Pierre Jacquemot, Le dictionnaire encyclopédique du développement durable, Paris, Sciences humaines éditions, coll. « La petite bibliothèque de sciences humaines », 2017, 720 pages, ISBN : 9782361064396, 19,50 €
1Le récent ouvrage de Pierre Jacquemot1 renouvelle de manière très sensible « Le dictionnaire du développement durable » paru en 2015, qui offrait déjà nombre d’entrées propres à nourrir l’ensemble des réflexions et à apporter une aide aux décisions dans les domaines relevant du développement au sens large.
2Or, depuis 2015, les catastrophes naturelles dues au dérèglement climatique, ou bien les drames de nature démographique, touchant des populations entières, s’enchaînent inexorablement. Dans le même temps, les acteurs du développement durable rencontrent des difficultés – voire des obstacles – dont sont à l’origine des mouvements climato-sceptiques, ou des milieux politiques et des lobbies hostiles aux réformes draconiennes à entreprendre. Aussi était-il indispensable de procéder à une refonte profonde du précédent ouvrage, à l’aune de la gravité de la situation.
3Les sociétés actuelles – développées ou non – font face à des défis pour lesquels les opinions initiales peuvent diverger quant à leur degré de criticité (au sens où l’on tente d’apprécier un danger menaçant un système sous l’angle à la fois de la « probabilité de survenance » d’un accident caractérisant ce danger et de sa « gravité » supposée). Mais les esprits responsables se rejoignent pour estimer que négliger de les prendre en compte à échéance rapprochée ne peut qu’entraîner des conséquences désastreuses et que leur résolution est une question simplement vitale pour le monde. Il s’y ajoute l’évidence de ne plus raisonner qu’en fonction de la durabilité des actions entreprises pour ce qui relève du développement.
4Les enjeux sont de tous ordres. Ils concernent notre cadre de vie immédiat – protection des ressources naturelles, lutte contre le réchauffement climatique, qualité de notre nourriture et préservation de notre santé, vertu de notre système éducatif… –, ou encore notre perception plus globale de la société – questions touchant la démographie, les phénomènes migratoires, la cohésion sociale, l’emploi, la solidarité, la sécurité, etc. L’ouvrage permet de les appréhender méthodiquement, utilement et même de manière passionnante, tant le format adopté en agrémente la lecture. En effet, le rangement alphabétique des articles en favorise une lecture ponctuelle au gré de l’intérêt du moment et confère à cette encyclopédie une fonction de « livre de chevet ».
5En reprenant une architecture éprouvée – une suite de rubriques thématiques appuyées sur de solides références bibliographiques et un répertoire fourni de sites internet –, « Le dictionnaire encyclopédique du développement durable » offre désormais un millier d’entrées au sujet des « concepts, lois, modèles, politiques, paradoxes et théories » maillant l’ensemble des thèmes concernés. L’approche multidisciplinaire de l’ouvrage lui permet de faire jouer toutes les composantes d’une réflexion globale – économique, politique, sociale, culturelle, historique et géographique, spirituelle… –, intéressant à la fois le Sud et le Nord, rendant sa lecture riche et précise.
6Malgré son volume respectable, le risque d’un livre aussi exhaustif sur un sujet si complexe et multiforme est de ne pouvoir satisfaire tous les spécialistes. Mais l’auteur a pris soin de dispenser autant que possible une pluralité de points de vue, « l’universalité des sujets sociétaux et environnementaux » interdisant désormais, ainsi qu’il le souligne dans son avant-propos, de s’en tenir à une appréciation spécifique du Nord ou du Sud ou de telle ou telle pensée dominante. De fait, même si l’on perçoit souvent les orientations personnelles de l’auteur, l’ensemble se veut essentiellement factuel et scientifique.
7Également, on pourra souligner la présentation soignée de ce livre, les multiples schémas et tableaux didactiques accompagnant les rubriques complexes et, de manière vraiment notable, l’écriture élégante et agréable des vignettes. Sachant qu’un travail collaboratif a certainement permis de rassembler nombre d’éléments épars, l’effort en vue de parvenir à une unité rédactionnelle est notable et rend l’ouvrage autant accessible qu’attrayant.
8Ainsi, certaines rubriques, pourtant essentiellement techniques et précises, sont plaisantes à lire – par exemple l’encart sur « cryptomonnaie électronique et chaîne de blocs », lequel traite d’un réseau de monnaie crypté de type « pair à pair », en dehors de toute autorité centrale et dont l’unité de compte est le fameux bitcoin. Nombre de passages, tels que ceux liés à l’agriculture ou à quelques grands classiques, comme la responsabilité sociétale des entreprises, donnent lieu à des développements magistraux.
9Au total, l’ouvrage de Pierre Jacquemot jette les bases raisonnées de toute réflexion, décision et action destinées à nous préserver autant que possible des catastrophes qui nous menacent.
10Et maintenant, il reste aux décideurs à se saisir de tous ces outils et à les utiliser avec détermination. Mais ce qui mine les débats actuels et l’application effective de leurs conclusions raisonnables n’est pas tant l’opposition frontale et déclarée de quelques-uns que le découragement et la passivité du plus grand nombre. Une fois passée la spectaculaire COP 21 de 2015 à Paris, les COP suivantes n’ont laissé qu’un souvenir que l’on peut qualifier de très relatif…
11Il faut impérativement dépasser cette attitude nihiliste et mettre en œuvre, chacun à son niveau, les mesures nécessaires à la survie harmonieuse de la planète. Et il en va effectivement de sa continuation et de sa pérennité, ainsi que le percevait déjà René Girard lorsque, sur un sujet à peine différent, il craignait que la violence et la cécité des hommes – ou leur incapacité à s’élever au-dessus des contingences quotidiennes –, menât à la catastrophe planétaire. Dans Achever Clausewitz (2007), René Girard craint une sorte de suicide collectif en raison d’un désenchantement général empêchant les peuples de fournir les efforts nécessaires pour « s’en sortir », notamment dans le domaine de la lutte contre les dérèglements de toute sorte, climatiques ou autres. En fait, l’auteur redoute « une confusion entre les désastres causés par la nature et les désastres causés par les hommes », qui rendrait vaines – car au fond insuffisamment fondées – les démarches volontaristes destinées à juguler les maux actuels.
12En fait, ce dictionnaire ne s’attarde pas sur les doutes et les craintes. Il fait partie des ouvrages délibérément « positifs » qui se veulent être un guide pour les citoyens désireux de contribuer à maintenir coûte que coûte vivable et agréable le monde de demain, avec ses dix milliards d’humains à l’horizon 2050. Pierre Jacquemot nous présente avec conviction et fermeté les outils propres à mettre en œuvre un développement réellement durable !
13Jean-Pierre Listre
Ancien de l’Agence Française de Développement
François Purseigle, Geneviève Nguyen, Pierre Blanc, Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme, Paris, Presses de Sciences Po, 2017, 306 pages., ISBN : 9782724621358, 26 €
14Cet ouvrage collectif reflète les questionnements actuels autour de l’évolution des systèmes de production agricole. Des rencontres comme celle qui a eu lieu à l’Académie d’agriculture de France le 25 janvier 2018 intitulée « Régimes de propriété et mode d’exploitation : vers quelles recompositions ? » révèlent la conscience aigüe de ces enjeux dans les cercles de réflexions agricoles et dans le monde agricole de manière générale. À l’heure où il faut nourrir sept milliards d’êtres humains, dont les habitudes alimentaires se carnifient et où ce sont les paysans des pays du sud qui souffrent le plus de sous-alimentation, la question des modèles de production est plus que jamais saillante, en France comme ailleurs.
15Ce livre, à l’approche irrémédiablement transdisciplinaire, examine des modes d’exploitation de la terre et de production agricole encore peu connus. Il les rassemble sous l’expression d’« agricultures de firmes », tout en reconnaissant la diversité que cela peut recouvrir. Si le débat opposant un modèle avec de petites exploitations familiales et un modèle dit « productiviste », avec de grandes fermes, est très ancien, cet ouvrage présente des évolutions récentes dans la réflexion, qui dépassent de loin les questions de dimension et qui conduisent à importer le vocabulaire de l’industrie – de la firme et de la finance – dans le champ de l’agriculture. Au-delà de la description de ces nouvelles formes d’agriculture et de leurs spécificités, les contributions au livre cherchent à analyser leurs impacts sociaux, économiques, géographiques et géopolitiques.
16Le livre s’organise autour de deux parties : le premier volet présente une approche sociologique et économique des firmes agricoles, et le second une approche géographique et géopolitique.
17Les deux premiers chapitres proposent une étude approfondie des firmes agricoles françaises, notamment sur la base des résultats du programme de recherche ANR JCJC Agrifirmes1, dirigé par François Purseigle entre 2010 et 2013. L’approche empirique de l’étude se ressent dans la structure de la contribution, qui repose sur des monographies de firmes agricoles, rendues vivantes par les nombreuses citations d’acteurs rencontrés sur le terrain. Le premier chapitre permet ainsi de saisir les mutations organisationnelles dans le secteur productif agricole français et le changement de paradigme en cours, puisque le vocable des enquêtés s’apparente, parfois à s’y méprendre, à celui d’acteurs de la grande industrie. Il est ainsi question de spécialisation, de standardisation, d’investissement dans la recherche et d’innovation, de segmentation du travail, de sous-traitance… Éloignée de la structure familiale par ses objectifs et ses stratégies, l’agriculture de firme l’est aussi par sa taille : les superficies annoncées – trois cents hectares, neuf cents hectares… – rompent avec l’image classique de l’agriculture familiale. Rappelons en effet que la taille moyenne des exploitations françaises est de cinquante-cinq hectares. Le second chapitre, assez technique pour un public peu familier avec les logiques financières, dépeint un changement profond de gestion des exploitations agricoles lié à une dissociation croissante entre le foncier, le capital et le travail. Les détenteurs des actifs ne sont ainsi pas forcément les agriculteurs : la terre devient un actif comme un autre, dans lequel des acteurs extérieurs investissent. Cela change les modalités de gouvernance des exploitations, car l’exploitant n’est plus nécessairement le propriétaire.
18Les deux chapitres suivants proposent une approche davantage centrée sur les travailleurs et leurs stratégies d’adaptation à ces nouvelles formes d’exploitation. Le troisième chapitre nous emmène en Afrique du Sud, où Antoine Duccastel et Ward Anseew placent cet objet d’étude dans un contexte mondial de financiarisation de l’agriculture, tout en attachant une importance particulière à l’ancrage de ces processus dans le contexte socio-historique sud-africain, prenant ainsi en compte l’impact de la colonisation et de l’Apartheid sur l’agriculture locale. Enfin ils explorent l’impact de la financiarisation sur les élites agricoles et sur les agriculteurs, décrivant le parcours de certains d’entre eux reconvertis en manageurs au sein de nouvelles structures. Après l’Afrique du Sud, c’est en Indonésie que la quatrième contribution, celle de Stéphanie Barral, nous emmène. Elle interroge les stratégies d’accès à la terre des ouvriers agricoles de plantations indonésiennes. Cette étude montre, au travers des stratégies des travailleurs, les modalités de coexistence du travail agricole salarié dans les grandes plantations et des petites exploitations familiales. Cela tend à rappeler que si les bouleversements sont réels, il n’y a pas pour autant une complète uniformisation des systèmes de production. En France comme en Indonésie, les firmes continuent de côtoyer les fermes ; peut-être remplissent-elles des rôles socio-économiques différents.
19Le cinquième chapitre ouvre la seconde partie de l’ouvrage avec une contribution de Martine Guibert et Samuel Frederico, deux géographes qui étudient les grandes firmes brésiliennes, uruguayennes et argentines. Ils montrent comment les stratégies d’expansion de ces firmes et leur puissance économique conduisent à des conflits d’usage avec d’autres agriculteurs qui ne parviennent plus à acquérir de terres. Ces derniers se voient parfois obligés de migrer pour pouvoir continuer leurs activités – principalement l’élevage ou l’agriculture vivrière. Ces acteurs participent donc à une reconfiguration du territoire et des usages agricoles traditionnels, puisqu’ils pratiquent souvent la monoculture dans les territoires conquis. Les auteurs mettent également l’accent sur un point très peu abordé jusque-là dans l’ouvrage : les conséquences environnementales et écologiques de ces méthodes, tels que le grignotement des forêts ou l’épuisement des terres. Le chapitre six, que l’on doit là encore à des géographes – Eve Anne Bühler, Valter Lucio de Oliveira et Martine Guibert –, pose une question intéressante : comment les firmes agricoles et le secteur de l’agrobusiness redéfinissent-ils le lien de l’activité agricole au rural et à l’urbain ? Si, instinctivement, l’agriculture est rattachée au rural, les auteurs qualifient ces nouveaux espaces d’« agricolo-urbains », la ville étant au cœur du modèle agricole de la firme. Les chapitres sept, huit et neuf, issus des contributions de Pierre Blanc, Olivier Antoine et Mathieu Brun, présentent les approches géopolitiques des nouveaux enjeux liés aux firmes agricoles. Si l’étude de ces enjeux de sécurité alimentaire, des conflictualités et de puissance est classiquement liée au rôle de l’État, les auteurs proposent ici une analyse géopolitique des firmes. Ainsi, celles-ci peuvent servir leurs intérêts stratégiques et participer à la redéfinition des rapports de dépendance entre les pays, à l’instar des entreprises chinoises en Argentine. De même la Chine, tout comme l’Arabie Saoudite, par manque de terre ou d’eau, tente de sécuriser ses approvisionnements agroalimentaires par des stratégies d’implantations de grandes firmes à l’étranger. Néanmoins, certaines firmes deviennent de puissantes parties prenantes dans la politique interne des pays où elles exploitent. Pierre Blanc donne l’exemple de United Fruit, qui fait et défait les gouvernements successifs dans les républiques bananières. Au niveau géopolitique, la firme agricole est donc devenue l’intermédiaire de première importance.
20Enfin, le dixième chapitre pose les problèmes liés à l’étude en elle-même de ces nouveaux objets. Bruno Legagneux et Valérie Olivier-Salvagnac prennent l’exemple du cas français, montrant l’inadaptation croissante des modèles statistiques aux réalités agricoles. M. Guibert et S. Frederico dans le cinquième chapitre abordent également les difficultés méthodologiques à enquêter sur les firmes, celles liées aux outils mais aussi aux concepts. Ces formes complexes et récentes de production agricole sont donc autant de défis à relever pour les chercheurs.
21Ce livre nous offre une immersion inédite au cœur d’un système ou plutôt de systèmes productifs agricoles très éloignés de l’image d’Épinal d’une paysannerie locale ou d’une agriculture familiale – croyance encore prégnante au sein de l’opinion publique. Les auteurs dépeignent des agricultures de firmes diverses, aux ressorts complexes, dépassant ainsi la perception monolithique que l’on peut avoir de cette industrie, dont l’emblème serait la ferme des milles vaches. Le livre dispose également d’une faiblesse qui est aussi une force : sa transdisciplinarité et les études de cas à travers le monde peuvent brouiller la lecture, ne sachant plus parfois si ce sont les approches et les lieux qui changent, ou l’objet d’étude en lui-même.
22Clémence Daudé
IEDES – université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Philippe Gervais-Lambony, Afrique du Sud : les paradoxes de la nation arc-en-ciel, Paris, Le Cavalier Bleu, 2017, 173 pages, EAN : 979-1031802329, 20 €
23L’auteur, géographe et professeur à l’université Paris Nanterre, a publié de nombreux livres sur l’Afrique du Sud et sur les villes africaines. La collection « idées reçues », dans laquelle est publié ce livre, est une marque protégée de l’éditeur et regroupe des écrits ayant pour objectif de déconstruire certains préjugés dans le domaine des sciences humaines au sens large.
24L’Afrique du Sud, c’est quelques notes de flûte sur un rythme de marabi. Dans le domaine de la production musicale et dans de nombreux autres domaines, circule l’idée – reçue ? – selon laquelle il y aurait une musique « originale », spécifique à l’Afrique du Sud. Cela serait dû à l’histoire particulière de ce pays et à sa mise à l’écart de la communauté internationale. S’il est vrai que l’Apartheid a coupé l’Afrique du Sud du reste du monde, combien de temps a duré cette exceptionnalité ? Cette sombre période a-t-elle empêché les influences extérieures de pénétrer dans le pays ? Les réponses sont difficiles à apporter et doivent prendre en compte divers facteurs explicatifs – politiques, économiques, culturels… Peut-être découvrira-t-on une très forte hybridité dans l’identité de l’Afrique du Sud en tant qu’espace de brassage culturel. La musique sud-africaine est née d’interactions entre groupes sociaux et d’échanges avec le monde. Il est possible de cataloguer cette dernière selon les groupes ethniques : la musique « zouloue » traditionnelle est fondée sur le chant choral ; la musique « afrikaner » est proche de la country music des États-Unis ; la musique des coloured, terme utilisé sous l’Apartheid, est quant à elle attribuée au groupe hétérogène du Cap.
25L’expression musicale sud-africaine possède un caractère syncrétique avec des influences nord-américaines, africaines et du monde entier. Cette globalisation est ancienne, liée au fait que les musiciens ont dû s’exiler. C’est le cas de Miriam Makeba, Abdullah Ibrahim et d’autres, qui ont dû partir dans les années 1960 pour continuer à pratiquer leur art. Le mélange des styles est aussi attribué à l’urbanisation précoce du pays ; au début du xxe siècle, dans les villes sud-africaines, danses et choeurs ruraux apportés par des mineurs se sont mélangés, tandis que les musiques européennes et américaines ont donné naissance au jazz sud-africain. Johannesburg, ville de migrants de l’Afrique australe, « ville du monde », a été le berceau d’inventions musicales étonnantes.
26En 1930, une trentaine de jeunes hommes noirs portant des kilts écossais défilent dans les rues d’un quartier noir de la ville minière de Sophiatown. Munis d’un tambourin, ils jouent d’une petite flûte en métal à six trous en cheminant jusqu’à la ville blanche où ils espèrent gagner plus d’argent. Cette étonnante parade est une illustration des influences multiples exercées sur la création musicale sud-africaine. On observe l’influence des immigrants écossais pour le costume et la musique, l’influence allemande pour l’instrument. Dans les années 1940 et 1950, Sophiatown est un lieu de foisonnement culturel ; c’est dans les bars illégaux de ce quartier que Miriam Makeba et Jonas Gwangwa ont débuté leurs carrières. Ils y apprennent les rythmes du marabi et du kwela, versions sud-africaines du jazz, nées dans les années 1920. Ces musiques furent censurées par le régime d’Apartheid, qui a cherché à promouvoir des musiques ethniques à l’image de la société ségrégationniste. La création musicale dans les townships prend alors un nouveau virage dans les années 1970 avec, entre autres, l’influence du reggae. Ces nouvelles danses et musiques engagées incarnent le combat contre l’Apartheid et font partie intégrante de la culture africaine et afro-américaine.
27Qu’est-ce qui n’est pas politique dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid ? Au début des années 1990, dans les townships, le reggae et le hip hop donnent naissance au kwaito, lequel intègre des rythmes de percussions africaines. Cette musique dénonce une société qui exclut. La censure et la fermeture du pays au monde durant l’Apartheid ont favorisé le développement d’une scène musicale locale. Dans les années 1990, les choses évoluent. Néanmoins la musique sud-africaine a toujours conservé ces influences extérieures. La chanteuse Brenda Fassi (1964-2004) est un excellent exemple de cette combinaison « ouverture et fermeture » qui caractérise l’Afrique du Sud.
28Vingt-cinq ans après la fin de l’Apartheid, où en est l’Afrique du Sud aujourd’hui ? Elle a toujours deux visages : elle appartient à la fois au monde riche, avec les quartiers aisés de Johannesburg et du Cap qui ressemblent aux États-Unis et aux parties du monde dites « en développement ». L’image de modernité urbaine que renvoient les villes du pays fait écho à d’autres métropoles africaines ; Addis Abeba, Nairobi, Dakar, Lagos ou Casablanca, qui ont également leurs espaces de richesse, leurs quartiers résidentiels sécurisés. Pourtant, en circulant dans les zones rurales les plus isolées du pays, on remarque par exemple que d’anciennes réserves africaines, connues sous le nom de « bantoustans », sont restées des zones de grande pauvreté. Aujourd’hui, les indicateurs nationaux en matière économique, sociale, ou de santé, peuvent servir d’outils pour aider à comprendre l’Afrique du Sud : par exemple son produit intérieur brut dépasse ceux du Portugal ou de la Grèce, mais le taux de prévalence du SIDA – 20 % de la population –, est l’un des plus élevé de tout le continent africain.
29Ce livre s’attache sur plusieurs points à dénoncer les idées reçues à propos de la culture musicale sud-africaine et de la politique liée à l’histoire de la ségrégation. L’Apartheid commence en 1948 : c’est l’aboutissement d’une longue histoire de ségrégation raciale, qui a commencé avec l’implantation d’européens dans la région du Cap au xviie siècle. Le territoire du Cap, occupé à partir de 1652, devient rapidement une petite colonie de peuplement, simple point d’escale sur la route des Indes pour la Compagnie des Indes orientales. À partir de 1657, la Compagnie donne des terres à d’anciens employés ; pour ravitailler les navires, la colonie a besoin de développer l’agriculture et l’élevage. Elle fait alors venir une population européenne composée de hollandais et de huguenots français, puis importe des esclaves de Malaisie, d’Indonésie, de Mozambique, de Madagascar et d’Afrique orientale. La société du Cap a été caractérisée très tôt par une double ségrégation : l’une à l’égard des non-blancs de l’intérieur – esclaves d’origines diverses –, l’autre à l’égard des non-blancs de l’extérieur – Khoikhoi, peuple pastoral d’Afrique australe. Cette double ségrégation n’a pas empêché le pays de se définir comme étant de plus en plus africain au cours du xxe siècle.
30Concernant les évolutions démocratiques et économiques depuis 1994 : de nombreux changements ont permis d’améliorer les conditions de vie de millions de personnes dans le pays, à travers un meilleur accès à l’éducation et la construction de logements en plus grand nombre. Certains points, tels que la ségrégation socio- spatiale, la pauvreté ou le chômage pour une grande partie de la population, demeurent cependant préoccupants.
31L’Afrique du Sud est multiple : c’est ce que démontre cet ouvrage, qui apporte différents regards sur ce pays à travers l’histoire, l’économie, la société, la culture, la diversité, les échanges, la musique. L’ouvrage trouve toute sa place dans une bibliothèque universitaire dans le domaine de la géographie, et dans une bibliothèque de recherche en sciences humaines et sociales, afin de mettre en avant la diversité et la richesse de ce pays africain, pas aussi « émergent » que cela !
32Isabelle Calvache
Documentation IEDES – université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Jean-François Bayart, une trilogie chez Karthala
- Jean-François Bayart, Les fondamentalistes de l’identité. Laïcisme, versus djihadisme, Paris, Éditions Karthala/collection petit volcan, 2016, 104 pages, ISBN : 9782811117412, 10 €
- Jean-François Bayart, État et religion en Afrique, Paris, Éditions Karthala/collection petit volcan, 2018, 70 pages, ISBN : 9782811119485, 7 €
- Jean-François Bayart, Violence et religion en Afrique, Paris, Éditions Karthala/collection petit volcan, 2018, 170 pages, ISBN : 9782811119508,12 €
34J.F. Bayart, spécialiste de sociologie historique et comparée, nous a habitués à des livres sérieux et copieux, depuis « l’État au Cameroun » (1979). Tout en conservant le sérieux, l’auteur, avec la complicité de l’éditeur, Karthala, a inauguré une nouvelle collection de livres courts, à petit format et à petit prix, et relevé le défi en nous offrant trois livres récents et stimulants.
35Le premier livre Les fondamentalistes de l’identité. Laïcisme versus djihadisme, concerne principalement la France. L’auteur aborde les causes profondes et l’apparition d’une forme de laïcité comme nouvelle religion nationale, liée à l’identité et au refus des autres. De nombreuses citations et actes de N. Sarkozy et M. Valls montrent « une vision tauromachique de la laïcité, virile et agressive » : « La laïcité, pour les laïcistes, partisans de son application exigeante, n’est pas un instrument de la séparation de la religion et de l’État, une loi de liberté (Clémenceau), mais une arme contre l’Islam. » Le laïcisme contemporain prend pour cible les déshérités, les défavorisés de la République. Il travestit la question sociale en question identitaire ; les fameuses « racines chrétiennes de la France ».
36La controverse sur le burkini montre que dans l’esprit des édiles qui ont pris les arrêtés de ce type, le laïcisme, avec ses confusions, a endossé l’habit de l’anti-intellectualisme, « expliquer c’est déjà un peu excuser » (M. Valls, 13/11/2015).
37Le port de la kippa, de la soutane, du col de clergyman ou de la cornette, ne contreviennent pas à la « laïcité ». Et pas un d’entre eux ne semble avoir gardé en mémoire la tenue de bain de ses aïeules, au début du xxe siècle, notamment pas le maire du Touquet.
38Les deux livres suivants parlent essentiellement de l’Afrique.
39Dans État et religion en Afrique, l’auteur note que « jamais, peut-être, l’évidence de l’interaction entre la sphère de la religion et celle de la politique n’a été aussi grande en Afrique », et ceci concerne aussi bien les fondamentalistes chrétiens, l’Islam ou « les diverses pratiques de l’invisible ». La religion prête à la politique ses mots pour dire l’obéissance, la résistance ou encore son « quant-à-soi ». Et ceci n’a rien de spécifiquement africain.
40« Les imbrications, les synergies, les effets d’osmose entre les deux catégories du religieux et du politique, sont trop systématiques » pour que nous nous en tenions à une vision binaire des choses et que nous l’analysions comme une combinatoire, une interaction mutuelle généralisée.
41J. F. Bayart rappelle l’ancienneté de l’enracinement du christianisme en Afrique, bien avant son islamisation et la colonisation, « l’appartenance de plain-pied et de plein droit du continent aux trois monothéismes ». « Le prophétisme des Églises dites indépendantes, est moins le signe d’un particularisme culturel que celui de leur universalité religieuse. » Tous les faits religieux « ont été des facteurs d’unification culturelle et commerciale du continent ». L’Islam politique est un nouvel avatar du nationalisme. Les Églises universelles y sont implantées et organisées sur une base nationale et, in fine, les conflits de souveraineté ou de compétence qui ont opposé les autorités nationales et les Églises supranationales ont aussi œuvré au renforcement et à la légitimation des États. « La contribution de la religion à la formation de l’État a plus précisément concerné l’une de ses modalités, celle de sa privatisation. L’État colonial a été un État minimum » qui a confié à des opérateurs privés nombre de ses prérogatives (santé, éducation…).
42« En Afrique, la contribution de la religion à la formation de l’État a emprunté, pour l’essentiel, une orientation conservatrice, comme réponse aux passions révolutionnaires, mais peut être aussi un vecteur d’émancipation sociale par rapport aux catégories identitaires de l’ethnicité, des catégories statutaires ou de classes sociales (les anciens, les esclaves, les femmes, les autres cadets sociaux). L’école religieuse est une école parmi d’autres, dont l’enseignement ouvre les portes du pouvoir économique auprès de l’État » et, surtout, « le rapport de la religion à l’individuation apparaît, de plus en plus clairement, dans des sociétés en proie à des profondes transformations sociales ».
43« Si l’étude des relations entre religion et politique est très classique, l’institutionnalisation de l’État bureaucratique, rationnel-légal, peut en renouveler la problématique, ne serait-ce que parce qu’il doit affronter, sur une base inédite, les questions épineuses de la rencontre coloniale et de la subalternité sociale, toutes deux au cœur du dialogue africain, entre Dieu et César. »
44Dans Violence et religion en Afrique, J. F. Bayart souligne que le rapport privilégié que la religion entretiendrait avec la violence est devenu l’un des poncifs du débat public. Il nous incite à aller plus loin, à éviter les querelles et les amalgames, à se demander de quelle-s religion-s on parle, de quelle violence et de quelle Afrique, et à analyser concrètement les combinatoires historiques spécifiques. L’analyse de Boko Haram est une bonne illustration de cette démarche.
45Des mouvements armés d’orientations religieuses très diverses occupent, en réalité, « une place marginale dans les interactions entre Dieu et César ».
46J. F. Bayart, selon son expression, pense qu’un chercheur est « un empêcheur de penser en rond ». En dénonçant les idées reçues et les fausses oppositions, il nous invite à prendre en compte des analyses concrètes et historicisées.
47Il précise « l’esprit du comparatisme auquel nous avons recours ». Celui-ci agit comme « opérateur d’individualisation qui restitue l’historicité propre des sociétés qu’il embrasse, plutôt que de les ramener à des catégories génériques prétendument universelles ». Il montre que l’Afrique n’est pas un cas particulier « exotique », mais un point privilégié pour comprendre les évolutions de notre monde.
48Dominique Gentil
Geoffrey Jones, Profits and Sustainability: A History of Green Entrepreneurship, Oxford, Oxford University Press, 2017, 424 pages, ISBN: 9780198706977, 30 £
49Geoffrey Jones tells the tale of people and their ideas, and how they shaped the way we think about sustainability today. After years of studying the evolution of international trading and the role of multinationals in globalization, this professor of business history at Harvard Business School offers here a historical perspective of the origins and growth of green businesses, showing that profits and green action are not only compatible, but that they have been for over a century.
50The direct impact of human action on the environment – and its often negative effects – are not new. In 1896, Svante Arrhenius, a Swedish chemist, discovered that carbon dioxide emissions contributed to the rise in global temperature. His work did not go unnoticed, as he won the Nobel Prize in 1903. Yet it was not until the 1960s that the public’s general opinion and attitude towards the environment shifted. Jones’ analysis adopts a chronological approach, cutting history into four sections: 1850-1920, 1930-1960, 1960-1980, and finally from 1980 to nowadays.
51Jones dates the beginning of green entrepreneurship back in the 1850s, when the first Industrial Revolution was having such rapid and visible impacts on people’s quality of life. Indeed, individuals reacted in fierce opposition to such drastic changes. Did not London’s famous fog inspire Turner to paint the Thames as a continuous bed of smoke? The proximity of polluting heavy industries to the well-read city dwellers sparked the first private initiatives, and the first environmental non-governmental organizations to call for the protection of natural parks were created. Jones differentiates two kinds of responses to the environmental situation at that time: the conservation reaction and the romantic reaction. Paul Sarasin accurately summarized the idea underlying the first one in 1910: “As the world has been conquered, it is now a question of preserving it”. As the leader of the first Congress for the Protection of Nature (1909), he would eventually create the first national parks in Switzerland. The second one, the romantic reaction, is based on the conception of a more intricate and esoteric relation between man and nature. Leaders were figures like Sylvester Graham and John Henry Cook, who published essays on the impact of nature degradation on health, and the benefits of “healthy earth for healthy food”.
52From 1930 to 1960, environmental concerns remained subdued to the point sometimes of total oblivion, as historical events got everyone’s attention at that time. With the pressure generated by the Great Depression and World War II, states ignored matters that were not about growing faster and stronger. This was also a political choice: cheap and easy access to crude oil made possible what seemed to be unlimited growth. Furthermore, fossil fuels were produced and processed out of sight of the growing middle class, who was then urged to consume more. However, a group of individuals persisted and remained attached to an ideal of green future, as was Jerome Rodale, prominent author and publisher, who advocated for a return to organic farming in the United States, which he coined “sustainable agriculture”. In architecture, Frank Lloyd Wright, aside from being an visionary artist and founder of the Prairie Style movement, also had his own view on the role of a home in a natural landscape, on how to maximize natural sunlight penetration with smartly placed windows and on how to use renewable materials. As demonstrated in his Falling water piece, where a stream flows right through the house, he places men “in the continuity with nature”, not at nature’s center. Buckmninster Fuller, with his famous term “Spaceship Earth”, introduced the concepts of ephemeralization and synergy in his works. Product of his time, he was typically non-Malthusian in his belief that technological advancement was able to do “more and more with less and less, until you can do everything with nothing.” (Fuller, 1938). For him, progress meant little to no human impact on the environment. Hassan Fathy, Aga Khan Chairman’s Award winner, was an Egyptian architect who advised and implemented the use of ancient construction methods which he thought to be more appropriate to the local climate: dried clay bricks replaced concrete cement. Indeed, bricks were more heat-resistant and more affordable to poor households. The ideas mentioned above – although not all formulated by environmentalists – inspired the next generations, and were at the origin of innovative projects.
53The 1960s saw the sudden re-ignition of environmental concerns, which would grow through the 1980s. Biologist Rachel Carson wrote Silent Spring in 1962, which propelled synthetic pesticides and the use of chemical components in agriculture and the industry into the public debate. Despite truculent opposition from the producers of the substances she denounced, her ideas led to a nationwide ban on dichlorodiphenyltrichloroethane (DDT) and the creation of the American Environmental Protection Agency. In 1970 Earth Day was celebrated for the first time, led by many grassroots movements which consequently grew with public attention. Britain’s Department of the Environment was founded in 1972, and the first United Nations Conference on the Human Environment was held in Stockholm that same year. Unprecedented coverage and interest were given to the figures and groups who led these movements and were now implanted in many sectors of the industry. Michio Kushi (macrobiotic food) stood for organic food production; Horst Rachelbacher (Aveda) and Anita Roddick (The Body Shop) for the use of natural cosmetics; Ian McHarg (land-use planning) and Sim Van der Ryn (community-scale design) were committed to placing the environment at the center of their work; Lars Eric Lindbald (MS Lindbald Explorer) advocated for the development of eco-tourism. Their products rapidly exited the niche markets they had occupied until then to flood the mainstream markets.
54All these new projects required vast amounts of capital, but uncommon as they were, and the banking sector being conservative as it is, only a few bankers had faith in their ideas. Among these few people was Wilhem Barkhoff, founder of the Ethical Banking movement, or what he named “anthroposophical banking”. Green issues were now being addressed in political agendas.
55The panacea of environmental conscious-ness in entrepreneurship was reached in the 1980s, and still shapes the way we think of sustainability today. What used to be marginal thinking is now part of mainstream consumption. Founded by John Mackey, the supermarket chain Whole Foods, listed in the NASDAQ-100 indicator, is now hugely popular. Certification for organic agriculture as well as eco-friendly buildings are valued, and eco-labels now exist for almost all products. It is widely understood that the way we treat our environment today will shape the way we live tomorrow, and that is mostly thanks to these first green entrepreneurs.
56As he recounts the history of green entrepreneurship, the author focuses on individuals and their singular paths. It would be impossible to single out a set of variables that would explain what led these people to walk the paths they chose. Despite the difficulty, the author suggests to classify entrepreneurs according to their motives: on one side, the “green entrepreneurs”, who had only the environment in mind when launching their projects, and on the other side, the “conventional entrepreneurs”, who did it for the profits. And withholding judgment, he shows how we need both profiles to build an industry.
57The main criticism that could be expressed is the tendency to use anachronisms. Indeed, it is difficult to consider that late 19th century thinkers had the same impact and views as their mid-20th century counterparts. For example: Rudolph Steiner, born in present-day Croatia in 1861 – founder of the anthroposophy school of thought – came up with a farming method qualified as “biodynamic” which, if absolutely organic – because involving no artificial chemicals –, is also prone to esotericism as seed sowing follows a specific astrological calendar and the fertility of the ground can be amplified by burying quartz – amongst a wide variety of methods. Can these kinds of methods be possibly compared to the achievements of the 21st century entrepreneur and author Paul Hawken, who popularized the expression natural capital and who counsels companies on how to minimize their environmental impact? In that case, Jones’ book should date back to for example the ancient Jerusalem gray water plumbing system, where spring water was channeled to the city, and gray water was redirected to surrounding fields for fertilization. The main limitations of this book are thus its geographical – the vast majority of people named in the book are of western origin – and temporal – dating back only to 1829, with the Graham whole wheat cookie – restraints.
58Finally, it does pay green notes to be green.
59Alizée Ville
IEDES – université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mary E. Burfisher, Introduction to Computable General Equilibrium Models, Second Edition, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, 468 pages, ISBN: 9781107132207, 34.99 £
60This book serves a niche audience by covering a topic in a way other textbooks on Computable General Equilibrium (CGE) models do not: by providing a thorough and well-rounded entry-level presentation. A CGE model is a system of equations that describes an economy as a whole and the interactions among its parts. It is based on equations derived directly from economic theory that will look familiar to micro- and macroeconomics students. All of the equations in the model are solved simultaneously to find an economy-wide equilibrium in which different variables changes can be measured after the modeler’s inputs, through experiments, change this equilibrium.
61The book presents a standard CGE model with a representative household consumer, a representative producer of each type of product, and determined solution values uniquely for process and quantities. It is a static, or single period model that provides a before-and-after comparison of an economy confronted to a shock, such as the introduction of a new tax. The book also comprises a detailed glossary of CGE models literature, and model exercises that take the reader step by step in running its own experiments. In this sense, the book provides not only a basic introduction, but also a tutorial on one of the existing models and databases used by economists. This introductory study of CGE models is timely given the increased use and accessibility of CGE models and the availability of databases used for this type of analysis.
62In a nutshell, the book deals with the main components of a CGE model. It starts with a list and a description of the different elements of a CGE model including endogenous and exogenous variables, model closures, the equations used to link these and other elements, and the procedures to calibrate the models. At the beginning, a functioning model is given and serves as a basis for exercises throughout the chapters, permitting to drill deeper into the mechanics of analysis and explanation of CGE models. A database is also provided – a “Social Accounting Matrix” – and used with this model, thus constituting a complete, specific example on which the author bases its analysis and exploration. The rest of the book focuses on different parts of CGE models that keep coming back to the example model and database provided, to explain the inner workings of the analysis process and its interpretation.
63Most textbooks on CGE models are designed for advanced readers and only explain specific procedures to use different software or advanced descriptions of increasing levels of complexity of this method of economic impact analysis. The author does not follow this route and makes a clear, systematic and methodical presentation of a complex CGE model from the start by not treating it as a “black box” in which different equations are moving at once and results are difficult to explain. This means she details the theory behind the model components with great care. By doing this, the author overcomes the limitation of most books on the subject that undermines the models’ theoretical consistency and analytical capability. Besides, by basing the explanation on a complex standard model from the outset, the book permits the analysis of model experiments and outputs that are applicable and useful in professional life.
64By deconstructing a standard CGE model throughout the book with the help of basic economic principles, the author manages to dispel some of its mystery, making it more comprehensible and useful to students and professional economists alike. The way the author studies the main components of a CGE model, and the way microeconomic behavior is shown to add up to the macroeconomic performance of the economy is of great usefulness. The detailed study of the model components in separate chapters (supply, demand, factor markets, trade, taxes and regulations) allows emphasizing the importance of the underlying economic theory and supplying practical examples to illustrate these somewhat abstract concepts. In the book’s conclusion, new areas of research in CGE that complement this presentation are introduced.
65Each chapter follows the same structure: it starts with a description of the model with the help of basic economic principles and an example of its application with supply and demand curves and other basic theoretical explanations. This constitutes the theory behind every major equation and key variable used, providing the underlying hypotheses of the core model. The presentation of the theory is accompanied by an exploration of the database behind the exercises, allowing the reader to familiarize with the specific values underlying the model. This presentation of the data and the model permits the reader to explore each chapter’s topic before starting its own theoretical and practical analysis.
66After each theoretical explanation, the author tests it by making changes to the base model, so that the reader understands how to use it and how to interpret experiments. These sections in each of the chapters make the CGE model “come alive” and show with examples how to link the theory with the mathematical formulation of the model and its interpretation. Step by step, the book introduces readers to the current experiments undertaken with CGE models, familiarizing them with the way they are used in applied contexts. This provides invaluable how-to examples of model use, analysis and interpretation that equip readers to undertake their own CGE analysis. In sum, the author provides its readers with the needed theory to be able to build their own CGE model and interpret it by giving them a solid base on its inner workings.
67L. Nicolas Ronderos
Urban and Regional Development Consultant
Didier Fassin (ed.), If Truth Be Told: The Politics of Public Ethnography, Durham-London, Duke University Press, 2017, 368 pages, 978-0-8223-6977-6, 23 €
68This collection of scholarly articles by thirteen anthropologists, edited by Didier Fassin2, explores in lively detail “the unpredictable public afterlife of ethnography” – in other words, the diverse and often unforeseen forms of interaction that take place between the work of an ethnographer and the public sphere, leading up to – and following – the publication of ethnographic research.
69By doing public ethnography, researchers choose to step out of the relatively secluded chambers of the academia, and become directly engaged with the world. Fassin calls public ethnography a “democratic exercise” in that it is highly dependent on the social intelligence of the public it studies and because it is openly available to be discussed with the public at large. If Truth Be Told exposes that there are in fact multiple publics that have access to the ethnography and that they are often hard to identify, leading to reactions that are unpredictable when first publishing one’s work. Fassin defines these publics as those both addressed and concerned by the work of an ethnographer, and the featured authors attest to the publics’ diversity – the marginalized (Hage, Neiburg), policy makers (Dubois, Cunha), the media (Coleman), the state (Biehl, Gillespie), the judiciary (Benthal), fellow scholars (Hamdy), or the general population (Wikan), to name a few.
70Whatever the audience interacting with the ethnography, Hamdy reminds us that the public sphere is never a neutral territory. Hence, by going public, ethnographers might find themselves disseminating “counterknowledge” (as per J. Biehl) that challenges the mainstream dogma, and those who control it (from imams to Universities, or to the State), often subjecting themselves to fierce opposition. Bessier and El-Haj elaborate how their attempts at “speaking truth to power” resulted in hostile encounters and diverse attempts at silencing the researcher by the dominant producer of knowledge. The decision to publish material that might be seen as subversive carries in itself real or perceived risks to the ethnographer’s reputation, career or life, and explains the phenomenon of underexplored and avoided fields of ethnographic study which Fassin terms “black holes of ethnography” (2013). Wikan analyses her experience entering one of such black holes by studying honor killings in Scandinavia, and reflects upon the consequences of her choice.
71If Truth Be Told equally points to the importance of the socio-political context for examining – and perhaps, in part, predicting – the reception of an ethnographic work by its publics at a given moment. Highlighting the tension between the publicity and concealment of one’s work, Dubois reflects upon the modalities in finding the appropriate moment for going public. El-Haj and Gillespie, among others, expose how the difficulty or ease with which one can both conduct and publish ethnographic research are inevitably influenced by the local, national and international political contexts at a given moment. Biehl and Dubois point to the the neoliberal push for hard data collection that has seeped into the world of social science and that has in part contributed to what Hamdy calls the ethnographer’s illegitimacy, epitomized by the discarding of ethnographic knowledge by other “experts” as unscientific, unrepresentative and anecdotal.
72Split into three chapters, If Truth Be Told sets out to analyze the strategies that public ethnographers might adopt while interacting with their diverse publics, the engagements solicited by the publics from the ethnographers, and, finally, the tensions that emerge while publishing and publicizing one’s work. By dedicating a whole volume to the encounters of a researcher with his audience that are unavoidably interwoven with conflicts, collaborations, power dynamics and unforeseen turns of events, Fassin et al. call for a study of this “afterlife of ethnography” as an academic object in its own right.
73Miriam Ngombe
IEDES – université Paris 1 Panthéon-Sorbonne