Christophe JAMIN (sous la direction de), Droit et économie des contrats, Paris, LGDJ, coll. Droit & Économie, 2008.
1L’ouvrage Droit et économie des contrats, dirigé par le professeur Christophe Jamin, est rare dans le paysage de la doctrine française. Il contient la publication de conférences données en 2006 à la Cour de cassation et est le résultat d’un travail remarquable consistant, sur des thèmes précis, à solliciter à la fois un juriste et un économiste. Le croisement des deux approches est riche d’enseignements. Cela prouve que juristes et économistes ont naturellement des champs de recherche communs, mais également que leurs points de vue peuvent se confronter de manière constructive. Au sens large, c’est sur un dialogue entre le droit et l’économie que cet ouvrage repose (comme la collection qui l’accueille). Même si les lecteurs de la Revue internationale de droit économique sont habitués à un tel dialogue, il est relativement peu fréquent que des analyses croisées soient menées sur des thématiques communes. C’est le fait de juristes qui s’intéressent à l’économie et d’économistes qui s’intéressent au droit.
2À cet égard, il ne nous semble pas acceptable de stigmatiser l’économie du droit comme il est souvent de bon ton de le faire dans les universités françaises.
3Il existe plusieurs courants dans l’économie du droit, et tous ne sont pas portés à asservir le droit à la logique de l’efficience à tout prix et de la libéralisation forcenée. C’est au contraire un outil d’analyse très puissant permettant d’introduire un élément de critique, et donc d’évolution, du droit. La réflexion juridique peut se faire innovante, notamment au contact des sciences économiques, ce que l’ouvrage contribue à démontrer. De manière plus globale, les sciences économiques, à l’instar de la philosophie, de l’histoire ou de la sociologie, permettent d’ouvrir la réflexion au-delà de la stricte technique juridique. C’est aussi un enjeu stratégique : alors que le système économique est devenu dominant, il est indispensable d’insister sur les liens entre droit et économie, de manière à mettre en œuvre une analyse juridique de l’économie (comme il y a une analyse économique du droit). Le livre Droit et économie des contrats se coule avec bonheur dans ces différentes perspectives. L’ouvrage n’est pas dogmatique. Il ne se rattache à aucune chapelle. Il se veut au contraire pragmatique, contenant neuf thèmes sur lesquels juristes et économistes ont travaillé parallèlement ou en commun : la notion de contrat, la réticence dolosive, l’actualisation de la valeur, l’indétermination du prix, la clause pénale et les dommages et intérêts incitatifs, la rupture efficace du contrat, les contrats portant sur les organes humains, l’affaire Chronopost, et l’harmonisation du droit des contrats en Europe. On voit que les questions abordées sont très variées. Ce sont des éclairages qui nous sont donnés sur des problématiques sensibles portant sur la matière contractuelle. Les domaines traités sont, pour la plupart, très concrets. Ils partent de cas jurisprudentiels (par exemple, pour la détermination du prix ou les clauses limitatives de responsabilité). L’ouvrage évite l’écueil d’une trop grande théorisation des sujets abordés.
4Il n’est pas dans notre propos d’entrer dans le détail des différents enseignements que l’on peut tirer de la lecture des contributions. Disons simplement qu’ils sont nombreux. Ils sont d’ailleurs tout aussi intéressants lorsqu’il y a convergence ou, au contraire, divergence entre juristes et économistes. Certaines contributions bousculent les idées reçues, telles celles sur les contrats portant sur les organes humains (les droits de l’homme pouvant apparaître comme des alibis à la commercialisation de ces organes tandis qu’une analyse économique montre que cette commercialisation aurait potentiellement des effets bénéfiques en termes de santé publique). On ajoutera que les différents articles ne peuvent être regardés comme représentant la pensée du juriste et de l’économiste conçus abstraitement. Il s’agit bien plutôt à chaque fois de la vision d’un juriste et d’un économiste, tous deux exprimant une certaine part de subjectivité, inhérente à l’exercice, sur les thèmes traités.
5Le dialogue n’est pas en outre toujours facile. Sans verser dans la caricature, les juristes sont encore assez imprégnés de morale (même si cette notion n’est naturellement pas étrangère aux économistes). Une solution juridique ayant des effets anti-économiques peut donc être justifiable si elle est considérée comme moralement juste. De plus, les concepts économiques répondent à une logique propre. Il faut se familiariser avec les asymétries d’informations, les coûts de transaction, la rationalité limitée des agents, le dilemme du prisonnier, etc. Il y a parfois des ambiguïtés, la notion de contrat n’étant par exemple pas tout à fait la même en droit et en économie. Les économistes ont aussi un usage des mathématiques qui peut dérouter les juristes. Malgré ces difficultés, qui sont liées à la rencontre de deux disciplines différentes, l’ouvrage reste accessible aux juristes quant à la partie économique et, subodorons-le, aux économistes pour la partie juridique.
6Au-delà de ses aspects scientifiques, le livre dirigé par Christophe Jamin montre aussi que le droit français n’est pas forcément et systématiquement inadapté aux réalités économiques (contrairement aux idées véhiculées par certains rapports qui prônent la supériorité intrinsèque de la common law). Il n’en demeure pas moins que le droit français est porté à évoluer en profondeur. L’ouvrage a la bonne idée de se terminer sur la question de l’harmonisation du droit des contrats en Europe.
7Il va de soi, dans cette perspective, que l’évolution tant économique que politique pousse à européaniser le droit des contrats.
8On l’aura compris, l’ouvrage est d’une grande richesse. Il ne peut que séduire celles et ceux qui accordent de l’importance aux rapports entre droit et économie, c’est-à-dire à l’ensemble des abonnés et des lecteurs réguliers de cette revue.
9J.-B. RACINE Professeur à l’Université de Nice-Sophia Antipolis