Couverture de RIDP_751

Article de revue

La responsabilité pénale des mineurs dans l'ordre interne et international

Pages 25 à 49

Notes

  • [*]
    Professeur émérite à l’Université de Nantes, Vice-Président de l’Association Internationale de Droit Pénal, chargé de la Coordination Scientifique.
  • [1]
    V. en particulier les volumes de la Revue Internationale de Droit Pénal consacrés à cette question (vol. 50,1979 n°3/4 ; vol. 62,1991 n°3/4).
  • [2]
    Beijing, 12-19 septembre 2004.
  • [3]
    V. le texte du Questionnaire (français, anglais, espagnol), RIDP, vol. 72,2001 n°3/4, p. 663 et s.
  • [4]
    Donald J. Shoemaker (ed.), International Handbook on Juvenile Justice, Greenwood Press, 1996.
  • [5]
    V. Hugues L. Parent, A Comparative Study of the Principales Governing Responsability in England, Canada, the United States and in France, R.I.D.P., vol. 71,2000 n°3/4, p. 325 et s.
  • [6]
    A ce jour, 23 rapports nationaux ont été adressés au rapporteur général (dont près de la moitié après le déroulement du colloque préparatoire !) : il s’agit des pays suivants : Algérie, Autriche, Belgique, Brésil, Chine, Colombie, Croatie, Espagne, Etats Unis d’Amérique, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Iran, Japon, Mexique, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovénie, Suède, Tunisie. En outre, le Centro Nazionale di Prevenzione e Difesa Sociale de Milan (Italie) a adressé une contribution spéciale, s’inspirant de la législation italienne.
  • [7]
    V. sur cette question des systèmes et des modèles de justice pénale : « Les systèmes comparés de justice pénale : De la diversité au rapprochement, Nouvelles Etudes Pénales, vol. 17, éd. Erès, 1998.
  • [8]
    V. infra n°20 et s., la question des seuils d’âge.
  • [9]
    V. par exemple le rapport belge (§ 2A) et le rapport français (I).
  • [10]
    Tel est, semble-t-il, le cas du Japon.
  • [11]
    On citera, à cet égard, la législation française.
  • [12]
    V. à cet égard les intéressantes réflexions contenues dans les rapports de la Colombie, de la Belgique et de la France.
  • [13]
    On parle volontiers, à ce sujet, de « précocité ». V. sur ce point : R. Ottenhof, Délinquance et précocité, Rev. sc. crim., 1995, n°4.
  • [14]
    V. infra n°27, la question des jeunes majeurs.
  • [15]
    Le rapport iranien est le seul rapport national d’un pays appliquant le droit islamique. D’autres pays, comme l’Algérie et la Tunisie, disposent d’une législation pénale laïque, ayant adopté une majorité pénale fixée à dix huit ans.
  • [16]
    Le rapport des Etats Unis signale la tendance de divers états à s’aligner sur l’exemple de l’Illinois, dont le modèle de justice juvénile s’applique aux mineurs de seize ans.
  • [17]
    V. supra, n°15, spécialement note 13.
  • [18]
    Comp. Infra n° 36 et s.
  • [19]
    C’est le cas par exemple du Brésil.
  • [20]
    Cette expression, empruntée à l’article 36,4° de la loi belge du 8 avril 1965, rappelle que le fait est objectivement punissable, mais ne peut être imputé au mineur à raison de son âge.
  • [21]
    On citera, par exemple, les mesures applicables en France à l’égard des mineurs en danger (art. 375 et s., C. Civ. français).
  • [22]
    Cette définition est empruntée à un célèbre arrêt de la Cour de Cassation française (Arrêt Laboube, Cass. Crim., 13 déc. 1956, Bull. Crim. n°840).
  • [23]
    La question se pose dans des termes comparables à ceux que nous avons rencontrés pour la détermination de l’âge de la majorité pénale (v. supra n°17 et s.).
  • [24]
    V. en particulier, sur ce point, les excellents développements contenus dans le rapport de la Belgique (F. 1 et 2).
  • [25]
    Pour une analyse critique de la notion de « sanction éducative », v. également les développements contenus dans le rapport de la Belgique, et spécialement la note 18.
  • [26]
    Ces conséquences seront examinées ultérieurement tant au niveau procédural qu’au niveau des mesures applicables.
  • [27]
    V. infra n° 34 et s.
  • [28]
    V. infra n° 48.
  • [29]
    V. supra n° 15 et 16.
  • [30]
    Un autre type d’expertise peut porter sur la détermination de l’âge du mineur, lorsque cet âge ne peut être établi par des moyens de preuve appropriés.
  • [31]
    V. supra n° 30 et s.
  • [32]
    Il peut apparaître parfois nécessaire que ce défenseur soit différent de celui choisi par les parents, lorsqu’il existe un conflit d’intérêt entre ceux-ci et le mineur.
  • [33]
    V. supra n° 39 et s.
  • [34]
    V. supra n° 37 et s.
  • [35]
    V. supra n° 17 et s.
  • [36]
    V. supra n° 38.
  • [37]
    V. supra n° 26.
  • [38]
    On se référera, par conséquent, aux conditions énoncées supra n° 34 et s., spécialement le n° 42.
  • [39]
    Convention de New York adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 nov. 1989.
  • [40]
    Résolution 40/33, Assemblée Générale des Nations Unies, 29 nov. 1985.

Introduction

11. Chacun connaît la formule célèbre : « Droit des mineurs, droit mineur ». Nombreux sont en effet les auteurs qui considèrent avec une certaine condescendance cette branche de la science pénale, jugée dérogatoire au droit pénal commun, fortement marquée par des considérations plus sociales que juridiques, s’appliquant à des sujets en état de dépendance, liée à leur état de minorité, et mis en œuvre par une catégorie de professionnels spécialisés, assez différents du personnel judiciaire habituel.

22. Cette vision ancienne n’a plus cours aujourd’hui. Les raisons de cette mutation sont multiples. On se bornera à signaler, sans entrer dans les détails : l’intérêt envers les questions relatives à l’enfance, l’essor démographique, la montée de la délinquance juvénile, le développement des services sociaux, etc… D’abord sensibles dans les systèmes juridiques nationaux, ces transformations ont rencontré un écho au plan international, grâce aux Organisations non gouvernementales dont l’action s’est trouvée relayée par les Organisations internationales,. C’est ainsi qu’un large mouvement humanitaire en faveur de la protection de l’enfance a conduit à l’adoption d’instruments internationaux plus ou moins contraignants, qui ont à leur tour influencé l’évolution des droits nationaux.

33. L’Association Internationale de Droit Pénal n’est pas restée à l’écart de ce mouvement. On en veut pour preuve les différentes manifestations organisées en faveur de la Déclaration internationale, puis de la Convention internationale des Droits de l’Enfant  [1]. Cependant, c’est la première fois, à l’occasion de son XVIIè Congrès international  [2] que l’une des questions du Congrès est consacrée à cette matière. La proposition a recueilli le plein assentiment du Conseil de Direction de l’Association. Et toute notre reconnaissance doit aller au Groupe national de l’Autriche pour avoir accepté avec enthousiasme d’organiser le présent Colloque préparatoire de la Section 1 et d’en publier les Actes dans cette Revue.

44. Cela dit, le droit pénal des mineurs représente un domaine suffisamment vaste pour nécessiter une délimitation rigoureuse du thème dans le questionnaire correspondant  [3]. Compte tenu de la méthode traditionnellement suivie dans l’organisation scientifique de nos Congrès internationaux, caractérisée par la division en quatre sections correspondant aux divisions majeures de la science pénale (partie générale, partie spéciale, procédure pénale, droit pénal international), il a semblé utile de circonscrire le domaine à la question de la responsabilité pénale des mineurs. Un tel choix mérite d’être justifié et précisé.

55. Le choix de la responsabilité pénale des mineurs comme question soumise à la Section 1 du Congrès se justifie en premier lieu par l’objet même de cette Section, traditionnellement consacrée à l’étude des problèmes relevant de la partie générale du droit pénal. Mais ce choix repose avant tout sur l’actualité même du sujet. Au moment où, comme on pourra le constater tout au long de nos travaux, l’évolution du droit des mineurs conduit les législateurs nationaux à réformer – souvent profondément – la législation en vigueur  [4], la question de la responsabilité, tant dans sa dimension théorique que pratique, est au centre des débats, au point de remettre en cause l’ensemble des questions touchant à la minorité pénale.  [5]

66. Ainsi s’explique la diversité des questions évoquées dans le questionnaire soumis aux rapporteurs nationaux. Sans aborder ici la méthodologie ayant présidé à l’élaboration puis au traitement des réponses par votre rapporteur général, il est juste de remarquer que les questions posées débordent très largement le strict domaine du droit pénal général pour s’étendre au domaine de la procédure, voire aux aspects de droit pénal international.

77. A vrai dire, pouvait-il en être autrement ? Limiter la question de la responsabilité à ses seuls aspects théoriques, qui concernent essentiellement son fondement, aurait conduit à des débats dogmatiques peu propices à une discussion générale engageant l’ensemble des rapporteurs nationaux. C’est pourquoi il a semblé utile d’étendre l’étude de la responsabilité des mineurs aux questions pratiques, concrètes, qui contribuent à faire vivre ce concept dans son environnement juridique, à en expliciter la mise en œuvre par les organes judiciaires spécialisés, bref, à mesurer la portée concrète des choix opérés par le législateur.

88. Le tableau qui se dessine à l’examen des différents rapports nationaux est évidemment contrasté. Comment pourrait-il en être autrement ? Chaque législation reflète l’attitude adoptée à l’égard d’une réalité nationale marquée par le contexte historique, social, culturel influençant la politique criminelle propre à chaque Etat.

9Pour mieux comprendre cet environnement, un bref aperçu de l’état de la délinquance des mineurs était souhaité de la part des rapporteurs nationaux. Dans l’ensemble, la plupart des contributions se sont bornées à souligner la très nette augmentation de ce type de délinquance, entraînant d’importantes réformes législatives, traduisant généralement un rapprochement du droit pénal des mineurs vers celui des majeurs, et, par-là même, une aggravation de la répression.

109. De l’ensemble des contributions reçues  [6] se dégage une impression de très grande diversité, voire de complexité, des solutions adoptées dans les législations nationales.

11Toutefois, par delà la diversité observée, il se dégage de l’ensemble des contributions l’impression selon laquelle, au travers de cette question de la responsabilité pénale des mineurs, se développent de véritables systèmes de justice pénale des mineurs, empruntant différents modèles, plus ou moins homogènes, ou plus ou moins hybrides selon les cas  [7].

12Pour la commodité de la discussion générale, le présent rapport suivra l’ordre des questions tel qu’il a été établi lors de la rédaction du questionnaire.

I. Fondements du principe de la responsabilité pénale du mineur

1310. La question du fondement du principe de la responsabilité pénale du mineur demeure l’une des questions les plus controversées du droit pénal des mineurs. Elle est également l’une des plus complexes. La raison en est simple : c’est de la réponse à cette question théorique que dépendent bon nombre de solutions pratiques : fixation de l’âge de la majorité pénale, nature et quantum des mesures éducatives ou sanctions pénales applicables, compétence des organes judiciaires spécialisés, etc…

1411. Si, en vertu du principe de légalité, le principe trouve sa source dans la loi, il est rarement exprimé de façon expresse. Il s’induit plutôt des conséquences que le législateur a déduites d’un fondement implicite, reposant sur plusieurs conceptions que l’on peut regrouper comme suit.

1512. Dans une conception que l’on peut qualifier de classique, le fondement de la responsabilité du mineur – ou, pour mieux dire, de son irresponsabilité - repose sur le modèle de responsabilité des majeurs. Plus exactement, le point de départ de la responsabilité pénale correspond, dans les législations qui appliquent ce modèle, avec l’âge de la majorité pénale. En dessous de cet âge, le mineur est réputé irresponsable. La doctrine considère qu’il s’agit d’une présomption d’irresponsabilité. Cette présomption est tantôt absolue, tantôt relative  [8]. La plupart du temps, la mesure de la peine (sa durée ou son quantum) dépend de la force de la présomption, selon que celle-ci peut être écartée ou non, ce qui revient à établir des degrés plus ou moins élevés de responsabilité/irresponsabilité.

16Un tel fondement repose sur une fiction : Le mineur, plus ou moins responsable selon son âge, et, par conséquent plus ou moins punissable, voit la peine qui lui est applicable constituer une fraction (en général la moitié) de la peine applicable à un majeur auteur de la même infraction. Le mineur est alors considéré comme un adulte en réduction.

17La lecture des rapports nationaux, sans être toujours éclairante sur ce point, laisse supposer qu’un tel fondement demeure assez largement répandu dans bon nombre de législations, même s’il n’est pas toujours affirmé expressément  [9].

1813. Dans une seconde conception, plus moderne, que l’on peut qualifier de criminologique, l’aptitude du mineur à répondre de ses actes n’est plus fondée sur le concept de responsabilité, mais sur celui de capacité pénale. On parle parfois, en ce cas, de dangerosité sociale, par référence à la notion criminologique d’état dangereux. On en vient ainsi à justifier l’intervention avant même la commission d’un « fait qualifié infraction », rappelant ainsi la notion d’état dangereux prédélictuel  [10]. Là encore, la notion n’est pas dépourvue d’ambiguïté, dans la mesure où le « mineur dangereux » peut ainsi se révéler un « mineur en danger », justifiant la mise en œuvre de mesures de protection  [11].

1914. En dehors de ces deux conceptions, on rencontre des fondements divers, soit en vigueur dans certains pays, soit à l’état de projet de réforme. Certains pays, tels la Suède, préfèrent parler de « punissabilité » ( punishability), considérée comme moins « métaphysique » que le concept de responsabilité, même si, en pratique, la différence entre les deux concepts n’a guère de conséquences substantives. Il faut reconnaître une certaine tendance à éviter la référence expresse au concept de responsabilité, tel qu’il existe à l’égard des majeurs, en raison des incertitudes doctrinales qui planent sur les notions de culpabilité, d’imputabilité, ainsi que sur le régime des causes de non imputabilité.

2015. Il faut cependant noter une tendance récente dans certaines législations, à substituer au principe classique fondé sur la présomption d’irresponsabilité du mineur le principe contraire de la responsabilité du mineur. Deux raisons expliquent un tel renversement de tendance  [12].

21La première raison réside dans le souci de manifester à l’égard des mineurs une plus grande sévérité. Devant l’aggravation de la délinquance juvénile, l’augmentation du sentiment d’insécurité, attribuée, souvent à tort, aux comportements de jeunes proches de l’âge de la majorité, la tentation est grande de substituer au modèle de protection, synonyme de laxisme pour certains, le modèle punitif considéré comme davantage protecteur de la sécurité des citoyens.

22La seconde raison repose sur l’idée selon laquelle le concept d’irresponsabilité des mineurs ne correspond plus à la réalité sociale de la jeunesse d’aujourd’hui. Les jeunes ont acquis, dit-on, une plus grande autonomie ; ils font preuve, au plan psychologique, d’une plus grande maturité  [13]. Considérer un jeune de quinze à dix-huit ans comme un individu « irresponsable », au même titre qu’un enfant est non seulement contraire à la réalité, mais se révèle dépourvu de sens au plan éducatif. Il paraît, en effet, quelque peu paradoxal d’entendre un juge ordonner, en vertu du principe d’irresponsabilité pénale, des mesures éducatives, alors que la mission du service éducatif auquel il a été confié aura pour objet de faire appel à son sens de la responsabilité. Même s’il ne s’agit pas d’une responsabilité de même nature, il faut admettre que le même terme peut être source de confusion.

2316. En définitive, il se dégage de la lecture des rapports une tendance à considérer le mineur comme un sujet de droit doté de caractéristiques spécifiques, disposant d’une certaine autonomie, plus ou moins développée en fonction de son âge et de son développement physique et psychologique. Il apparaît dès lors nécessaire, sur le fondement de cette autonomie, de concevoir sa responsabilité de manière autonome, en s’affranchissant des conceptions sur lesquelles est fondée la responsabilité pénale des majeurs.

24Compte tenu du caractère évolutif de la personnalité du mineur, c’est donc une conception dynamique de sa responsabilité qu’il convient d’adopter. On comprend, dès lors, toute l’importance que revêt la question des seuils d’âge.

II. La question des seuils d’âge

A. La fixation de l’âge de la majorité pénale

2517. L’âge de la majorité pénale constitue une question fondamentale, dans la mesure où cet âge constitue le point de départ à partir duquel le sujet peut se voir imposer des sanctions pénales de même nature et de même gravité que celles prévues pour les majeurs. On nous pardonnera de rappeler ab initio une telle évidence ! En effet, il ne faut pas perdre de vue l’effet pervers susceptible de découler d’une terndance, telle qu’elle vient d’être constatée, à la reconnaissance d’un principe de responsabilité pénale du mineur, substitué au principe d’irresponsabilité.

26D’un autre côté, la constatation souvent faite d’une plus grande précocité des mineurs, jointe au souci légitime de reconnaître au mineur une plus grande autonomie, risque de conduire, consciemment ou non, à une aggravation dangereuse de la sévérité à l’égard des mineurs. Abaisser l’âge de la majorité, c’est, répétons le, faire entrer plus tôt le mineur dans le système pénal des majeurs. Telle est, hélas, la tendance des politiques criminelles sécuritaires développées dans bon nombre de législations contemporaines imputant aux comportements juvéniles l’aggravation de la délinquance et le développement du sentiment d’insécurité.

27C’est pourquoi, avant même de discuter la question de la fixation de l’âge de la majorité pénale, il apparaît nécessaire de dissocier l’âge de la majorité pénale de l’âge à partir duquel les sanctions pénales applicables aux majeurs s’appliquent automatiquement, et sans la moindre mesure d’aménagement, à un individu ayant atteint l’âge de la majorité pénale  [14].

2818. Ceci étant, il apparaît que dans la plupart des rapports nationaux l’âge de la majorité pénale fixée par les législations se situe à dix huit ans. D’autres législations nationales retiennent un âge inférieur : dix sept ans (Finlande, Grèce, Pologne) ou seize ans (Portugal, Roumanie, Tunisie).

29Il faut signaler le cas particulier de la législation iranienne, dont l’article 4 de la Constitution énonce que toutes les dispositions législatives et réglementaires doivent être régies conformément aux prescriptions islamiques. La majorité pénale est donc déterminée selon les prescriptions du droit musulman. Sur ce fondement, le Code pénal iranien ne fixe pas d’âge chronologique, mais fait référence à la notion de « puberté religieuse ». Curieusement, c’est le Code civil iranien qui fixe l’âge de la majorité pénale : quinze ans pour les garçons et neuf ans pour les filles. Encore faut-il préciser que cet âge n’a valeur que de présomption, compte tenu du caractère essentiellement subjectif d’un tel critère fondé sur des considérations physiologiques. C’est pourquoi on relève parmi les jurisconsultes et les universitaires iraniens une tendance contemporaine à préconiser, sur le fondement de considérations psychologiques, de relever au moins à treize ans le seuil d’âge des filles  [15].

3019. Bon nombre de rapports nationaux font état d’une tendance de l’opinion publique, relayée par certains milieux politiques, à vouloir abaisser l’âge de la majorité pénale  [16]. Si, comme il a été indiqué supra, une telle tendance peut paraître justifiée en raison d’une maturité plus précoce de la jeunesse, elle s’inspire bien souvent du souci, en présence d’un rajeunissement de l’âge moyen de la délinquance des mineurs, de faire entrer plus tôt les jeunes délinquants dans le système répressif applicable aux majeurs  [17]. Sans anticiper sur les développements ultérieurs relatifs aux sanctions pénales applicables aux mineurs [18], il importe dès à présent de souligner le caractère funeste d’une telle tendance qui conduit à exposer un enfant de moins de dix huit ans (ou moins encore) à des sanctions pénales très graves : emprisonnement de longue durée, voire peine capitale. C’est pourquoi le rapporteur général, conscient d’exprimer les prises de position formulées par l’Association Internationale de Droit Pénal, souhaite que cette Section recommande fermement à l’Assemblée Générale d’adopter une résolution en faveur de l’âge de dix huit ans. Et s’il apparaît naturel qu’un tel âge soit fixé par la loi, il est permis de souhaiter que cette loi ait valeur constitutionnelle  [19].

B. La question du seuil d’âge minimum

3120. Il s’agit d’une question très controversée diversement traitée dans les législations nationales. Les réponses apportées sur ce point dans les rapports nationaux sont parfois difficiles à interpréter, en raison d’une confusion sur le sens de la question posée. En effet, la question du seuil d’âge minimum revêt un double aspect.

3221.1) Dans un premier sens, il s’agit de savoir s’il existe un seuil d’âge minimum, fixé par la loi (ou la jurisprudence) à partir duquel l’autorité judiciaire est compétente pour juger le mineur auteur d’un fait qualifié infraction[20] et prononcer, à raison de ce fait, une mesure éducative prévue par la loi. A contrario, en dessous de cet âge, aucune mesure n’est applicable à raison de ce fait. Seules, le cas échéant, peuvent être ordonnées des mesures de nature civile ou administrative prévues par la législation applicable aux mineurs dont la situation nécessite des mesures d’assistance ou de protection  [21].

3322. Très souvent, la question de la détermination du seuil d’âge minimum a été et demeure soumise à la capacité de discernement du mineur, entendue comme « la capacité de comprendre et de vouloir »  [22]. L’âge du discernement, critère essentiellement subjectif, est laissé à l’appréciation des tribunaux, le plus souvent à partir d’expertises. Il arrive cependant que ce soit la loi elle-même qui détermine l’âge à partir duquel le mineur est considéré, voire simplement présumé, comme susceptible de discernement.

3423. Compte tenu de la diversité des solutions adoptées par les législations nationales, il apparaît difficile de déterminer un âge moyen permettant de situer ce seuil d’âge minimum à partir duquel peut intervenir l’autorité judiciaire à raison d’un fait qualifié infraction. En effet, s’agissant d’un critère subjectif, lié au développement psychologique du sujet, cet âge varie en fonction de considérations multiples : géographiques, physiologiques, économiques, sociales etc… Il apparaît donc difficile de fixer de façon rigide un seuil d’âge uniforme, applicable à l’ensemble des systèmes juridiques  [23]. Tout au plus est-il permis de souhaiter que cet âge ne soit pas trop bas, si l’on veut bien considérer le caractère psychologiquement traumatisant que représente, pour un enfant, une comparution devant une instance judiciaire.

3524.2) Dans un second sens, la question du seuil d’âge minimum concerne l’âge à partir duquel une sanction de nature pénale peut être prononcée à l’encontre d’un mineur. La question se pose ici dans des termes différents de ceux que nous venons d’examiner précédemment. D’une part, en effet, le principe de légalité des peines impose que ce soit la loi (au besoin constitutionnelle) qui fixe cet âge. L’on ne saurait, en la matière, s’en remettre à l’arbitraire du juge. D’autre part, le principe d’égalité devant la loi pénale impose que cet âge soit le même pour tous les mineurs, étant entendu qu’un tel principe ne fait pas obstacle à l’individualisation de la peine, en fonction de la personnalité ou du développement psychologique du mineur.

3625. Sur ce point, les rapports nationaux, s’ils représentent des solutions variables en fonction des considérations particulières ci-dessus évoquées, permettent de situer aux alentours de quatorze ans la moyenne d’âge retenue pour ce seuil minimum. La question de l’opportunité d’une part de retenir un seuil d’âge identique et, d’autre part, de l’inscrire dans l’une de nos recommandations, constitue certainement l’un des points essentiels des débats de la présente Section du Congrès. Il appartient de mesurer pleinement la portée d’un tel débat, dont les aspects sont loin d’être exclusivement théoriques, voire purement symboliques. Car, par delà l’attachement de chaque pays à un âge minimum, souvent hérité d’une tradition législative bien ancrée dans l’ensemble du système juridique national, tout mouvement concernant l’abaissement ou l’élévation de cet âge entraîne des conséquences pratiques importantes en ce qui concerne la possibilité de faire entrer de manière plus ou moins prématurée le mineur dans le système punitif. C’est donc toute l’économie du modèle de justice pénale applicable aux mineurs qui s’en trouve affectée.

3726. La question connaît en effet un regain d’actualité en présence de la tendance contemporaine signalée dans divers rapports nationaux, à la « repénalisation » du système de justice pénale applicable aux mineurs  [24].

38Sous l’influence des politiques criminelles répressives, inspirées par les courants sécuritaires imputant à la jeunesse l’aggravation de la délinquance dans son ensemble, l’idée est souvent répandue selon laquelle cette aggravation est due à la trop grande indulgence dont feraient preuve les tribunaux à l’égard des mineurs. Le modèle dit « de protection » est mis en accusation. L’opinion publique réclame moins de mesures éducatives et davantage de sanctions pénales, en particulier à l’égard des mineurs proches de l’âge de la majorité. L’abaissement du seuil d’âge minimum à partir duquel une mesure répressive peut être prononcée constitue le moyen le plus simple d’obtenir légalement un tel résultat.

39Mail il y a plus ! Si, de tout temps, il a paru évident qu’en dessous du seuil d’âge minimum, seules les mesures éducatives d’assistance ou de protection étaient susceptibles de s’appliquer, on voit émerger l’idée selon laquelle la sanction peut revêtir un caractère éducatif, qu’il n’y aurait pas d’éducation sans contrainte, ce qui permettrait de prononcer, à raison d’un fait qualifié infraction, des mesures coercitives à un âge très précoce.

40La loi française du 9 septembre 2002, modifiant l’article 122-8 du Code pénal constitue à cet égard un exemple typique. L’alinéa 2 énonce désormais que « La loi détermine également les sanctions éducatives qui peuvent être prononcées à l’égard des mineurs de dix à dix huit ans ». La sanction peut, le cas échéant, consister en un « placement du mineur » en cas de non respect de la sanction éducative initialement prononcée, constituant ainsi une « sanction de la sanction »  [25].

41Tels sont, on le voit, les enjeux d’un nouveau modèle « éducatif-sanctionnateur », dont l’effet indirect consisterait à abaisser indirectement mais inexorablement l’âge minimum d’application d’une sanction pénale.

C. L’élévation du seuil d’âge maximum

4227. A l’opposé de la tendance inverse qui précède, on observe une tendance à reporter au-delà de l’âge de la majorité pénale la possibilité d’appliquer au sujet la législation spéciale applicable aux mineurs. Il existe en effet une catégorie de délinquants, appelés « jeunes adultes » dont la personnalité révèle une immaturité physique et psychologique ou des carences éducatives. Les soumettre ainsi au régime pénal applicable aux majeurs aurait à leur égard un effet négatif et ne pourrait qu’aggraver leur situation. Le modèle de justice « protectionnel », inspiré par la doctrine de Défense sociale, a fortement contribué à l’adoption de telles mesures, dont l’utilité n’est pas contestable.

4328. Cette élévation du seuil d’âge supérieur, au-delà de la majorité pénale, voire de la majorité civile lorsque celle-ci est plus élevée, se retrouve dans la plupart des rapports nationaux, même si les conséquences procédurales ou relatives aux mesures applicables à cette catégorie de mineurs varient d’un pays à l’autre  [26].

44Le seuil d’âge généralement retenu se situe, en général, autour de vingt ou vingt et un ans. A cet égard, il est permis de s’interroger sur l’opportunité d’élever encore ce seuil d’âge maximum, par exemple jusqu’à l’âge de vingt cinq ans.

4529. Une telle proposition peut paraître paradoxale, au regard de la tendance, ci-dessus constatée, en faveur d’un abaissement des seuils d’âge, tant de la majorité pénale, que du seuil minimum de l’intervention judiciaire et de l’application de sanctions. Il est à craindre que les propositions en faveur de l’élévation du seuil maximum ne reçoivent un accueil favorable de l’opinion publique et du législateur, plus sensibles de nos jours aux solutions sécuritaires à l’encontre des mineurs, a fortiori lorsqu’il s’agit de jeunes adultes, de plus en plus nombreux parmi les auteurs d’infractions.

46Et pourtant, il est permis de se demander si le paradoxe initialement relevé n’est pas en réalité qu’apparent. D’une part, s’il est vrai qu’on observe un rajeunissement de l’âge à partir duquel les mineurs commettent des infractions graves, justifiant une plus grande sévérité, cette catégorie n’est pas, fort heureusement, la plus nombreuse. D’autre part, il ne fait aucun doute que bon nombre de délinquants juvéniles, dont la délinquance est transitoire, sont en réalité des individus immatures relevant davantage de mesures éducatives que de mesures répressives. A ceux-là il faut ajouter tous ceux dont l’enracinement dans la délinquance est le résultat d’une entrée prématurée dans le système répressif, ayant pour conséquence inéluctable l’aggravation de la récidive.

47Ces considérations montrent tout l’intérêt que revêt à l’égard des mineurs la nécessité de procéder à des investigations relatives à leur personnalité avant toute décision concernant le choix des mesures applicables, y compris au-delà de l’âge de la majorité pénale  [27], voire au moment même de la constatation judiciaire de la responsabilité.

III. La constatation judiciaire de la responsabilité

4830. L’examen de cette question a conduit une majorité de rapporteurs nationaux à exposer l’ensemble du fonctionnement de la justice pénale des mineurs, son organisation, sa compétence, l’examen de voies de recours, etc… On se gardera d’envisager la question sous un angle aussi large pour se limiter aux aspects évoqués dans le questionnaire soumis aux rapporteurs.

A. La spécialisation des juridictions pour mineurs

4931. La spécialisation des juridictions pour mineurs constitue aujourd’hui un principe général qui ne souffre que de très rares exceptions. L’ensemble des rapports évoque, d’un point de vue historique, le cheminement législatif ayant conduit à la spécialisation progressive de la justice des mineurs. Les rares exceptions concernent des infractions de moindre gravité (par exemple en matière d’infractions routières) ou quelques infractions très spéciales (infractions militaires, infractions en matière de terrorisme, trafic de stupéfiants). La spécialisation, toutefois, ne connaît pas partout la même forme et la même importance.

1) La spécialisation des fonctions

5031. La forme la plus répandue consiste en la spécialisation de la fonction de jugement. D’une manière générale, le jugement des mineurs auteurs d’un fait qualifié infraction est confié à un magistrat spécialisé, au sein de l’ordre judiciaire. Tantôt, il s’agit d’un ou de plusieurs magistrats, spécialement désignés au sein de la juridiction, et occupant cette fonction à temps plein ou à temps partiel. La plupart du temps, ces magistrats ont reçu une formation professionnelle spécialisée, qui peut se prolonger au cours de leur carrière (formation continue), les destinant à se consacrer, de façon plus ou moins durable aux affaires concernant les mineurs.

5132. Il arrive également que la spécialisation des magistrats soit étendue à la fonction de poursuite et/ou à la fonction d’instruction, lorsque ces fonctions sont confiées à des magistrats distincts, n’exerçant pas la fonction de jugement. Tel est le cas, en particulier, des magistrats chargés de l’instruction des affaires les plus graves (en matière criminelle), ce qui impose parfois la disjonction des fonctions, au sein d’une même affaire, lorsque celle-ci comporte à la fois des majeurs et des mineurs. Dans ce dernier cas, on considère que l’intérêt du mineur l’emporte sur la nécessité de l’unité de la justice. La spécialisation de l’ensemble des fonctions au sein de la justice des mineurs constitue en effet le meilleur moyen de faire prévaloir dès le début de la procédure, la protection de la personne du mineur, l’application de règles spécifiques dès l’enquête de police. En outre, l’existence de magistrats spécialisés, ayant l’habitude de collaborer au sein d’une même juridiction, permet une meilleure coordination des mesures susceptibles d’être prises à l’égard du mineur, notamment lorsque des services sociaux sont susceptibles de se voir confier le mineur dès le début de l’affaire.

2) La spécialisation des juridictions

5233. Il est possible de franchir un pas supplémentaire en étendant la spécialisation au-delà des seuls magistrats, à l’organisation d’un ensemble de juridictions spécialisé chargé des affaires de mineurs. Il s’agit, dans ce cas, de faire bénéficier la justice des mineurs d’une organisation spécifique, en première instance comme en appel.

53Dans cette hypothèse, il est même possible d’envisager deux degrés dans la spécialisation.

54a) Le premier degré consiste à limiter la spécialisation au sein même de l’ordre judiciaire, aux seules affaires pour lesquelles les juridictions sont saisies à raison d’un fait qualifié infraction commis par un mineur. Ce type de spécialisation a souvent pour effet de faire de la justice des mineurs une sorte de sous système, au sein d’un ordre judiciaire conçu pour la justice des majeurs. La spécialisation des fonctions ne fait pas obstacle à ce que les mêmes magistrats exercent simultanément ou successivement des fonctions au sein de la justice des majeurs.

55b) Le second degré consiste à étendre la spécialisation à l’ensemble des affaires, non seulement pénales mais aussi civiles, dans lesquelles la personne d’un mineur est concernée. Cette solution permet de centrer l’intervention judiciaire autour de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, telle qu’elle est entendue dans la Convention internationale des droits de l’enfant  [28]. C’est celle qui assure le mieux l’autonomie du droit des mineurs, fondée sur des concepts spécifiques, indépendants des concepts élaborés pour le droit et la justice des majeurs. C’est à ce prix que peut se forger une notion spécifique de responsabilité des mineurs, dont nous avons souligné la laborieuse émergence  [29]. C’est aussi à ce prix que l’unité de la protection de la personne du mineur peut être assurée, en évitant la multiplication de comparutions devant des juridictions de nature différente selon la nature du contentieux.

B. La nécessité d’investigations préalables à la constatation judiciaire de la responsabilité

5634. La grande majorité des rapports nationaux fait état de l’existence d’investigations relatives à la personnalité du mineur prévues par la loi. En revanche, on observe une très grande diversité quant à la nature de ces investigations et au moment où celles-ci interviennent.

571°) La nature des investigations varie selon qu’il s’agit d’une véritable expertise ou d’investigations plus spécialisées. L’expertise est confiée par le juge à des spécialistes, choisis sur une liste de professionnels spécialement désignés à cet effet. La mission de l’expert portera, selon les cas, sur la détermination de la responsabilité/irresponsabilité du mineur, ou sur le point de savoir si celui-ci a agi avec discernement  [30].

58D’autres types d’investigations ont pour objet l’évaluation de la personnalité du mineur : examen médico-psychologique, enquête sociale, etc… Ces investigations sont généralement confiées à des services spécialisés, agréés par le tribunal. Elles sont de nature à éclairer la juridiction sur les mesures à prendre, à titre provisoire, dans l’attente d’un jugement susceptible d’intervenir bien longtemps après la saisine de la justice.

59La nature de ces investigations spécialisées implique que celles-ci soient confiées à des équipes pluridisciplinaires, spécialement formées à cet effet, et contrôlées par l’autorité judiciaire. Il importe qu’au cours de ces investigations le respect de la personne du mineur, de ses droits, de son intimité soient rigoureusement assurés et que son défenseur y soit associé.

602°) Le moment auquel ces diverses interventions sont réalisées est extrêmement variable selon les rapports nationaux. Certaines peuvent être effectuées à tout moment de la procédure. D’autres sont exigées avant toute saisine au fond.

61Compte tenu de la longueur de certaines investigations, il est souhaitable que celles-ci interviennent le plus rapidement possible, afin de ne pas allonger les délais de jugement. Cette nécessité se trouve renforcée lorsque, dans certaines hypothèses, la loi prévoit la comparution du mineur dans des délais rapprochés. Lorsque ces délais ne permettent pas la réalisation de telles investigations, la juridiction de jugement sera amenée à statuer dans l’ignorance des éléments relatifs à la personnalité du mineur. L’expérience prouve que les tribunaux ont alors tendance à faire prévaloir les mesures répressives sur les mesures éducatives. Tel est, bien souvent, l’effet recherché par les législations de type sécuritaire, soucieuses d’apporter une riposte judiciaire rapide à la délinquance des mineurs.

C. La protection des droits des victimes

6235. L’un des reproches fréquemment formulés à l’encontre des règles procédurales applicables aux affaires de mineur est d’assurer une protection insuffisante des droits des victimes. Plus encore que dans les procédures à l’égard des majeurs, la victime apparaît comme un élément de perturbation. C’est pourquoi on observe, dans les législations nationales, une certaine réticence à accorder des droits aux victimes d’infractions commises par des mineurs.

63S’il arrive que certaines législations accordent à la victime le droit de mettre en mouvement l’action publique, ce droit est en général réservé au Ministère public, la victime pouvant alors obtenir réparation tantôt par voie d’intervention, tantôt en s’adressant à la juridiction civile. Dans la mesure où la réparation dépend de la reconnaissance préalable de la culpabilité du mineur, la victime est parfois contrainte d’attendre l’achèvement d’une longue procédure pour obtenir satisfaction.

6436. Afin d’assurer une meilleure protection des victimes, divers moyens sont susceptibles d’être mis en œuvre.

651°) Une première solution consiste à ouvrir plus largement la possibilité, pour la victime, de se constituer partie civile dès le début de la procédure, ce qui lui permet d’être informée du déroulement de celle-ci, de faire valoir ses droits et d’établir les éléments permettant d’évaluer le montant de son préjudice. Cette solution présente toutefois l’inconvénient de retarder jusqu’au jugement sur le fond, portant sur la responsabilité du mineur, la décision d’indemnisation.

662°) Pour remédier à cet inconvénient, il est possible de scinder la procédure en deux phases, en distinguant la phase d’établissement de la responsabilité de celle du prononcé de la sentence, selon le schéma préconisé par l’Ecole de la Défense sociale nouvelle.

67Très souvent, en effet, la première phase ne soulève pas de difficultés juridiques majeures et peut intervenir dans un délai relativement bref. Il peut alors être statué immédiatement sur la demande de la victime. En revanche, le choix de la mesure finale (mesure éducative ou sanction) peut attendre que soient terminées les investigations relatives à la personnalité du mineur qui nécessitent un temps d’observation plus ou moins long.

683°) Un moyen plus radical consiste à dissocier la réparation de la poursuite en recourant à des procédures alternatives du type médiation-réparation. Pour les affaires de faible importance, nombreuses en matière de délinquance juvénile, qui ne soulèvent pas de contestation sérieuse, il apparaît préférable de renvoyer l’affaire devant un médiateur, désigné par l’autorité de poursuite, afin de rechercher un accord entre la victime, le mineur et ses parents. Outre l’intérêt que présente un dialogue direct entre l’auteur et la victime, plus difficile à obtenir dans le cadre plus solennel d’une audience judiciaire, la réparation ainsi négociée sous l’autorité et le contrôle du médiateur peut revêtir un caractère éducatif (obligation de présenter des excuses, réparation en nature du dommage, etc…) que ne comporte pas la simple réparation pécuniaire ordonnée par la décision de justice.

IV. Sanctions et mesures applicables

6936. Sur ce point les rapports nationaux dressent un panorama très complet et très diversifié des sanctions et mesures applicables aux mineurs. La synthèse est rendue difficile, en raison des grandes différences qui affectent cette partie du droit pénal des mineurs.

70D’une part, en effet, ce domaine reflète, plus que tout autre, le particularisme des droits nationaux, plus ou moins sanctionnateurs et plus ou moins ouverts à l’existence de mesures éducatives. D’autre part, les multiples réformes ayant affecté ce domaine, moins stable que celui des majeurs, ont contribué à créer des systèmes complexes, dont la compréhension est souvent malaisée. Enfin, il n’est pas certain que l’examen du dispositif législatif permette de rendre compte des pratiques effectives des juridictions en la matière, soumises aux aléas de la politique criminelle du moment, aux phénomènes de mode, voire aux variations des sensibilités personnelles des magistrats. Bien souvent, en matière de sanctions, le droit pénal des mineurs constitue une sorte de laboratoire au sein duquel sont expérimentées des solutions susceptibles d’être étendues, le cas échéant, au domaine des majeurs.

71Sans prétendre examiner, dans le cadre de ce rapport, l’ensemble des questions soulevées, on distingue entre les mesures antérieures au jugement et celles qui suivent la décision sur le fond.

A. Les mesures antérieures au jugement

7237. La privation de liberté avant jugement constitue, évidemment, une mesure grave à l’égard d’un mineur et ne peut avoir qu’un caractère exceptionnel. La plupart des rapports nationaux en mentionnent l’existence dans leur législation nationale. Toutefois, d’importantes différences apparaissent quant aux modalités de son régime d’application.

731°. La première modalité concerne l’autorité ayant qualité pour l’ordonner. Dans tous les cas, il s’agit d’un magistrat appartenant soit à l’autorité de poursuite, soit à l’autorité d’instruction ou de jugement. Une attention particulière doit être apportée aux garanties qui entourent le prononcé d’une mesure aussi grave, susceptible de perturber gravement la personnalité du mineur, voire de le conduire au suicide en raison du « choc carcéral ». C’est pourquoi il importe de ne prononcer cette mesure qu’à la suite d’investigations préalables et lorsque l’on s’est assuré qu’il n’y avait pas de solution alternative. Aussi, certaines législations rendent-elles obligatoires de telles investigations, avant même toute saisine au fond. Au surplus, s’agissant d’une mesure gravement attentatoire à la liberté, l’existence d’un débat contradictoire et l’intervention d’un défenseur au moment du prononcé de la mesure devraient toujours constituer la règle.

742°. La seconde modalité concerne la durée de la mesure. Celle-ci varie selon les pays, certains ne mentionnant aucune durée légale. Plus souvent, la loi contient des délais, parfois renouvelables, au-delà duquel la détention ne peut être prolongée. La durée varie selon la gravité de l’infraction poursuivie. Ce type de détention constitue une « sanction déguisée », anticipant sur la sanction finale, la juridiction de jugement se voyant contrainte de prononcer une peine de durée équivalente pour « couvrir » la détention déjà effectuée.

753°. La troisième modalité concerne le lieu dans lequel est accomplie la détention avant jugement. S’il est précisé, comme cela apparaît évidemment souhaitable, que celle-ci doit être exécutée dans des établissements distincts de ceux où sont détenus des majeurs, la réalité est parfois bien différente. La promiscuité peut aller jusqu’à l’enfermement en commun avec des majeurs. Qu’il soit permis à votre rapporteur de suggérer que cette solution, souvent justifiée par la surpopulation carcérale, soit fermement condamnée dans nos résolutions finales.

76Il arrive, heureusement, que la détention soit exercée dans des établissements distincts, réservés aux mineurs et bénéficiant d’un personnel spécialisé. La détention peut être accompagnée, dans ce cas, de mesures éducatives qui permettent d’anticiper sur la mise en œuvre d’un traitement, avant même la décision définitive. Pour souhaitable qu’elle soit, cette solution se heurte souvent à la réticence des services éducatifs qui considèrent comme incompatible l’exercice de mesures éducatives dans un cadre aussi contraignant.

7738. En raison des graves inconvénients que présente la détention avant jugement, il arrive que la loi édicte des mesures alternatives, telles que le placement placement dans une institution spécialisée, dite « ouverte », au sein de laquelle le mineur est soumis à un traitement éducatif, et au cours duquel pourront être accomplies les investigations ordonnées par le juge.

78D’autres mesures moins contraignantes peuvent être ordonnées. Ce sera, par exemple, la remise à un agent de probation, qui accompagnera le mineur, et, au besoin, sa famille pendant la durée de la procédure, au prononcé de différentes obligations : ne pas fréquenter certains lieux, se soumettre à un traitement médical ou une cure de désintoxication en cas d’usage de stupéfiants, suivre une formation professionnelle, etc…

79Là encore, le prononcé de ces mesures doit être entouré de garanties procédurales et de l’assistance d’un défenseur.

B. Les sanctions et mesures prononcées après jugement sur le fond

1) Les conditions communes

8039. Une fois intervenue la décision sur la responsabilité (ou l’irresponsabilité) du mineur dans les conditions ci-dessus examinées  [31], il incombe à la juridiction de statuer sur la sanction ou sur les autres types de mesures applicables. Avant même d’examiner les unes et les autres, il importe de rappeler diverses conditions communes qui doivent entourer leur prononcé.

8140. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler une fois encore la nécessité de respecter rigoureusement en la matière, au même titre que pour les majeurs, le principe de légalité, non seulement pour la détermination de l’existence du « fait qualifié infraction », condition préalable nécessaire à la décision sur la responsabilité, mais encore le principe de légalité des sanctions et des autres mesures applicables. Le choix de la nature de celles-ci ne peut être laissé à l’appréciation personnelle du juge. Il en va de même de la légalité du jugement. Celui-ci doit intervenir dans les formes et dans le respect des droits du mineur, de sa famille et, le cas échéant, de la ou des victimes. Nullum crimen, nulla poena, nullum judicium sine lege demeurent des principes cardinaux qui doivent s’appliquer sans exception à la justice des mineurs.

8241. A ce stade de la procédure, il faut une fois de plus rappeler la nécessité de faire précéder le prononcé de toute décision sur le fond, des investigations susceptibles d’éclairer la juridiction sur la personnalité du mineur, de manière à pouvoir évaluer correctement les conséquences de la décision prise quant à la peine ou les mesures éducatives. Ces investigations devront être d’autant plus approfondies que la sanction encourue est grave. Pour les mesures éducatives, l’avis d’un service éducatif compétent devrait être obligatoire, le juge conservant, comme il se doit, sa liberté de décision.

8342. Déjà mentionnée à plusieurs reprises, à propos de tel ou tel moment de la procédure, la nécessité d’un débat contradictoire est à l’évidence tout autant nécessaire au moment du prononcé de la peine, mais également du prononcé de toute autre mesure contraignante ou revêtant un caractère éducatif. Seul un débat de cette nature est susceptible d’assurer la prise en considération de l’intérêt du mineur, qui doit demeurer l’objectif final de la décision.

84La présence d’un défenseur constitue une garantie essentielle du respect du principe contradictoire. Sa présence ne saurait être considérée comme superflue, au motif que les magistrats professionnels, informés de l’ensemble du dossier et éclairés par les investigations ordonnées, seraient les meilleurs juges de cet intérêt. De même, l’idée souvent répandue selon laquelle la législation s’inspirant davantage du souci de protéger le mineur que de le punir, l’assistance d’un défenseur serait superflue. Bien au contraire, la participation de l’avocat au débat contradictoire, pour collaborer au choix de la mesure, ou faire bénéficier la juridiction de ses informations et « faire entendre la voix de l’enfant » constitue un élément indispensable à la qualité de la justice des mineurs  [32].

85Aussi, compte tenu du particularisme de cette branche du droit et de la spécificité des connaissances qu’elle exige, il est souhaitable de promouvoir un corps de défenseurs spécialisés, au même titre que le sont les magistrats amenés à intervenir dans ce type d’affaires.

86Bien entendu, si le mineur ou sa famille doivent avoir le libre choix de leur défenseur, la loi doit prévoir la possibilité d’en désigner un d’office lorsque ce choix n’a pas été ou n’a pu être exercé. Elle doit également prévoir, si nécessaire, les moyens d’y pourvoir lorsque la situation économique du mineur ou de sa famille ne le permet pas.

2) Les sanctions pénales

a) La peine privative de liberté

8743. Si la plupart des législations prévoient la possibilité de prononcer de telles peines, celles-ci ne doivent avoir qu’un caractère exceptionnel. Par delà la réaffirmation indispensable de ce principe, il apparaît nécessaire d’en entourer le prononcé de conditions rigoureuses. Outre les conditions communes ci-dessus examinées  [33], certaines, plus spécifiques à ce type de sanctions, doivent être évoquées.

88S’agissant de la durée de la privation de liberté, il importe de rappeler vigoureusement l’interdiction de la peine perpétuelle, même si celle-ci n’a, dans la législation, qu’un caractère théorique. Lorsqu’il s’agit d’une peine à durée déterminée, la durée de celle-ci doit être soigneusement limitée par la loi, et le juge doit en indiquer le terme dans sa décision. Comme pour la privation de liberté avant jugement, elle doit être exécutée dans un établissement spécialisé et être accompagnée d’une intervention éducative. Son régime doit tendre à la resocialisation du mineur, en évitant toute contrainte ou vexation inutile.

89Enfin, l’âge à partir duquel la privation de liberté peut être prononcée, à titre de sanction comme à titre provisoire avant jugement  [34] devrait figurer dans la loi. Il s’agit là d’un seuil d’âge distinct de ceux dont il a été discuté plus haut à propos de la fixation de l’âge de la majorité ou du seuil minimum de l’intervention judiciaire  [35]. En effet, nous avons souligné la nécessité de dissocier ces seuils de celui à partir duquel une sanction pénale peut être prononcée, afin d’éviter l’effet pervers que pourrait entraîner l’abaissement de l’un quelconque de ces seuils. S’agissant de la privation de liberté, celle-ci ne devrait, semble-t-il, intervenir avant l’âge minimum de seize ans, et pour autant que les investigations préalables ordonnées par le juge soient compatibles avec une telle décision.

b) La prohibition de la peine capitale

9044. Si quelques législations, heureusement rares, prévoient la possibilité d’une telle peine, parfois dès l’âge de seize ans, l’ensemble des rapporteurs formulent, plus ou moins explicitement, leur opposition à une sanction aussi grave. Sans qu’il soit besoin de s’attarder longuement sur les raisons d’un tel rejet, votre rapporteur entend souligner la nécessité de rappeler de la manière la plus ferme dans les résolutions finales, l’interdiction d’un tel châtiment, et ceci indépendamment de l’âge du condamné. On comprendrait mal comment, l’Association Internationale de Droit Pénal, dont les résolutions des Congrès passés ont manifesté à plusieurs reprises la condamnation des traitements cruels, inhumains et dégradants pourrait ne pas étendre cette condamnation à la peine de mort, a fortiori lorsque cette peine est susceptible d’être prononcée à l’encontre d’un mineur.

3) Les sanctions alternatives

9145. Dans les mêmes conditions, et pour les mêmes raisons que celles envisagées comme moyen d’éviter la détention avant jugement  [36], des mesures alternatives à la privation de liberté prononcée à titre de peine sont prévues par certaines législations. Elles sont, le plus souvent, de même nature que celles-ci et n’ont alors pour effet que de les prolonger au-delà du jugement, voire d’en modifier le contenu en fonction des résultats observés au cours de la phase d’observation.

92L’intérêt du mineur constitue, certes, la raison primordiale de leur prescription. Mais, là encore, l’intérêt des victimes doit être pris en considération. Il conviendra alors de privilégier, parmi ces mesures, celles qui sont susceptibles d’apporter à la victime la meilleure réparation, au sens plein du terme, c’est à dire à la fois sur le plan matériel, mais aussi sur le plan moral.

93De telles mesures sont alors très proches des mesures éducatives, et s’apparentent, plus ou moins, avec les « sanctions éducatives » dont il a été déjà question  [37].

4) Les mesures éducatives

9446. Sous ce terme générique, on rangera toutes les mesures susceptibles d’être prononcées après décision sur la « responsabilité du mineur », et, d’une manière générale, après reconnaissance de sa qualité d’auteur du « fait qualifié infraction ». Sans entrer dans la liste de ces mesures, au contenu varié en fonction de la spécificité des législations nationales et du modèle de justice auxquelles celles-ci se réfèrent, plusieurs problèmes se posent.

951°) Certains modèles appliquent la voie alternative : soit la voie de la sanction, soit la voie de la mesure éducative, le choix entre l’une ou l’autre de ces voies reposant sur les conclusions tirées des investigations préalables relatives à la personnalité du mineur. Ce modèle a la préférence des milieux éducatifs, qui soulignent l’incompatibilité entre éducation et contrainte.

962°) D’autres modèles, plus rares, ne font pas obstacle à la voie cumulative. Sanctions et mesures éducatives peuvent alors faire l’objet d’une application simultanée ou successive. On rappellera que sous l’influence des tendances favorables à la « repénalisation » du droit des mineurs, certains pays jusqu’alors favorables à la prévalence des mesures éducatives, s’orientent vers le choix de « sanctions éducatives », au point de substituer au modèle alternatif un modèle que l’on pourrait qualifier de « mixte ». Seul un examen attentif du contenu concret de ce type de « sanction », de ses modalités d’exécution, du degré de contrainte qu’elle comporte, permet de dire s’il s’agit véritablement d’une peine ou d’une mesure éducative.

973°) Une attention particulière doit être accordée aux conditions dans lesquelles est ordonnée la mesure éducative. Si son prononcé doit, dans tous les cas, être réservé à une autorité judiciaire (de jugement), il faut être attentif au plus ou moins grand degré de liberté laissé par le juge quant au contenu et à l’exécution de la mesure.

98Il faut rappeler avec force que le prononcé d’une telle mesure, dont le contenu entraîne à l’égard de la personnalité du mineur, de sa liberté personnelle, de son intimité, etc…, et des droits de ses parents des conséquences importantes, doit être entouré des garanties procédurales identiques à celles qui entourent le prononcé d’une sanction  [38]. Il faut, bien entendu, se référer également à ce qui a été débattu au sujet de l’âge minimum et maximum du prononcé et de la durée de ces mesures.

994°) Comme pour la peine privative de liberté, l’exécution de la mesure éducative, les modifications qu’il convient d’y apporter, et toute décision relative à son terme, doivent être confiées à un magistrat. A cet effet, la préférence doit être confiée à celui qui a prononcé la mesure. Si cette dernière est exécutée en un lieu situé hors de sa compétence territoriale ( ratione loci), il est souhaitable que le juge territorialement compétent soit un juge spécialisé dans les affaires de mineurs.

IV. Aspects internationaux

10047. Le questionnaire soumis aux rapporteurs nationaux accorde à ces aspects une place importante, conformément à l’intérêt que l’Association Internationale de Droit Pénal porte à ces questions. D’autre part, la place de plus en plus importante prise par les questions relatives à l’enfance en droit international, et l’incidence que les dispositions en la matière sont susceptibles d’exercer en droit interne ont semblé mériter une attention particulière.

101Il faut bien reconnaître que ces aspects n’ont pas toujours trouvé dans bon nombre de rapports nationaux l’intérêt attendu. Il est permis de penser que l’importance des questions précédentes, examinées au regard du droit interne, a pu contribuer à conférer aux aspects internationaux un caractère subsidiaire. Votre rapporteur s’est vu contraint d’en tirer les conséquences. Les débats permettront de dire si le diagnostic peut être confirmé.

10248. Afin de mesurer l’influence des textes et documents internationaux en droit interne, il aurait été souhaitable de disposer d’un inventaire aussi complet que possible de ceux-ci. Par delà la référence aux traités et conventions à vocation universelle, les instruments à vocation régionale auraient pu faire l’objet d’un examen plus approfondi.

1031°) Outre l’application quasi générale de la Convention des Nations Unies sur les droits civils et politiques et de ses protocoles, une place éminente doit être faite à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant  [39], qui avait été précédée par l’adoption des Règles minima pour l’administration de la justice des mineurs, dites « Règles de Beijing »  [40]. La principale question soulevée par les rapports nationaux concerne la question de savoir si les règles édictées par cette Convention sont d’application directe en droit interne ou si elles ne peuvent s’appliquer qu’après transposition en droit interne. A cet égard, les réponses sont variées et n’ont pas toujours été tranchées de façon claire et définitive par les tribunaux. Bien souvent, la réponse à cette question dépend de l’autorité que la Constitution accorde aux Traités internationaux par rapport à la loi interne.

1042°) Le Traité de Rome instituant de Cour Pénale Internationale (CPI) fixe, dans son article 26, à dix huit ans l’âge à partir duquel la Cour est compétente. On se félicitera de la fixation de cet âge à un niveau aussi élevé, sachant qu’il n’est pas rare que des mineurs d’un âge inférieur soient engagés ou enrôlés de force dans des conflits armés. En vertu du principe de subsidiarité, c’est donc aux juridictions nationales qu’il incombera de juger, le cas échéant, de tels mineurs.

1053°) Les instruments régionaux revêtent en la matière une grande importance. Il en est ainsi spécialement en Europe. Les rapporteurs de cette région signalent tous l’importance que joue la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme sur la jurisprudence des juridictions pour mineurs, en étendant à celles-ci les garanties qu’elle édicte. L’intérêt de ces dispositions est d’être considérées comme d’application directe. Il n’en est pas de même d’autres textes, tels la Charte européenne des Droits de l’enfant et des résolutions diverses dont l’intérêt consiste essentiellement à inviter les Etats à mettre leur législation en conformité avec les prescriptions qu’elles édictent. A cet égard, il est certain que la mise en œuvre de ces instruments internationaux doit être vivement encouragée, dans la mesure où leur influence sur l’évolution des législations internes permet d’élever les standards de protection des droits des mineurs. La référence à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant en tant que critère d’application des règles édictées est de nature à favoriser l’autonomie du droit des mineurs, fondée sur la reconnaissance de la vulnérabilité et le besoin de protection de cette catégorie de justiciables.

10649. Parmi les mineurs les plus vulnérables, une attention particulière doit être portée aux mineurs étrangers. Sous l’effet de la mondialisation, de l’accroissement des migrations de population, du développement de la traite des êtres humains, cette catégorie de mineurs se retrouve en nombre croissant parmi les mineurs délinquants. Les mineurs auteurs sont aussi, bien souvent, des mineurs victimes. Livrés au vagabondage, à la mendicité, à la prostitution ; initiés au chapardage, à l’usage et au trafic de stupéfiants, ils sont perçus bien souvent comme des facteurs majeurs du sentiment d’insécurité et se trouvent ainsi exposés aux rigueurs des politiques criminelles sécuritaires. L’expérience prouve qu’ils font l’objet d’une plus grande sévérité de la part des tribunaux.

107En présence d’une telle situation, il importe de rappeler avec fermeté au respect des dispositions du droit humanitaire, en énonçant clairement que les mineurs étrangers doivent bénéficier des mêmes garanties que celles reconnues aux mineurs nationaux. Il doit en être ainsi, spécialement, dans la mise en œuvre des instruments de coopération internationale. Le critère du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant doit, ici encore, être scrupuleusement respecté. En matière d’extradition notamment, le respect du droit à une vie familiale impose d’empêcher que le mineur soit séparé de sa famille.

Conclusion

10850. Comme nous l’avons signalé initialement, la complexité des problèmes soulevés par la question de la responsabilité pénale des mineurs, tant dans l’ordre interne que dans l’ordre international, rend la synthèse difficile. En raison des particularismes nationaux, des traditions culturelles différentes et d’une plus ou moins grande sensibilité des législations à ces problèmes, les modèles législatifs et les systèmes de justice manquent d’homogénéité. En dépit de la grande qualité des rapports nationaux, votre rapporteur a le sentiment de n’avoir pu rendre compte, avec la fidélité qu’il aurait souhaitée, des spécificités, des nuances et des richesses que ceux-ci contiennent.

109De même, le petit nombre ou l’absence de réponses sur certains aspects du questionnaire ont conduit à ne mettre l’accent que sur les questions d’intérêt commun. Souhaitons seulement que notre travail, en dépit de ses insuffisances et de ses imperfections, constitue un point de départ suffisant pour animer les discussions et conduire à des résolutions bénéfiques pour la justice des mineurs.

110.

Notes

  • [*]
    Professeur émérite à l’Université de Nantes, Vice-Président de l’Association Internationale de Droit Pénal, chargé de la Coordination Scientifique.
  • [1]
    V. en particulier les volumes de la Revue Internationale de Droit Pénal consacrés à cette question (vol. 50,1979 n°3/4 ; vol. 62,1991 n°3/4).
  • [2]
    Beijing, 12-19 septembre 2004.
  • [3]
    V. le texte du Questionnaire (français, anglais, espagnol), RIDP, vol. 72,2001 n°3/4, p. 663 et s.
  • [4]
    Donald J. Shoemaker (ed.), International Handbook on Juvenile Justice, Greenwood Press, 1996.
  • [5]
    V. Hugues L. Parent, A Comparative Study of the Principales Governing Responsability in England, Canada, the United States and in France, R.I.D.P., vol. 71,2000 n°3/4, p. 325 et s.
  • [6]
    A ce jour, 23 rapports nationaux ont été adressés au rapporteur général (dont près de la moitié après le déroulement du colloque préparatoire !) : il s’agit des pays suivants : Algérie, Autriche, Belgique, Brésil, Chine, Colombie, Croatie, Espagne, Etats Unis d’Amérique, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Iran, Japon, Mexique, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Slovénie, Suède, Tunisie. En outre, le Centro Nazionale di Prevenzione e Difesa Sociale de Milan (Italie) a adressé une contribution spéciale, s’inspirant de la législation italienne.
  • [7]
    V. sur cette question des systèmes et des modèles de justice pénale : « Les systèmes comparés de justice pénale : De la diversité au rapprochement, Nouvelles Etudes Pénales, vol. 17, éd. Erès, 1998.
  • [8]
    V. infra n°20 et s., la question des seuils d’âge.
  • [9]
    V. par exemple le rapport belge (§ 2A) et le rapport français (I).
  • [10]
    Tel est, semble-t-il, le cas du Japon.
  • [11]
    On citera, à cet égard, la législation française.
  • [12]
    V. à cet égard les intéressantes réflexions contenues dans les rapports de la Colombie, de la Belgique et de la France.
  • [13]
    On parle volontiers, à ce sujet, de « précocité ». V. sur ce point : R. Ottenhof, Délinquance et précocité, Rev. sc. crim., 1995, n°4.
  • [14]
    V. infra n°27, la question des jeunes majeurs.
  • [15]
    Le rapport iranien est le seul rapport national d’un pays appliquant le droit islamique. D’autres pays, comme l’Algérie et la Tunisie, disposent d’une législation pénale laïque, ayant adopté une majorité pénale fixée à dix huit ans.
  • [16]
    Le rapport des Etats Unis signale la tendance de divers états à s’aligner sur l’exemple de l’Illinois, dont le modèle de justice juvénile s’applique aux mineurs de seize ans.
  • [17]
    V. supra, n°15, spécialement note 13.
  • [18]
    Comp. Infra n° 36 et s.
  • [19]
    C’est le cas par exemple du Brésil.
  • [20]
    Cette expression, empruntée à l’article 36,4° de la loi belge du 8 avril 1965, rappelle que le fait est objectivement punissable, mais ne peut être imputé au mineur à raison de son âge.
  • [21]
    On citera, par exemple, les mesures applicables en France à l’égard des mineurs en danger (art. 375 et s., C. Civ. français).
  • [22]
    Cette définition est empruntée à un célèbre arrêt de la Cour de Cassation française (Arrêt Laboube, Cass. Crim., 13 déc. 1956, Bull. Crim. n°840).
  • [23]
    La question se pose dans des termes comparables à ceux que nous avons rencontrés pour la détermination de l’âge de la majorité pénale (v. supra n°17 et s.).
  • [24]
    V. en particulier, sur ce point, les excellents développements contenus dans le rapport de la Belgique (F. 1 et 2).
  • [25]
    Pour une analyse critique de la notion de « sanction éducative », v. également les développements contenus dans le rapport de la Belgique, et spécialement la note 18.
  • [26]
    Ces conséquences seront examinées ultérieurement tant au niveau procédural qu’au niveau des mesures applicables.
  • [27]
    V. infra n° 34 et s.
  • [28]
    V. infra n° 48.
  • [29]
    V. supra n° 15 et 16.
  • [30]
    Un autre type d’expertise peut porter sur la détermination de l’âge du mineur, lorsque cet âge ne peut être établi par des moyens de preuve appropriés.
  • [31]
    V. supra n° 30 et s.
  • [32]
    Il peut apparaître parfois nécessaire que ce défenseur soit différent de celui choisi par les parents, lorsqu’il existe un conflit d’intérêt entre ceux-ci et le mineur.
  • [33]
    V. supra n° 39 et s.
  • [34]
    V. supra n° 37 et s.
  • [35]
    V. supra n° 17 et s.
  • [36]
    V. supra n° 38.
  • [37]
    V. supra n° 26.
  • [38]
    On se référera, par conséquent, aux conditions énoncées supra n° 34 et s., spécialement le n° 42.
  • [39]
    Convention de New York adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 nov. 1989.
  • [40]
    Résolution 40/33, Assemblée Générale des Nations Unies, 29 nov. 1985.
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