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Article de revue

VIe Congrès international de droit pénal (Rome, 27 septembre – 3 octobre 1953)

Pages 47 à 54

Notes

  • [1]
    Association Internationale de Droit Pénal, VIe Congrès International tenu à Rome du 27 septembre au 3 octobre 1953 sous les auspices du Gouvernement de la République Italienne. Comptes rendues des discussions, Milano, Giuffré, 1957, pp. 58 (sect. I), 179-182 (sect II), 218-220 (sect III), 309-310 (sect IV).

Thèmes :

1. La protection pénale des conventions internationales humanitaires.
2. La protection de la liberté individuelle devant l’instruction.
3. Le Droit pénal socio-économique.
4. Le problème d l’unification de la peine et des mesures de sûreté.

Section I : La protection pénale des conventions internationales humanitaires

1 Le VIème Congrès international de Droit Pénal :

2 1) Après avoir constaté que les Etats ayant adhéré aux Conventions de Genève du 12 août 1949 sont obligés de promulguer les dispositions appropriées en vue d'assurer la répression des infractions graves à ces Conventions ;

3 Estime que dans la plus grande partie des Etats les dispositions actuellement existantes sont insuffisantes pour satisfaire à ce but.

4 2) Le Congrès considère opportun que les lois nationales d'application s'inspirent de principes communs, et qu'un Projet de loi soit proposé à cet effet aux Etats ayant adhéré aux Conventions de Genève du 12 août 1949, afin que les sanctions pénales soient aussi uniformes que possible.

5 3) Le projet de loi devrait surtout essayer d'établir une définition des infractions graves prévues par lesdites Conventions, en indiquant si possible leur degré de gravité. Cette législation devrait être appliquée à tous les délinquants, sans distinction de nationalité.

Section II : La protection de la liberté individuelle devant l’instruction

6 Le VIème Congrès International de Droit Pénal :

7 Conscient de la nécessité d'établir, par les règles de la procédure pénale et son application, un équilibre nécessaire entre les droits de la société qui exige la recherche des infractions et le jugement de leurs auteurs dans l'intérêt public, et les droits, notamment la liberté et la dignité, du prévenu innocent tant qu'il n'a pas été reconnu coupable par les voies régulières de la justice ;

8 Conscient également de la nécessité que soit promue une procédure pénale qui permette non seulement d'établir la matérialité des faits mais aussi de connaitre la personnalité du délinquant ;

9 Après avoir pris connaissance des rapports écrits, du rapport général, de la discussion intervenue et des propositions présentées au cours des travaux de la deuxième section ;

10 Sur la proposition du Bureau de celle-ci, est arrivé aux conclusions essentielles suivantes, qui lui paraissent de nature à réaliser la conciliation désirable des exigences en présence, dans l'intérêt commun de la justice et des citoyens renvoyés devant elle ;

11 Les questions soumises aux travaux du Congrès concernent la réglementation et le fonctionnement :

12 1) des services de police,

13 2) de l'instruction préparatoire,

14 3) de la détention préventive

15 dans un esprit s'inspirant des principes communs aux peuples civilisés et conformes à la Déclaration Universelle des Droits de l'homme en ce qu'elle vise les garanties reconnues aux personnes traduites en justice.

I.

16 Sur le premier point, le Congrès admet les principes suivants :

17 1) L'action de la police est indispensable pour rechercher les infractions et en relever, dès leur perpétration, les preuves matérielles.

18 La police doit recueillir tout indice dès la connaissance du fait.

19 Cette action doit toutefois s'exercer sous l'autorité de la magistrature.

20 Les procès-verbaux de police doivent être remis dans le délai le plus court aux magistrats compétents.

21 2) L'action de la police judiciaire s'exerce dès lors selon les instructions et sur les délégations des magistrats.

22 Chaque Etat doit, en conséquence, veiller au recrutement de magistrats de l'instruction en nombre suffisant pour leur permettre d'accomplir leur tâche.

23 3) Tout interrogatoire sur le fond est affaire du juge et non de la police, celle-ci devant se limiter à des fonctions d'investigation préliminaire au moment de l'infraction.

24 4) La police doit être à l'abri de toute influence extrajudiciaire.

25 5) Il est rappelé que tous les participants, à un titre quelconque, à la recherche et à l'instruction des affaires criminelles, sont ténus au secret professionnel.

26 6) Le recrutement et la formation de la police constituent les meilleures garanties du respect des droits de la personne humaine dans la phase des recherches préliminaires. Il est désirable que ce recrutement soit effectué de manière de plus en plus soigneuse et que les cadres de la police judiciaire soient dotés du personnel suffisant pour lui permettre le parfait exercice de sa mission.

27 Le Congrès est convaincu que les fonctionnaires supérieurs sauront empêcher tous abus et les réprimer, sans préjudice de l'action disciplinaire ou pénale.

II.

28 Sur le second point, le Congrès se rallie aux considérations suivantes :

29 7) Dès sa mise en prévention par le magistrat et lors du premier interrogatoire qui porte sur l'identité, l'inculpé doit être averti par le juge, avant toute déclaration de sa part, qu'il a le droit de ne répondre qu'en présence d'un avocat. Tout inculpé interrogé sur le fond a donc le droit d'être assisté d'un conseil.

30 Des dispositions doivent être prises pour qu'il soit pourvu d'un défenseur, s'il le demande, en cas d'indigence.

31 8) Les formes de l'instruction sont réglées de façon à assurer le droit de regard de l'inculpé ou de son conseil toutes les fois que l'inculpé est appelé à subir un interrogatoire. L'exercice de ce droit présente un intérêt particulier en ce qui concerne les expertises et les enquêtes sur la personnalité du prévenu.

32 Il convient d'observer que l'instruction ne constitue qu'une phase préparatoire et que l'inculpé pourra se défendre librement devant le tribunal de jugement en cas de renvoi.

33 9) Dans chaque Etat et en tenant compte de son système de procédure, l'instruction devrait être organisée de telle manière qu'elle donne l'extension la plus large possible au droit de discussion contradictoire.

34 10) Un inculpé n'est pas tenu et ne peut être, à plus forte raison, contraint de répondre aux questions à lui posées. Il peut régler son attitude selon ses intérêts et sa convenance, les droits de la défense demeurant entiers.

35 11) Aucun procédé artificiel, aucune violence ou pression ne peuvent être exercés sur lui pour le déterminer à des aveux. L'aveu n'est pas le but de l’instruction car il ne constitue pas une preuve légale;

36 Les aveux sont d'ailleurs toujours susceptibles d'être rétractés et le juge les apprécie en toute indépendance, au vu de l'ensemble des faits et de l'administration générale des preuves.

III.

37 Sur le troisième point, le Congrès estime pouvoir recommander les principes suivants :

38 12) La question de la détention préventive est importante et délicate, tout inculpé étant réputé innocent jusqu'à condamnation définitive. La détention peut constituer une nécessité, mais doit rester l'exception et la comparution du détenu devant la juridiction de jugement ne doit jamais être retardée.

39 13) Personne ne peut être mis en détention sans un mandat légal motivé émanant d'un magistrat compétent.

40 L'arrestation ne peut être décidée que dans les cas et dans les conditions expressément prévues par la loi. Elle ne doit pas pouvoir se prolonger lorsque les conditions légales qui la justifiaient n'existent plus.

41 L'arrestation par les organes de police ne peut avoir lieu que dans les cas exceptionnels admis par la loi et la personne arrêtée doit être mise immédiatement à la disposition de l'autorité judiciaire.

42 14) Il importe que des voies de recours soient mises à la disposition du détenu préventif, et qu'il ait le droit, aux diverses phases de la procédure, de solliciter sa mise en liberté.

43 15) Il est hautement désirable que le régime des inculpés en détention préventive ne comporte aucune rigueur inutile et que la détention ait lieu, si faire se peut, dans des établissements spéciaux.

44 Les transferts doivent toujours s'effectuer de la façon la plus discrète et la plus rapide possible.

45 16) Il est inopportun d'établir une responsabilité personnelle du juge, hors les cas exceptionnels et limités où cette responsabilité peut expressément être engagée aux termes et selon les formes spéciales de la loi nationale.

46 17) On devrait, dans des cas d'erreur manifeste, envisager une indemnisation par l'Etat de l'inculpé mis à tort en détention préventive, s'il ressort des circonstances que cette détention revêtait un caractère abusif.

47 18) Les propositions déposées par les membres de la section, qui n'ont pas été retenues par la résolution ci-dessus, seront jointes aux actes du Congrès pour éclairer l'ensemble des débats.

Section III : Le Droit pénal socio-économique

48 Le VIème Congrès international de droit pénal :

49 Considérant que les réglementations des activités économiques émanant aujourd'hui suivant les systèmes et suivant les époques non seulement de l'Etat et de ses organes, mais aussi des groupements professionnels, forment, pour autant qu’elles servent à l'augmentation et à la juste distribution des biens dans la communauté, le droit social-économique ;

50 Est d'avis d'une part que les législateurs doivent essayer de connaître les différents systèmes, et d'autre part que la collaboration internationale nécessitée dans le domaine économique exige la compréhension complète et rapide de ces systèmes ;

51 Et présente, en ce qui concerne son champ d'études et à titre de première série de principes, les conclusions suivantes :

52 1 – a) Les dispositions sanctionnatrices du droit social-économique, dont l'ensemble forme le droit pénal social-économique, constituent, comme le droit pénal fiscal, une partie du droit pénal spécial, ayant des traits particuliers, de l'observation desquels dépend sa réussite pratique.

53 b) Les questions non prévues doivent être résolues par l'application des principes généraux du droit pénal et de la procédure pénale, avec une adaptation constante aux traits caractéristiques de la matière.

54 2 – La sauvegarde rigoureuse des réglementations, menacée par la tentation d'opérations lucratives interdites jointe aux répercussions continues de chaque opération sur d'autres, demande avant tout une prévention attentive.

55 Une éducation de ceux qui appartiennent aux groupes intéressés et qui doivent pouvoir continuer à exercer leur profession ou leur métier, constitue un des meilleurs moyens de guider leur activité dans la bonne voie.

56 3 – a) La fréquence des modifications des normes de conduite édictées dans les réglementations et protégeant les intérêts de l'économie publique exige une rédaction aussi précise que possible et une divulgation efficace au dehors même de la publicité officielle. Ces changements imposent aux intéressés une extrême diligence : la rétroactivité de ces normes doit être exclue.

57 b) La répression des infractions demande une certaine extension de la notion d'auteur et des formes de participation, ainsi que la faculté d'appliquer des sanctions pénales à des personnes morales.

58 4 – a) En ce qui concerne la réaction adéquate, au besoin pluriforme, aux infractions, on doit favoriser, en dehors de l'emprisonnement, de l'amende et, à la place de celle-ci, tout en évitant un procès, de la transaction, l’application judicieuse de l'interdiction de l'exercice de la profession, d'une certaine publication du jugement et de la confiscation spéciale. Cette dernière doit pouvoir dépasser les biens objets du délit, et sans qu'ils appartiennent nécessairement au condamné, avec des garanties à l'égard de tiers.

59 b) L'application de la mesure de sûreté réelle de retrait du bénéfice illicite, pour autant que celui-ci ne sert pas au dédommagement de la victime, est de rigueur ; la mesure du cautionnement préventif pourra contribuer à empêcher les récidives.

60 c) La rigueur de la réaction exige qu'on puisse assurer, par la seule imposition d'une sanction unique, que le coupable fasse ce qu'il a omis ou défasse ce qu'il a fait à l'encontre de la loi et qu'il effectue les prestations dues à titre de dédommagement. Son entreprise doit en outre pouvoir être frappée, aussi bien dans les avantages usurpés au détriment des concurrents que dans son accès au marché, par la fermeture de l'entreprise pour un temps déterminé ou par la mise sous la gestion d'un administrateur, également comme mesure provisoire, ainsi que la destitution de droits, le retrait d'autorisation et l'interdiction d'avantages accordés antérieurement.

61 5 – a) Les juridictions pénales ordinaires auront la fonction de juger les infractions et d'infliger les sanctions sociales-économiques, certains magistrats de chaque juridiction se spécialisant en cette matière.

62 b) La recherche de ces infractions riches en détails infimes rend en outre nécessaire l'institution d'un corps d'agents verbalisateurs spéciaux, de compétence et de tact éprouvés. Dans la poursuite des infractions sociales-économiques la procédure pénale pourra faire l'objet de certains assouplissements.

63 c) On devra solliciter la collaboration de la victime en encourageant, si possible, son action en réparation, et faciliter l'action collective des associations professionnelles intéressées. Le juge civil pourra, de son côté, contribuer à la prévention de la récidive par la notification (injonction) au contrevenant de l'inadmissibilité d'une activité précise constatée.

64 6 – Lorsque le mécanisme du marché le permet, vu la nature des intérêts en jeu, l'initiative d'une réglementation prise par un groupement particulier, la sauvegarde de cette réglementation peut être laissée à la juridiction disciplinaire instituée par ce groupement.

65 7 – Dans le cas où l’on croirait nécessaire d'attribuer à des autorités administratives la faculté d'infliger certaines sanctions pour certaines contraventions, la séparation des compétences de l'exécutif et du judiciaire doit être établie et être susceptible de recours devant une juridiction administrative ou judiciaire indépendant.

66 8 – Dans une politique sociale-économique cohérente de l'Etat, les autorités administratives et le ministère public, réunis dans un organisme de coordination, doivent tracer une ligne de conduite commune.

67 Des fonctionnaires de liaison doivent entretenir le contact entre les autorités diverses et pourvoir à l'information indispensable du juge.

Section IV : Le problème de l’unification de la peine et des mesures de sûreté

68 Le VIème Congrès international de droit pénal :

69 Vu que l'introduction, dans les législations pénales, des mesures de sureté à côté des peines a constitué un progrès, en tant que moyen permettant, soit de surmonter le conflit des différentes écoles, soit d'obtenir des résultats plus efficaces dans la rééducation des délinquants et dans la prévention de la récidive ;

70 Considérant, toutefois, que le système suivi par certaines législations, et consistant à appliquer à un même sujet, successivement, aussi bien des peines que des mesures de sûreté, peut présenter, notamment en ce qui concerne certains individus, des inconvénients tant du point de vue théorique que pratique ;

71 Considérant d'autre part que le problème de l'unification des peines et des mesures de sûreté ne se pose pratiquement que par rapport à des catégories particulières de délinquants ayant besoin d'un traitement spécial, et qu'il peut, par conséquent, laisser subsister dans son intégrité la question théorique et générale de la nature de la peine, spécialement vis-à-vis des délinquants normaux : ce qui permet d'aboutir a une solution concrète sur laquelle, au fond, se trouvent d'accord même ceux qui, sur ladite question, sont attachés à des opinions différentes ;

72 Émet le vœu :

73 Qu'à l'égard des délinquants, pour la rééducation desquels la peine afflictive peut se présenter comme inappropriée et insuffisante, les futures réformes de la législation pénale s'inspirent, autant que possible, de principes selon lesquels, au lieu d'ajouter à la peine une mesure de sûreté distincte, et de soumettre ainsi le sujet à divers traitements successifs, on fixerait dès le début un traitement qui, dans toute la mesure du possible, serait unitaire et adapté aux diverses catégories d'individus.

74 Estime plus particulièrement qu'il y a lieu d'approuver les points suivants :

75 a) Pour les sujets de moins de 16 ans, devrait être exclue l'application, sous quelque forme que ce soit, d'une peine afflictive ;

76 b) Pour les demi-malades mentaux, il serait préférable de supprimer toute règle les concernant ; si cette manière de voir n'était pas admise dans les législations, de tels sujets devraient en tout cas être seulement soumis au traitement requis par leur état psychique.


Date de mise en ligne : 13/11/2015.

https://doi.org/10.3917/ridp.861.0047

Notes

  • [1]
    Association Internationale de Droit Pénal, VIe Congrès International tenu à Rome du 27 septembre au 3 octobre 1953 sous les auspices du Gouvernement de la République Italienne. Comptes rendues des discussions, Milano, Giuffré, 1957, pp. 58 (sect. I), 179-182 (sect II), 218-220 (sect III), 309-310 (sect IV).
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