au 19 mars 2017 », ministère de l’Intérieur, https://bit.ly/2I0yMIO (consulté en octobre 2019).
  • [11]
    L’homologue belge des couloirs humanitaires opère à travers une coalition d’églises protestantes, catholiques et orthodoxes, ainsi qu’une communauté musulmane.
  • [12]
    L’Union libérale israélite de France (Ulif), réunie autour de la synagogue Copernic de Paris.
  • [13]
    Nous pouvons ici mentionner un petit-déjeuner de la présidente de Sant’Egidio France avec Emmanuel Macron lors de sa visite à Rome en juin 2018, ou la visite spontanée du consul français à Beyrouth aux bureaux de la FPF et de la FEP en janvier 2018.
  • [14]
    Comme avec La Cimade, d’origine protestante et reconnue d’utilité publique, qui est financée en large partie par l’État et gère des centres d’hébergement et de rétention administrative pour les migrants (La Cimade, 2019).
  • [15]
    À l’époque, on parlait notamment du statut de la protection subsidiaire ; aujourd’hui, on compte parmi ces voies alternatives les visas humanitaires.
  • [16]
    Selon la CNDA, presque 20 % d’appels au refus de la protection internationale sont jugés fondés et résultent dans l’octroi de la protection (Rapport annuel de la CNDA, 2018).
  • [17]
    La Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013.
  • [18]
    Le HCR a élaboré un outil d’évaluation de vulnérabilités, disponible sur : https://bit.ly/2OSBKgI (consulté en octobre 2019).
  • [19]
    Avant juin 2018, seules 3 personnes sur 129 sont arrivées isolées en France. Les 126 personnes restantes faisaient partie des familles.

Introduction

1Le pic de l’arrivée des migrants en 2015 en Europe précise les contours d’une question de société communément appelée et médiatisée depuis comme « la crise migratoire ». Entre les gouvernements européens concernés par ces flux et censés assurer la sécurisation des frontières, et les acteurs associatifs qui souhaitent venir en aide aux migrants arrivant en Europe (Cusumano et Gombeer, 2018), l’année 2015 marque un tournant dans la politisation et l’humanitarisation de la frontière européenne par les acteurs étatiques et non étatiques, amorcées depuis le début des années 2000 (Cuttitta, 2017). Ces mutations s’inscrivent dans une criminalisation progressive des initiatives de solidarité apportées aux « migrants irréguliers » (Barone, 2018).

2L’analyse des enjeux que le contexte des politiques d’immigration et d’asile de plus en plus restrictif pose au secteur de l’aide serait incomplète sans la mise en lumière de formes renouvelées de collaborations entre l’État et la société civile dans l’administration des migrations. Ces arrangements restent moins étudiés que les relations tendues entre l’État et l’associatif continuellement médiatisées. Pointant ces angles morts de la recherche, cet article met en exergue quelques-uns des enjeux auxquels font face les associations de solidarité internationales qui acceptent de collaborer avec l’État dans une gestion déléguée de l’asile, à travers l’exploration et l’analyse d’un dispositif humanitaire de relocalisation des réfugiés appelé les « couloirs humanitaires [1] Liban-France ». Conçu comme un partenariat public-privé, ce protocole exclusif entre l’État français et cinq associations donne à voir comment des organismes engagés dans la promotion de nouvelles manières plus « ouvertes et citoyennes » pour venir en aide aux réfugiés, en viennent à s’inscrire dans des pratiques gestionnaires dictées par les politiques migratoires de l’État. Ce dernier mise sur la sécurisation et le tri des migrants avant leur entrée dans l’espace européen ; tri qui rappelle les politiques de « l’immigration choisie » (Héran, 2017).

3Après un premier « succès » revendiqué par les associations des couloirs humanitaires expérimentés en Italie et opérationnels depuis la fin de 2015, les couloirs humanitaires Liban-France ont été pensés et proposés au gouvernement français par cinq associations confessionnelles d’origine chrétienne (fig. 1). L’objectif énoncé était de faciliter l’entrée légale de futurs demandeurs d’asile dans l’espace européen en évitant le recours aux passages dangereux car clandestins. Cette mobilisation de la part des associations s’inscrivait comme une réponse, d’une part, à ce qui était dénoncé comme un manque de réactivité étatique au sujet des migrants et, d’autre part, aux appels lancés par le Pape François, dès le début de son pontificat en 2013, invitant la société civile chrétienne à agir en faveur des migrants arrivant en Europe depuis l’Afrique et le Moyen-Orient (Geisser, 2017). Instaurés en mars 2017 par un protocole de coopération avec les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères français, et avec l’accord de la Sûreté générale libanaise [2], les couloirs humanitaires Liban-France autorisent sur une période d’un an et demi [3] la sélection de cinq cents réfugiés au Liban par les associations signataires, leur relocalisation en France en vue d’une demande d’asile ainsi que l’organisation de leur parrainage par des collectifs de bénévoles pendant au moins un an.

4Pratiqué depuis plusieurs décennies dans les pays anglo-saxons, notamment le Canada, l’asile par parrainage privé est en expansion dans l’Union européenne (UE) et en France (European Resettlement Network, 2018). Ceci témoigne non seulement d’une implication progressive des citoyens dans l’accueil des migrants, mais aussi d’un processus de privatisation des services publics (Marty, 2007), notamment sur les thèmes de l’asile (Lethbridge, 2017). Les administrations publiques tentent ainsi de sécuriser et d’externaliser l’étape de tri des migrants hors des frontières européennes, dans les pays de départ. Dans ce contexte, les associations signataires travaillent à concilier des principes d’ouverture et d’aide inconditionnelle aux migrants avec les contraintes administratives d’admission sur le territoire de destination. Grâce à des contacts privilégiés avec l’administration française, les cinq associations confessionnelles étudiées configurent un espace-temps privilégié qui permet aux candidats à l’asile retenus de bénéficier non seulement d’un traitement accéléré de leurs dossiers, mais aussi d’une assistance personnalisée à travers l’accueil par des citoyens. Ce traitement se distingue de la prise en charge en masse pratiquée dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (Cada), gérés pour la plupart par l’État, pour les demandeurs d’asile conventionnels. Un haut responsable de la Fédération protestante de France (FPF) qualifie le dispositif de « haute couture de l’accueil », avec « un accompagnement sur mesure ». L’étude réalisée montre, cependant, que les associations collaborant avec le gouvernement dans cette procédure de sélection des migrants hors des frontières européennes participent paradoxalement d’une précarisation de l’asile dans la mesure où ces activités échappent à toute forme de surveillance citoyenne. Relativisant l’image revendiquée par ces dispositifs comme une ouverture solidaire et généreuse des territoires européens, les couloirs humanitaires constituent une alliance singulière qui favorise une admission hautement sélective de migrants.

5Cet article se fonde sur une enquête de terrain de trois mois réalisée en région parisienne entre mai et juillet 2018. Empruntant à la socio-anthropologie de l’humanitaire (Fassin, 2010 ; Agier, 2008) et inscrite dans une approche relevant de l’interactionnisme sociologique, l’enquête s’appuie sur un travail qualitatif composé d’une douzaine d’entretiens réalisés auprès de membres des associations signataires (directeurs, chargés de mission, membres de l’équipe de sélection), de bénévoles mobilisés et de réfugiés accueillis en France. L’enquête est également complétée par une série d’observations participantes : les arrivées des réfugiés à l’aéroport, des fêtes de bienvenue, des réunions des collectifs d’accueil, etc. Le dispositif observé, prévu sur 18 mois, venait d’achever une première année de fonctionnement au moment de la collecte de données ; 129 personnes, sur un total de 500 personnes prévues, avaient été accueillies en France. L’enquête n’a pas pu intégrer la suite du programme d’admission de migrants provenant du Liban. Malgré ces limites, l’étude ouvre des pistes de réflexion sur les défis posés aux acteurs de l’aide engagés auprès des migrants dans un contexte politique toujours tendu.

Figure 1 : Les associations signataires du protocole Couloirs humanitaires Liban-France

Figure 1 : Les associations signataires du protocole Couloirs humanitaires Liban-France

Figure 1 : Les associations signataires du protocole Couloirs humanitaires Liban-France

1. Parrainages privés ou vers une privatisation de l’accueil

1.1. Les parrainages privés : un modèle d’accueil éprouvé

6Le parrainage privé des réfugiés dans sa forme institutionnalisée est un modèle d’accueil de demandeurs d’asile et de réfugiés [4] relativement peu expérimenté en France, en comparaison avec les pays anglo-saxons, le Canada étant le pays pionnier du parrainage des réfugiés. Depuis les années 1970, marquées par un afflux des réfugiés d’Indochine vers les pays occidentaux, le gouvernement canadien avait progressivement décentralisé et privatisé une partie de l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en misant sur une aide facilitée par des groupes locaux de citoyens (qui seront dénommés « collectifs d’accueil » dans le contexte français) et des associations de solidarité internationale. D’une manière similaire aux couloirs humanitaires qui seront implantés en France, ce modèle d’accueil a été largement porté par des groupes et associations d’obédience chrétienne (Hyndman et al., 2017). Depuis lors, des citoyens canadiens ont ainsi accueilli environ 200 000 réfugiés, soit la moitié des réfugiés admis au Canada depuis 1970 (Lenard, 2016).

7Présentée comme une forme d’accueil plus participative et plus adaptée aux besoins individuels des réfugiés que celle assurée par les programmes publics, le parrainage « privé » encourage l’accueil des réfugiés par des citoyens bénévoles ou des associations qui s’organisent pour sponsoriser la venue, l’hébergement et l’accompagnement socioculturel des réfugiés pendant au moins un an. En Allemagne et en Irlande, le parrainage est encouragé comme une voie de réunification familiale, des membres de famille pouvant parrainer des réfugiés. Sur la scène internationale, le parrainage privé suscite un fort intérêt de la part des institutions publiques et non gouvernementales, grâce en partie au succès de ce type d’accueil pratiqué au Canada, mais aussi au regard de l’échec des politiques publiques face à la crise de l’asile (Tissier-Raffin, 2015). En 2016, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté la Déclaration pour les réfugiés et migrants, qui encourage l’expérimentation des voies légales d’accueil des réfugiés hors des cadres ordinaires, par une expansion du recours aux visas humanitaires [5] et aux parrainages privés. Dans cet esprit, et confrontées à la forte médiatisation des drames des migrants décédés lors de leurs tentatives pour traverser la Méditerranée (FRA, 2015 ; MPI, 2015 ; ICMC, 2018), de nombreuses associations de solidarité et think-tanks se mobilisent en faveur de ces voies dites « alternatives » d’accueil de réfugiés. L’Initiative mondiale de parrainage de réfugiés [6], un partenariat regroupant des acteurs gouvernementaux, des acteurs de recherche et des associations, entend ainsi diffuser des connaissances sur les modalités du parrainage privé et réalise un plaidoyer offensif sur ce modèle auprès de la société civile, des gouvernements ainsi que des citoyens parrains potentiels.

8Présentés par ces acteurs comme une forme d’asile plus citoyenne et plus digne, les visas humanitaires et le parrainage des réfugiés visent plus à « compléter » les actions des gouvernements en termes de relocalisation des réfugiés du sud au nord, sans forcément « remettre en cause » les politiques restrictives en matière d’immigration ou la marginalisation de l’asile dans le Nord. Ces modes alternatifs d’asile permettent aux États de déléguer en partie la mise en œuvre de leurs engagements internationaux de protection des réfugiés. Ce faisant, ces dispositifs contribuent à précariser l’asile en technocratisant et en dépolitisant les processus d’instruction. Quand les politiques migratoires s’exposent à la vigilance et à la vindicte des opinions, sinon celle des intéressés du moins celle d’une opinion critique et des médias, les couloirs humanitaires Liban-France fonctionnent de manière confidentielle. Replaçant le parrainage privé dans le contexte de l’aide humanitaire soumise aux prescriptions des grands bailleurs internationaux, Ritchie (2018) démontre comment ce modèle d’accueil s’inspire de l’idéologie néolibérale par l’accent mis sur la décentralisation, la bureaucratisation et la privatisation de l’accueil.

1.2. De la diplomatie de couloir pour les couloirs humanitaires

9Les couloirs humanitaires ont été conçus par des associations chrétiennes qui ont ensuite proposé un programme de relocalisation et de parrainage des réfugiés aux gouvernements, d’abord italien, puis français. Plutôt que de plaider pour une nouvelle politique d’asile, ces ONG proposent d’exploiter l’utilisation d’une voie d’entrée préexistante et légale, mais peu exploitée : le visa humanitaire (« visa D au titre de l’asile »). Notons qu’outre les programmes conventionnels de réinstallation pour des réfugiés identifiés depuis des pays tiers (gérés par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés – HCR – et les missions spéciales de l’Ofpra – Office français de protection des réfugiés et apatrides), l’entrée par le visa humanitaire reste le seul moyen pour les demandeurs d’asile de venir en France en tant que tels [7].

10L’association catholique d’origine italienne Sant’Egidio a été le principal organisme instigateur de cette initiative. Ses militants, pour la plupart bénévoles, impliqués dans de nombreuses initiatives interreligieuses au Moyen-Orient et bénéficiant d’un lien historique avec le Saint-Siège (Mercier, 2010) ont agi en réponse directe aux appels du Pape François à la solidarité envers les réfugiés (Geisser, 2017). Après avoir établi un premier dispositif en Italie, les représentants de Sant’Egidio France se sont rapprochés de la Fédération protestante de France (FPF). La Fédération jouit de relations privilégiées avec des personnalités influentes de la sphère politique française, en tant que bras politique des églises protestantes, et elle avait antérieurement soutenu le parrainage privé des réfugiés à travers la Fédération d’entraide protestante (FEP). La FPF a rejoint Sant’Egidio pour créer une équipe de plaidoyer, qui proposerait un projet de mise en place de couloirs humanitaires au ministère de l’Intérieur, chargé des politiques d’immigration et d’asile. Selon un haut responsable de la FPF, son association « a mis un peu d’huile dans les rouages » en s’appuyant sur des contacts établis préalablement auprès du ministre de l’Intérieur. De son côté, Sant’Egidio, en tant que médiateur de longue date dans des conflits armés (Algérie, Mozambique, République centrafricaine, etc.), a su user de ses relations privilégiées avec le ministère des Affaires étrangères (Balas, 2015) mais aussi avec la Sûreté générale au Liban, un partenaire non-signataire mais indispensable du programme [8].

11Après neuf mois de négociations à huis clos, un accord exclusif entre le gouvernement français et cinq organisations chrétiennes est signé à l’Élysée sous l’égide du président François Hollande pour instaurer les couloirs humanitaires ou, selon le langage protocolaire, « l’Opération d’accueil solidaire de réfugiés en provenance du Liban ». Ce document prévoyait l’arrivée et l’accueil de 500 personnes depuis le Liban dans les 18 mois suivant la signature, avec un financement associatif ainsi qu’un engagement administratif et plus tard financier de la part de l’État [9]. En mai 2018, 129 personnes avaient été accueillies dans une trentaine de collectifs d’accueil dans 18 départements à travers la France (voir fig. 2). Début 2018, les associations alertaient les pouvoirs publics qu’ils ne pourraient pas faire venir les 500 personnes prévues dans les délais établis par le protocole, du fait des faibles capacités d’accueil des collectifs locaux assurant les installations des migrants. Avec l’accord du gouvernement, le protocole a été tacitement reconduit, sans avenant et sans date limite, jusqu’à ce que les 500 réfugiés soient accueillis. Il faut noter que le protocole original n’est à ce jour pas publiquement disponible ; il est brièvement mentionné sur le site du ministère de l’Intérieur (figurant dans l’agenda du Ministre [10]). Cette absence d’information illustre le caractère exclusif, et quelque peu opaque, de cette coopération entre l’État et les associations de solidarité établie par une diplomatie de réseaux.

12Faisant partie d’un même univers associatif d’obédience chrétienne et opérant ensemble dans des projets d’aide aux migrants et réfugiés par ailleurs, les cinq organisations se côtoyaient déjà avant la mise en place des couloirs humanitaires. Ainsi, ces structures ont co-construit les fondations du dispositif sur un socle non seulement confessionnel, mais aussi d’expérience partagée. L’initiative collective a bénéficié des connexions privilégiées de ces associations avec les autorités politiques citées précédemment, créant une collaboration publico-religieuse qui fait écho aux reconfigurations entre l’État et les Églises étudiées dans d’autres régions du monde (Mourier, 2013).

Figure 2 : Quelques données clés des admissions aux couloirs humanitaires Liban-France entre mars 2017 et mai 2018 (sur 129 personnes)

Figure 2 : Quelques données clés des admissions aux couloirs humanitaires Liban-France entre mars 2017 et mai 2018 (sur 129 personnes)

Figure 2 : Quelques données clés des admissions aux couloirs humanitaires Liban-France entre mars 2017 et mai 2018 (sur 129 personnes)

Source : Sant’Egidio.

1.3. Un œcuménisme associatif tiraillé entre ouverture et communautarisme

13Les cinq associations signataires se sont regroupées, à l’invitation personnelle des dirigeants de la FPF et de Sant’Egidio, sans procédure classique d’appel à projets. À l’origine, les couloirs humanitaires étaient prévus comme une initiative interconfessionnelle [11], les organismes non confessionnels n’étant pas inclus. Un représentant du Conseil français du culte musulman (CFCM) a été invité et a assisté à la toute première rencontre des cinq associations fondatrices du projet. Deux personnages principaux de ces associations interrogés disent ignorer les raisons pour lesquelles le CFCM ne s’est finalement pas engagé. Selon l’un d’eux, une communauté juive [12] a également exprimé l’intérêt de rejoindre la coalition, mais sans engagement ultérieur. À la date de cette étude, les couloirs humanitaires en France sont une affaire communautaire, quoique œcuménique, réunissant deux associations protestantes et trois associations catholiques.

14Ce communautarisme associatif a de fait et jusqu’à présent exclu de l’initiative d’autres acteurs de solidarité chrétienne telles que CCFD-Terre solidaire ou La Cimade, dont les activités sur l’accueil des réfugiés sont notoires. Les responsables d’associations signataires interrogés présentent cependant les couloirs humanitaires comme une initiative « pionnière » et « innovante » visant à inspirer d’autres associations à reproduire ce modèle d’accueil au sein de leurs propres réseaux. Il n’en reste pas moins qu’en limitant l’accès à cette initiative dès le départ, les cinq partenaires ont défini un champ d’influence politique et humanitaire d’exception.

15Ces connexions se concrétisent dans le traitement accéléré accordé aux demandeurs d’asile venus par le biais des couloirs humanitaires, en contraste avec les demandeurs d’asile « classiques ». Au Liban, le consulat français réserve des créneaux dédiés aux entretiens avec les candidats des couloirs humanitaires. En France, l’Ofpra est obligée de délivrer la décision sur le statut des demandeurs d’asile venus par le biais des couloirs humanitaires en procédure accélérée, voire dans les trois mois suivant la réception du dossier. Les rythmes d’instruction des dossiers par les couloirs humanitaires semblent plus soutenus. Certes, les ONG signataires ont de peu de leviers pour contraindre les autorités à les respecter. Pourtant, l’existence même des engagements formels de la part des gouvernements français et italien témoignent du statut particulier dont jouit cette coalition associative. Ce statut se concrétise par des rencontres privilégiées entre les responsables politiques et les représentants des cinq ONG [13], mais aussi par l’existence d’une « ligne d’assistance » informelle décrite à plusieurs reprises par les enquêtés, par laquelle les agents associatifs peuvent obtenir par téléphone ou par e-mail des renseignements d’actualité sur les dossiers de candidatures en cours d’instruction auprès des divers bureaux publics : consulat à Beyrouth, Direction de l’asile et ministère de l’Intérieur, Ofpra…

16Ce partenariat public-religieux d’exception n’est pas totalement inédit. Il s’inscrit dans des liens historiques entre l’Église (y compris ses manifestations associatives) et l’État au sujet d’octrois de services sociaux ; c’est le cas en Allemagne (Bourgeois, 2005) et dans les pays du Sud (Mourier, 2013 ; Scauflaire, 2015). Même dans le contexte laïc français, ces arrangements ont cours [14]. Il faut aussi noter que les ONG confessionnelles, et spécifiquement chrétiennes, occupent une place significative dans l’action caritative et humanitaire en France et à l’étranger (Barnett et Stein, 2012 ; Duriez et al., 2007), fondant leur engagement sur la conviction religieuse que la société a la responsabilité morale de prendre soin des faibles (Kahl, 2005).

17Ainsi, dans le cadre d’une diplomatie parallèle avec les États, les associations de solidarité d’obédience chrétienne fondatrices des couloirs humanitaires ont construit progressivement une plateforme humanitaire privilégiée qui leur permet de « sauver les vies » des réfugiés en leur accordant l’asile à travers une procédure légale, sûre et rapide. Ce faisant, ces associations renforcent leur rôle d’interlocuteur privilégié et multipositionnel (Boltanski, 1973), à la croisée des champs religieux, humanitaire et politique. Selon certains militants et partisans des couloirs humanitaires, cette position est parfois perçue avec suspicion et mépris par d’autres associations, notamment au Liban, qui se voient exclues du processus.

2. L’asile humanitaire ou quand l’humanitaire produit l’arbitraire

2.1. La laïcisation et la dépolitisation de l’asile

18L’enjeu clé cité par les associations gestionnaires des couloirs humanitaires est la promotion d’une entrée sûre et légale en Europe pour les futurs demandeurs d’asile, ainsi que le développement d’un accueil plus personnalisé aux besoins des réfugiés. Le discours tenu par les membres de ces structures pour justifier leur engagement est laïque et apolitique. Les campagnes de communication officielle mobilisent des valeurs humanistes et citoyennes, plutôt que religieuses. Est ainsi évoqué le respect pour la vie humaine, pour la paix, pour la solidarité et pour la fraternité entre les hommes. Le dispositif est en quelque sorte laïcisé, stratégiquement identifié comme « citoyen » et favorisant une intégration efficace des demandeurs d’asile en accord avec les orientations des gouvernements. Cet argumentaire technique et humaniste donne peu de prises aux suspicions mais aussi aux formes éventuelles de prosélytisme. Le but serait également d’éviter l’exclusion des réfugiés non-chrétiens du dispositif, une pratique dénoncée dans des parrainages sponsorisés directement par des communautés chrétiennes (Akçapar, 2006).

19Aux côtés de prises de position au titre de valeurs religieuses de Sant’Egidio, du Secours catholique ou de la FPF dans des pourparlers diplomatiques à travers le monde sur différentes causes, les mêmes associations en charge des couloirs humanitaires projettent une vision strictement apolitique de ces programmes. Les militants ne font jamais ouvertement la critique de la situation politique au Moyen-Orient et ils ne plaident pas publiquement pour des frontières plus ouvertes de la part de l’UE, mais plutôt pour un accueil plus digne qui serait soutenu par le gouvernement :

20

C’est pour ça aussi qu’on a fait le couloir. Pour pouvoir travailler avec le gouvernement de manière spécifique (emphase). […] En fait, l’idée, c’est ça. C’est d’entrer dans une démarche win-win. Gagnant-gagnant. Que tout le monde y gagne. Et les réfugiés, et le gouvernement, et les partenaires. C’est ça, finalement, la paix. C’est que tout le monde est content (sourire). Enfin, que tout le monde y gagne, en tout cas. (Responsable, Sant’Egidio)

21Ainsi, cette forme de parrainage privé constitue un contexte favorable à la dépolitisation des récits des réfugiés et à l’occultation des fractures socio-politiques qui existent dans les sociétés d’origine ainsi que dans les sociétés-hôtes (Ritchie, 2018). Dans le cas français, les parrainages sont présentés comme un accomplissement de l’idéal républicain de fraternité, sans questionnement sur les inégalités des rapports de force entre les hôtes et les accueillis, ou sur des attitudes paternalistes qui risquent de se produire (Lenard, 2016). En même temps, le discours apolitique des associations gestionnaires des couloirs humanitaires fait que les réfugiés accueillis ne sont plus présentés à la société-hôte comme des réfugiés politiques fuyant une persécution réelle ou assumée, mais de plus en plus comme des victimes de catastrophes humanitaires ponctuelles.

22Cette tendance à dépolitiser l’exil et l’asile est concomitante d’une nouvelle forme de protection internationale qui remplace peu à peu l’asile conventionnel, enraciné dans le droit à la protection contre la persécution. Il s’agit de l’asile humanitaire, selon lequel la protection internationale devrait être accordée aux personnes en situation de détresse « ponctuelle », qui serait clairement identifiable par des critères « objectifs » (Fassin, 2010). Ce type d’asile est guidé par une volonté de rationaliser l’accueil en demandant notamment des preuves tangibles des persécutions subies. Dans le sillage d’une idéologie humanitaire montante, la « vulnérabilité » devient, depuis une vingtaine d’années, un paradigme qui oriente les services publics, mais aussi les associations de solidarité internationale qui travaillent auprès des réfugiés. Identifier et cibler les plus vulnérables devient une condition d’efficacité de l’assistance apportée. Le terme de vulnérabilité remplace celui d’exclusion, devenu gênant du fait de ses connotations politiques dans l’âge d’un humanitarisme « non politique » ambiant (Agier, 2006). La vulnérabilité comme fragilité particulière, qui met en danger la vie, serait en théorie plus facilement démontrable dans le dossier d’un demandeur d’asile qu’une simple suspicion de persécution, et elle permettrait d’accorder la priorité et un traitement personnalisé aux personnes identifiées comme « vulnérables » (Boublil et Wolmark, 2018). En utilisant ce critère, les couloirs humanitaires Liban-France reprennent et conduisent cette approche d’asile humanitaire. Ainsi, les associations concourent à une labellisation de réfugiés « désirables » parmi les « indésirables » (Agier, 2008), que l’on étudiera finement plus loin.

23L’asile humanitaire permet aussi aux associations qui s’y réfèrent et qui le mettent en œuvre de faire preuve d’une solidarité mesurée envers l’État, qui conserve son pouvoir discrétionnaire. Ce dernier n’est confronté à aucune convention internationale juridiquement contraignante, telle la Convention de Genève en ce qui concerne l’asile conventionnel. Le HCR abandonne progressivement, à l’instar des États, la conception de « l’asile comme protection », stipulée par ladite convention, et se tourne vers « l’asile pour des raisons humanitaires », où la vulnérabilité et la capacité d’intégration des candidats constituent les critères d’évaluation dans les examens de demande d’asile (Baujard, 2009). À ce titre, Wihtol de Wenden évoquait déjà en 2002 la « zone grise » qui se développait dans les politiques d’asile, où l’on observait une « marginalisation de l’asile conventionnel au profit de situations bricolées faisant une large place au pouvoir discrétionnaire des États [15] » (Wihtol de Wenden, 2002, p. 9). Dans le cadre des couloirs humanitaires, ce pouvoir discrétionnaire s’applique désormais également aux associations, qui se chargent de l’identification et de la sélection des réfugiés dans les pays de premier asile. Toutefois, la décision finale sur l’octroi des visas d’entrée et de la protection internationale est prononcée par l’État, par le biais du ministère de l’Intérieur et, en second plan, par le ministère des Affaires étrangères, à travers le consulat français à Beyrouth et plus tard à travers l’Ofpra.

24Malgré son aspiration à promouvoir l’ouverture aux réfugiés, ce partenariat public-religieux participe ainsi, d’une autre manière encore, à une précarisation de l’asile par son externalisation hors du territoire européen du processus de tri des potentiels demandeurs d’asile, et ce, même avant qu’ils aient eu la possibilité de déposer leur demande en France. En cas de refus de la candidature par le consulat à Beyrouth, il est impossible pour le candidat de faire appel à cette décision, à la différence des demandeurs d’asile refusés en France qui peuvent, eux, saisir la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour un réexamen de leur demande [16]. Selon les interlocuteurs, et sans que cela ait pu être vérifié, un doute important circule selon lequel les candidats refusés par le consulat français seraient enregistrés dans le système européen de visas. Ces refus pourraient alors être pris en compte au moment du dépôt d’une nouvelle demande de visa auprès d’un consulat européen, et ainsi pénaliser le candidat. Par ailleurs, les candidatures aux couloirs humanitaires ne sont pas évaluées par des professionnels de l’instruction des demandes d’asile (c’est-à-dire des officiers de l’Ofpra ou de la CNDA). Elles subissent un double triage : en premier lieu par les réseaux des associations dans la présélection des candidats au Liban, et en second lieu par l’État français dans l’instruction des demandes de visas humanitaires.

25Entre vulnérabilité et résilience, les critères de sélection ne sont pas connus. En choisissant des candidats admissibles, les associations définissent les populations à écarter, c’est-à-dire les « indésirables ».

2.2. Gouverner les « désirables » ou le difficile choix des « vulnérables »

26L’application des critères de sélection aux candidats à l’asile en France par le biais des couloirs humanitaires fait ressortir des enjeux différenciés selon les parties prenantes. Entre le gouvernement et les associations, les tensions entre le langage du protocole et son application au moment de l’instruction des demandes d’asile sont fortes ; le critère de la « vulnérabilité » ne constitue qu’une dimension de l’acceptabilité d’une candidature.

27Selon le discours tenu par les associations porteuses du projet et les autorités publiques, les couloirs humanitaires ciblent au Liban les réfugiés les plus pauvres et les plus marginalisés. Ainsi, l’objectif traditionnel d’assistance aux populations exclues et démunies est respecté. La notion de « vulnérabilité » telle qu’appliquée aux candidats aux couloirs humanitaires est empruntée à la loi européenne [17] et s’inspire des critères appliqués par le HCR [18] (tels que femmes enceintes, homosexuels, handicapés). Le travail des associations consiste à repérer et identifier les individus relevant de la catégorie des réfugiés ayant besoin d’une protection particulière et d’un traitement privilégié parce que « vulnérables ». Cette catégorisation hiérarchise en quelque sorte les souffrances liées aux enjeux communs à tous les réfugiés (pauvreté, exclusion, discrimination, etc.) (Boublil et Wolmark, 2018).

28Le critère de vulnérabilité est progressivement couplé avec une autre notion, dite de « résilience », largement diffusée dans les milieux de la solidarité internationale et censée traduire une capacité d’adaptation à un environnement changeant et à l’adversité (Brodiez-Dolino, 2016). Ces notions tendent à souligner la responsabilité des agents à gérer les contraintes auxquelles ils font face dans une acception assez libérale.

29Ce double paradigme vulnérabilité/résilience a été adopté par les associations assurant la gestion des couloirs humanitaires. Lors des sélections des candidatures au Liban, la vulnérabilité seule ne suffit pas à convaincre les agents sélectionneurs que les candidats à l’asile en France seront à même de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. En d’autres termes, les agents disent veiller à ce que les vulnérabilités identifiées ne grèvent pas la capacité du réfugié à s’intégrer en France. Les candidats ont, pour cette raison, à faire également preuve d’un niveau de « résilience » pour être acceptés. À la croisée de la « vulnérabilité » et de la « résilience », l’idéal du réfugié admissible se dessine. L’âge, le handicap ou l’illettrisme, bien qu’étant des formes de vulnérabilité, deviennent des critères défavorables à la sélection parce qu’ils constitueraient des freins potentiels à l’insertion dans la société française. Dans cet ordre d’appréciation, les familles avec enfants en bas âge sont généralement perçues comme à la fois vulnérables (dû aux risques que courent particulièrement les enfants dans les camps de réfugiés) et intégrables (parce qu’une fois en France, les enfants sont obligatoirement scolarisés et supposément « intégrés » plus rapidement). Notons que, dans la première année de fonctionnement des couloirs Liban-France, les familles ont représenté la catégorie la plus admise [19], et seulement trois personnes âgées de plus de 60 ans ont été admises sur un total de 129 personnes.

30Le choix des candidatures n’est pas sans provoquer une polémique au sein des associations, et presque tous les acteurs entendus ont évoqué le débat autour des critères de sélection qui nécessitent des arbitrages constants et délicats à faire. Comme l’exprime une bénévole de Sant’Egidio : « On aimerait embarquer tout le monde. […] D’un côté, il faut être humain, il faut être sensible. Et de l’autre, faire son travail de comprendre – lui oui, lui non. »

31Toujours d’après les enquêtés, la concertation s’avère encore plus complexe au moment des négociations avec le consulat français à Beyrouth, qui examine les dossiers présélectionnés par les associations. Celles-ci évoquent la frustration provoquée par le refus d’une candidature par le consulat, notamment pour les candidatures des jeunes hommes célibataires qui se trouvent être systématiquement rejetées, sans explication. Selon les cadres associatifs interrogés, ces jeunes hommes réfugiés sont d’emblée perçus par le gouvernement comme un risque sécuritaire et ils ne sont pas considérés comme prioritaires pour une assistance humanitaire dans un contexte de quotas de relocalisation relativement modestes. Pour les associations, les jeunes hommes représentent une population vulnérable parce que ciblés par les autorités libanaises ainsi que syriennes (accusés de terrorisme ou de contrebande), et plus susceptibles d’être radicalisés à cause d’une vie dans la précarité. Les associations interrogées soulignent toutefois qu’un ciblage des jeunes hommes homosexuels est réalisé par le consulat pour favoriser leur départ.

32L’arbitrage des candidatures reste un combat constant. Par l’intermédiaire du travail des associations, la logique sécuritaire se heurte et prévaut souvent à la logique de la solidarité. À titre de comparaison, les chercheurs canadiens remarquent la même tendance d’écartement des jeunes hommes isolés et la préférence pour des familles dans le cadre des parrainages privés canadiens (Hyndman et al., 2017). Tiraillées entre valeurs humanistes et logiques sécuritaires, les associations se trouvent en devoir d’accepter des arbitrages considérés comme inéquitables pour poursuivre leurs missions.

Conclusion

33Les couloirs humanitaires Liban-France, opérationnels depuis 2017, mettent en lumière les difficultés auxquelles font face les acteurs de la solidarité internationale engagés sur des causes humanitaires. Tirant parti de leurs relations privilégiées avec le gouvernement et les réseaux partenaires dans les pays des demandeurs d’asile, les cinq associations mobilisées sur les couloirs humanitaires cherchent à affirmer leur présence sur le terrain humanitaire et à asseoir leur influence sur un segment de l’aide internationale. Cet arrangement se présente comme innovant dans la mesure où il promeut l’asile par engagement associatif et citoyen dans un contexte où la prise en charge des demandeurs d’asile a traditionnellement été une prérogative de l’État.

34Ce type d’admission humanitaire et de mariage de raison avec les autorités publiques est pourtant porteur de multiples contradictions. En premier lieu, la privatisation de l’accueil promue par les couloirs humanitaires d’exception révèle une forme de délégation de responsabilité de l’État à certains acteurs associatifs pour gérer les flux qui restent sous son contrôle. Ce faisant, un espace de prise en charge citoyen de migrants se dessine à travers les collectifs et familles d’accueil, contournant le recours aux grandes structures publiques d’accueil et fragmentant le secteur de l’aide internationale. En second lieu, en externalisant le tri des migrants hors des frontières européennes avec l’appui de l’État, les couloirs humanitaires (peu connus et peu médiatisés) rendent invisibles ces processus pour la surveillance citoyenne.

35Enfin, engagées dans ces dispositifs d’exception, les associations de solidarité contribuent à définir des catégories d’étrangers admissibles en sélectionnant des réfugiés « désirables » parmi les populations « indésirables » à retenir hors de l’UE. La solidarité internationale telle que pratiquée par les acteurs des couloirs humanitaires se montre ainsi bien « ambiguë » (Fassin, 2010), tiraillée entre la volonté humaniste et l’exigence de sécurité.

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Notes

  • [1]
    À ne pas confondre avec son homonyme désignant des corridors démilitarisés pour apporter l’aide humanitaire aux zones touchées par des conflits armés.
  • [2]
    L’équivalent du ministère de l’Intérieur.
  • [3]
    Face aux retards, ce critère a été plus tard tacitement changé à durée illimitée.
  • [4]
    Un demandeur d’asile est un individu ayant instruit une demande d’asile auprès du pays concerné et en attente d’une décision sur l’octroi de la protection internationale. Un réfugié est une personne dont l’État d’asile a reconnu le droit à la protection internationale.
  • [5]
    Les visas humanitaires forment une catégorie de visas en expansion qui permettent, en fonction du pays, soit une protection temporaire pour la durée du conflit dans le pays d’origine, soit la venue du futur demandeur d’asile pour déposer une demande d’asile et son éventuelle relocalisation dans ce pays.
  • [6]
    Global Refugee Sponsorhip Initiative, 2019, http://refugeesponsorship.org (consulté en octobre 2019).
  • [7]
    Dans d’autres cas, les futurs demandeurs d’asile accèdent légalement au territoire français par le biais d’un visa délivré pour une autre raison, souvent pour le tourisme ou les études.
  • [8]
    La Sûreté générale se réserve le droit d’autoriser le départ du territoire libanais de tout réfugié par l’octroi d’un « exit visa ».
  • [9]
    Notamment l’octroi des visas par le Consulat français au Liban en collaboration avec les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, et la prise en charge par la Sécurité sociale après l’arrivée en France.
  • [10]
    « Agenda du Ministre, du 11 au 19 mars 2017 », ministère de l’Intérieur, https://bit.ly/2I0yMIO (consulté en octobre 2019).
  • [11]
    L’homologue belge des couloirs humanitaires opère à travers une coalition d’églises protestantes, catholiques et orthodoxes, ainsi qu’une communauté musulmane.
  • [12]
    L’Union libérale israélite de France (Ulif), réunie autour de la synagogue Copernic de Paris.
  • [13]
    Nous pouvons ici mentionner un petit-déjeuner de la présidente de Sant’Egidio France avec Emmanuel Macron lors de sa visite à Rome en juin 2018, ou la visite spontanée du consul français à Beyrouth aux bureaux de la FPF et de la FEP en janvier 2018.
  • [14]
    Comme avec La Cimade, d’origine protestante et reconnue d’utilité publique, qui est financée en large partie par l’État et gère des centres d’hébergement et de rétention administrative pour les migrants (La Cimade, 2019).
  • [15]
    À l’époque, on parlait notamment du statut de la protection subsidiaire ; aujourd’hui, on compte parmi ces voies alternatives les visas humanitaires.
  • [16]
    Selon la CNDA, presque 20 % d’appels au refus de la protection internationale sont jugés fondés et résultent dans l’octroi de la protection (Rapport annuel de la CNDA, 2018).
  • [17]
    La Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013.
  • [18]
    Le HCR a élaboré un outil d’évaluation de vulnérabilités, disponible sur : https://bit.ly/2OSBKgI (consulté en octobre 2019).
  • [19]
    Avant juin 2018, seules 3 personnes sur 129 sont arrivées isolées en France. Les 126 personnes restantes faisaient partie des familles.
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