Notes
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[1]
Directeur de l'Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence, Munich ; professeur honoraire à l'Université de Munich.
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[2]
Confirmé par la CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos contre Administratie der Belastingen, affaire 26/62, Rec. 1963, p. 3 (23) (« qu’il faut conclure de cet état de choses que la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants »).
-
[3]
V.O. Debarge, T. Georgopoulos et O. Rabaey (dir.), La Constitution économique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2008 ; D. Briand-Mélédo, « Droit de la concurrence, droit constitutionnel substantiel de la Communauté européenne », Rev. trim. dr. com., 2004, p. 205 ; C. Joerges, « La Constitution économique européenne en processus et en procès », RIDE, 2006, vol. XX : 3, p. 245. En langue anglaise, voir J. Baquero Cruz, Between Competition and Free Movement : the Economic Constitutional Law of the European Community, Oxford, Hart Publishing, 2002 ; M. Poiares Maduro, We the Court : The European Court of Justice and the European Economic Constitution, Oxford, Hart Publishing, 1998.
-
[4]
Voir, par exemple, D.J. Gerber, « Constitutionalizing the Economy : German Neo-liberalism, Competition Law and the “New” Europe », American Journal of Comparative Law, 1994, vol. 42, p. 25 ; C. Mongouachon, « L’ordolibéralisme : contexte historique et contenu dogmatique », Concurrences, 2011, n° 4, p. 70.
-
[5]
Voir, par exemple, J. Basedow, Von der deutschen zur europäischen Wirtschaftsverfassung, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1992 ; J. Drexl, « Competition Law as Part of the European Constitution », in A. von Bogdandy et J. Bast (dir.), Principles of European Constitutional Law, Oxford et Portland, Hart Publishing, 2006, p. 633 (voir aussi la version allemande : J. Drexl, « Wettbewerbsverfassung », in A. von Bogdandy (dir.), Europäisches Verfassungsrecht, Berlin, Springer, 2003, p. 747).
-
[6]
Voir aussi J. Drexl, « Competition Law as Part of the European Constitution », in A. von Bogdandy et J. Bast (dir.), Principles of European Constititional Law, 2e éd., Oxford, Hart Publishing, 2009, p. 659, 661-669 (sur le changement de la Constitution économique par le Traité de Lisbonne) ; C. Joerges, « What is Left of the European Economic Constitution ? A Melancholic Euology », 2004, accessible à http://www.direitogv.com.br/AppData/Event/Paper2020Joerges.pdf.
-
[7]
E. Forsthoff, « Die Wirtschaftsverfassung im Rahmen der Gesamtverfassung », in Institut zur Förderung öffentlicher Angelegenheiten (dir.), Ratgeber von Parlament und Recht, Frankfurt/Main, 1951, p. 127 (131).
-
[8]
Ibid.
-
[9]
W. Eucken, Die Grundlagen der Nationalökonomie, 9e éd., Berlin, Springer, 1989 (1re éd. 1939).
-
[10]
En allemand, on parlait de « ordnende Hand des Staates » (la main « ordonnante » de l’État) qui, avec le concept de l’ordre, a donné le nom à la revue de l’école de Fribourg (« ORDO ») et puis à l’ordolibéralisme.
-
[11]
F. Böhm, Wettbewerb und Monopolkampf, Cologne, Heymann, 1933, p. IX (« Rechtsordnung im positiven verfassungsrechtlichen Sinne, von exakter verfassungsrechtlicher Struktur »).
-
[12]
W. Eucken, Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwirklichung, ORDO, vol. 2, 1949, p. 1 (86) (« wirtschaftsverfassungsrechtliche Gesamtentscheidung »).
-
[13]
H.C. Nipperday, Die soziale Marktwirtschaft in der Verfassung der Bundesrepublik Deutschland, Karlsruhe, C.F. Müller, 1954 ; id., Soziale Marktwirtschaft und Grundgesetz, Cologne, Heymann, 1965.
-
[14]
Bundesverfassungsgericht, arrêt « Investitionshilfe », BVerfGE, vol. 4, p. 7, 17-18 ; confirmé par les arrêts « VW-Privatisierung », BVerfGE, vol. 12, p. 354 ; « Erdölbevorratung », BVerfGE, vol. 30, p. 392 ; « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290.
-
[15]
Voir, par exemple, Bundesverfassungsgericht, arrêt « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290 (337).
-
[16]
Terme utilisé par Bundesverfassungericht, arrêt « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290 (338) (« relative wirtschaftspolitische Offenheit »). Voir aussi J. Drexl, Die wirtschaftliche Selbstbestimmung des Verbrauchers, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1998, p. 220.
-
[17]
Art. 3 lit. f) du Traité CEE (plus tard : art. 3 al. 1 lit. g) du Traité CE).
-
[18]
CJCE, 3 octobre, Echirolles Distribution contre Association de Dauphiné, affaire C-9/99, Rec., 2000, p. I-8207.
-
[19]
Sur cette question, voir Drexl, op. cit. (note 6), p. 668 (en soutenant qu’une telle application devrait être possible).
-
[20]
CJCE (note 18), point 22.
-
[21]
CJCE, 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Édouard Leclerc et autres contre SARL « Au blé vert » et autres, affaire 229/83, Rec., 1985, p. 1.
-
[22]
CJCE (note 18), point 24.
-
[23]
Voir, en détail, Drexl, op. cit. (note 6), p. 664 et s.
-
[24]
Le protocole se lit comme suit :
« Les Hautes Parties Contractantes, compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée, sont convenues que à cet effet, l’Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l’article 352 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le présent protocole est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »
Sur l’histoire du transfert et le débat qui s’en est suivi, voir Drexl, op. cit. (note 6), p. 662 et s. Tout récemment, la CJUE a confirmé que, en vertu du protocole n° 27, le marché intérieur – selon l’art. 3, para. 3 TUE – comprend un système qui garantit que la concurrence n’est pas faussée : CJUE, 17 novembre 2011, Commission européenne contre République italienne, affaire C-496/09, non encore publiée au Recueil, point 60. -
[25]
H.C. Nipperdey, « Die Grundprinzipien des Wirtschaftsverfassungsrechts », in H. Wandersleb et E. Traumann (dir.), Recht – Staat – Wirtschaft, vol. III, Düsseldorf, Verlag L. Schwann, 1951, p. 223 (225).
-
[26]
W. Fikentscher, Wirtschaftsrecht, vol. II, Munich, C.H. Beck, 1983, p. 24. En allemand, la définition est la suivante :
« Wirtschaftsverfassung im heutigen Sinne ist die Summe verfassungsrechtlicher und grundlegender gesetzlicher Normen, gegebenenfalls auch das Fehlen solcher Normen, die das grundsätzliche Verhältnis von Wirtschaft, Staat und Staatsbürger regeln. Es kann sich dabei um eine bewusste Planung und Ordnung, es kann sich aber auch um eine bewusste Entscheidung gegen Planung und Ordnung, und es kann sich schließlich um eine mehr oder weniger bewusste Nichteinmischung handeln. » -
[27]
Version du 15 juillet 2005, BGBl. (J.O. Fédérale) 2005, part I, p. 2114 ; 2009, part I, p. 3850 ; dernièrement modifiée par la loi du 25 mai 2009, BGBl. (J.O. Fédérale) 2009, part I, p. 1102. NB : le Bundeskartellamt, l’autorité de contrôle allemande, offre aussi des traductions semi-officielles en français (http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/download/pdf/GWB_F.pdf) et en anglais (http://www.bundeskartellamt.de/wEnglisch/download/pdf/GWB/0911_GWB_7_Novelle_E. pdf). Il faut pourtant noter que, à l’heure actuelle, la traduction française n’inclut pas les modifications après 1999.
-
[28]
Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, JO L 376 du 27 décembre 2006, p. 36.
-
[29]
Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO L 24 du 29 janvier 2004, p. 1.
-
[30]
Sur le droit contre la concurrence déloyale dans le nouvel ordre constitutionnel du Traité de Lisbonne, voir A. Peukert, « Der Wandel der europäischen Wirtschaftsverfassung im Spiegel des Sekudärrechts – Erläutert am Beispiel des Rechts gegen den unlauteren Wettbewerb », Zeitschrift für Wirtschafts- und Handelsrecht (ZHR), vol. 173, 2009, p. 536.
-
[31]
La plus importante étant la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (« directive sur les pratiques commerciales déloyales »), JO L 149 du 11 juin 2005, p. 22.
-
[32]
Voir, par exemple, W. Eucken, « Das ordnungspolitische Problem », ORDO, vol. 1, 1948, p. 56 ; W. Eucken, « Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwirklichung », ORDO, vol. 2, 1949, p. 1 ; F. Böhm, « Die Idee des Ordo im Denken Walter Euckens », ORDO, vol. 3, 1950, p. XV. Voir aussi F. Böhm, Wirtschaftsordnung und Staatsverfassung, Tübingen, Mohr Siebeck, 1950.
-
[33]
C’était le cas pour Alexander Rüstow qui a émigré dès 1933 en Turquie où il devint professeur d’économie à l’Université d’Istanbul.
-
[34]
Pour la littérature plus récente, voir H.-G. Krüsselberg, « Zur Interdependenz von Wirtschaftsordnung und Gesellschaftsordnung : Euckens Plädoyer für ein umfassendes Denken in Ordnungen », ORDO, vol. 40, 1989, p. 223 ; aussi E. Hoppmann, « Kulturelle Evolution und ökonomische Effizienz », in Festschrift für Ernst-Joachim Mestmäcker, Baden-Baden, Nomos, 1996, p. 177 (surtout 189).
-
[35]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 85 et s. (en utilisant le terme « wirtschaftsverfassungsrechtliche Gesamtentscheidung »).
-
[36]
Ibid., p. 52.
-
[37]
Sur les conclusions à tirer de la pensée de Eucken pour le droit de la consommation, voir J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 113.
-
[38]
A. Müller-Armack, Wirtschaftslenkung und Marktwirtschaft, Hamburg, Verlag für Wirschafts- und Sozialpolitik, 1947 (première source publiée où on trouve le terme « Soziale Marktwirtschaft » – toujours écrit en lettres majuscules) ; id., « Die Wirtschaftsordnungen sozial gesehen », ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 ; id., « Die wissenschaftlichen Ursprünge und die künftige Verfassung der sozialen Marktwirtschaft », Wirtschaftspolitische Chronik (WPCh), 1973, n° 3, p. 7. Voir aussi R. Blum, Soziale Marktwirtschaft, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1969 ; J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 146- 151 (en plaçant le droit de la consommation dans le contexte de l’économie sociale de marché) ; O. Schlecht, Grundlagen und Perspektiven der Sozialen Marktwirtschaft, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1990 (en mettant l’accent sur le fondement ordolibéral).
-
[39]
A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (148 et s.).
-
[40]
O. Schlecht, op. cit. (note 38), p. 45 et s. (en décrivant cette relation comme « prinzipiell harmonisches Wechselverhältnis »).
-
[41]
A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (138). C’est dans cette perspective que les ordolibéraux reconnaissent aussi une fonction au critère de l’efficacité. Le critère de l’efficacité n’est donc pas contradictoire avec la pensée ordolibérale.
-
[42]
Voir aussi A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (152).
-
[43]
Voir aussi W. Fikentscher, op. cit. (note 26), p. 32 (en disant que l’économie de marché est « présomptivement l’institution la plus sociale pour la redistribution de biens limités » ; en allemand : « präsumtiv sozialste Einrichtung zur Verteilung knapper Güter »).
-
[44]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 22 et s.
-
[45]
Ibid., p. 32 et s.
-
[46]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 96 (en allemand : « funktionsfähiges Preissystem vollständiger Konkurrenz »). Il faut noter que la notion de « concurrence complète » (vollständiger Wettbewerb) de Eucken se distingue de la notion néoclassique de la « concurrence parfaite » (vollkommener Wettbewerb). Eucken a favorisé un système de concurrence dans lequel les entreprises sont si nombreuses qu’une entreprise individuelle n’a pas le pouvoir d’influencer le prix par ses propres décisions. Bien que cette notion de « concurrence complète » ait encore influencé au moins la terminologie du législateur allemand lors de l’adoption de la loi contre les restrictions de la concurrence en 1957, déjà à l’époque, la science économique et juridique enAllemagne avait réussi à clarifier que ce concept de concurrence complète équivaut plutôt à une situation d’absence de concurrence et que le pouvoir des entreprises individuelles d’influencer les actions des concurrents, dans le sens d’une concurrence opérationnelle et dynamique (workable competition, funktionsfähiger Wettbewerb), est essentiel pour le fonctionnement de la concurrence. À cet égard, voir surtout l’importante publication de K. Borchardt et W. Fikentscher, Wettbewerb, Wettbewerbsbeschränkung, Marktbeherrschung, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1957.
-
[47]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 64 et s. Déjà avant la guerre, voir H. Großmann-Doerth, Das selbstgeschaffene Recht der Wirtschaft, Freiburg, 1933 ; L. Raiser, Das Recht der allgemeinen Geschäfts-Bedingungen, Hamburg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1935.
-
[48]
Pour une explication du contrôle des clauses contractuelles abusives ou standardisées à la lumière de la politique de la concurrence, J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 329 et s.
-
[49]
Sur la liberté en général, voir W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 64 et s.
-
[50]
F. Böhm, « Freiheit und Ordnung in der Marktwirtschaft », ORDO, vol. 22, 1971, p. 11 (20).
-
[51]
Sur la relation entre société de droit privé et économie de marché, voir F. Böhm, « Privatrechtsgesellschaft und Marktwirtschaft », ORDO, vol. 17, 1966, p. 75.
-
[52]
Ibid., p. 87.
-
[53]
Ibid., p. 140.
-
[54]
Version consolidée, JO C 321 E du 29 décembre 2006, p. 37.
-
[55]
CJCE, 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company contre Commission, affaire 6/72, Rec., 1973, p. 215, point 24.
-
[56]
Plus précisément sur le marché commun avant l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen qui a créé le fondement juridique du marché intérieur.
-
[57]
Sur l’histoire de la disparition de la garantie de la concurrence non faussée, voir A. Graupner, « A Question of Protocol – Competition and the June 2007 European Council », Competition Law Insight, 2007, n° 7, p. 3.
-
[58]
Voir texte supra note 24.
-
[59]
En détail sur cette question, voir J. Drexl, op. cit. (note 6), p. 662 et s.
-
[60]
N. Kroes, « Competition Policy ; Achievements in 2006 ; Work Program in 2007 ; Priorities for 2008 », European Parliament Economic and Monetary Affairs Committee, Speech/07/426 (26 juin 2008), accessible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/07/425& format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en.
-
[61]
N. Sarkozy, Conférence de presse à l’issue du Conseil européen, 23 juin 2007, accessible à : http://www.elysee.fr/president/les-actualites/conferences-de-presse/2007/conference-de-presse-a-l-issue-du-conseil.5856.html.
-
[62]
Voir A. Weitbrecht, « From Freiburg to Chicago and Beyond – the First 50 Years of European Competition Law », European Competition Law Review, vol. 29, 2008, p. 81 (88) (craignant que le Traité de Lisbonne puisse redéfinir le rôle de la concurrence) ; plus prudent P. Nicolaedes, « The Truth about Competition », 19 juin 2007, accessible à : http://www.euractiv.com/en/competition/ truth-competition/article-165099.
-
[63]
CJCE (note 55).
-
[64]
Voir CJCE (note 55), point 19.
-
[65]
CJCE (note 55), points 21 et s.
-
[66]
CJCE (note 55), point 26.
-
[67]
EGACP, « An Economic Approach to Article 82 », juillet 2005, p. 8, accessible à : http://ec.europa. eu/comm/competition/publications/studies/EAGCP_july_21_05.pdf.
-
[68]
Commission européenne, DG Competition Discussion Paper on the Application of Article 82 of the Treaty to Exclusionary Practices, décembre 2005, point 54, accessible à : http://ec.europa.eu/ comm/competition/antitrust/art82/discpaper2005.pdf.
-
[69]
Ibid., point 55.
-
[70]
Communication de la Commission – Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JO C 45 du 24 février 2009, p. 7.
-
[71]
Ibid., point 5.
-
[72]
CJCE, 15 mars 2007, British Airways contre Commission, affaire C-95/04 P, Rec., 2007, p. I-2331, point 106.
-
[73]
TPI, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, affaire T-201/04, Rec., 2007, p. II-3601, point 125.
-
[74]
TPI, 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline contre Commission, affaire T-168/01, Rec., 2006, p. II-2969, points 170 et s.
-
[75]
CJCE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline contre Commission, affaires jointes C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, Rec., 2009, p. I-9291, points 63 et s.
-
[76]
CJUE (note 24), point 60.
-
[77]
Selon S. Grundmann, « EG-Richtlinien und nationales Privatrecht », Juristen-Zeitung (JZ), 1996, p. 274 (278), id., Europäisches Schuldvertragsrecht, Berlin, De Gruyter, 1999, point 52, les libertés fondamentales élargissent la liberté contractuelle à travers les frontières.
-
[78]
Dans le même sens, P. von Wilmowsky, « Der internationale Verbrauchervertrag im EG-Binnenmarkt », Zeitschrift für Europäisches Privatrecht (ZEuP), 1995, p. 735 (736 et s.).
-
[79]
CJCE, 20 septembre 2001, Courage contre Crehan, affaire C-453/99, Rec., 2001, p. I-6297.
-
[80]
Ibid., points 32 et s.
-
[81]
Voir supra chapitre 4.2.
-
[82]
Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un restaurateur qui avait accepté dans son contrat de bail avec une brasserie une clause sur la livraison de bière qui probablement violait l’art. 81 al. 1 CE.
-
[83]
Bundesverfassungsgericht, 19 octobre 1993, BVerfGE, vol. 89, p. 214. En l’espèce, la Cour obligeait de contrôler la caution d’une jeune fille sans grande fortune ou salaire pour le crédit donné par une banque au père entrepreneur. Sur la comparaison de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avec celle de la CJCE, voir J. Drexl, op. cit. (note 5), p. 654 ; en détail sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle, voir J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 266 et s.
-
[84]
À cet égard, voir J. Drexl, « International Competition Policy After Cancún : Placing a Singapore Issue on the Doha Development Agenda », World Competition, vol. 27, 2004, p. 419.
-
[85]
Voir aussi J. Drexl, « Le droit de la concurrence international, menace ou gardien des droits de l’homme ? », in L. Boy, J.-B. Racine et F. Siiriainen (dir.), Droit économique et droits de l’homme, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 817.
-
[86]
Le premier accord de ce type est l’Accord de partenariat économique entre les États du CARIFORUM, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé le 15 octobre 2008, http://www.crnm.org/index.php?option=com_docman&task=cat_ view&gid=122&Itemid=95. Cet accord contient aussi un chapitre sur la concurrence (art. 125 et s.) qui oblige les États des Caraïbes de prévoir une politique de la concurrence et une Commission de la concurrence des États du Marché commun des Caraïbes (CARICOM), laquelle vient d’être installée au Suriname.
1 INTRODUCTION
1 Existe-t-il une Constitution européenne ? Même après l’échec du grand projet qui prévoyait la mise en place d’un nouveau Traité sur une « Constitution européenne », cette question peut provoquer un débat avec des opinions extrêmement opposées. Du point de vue surtout juridique, la notion de « Constitution » implique l’existence d’un État européen, une idée encore rejetée par une grande partie des États membres de l’Union européenne et de leurs citoyens.
2 Par contre, on ne doute pas du fait que déjà l’ancien Traité de Rome de 1957 a créé un nouvel ordre juridique de droit international dont les éléments caractéristiques, notamment les limites imposées à la souveraineté des États membres et la reconnaissance de droits et d’obligations de la part de leurs citoyens, ont fait qu’il se distingue du droit international classique [2]. Par conséquent, le Traité de Rome se présentait déjà comme l’« acte constitutionnel » de la nouvelle Communauté économique européenne. De la même manière, aujourd’hui, le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) peuvent être considérés comme les documents « constitutionnels » de cette entité supranationale, qui, au fil des années, est passée d’une organisation économique à une organisation de plus en plus politique.
3 Malgré cette transformation fondamentale et aussi dans sa version actuelle du Traité de Lisbonne, la réglementation économique constitue une partie centrale et même cruciale des traités fondateurs. Par rapport à cette réglementation, les juristes européens de langues différentes ont accepté de parler d’une « Constitution économique » [3]. Cependant, cette notion de « Constitution économique » trouve son origine en Allemagne, dans les théories ordolibérales de l’école de Fribourg [4]. L’approche ordolibérale ne se contente pas de la simple identification des règles incluses dans le document constitutionnel sur l’économie. L’ordolibéralisme se prononce plutôt en faveur d’une politique cohérente pour le bon fonctionnement de l’économie dans le cadre plus large de l’ordre politique et constitutionnel. En ce sens, l’ordolibéralisme présente aussi une théorie normative, en proposant des éléments spécifiques à la réglementation de l’économie, tout en mettant l’« ordre concurrentiel » au centre de cette théorie. L’ordolibéralisme a eu un impact énorme sur la politique et le droit économique de l’Allemagne d’après-guerre et sur les règles de droit économique européen. Par conséquent, il n’est pas étonnant de constater que ce sont principalement les auteurs de langue allemande qui ont analysé et analysent encore le droit économique européen selon ce concept de « Constitution économique » [5].
4 Cette contribution s’intègre dans cette littérature. Son objectif est d’analyser la « Constitution économique européenne » après l’adoption du Traité de Lisbonne et face aux défis actuels [6]. Les théories ordolibérales seront utilisées pour mieux comprendre la réglementation économique au plan européen. Les défis existent surtout face à la crise économique actuelle et à la mondialisation.
5 Dans ce qui suit, nous expliquerons d’abord la notion de « Constitution économique » comme notion développée par les auteurs ordolibéraux (infra 2). Puis, nous analyserons plus en détail les idées substantielles des ordolibéraux (infra 3) avant d’identifier les éléments normatifs de la « Constitution économique » souhaitable selon le modèle ordolibéral (infra 4). Après ces parties de caractère plutôt général et théorique, nous passerons à la Constitution économique européenne (infra 5) ; finalement, nous aborderons les défis actuels de la crise économique et de la mondialisation (infra 6).
2 LES TROIS NOTIONS DE LA « CONSTITUTION ÉCONOMIQUE »
6 Avant de plonger dans les théories ordolibérales, il semble essentiel d’apporter plus de précision sur la terminologie de la « Constitution économique ». De manière générale, on peut distinguer trois notions : (1) une notion économique, (2) une notion juridique et (3) une notion mixte qui combine à la fois des éléments économiques et juridiques.
2.1 La notion économique
7 Du point de vue purement économique, la « Constitution économique » décrit l’état de l’économie actuelle. En ce sens, le terme de « Constitution économique » reste descriptif sans faire allusion au document constitutionnel de l’État.
8 Ce qui peut prêter à confusion, surtout dans la littérature de l’ordolibéralisme, est l’équation de cette Constitution économique avec l’« ordre économique ». Par exemple, Ernst Forsthoff a défini la Constitution économique comme « l’ordre économique réel » [7]. Malgré l’usage du terme « ordre », selon Forsthoff, il ne s’agit pas d’un ordre juridique. Celui-ci cherche plutôt à expliquer que toute économie est basée sur des interactions économiques qui s’établissent selon des règles spécifiques d’une manière spontanée ou sous l’influence de l’État [8]. En ce sens, il n’y a pas d’économie sans « Constitution économique ».
9 L’« ordre économique » constitue un terme central dans la pensée de l’ordolibéralisme. C’est surtout l’économiste Walter Eucken (1891-1950) qui, dès 1939, compara les différents ordres économiques dans le but d’identifier les avantages de l’ordre concurrentiel, notamment par rapport à l’économie planifiée et l’économie du laissez-faire [9]. Par rapport à l’économie du laissez-faire qui s’établit spontanément, il est nécessaire que l’État intervienne pour garantir les conditions de l’ordre concurrentiel [10]. L’ordre concurrentiel, qui est l’ordre économique souhaitable pour les ordolibéraux, a donc besoin du droit.
2.2 La notion juridique
10 Comme l’ordolibéralisme ne se contente pas de la simple description des différents ordres économiques mais s’exprime en faveur de l’ordre concurrentiel, il n’est pas surprenant que les auteurs ordolibéraux, surtout de la première heure, aient également utilisé un langage juridique en parlant de la « Constitution économique ». Déjà en 1933, dans sa fameuse thèse d’habilitation, Franz Böhm (1895-1977), le plus célèbre juriste de l’école de Fribourg, décrit l’ordre concurrentiel comme un « ordre juridique dans un sens de droit constitutionnel positif avec une structure constitutionnelle exacte » [11]. Pour Eucken, la décision de l’État en faveur de l’ordre concurrentiel équivaut à une « décision constitutionnelle » [12].
11 Mais il ne fait pas de doute que, dans le sens normatif, la « Constitution économique » ne désigne que les normes du document constitutionnel relatives à l’économie. Malgré l’influence de la pensée ordolibérale, la nouvelle Constitution allemande de 1949 – la Loi fondamentale (Grundgesetz) – n’a pas créé une garantie constitutionnelle explicite en ce qui concerne l’ordre concurrentiel. Bien au contraire, la Loi fondamentale se tait sur le rôle de l’État dans l’économie, ce qui peut surprendre lorsqu’on tient compte du nombre considérable de normes économiques qui figuraient dans l’ancienne Constitution de Weimar et dans quelques nouvelles Constitutions des Länder adoptées après 1945.
12 Néanmoins, l’influence de l’ordolibéralisme et le concept de « Constitution économique » déjà utilisé pour décrire la réglementation économique de la Constitution de Weimar expliquent l’émergence, juste après 1949, d’un débat sur la « Constitution économique » par rapport à la Loi fondamentale. C’est surtout le constitutionnaliste Hans Carl Nipperdey qui développa la théorie selon laquelle le nouveau Grundgesetz comprend une garantie constitutionnelle de l’économie sociale de marché (soziale Marktwirtschaft) [13].
13 Pourtant, la Cour constitutionnelle rejeta déjà cette théorie dans un arrêt de 1954 [14]. Par sa jurisprudence, la Cour a garanti au législateur un large champ discrétionnaire dans le secteur économique. Néanmoins, la Cour n’a pas non plus accordé une liberté illimitée au législateur pour décider du système économique à appliquer enAllemagne. Bien au contraire, elle a toujours mis en relief que les lois économiques doivent elles aussi être conformes à la garantie de l’« État social » (Sozialstaat) et aux droits fondamentaux de la Constitution [15], y compris la garantie de la propriété privée qui, pourtant, entraîne des obligations sociales, la liberté d’action, la liberté professionnelle et la liberté d’association. Au-delà de ces garanties, la Cour constitutionnelle n’invaliderait pas une loi parlementaire pour la seule raison de non-conformité avec les principes de l’économie sociale de marché. Par conséquent, on peut parler d’une « neutralité économique relative » de la Constitution [16].
14 Par rapport à l’ordre concurrentiel, on pourrait conclure que la Loi fondamentale exprime une décision négative en excluant les extrêmes de l’économie planifiée socialiste et de l’économie du laissez-faire. Mais on ne trouve pas de décision positive obligeant le législateur à garantir les conditions de l’ordre concurrentiel.
15 La « Constitution économique européenne » au sens normatif se distingue fortement de la Constitution économique allemande. La substance même du Traité de Rome de 1957 a un caractère économique. Par rapport à ses principes généraux, le Traité incluait surtout une garantie explicite de la « concurrence non faussée » dans le marché commun [17]. En 1992, le Traité de Maastricht, comme fondement de la nouvelle politique économique et monétaire, a obligé les organes de l’Union et les États membres de respecter le principe de « l’économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Surtout par rapport à ce dernier principe qui vient d’être transféré de l’art. 4 al. 1 CE dans le titre spécifique sur la politique économique et monétaire (art. 119 al. 1 TFUE), on peut se poser la question de savoir si le Traité n’a pas défini un « ordre économique » pour l’Union européenne, comme on se demandait en Allemagne au début des années 1950 si la Loi fondamentale contenait une garantie de l’« économie de marché sociale ». C’est enfin dans l’affaire Echirolles que la CJCE a donné une réponse à cette question [18]. Plus précisément, la question se posait de savoir si une loi nationale qui oblige les maisons d’édition à fixer les prix de vente au public viole ce principe de l’« économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Sans aborder l’autre question qui consiste à savoir si ce principe s’applique également au-dehors des règles du Traité sur la politique économique et monétaire, une question plus imminente après l’inclusion du principe dans les articles 119 et suiv. TFUE [19], la Cour a mis en relief que ce principe général ne s’applique pas de manière isolée pour contrôler la conformité d’une loi nationale avec le droit communautaire, mais seulement en combinaison avec les dispositions du traité destinées à mettre en œuvre le principe général [20]. Tout en suivant sa propre jurisprudence dans l’affaire Leclerc [21], la Cour a nié une violation du droit communautaire en rappelant que la réglementation nationale se trouvait en conformité avec les principes du marché interne, y compris les libertés fondamentales, et le droit communautaire de la concurrence [22]. De cette manière, la CJCE réussit à maintenir un champ d’appréciation plus large pour les législateurs au plan européen et national tout en utilisant le principe général pour l’interprétation des obligations concrètes du Traité.
16 Cette approche caractérise également la jurisprudence de la Cour sur la garantie de la « concurrence non faussée » de l’ancien art. 3 par. 1 lit. g) CE [23]. La question se pose de savoir si cette jurisprudence s’applique encore aujourd’hui face à la suppression de cette garantie dans les dispositions sur les objectifs de l’Union européenne dans le texte principal des traités et son transfert dans le Protocole (n° 27) sur le marché intérieur et la concurrence [24].
17 De cette analyse, on peut surtout conclure que, au sens normatif, la Constitution économique se présente de manière très différente pour l’ordre constitutionnel allemand d’un côté et pour l’ordre constitutionnel européen de l’autre. Mais, pour les deux cas, il faut aussi constater que la notion juridique de « Constitution économique » n’a qu’une portée limitée face à l’exigence de la mise en pratique d’une politique de type ordolibéral. Surtout dans le cadre constitutionnel de l’Allemagne, il est évident qu’en raison de l’absence d’un choix de la Constitution normative en faveur de l’« ordre concurrentiel », ce sera au législateur de créer cette réglementation concurrentielle. C’est ici qu’il faut placer la fonction de la notion mixte, c’est-à-dire une notion en même temps économique et normative de la « Constitution économique ».
2.3 La notion mixte (économique et juridique)
18 La notion mixte combine les éléments de la notion économique et de la notion juridique. Une telle définition de la « Constitution économique » est fournie, par exemple, par Nipperdey. Selon lui, la « Constitution économique » est formée par l’ensemble des dispositions et des règles qui sont nécessaires à la création des conditions et des garanties de l’ordre économique souhaitable. Dans ce sens, Nipperdey n’exige pas que ces dispositions et règles soient inscrites dans la Constitution de l’État [25]. Sa définition se réfère à la science économique pour identifier les conditions et les garanties nécessaires au bon fonctionnement de l’ordre économique souhaitable. En même temps, en se référant aux règles juridiques, cette définition a également un caractère juridique. Et ce qui est plus important encore : en transgressant les limites du document constitutionnel, une telle définition de la « Constitution économique » met en relief l’aspect substantiel de la notion de « Constitution ». Selon ce concept, une disposition spécifique appartient à la « Constitution économique » grâce à sa portée fondamentale dans le fonctionnement de l’ordre économique. Savoir si cette règle fait partie de la Constitution écrite ou si elle découle d’une loi parlementaire n’a qu’une importance secondaire.
19 Cette notion mixte fait partie intégrante des arguments propres aux ordolibéraux. Elle promeut une politique intégrale et cohérente pour la transposition de l’ordre concurrentiel par le législateur. C’est ce qu’on entend en Allemagne par le concept guère traduisible de « Ordnungspolitik ». Ce concept ne sert pas à réclamer le constat d’une infraction de la Constitution écrite dès qu’on identifie une déviation du droit et de la politique par rapport à l’ordre économique souhaitable. Il demeure un concept politique qui aide à formuler et à réclamer des réformes de la politique et du droit économique. Mais, comme on le verra mieux plus tard, les ordolibéraux sont très sensibles en ce qui concerne le pouvoir démocratique du législateur. Par conséquent, ils définissent cette « Constitution économique » dans un sens tout à fait neutre, c’est-à-dire sans faire allusion à l’ordre économique souhaitable. Dans ce sens, Wolfgang Fikentscher définit la « Constitution économique » comme « l’ensemble des dispositions constitutionnelles et des dispositions des lois ordinaires mais de caractère essentiel, parfois l’absence de dispositions, qui règle les relations fondamentales entre l’économie, l’État et les citoyens ». Il ajoute que cette réglementation peut être le résultat d’une planification ou d’une mise en ordre (Ordnung) législative délibérée ou le résultat d’un choix délibéré contre une telle planification ou mise en ordre ou encore d’une abstention de l’intervention économique plus ou moins délibérée de la part de l’État [26].
20 Cette définition, qui peut abriter tout modèle économique, a l’avantage de rendre de bons services à l’analyse comparative des droits économiques de différents ordres juridiques. Elle nous aidera aussi à décrire la « Constitution économique européenne » actuelle.
21 Par rapport à la situation en Allemagne, la notion mixte permet d’ouvrir une nouvelle perspective envers les lois ordinaires pour décrire la « Constitution économique ». En ce sens, surtout la protection de la concurrence par la Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (GWB, loi relative aux restrictions de la concurrence) de 1957 [27] ferait, du moins avec ses règles les plus importantes, partie intégrante de la Constitution économique allemande.
22 Bien que la réglementation économique soit beaucoup plus détaillée dans le Traité sur le fonctionnement de l’UE, la notion mixte de la « Constitution économique » nous conseille de tenir compte aussi des règles de droit économique du droit secondaire d’un côté et du droit des États membres de l’autre. Il faut bien constater que les principes de droit économique les plus importants ne relèvent pas seulement du droit primaire. Le droit secondaire a ajouté des règles qui, souvent, sont aussi essentielles pour le fonctionnement du marché intérieur. Par exemple, pour produire une image complète de la garantie de la libre circulation des services à l’heure actuelle, il ne suffit plus de se concentrer sur les dispositions du TFUE et la jurisprudence pertinente de la CJCE ; il faut aussi inclure la directive « service » [28]. Et bien sûr, le règlement sur le contrôle des concentrations [29] joue un rôle dans le cadre de la protection de la concurrence qui n’est pas inférieur aux interdictions des ententes restrictives et de l’abus de positions dominantes édictées dans les articles 101 et 102 TFUE. Le droit de l’Union, encore aujourd’hui, ne règle pas toutes les questions essentielles du droit économique, mais va même jusqu’à utiliser le législateur national, surtout dans le cadre du rapprochement des lois nationales, pour établir le marché intérieur et compléter l’ordre économique européen souhaité. En guise d’exemple, il suffit de penser au droit contre la concurrence déloyale qui contribue au maintien de la concurrence non faussée dans le marché intérieur [30], mais qui est seulement réglé par un certain nombre de directives [31] et le droit national des États membres qui les transpose. La « Constitution économique européenne » a donc un caractère extrêmement mixte ; elle est composée d’éléments du droit primaire, du droit secondaire et des droits nationaux des États membres.
3 LES FONDEMENTS ORDOLIBÉRAUX DU CONCEPT DE LA CONSTITUTION ÉCONOMIQUE
23 Il est clair que l’ordolibéralisme n’établit pas seulement une approche analytique de la réglementation économique. Ce qui importe surtout, ce sont ses éléments substantiels. Ce serait une tâche très difficile que celle de vouloir présenter une image complète de la pensée ordolibérale dans le cadre de cette contribution. Par conséquent, nous nous restreindrons à trois points qui nous semblent importants. Ce sont, premièrement, la dimension politique de l’ordolibéralisme qui s’exprime avant tout dans le rôle accordé à la « liberté économique ». À cette liaison entre les pensées économique et politique s’ajoute, deuxièmement, l’idée de l’« interdépendance des ordres » (Interdependenz der Ordnungen). Et, troisièmement, il ne faut surtout pas oublier le développement de la pensée ordolibérale à travers le concept de l’« économie sociale de marché ».
3.1 La dimension politique de l’ordolibéralisme allemand et le rôle de la « liberté économique »
24 Historiquement, l’ordolibéralisme est le fruit de l’expérience allemande vécue sous le régime totalitaire du national-socialisme. Qu’il trouve ses origines à l’Université de Fribourg s’explique surtout par la coopération entre Walter Eucken, professeur d’économie à Fribourg, et Franz Böhm, professeur de droit à Fribourg. Ces deux personnages étaient convaincus que le régime allait périr dans quelques années. Par conséquent, déjà pendant la période nazie, ils ont travaillé pour préparer le fondement économique d’une future Allemagne démocratique. Cette histoire explique pourquoi il a été possible de fonder, dès 1948, la revue « ORDO » afin d’y propager les idées de l’ordolibéralisme [32]. À ces deux professeurs s’ajoutent d’autres économistes (Leonhard Miksch, Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow) et juristes (Hans Großmann-Doerth) dont quelques-uns avaient émigré pendant la dictature nazie [33].
25 Ce contexte historique explique la vision politique de l’ordolibéralisme. Les ordolibéraux ne s’intéressaient pas principalement à l’établissement d’une économie efficiente, mais à un « ordre économique » idéal qui ne corresponde pas seulement aux principes démocratiques mais aussi à l’ordre le plus digne pour l’individu. Par contre, pour les ordolibéraux, la politique de monopolisation de l’économie allemande conduite par le régime nazi reflétait les principes totalitaires qui régnaient dans le secteur de l’économie. C’était bien l’économie monopolisée de l’Allemagne que les ordolibéraux ont identifiée comme étant le fondement économique du système nazi. La conclusion était claire : comme il fallait protéger les libertés politiques et démocratiques contre le totalitarisme, il fallait aussi protéger la liberté économique de l’individu contre la monopolisation de l’économie. Dans cette perspective, le droit pour la protection de la concurrence méritait un statut quasiment « constitutionnel ». De la même manière, on plaçait l’« ordre concurrentiel » sur le même plan que l’ordre démocratique.
3.2 Le concept de l’« interdépendance des ordres » (Interdependenz der Ordnungen)
26 Pour l’ordolibéralisme, l’ordre économique ne peut pas être isolé de l’ordre politique et social. Pour mieux décrire les liens entre les deux, Walter Eucken a forgé le concept de l’interdépendance des ordres [34]. Selon ce concept, l’ordre économique s’intègre dans le contexte de l’ordre social, l’ordre politique, constitutionnel et juridique. De cette manière, la politique économique ne peut pas simplement être soumise au critère de l’efficience. Avant tout, la politique économique, elle aussi, doit contribuer à transposer les valeurs constitutionnelles dans la vie sociale des citoyens. Quand Eucken parlait d’une « décision constitutionnelle fondamentale » pour fixer cet ordre économique [35] qui se trouve en harmonie avec les valeurs constitutionnelles, il pensait à une décision qui doit être respectée par tous les pouvoirs de l’État, y compris le législateur et les organes administratifs.
27 Dans ce concept de l’interdépendance des ordres, le droit joue un rôle majeur. Eucken ne concevait pas le droit comme un simple outil dont on se sert pour réaliser l’ordre économique souhaitable. Il a surtout expliqué que la portée sociale des institutions juridiques, comme celles de la propriété privée ou la liberté contractuelle, dépend de l’ordre économique existant. Par exemple, l’économie du laissez-faire et l’ordre concurrentiel sont tous deux caractérisés par la propriété privée et la liberté contractuelle. Mais, selon Eucken, c’est seulement dans l’ordre concurrentiel que la propriété privée devient acceptable pour tous les citoyens, y compris le citoyen qui ne possède pas [36].
28 De cette manière, Eucken laissait déjà sous-entendre que le système concurrentiel – et la protection de la concurrence – constitue un élément indispensable pour un marché social. Tandis que la théorie économique de l’organisation industrielle moderne s’exprime en faveur de la protection de la concurrence pour promouvoir l’efficience économique et utilise le critère du bien-être du consommateur (consumer welfare), l’ordolibéralisme protège la liberté économique du consommateur, ou plutôt l’individu en général quel que soit son rôle en tant qu’acteur sur le marché, contre le pouvoir totalitaire du monopole [37]. Par conséquent, Eucken comprenait la liberté économique aussi dans un sens social. Comme la concurrence distribue la richesse d’une manière plus égalitaire dans la société, en protégeant l’individu contre l’exploitation économique par les monopoles, l’ordolibéralisme favorise aussi l’ordre concurrentiel grâce aux effets redistributifs que l’analyse économique néoclassique ignore régulièrement.
3.3 Le concept de l’« économie sociale de marché » (soziale Marktwirtschaft)
29 Sous l’influence des idées d’Eucken, la politique économique d’après-guerre a développé puis transposé le fameux concept de l’économie sociale de marché. Aujourd’hui, aussi en Allemagne, ce terme est utilisé pour toute intervention de l’État dans l’économie en faveur des défavorisés. Pourtant, il faut se rappeler que ce terme a historiquement été formulé pour décrire un modèle social avec des principes bien précis. C’est surtout Alfred Müller-Armack (1901-1978) qui a décliné ces principes de l’économie sociale de marché [38]. En tant que fonctionnaire au ministère de l’Économie dès 1952 et comme secrétaire d’État responsable des Affaires européennes de 1958 à 1963, il se trouvait dans une situation très favorable étant donné qu’il pouvait mettre ses idées en pratique tout en coopérant avec l’ancien ministre de l’Économie, Ludwig Erhard. La pensée de Müller-Armack a été influencée par l’ordolibéralisme comme par les théories sociales catholiques.
30 Müller-Armack a défini l’économie sociale de marché comme « une économie qui suit les règles de marché et auxquelles s’ajoutent des garanties sociales » [39]. Cette définition peu précise ne révèle guère les principes qui constituent le concept dans le sens de Müller-Armack. Trois principes nous semblent essentiels pour mieux comprendre ce concept :
31 Premièrement, les garanties sociales ne sont pas vues comme de simples mesures mises en place dans le but de corriger les résultats économiques injustes liés à l’économie de marché. Plutôt, l’ordre économique et l’ordre social se trouvent dans une relation de complémentarité. La reconnaissance de l’économie de marché est une condition de la sécurité sociale, de même que la sécurité sociale apparaît aussi comme une condition au bon fonctionnement de l’économie de marché. Les deux éléments – l’économie de marché et la sécurité sociale – font partie du même ordre économique souhaitable et, en même temps, chacun d’eux est la condition préalable de l’autre [40]. Seule l’économie de marché – comme économie la plus efficiente – a la capacité de produire la richesse nécessaire au financement des garanties sociales [41]. Inversement, les garanties sociales aideront à ce que les défavorisés puissent accepter l’économie de marché malgré les inégalités sociales qu’elle engendre [42]. Dans la perspective ordolibérale, seule la réunion de ces deux éléments peut garantir la liberté économique de l’individu. Par rapport à la liberté économique, les garanties sociales servent à faciliter la participation des défavorisés à l’économie du marché.
32 Deuxièmement, la complémentarité de l’économie de marché et de la sécurité sociale explique aussi l’application d’un principe de subsidiarité permettant de définir les mesures sociales nécessaires. Selon cette idée, il est nécessaire que la politique économique et sociale ne prenne que des mesures conformes au principe du marché libre, et que la politique sociale intervienne seulement dans le marché libre à condition que des mesures conformes au marché libre ne soient pas disponibles. Dans cette perspective, le droit de la concurrence constitue la « loi fondamentale » de l’économie sociale de marché. Tout en conformité avec les principes du marché libre, ce droit, en protégeant l’ordre concurrentiel, favorise une redistribution plus égalitaire de la richesse dans la société et empêche une exploitation des pauvres par les pouvoirs économiques. Par conséquent, l’ordre concurrentiel se trouve au centre non seulement de la pensée ordolibérale, mais aussi du concept de l’économie sociale de marché.
33 Troisièmement, les garanties sociales ne contredisent pas les principes de l’économie du marché libre. Plutôt, dans le cadre de l’économie sociale de marché, l’ordre concurrentiel se qualifie comme une institution profondément sociale [43], qui, d’ailleurs, ne peut pas garantir que les défavorisés disposent toujours des moyens financiers leur permettant d’acheter les biens dont ils dépendent afin de maîtriser leur vie. Le droit de la concurrence est donc indispensable pour établir l’économie sociale de marché. Mais ce droit a besoin de mesures sociales supplémentaires pour atteindre un niveau de sécurité sociale satisfaisant.
4 LES ÉLÉMENTS NORMATIFS DE LA CONSTITUTION ÉCONOMIQUE
34 En revenant à la notion mixte de la « Constitution économique », nous voulons maintenant identifier les éléments de l’ordre juridique essentiels à l’établissement de l’ordre concurrentiel en tant qu’ordre économique souhaitable selon la pensée ordolibérale. Après cette analyse, nous passerons à l’influence de la pensée ordolibérale sur la Constitution économique européenne.
4.1 Le rôle de l’État dans le système ordolibéral et les principes « constitutifs » et « régulateurs » selon Eucken
35 Dans la pensée ordolibérale, l’État joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de l’économie. Néanmoins, ce rôle se distingue nettement du rôle planificateur du système socialiste. Selon la théorie ordolibérale, c’est à l’État de fournir et de garantir le cadre nécessaire pour que les acteurs économiques puissent librement poursuivre leurs intérêts économiques et pour que les relations des acteurs ne soient pas dirigées par le principe de la subordination, mais de la coordination. L’État a donc la tâche de créer ce cadre, c’est-à-dire de fixer la forme du processus économique à suivre. Les acteurs économiques opèrent dans ce cadre sans avoir la permission de le changer [44]. Dans le système de la planification, l’État décide aussi des résultats du processus économique. Dans le système du laissez-faire, l’État permet même aux acteurs économiques de définir les règles du processus économique. Par contre, selon le concept de l’« Ordnungspolitik » ordolibérale, l’État est tenu de définir les règles du jeu et de contrôler le respect de ces règles tandis que les résultats du processus économique proviennent de la coordination des préférences individuelles sur le marché libre. Dans cette perspective, le système ordolibéral a besoin d’un État puissant mais responsable.
36 Pour le bon fonctionnement de ce système, Eucken a identifié une série de principes « constitutifs » et « régulateurs ». Les principes constitutifs ont la fonction de créer l’ordre concurrentiel ; les principes régulateurs garantissent le bon fonctionnement de cet ordre [45]. Selon Eucken, toute la politique économique de l’État devrait servir le seul objectif primordial de garantir un « système de prix opérationnel sur la base d’une concurrence complète » [46]. À cet égard, selon celui-ci, l’État doit garantir la primauté de la politique monétaire, le principe des marchés ouverts, la constance et la cohérence de la politique économique, la propriété privée, la liberté contractuelle et la responsabilité civile comme principes constitutifs. Ces principes forment les conditions préalables pour l’ordre concurrentiel. Mais ils ne peuvent pas toujours et dans tous les cas garantir le bon fonctionnement du marché concurrentiel. À cet égard, Eucken s’est surtout exprimé en faveur d’un contrôle des monopoles naturels (Monopolkontrolle). Étant donné que même la politique de la concurrence la plus efficace ne peut rien faire contre l’existence de monopoles naturels, c’est à l’État d’obliger les monopoles à se comporter comme dans une situation concurrentielle (« Als-ob-Wettbewerb »). Dans la même perspective, les ordolibéraux étaient les premiers en Allemagne à réclamer un contrôle des clauses contractuelles standardisées [47]. Cette revendication nous instruit encore aujourd’hui sur le fait que ce type de contrôle n’a pas seulement été inspiré par l’idée de la protection des consommateurs mais aussi par l’incapacité du système concurrentiel à garantir une bonne qualité des clauses contractuelles standardisées offertes par les entreprises à tous leurs clients [48].
4.2 Le lien entre liberté contractuelle et protection de la concurrence
37 Dans les listes des principes constitutifs et régulateurs d’Eucken, on reconnaît déjà des éléments juridiques comme conditions de l’ordre concurrentiel. D’un côté, Eucken mentionne des concepts qui se trouvent à la base du droit civil, notamment la liberté contractuelle, la propriété privée et la responsabilité civile. La liberté contractuelle constitue le fondement même du choix économique accordé aux individus pour qu’ils puissent poursuivre leurs intérêts sur le marché libre. La propriété privée incite les acteurs économiques à prendre des risques. C’est avant tout pour le profit économique, exprimé en termes de propriété, que les entreprises concourent sur le marché. La responsabilité civile stabilise les transactions en répondant, en termes modernes, aux défaillances du marché. De l’autre côté, l’ordre concurrentiel a aussi besoin de la protection juridique pour se défendre contre des pratiques restrictives.
38 Il est certain que nous ne pourrons pas discuter tous ces aspects juridiques dans le détail. Dans ce qui suit, nous voulons surtout mettre l’accent sur la relation existant entre le principe de la liberté contractuelle et la protection de la concurrence par le droit de la concurrence qui caractérise surtout la pensée ordolibérale à la jonction du droit et de la théorie économique. Cette relation est d’une importance primordiale du point de vue constitutionnel.
39 Le point de départ qui servira à décrire cette relation entre liberté contractuelle et droit de la concurrence est la prise de conscience des ordolibéraux que – comme la liberté politique – la concurrence libre, elle aussi, est affectée par le « paradoxe de la liberté ». Platon a été le premier à thématiser le « paradoxe de la liberté ». Au XXe siècle, le philosophe austro-britannique Karl Popper nous a rappelé qu’une liberté sans limites inclurait aussi l’autodestruction de cette liberté. Les Allemands, dans les années 1930, ont fait cette expérience et ont vu comment une élection démocratique a mené à la destruction de toute démocratie et de toute liberté. Par conséquent, la nouvelle Constitution allemande, la Loi fondamentale, dans son article 79 al. 3, exclut toute modification des articles 1 et 20 de la Constitution qui garantissent la dignité humaine – comme droit fondamental primordial – et les principes de la démocratie et de l’État de droit. Dans la même perspective, Eucken nous explique que la concurrence dépend de la liberté contractuelle. Mais les entreprises peuvent aussi utiliser la liberté contractuelle pour détruire la concurrence par une entente restrictive. D’un autre côté, selon Eucken, la concurrence est une condition nécessaire à la liberté contractuelle. Sur le marché monopolisé, le client n’a pas le choix vis-à-vis de l’autre partie contractante et des conditions contractuelles ; la liberté contractuelle ne reste qu’une théorie qui ne se matérialise pas sur le marché [49]. L’interdiction des ententes anticoncurrentielles restreint bien sûr la liberté contractuelle des entreprises, mais cela est nécessaire pour garantir aussi la liberté des autres participants sur le marché. De cette manière, le droit de la concurrence assume une fonction dans le secteur économique qui équivaut à l’art. 79 al. 3 de la Loi fondamentale allemande par rapport aux libertés politiques et démocratiques.
40 Après Eucken, c’est surtout le juriste Franz Böhm qui a le mieux décrit la relation entre liberté contractuelle et droit de la concurrence. Selon lui, le droit de la concurrence a surtout pour objectif de protéger la liberté économique des acteurs économiques sur le marché. En même temps, Böhm rejette l’efficience comme objectif du droit de la concurrence en faveur de la protection de la liberté économique en déclarant :
« La concurrence ne promeut pas seulement la croissance de l’économie, à laquelle s’intéressent surtout les économistes de la croissance, mais aussi le niveau de la liberté, de l’égalité et de la justice dans le système de l’économie de marché. » [50]
42 Böhm a surtout mis en relief le rôle de la liberté contractuelle. Il la considérait comme le fondement de la « société de droit privé » (Privatrechtsgesellschaft) et comme condition préalable au fonctionnement de l’économie de marché [51]. À condition seulement que la liberté économique de l’individu soit garantie, le système contractuel peut alors assumer sa fonction qui consiste à coordonner les intérêts économiques par les actions individuelles sur le marché. Par conséquent, Böhm conçoit la « société de droit privé » comme une institution de l’État et appelle l’État à s’occuper du fonctionnement de cette société comme un jardinier s’occupe de son jardin [52]. D’un côté, Böhm était radical lorsqu’il s’agissait de formuler la liberté économique comme objectif normatif du droit de la concurrence, qui encore aujourd’hui caractérise le modèle allemand du droit de la concurrence, surtout dans l’optique des experts de la concurrence à l’étranger, et de l’autre, il réclamait d’autres régimes juridiques pour garantir la société de droit privé, comme la protection contre tout abus de la liberté contractuelle contre la concurrence déloyale, la fraude ou l’usure [53].
5 LA CONSTITUTION ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET SON ÉVOLUTION PAR LE TRAITÉ DE LISBONNE
43 Dans ce qui suit, nous analyserons l’évolution de la « Constitution économique européenne », de la conclusion du Traité de Rome en 1957 jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Les ordolibéraux qui dominaient la politique économique de l’Allemagne d’après-guerre exercèrent une influence cruciale sur le contenu du Traité de Rome sur la Communauté économique européenne. Nous chercherons à identifier les traces ordolibérales dans les traités fondateurs et tâcherons de décrire et évaluer leur évolution au cours du temps.
5.1 La structure du Traité de Rome et son évolution par le Traité de Lisbonne
44 Ce qui nous semble important avant tout, c’est l’influence de la pensée ordolibérale sur la structure même du Traité de Rome. Cette influence s’exprime surtout dans la hiérarchie des objectifs et dans la relation existant entre les instruments juridiques plus concrets du Traité et ces objectifs. Cette structure n’a pas changé jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Pour analyser celle-ci, nous nous référons d’abord à l’ancien Traité sur la Communauté européenne (CE) dans la version du Traité de Nice [54].
45 Dans le Traité, les objectifs et les règles opérationnelles sont placés sur une cascade à trois niveaux. Au niveau supérieur, l’art. 2 CE énonçait les différentes finalités que poursuivait la Communauté européenne, y compris « un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, (…) une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques, un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres ». Cet article ne précisait pas les instruments servant à promouvoir ces finalités de caractère très général. Par conséquent, l’art. 2 en tant que disposition individuelle n’était pas opérationnel.
46 C’est au niveau intermédiaire que l’art. 3 CE apportait plus de précision en énonçant les politiques de la Communauté. Du point de vue de la Constitution économique, les instruments les plus importants sont l’établissement et la garantie du marché intérieur, caractérisé par la réalisation des quatre libertés fondamentales (lit. d)), et la garantie de la concurrence non faussée sur le marché intérieur (lit. g)). Depuis le Traité de Maastricht, il faut aussi mentionner l’objectif de l’établissement de l’Union économique et monétaire, énoncé dans l’art. 2 CE et précisé – en suivant le modèle réglementaire de l’ancien Traité de Rome – par l’art. 4 CE.
47 Au niveau inférieur, on trouve les règles opérationnelles, notamment les règles spécifiques sur les libertés fondamentales et sur la politique d’harmonisation en ce qui concerne l’établissement du marché intérieur et les règles sur la politique de la concurrence dans les art. 81 et suiv. CE.
48 En prenant l’exemple du droit de la concurrence et de sa position dans le Traité, on se rend facilement compte des conceptions ordolibérales. On n’a pas accordé à la protection de la concurrence non faussée le statut d’une fin en soi, mais celle-ci servait à la réalisation des finalités contenues dans l’art. 2. On peut en conclure que les États fondateurs en 1957 attendaient de la politique de la concurrence des avantages économiques multiples qui ne s’expriment pas simplement par les critères de l’efficience économique et le bien-être du consommateur qui, aujourd’hui, sont quand même souvent mentionnés comme étant les objectifs exclusifs du droit de la concurrence. Ce qui est plus important encore, du point de vue juridique, est le fait que les États fondateurs ont pris une décision constitutionnelle de premier rang en faveur de l’ordre concurrentiel. Par rapport à l’emploi, la protection sociale élevée ou la compétitivité des économies européennes, l’art. 3 al. 2 lit. g) CE – en énonçant la garantie de la concurrence non faussée – clarifie que tous ces objectifs de l’art. 2 sont mieux promus par une politique de la concurrence à l’intérieur de la Communauté que par une politique industrielle qui sert surtout à protéger les grandes entreprises nationales contre la concurrence. Une telle politique industrielle ne peut sauver l’emploi ou renforcer la compétitivité de l’entreprise qu’à court terme, tandis que l’on attend de la politique de la concurrence des effets beaucoup plus durables. Du point de vue juridique, la politique de la concurrence prend donc la préséance sur d’autres concepts propres à la politique économique. Aussi, selon la jurisprudence de la Cour de justice, la politique de la concurrence ne peut pas être relativisée par d’autres concepts politiques afin d’atteindre les objectifs de l’art. 2. Dans l’affaire Continental Can, la Cour nous a enseigné que :
« en prévoyant l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun, l’article 3, lettre f), exige, à plus forte raison, que la concurrence ne soit pas éliminée ; que cette exigence est si essentielle que, sans elle, de nombreuses dispositions du traité seraient sans objet ; qu’elle répond en outre aux impératifs de l’article 2 du traité, qui donne pour mission à la Communauté de “promouvoir le développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble du marché commun”, qu’ainsi les restrictions de la concurrence que le traité admet dans certaines conditions, pour des raisons tirées de la nécessité de concilier les divers objectifs à poursuivre trouvent dans les exigences des articles 2 et 3 une limite au-delà de laquelle le fléchissement du jeu de la concurrence risquerait de porter atteinte aux finalités du marché commun » [55].
50 Donc, la protection de la concurrence n’est pas négociable pour garantir les objectifs de l’art. 2 CE. Des exceptions sont seulement concevables dans la mesure où les règles opérationnelles de la concurrence, comme celles de l’art. 81 al. 2 CE, le permettent. La garantie de la concurrence non faussée dans l’art. 3 al. 1 g) CE (art. 3 lit. f) de la version de Rome) empêchait que l’ordre concurrentiel soit compromis par simple référence aux objectifs de l’art. 2. Par ce statut supérieur accordé à la politique de la concurrence, le Traité répondait à la revendication des ordolibéraux de constitutionnellement garantir et sauvegarder l’ordre concurrentiel contre le pouvoir discrétionnaire des politiciens qui pourrait seulement porter atteinte à une politique économique cohérente vouée au maintien de l’ordre concurrentiel.
51 Certes, le Traité de Rome ne parlait pas du droit civil et de la « société de droit civil » telle que la concevait à la même époque Franz Böhm. Il faut quand même reconnaître que le Traité avec ses libertés fondamentales avait créé des principes qui équivalaient à des principes de libertés économiques transfrontalières. En se référant au marché intérieur [56], qui est caractérisé par la réalisation des quatre libertés fondamentales, l’art. 3 al. 1 lit. g) CE a aussi établi le lien entre le droit de la concurrence et les libertés économiques qui est si caractéristique de la pensée ordolibérale.
52 Mais la situation semble avoir changé avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Bien sûr, les règles opérationnelles – surtout les dispositions concernant les libertés fondamentales et le droit de la concurrence – existent encore et n’ont pas changé. Cependant, le Traité de Lisbonne a fondamentalement reformulé les dispositions sur les objectifs de l’Union européenne. Des modifications ont été opérées à plusieurs égards : premièrement, le Traité a transféré toutes les dispositions sur les objectifs du Traité sur l’Union européenne. Deuxièmement, avec l’art. 2 TUE, il a mis une nouvelle disposition au plan supérieur du règlement du droit de l’UE qui remplace les objectifs plutôt économiques par des « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que des droits de l’homme ». Troisièmement, les objectifs plutôt économiques de l’ancien art. 2 CE sont transférés à l’art. 3 al. 3 TUE. Quatrièmement, l’ancien art. 3 CE a disparu. Tandis que sur le marché intérieur se trouve encore l’art. 3 al. 3 TUE en tête de liste des finalités économiques, la garantie de la concurrence non faussée ne se trouve plus dans les dispositions concernant les objectifs de l’Union.
53 L’adoption d’une disposition sur les valeurs marque une étape importante dans l’évolution du droit de l’Union vers une Union politique et une vraie Constitution. Aussi du point de vue ordolibéral, ce développement est tout à fait souhaitable. Le nouvel art. 2 TUE permet de mettre en relief les liens étroits qui existent entre la réglementation économique et la liberté individuelle, politique et démocratique et même la dignité humaine. Ce qui comptera surtout pour le développement futur est l’application de la Charte sur les droits fondamentaux dont les dispositions expriment directement et de manière opérationnelle les valeurs des libertés et des droits de l’homme. La question qui se pose maintenant par rapport à la Constitution économique européenne est de savoir si la CJUE appliquera aussi la Charte et surtout les droits fondamentaux pour développer le droit économique.
54 Cependant, en Allemagne, la nouvelle structure des objectifs de l’Union a surtout provoqué une certaine critique à cause de la disparition de la garantie de la concurrence non faussée. Dans la phase de la préparation du Traité de Lisbonne, la disparition de cette garantie semble quasiment accidentelle [57]. Les États membres voulaient avant tout remplacer complètement le terme du marché commun, ancien terme du Traité de Rome, par le terme du marché intérieur. Le Traité CE contenait encore une garantie du marché commun dans la première phrase de l’art. 2 et en même temps la garantie du marché intérieur dans l’art. 3 al. 1 lit. d). En transposant le plan de remplacement complet de la notion du marché commun, on n’avait plus besoin de l’ancienne garantie de l’art. 3 al. 1 lit. d). En même temps, on a aussi effacé la garantie de la concurrence non faussée dans l’art. 3 al. 1 lit. g) CE. Juste avant la fin des négociations, les États membres se sont rendu compte qu’on avait besoin d’une disposition qui garantisse que la protection de la concurrence continue à appartenir aux finalités de l’Union. On aurait, sinon, eu du mal à justifier le règlement sur les concentrations sur la base de l’art. 352 TFUE (l’ancien art. 308 CE), qui permet seulement un acte législatif pour atteindre un des objectifs des traités. Quand on s’est rendu compte de cet « accident », il semble que le gouvernement français se soit opposé à l’inclusion de la garantie de la concurrence non faussée dans le catalogue des finalités de l’Union dans le TUE. La formule dans le protocole (n° 27) sur le marché intérieur et la concurrence constitue donc un compromis politique [58]. Il tient certainement compte de la nécessité de garantir une base légale pour le règlement sur les concentrations. Mais on pourrait se demander si le protocole garantit aussi la continuation de la jurisprudence de la Cour de justice sur l’art. 3 al. 1 lit. g) CE. Du moins, le protocole rappelle cette garantie du Traité CE en parlant du « fait que le marché intérieur tel qu’il est défini dans l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée » [59].
55 Juste après la conclusion des négociations, l’ancien commissaire pour la concurrence, Neelie Kroes, a déclaré que le Traité de Lisbonne n’affecterait pas la protection de la concurrence dans l’Union en ces termes :
« The Internal Market and Competition Protocol is a legally binding confirmation that a system of ensuring undistorted competition is an integral part of the Internal Market. The Protocol paraphrases the current Treaty provisions : competition is not an end in itself – but it is the best means anyone has found to create the conditions for growth and jobs. Integrating competition into the very concepts of the “Internal Market” clarifies that the one simply cannot exist without the other – which is a fact. » [60]
57 Tandis que cette citation rappelle la structure de l’ancien Traité CE et sa logique ordolibérale, comme nous venons de l’expliquer, l’objectif principal du commissaire était plutôt de calmer le débat qu’avaient provoqué les déclarations de presse du président français, Nicolas Sarkozy, qui disait :
« Sur le fond (…) nous avons obtenu une réorientation majeure des objectifs de l’Union. La concurrence n’est plus un objectif de l’Union ou une fin en soi, mais un moyen au service du marché intérieur. (…) Je crois à la concurrence comme un moyen et pas une fin en soi. Cela va peut-être aussi donner une jurisprudence différente à la Commission. Celle d’une concurrence qui est là pour favoriser l’émergence de champions européens, pour porter une véritable politique industrielle. (…) il ne s’agissait pas de faire un Traité d’économie ou le Traité du libéralisme. (…) Il s’agissait de tourner le dos à l’idéologie, au dogme et à la naïveté. » [61]
59 Ces déclarations, surtout dans la mesure où le président s’exprimait en faveur d’une politique industrielle, ne pouvaient qu’effrayer les convaincus de la concurrence [62]. Évidemment, la prise de position du président français contredit les principes ordolibéraux. Mais pour se rendre compte des effets possibles de la « réorientation » des objectifs de l’Union, il faut avant tout analyser plus en détail le rôle accordé à la garantie de la concurrence non faussée de l’art. 3 al. 1 lit. g) CE dans la jurisprudence de la CJCE.
5.2 La garantie de la concurrence non faussée dans la jurisprudence de la CJCE
60 La disposition de l’ancien art. 3 al. 1 lit. g) CE garantissant la concurrence non faussée sur le marché intérieur jouait un rôle crucial pour le développement du droit de la concurrence communautaire. Commençant avec l’arrêt Continental Can susmentionné [63], la Cour de justice a utilisé cette disposition, bien qu’elle ne soit pas opérationnelle en tant que telle, pour interpréter les dispositions plus concrètes du droit de la concurrence et pour développer un concept proprement européen de la protection de la concurrence. Déjà dans cet arrêt, dans lequel la Cour devait résoudre la question de savoir si, avant l’adoption du premier règlement sur les concentrations, l’ancien art. 86 TCEE (art. 102 TFUE) s’appliquait aussi pour contrôler la concentration d’une entreprise en position dominante avec une autre entreprise et dont le résultat était de renforcer cette position.
61 Cette affaire a soulevé une série de questions juridiques fondamentales : Premièrement, les entreprises concernées ont fait valoir que le cas de la concentration ne se trouve pas dans la liste des abus de l’ancien art. 86 TCEE. En plus, elles se sont référées au texte du Traité sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) qui contenait des règles sur le contrôle de concentration, pour avancer l’argument selon lequel ce Traité démontre clairement que les États membres de la CEE ont voté contre un tel contrôle de concentration [64]. La Cour a rejeté cet argument, en mettant en relief que cette interprétation ne serait pas acceptable à la lumière des objectifs du Traité, dont surtout la garantie de la concurrence non faussée sert à interpréter l’art. 86, en déclarant [65] :
« Attendu qu’il convient, pour résoudre ce problème, d’envisager à la fois l’esprit, l’économie et les termes de l’article 86, compte tenu du système du traité et des finalités qui lui sont propres ; que, dès lors, une comparaison entre cet article et certaines dispositions du Traité CECA ne serait pas pertinente aux problèmes dont il s’agit ; »
« Attendu que l’article 86 relève du chapitre consacré aux règles communes définissant la politique de la Communauté dans le domaine de la concurrence ; que cette politique découle de l’article 3, lettre f), du traité, prévoyant que l’action de la Communauté comporte l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun ; que l’argumentation des requérantes, selon laquelle cette disposition contiendrait seulement un programme général, dépourvu d’effets juridiques, méconnaît que l’article 3 considère la poursuite des objectifs qu’il énonce comme indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté ; qu’en ce qui concerne plus particulièrement la lettre f), il s’agit d’un objectif qui trouve son application dans plusieurs dispositions du traité dont il commande l’interprétation ; ».
63 Deuxièmement, sur la question de savoir si une concentration peut aussi être considérée comme un abus au sens de l’ancien art. 86 TCEE, la Cour, en se référant également à la garantie de la concurrence non faussée, a développé le principe que le droit de la concurrence communautaire n’intervient pas uniquement quand il y a un préjudice immédiat aux consommateurs, mais qu’il protège aussi contre toute pratique qui porte atteinte à la « structure de concurrence effective », en disant [66] :
« Attendu que c’est à la lumière de ces considérations que doit être interprétée la condition imposée par l’article 86 selon laquelle, pour être prohibée, l’exploitation d’une position dominante doit avoir été exercée de manière abusive ; que cette disposition énumère un certain nombre de pratiques abusives qu’elle interdit ; qu’il s’agit d’une énumération à titre d’exemple qui n’épuise pas les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le traité ; que, par ailleurs, ainsi qu’il ressort des lettres c) et d) du paragraphe 2, cette disposition ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective, telle que mentionnée à l’article 3, lettre f) du traité ; qu’est dès lors susceptible de constituer un abus le fait, par une entreprise en position dominante, de renforcer cette position au point que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence, c’est-à-dire ne laisserait subsister que des entreprises dépendantes, dans leur comportement, de l’entreprise dominante ; ».
65 Troisièmement, les entreprises ont fait valoir qu’étant donné qu’une entreprise qui n’est pas dominante peut créer la même entrave pour la concurrence par la fusion avec une autre entreprise, l’interdiction de l’abus de position dominante ne devrait pas s’appliquer au cas d’espèce. La Cour a rejeté une telle condition de causalité entre la position dominante préexistante et la capacité de créer une entrave pour la concurrence en se référant à la garantie inconditionnelle de la concurrence non faussée dans le Traité et en créant une obligation générale de l’entreprise dominante de ne pas fausser la concurrence. La Cour jugea :
« Attendu que, tel étant le sens de la portée de l’article 86 du traité, le problème, évoqué par les requérantes, du lien de causalité qui, à leur avis, devrait exister entre la position dominante et son exploitation abusive, ne revêt pas d’intérêt, le renforcement de la position détenue par l’entreprise pouvant être abusif et interdit par l’article 86 du traité, quels que soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet, dès lors qu’il aurait les effets ci-dessus décrits ; ».
67 Cette jurisprudence, qui commence avec Continental Can, démontre clairement les conceptions ordolibérales. Premièrement, selon ces conceptions, l’interdiction des abus de position dominante n’exprime pas simplement une interdiction de quelques formes de comportement, mais un principe cohérent de contrôle du pouvoir économique qui revêt une obligation générale de l’entreprise dominante de ne pas porter atteinte à la concurrence encore existante. De cette manière, la concurrence est protégée sans lacune. Deuxièmement, la jurisprudence de la Cour protège la concurrence « en tant que telle ». L’objectif immédiat du droit de la concurrence communautaire est la protection de l’ordre concurrentiel. La Cour n’a donc pas besoin d’autres critères, notamment celui du préjudice aux consommateurs, pour identifier une pratique restrictive.
68 Ces principes sont fortement contestés, surtout aujourd’hui, à l’époque de l’approche économique (more economic approach). Quand la Commission s’est préparée au transfert de cette approche au contrôle des positions dominantes en 2005, l’Economic Advisory Group for Competition Policy (EAGCP), un groupe d’économistes convoqué par la Commission européenne, a prononcé une critique de fond envers la jurisprudence de la Cour sur la protection de la « structure de concurrence » et a recommandé la preuve d’un abus en utilisant exclusivement le critère du préjudice aux consommateurs (consumer harm approach). Comme la citation suivante le démontre, l’explication de cette critique se trouve dans les objectifs du droit de la concurrence qui, selon les théories actuelles de l’organisation industrielle, se définissent par l’efficience et le bien-être du consommateur [67] :
« If the assessment of competitive harm and the protection of “competition” are assessed with reference to consumer welfare, it is incumbent upon the competition authority in each case to examine the actual working of competition in the particular market without prejudice and to explain the harm for consumers from the practice in question. Without this discipline provided by this routine, the authority may be tempted to identify the “protection of competition” with the preservation of a particular market structure, e.g. one that involves actual competition by a given company. Its policy intervention may then merely have the effect of protecting the other companies in the market from competition. This would enable them to maintain their presence in the market even though their offerings do not provide consumers with the best choices in terms of price, quality, or variety. »
70 À la lumière de cette prise de position, on reconnaît bien le conflit entre les idées ordolibérales et la position de la majorité des économistes d’aujourd’hui qui n’utilisent que les concepts néoclassiques et n’acceptent que les objectifs de l’efficience économique et du bien-être du consommateur. Tandis que l’ordolibéralisme protège aussi la concurrence en faveur des concurrents et leur liberté d’entrer sur le marché, la théorie économique moderne, en mettant en relief le concept du marché ouvert, tente de relativiser la protection de la concurrence par le critère du préjudice aux consommateurs.
71 La Commission a réagi d’une manière bien ambiguë à la recommandation des économistes. En décembre 2005, dans son Discussion Paper on Art. 82, elle semble rejeter cette recommandation en faveur de la jurisprudence et de l’approche de la Cour, bien que la Commission accepte les nouveaux objectifs du droit de la concurrence et la notion que le droit de la concurrence ne vise pas la protection des concurrents [68] :
« The essential objective of Article 82 when analysing exclusionary conduct is the protection of competition on the market as a means of enhancing consumer welfare and of ensuring an efficient allocation of resources. The concern is to prevent exclusionary conduct of the dominant firm which is likely to limit the remaining competitive constraints on the dominant company, including entry of newcomers, so as to avoid that consumers are harmed. This means that it is competition, and not competitors as such, that is to be protected. Furthermore, the purpose of Article 82 is not to protect from dominant firms’ genuine competition based on factors such as higher quality, novel products, opportune innovation or otherwise better performance, but to ensure that these competitors are also able to expand in or enter the market and compete therein on the merits, without facing competition conditions which are distorted or impaired by the dominant firm. »
73 Ce qui importe, c’est que la Commission semble rejeter la recommandation de prouver la pratique abusive selon le critère du préjudice aux consommateurs. La Commission annonce vouloir plutôt utiliser le critère des évictions concurrentielles dans le sens d’effets excluants sur le marché pour prouver une entrave à la concurrence et donc une pratique abusive [69] :
« Article 82 prohibits exclusionary conduct which produces actual or likely anticompetitive effects in the market and which can harm consumers in a direct or indirect way. The longer the conduct has already been going on, the more weight will in general be given to actual effects. Harm to intermediate buyers is generally presumed to create harm to final consumers. Furthermore, not only short term harm, but also medium and long term harm arising from foreclosure is taken into account. »
75 Selon cet extrait, une pratique abusive peut être prouvée par un préjudice immédiat aux consommateurs. Cependant, le préjudice aux consommateurs n’est pas une condition indispensable. Pour garantir l’ouverture du marché à long terme, la Commission accepterait aussi la preuve d’effets excluants sur le marché.
76 Dans son document final sur l’art. 82 CE, les « Orientations sur l’art. 82 » [70], la Commission a pourtant tendance à s’éloigner encore plus de la jurisprudence de la Cour sur la protection de la « structure de concurrence ». Bien qu’elle s’abstienne de faire du « préjudice aux consommateurs » le critère exclusif pour une pratique abusive, la Commission définit les priorités d’application de l’art. 82 et annonce qu’elle agira en particulier contre les pratiques « qui sont les plus préjudiciables aux consommateurs » [71]. Cependant, la Commission mentionne aussi toute une liste de critères sur le risque d’éviction anticoncurrentielle, sur la base desquels la Commission déclare vouloir intervenir en vertu de l’art. 82 CE.
77 Ce qui est plus important encore, bien sûr, est le développement de la jurisprudence. Récemment, plusieurs entreprises dominantes qui sont confrontées à une action de la Commission sur la base de l’ancien art. 82 CE (art. 102 TFUE), ont essayé de convaincre les Cours européennes d’accepter le critère du préjudice immédiat pour le consommateur comme preuve d’une pratique abusive. La Cour de justice [72] et aussi le Tribunal de première instance [73] ont toujours rejeté cette proposition en faveur de la jurisprudence qui a commencé avec l’affaire Continental Can.
78 Néanmoins, le Tribunal de première instance semblait vouloir adopter le critère du préjudice aux consommateurs comme critère de pratique anticoncurrentielle dans le cadre de l’interdiction des ententes. Dans l’affaire GlaxoSmithKline, le Tribunal a réagi surtout à la critique exprimée envers l’usage de la liberté économique comme preuve d’une restriction dans le cadre de l’ancien art. 81 al. 1 CE (art. 101 al. 1 TFUE) en déclarant [74] :
« il n’est pas contesté que (…) l’article 4 des conditions générales de vente a pour effet de restreindre la liberté d’action des grossistes espagnols, notamment celle de choisir leurs clients ».
« Cependant, tout accord restreignant la liberté d’action des ou d’une des entreprises qui y participent ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE. (…) Toutefois, l’objectif des règles communautaires de concurrence étant d’éviter que des entreprises, en restreignant la concurrence entre elles ou avec des tiers, réduisent le bien-être du consommateur final des produits en cause (…), il s’impose encore de démontrer que la limitation en question restreint la concurrence, au détriment de ce dernier. »
80 Bien que le Tribunal ait confirmé que GlaxoSmithKline a restreint la concurrence au détriment du consommateur final au sens de l’ancien art. 81 al. 1 CE, plus tard, la Cour de justice s’est clairement opposée à l’approche du Tribunal en se référant à la jurisprudence classique sur la protection de la structure de concurrence, en disant [75] :
« D’une part, il ne ressort aucunement de cette disposition que seuls les accords privant les consommateurs de certains avantages pourraient avoir un objet anticoncurrentiel. D’autre part, il importe de souligner que la Cour a jugé que l’article 81 CE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle. Dès lors, la constatation de l’existence de l’objet anticoncurrentiel d’un accord ne saurait être subordonnée à ce que les consommateurs finals soient privés des avantages d’une concurrence efficace en termes d’approvisionnement ou de prix (…). »
« Il s’ensuit que, en subordonnant l’existence d’un objet anticoncurrentiel à la preuve que l’accord comporte des inconvénients pour les consommateurs finals et en ne concluant pas à l’existence d’un tel objet à l’égard dudit accord, le Tribunal a commis une erreur de droit. »
82 Dans cette affaire, la jurisprudence a donc fait preuve d’une stabilité ordolibérale énorme contre l’influence des théories économiques plus récentes. La Cour semble surtout soucieuse du risque que le critère du préjudice aux consommateurs apporterait. Il s’agirait là d’une condition supplémentaire qui rendrait la preuve d’une restriction plus difficile et, par conséquent, pourrait affaiblir le droit de la concurrence. Dans l’affaire GlaxoSmithKline, la Cour n’avait plus besoin de citer la garantie de la concurrence non faussée, ce qui nous semble une décision sage, compte tenu de la disparition prévisible de cette garantie du catalogue des objectifs, ce qui, en effet, a eu lieu avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne quelques semaines après.
83 Avec son arrêt du 17 novembre 2011 concernant les aides d’État, la CJUE a tout récemment clarifié que le transfert de la garantie de la concurrence non faussée du catalogue des objectifs de l’Union dans le Traité UE vers un protocole n’aura pas de conséquences négatives pour son statut juridique dans le nouveau cadre constitutionnel du Traité de Lisbonne. Dans l’affaire pertinente, la Cour a souligné la gravité de l’infraction des règles sur les aides d’État en rappelant que la garantie de la concurrence non faussée continue de caractériser de manière fondamentale le marché intérieur [76] :
« Concernant la gravité de l’infraction, il convient de rappeler le caractère fondamental des dispositions du traité en matière de concurrence et tout particulièrement celles relatives aux aides d’État, lesquelles constituent l’expression de l’une des missions essentielles conférées à l’Union européenne. Au jour où la Cour apprécie l’opportunité et le montant de la présente astreinte, ce caractère fondamental ressort de l’article 3, paragraphe 3, TUE, à savoir l’établissement d’un marché intérieur, ainsi que du protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence, lequel, en application de l’article 51 TUE, fait partie intégrante des traités, et aux termes duquel le marché intérieur comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée. »
85 Par cet arrêt, la Cour protège le concept ordolibéral de la Constitution économique de Lisbonne contre les attaques plutôt populistes du président Sarkozy et, au même titre, contre l’infiltration de pensées économiques trop « Chicago ».
5.3 La liberté contractuelle dans la Constitution économique européenne
86 Tout en reconnaissant l’importance suprême de l’ordre concurrentiel pour la Constitution économique de l’Union européenne, nous voudrions ajouter quelques mots sur la garantie de la « société de droit civile » comme deuxième pilier de la théorie ordolibérale selon le droit de l’Union.
87 Bien que les traités fondateurs ne contiennent pas de règles substantielles sur le droit civil et surtout des contrats, toute une théorie de droit privé européen s’est développée en s’inspirant de la réglementation des Traités. Il est difficile de juger si c’est en raison de la tradition ordolibérale ou de l’intérêt majeur des civilistes allemands pour le droit européen que la recherche en droit européen privé trouve son origine en Allemagne. Par rapport aux traités fondateurs, il faut surtout mettre en relief la théorie selon laquelle les libertés fondamentales, surtout les principes sur la libre circulation des biens et des services, garantissent aussi une liberté contractuelle transfrontalière [77]. La théorie la plus appropriée est peut-être celle déclarant que les libertés fondamentales en tant que telles ne garantissent pas la liberté contractuelle, mais reconnaissent la liberté contractuelle accordée par les droits civils des États membres [78].
88 Bien sûr, le droit privé européen s’est extrêmement développé à travers l’instrument des directives en harmonisant le droit privé des États membres, surtout dans le domaine des contrats de consommation. Du point de vue ordolibéral, il faut pourtant évoquer l’arrêt Courage de la Cour de justice [79]. Dans cet arrêt, la Cour établit un lien direct entre le droit de la concurrence et le droit privé en développant même le concept européen de la liberté contractuelle dans le cadre du droit de la concurrence. La Cour devait répondre à la question de savoir si le droit de la concurrence oblige les États membres à prévoir aussi des dommages-intérêts en faveur d’une partie d’une entente restrictive au sens de l’ancien art. 81 CE. La Cour a affirmé l’existence d’une telle obligation à certaines conditions, en expliquant que même dans une telle situation on ne peut pas catégoriquement exclure une compensation à cause de la participation du requérant à l’entente restrictive [80] :
« À cet égard, parmi les éléments d’appréciation susceptibles d’être pris en considération par la juridiction nationale compétente, il y a lieu de mentionner le contexte économique et juridique dans lequel les parties se trouvent ainsi que, comme le gouvernement du Royaume-Uni le relève à juste titre, le pouvoir de négociation et le comportement respectifs des deux parties au contrat. »
« En particulier, il appartient à ladite juridiction d’examiner si la partie qui prétend avoir subi un dommage, en raison de la conclusion d’un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, se trouvait dans une position d’infériorité caractérisée par rapport à l’autre partie, de sorte qu’auraient été sérieusement compromises, voire nulles sa liberté de négocier les clauses dudit contrat ainsi que sa capacité d’éviter le préjudice ou d’en limiter la portée, notamment en utilisant en temps utile toutes les voies de droit qui étaient à sa disposition. »
90 Par cette jurisprudence qui, avant tout, a été inspirée par l’effet utile du droit de la concurrence, la Cour a donc développé le concept matériel de la liberté contractuelle, ce qui nous rappelle immédiatement les théories de Böhm [81]. Dans cette perspective, le droit de la concurrence ne protège pas seulement la concurrence ou – selon les théories économiques néoclassiques – des consommateurs, mais aussi le contractant qui ne dispose pas du pouvoir de négociation pour se défendre contre des clauses restrictives [82].
91 En plus, cet arrêt ressemble à un arrêt de la Cour constitutionnelle allemande, dans lequel la Cour s’est référée à la garantie de la liberté individuelle de la Loi fondamentale (art. 2 al. 1) pour aussi reconnaître le concept matériel de la liberté contractuelle qui, aujourd’hui, oblige le législateur et les juges de droit commun à intervenir sur et contrôler le contenu du contrat si la parité contractuelle est sérieusement atteinte [83]. L’ensemble de ces deux arrêts, celui de la Cour de justice européenne et de la Cour constitutionnelle allemande, souligne les liens étroits entre droits de l’homme, droit de la concurrence et le principe de la liberté contractuelle comme fondement de la société civile.
6 LES DÉFIS ACTUELS
92 Au terme de cette contribution, nous voudrions encore exprimer quelques idées sur le rôle que la conception ordolibérale de la Constitution économique peut jouer face aux défis de la crise économique actuelle et de la globalisation. Certes, il faut se méfier de la capacité de l’ordolibéralisme de produire une réponse à toutes les questions économiques. Comme toutes les « Constitutions », la « Constitution économique », elle aussi, ne peut pas se substituer aux décisions politiques qui sont nécessaires surtout dans une situation de crise.
6.1 La crise économique
93 Face à la crise économique actuelle, les idées ordolibérales peuvent nous apporter une meilleure compréhension des causes de cette crise et quelques conseils pour en sortir.
94 La crise économique a commencé comme une crise bancaire, quand les marchés des « subprimes » se sont écroulés aux États-Unis. La crise trouve son origine dans une croyance presque illimitée dans le bon fonctionnement des marchés et, par conséquent, dans l’absence presque totale de réglementation de ces marchés. Les dirigeants, dans un grand nombre de pays, y compris l’Allemagne, ont partagé cette croyance, probablement surtout à cause des profits à court terme que l’on pouvait en tirer, en dépit de la revendication des ordolibéraux de définir les règles du jeu de ces marchés. Un des éléments les plus importants de ces règles est la responsabilité civile des vendeurs des subprimes vu l’absence presque totale de transparence par rapport aux risques liés à ces produits bancaires. La crise économique nous rappelle la nécessité d’un État fort qui se sente responsable du bon fonctionnement de l’économie et qui soit capable de créer, contrôler et sanctionner les règles du jeu.
95 La crise bancaire est devenue, en Europe, une crise financière, et notamment des dettes publiques, qui menace les secteurs de l’économie réelle. Dans cette situation et face à un manque de théories fiables et éprouvées de la part des sciences économiques, les dirigeants politiques doivent prendre des décisions courageuses. Ce n’est pas forcément une époque favorable aux théories plutôt conservatrices. Certes, la théorie ordolibérale sur la « Constitution économique » doit apparaître plutôt comme une théorie conservatrice qui n’offre guère la flexibilité requise à l’heure actuelle. Pourtant, la « Constitution économique européenne » nous prouve qu’on peut aussi utiliser les instruments de la concurrence avec un peu d’imagination pour répondre aux exigences les plus concrètes de la crise. Ainsi, dès le début de celle-ci, la Commission a utilisé l’instrument du contrôle des aides d’État pour réglementer le secteur bancaire. Bien sûr, les règles sur les aides d’État n’ont pas été créées pour être appliquées dans ce but. Mais il faut quand même constater que la Commission cherche à faire face à sa responsabilité en utilisant tous les instruments qui lui sont accordés par les Traités dans le but de préserver le bon fonctionnement des marchés. Malheureusement, des règles aussi flexibles ne sont guère à la disposition de l’Union européenne pour répondre à la crise des dettes de l’État. Par conséquent, on discute sur une réforme du Traité qui soit plus en conformité avec les concepts de l’« Ordnungspolitik » allemande.
6.2 La mondialisation
96 Certes, la mondialisation constitue un défi plus durable que la crise bancaire et économique ; en même temps elle ne soulève pas moins de questions. En 1945, la création d’une Constitution économique était un défi national que l’on a consciemment accepté en Allemagne. Très vite, dès les années 1950, ce défi est devenu un défi européen. Aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation des transactions économiques et des marchés globaux, on sent de plus en plus le besoin d’un ordre constitutionnel au plan international. Vis-à-vis du droit de l’OMC, avec ses régimes de libéralisation des marchés et de la protection de la propriété intellectuelle, ce ne sont pas les grands pouvoirs économiques privés qui ont surtout besoin d’une « constitutionnalisation » du droit de l’OMC, mais bien les pays en développement, les petites entreprises face à la concurrence des multinationales et, en général, les populations défavorisées du monde entier. Tandis que la libéralisation de l’économie au plan international et national a engendré une croissance économique énorme et rapide surtout au sein des économies émergentes, les questions sur les droits de l’homme, par exemple dans le cadre de l’accord ADPIC sur la protection de la propriété intellectuelle (accès aux médicaments, etc.), et, en général, de la justice redistributive, deviennent de plus en plus éminentes.
97 Ce qui manque surtout, du point de vue de la « Constitution économique » ordolibérale, est un droit de la concurrence internationale. Bien sûr, la plupart des États disposent aujourd’hui d’un droit de la concurrence nationale. Mais surtout les pays en développement souffrent des pratiques restrictives à portée internationale, sans être capables de répondre efficacement à ces restrictions souvent initiées à l’étranger par des entreprises multinationales. Ce qui manque n’est d’ailleurs pas un droit de la concurrence de style OMC qui a pour objectif d’ouvrir les marchés nationaux, mais un droit international qui crée un système d’action concertée de l’ensemble des États pour protéger la concurrence sur les marchés pertinents transfrontaliers [84]. Aussi, l’efficacité économique et le bien-être des consommateurs ne peuvent guère convaincre en tant qu’objectifs de ce droit de la concurrence internationale. L’efficacité économique ignore l’aspect redistributif des marchés qui apparaît si essentiel au plan international où les pays les plus pauvres auront du mal à trouver des marchés appropriés sur lesquels ils pourraient concourir avec succès. En même temps, dans beaucoup de pays en développement, ce ne sont pas seulement les consommateurs qui sont touchés le plus par les pratiques restrictives, mais aussi les petits producteurs, agriculteurs et commerçants. Face à ce constat, une conception du droit de la concurrence internationale qui s’inspire plus des droits de l’homme, de l’égalité des opportunités économiques et des aspects sociaux, lesquels font partie de la théorie ordolibérale, nous semble plus souhaitable qu’un droit de la concurrence plus scientifique avec une orientation exclusive vers l’efficacité économique et le bien-être du consommateur [85].
98 Par rapport à l’Union européenne, il y a surtout deux défis plus concrets à relever face à la mondialisation. Premièrement, il faut développer une stratégie pour maintenir la compétitivité européenne à l’ère de la mondialisation. Devrait-on trouver la réponse dans une politique qui protège la concurrence à l’intérieur de l’Union sans protectionnisme au détriment des entreprises étrangères (approche ordolibérale) ou ferait-on mieux de promouvoir les champions européens en accordant des exemptions de l’application du droit de la concurrence (approche plutôt sarkozyenne) ? À la lumière du débat sur le transfert de la garantie de la concurrence non faussée dans un protocole par le Traité de Lisbonne, il semble que l’Union européenne doive encore trouver une réponse à ces questions. Deuxièmement, l’Union européenne doit se poser la question de savoir si elle veut travailler pour l’établissement d’une « Constitution économique mondiale ». À cet égard, la politique extérieure de l’Union n’apparaît pas trop sophistiquée. En prenant l’initiative de créer un droit de la concurrence de l’OMC, il y a dix ans, l’ancienne Communauté européenne a plutôt suivi l’idée simpliste, qui est pourtant bien compréhensible à la lumière de l’expérience européenne, que la libéralisation des marchés doit être accompagnée d’un droit de la concurrence. Cependant on a par la suite fait des propositions pour un droit de la concurrence qui aurait seulement servi à l’ouverture des marchés dans l’intérêt des entreprises bénéficiant le plus de la libéralisation. Aujourd’hui, l’Union commet peut-être une erreur similaire en exportant le modèle européen d’un droit de la concurrence supranationale à certains groupes de pays en développement, comme les États des Caraïbes du CARICOM, dans le cadre des accords de partenariat économique [86], sans tenir suffisamment compte du fait que la situation socio-économique, politique et commerciale dans ces pays est bien différente de la situation qu’on trouve dans l’Union européenne.
7 CONCLUSIONS
99 Le thème de la « Constitution économique » selon le modèle ordolibéral reste un thème complexe. Le but de cette contribution était surtout de clarifier les origines de cette notion et d’évaluer son adaptabilité à la situation européenne et même aux défis actuels de la crise économique et de la mondialisation.
100 Grâce à ses racines dans les valeurs démocratiques et ses liens avec les droits de l’homme, l’ordolibéralisme n’est pas une idéologie. Du fait que ses valeurs sont communes aux États membres de l’Union et ont trouvé une confirmation juridique de premier rang dans le Traité de Lisbonne et la Charte sur les droits fondamentaux, l’ordolibéralisme n’a pas eu du mal à entrer dans la pensée du droit économique européen malgré ses origines allemandes. En dominant le développement du droit de la concurrence européen au moins dans le passé, l’ordolibéralisme a aussi prouvé sa flexibilité. Les Européens ont accepté le droit de la concurrence comme l’élément le plus important de leur « Constitution économique ». Un certain nombre de spécialistes appliquent aujourd’hui le droit de la concurrence européen sans se rendre compte de ses origines ordolibérales, grâce à la Commission et la jurisprudence des Cours qui ont intégré les idées ordolibérales dans la pratique européenne.
101 Cependant, le succès durable n’est pas garanti pour l’ordolibéralisme. Aussi, ce dernier doit s’adapter aux critiques justifiées et à l’évolution socio-économique, technologique et politique. Il est difficile de trouver un équilibre. D’un côté, il convient de se rappeler les principes ordolibéraux, en Allemagne également. D’un autre côté, la théorie économique a énormément évolué depuis la mort de Walter Eucken. Le droit de la concurrence européen doit réagir à ce progrès et moderniser ses principes et ses règles là où on se rend compte que les ordolibéraux ont commis des erreurs. Étant donné que cette contribution n’avait pas pour but de traiter le droit de la concurrence en particulier, nous ne sommes pas entré dans cette analyse de la modernisation nécessaire de la politique de la concurrence ordolibérale. Mais nous croyons que l’ordolibéralisme peut apporter encore beaucoup d’éléments nécessaires à l’explication des objectifs du droit de la concurrence. Les principes du marché ouvert qui servent les intérêts de tous les acteurs du marché et accordent aux individus une liberté économique maximale peuvent étayer un droit de la concurrence qui garantisse un développement économique plus durable, stable et, du point de vue social, plus égalitaire qu’un droit de la concurrence conçu comme un simple instrument qui aura pour but de promouvoir l’efficience économique et le bien-être du consommateur.
102 Pendant les dernières années, l’ordolibéralisme a vécu une époque difficile face aux théories économiques néoclassiques. Mais, à l’heure actuelle, il semble regagner en popularité et en actualité. Dans la mesure où on a perdu la croyance dans le bon fonctionnement des marchés sans l’intervention de l’État et qu’on se rend compte que le marché libre, lui-même, a besoin d’un État fort, les idées de l’ordolibéralisme sur la Constitution économique s’avèrent importantes lorsqu’il s’agit de redéfinir le rôle de l’État, sans basculer, en sens inverse, dans un rôle trop interventionniste et même planificateur. Grâce à ses liens avec les droits de l’homme et ses idées sociales, l’ordolibéralisme continue d’offrir une approche plus acceptable de la politique économique des sociétés démocratiques développées et, en même temps, il fournit une réponse au défi de l’intégration des pays en développement dans l’économie mondialisée.
Mots-clés éditeurs : ordolibéralisme, droit européen, Constitution économique, droit de la concurrence
Date de mise en ligne : 01/03/2012
https://doi.org/10.3917/ride.254.0419Notes
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[1]
Directeur de l'Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence, Munich ; professeur honoraire à l'Université de Munich.
-
[2]
Confirmé par la CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos contre Administratie der Belastingen, affaire 26/62, Rec. 1963, p. 3 (23) (« qu’il faut conclure de cet état de choses que la Communauté constitue un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants »).
-
[3]
V.O. Debarge, T. Georgopoulos et O. Rabaey (dir.), La Constitution économique de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2008 ; D. Briand-Mélédo, « Droit de la concurrence, droit constitutionnel substantiel de la Communauté européenne », Rev. trim. dr. com., 2004, p. 205 ; C. Joerges, « La Constitution économique européenne en processus et en procès », RIDE, 2006, vol. XX : 3, p. 245. En langue anglaise, voir J. Baquero Cruz, Between Competition and Free Movement : the Economic Constitutional Law of the European Community, Oxford, Hart Publishing, 2002 ; M. Poiares Maduro, We the Court : The European Court of Justice and the European Economic Constitution, Oxford, Hart Publishing, 1998.
-
[4]
Voir, par exemple, D.J. Gerber, « Constitutionalizing the Economy : German Neo-liberalism, Competition Law and the “New” Europe », American Journal of Comparative Law, 1994, vol. 42, p. 25 ; C. Mongouachon, « L’ordolibéralisme : contexte historique et contenu dogmatique », Concurrences, 2011, n° 4, p. 70.
-
[5]
Voir, par exemple, J. Basedow, Von der deutschen zur europäischen Wirtschaftsverfassung, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1992 ; J. Drexl, « Competition Law as Part of the European Constitution », in A. von Bogdandy et J. Bast (dir.), Principles of European Constitutional Law, Oxford et Portland, Hart Publishing, 2006, p. 633 (voir aussi la version allemande : J. Drexl, « Wettbewerbsverfassung », in A. von Bogdandy (dir.), Europäisches Verfassungsrecht, Berlin, Springer, 2003, p. 747).
-
[6]
Voir aussi J. Drexl, « Competition Law as Part of the European Constitution », in A. von Bogdandy et J. Bast (dir.), Principles of European Constititional Law, 2e éd., Oxford, Hart Publishing, 2009, p. 659, 661-669 (sur le changement de la Constitution économique par le Traité de Lisbonne) ; C. Joerges, « What is Left of the European Economic Constitution ? A Melancholic Euology », 2004, accessible à http://www.direitogv.com.br/AppData/Event/Paper2020Joerges.pdf.
-
[7]
E. Forsthoff, « Die Wirtschaftsverfassung im Rahmen der Gesamtverfassung », in Institut zur Förderung öffentlicher Angelegenheiten (dir.), Ratgeber von Parlament und Recht, Frankfurt/Main, 1951, p. 127 (131).
-
[8]
Ibid.
-
[9]
W. Eucken, Die Grundlagen der Nationalökonomie, 9e éd., Berlin, Springer, 1989 (1re éd. 1939).
-
[10]
En allemand, on parlait de « ordnende Hand des Staates » (la main « ordonnante » de l’État) qui, avec le concept de l’ordre, a donné le nom à la revue de l’école de Fribourg (« ORDO ») et puis à l’ordolibéralisme.
-
[11]
F. Böhm, Wettbewerb und Monopolkampf, Cologne, Heymann, 1933, p. IX (« Rechtsordnung im positiven verfassungsrechtlichen Sinne, von exakter verfassungsrechtlicher Struktur »).
-
[12]
W. Eucken, Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwirklichung, ORDO, vol. 2, 1949, p. 1 (86) (« wirtschaftsverfassungsrechtliche Gesamtentscheidung »).
-
[13]
H.C. Nipperday, Die soziale Marktwirtschaft in der Verfassung der Bundesrepublik Deutschland, Karlsruhe, C.F. Müller, 1954 ; id., Soziale Marktwirtschaft und Grundgesetz, Cologne, Heymann, 1965.
-
[14]
Bundesverfassungsgericht, arrêt « Investitionshilfe », BVerfGE, vol. 4, p. 7, 17-18 ; confirmé par les arrêts « VW-Privatisierung », BVerfGE, vol. 12, p. 354 ; « Erdölbevorratung », BVerfGE, vol. 30, p. 392 ; « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290.
-
[15]
Voir, par exemple, Bundesverfassungsgericht, arrêt « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290 (337).
-
[16]
Terme utilisé par Bundesverfassungericht, arrêt « Mitbestimmung », BVerfGE, vol. 50, p. 290 (338) (« relative wirtschaftspolitische Offenheit »). Voir aussi J. Drexl, Die wirtschaftliche Selbstbestimmung des Verbrauchers, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1998, p. 220.
-
[17]
Art. 3 lit. f) du Traité CEE (plus tard : art. 3 al. 1 lit. g) du Traité CE).
-
[18]
CJCE, 3 octobre, Echirolles Distribution contre Association de Dauphiné, affaire C-9/99, Rec., 2000, p. I-8207.
-
[19]
Sur cette question, voir Drexl, op. cit. (note 6), p. 668 (en soutenant qu’une telle application devrait être possible).
-
[20]
CJCE (note 18), point 22.
-
[21]
CJCE, 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Édouard Leclerc et autres contre SARL « Au blé vert » et autres, affaire 229/83, Rec., 1985, p. 1.
-
[22]
CJCE (note 18), point 24.
-
[23]
Voir, en détail, Drexl, op. cit. (note 6), p. 664 et s.
-
[24]
Le protocole se lit comme suit :
« Les Hautes Parties Contractantes, compte tenu du fait que le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée, sont convenues que à cet effet, l’Union prend, si nécessaire, des mesures dans le cadre des dispositions des traités, y compris l’article 352 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le présent protocole est annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. »
Sur l’histoire du transfert et le débat qui s’en est suivi, voir Drexl, op. cit. (note 6), p. 662 et s. Tout récemment, la CJUE a confirmé que, en vertu du protocole n° 27, le marché intérieur – selon l’art. 3, para. 3 TUE – comprend un système qui garantit que la concurrence n’est pas faussée : CJUE, 17 novembre 2011, Commission européenne contre République italienne, affaire C-496/09, non encore publiée au Recueil, point 60. -
[25]
H.C. Nipperdey, « Die Grundprinzipien des Wirtschaftsverfassungsrechts », in H. Wandersleb et E. Traumann (dir.), Recht – Staat – Wirtschaft, vol. III, Düsseldorf, Verlag L. Schwann, 1951, p. 223 (225).
-
[26]
W. Fikentscher, Wirtschaftsrecht, vol. II, Munich, C.H. Beck, 1983, p. 24. En allemand, la définition est la suivante :
« Wirtschaftsverfassung im heutigen Sinne ist die Summe verfassungsrechtlicher und grundlegender gesetzlicher Normen, gegebenenfalls auch das Fehlen solcher Normen, die das grundsätzliche Verhältnis von Wirtschaft, Staat und Staatsbürger regeln. Es kann sich dabei um eine bewusste Planung und Ordnung, es kann sich aber auch um eine bewusste Entscheidung gegen Planung und Ordnung, und es kann sich schließlich um eine mehr oder weniger bewusste Nichteinmischung handeln. » -
[27]
Version du 15 juillet 2005, BGBl. (J.O. Fédérale) 2005, part I, p. 2114 ; 2009, part I, p. 3850 ; dernièrement modifiée par la loi du 25 mai 2009, BGBl. (J.O. Fédérale) 2009, part I, p. 1102. NB : le Bundeskartellamt, l’autorité de contrôle allemande, offre aussi des traductions semi-officielles en français (http://www.bundeskartellamt.de/wFranzoesisch/download/pdf/GWB_F.pdf) et en anglais (http://www.bundeskartellamt.de/wEnglisch/download/pdf/GWB/0911_GWB_7_Novelle_E. pdf). Il faut pourtant noter que, à l’heure actuelle, la traduction française n’inclut pas les modifications après 1999.
-
[28]
Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, JO L 376 du 27 décembre 2006, p. 36.
-
[29]
Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO L 24 du 29 janvier 2004, p. 1.
-
[30]
Sur le droit contre la concurrence déloyale dans le nouvel ordre constitutionnel du Traité de Lisbonne, voir A. Peukert, « Der Wandel der europäischen Wirtschaftsverfassung im Spiegel des Sekudärrechts – Erläutert am Beispiel des Rechts gegen den unlauteren Wettbewerb », Zeitschrift für Wirtschafts- und Handelsrecht (ZHR), vol. 173, 2009, p. 536.
-
[31]
La plus importante étant la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (« directive sur les pratiques commerciales déloyales »), JO L 149 du 11 juin 2005, p. 22.
-
[32]
Voir, par exemple, W. Eucken, « Das ordnungspolitische Problem », ORDO, vol. 1, 1948, p. 56 ; W. Eucken, « Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwirklichung », ORDO, vol. 2, 1949, p. 1 ; F. Böhm, « Die Idee des Ordo im Denken Walter Euckens », ORDO, vol. 3, 1950, p. XV. Voir aussi F. Böhm, Wirtschaftsordnung und Staatsverfassung, Tübingen, Mohr Siebeck, 1950.
-
[33]
C’était le cas pour Alexander Rüstow qui a émigré dès 1933 en Turquie où il devint professeur d’économie à l’Université d’Istanbul.
-
[34]
Pour la littérature plus récente, voir H.-G. Krüsselberg, « Zur Interdependenz von Wirtschaftsordnung und Gesellschaftsordnung : Euckens Plädoyer für ein umfassendes Denken in Ordnungen », ORDO, vol. 40, 1989, p. 223 ; aussi E. Hoppmann, « Kulturelle Evolution und ökonomische Effizienz », in Festschrift für Ernst-Joachim Mestmäcker, Baden-Baden, Nomos, 1996, p. 177 (surtout 189).
-
[35]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 85 et s. (en utilisant le terme « wirtschaftsverfassungsrechtliche Gesamtentscheidung »).
-
[36]
Ibid., p. 52.
-
[37]
Sur les conclusions à tirer de la pensée de Eucken pour le droit de la consommation, voir J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 113.
-
[38]
A. Müller-Armack, Wirtschaftslenkung und Marktwirtschaft, Hamburg, Verlag für Wirschafts- und Sozialpolitik, 1947 (première source publiée où on trouve le terme « Soziale Marktwirtschaft » – toujours écrit en lettres majuscules) ; id., « Die Wirtschaftsordnungen sozial gesehen », ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 ; id., « Die wissenschaftlichen Ursprünge und die künftige Verfassung der sozialen Marktwirtschaft », Wirtschaftspolitische Chronik (WPCh), 1973, n° 3, p. 7. Voir aussi R. Blum, Soziale Marktwirtschaft, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1969 ; J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 146- 151 (en plaçant le droit de la consommation dans le contexte de l’économie sociale de marché) ; O. Schlecht, Grundlagen und Perspektiven der Sozialen Marktwirtschaft, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1990 (en mettant l’accent sur le fondement ordolibéral).
-
[39]
A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (148 et s.).
-
[40]
O. Schlecht, op. cit. (note 38), p. 45 et s. (en décrivant cette relation comme « prinzipiell harmonisches Wechselverhältnis »).
-
[41]
A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (138). C’est dans cette perspective que les ordolibéraux reconnaissent aussi une fonction au critère de l’efficacité. Le critère de l’efficacité n’est donc pas contradictoire avec la pensée ordolibérale.
-
[42]
Voir aussi A. Müller-Armack, op. cit. (note 38), ORDO, vol. 1, 1948, p. 125 (152).
-
[43]
Voir aussi W. Fikentscher, op. cit. (note 26), p. 32 (en disant que l’économie de marché est « présomptivement l’institution la plus sociale pour la redistribution de biens limités » ; en allemand : « präsumtiv sozialste Einrichtung zur Verteilung knapper Güter »).
-
[44]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 22 et s.
-
[45]
Ibid., p. 32 et s.
-
[46]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 96 (en allemand : « funktionsfähiges Preissystem vollständiger Konkurrenz »). Il faut noter que la notion de « concurrence complète » (vollständiger Wettbewerb) de Eucken se distingue de la notion néoclassique de la « concurrence parfaite » (vollkommener Wettbewerb). Eucken a favorisé un système de concurrence dans lequel les entreprises sont si nombreuses qu’une entreprise individuelle n’a pas le pouvoir d’influencer le prix par ses propres décisions. Bien que cette notion de « concurrence complète » ait encore influencé au moins la terminologie du législateur allemand lors de l’adoption de la loi contre les restrictions de la concurrence en 1957, déjà à l’époque, la science économique et juridique enAllemagne avait réussi à clarifier que ce concept de concurrence complète équivaut plutôt à une situation d’absence de concurrence et que le pouvoir des entreprises individuelles d’influencer les actions des concurrents, dans le sens d’une concurrence opérationnelle et dynamique (workable competition, funktionsfähiger Wettbewerb), est essentiel pour le fonctionnement de la concurrence. À cet égard, voir surtout l’importante publication de K. Borchardt et W. Fikentscher, Wettbewerb, Wettbewerbsbeschränkung, Marktbeherrschung, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1957.
-
[47]
W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 64 et s. Déjà avant la guerre, voir H. Großmann-Doerth, Das selbstgeschaffene Recht der Wirtschaft, Freiburg, 1933 ; L. Raiser, Das Recht der allgemeinen Geschäfts-Bedingungen, Hamburg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1935.
-
[48]
Pour une explication du contrôle des clauses contractuelles abusives ou standardisées à la lumière de la politique de la concurrence, J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 329 et s.
-
[49]
Sur la liberté en général, voir W. Eucken, op. cit. (note 12), p. 64 et s.
-
[50]
F. Böhm, « Freiheit und Ordnung in der Marktwirtschaft », ORDO, vol. 22, 1971, p. 11 (20).
-
[51]
Sur la relation entre société de droit privé et économie de marché, voir F. Böhm, « Privatrechtsgesellschaft und Marktwirtschaft », ORDO, vol. 17, 1966, p. 75.
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[52]
Ibid., p. 87.
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[53]
Ibid., p. 140.
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[54]
Version consolidée, JO C 321 E du 29 décembre 2006, p. 37.
-
[55]
CJCE, 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company contre Commission, affaire 6/72, Rec., 1973, p. 215, point 24.
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[56]
Plus précisément sur le marché commun avant l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen qui a créé le fondement juridique du marché intérieur.
-
[57]
Sur l’histoire de la disparition de la garantie de la concurrence non faussée, voir A. Graupner, « A Question of Protocol – Competition and the June 2007 European Council », Competition Law Insight, 2007, n° 7, p. 3.
-
[58]
Voir texte supra note 24.
-
[59]
En détail sur cette question, voir J. Drexl, op. cit. (note 6), p. 662 et s.
-
[60]
N. Kroes, « Competition Policy ; Achievements in 2006 ; Work Program in 2007 ; Priorities for 2008 », European Parliament Economic and Monetary Affairs Committee, Speech/07/426 (26 juin 2008), accessible à : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/07/425& format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en.
-
[61]
N. Sarkozy, Conférence de presse à l’issue du Conseil européen, 23 juin 2007, accessible à : http://www.elysee.fr/president/les-actualites/conferences-de-presse/2007/conference-de-presse-a-l-issue-du-conseil.5856.html.
-
[62]
Voir A. Weitbrecht, « From Freiburg to Chicago and Beyond – the First 50 Years of European Competition Law », European Competition Law Review, vol. 29, 2008, p. 81 (88) (craignant que le Traité de Lisbonne puisse redéfinir le rôle de la concurrence) ; plus prudent P. Nicolaedes, « The Truth about Competition », 19 juin 2007, accessible à : http://www.euractiv.com/en/competition/ truth-competition/article-165099.
-
[63]
CJCE (note 55).
-
[64]
Voir CJCE (note 55), point 19.
-
[65]
CJCE (note 55), points 21 et s.
-
[66]
CJCE (note 55), point 26.
-
[67]
EGACP, « An Economic Approach to Article 82 », juillet 2005, p. 8, accessible à : http://ec.europa. eu/comm/competition/publications/studies/EAGCP_july_21_05.pdf.
-
[68]
Commission européenne, DG Competition Discussion Paper on the Application of Article 82 of the Treaty to Exclusionary Practices, décembre 2005, point 54, accessible à : http://ec.europa.eu/ comm/competition/antitrust/art82/discpaper2005.pdf.
-
[69]
Ibid., point 55.
-
[70]
Communication de la Commission – Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JO C 45 du 24 février 2009, p. 7.
-
[71]
Ibid., point 5.
-
[72]
CJCE, 15 mars 2007, British Airways contre Commission, affaire C-95/04 P, Rec., 2007, p. I-2331, point 106.
-
[73]
TPI, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, affaire T-201/04, Rec., 2007, p. II-3601, point 125.
-
[74]
TPI, 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline contre Commission, affaire T-168/01, Rec., 2006, p. II-2969, points 170 et s.
-
[75]
CJCE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline contre Commission, affaires jointes C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P et C-519/06 P, Rec., 2009, p. I-9291, points 63 et s.
-
[76]
CJUE (note 24), point 60.
-
[77]
Selon S. Grundmann, « EG-Richtlinien und nationales Privatrecht », Juristen-Zeitung (JZ), 1996, p. 274 (278), id., Europäisches Schuldvertragsrecht, Berlin, De Gruyter, 1999, point 52, les libertés fondamentales élargissent la liberté contractuelle à travers les frontières.
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[78]
Dans le même sens, P. von Wilmowsky, « Der internationale Verbrauchervertrag im EG-Binnenmarkt », Zeitschrift für Europäisches Privatrecht (ZEuP), 1995, p. 735 (736 et s.).
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[79]
CJCE, 20 septembre 2001, Courage contre Crehan, affaire C-453/99, Rec., 2001, p. I-6297.
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[80]
Ibid., points 32 et s.
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[81]
Voir supra chapitre 4.2.
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[82]
Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un restaurateur qui avait accepté dans son contrat de bail avec une brasserie une clause sur la livraison de bière qui probablement violait l’art. 81 al. 1 CE.
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[83]
Bundesverfassungsgericht, 19 octobre 1993, BVerfGE, vol. 89, p. 214. En l’espèce, la Cour obligeait de contrôler la caution d’une jeune fille sans grande fortune ou salaire pour le crédit donné par une banque au père entrepreneur. Sur la comparaison de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avec celle de la CJCE, voir J. Drexl, op. cit. (note 5), p. 654 ; en détail sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle, voir J. Drexl, op. cit. (note 16), p. 266 et s.
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[84]
À cet égard, voir J. Drexl, « International Competition Policy After Cancún : Placing a Singapore Issue on the Doha Development Agenda », World Competition, vol. 27, 2004, p. 419.
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[85]
Voir aussi J. Drexl, « Le droit de la concurrence international, menace ou gardien des droits de l’homme ? », in L. Boy, J.-B. Racine et F. Siiriainen (dir.), Droit économique et droits de l’homme, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 817.
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[86]
Le premier accord de ce type est l’Accord de partenariat économique entre les États du CARIFORUM, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé le 15 octobre 2008, http://www.crnm.org/index.php?option=com_docman&task=cat_ view&gid=122&Itemid=95. Cet accord contient aussi un chapitre sur la concurrence (art. 125 et s.) qui oblige les États des Caraïbes de prévoir une politique de la concurrence et une Commission de la concurrence des États du Marché commun des Caraïbes (CARICOM), laquelle vient d’être installée au Suriname.