Préambule
1 Les participants du XVIIIème Congrès international de Droit pénal (Istanbul, Turquie, 20 au 27 septembre 2009)
2 Observant dans les rapports nationaux et le rapport général que les paradigmes de la « lutte » contre le crime organisé et le terrorisme et la gravité des infractions qui s’y rapportent
- ont conduit, sous l’effet d’une gouvernance marquée par le crime et la sécurité, à de vastes réformes du système de justice pénale et de procédure pénale ;
- ont introduit des dispositions procédurales spéciales, affectant profondément les objectifs, la nature et les instruments du système de justice pénale et l’applicabilité des standards des droits de l´homme ;
- ont étendu le système réactif de répression des crimes et de resocialisation des délinquants au moyen d’un système proactif de prévention du crime et de protection de l’ordre public et de la sécurité ;
- ont produit une perception des mécanismes d’application du droit marquée par le recours au renseignement, dans laquelle les services de renseignement jouent un rôle croissant ;
- ont produit une perception des mécanismes d’application du droit marquée par le numérique, dans laquelle les pouvoirs de recherche et de surveillance sont devenus très intrusifs ;
- que des changements substantiels ont été introduits dans les systèmes de procédure pénale et les pratiques des États depuis 1999.
4 Visant à
- élaborer des règles de procédure pénale en phase avec la société moderne, technologique et globalisée ainsi qu’avec les principes de base de la primauté du droit et d’une justice équitable ;
- élever les standards en matière de crime organisé et de terrorisme, selon lesquels l’application de la loi, la sécurité et les droits de l’homme ne sont pas exclusifs les uns des autres.
6 Tenant compte du fait que l’AIDP a déjà examiné plusieurs aspects du phénomène lors de congrès antérieurs, spécialement :
- Le XIIème Congrès international de Droit pénal (Hambourg, 1979) : La protection des droits de l’homme dans la procédure pénale,
- Le XIVème Congrès international de Droit pénal (Vienne, 1989) : Les rapports entre l’organisation judiciaire et la procédure pénale,
- Le XVème Congrès international de Droit pénal (Rio de Janeiro, 1994) : Les mouvements de réforme de la procédure pénale et la protection des Droits de l’homme,
- Le XVIème congrès international de droit pénal (Budapest, 1999) : Les systèmes pénaux à l’épreuve du crime organisé.
8 Ont adopté lors du XVIIIème Congrès international de droit pénal la résolution suivante :
Procédure pénale, mesures spéciales et standards en matière de droits de l’homme
9 1. Les États devraient respecter les droits de l’homme consacrés au niveau international et régional et, lorsqu’il est applicable, le droit international humanitaire et ils ne peuvent jamais agir en violation des normes impératives de droit international (jus cogens), même quand il est fait usage de mesures procédurales spéciales pour enquêter et poursuivre le crime organisé et le terrorisme.
10 2. Les États sont exhortés à accepter l’autorité des juridictions internationales et régionales des droits de l’homme. Les normes et standards internationaux en matière de droits de l’homme, qui ont un effet contraignant, devraient avoir une valeur égale aux normes et standards constitutionnels. Ces normes devraient être respectées ex officio et pouvoir être invoquées en justice comme droits subjectifs.
11 3. La répression du crime organisé et du terrorisme relève fondamentalement du système judiciaire pénal et ne devrait pas être remplacée par des mesures administratives. Ces dernières ne devraient jamais remplacer le cours ordinaire du procès pénal.
12 4. Les mesures procédurales spéciales en cas de situation d’urgence (état d’urgence et recours à des mesures d’urgence pour raison de sécurité nationale) devraient être prévues par une loi, décidées par le Parlement et soumises à l’examen d’un tribunal indépendant, impartial et régulièrement constitué (ci-après désigné par « tribunal* » ou « tribunaux* »).
13 5. En outre, toute dérogation aux principes ordinaires de procédure pénale ou aux standards internationaux des droits de l’homme dérogeables devrait être conforme au principe de proportionnalité. En cas de situation d’urgence, la primauté du droit s’impose.
14 6. Quels que soient les actes pour lesquels les personnes sont soupçonnées, poursuivies ou condamnées pour crime organisé ou terrorisme, les droits inaliénables tels que le droit à la vie, l’interdiction de la torture ou des traitements ou peines inhumains ou dégradants, le droit d’être reconnu en tant que personne devant la loi et l’égalité devant la loi ne devraient en aucune circonstance être abrogés.
15 7. Aucun État ne restreindra le droit individuel aux garanties judiciaires essentielles requises pour la protection des droits auxquels il ne peut être dérogé. La protection contre l’arrestation et la détention et le droit à un procès équitable et public, de toute personne accusée d’une infraction pénale, peuvent faire l’objet de limitations légales raisonnables. Les droits fondamentaux relatifs à la dignité humaine ne peuvent être abrogés, même en situation d’urgence.
16 8. Les « tribunaux* » doivent avoir et maintenir leur juridiction sur toutes les affaires concernant des civils, même en situation d’urgence publique ; l’ouverture ou le transfert de telles procédures devant une juridiction militaire ou un organe extrajudiciaire doit être interdit.
17 Toute juridiction d’exception devrait être interdite.
18 Opinion minoritaire : Toute juridiction d’exception devrait être indépendante et impartiale, et appliquer des règles de procédure respectant les droits de la défense, y compris le droit à une audience publique.
Pouvoirs d’enquête proactive et procédure pénale
19 9. L’objectif des enquêtes proactives est de révéler les aspects organisationnels du crime organisé et du terrorisme en vue d’empêcher leur préparation ou leur commission et de permettre l’établissement de fondements raisonnables à l’ouverture d’une enquête pénale contre l’organisation et/ou ses membres.
20 10. Dans la plupart des cas, les dispositions de la procédure pénale ordinaire offrent des moyens suffisants pour assurer une réaction ferme contre le crime organisé et le terrorisme mais, exceptionnellement, il peut être nécessaire de prévoir le recours aux enquêtes proactives par les services de renseignement, par la police ou par les autorités judiciaires. Étant donné que ces investigations, incluant des pouvoirs de recherche et de surveillance électroniques, conduisent à une ingérence dans le droit à la vie privée et à l’anonymat, et compte tenu de leur caractère intrusif et de leur impact sur les droits fondamentaux, elles devraient être permises seulement dans les conditions suivantes :
- Elles devraient être définies avec précision par la loi et être compatibles avec la primauté du droit et les standards en matière de droits de l’homme ;
- Elles ne devraient être utilisées qu’en l’absence de moyens légaux moins restrictifs ;
- Elles ne peuvent être utilisées que contre le crime organisé et le terrorisme et doivent être proportionnelles au but poursuivi ;
- Elles ne devraient pas pouvoir être mises en œuvre sans l’autorisation d’un « tribunal* », celle-ci devant être obtenue, en principe, préalablement et fondée sur une conviction raisonnable que la mesure est nécessaire pour prévenir la commission d’un crime organisé ou d’un acte terroriste ;
- La mesure devrait être mise en œuvre sous le strict contrôle d’une autorité judiciaire indépendante et impartiale, compétente pour l’examen et le contrôle de l’utilisation de mesures intrusives ;
- Elles devraient respecter le secret professionnel.
Pouvoirs d’enquête préliminaire et techniques spéciales d’enquête
22 11. Les conditions énoncées au point 10 devraient également être applicables aux techniques spéciales d’enquête dans l’enquête préliminaire. Le « tribunal* » doit fonder son autorisation sur une suspicion raisonnable ou sur des raisons suffisantes de croire qu’une infraction de crime organisé ou de terrorisme a été commise. Ceci présuppose l’existence de faits ou d’informations concrètes qui convaincraient un observateur objectif que la personne concernée peut avoir commis l’infraction.
23 12. Le recours à la torture ou à des traitements ou peines inhumains ou dégradants, tels que définis dans la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est absolument interdit, en toutes circonstances, y compris en situation d’urgence publique. L’interrogatoire devrait respecter la primauté du droit et les standards en matière de droits de l’homme.
24 13. Les centres secrets de détention seront interdits par le droit international et interne. Les États et les organisations qui possèdent des centres de détention secrets devraient faire l’objet de sanctions.
25 14. La collecte d’informations numériques pour les besoins de l’application de la loi devrait être régie par la procédure pénale. Pour les informations relatives à la vie privée, un mandat délivré par un « tribunal* » est requis. Le seuil pour contraindre les fournisseurs d’accès à fournir des données devrait être plus élevé que les simples critères « applicables aux enquêtes ». Pour la surveillance prospective de transactions et l’utilisation de systèmes de filtre, un seuil élevé devrait être requis, incluant un mandat délivré par un « tribunal* » pour ce qui concerne la teneur de l’information.
Procès équitable et garanties procédurales
26 15. La notion de procès équitable concerne non seulement la procédure devant un « tribunal* », mais encore la procédure dans son intégralité. En cas de recours à des techniques spéciales d’enquête, la présomption d’innocence et le droit au silence doivent aussi être respectés. Les droits de la défense font intrinsèquement partie du procès équitable et de l’égalité des armes.
27 16. Afin d’éviter le recours déraisonnable ou arbitraire à l’enquête proactive et aux techniques spéciales d’enquête, l’État devrait dûment informer toute personne des mesures prises à son encontre et prévoir des recours devant un « tribunal* ».
28 17. Dans tous les cas d’arrestation policière ou de détention, la personne doit pouvoir invoquer « l’habeas corpus » et disposer de la présence d’un avocat et d’un interprète. Aucune détention préalable ne peut être fondée sur un témoignage anonyme illégal ou sur une preuve obtenue par l’utilisation abusive de techniques spéciales d’enquête. La personne arrêtée doit être présentée dans les meilleurs délais devant un « tribunal* ». La charge de justifier l’arrestation ou la détention incombe à l’État, même pour les crimes organisés et les actes terroristes. Personne ne sera détenu pour une durée indéterminée ou non raisonnable.
Preuve, divulgation des preuves et procès équitable
29 18. Le recours à des témoins anonymes et les preuves classifiées devraient être exceptionnels. Le recours à des témoins anonymes et preuves classifiées est légal uniquement si les conditions établies dans les trois premiers paragraphes du point 10 sont réunies. De plus,
- La déposition de témoins anonymes ne peut être admise qu’avec une autorisation préalable d’un « tribunal* », dans l’hypothèse d’une menace sérieuse, claire et imminente pour la vie ou en cas de conviction raisonnable que la mesure soit nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de victimes vulnérables ou de la sécurité nationale. Les preuves anonymes émanant des agents chargés de faire observer la loi ou des services de renseignement devraient être strictement justifiées ;
- Le « tribunal* » doit fournir des motifs suffisants pour refuser la divulgation des preuves et pour justifier que ce refus constitue une limitation proportionnée au droit de l’accusé à la divulgation, qu’il est nécessaire pour protéger des intérêts légitimes et qu’il peut être contrebalancé au cours de la procédure par des mesures compensatoires de nature à préserver le procès équitable ;
- La défense peut vérifier directement, dans la phase préparatoire ou au cours du procès, la fiabilité de la preuve et la crédibilité d’un témoin ;
- Si un procès équitable n’est pas possible parce que la défense n’a pas bénéficié d’une divulgation suffisante des preuves, il doit être mis fin à la procédure ;
- Aucune condamnation ne peut être fondée exclusivement ou de manière déterminante sur un témoignage anonyme.
31 Opinion minoritaire : Le recours à des témoins anonymes et des preuves classifiées devrait être interdit.
32 19. Aucune condamnation ne peut être fondée sur un témoignage anonyme illégal ou sur une preuve obtenue par l’utilisation abusive de techniques spéciales d’enquête.
33 Opinion minoritaire : Aucune condamnation ne peut être fondée exclusivement ou de manière déterminante sur des preuves recueillies au moyen de techniques spéciales d’enquête.
34 20. Les juges de l’enquête préliminaire et/ou les juges du fond devraient avoir un accès intégral à toutes les preuves en vue de déterminer la légalité et la valeur probante des preuves. L’égalité des armes implique un égal accès pour les deux parties aux pièces et aux dossiers et les mêmes possibilités de convoquer et d’interroger des témoins.
35 21. Les États garantiront que les déclarations, preuves et autres informations obtenues, directement ou indirectement, par la torture ou des traitements ou peines inhumains ou dégradants, ne peuvent être utilisées dans aucune procédure judiciaire, administrative ou autre, si ce n’est pour établir la commission d’un tel acte. Les preuves obtenues, directement ou indirectement, par des moyens constituant une violation d’autres droits de l’homme ou de dispositions légales internes, qui compromettent l’égalité des armes ou l’équité du procès, seront irrecevables.
36 22. L’utilisation des renseignements à caractère pénal, en tant qu’informations pilotes et éléments déclencheurs de la procédure pénale, doit se faire sous l’autorité d’une instance judiciaire dans le but d’ouvrir une enquête judiciaire. Le renseignement pénal ne peut être utilisé pour justifier des mesures contraignantes que s’il a été obtenu sur la base d’un mandat délivré par un « tribunal* » ou si l’utilisation des informations est autorisée préalablement par un « tribunal* ».
37 Le renseignement pénal ne peut être utilisé comme preuve dans la procédure pénale.
38 Opinion minoritaire : Le renseignement pénal ne peut être utilisé comme preuve dans la procédure pénale que si les conditions suivantes sont réunies :
- Le « tribunal* » compétent pour la phase préliminaire et/ ou le « tribunal* » de jugement peuvent apprécier pleinement la fiabilité des preuves, la crédibilité des témoins et la valeur probante des preuves, et décider si le témoin doit être entendu à l’audience et s’il doit ou non être interrogé tout en restant anonyme ;
- La défense peut vérifier directement, pendant la phase préparatoire ou au cours du procès, la fiabilité de la preuve et la crédibilité des témoins ;
- La défense peut se prévaloir de ce type de preuve aux mêmes conditions ;
- Aucune condamnation ne peut être fondée exclusivement ou de manière déterminante sur le renseignement pénal comme preuve substantielle.
40 23. Les individus, suspectés d’être membres d’une organisation criminelle et qui décident de coopérer avec les autorités judiciaires, peuvent bénéficier d’une réduction de peine uniquement lorsque cette coopération respecte les principes de légalité, subsidiarité et proportionnalité. En outre, aucune condamnation ne peut être fondée exclusivement ou de manière déterminante sur les déclarations de repentis (pentiti, supergrass) comme preuves substantielles.