Notes
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RIDP, vol. 70 (3-4), 1999, pp. 869-887. Version en Anglais : pp. 861-913. Version en Espagnol : pp. 915-939.
Thème : Les systèmes pénaux à l’épreuve du crime organisé
2. Partie spéciale.
3. Procédure pénale.
4. Droit pénal international.
Motion présentée au Secrétaire général des Nations Unies
Section I : Partie générale
I
1 1. Le crime organisé poursuit typiquement l’obtention de pouvoir et/ou de profit à travers une organisation fortement structurée. Le crime organisé présente souvent des caractéristiques spécifiques qui peuvent faire échec au traitement de ce phénomène à l’aide des concepts et des moyens traditionnels de la justice pénale. De telles caractéristiques résident, par exemple, dans :
2 – la division du travail et la «dilution» de la responsabilité individuelle au sein de l’organisation
3 – l’interchangeabilité des individus
4 – le secret
5 – le mélange entre les activités légitimes et illégales
6 – la capacité de neutraliser les efforts d’application de la loi pénale (p.e. par l’intimidation, la corruption)
7 – la capacité spéciale de transfert des profits
8 Il est par conséquent nécessaire de développer davantage le droit pénal de façon à ce qu’il puisse répondre de manière adéquate au défi du crime organisé.
9 2. Lorsqu’un législateur décide d’imposer des sanctions (ou de les aggraver) pour l’implication dans le crime organisé ou autorise des moyens spéciaux envers le crime organisé, la loi doit définir clairement ce que recouvrent les notions de « crime organisé », de « groupe criminel », etc.
10 3. Lors de la mise au point de nouvelles dispositions légales et de la reformulation des dispositions existantes pour faire face au défi du crime organisé, il importe de respecter les droits de l’homme et les principes de base du droit pénal, par exemple le comportement socialement dangereux comme condition de la punissabilité, le principe nulla poena sine culpa, le principe de la proportionnalité de la peine par rapport à l’infraction et le principe in dubio pro reo. Ceux qui proposent des réformes législatives devraient être conscients du risque que les nouveaux instruments mis au point spécifiquement contre le crime organisé, par exemple de nouvelles formes de complicité, pourraient être utilisés dans d’autres contextes et y développer des conséquences imprévues. Le droit pénal matériel ne doit pas être utilisé en tant qu’instrument de répression proactive d’éventuels dangers sociaux.
11 4. En cas de modification législative, il convient de garder à l’esprit que le crime organisé dépasse souvent les frontières nationales ; les législations devraient donc être compatibles à l’échelle internationale afin qu’une coopération internationale efficace soit possible.
II
12 1. Dans la mesure où il est souvent difficile de démontrer que les chefs et les autres membres des groupes criminels organisés ont effectivement participé à la commission des délits spécifiques commis dans la poursuite des buts de l’organisation, les catégories traditionnelles d’auteur et de complice peuvent ne pas suffire à rendre ces individus responsables. Dans la mesure où les catégories traditionnelles d’auteur et de complice sont considérées insuffisantes, on devrait envisager une prudente modernisation de ces catégories à partir du principe de la responsabilité organisationnelle. Dans les organisations hiérarchiquement structurées, les personnes ayant un pouvoir de décision et de contrôle peuvent devenir responsables en raison des actes des autres membres sous leur contrôle, si elles ont donné l’ordre de la commission de ces actes ou si elles ont consciemment omis de prévenir la commission de ceux ci.
13 2. La reconnaissance du concept de conspiracy peut contribuer à étendre la responsabilité pénale aux individus qui ne sont pas directement impliqués dans la commission des délits particuliers. L’incrimination de la conspiracy devrait toutefois se limiter aux infractions graves et devrait exiger toujours la preuve d’un acte manifeste en application de l’accord.
14 3. La négligence n’est pas suffisante pour engager la responsabilité pénale du complice.
III
15 1. Dans le développement des réponses effectives au crime organisé, on devrait prendre en considération les mesures civiles et administratives, susceptibles de constituer des alternatives effectives aux sanctions pénales. Les sanctions à caractère non pénal ne devraient pas être employées pour écarter le respect des garanties du droit pénal substantif et/ou de la procédure pénale.
16 2. Des contrôles préventifs devraient être assurés afin d’éviter que des organisations criminelles soient en mesure de prendre le contrôle d’activités légitimes ou de s’infiltrer dans des administrations publiques.
17 3. Lorsque des personnes morales ont été impliquées dans des activités criminelles organisées, la dissolution de ces entités, la confiscation de leurs biens et/ou d’autres mesures dirigées contre elles peuvent être des moyens effectifs pour combattre le crime organisé.
18 4. Les sanctions pénales doivent être proportionnelles à la gravité de l’infraction et à la responsabilité individuelle du délinquant.
19 5. Quand il est jugé nécessaire de faire des concessions aux individus ayant appartenu à une organisation criminelle mais qui l’ont abandonnée et qui collaborent ensuite avec les autorités, l’impunité totale devrait être limitée au délit d'appartenance à une association criminelle et requérir l’abandon volontaire de ladite association avant que l’auteur du délit ne soit informé d’une enquête pénale imminente ou en cours. Dans d’autres cas, une possible atténuation de la sentence devrait être réglementée par la loi. En aucune circonstance elles ne devraient se traduire en une impunité de facto. Les concessions offertes aux dirigeants ne devraient pas être disproportionnées en comparaison de celles accordées aux membres ordinaires.
20 6. Parmi les sanctions contre le crime organisé, la confiscation des biens, y compris des produits dérivés, est un instrument utile pour couvrir les gains illicites et réduire la base opérationnelle des associations criminelles. La confiscation devrait être traitée comme une sanction pénale et non comme une « mesure préventive » ou comme tout autre genre de mesure n’exigeant pas toutes les garanties du procès pénal. Dans la mesure où la confiscation dépasse les gains nets que l’auteur a tirés de son crime, la confiscation devrait être considérée comme partie de la sanction pénale afin de déterminer la proportionnalité de la sanction à l’infraction.
21 7. La confiscation de tous les biens d’une personne physique ne devrait pas être utilisée comme sanction pénale.
22 8. La confiscation des produits exige, en principe, la preuve que le possesseur les a obtenus au moyen d’une infraction dont il est coupable. Cependant, si par décision judiciaire une association s’avère être une association criminelle, les biens liés à ses activités peuvent être confisqués si le possesseur ne démontre pas qu’il les a acquis par des moyens légitimes. La confiscation des produits peut aussi être imposée à des personnes morales si leurs représentants savaient, au moment d’acquérir les biens, qu’ils avaient été obtenus au moyen d’une infraction pénale (ou si la personne morale les a acquis sans un paiement adéquat).
23 9. Dans le domaine du crime organisé, la confiscation devrait être possible, par décision judiciaire, lorsque des biens ont été trouvés alors qu’ils proviennent apparemment d’activités criminelles, mais ne peuvent être attribués à un délinquant particulier. Lorsque la preuve de la possession légale a été rapportée, les biens doivent être rendus.
24 10. La confiscation ne devrait pas prévenir ou empêcher le dédommagement de la victime. Si nécessaire pour le dédommagement des victimes, les biens confisqués devraient être employés à cette fin.
25 11. Pendant un procès pénal, des biens peuvent être provisoirement saisis sur ordre judiciaire s’il existe des indices suffisants qu’ils seraient susceptibles de confiscation et qu’ils pourraient être soustraits à la disponibilité des autorités s’ils n’étaient pas saisis immédiatement.
26 12. Il est souhaitable que des recherches soient effectuées pour déterminer l’efficacité de la confiscation en tant qu’instrument de lutte contre le crime organisé.
Section II : Partie spéciale
1. Généralités
27 On peut estimer que le droit pénal classique de l'auteur et du complice est impuissant à atteindre celui qui est en relation avec le crime organisé, et à apporter une réponse efficace et adéquate aux nouvelles formes de crime organisé. Les législateurs doivent donc chercher de nouveaux outils, spécialement ceux qui permettent d'incriminer la participation à des associations poursuivant des buts criminels.
2. Domaine
28 L'incrimination des associations criminelles et des autres types de crime organisé dont il est question ci dessous doit présenter les éléments et caractéristiques mentionnés dans la Section I (droit pénal général).
3. Légitimité d'une incrimination spécifique
29 Pour légitimement combattre le crime organisé au moyen d'incriminations spécifiques, présentées ci-dessous, les législateurs doivent rechercher la connaissance objective du volume, des tendances et de l’impact réellement causé par ce phénomène sur la société au niveau national ou international. Cette recherche doit apprécier le bien fondé de l'incrimination par référence à l'existence d'un réel dommage social propre.
4. Délit autonome d'appartenance à une association criminelle
30 L'incrimination de l'appartenance est un outil important de la lutte contre le crime organisé. L'appartenance à une association criminelle en tant que fondement de la responsabilité pénale doit être définie en termes fonctionnels. « L'appartenance » signifie, entre autres, la création, la direction, le financement ou l'adhésion à l'association. Elle n'exige pas la participation à la commission de délits. Elle se contente de l’appartenance à une structure stable de l'association.
31 L'appartenance doit être corroborée par un fait matériel (correspondance, déguisement, etc.).
32 Suivant le droit pénal classique, les participants extérieurs à l'association et qui poursuivent le même but criminel qu'elle, peuvent être poursuivis comme complices.
33 Suivant le droit pénal classique, les personnes contraintes d'entrer ou de demeurer dans l'association ne peuvent être poursuivies de ce fait.
34 S'agissant de relations licites avec l'association, la simple connaissance du caractère illégal de l'association est insuffisante pour motiver des poursuites (livreur de nourriture, consultation juridique ou médicale, etc.).
5. Circonstance aggravante d'association criminelle
35 En cas de commission de l'infraction, le législateur national peut utiliser trois méthodes : la circonstance aggravante, la double punition (l'une pour l'appartenance et l'autre pour l'infraction commise par l'accusé au bénéfice de l'association) ou enfin le système du concours réel (double déclaration de culpabilité, une seule peine prononcée).
6. Garanties
36 Les législateurs nationaux qui adoptent le principe d'une infraction autonome et spécifique doivent faire face à des problèmes sérieux relevant du droit pénal, du droit constitutionnel et des droits de l'homme. Cela implique de parvenir à un équilibre entre l'efficacité attendue et la protection des intérêts sociaux et individuels légitimes. A défaut, une telle incrimination mettrait en péril les principes suivants :
37 a) Le caractère vague de la définition violerait le principe de la légalité, ce qui mettrait à son tour en danger le principe de la séparation des pouvoirs et d'autres principes constitutionnels. L'incrimination doit donc être rédigée en termes précis.
38 b) Le principe du dommage social ou du danger social nécessaire, inclus dans l'élément matériel en tant qu'élément constitutif de l'infraction (à savoir qu'elle doit causer un dommage social effectif) serait méconnu. La poursuite doit donc prouver que l'accusé s'est joint à l'association qui cause un dommage social effectif.
39 c) Le principe de responsabilité personnelle, dont l'élément moral (mens rea) fait partie, exige la preuve que l'accusé a délibérément adhéré à l'association en vue de participer aux activités criminelles de l'association (par exemple qu'il n'a pas été obligé de le faire pour pouvoir accomplir sa profession légitime). Une preuve convaincante que l'accusé a eu la connaissance suffisante du passé, du présent et des projets de l'association et qu'il a adhéré en vue de se joindre à ces activités criminelles doit être apportée.
40 d) Le principe de proportionnalité serait méconnu. Dans la mesure où de très fortes pressions peuvent être exercées sur les membres les plus faibles d'une association pour leur faire commettre des infractions, ces personnes doivent être punies seulement en proportion de leur rôle dans l'association. En outre, l'objet et les limites de l'incrimination doivent se borner à l'importance de leur implication personnelle.
7. Situations d'urgence
41 Une législation ad hoc ou spécifique qui prétend trouver sa justification ou sa légitimité dans des situations d’urgence doit être rigoureusement limitée dans sa nature, dans son ampleur et dans sa durée.
8. Coopération internationale
42 Si la méthode d’une infraction autonome et spécifique est adoptée, des standards minimaux conformes à la protection internationale des droits de l'homme et aux principes constitutionnels doivent être suivis, de manière à permettre la coopération internationale (voir ces standards Sections III et IV).
9. Blanchiment
43 Dans le domaine du crime organisé, le blanchiment de l'argent illicite est spécialement important pour au moins trois raisons. En premier lieu, le blanchiment est la suite virtuellement nécessaire de tout crime organisé.
44 En deuxième lieu, le blanchiment est l'exemple même d'un crime organisé très grave. En troisième lieu, l'incrimination du blanchiment est souvent le seul moyen de confondre les auteurs de crimes organisés. Pour ces raisons, les lois de répression du blanchiment doivent être utilisées comme une arme majeure dans le combat contre le crime organisé et en vue de renforcer les mécanismes de la confiscation des gains illicites.
Section III : Procédure pénale
45 1. Il faut systématiquement assurer le respect de l’état de droit, y compris en cas de lutte contre ces formes de criminalité que l’on désigne sous l’expression de criminalité organisée. Dans la plupart des cas, la procédure pénale de droit commun est organisée de manière suffisante pour réagir avec fermeté contre le phénomène du crime organisé.
46 Toutefois, dans certains cas, des aménagements législatifs de la procédure pénale de droit commun peuvent être envisagés, dans le respect du caractère équitable du procès dans son ensemble.
47 2. La présomption d’innocence fait partie de l’état de droit. La charge de la preuve repose sur la poursuite, le niveau de preuve étant soit celui de l’intime conviction soit celui de la preuve légale. Toute présomption irréfragable de culpabilité est formellement interdite.
48 3. L’enquête proactive a pour objet de faire apparaître la structure et les méthodes d’une organisation criminelle, afin de permettre le déclenchement d’une poursuite pénale contre ses membres. Une telle enquête accompagnée de mesures portant gravement atteinte aux droits fondamentaux n’est possible qu’aux conditions suivantes :
49 – Elle ne doit utiliser que des moyens reconnus en droit positif et conformes au respect des droits de l’homme (principe de légalité) ;
50 – Elle ne doit être utilisable que s’il n’y a pas d’autres moyens légaux moins graves d’atteindre ce but (principe de subsidiarité) ;
51 – Elle doit être limitée à des infractions particulièrement graves (principes de gravité et de proportionnalité) ;
52 – Elle ne peut être conduite qu’avec l’autorisation préalable d’un juge ou sous son contrôle (principe de judiciarité).
53 4. Les mesures qui sont prises au cours de l’enquête proactive ou au cours de l’enquête ordinaire doivent être conçues de manière particulièrement restrictive dès lors qu’elles portent atteinte à l'intimité de la personne. Notamment, ces mesures doivent être prévues par la loi, et si elles sont graves, elles doivent être ordonnées et contrôlées par l'autorité judiciaire.
54 5. Une protection efficace doit être accordée aux personnes ayant fourni délibérément ou accepté de fournir des éléments de preuve ou des informations qui permettent d’élucider des affaires de criminalité organisée ainsi qu’à leurs familles.
55 6. Le recours à l'anonymat des témoins n'apparaît normalement pas possible en ce qu’il heurte les droits de la défense. Si toutefois certains Etats estiment nécessaire de faire appel à des témoins anonymes, les conditions suivantes doivent être prévues et réglées par la loi :
56 – Seule la crainte caractérisée et immédiate de graves représailles peut justifier le recours au témoignage anonyme ;
57 – Une condamnation ne saurait intervenir sur la seule base de témoignages anonymes ;
58 – C'est le juge, soit avant jugement, soit lors de la phase du jugement, qui connaissant l’identité du témoin, décide si ce témoin peut déposer sous le sceau de l'anonymat. Un juge vérifie ensuite la crédibilité de ce témoin ;
59 – Il importe que la défense dispose d'un moyen adéquat d'interroger le témoin anonyme et de participer à l'examen.
60 7. Le témoin ou la victime particulièrement menacés doivent pouvoir ne pas révéler leur âge, leur adresse personnelle ainsi que celle de leur lieu de travail, sur l'autorisation de l'autorité judiciaire compétente.
61 8. L’introduction des « repentis » n’est pas recommandée eu égard aux difficultés soulevées par cette institution au regard de la légitimité du système pénal et le principe d’égalité des justiciables devant la loi. Toutefois, des personnes soupçonnées d’être membres d’une organisation criminelle et qui décident de collaborer avec les autorités judiciaires peuvent bénéficier d’une réduction de peine sous les conditions suivantes :
62 – Il faut que l’usage des informations provenant d’un repenti soit prévu de manière précise par une loi (principe de légalité) ;
63 – Dans tous les cas une approbation d’un juge est requise (principe de judiciarité) ;
64 – Un inculpé ne saurait être condamné sur la seule base de la déposition de repentis ;
65 – Il ne peut être fait appel aux «repentis» que pour prouver des infractions graves (principe de proportionnalité) ;
66 – Un « repenti » ne peut pas bénéficier de l’anonymat.
67 9. La création ou le développement de services spécialisés dans la lutte contre le crime organisé, qu'il s'agisse de services de police ou de justice ou même d'administration, apparaît comme hautement souhaitable.
68 10. A ces fins, tous efforts de rapprochement entre les différents systèmes procéduraux doivent être envisagés avec une très grande faveur.
Section IV : Droit pénal international
A. Définir de nouvelles infractions et développer les infractions existantes dans les conventions sur la coopération internationale
69 1. La coopération internationale dans la lutte contre la criminalité organisée devrait être améliorée par le développement, la mise en œuvre effective et le renforcement des conventions existantes. De nouveaux instruments pour lutter contre le crime organisé ne devraient être développés que dans la mesure réellement nécessaire. Lors du développement de nouveaux instruments de lutte contre la criminalité organisée, le principe de subsidiarité devrait être respecté. En fonction de la nature et de la gravité des infractions concernées, ainsi que du cadre régional dont les Etats coopérant font partie, la coopération devrait inclure la mise sur pied de mécanismes d’application internationaux (mécanismes d’investigation, de poursuite et/ou mécanismes judiciaires), voire revêtant un caractère supranational ; mais seulement dans la mesure nécessaire.
70 L’attention devrait être portée vers une approche multidisciplinaire pour l'établissement et l’évolution des régimes internationaux de mise en œuvre et de non-mise en œuvre, spécialement sur l'interaction de la théorie de l'organisation internationale d'un côté, et du droit pénal et international de l’autre.
71 2. Compte tenu du fait que le congrès partage les soucis, exprimés par les deux premières sections du congrès de l’A.I.D.P. au sujet du manque de précision dans la définition de certaines infractions nouvelles et complexes (par ex. : la participation à une organisation criminelle ou la conspiracy), il recommande que, dans l'élaboration des conventions internationales, une attention particulière soit portée à mettre l'accent sur les infractions particulièrement graves et à définir les critères appropriés de responsabilité pénale et leurs poursuites transnationales aussi claires que possible.
72 3. Le congrès reconnaît néanmoins la nécessité pour les membres de la communauté internationale d’adopter une législation adéquate couvrant certaines infractions typiques de la criminalité organisée qui sont à présent définies d’une manière trop restrictive, afin de permettre une coopération internationale efficace (par exemple, la corruption de fonctionnaires étrangers ou internationaux). En outre, certaines formes de trafic de marchandises illicites (par ex. : des armes et explosifs, des déchets toxiques, des trésors artistiques nationaux, des animaux protégés, de la pornographie infantile) ou d’êtres humains (par ex. : des immigrants, des enfants, le travail au noir, l’esclavage sexuel) devraient bénéficier d’une plus grande attention.
B. De nouvelles règles de compétence extraterritoriale
73 1. Le congrès ne recommande pas l’instauration d’une compétence universelle (comprenant une compétence régionale universelle) pour les infractions « nouvelles et complexes », ni pour quelqu’autre infraction. Dans la mesure où les Etats exercent malgré tout une telle compétence, au moins faudrait-il qu’elle soit combinée à une protection internationale obligatoire du principe ne bis in idem (v. infra, point B.4)
74 2. Les dispositions opérant une extension des compétences (compétence territoriale et compétence extraterritoriale) accroissent les risques de conflits de compétence. De problèmes de coordination peuvent en résulter (v. infra, point B.3). Le congrès considère toutefois que ces problèmes de conflits de compétence constituent avant tout des problèmes de droits de l’homme (v. infra, point B.4).
75 3. Les problèmes de conflits de compétence devraient être résolus de telle manière que soient pris en compte, non seulement les intérêts des états concernés, mais aussi, et en particulier, ceux des inculpés et des victimes.
76 a) Lorsque plus d'un état est compétent pour poursuivre un délinquant pour la même infraction, la détermination du lieu devrait être opérée par une chambre préliminaire. Cette chambre préliminaire internationale devrait également avoir compétence pour statuer dans les cas de criminalité organisée transnationale ou deux états ou plus ont compétence et que les autorités de l’un de ces états souhaite régler le cas par des voies d'un règlement extrajudiciaire (une transaction ou un arrangement) (v. aussi E. 4 et E. 6).
77 b) Lorsque les poursuites dans deux états (ou plus) offrent des chances d'aboutir à une mise en œuvre efficace de la loi pénale, le choix devrait être effectué en faveur du lieu qui préserve le mieux les intérêts des suspects et des victimes (dans le sens d’une bonne administration de la justice). Un lieu particulier ne devrait jamais être choisi pour l'unique raison que l'accusé se verra infliger une peine plus sévère.
78 4. Le principe ne bis in idem devrait être considéré comme un droit de l’homme, s’appliquant également aux niveaux international et transnational. L’on devrait considérer la possibilité d’incorporer ce principe au Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et aux conventions régionales de protection des droits de l’homme. A tout le moins, une peine appliquée à l’étranger, et se rapportant à un comportement ou une infraction faisant l’objet de nouvelles poursuites, devrait-elle être prise en compte dans la seconde décision si une nouvelle peine est prononcée (principe de la déduction de la peine).
C. De nouvelles règles de coopération policière
79 1. Le congrès a identifié d’importants développements dans le domaine de la coopération policière ; ceux-ci comprennent l’usage de nouveaux canaux de communication (officiers de liaison, équipes d’investigation mixtes, institutions comme les « embryons » susceptibles de devenir des forces de police supranationales (Europol et l’OLAF)), de nouvelles activités d’investigation (police proactive) et de nouveaux moyens technologiques (par ex. : l’observation transfrontalière par satellite). En vue de ces développements, le congrès recommande la formalisation de la coopération policière au sein de conventions internationales régulant les développements en question. Comme la coopération policière s’accroît et tend à devenir plus opérationnelle, elle ne devrait plus se cantonner dans la zone floue des accords informels. Le congrès accueille donc avec faveur les efforts récents de codification au sein de l’Union européenne.
80 2. A l’instar de la police proactive au niveau national (cf. les recommandations de la Section III), la police proactive internationale devrait être soumise aux principes de légalité, de proportionnalité et de subsidiarité. Une référence à ces principes devrait également figurer dans les dispositions de la future convention des Nations Unies sur le crime organisé transnational relatives à l’usage (international) des techniques spéciales d'investigation (voir l'article 15 du projet de convention des Nations Unies). Il est recommandé un contrôle approprié des activités de police par les autorités nationales en charge des enquêtes pénales des pays auxquels ces officiers de police appartiennent. En cas de mesures coercitives (ou exorbitantes), une décision ou un contrôle de l'autorité judiciaire doit être prévu.
81 3. Les actions unilatérales sur le territoire d’un autre Etat (c.-à-d. les enquêtes et opérations menées par des policiers sans le consentement des autorités locales) devraient être interdites. Les preuves obtenues en violation des règles locales et/ou sans l'autorisation des autorités locales compétentes devraient être exclues si la loi du for requiert également l'exclusion de preuves obtenues de cette manière dans le droit interne.
82 4. Lorsque des policiers opèrent en territoire étranger, en quelque qualité que ce soit, ce ne devrait être qu’à la condition d’être soumis à une obligation de témoigner en justice, devant une cour ou un tribunal dans les cas où ils devraient être appelés à déposer. Les policiers devraient avoir les mêmes obligations ou privilèges dans les procédures suivies devant les tribunaux du pays dans lequel ils agissent que les officiers de police de ce pays. Un contrôle adéquat de la coopération policière internationale doit être mis sur pied tant au niveau national qu’au niveau international.
83 5. Les nouvelles formes structurelles de coopération, comme les systèmes automatisés communs (par ex. : le système d’information Schengen) et les équipes d’enquête communes, requièrent une définition claire tant du droit applicable que de l’autorité judiciaire compétente.
84 6. Dans un certain nombre de pays, des services de renseignements financiers ont été créés dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent. Ces services traitent les informations qu’ils reçoivent des banques et d’autres institutions financières. Bien que le rôle de ces services varie considérablement d’un Etat à l’autre, un échange international d’informations s’institue entre les services des différents Etats.
85 S’il est certain que cet échange d’informations mérite d’être soutenu en son principe et développé plus avant, il devrait néanmoins être formalisé dans des instruments internationaux accessibles au public. Ces instruments devraient permettre à l’Etat fournisseur (c'est-à-dire l’Etat qui fournit de l’information) de requérir l’application d’un principe de spécialité, de telle sorte que l’information diffusée ne puisse être utilisée à d’autres fins que celles précisées par le service qui est à l’origine de la diffusion en question (il pourrait par ex. être requis que l’information ne puisse être utilisée en guise de preuve) sans la permission de l’Etat « fournisseur ». Si l’information diffusée est destinée à être utilisée comme preuve dans le cadre d’une procédure pénale, l’autorisation préalable des autorités judiciaires de l’Etat « fournisseur » devrait toujours être requise.
D. De nouvelles règles de coopération judiciaire
86 1. L’exigence de double incrimination, en tant que condition d’extradition, devrait être maintenue. Elle pourrait être abandonnée dans les cas d’entraide judiciaire en matière pénale, à condition qu’une telle assistance ne requière pas la prise de mesures coercitives ou de mesures qui pourraient conduire à une violation des droits de l'homme ou une restriction des libertés fondamentales. Lorsque l’exigence de double incrimination est retenue, il convient de résoudre les problèmes survenant en rapport avec les infractions qui comportent des éléments constitutifs purement nationaux [comme la corruption de fonctionnaires (nationaux), le faux témoignage (devant les tribunaux du pays concerné) et les infractions fiscales (au préjudice du fisc national)]. A cette fin, les Etats devraient adopter la méthode d’interprétation « transformative ». D’autres lacunes devraient être comblées, non par l’abolition de la règle de double incrimination, mais par l’harmonisation des définitions des infractions pour lesquelles les Etats souhaitent coopérer par le biais de l’extradition.
87 2. Afin de rendre l’entraide judiciaire en matière pénale efficace, la collecte des preuves dans l’état requis devrait satisfaire aux conditions de l’état requérant plutôt que de l’état requis, ou à tout le moins de telle manière que l’assistance requise ne soit pas incompatible avec les principes fondamentaux reconnus par l'état requis et avec les droits fondamentaux du défendeur.
88 Des contacts directs entre les autorités judiciaires de l'état requérant et de l'état requis sont recommandés. Afin de faciliter l'entraide judiciaire en matière pénale, la convention devrait requérir les états-parties de s'accorder mutuellement, ainsi qu'aux tribunaux et aux parties au procès, les mesures d'entraide les plus larges, dans le respect des conditions prescrites par la loi interne sur l'entraide judiciaire dans les enquêtes, les poursuites et le jugement des infractions couvertes par la convention.
89 3. Les nouvelles technologies, comme l’utilisation de liaisons vidéo pour recueillir des dépositions à l’étranger, devraient être encouragées. Il devrait être possible pour les juges, le cas échéant, de se transporter sur le territoire d’autres états, non seulement à l’occasion de la phase préparatoire du procès, mais aussi lors de la phase de jugement elle-même. En ce qui concerne cette dernière, la pratique des «cours nationales itinérantes» devrait être encouragée.
90 4. Lorsque l’on recourt aux accords avec les criminels (deals with criminals), des arrangements devraient être pris de telle manière que les programmes de protection des témoins fonctionnent au niveau international. Les mêmes considérations devraient s’appliquer aux décisions extrajudiciaires comme les transactions. Cependant, l’effet international d’une immunité qui a été accordée dans le cadre d’une transaction devrait être limité aux faits couverts par la transaction de telle sorte que l'Etat qui a accordé l'immunité ne soit pas autorisé à invoquer l'immunité accordée pour fonder le refus d'extrader le criminel concerné ou pour accorder une entraide judiciaire dans des procédures étrangères contre le criminel pour d'autres faits que ceux pour lesquels l'immunité a été accordée.
91 Cependant, dans le cas de crime organisé transnational, les arrangements avec les criminels et les décisions extrajudiciaires ne devraient pas être conclues de manière unilatérale par l’un des états compétents. Des procédures telles que décrites ci-dessus (v. B.3) devraient être suivies.
92 5. Des règles visant l’exécution de jugements devraient être prévues ou améliorées, notamment en ratifiant les conventions internationales applicables, p.ex. en matière de transfèrement de prisonniers ou de la confiscation des produits du crime.
93 6. Afin de permettre la coopération internationale en matière d'identification, de saisie, et de confiscation des produits du crime, les Etats devront ratifier et mettre en œuvre la Convention du Conseil de l'Europe sur le blanchiment, la recherche, la saisie, et la confiscation des produits du crime (Strasbourg, 8 novembre 1990). Les réserves devraient être aussi limitées que possible.
E. De nouvelles règles concernant la situation juridique des individus dans le cadre des procédures pénales internationales
94 1. Il relève de la responsabilité collective des états liés par une convention sur les droits de l'homme, coopérant en matière pénale de s’assurer que les droits de l’homme soient respectées. Les états devraient faire en sorte que les droits des individus (accusés et victimes) soient garantis par les conventions internationales sur les droits de l'homme. On devrait en tenir compte quand de nouveaux instruments, comme la convention des Nations Unies sur la criminalité organisée transnationale, sont élaborés.
95 2. Dans le cadre de procédures d’extradition et d’assistance réciproque impliquant l’application de mesures coercitives dans l’état requis, les individus concernés devraient au minimum disposer des droits suivants :
96 – Le droit d’être informé des accusations portées à leur encontre et des mesures requises, sauf lorsque la délivrance de telles informations est de nature à faire échec aux mesures en question ;
97 – Le droit d’être entendus au sujet des moyens qu’ils invoquent à l’encontre des mesures de coopération internationale ;
98 – Le droit à l'assistance d'un avocat, et d'un avocat gratuit s'il n'a pas les moyens de le payer, ainsi que l'assistance gratuite d'un interprète, s'il ne parle pas ou ne comprend pas la langue employée pendant la procédure ;
99 – Le droit à une procédure rapide.
100 – En cas de détention pour les besoins d’une extradition, l’individu faisant l’objet d’une telle procédure devrait disposer des mêmes droits que toute autre personne privée de sa liberté dans le cadre d’une procédure pénale nationale.
101 L'extradition ne devrait pas être accordée si l'état requis a des raisons sérieuses de croire que la requête a été faite dans le but de poursuivre ou de punir une personne à raison de sa race, sa religion, sa nationalité, ou ses opinions politiques, ou si les droits de la personne pouvaient être menacés pour l'une ou l’autre de ces raisons.
102 3. Les droits minimaux d’un individu impliqué dans une procédure pénale internationale dans l’état requérant devraient inclure le droit d’obtenir des preuves à l’étranger et le droit d’être informé d’un échange de preuves dans le cadre de l’affaire qui le concerne.
103 4. Les possibilités d’accès des individus aux juridictions internationales devraient être accrues. Par exemple, dans le cas de compétence concurrente de la part de plus d'un état entraînant le risque concomitant de poursuites multiples, les individus qui subissent un préjudice en raison de cette situation devraient disposer d'un recours devant une autorité judiciaire nationale. De préférence, des décisions de cette sorte devraient être rendues par une chambre préliminaire internationale.
104 5. La condamnation ne peut pas être basée sur des preuves qui ont été obtenues en violation des droits fondamentaux de la personne poursuivie.
105 6. La victime devrait avoir accès à une autorité judiciaire internationale (telle que dans l’E.4) dans le but d'engager les poursuites du chef de faits relevant de la criminalité organisée transnationale ou de faire appel d’une décision d'un procureur de poursuivre ou de ne pas poursuivre.
F. Recommandation
106 L´AIDP attire l’attention du comité ad hoc sur le projet de convention des Nations Unies contre le crime organisé transnational sur le contenu des présentes résolutions et sur la nécessité de revoir le contenu du projet à la lumière de celles-ci.
Motion présentée au Secrétaire général des Nations Unies.
107 Le XVIème Congrès a également approuvé une motion, présentée par l'Assemblée générale au Secrétaire général des Nations Unies. Dans cette motion, considérant que le crime organisé sous toutes ses formes, y compris ses manifestations transnationales constituent un phénomène complexe et une priorité pour les Nations Unies, et ayant en vue la résolution 53/111 de l'Assemblée générale du 9 décembre 1998 qui a décidé la création d'un Comité ad hoc intergouvernemental ayant pour objet l'élaboration d'une convention internationale contre le crime organisé transnational,
108 – déplore l'absence du Secrétariat en particulier du Centre pour la Prévention du Crime,
109 – sollicite du Secrétaire général qu'il charge le directeur exécutif de l'Office pour le contrôle de la drogue et de la prévention du crime, de coopérer avec la communauté engagée dans la lutte contre le crime organisé, et en particulier avec l'Association internationale de droit pénal,
110 – réaffirme sa totale disposition en vue de continuer à collaborer avec les Nations Unies dans la lutte contre le crime organisé.
Notes
-
[1]
RIDP, vol. 70 (3-4), 1999, pp. 869-887. Version en Anglais : pp. 861-913. Version en Espagnol : pp. 915-939.