Notes
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[1]
Maître de conférences, Centre d’économie de l’Université Paris Nord (Paris 13), gguennif@ seg. univ-paris13.fr.
-
[2]
Chargé d’enseignement, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, “Alternate Leader”, World Trade Institute de Berne ((www. wti. org),julien. chaisse@ wti. org.
-
[3]
En effet, les entreprises seraient constamment soumises à la menace de la copie de la part des concurrents. Aussi, en absence d’un « arrangement institutionnel » approprié, elles seraient peu enclines à financer des programmes de R&D, ce qui aurait pour effet de réduire le bien-être général, l’accès aux dernières innovations thérapeutiques étant compromis. Voy. Arrow K., « Economic Welfare and the Allocation of Resources for Invention », in Nelson R. (ed.), The Rate and Direction of Inventive Activity, Princeton University Press, 1962, pp. 609-625 ; Demsetz H., « Toward a Theory of Property Right », Vol. 57, Issue 2, American Economic Review, 1967, pp. 347-359.
-
[4]
Pour citer quelques exemples, le Royaume-Uni a introduit le brevet sur le médicament en 1949, la France en 1959 ou encore la Suisse en 1977. Se reporter à Remiche B. et Desterbecq H., « Les Brevets pharmaceutiques dans les Accords du GATT : l’enjeu ? », Revue Internationale de Droit Économique, 1996, n° 1, pp. 7-68 ; Mfuka C., « Accords ADPIC et brevets pharmaceutiques – Le difficile accès des pays en développement aux médicaments antisida », Revue d’Économie Industrielle, 2002, n° 99, pp. 191-214.
-
[5]
Braga C.A., « The Economics of Intellectual Property Rights and the GATT : a View from the South », 22(2), Vanderbilt Journal of Transnational Law, 1989, pp. 243-264 ; Boulet P. et Velasquez G., Mondialisation et accès aux médicaments : les implications des Accords ADPIC/OMC, Organisation mondiale de la Santé, 1999,143 p. ; Gervais D.J., « The TRIPs Agreement, Interpretation and Implementation », European Intellectual Property Review, 1999, n° 3, pp. 156-162.
-
[6]
Le cadre des négociations internationales en matière de propriété intellectuelle s’est ainsi déplacé de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), organisation technique spécialisée, vers l’OMC, dotée d’un mandat plus large, mais strictement et résolument mue par des considérations commerciales.
-
[7]
Le renforcement des DPI dans le monde s’opère au moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS), autre institution internationale, a initié un programme en faveur de l’accès des populations aux médicaments essentiels, ces médicaments permettant de traiter les maladies les plus prégnantes au Sud.
-
[8]
Il s’agit de Cipla, Ranbaxy, Hetero, Aurodindo ou encore Cadila.
-
[9]
Guennif S., AIDS in India : Public Heath Related Aspects of Industrial Policy and Intellectual Property Rights in a Developing Country, New Delhi, Centre de Sciences humaines (CSH), Occasional Paper n° 8, Rajdhani Press/CSH, 2004,179 p.
-
[10]
Un cocktail est un traitement composé de trois antirétroviraux qui se présente sous la forme d’une seule pilule à prendre deux à trois fois par jour. Ce traitement à dose fixe permet de réduire le nombre de pilules à prendre par jour, améliore significativement l’observance chez les patients et réduit sensiblement le risque de résistance. Cf. WHO (OMS), Antiretroviral Therapy for HIV Infection in Adults and Adolescents in Resource-limited Settings : Towards Universal Access. Recommendations for a Public Health Approach, revision, 2006,144 p.
-
[11]
Médecins Sans Frontières, Untangling the Web of Price Reductions : a Pricing Guide for the Purchase of ARVs for Developing Countries, 9th edition, July 2006,48 p.
-
[12]
Médecins sans Frontières, Untangling the Web of Price Reductions : a Pricing Guide for the Purchase of ARVs for Developing Countries, 8th edition, 2005,21 p.
-
[13]
Guennif S., AIDS in India…, op. cit. ; Guennif S. et Mfuka C., « Promesse et risque du renforcement du brevet au Sud. Transfert technologique, développement pharmaceutique et accès aux traitements », Cahiers de l’Association Tiers Monde, n° 20,2005, pp. 185-195.
-
[14]
Lalitha N., « Indian Pharmaceutical Industry in WTO Regime : a SWOT Analysis », August, 24, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 3542-3555.
-
[15]
Se reporter à Mittal D.K., Drugs and Pharmaceutical Industry, New Delhi, Anmol Publications Pvt. Ltd, 1993,255 p. ; Keayla B.K., « Patent Protection and the Pharmaceutical Industry », in Nair K.R.G. and Kumar A. (eds), Intellectual Property Rights, New Delhi, Allied Publishers Limited, 1995, pp. 151-164 ; Watal J., Intellectual Property Rights in the WTO and Developing Countries, Oxford University Press, 2001,248 p. ; Ramanna A., « Policy Implications of India’s Patent Reforms. Patent Applications in the Post-1995 Era », May, 25, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 2065-2075.
-
[16]
Lalitha N., « Drug Policy 2002 : Prescription for Symptoms », July, 27, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 3102-3104.
-
[17]
Singh S., Multinational Corporations and Indian Drug Industry, New Delhi, Criterion Publications, 1985,127 p. ; Felker G., Chaudhuri S., György K., Goldman M., The Pharmaceutical Industry in India and Hungary. Policies, Institutions and Technological Development, n° 392, Work in progress for public discussion, World Bank Technical Paper, The World Bank, 1997,46 p. ; Srinivasan S., « Drug Price Control. Who is in Charge ? », March, 24, Economic and Political Weekly, 2001, pp. 997-998 ; Organisation of Pharmaceutical Producers of India, Drug Prices Control Order – 95, OPPI, 2001,42 p. ; Kunnapallil P., Drudgery of Drug Price Controls : who Benefits, Center for Civil Society, Working Paper n° 27,2003,37 p.
-
[18]
Le prix des médicaments les plus essentiels sera fixé de manière à assurer une marge de 75 % par rapport aux divers coûts de production des entreprises. Pour les médicaments non essentiels, le taux de marge sera de 150 %. Par la suite, le système de contrôle des prix subira des modifications successives. Cf. Gross A., New Trends in India’s Pharmaceutical Market, Pacific bridge Inc., wwww. pacificbridgemedical.com, 1999 ; Govindaraj R. and Chellaraj G., The Indian Pharmaceutical Sector. Issues and Options for Health Sector Reform, World Bank Discussion Paper n° 437, The World Bank, 2002,59 p. ; Lalitha N., « Indian Pharmaceutical Industry in WTO regime… », op. cit. ; Lalitha N., « Drug Policy 2002… », op. cit.
-
[19]
En ce sens, Ghosh souligne que « the main objective of [the IPA] was to ensure that the benefits of technological development reached the people ». Voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », in Banerjee P., Chakraborty D., Sengupta D., Beyond the Transition Phase of World Trade Organisation – An Indian Perspective on Emerging Issues, New Delhi, Academic Foundation, 2006, p. 170.
-
[20]
Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry, Competitiveness of the Indian Pharmaceutical Industry in the New Patent Regime, March 2005,16 p. , wwww. ficci. com. Voy. Mittal D.K., Drugs and Pharmaceutical Industry, op. cit. Par ailleurs, le secteur occupe actuellement directement 250 000 personnes et indirectement 750 000. Voy. Felker G., Chaudhuri S., György K., Goldman M., The Pharmaceutical Industry in India and Hungary…, op. cit.
-
[21]
L’industrie indienne exporte beaucoup vers les marchés du Nord, spécialement vers les États-Unis où le médicament générique se développe beaucoup sous l’impulsion des pouvoirs publics qui cherchent à maîtriser les dépenses de santé. Voy. Indian Drug Manufacturers’ Association, Thirtyfourth Annual Publication, Bombay, 2001,123 p.
-
[22]
Lanjouw J. O., The Introduction of Pharmaceutical Product Patents in India : Heartless Exploitation of the Poor and Suffering, Center Discussion Paper n° 775, Economic Growth Center, Yale University, 1997,63 p.
-
[23]
Sampath P. G., Economic Aspects of Access to Medicines after 2005. Product Patent Protection and Emerging Firms Strategies in the Indian Pharmaceutical Industry, Institute for New Technologies, United Nations University, 2005,111 p.
-
[24]
Government of India, « Indian Drug Statistics », reproduit dans Prasad H. and Bhat S., « Strengthening India’s Patent System : Implications for Pharmaceutical Sector », Vol. 28, Issue 21, Economic and Political Weekly, 1993, p. 1037.
-
[25]
Les membres de l’OMC ne disposent plus d’outils discriminants favorisant l’accès aux techniques et aux médicaments. En ce sens, Shaffer G., « Recognizing Public Goods in WTO Dispute Settlement : Who Participates ? Who Decides ? The Case of TRIPs and Pharmaceutical Patent Protection », Volume 7, Issue 2, Journal of International Economic Law, 2004, pp. 459-482.
-
[26]
En outre, il peut être demandé au déposant de préciser les sources de tout matériel biologique impliqué dans l’invention. Il s’agit par ce biais de lutter contre le bio-piratage en s’assurant du respect des dispositions de la Convention sur la Diversité biologique (CDB) de 1992. Ce texte, proclamant la souveraineté des États sur leurs ressources nationales, vise à la préservation des savoirs traditionnels et de la diversité biologique. Le déposant doit alors être en mesure de prouver que le pays d’où provient ce matériel avait donné son consentement éclairé préalable dans le respect de la réglementation en vigueur dans cet État. Cela permet en outre de s’assurer de la mise en place d’un système juste et équitable de répartition des avantages et bénéfices issus de l’utilisation et de la commercialisation de ce matériel. Sur les problèmes d’articulation entre l’Accord ADPIC et la CDB de 1992, voy. Chapman A.R., « The Human Rights Implications of Intellectual Property Protection », Vol. 5, Issue 4, Journal of International Economic Law, 2002, pp. 861-882.
-
[27]
Pour un exposé général, voy. Yusuf A., « TRIPs : Background, Principles and General Provisions », in Correa C., Yusuf A., Intellectual Property and International Trade : The TRIPS Agreement, London, Kluwer Law International, 1998, pp. 3-20.
-
[28]
Les trois conditions sont cumulatives, comme l’a souligné le Groupe spécial réuni dans l’affaire Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits. En effet, chaque condition formule « une prescription distincte et indépendante à laquelle il faut se conformer. [À cet égard, s’il] n’est pas satisfait à l’une des trois conditions, le bénéfice de l’exception prévue à l’article 30 est refusé ». Voy. Rapport du Groupe spécial, Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits, WT/DS114/R, 17 mars 2000, para. 7.20. Le Groupe spécial définit chacune de ces conditions aux paragraphes 7.55,7.58 et 7.68.
-
[29]
Rapport du Groupe spécial, Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits, WT/ DS114/R, 17 mars 2000, para. 4.15.
-
[30]
L’« exemption Bolar » apparaît dans la législation des États-Unis en matière de brevets en 1984, à la suite de la décision de la Cour d’appel pour le Circuit fédéral dans Roche Products Inc. c. Bolar Pharmaceuticals Co. Inc. (733 F.2d 858 ; cert denied 221 USPQ 937 ; 469 US 856 (1984)). Dans cette affaire, un fabricant de génériques avait exploité une invention brevetée pour des essais de sa version et une demande d’autorisation de commercialisation d’un médicament breveté. Le tribunal avait décidé que « l’utilisation à des fins expérimentales » en vertu de la common law ne couvrait que l’expérimentation à des fins scientifiques et non commerciales et que les activités du fabricant de génériques constituaient donc une contrefaçon des brevets pertinents.
-
[31]
À l’instar de tous les ordres juridiques, l’OMC prévoit qu’en matière de protection des DPI, il doit être possible exceptionnellement de refuser la brevetabilité afin de protéger l’ordre public ou la moralité. L’article 27.2 prévoit que « les membres pourront exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes ou des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l’environnement ». La notion d’ordre public n’est cependant pas définie par l’Accord. Les membres de l’OMC disposent donc d’une marge de manœuvre pour servir leurs besoins propres. Ainsi, il est possible d’exclure de la brevetabilité certains médicaments pour des motifs liés à la santé publique. Cependant, l’exclusion ne serait envisageable que dans des circonstances exceptionnelles, soumises à une limitation dans la mesure où l’article ne vise que les inventions « dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale ». Dans tous les cas, un objet ne pourra pas être déclaré non brevetable si parallèlement sa distribution ou sa vente sur le territoire national est autorisée. Sur l’exception d’ordre public et de moralité, voy. United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, pp. 375 ss.
-
[32]
L’article 27.3a autorise les États membres à exclure de la brevetabilité « les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux ». Une telle exclusion est importante pour les PED dans la mesure où la brevetabilité de ces méthodes risque d’entraîner des conséquences en matière de santé publique et de réduire l’accès aux soins. D’une manière générale, dans l’hypothèse où la législation nationale ne prévoirait pas une telle exclusion, la demande de brevet pourrait être rejetée pour non-respect des critères de brevetabilité, spécialement du critère d’application industrielle. Restent toutefois brevetables les méthodes de fabrication des médicaments, les machines à diagnostiquer et à soigner, ou encore les tests de dépistage. Par ailleurs, selon les termes de l’article 27.3b, « les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques » peuvent être exclus de la brevetabilité. Ici, la latitude laissée aux États est limitée par l’obligation de breveter les micro-organismes. Or les inventions portant sur les micro-organismes sont courantes et utiles dans l’industrie pharmaceutique. Par exemple, une séquence chirurgicale ou un test médical nouveau peut être exclu de la brevetabilité en tant que méthodes diagnostique, thérapeutique ou chirurgicale. En revanche, les médicaments sont brevetables en tant que procédés microbiologiques (antibiotiques) ou simplement en tant que procédés chimiques utilisés à des fins thérapeutiques. Dans tous les cas de figure, ils ne sont pas considérés comme des méthodes thérapeutiques. Sur ce point, voy. Luff D., Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruxelles, Bruylant/Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 2004, note de bas de page n° 131, p. 706. Voy. également United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, op. cit., pp. 384 ss.
-
[33]
Comme le rappelle du reste l’épisode anthrax qui opposa les pouvoirs publics américains et la firme Bayer détentrice du brevet.
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[34]
Pour un examen juridique critique de la notion de licence obligatoire, voy. Matsushita M., Mavroidis P., Schoenbaum T., The World Trade Organization – Law, Practice, and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2003, pp. 418-420.
-
[35]
En ce sens, Sun H., « Reshaping the TRIPs Agreement Concerning Public Health : Two Critical Issues », Volume 37, Issue1, Journal of World Trade, 2003, pp. 171-172 et Luff D., Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce…, op. cit., p. 711.
-
[36]
La délivrance d’une licence obligatoire est possible sous certaines conditions pour s’assurer que les intérêts légitimes du détenteur de brevet ont été protégés. Notamment, il faut avoir au préalable tenté d’obtenir du détenteur une licence volontaire à des conditions commerciales raisonnables (article 31.b). Cependant, cet article prévoit qu’il n’est pas nécessaire de solliciter une licence volontaire en cas d’urgence nationale, dans des circonstances d’extrême urgence, d’utilisation publique à des fins non commerciales (ou utilisation par les pouvoirs publics), ou en cas de pratiques anticoncurrentielles. Sur ce point, voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », op. cit.
-
[37]
Sur cette notion, voy. United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, op. cit., pp. 475-476.
-
[38]
Dernièrement, dans le but de traiter des problèmes de santé publique en assurant l’accès à certains médicaments, la Thaïlande a délivré des licences obligatoires pour deux antirétroviraux et un anticoagulant utile dans le traitement des maladies cardio-vasculaires. Cela n’a pas manqué de susciter critiques et commentaires : les firmes multinationales condamnent cette violation de leurs droits et menacent de retirer les investissements directs étrangers ; la directrice de l’OMS soutient que le traitement d’une crise sanitaire passe plus sûrement par des négociations avec ces mêmes firmes. Voy. Rivière P., « La Thaïlande ose les génériques », Le Monde Diplomatique – La Valise Diplomatique, 3 février 2007 (http :// www. monde-diplomatique. fr).
-
[39]
Voy. Abbott F. M., « The TRIPs-legality of Measures Taken to Address Public Health Crises », in Kennedy D., Southwick J. (eds), The Political Economy of International Trade Law – Essays in Honor of Robert E. Hudec, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, pp. 330-332.
-
[40]
L’idée étant que le détenteur du brevet obtient rémunération et compensation pour les investissements consentis en recherche et développement lors de la première commercialisation de son médicament sur ce marché. Il n’est donc plus utile de restreindre le circuit ultérieur emprunté par le médicament en requérant le consentement du breveté. Voy. UNCTAD/ICTSD, Resource Book on TRIPS and Development : an Authoritative and Practical Guide to the TRIPS Agreement, UNC-TAD/ICTSD capacity building on IPRs, 2004, p. 93.
-
[41]
Ce système est notamment en vigueur aux États-Unis.
-
[42]
Face notamment à la position soutenue par l’industrie pharmaceutique selon laquelle l’Accord ADPIC dispose dans son article 28 d’indications quant au régime d’épuisement à mettre en place au sein de l’OMC, la Déclaration de Doha a dû revenir sur ce point en réaffirmant que chaque pays membre est libre de définir son régime d’épuisement sous respect des principes de traitement national et de traitement de la nation la plus favorisée. Voy. UNCTAD/ICTSD, Resource Book on TRIPS and Development…, op. cit., p. 106 ; Brook K., Arthritic Flexibilities : Analysis of WTO Action Regarding Paragraph 6 of the Doha Declaration on the TRIPS Agreement and Public Health, ExpressO Preprint Series, Working Paper No.108, December 2003,65 p.
-
[43]
Principes du traitement national et du traitement de la nation la plus favorisée.
-
[44]
Article 2 de la Déclaration sur l’Accord ADPIC et la santé publique adoptée le 14 novembre 2001 à Doha.
-
[45]
Déclaration de Doha, paragraphe 4.
-
[46]
Déclaration de Doha, paragraphes 5b et 5c.
-
[47]
Déclaration de Doha, paragraphe 6.
-
[48]
OMC, communiqué de presse du 30 août 2003.
-
[49]
Plus exactement, cette possibilité suppose que les législations des pays d’importation et de production~exportation des antirétroviraux soient favorables. Ainsi, pour que le Bostwana procède à des importations sous licence obligatoire depuis le territoire indien, il importe que le Botswana autorise les importations sous licence obligatoire et l’Inde les exportations sous licence obligatoire. D’où une difficulté majeure pour concilier les contraintes légales dans deux pays, celui qui entend traiter une urgence nationale et celui qui dispose de capacités industrielles pour produire le médicament essentiel.
-
[50]
À titre d’exemple, de telles procédures de contrôle des prix existent en France. Des négociations entre pouvoirs publics et firmes pharmaceutiques ont lieu pour fixer le prix des médicaments remboursables, le prix des médicaments non remboursables restant libre. Ensuite, ces négociations ont pour effet de fixer les profits maximum que pourra réaliser l’industrie et les modalités de reversements des excédents perçus.
-
[51]
Ramanna A., « Policy Implications of India’s Patent Reforms… », op. cit.
-
[52]
Kumar N., « India, Paris Convention and TRIPS », September, 5, Economic and Political Weekly, 1998, pp. 36-37.
-
[53]
Sur les champs matériel et temporel d’application de l’obligation, voy. Chaisse J., Ensuring the Conformity of National Law with World Trade Organisation Agreements – India as a Case Study, New Delhi, Centre de Sciences humaines (CSH), Occasional Paper No. 13, Rajdhani Press/CSH, 2005, pp. 12-17.
-
[54]
Des plaintes relatives au respect de l’Accord ADPIC pourraient éventuellement concerner des cas exceptionnels de non-violation, voy. Sun H., « Reshaping the TRIPs Agreement Concerning Public Health… », op. cit.
-
[55]
Si un revenu par habitant de 530 dollars classe l’Inde parmi les pays à bas revenu, il semble que le pays ait été desservi par sa forte démographie.
-
[56]
Pour une présentation des différentes affaires ayant impliqué l’Inde, voy. Chaisse J. and Chakraborty D., « Dispute Resolution in the World Trade Organisation – The Experience of India », in Banerjee P., Chakraborty D., Sengupta D. (eds), Beyond the Transition Phase of World Trade Organisation : An Indian Perspective on Emerging Issues, New Delhi, Academic Foundation, 2006, pp. 507-540.
-
[57]
Sur le processus de détermination de la conformité, voy. Chaisse J., Ensuring the Conformity of Domestic Law with World Trade Organization Law, Pan-Pacific Conference XXII, Pukyong National University (Korea), University of Nebraska – Lincoln (USA), Busan (Korea), 29-31. May, 2006,32 p.
-
[58]
Sur la contribution de l’ORD à la mise en conformité, voy. Chaisse J. and Chakraborty D., « Implementing WTO Rules through Negotiations and Sanction : The Role of Trade Policy Review Mechanism and Dispute Settlement System », 28(1), University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, 2007.
-
[59]
Sur l’utilisation des contre-mesures, voy. Anderson K., Pecularities of Retaliation in WTO Dispute Settlement, Adelaide, Discussion Paper No. 207, Centre for International Economic Studies/Adelaide University, 2002,34 p.
-
[60]
Certes, sur la base des pouvoirs conférés au Président de l’Inde par l’article 123 de la Constitution, une ordonnance (l’ordonnance de 1994 sur les brevets), visant à modifier la loi de 1970 sur les brevets, avait été promulguée afin de donner rapidement effet à l’Accord ADPIC. Cette ordonnance devait permettre de déposer et de traiter les demandes de brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture (comme l’exige l’article 70.8 ADPIC), et d’accorder des droits exclusifs de commercialisation pour les produits faisant l’objet de ces demandes (comme l’exige l’article 70.9 ADPIC). Mais cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, est devenue caduque le 26 mars 1995, puisque le droit constitutionnel indien prévoit que ce type de norme cesse d’être applicable six semaines après la reprise de la session parlementaire. De surcroît, le projet de loi de 1995 sur les brevets, censé donner un effet législatif permanent aux dispositions de l’ordonnance, n’a jamais été adopté. Voy. Jain M. P., Indian Constitutional Law, Volume 1 (Chapter I to XXVII), New Delhi, Wadhwa Nagpur, 2003,1 389 p.
-
[61]
Contrairement à l’Union européenne, la Communauté européenne dispose de la personnalité juridique. Dotée d’une personne morale de droit international public, elle a donc la capacité d’agir au sein de l’OMC.
-
[62]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/R, 5 septembre 1997 ; rapport de l’Organe d’appel, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/AB/R, 19 décembre 1997 ; rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998.
-
[63]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998, para. 7.41.
-
[64]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998, para. 7.30.
-
[65]
Rapport de l’Organe d’Appel, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/AB/R, 19 décembre 1997, para. 58 à 67.
-
[66]
Canal-Forgues E. et Flory T., Recueil des contentieux GATT/OMC (1948-1999), Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 761.
-
[67]
Ainsi que notifié à l’OMC par le gouvernement indien. Voy. Rapport de situation de l’Inde, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture – Addendum, WT/DS50/10/Add.4, WT/DS79/6,16 avril 1999.
-
[68]
Gazette of India, The Patents (Amendment) Act 1999,26. March, 1999, New Delhi.
-
[69]
Ibid., The Patents (Amendment) Act 2002,25. June, 2002.
-
[70]
Bhattacharya S.K., TRIPS, Indian Patent (Amendment) Act and India’s Agendas in the Next Ministerial Meeting at Mexico, Indian Institute of Public Administration, 2002,39 p. ; Keayla B.K., Trips Patent System : Core and Important Issues of Concern, National Working on Patent Law, Government of India, 2003,45 p.
-
[71]
WHO, Antiretroviral Therapy for HIV Infection…, op. cit. NdR Le traitement en première intention est le traitement qui est donné à un patient nouvellement diagnostiqué et donc n’ayant jamais été traité.
-
[72]
NdR L’observance des patients désigne la prise du traitement tel qu’il a été prescrit par les médecins aux patients.
-
[73]
Et sous la pression d’une partie de l’industrie pharmaceutique indienne et la vigilance de la société civile.
-
[74]
Gazette of India, The Patents (Amendment) Act, 2005,7. April, 2005, Section 11A, 18 p.
-
[75]
Ibid., Section 25.
-
[76]
Comme le résume le rapport du Comité Mashelkar (2006), rapport commandé par le ministère du Commerce et de l’Industrie et présenté au Parlement indien en décembre 2006 suite à l’amendement de la loi indienne sur le brevet en mars 2005, la position soutenue par Novartis consiste à affirmer que l’Accord ADPIC dispose qu’« un brevet pourra être obtenu pour toute invention » (article 27). À ce titre, selon Novartis, toute substance pharmaceutique, qu’il s’agisse d’une « nouvelle molécule chimique » ou d’une « nouvelle entité médicale », doit pouvoir jouir d’un brevet. En conséquence, toute législation visant à limiter l’octroi d’un brevet aux seules nouvelles molécules chimiques n’est pas conforme à l’Accord ADPIC. Le problème ici provient du fait que l’Accord ne définit pas le terme invention. Nulle part, il n’est fait usage des termes nouvelle molécule chimique ou nouvelle entité médicale, aussi l’interprétation préside en favorisant soit une interprétation étroite du terme innovation (innovation majeure couvrant les nouvelles molécules chimiques), soit large (innovation mineure couvrant également les nouvelles formulations, les nouvelles combinaisons ou encore les nouvelles indications thérapeutiques). Se reporter à Technical Expert Group on Patent Law Issues, Report of the Technical Expert Group on Patent Law Issues, December 2006,58 p. Disponible sur www. ipindia. nic. in/ ipr/ patent/ mashelkar_committee_report. doc.
-
[77]
Ibid., sections 90 et 92A.
-
[78]
Pour une présentation critique des stratégies possibles de l’Inde, voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », op. cit., pp. 200-203.
-
[79]
Kaul I., Grunberg I., Stern M. A., Global Public Goods : International Cooperation in the 21st Century, New York, UNDP, Oxford University Press, 1999,592 p. ; Organisation mondiale de la Santé, Macroéconomie et santé. Investir dans la santé pour le développement économique, Rapport de la Commission macroéconomie et santé, Genève, décembre, 2001,216 p. ; Maskus K.E. and Reichman J. H., International Public Goods and Transfer of Technology under a Globalized Intellectual Property Regime, Cambridge University Press, 2005,650 p.
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[80]
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1 INTRODUCTION
1Le brevet d’invention trouve son origine dans une communauté d’intérêts entre la société et l’inventeur. Pour l’une, il s’agit de garantir l’accès des individus à de nouvelles thérapies, sûres et efficaces, et d’obtenir la divulgation de l’invention pour promouvoir l’innovation. Pour l’autre, il importe d’obtenir un monopole d’exploitation sur le produit ou le procédé inventé pour pleinement recouvrer les ressources investies en recherche et développement lors de la mise au point. Ainsi, le brevet est défini comme une incitation essentielle à l’innovation dans un secteur où les entreprises sont exposées à des problèmes d’appropriation [3]. Ce compromis entre intérêts, sinon opposés du moins divergents, a toujours été au cœur des modifications apportées à la protection par la propriété intellectuelle dans les pays du Nord, depuis l’octroi de brevets sur les seuls procédés, pour assurer la diffusion de l’innovation et l’essor d’une industrie pharmaceutique performante, jusqu’à la concession de brevets sur les produits à partir des années 1950 [4].
2À partir des années 1980, le brevet a été soumis à de nouvelles modifications majeures. Sous la pression soutenue de l’industrie pharmaceutique, la durée du brevet a été allongée jusqu’à atteindre 20 ans dans les pays développés. On a assisté durant cette même période à un renforcement du brevet dans le monde, spécialement dans les pays du Sud [5], avec la ratification de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC) à Marrakech en avril 1994 [6]. En pratique, depuis le 1er janvier 1996, les pays développés ont mis leur législation nationale en conformité avec l’Accord ADPIC. En revanche, un moratoire de 20 ans a été accordé pour les pays les moins avancés. Ayant bénéficié d’un moratoire de 10 ans, les autres pays en développement et les pays en transition vers une économie de marché ont logiquement adapté leur législation sur le brevet pour la rendre conforme à l’Accord ADPIC depuis le 1er janvier 2006.
3À cette occasion, alors que les interrogations et les critiques perdurent, les premiers différends apparaissent. S’il est sans cesse rappelé aux pays en développement que l’Accord n’est pas incompatible avec des objectifs de développement industriel et de santé publique, les craintes et les protestations s’affirment de la part du Brésil, de l’Inde ou encore du « groupe africain » à l’OMC. Les flexibilités prévues par l’Accord ne semblent pas rassurer les pays du Sud.
4L’objet de cet article est justement d’éclairer les tenants et aboutissants d’un renforcement des systèmes de droits de propriété intellectuelle (DPI) au Sud en procédant à un examen précis de la trajectoire particulière mais exemplaire de l’Inde. Il s’agira d’analyser les choix industriel et sanitaire en Inde compte tenu du cadre réglementaire international contraignant au sein duquel cet État est tenu d’élaborer sa législation sur le brevet.
5Pour cerner au mieux l’enjeu de la ratification de l’Accord ADPIC au Sud, en général, et en Inde, en particulier, nous commencerons par établir que le choix du régime de propriété intellectuelle n’est pas un choix politique sans conséquence (2). Il reste au Nord comme au Sud un outil sous-tendant progrès industriel et sanitaire ; en témoigne l’essor d’une industrie pharmaceutique indienne performante qui est, depuis peu, à l’origine de l’amélioration sensible de l’accès des patients infectés par le VIH/Sida aux thérapies (3). Puis, nous verrons en quoi l’Accord ADPIC institue véritablement un régime de DPI contraignant qui entend au niveau mondial concilier protection de l’innovation et promotion de la santé publique en prévoyant des « exceptions » (4) [7]. Enfin, après avoir détaillé les réticences et les lenteurs indiennes en matière de mise en conformité de sa législation avec l’Accord ADPIC (5), nous décrirons la voie suivie par l’Inde pour poursuivre ses efforts sanitaires.
2 DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET PROMOTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE : L’IMPORTANCE DU RÉGIME DE PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
6Ces dernières années, en matière de promotion de la santé publique au Sud, une attention particulière a été portée sur l’accès des patients aux traitements antisida. Sur ce point, on a pu pleinement apprécier la contribution de l’industrie pharmaceutique indienne à l’amélioration sensible de l’accès aux antirétroviraux et saisir la pertinence du régime de DPI retenu.
2.1 Concurrence générique indienne et accessibilité des traitements antisida
7En Inde, la production d’antirétroviraux a commencé en 1991. À cette date, la société pharmaceutique indienne Cipla se lance prudemment dans la production des antirétroviraux les moins coûteux, ceux dont les contenus en principes actifs sont faibles et les procédés de fabrication sont les moins complexes. Une décennie plus tard, cinq firmes indiennes [8] sont impliquées dans la production d’antirétroviraux et plus d’une quinzaine de traitements (mono-, bi- et trithérapies) sont vendus dans le monde [9]. Aujourd’hui, de nouvelles firmes indiennes se sont lancées dans la production de traitements contre le VIH/Sida.
8L’entrée de ces fabricants de médicaments génériques sur le marché des antirétroviraux en 2001 a provoqué une baisse drastique du prix des traitements. Par exemple, le prix d’une thérapie combinant trois antirétroviraux recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme traitement de première intention dans les pays en développement a fortement baissé. Cette baisse a commencé avec l’annonce faite en février 2001 par Cipla de vendre sa trithérapie sous la forme d’un cocktail (le Triomune) à 350 dollars par an et par patient aux organisations non gouvernementales (ONG) [10]. À cette date, la trithérapie coûte 931 dollars sous princeps. Dès mars 2001, le prix de la trithérapie sous princeps tombe à 727 dollars.
9De surcroît, la concurrence entre les fabricants de médicaments génériques indiens provoque de nouvelles baisses de prix. Deux mois après l’annonce de Cipla, Hetero se lance dans la course et déclare vendre le même cocktail à 347 dollars aux ONG. Quelques mois plus tard, Ranbaxy fait une offre à son tour en fournissant le cocktail aux ONG pour 295 dollars. Depuis, les prix continuent de baisser [11]. L’année dernière, Hetero vendait sa trithérapie à 152 dollars, contre 562 dollars sous princeps. Au total, entre janvier 2001 et juin 2005, le prix de la trithérapie a chuté de 83 %. Indubitablement, la concurrence générique s’est révélée le plus sûr moyen de faire baisser le prix des traitements [12].
10Si l’on s’interroge sur les ressorts de la performance de l’industrie indienne, performance à l’origine notamment de progrès considérables en matière d’accès aux traitements antisida dans le monde, on trouve une politique du brevet souple, adoptée en 1970 [13].
2.2 Les ressorts institutionnels des progrès industriel et sanitaire indiens
11Au lendemain de l’indépendance, l’industrie pharmaceutique indienne balbutie et le pays reste fortement dépendant de l’offre extérieure de médicaments. Très vite, le régime de DPI est incriminé. L’Indian Patent Act amendé en 1911 institue un régime de DPI fort, qui autorise la délivrance de brevets à la fois sur les procédés et les produits pour une durée de 16 ans, période qui peut être prolongée de 10 années si le détenteur du brevet s’estime insuffisamment rémunéré pour son innovation [14]. Dès la fin des années 1940, les experts considèrent que le régime de DPI indien a échoué à stimuler l’innovation, le développement industriel et la promotion de l’intérêt général. En revanche, il a permis aux entreprises multinationales du Nord d’obtenir des positions de monopole et de pratiquer des prix prohibitifs [15].
12Aussi est-il recommandé d’instaurer un nouvel arrangement institutionnel : un régime de DPI plus souple et des mesures de fixation des prix plus justes (« fairselling price ») pour promouvoir le développement d’une industrie nationale capable d’assurer l’autosuffisance sanitaire du pays et d’améliorer l’accès aux médicaments.
13L’Indian Patent Act est amendé en 1970. Il prévoit que les brevets seront délivrés uniquement pour les procédés de fabrication pour une durée de 7 ans. Une entreprise pourra jouir d’un seul brevet pour un procédé [16]. Désormais, les médicaments seront donc exclus du champ du brevet. De plus, l’importation de produits pharmaceutiques ne permettra plus de valider l’exploitation effective d’un brevet : le détenteur du brevet disposera d’une période de 3 ans pour exercer ses droits sous la forme d’une production locale. Enfin, si, au bout de 3 ans, un médicament n’est toujours pas disponible dans des délais convenables ou à un prix raisonnable, le gouvernement pourra estimer que les besoins du public ne sont pas satisfaits et délivrer une licence obligatoire. Ce faisant, il autorisera une entreprise locale à produire une copie du médicament et à le commercialiser à un prix moindre.
14La même année, le Drug Price Control Orders (DPCO) est instauré [17]. Une liste des médicaments les plus essentiels, ceux dont les volumes de vente sont élevés, est éditée. Dorénavant, le prix de détail de ces médicaments sera régulé pour permettre aux firmes de couvrir le coût des matières premières, de formulation, d’emballage et de distribution, et finalement de percevoir un taux de marge suffisant [18].
15L’objectif de l’Indian Patent Act de 1970, aidé du DPCO, est de concilier diffusion de l’innovation dans le pays et satisfaction des besoins de la population en médicaments de qualité abordables [19]. Puisque seuls les procédés sont brevetables, il est à présent possible pour des entreprises nationales de copier les molécules mises au point par les entreprises multinationales du Nord en développant un nouveau procédé de fabrication, en innovant autour des molécules. Ainsi, sur la base de l’ingénierie inversée et de l’apprentissage par la copie, les entreprises commercialisent des génériques moins chers de médicaments brevetés à l’étranger par les entreprises multinationales du Nord.
16Entré en vigueur en 1972, ce nouveau régime de DPI a eu un effet considérable en moins de deux décennies. Tout d’abord, une industrie pharmaceutique nationale fragmentée s’est développée. Au début des années 1950, le secteur se composait de 1752 entreprises. Aujourd’hui, il en compte 20 000, dont 260 grandes unités [20]. En outre, la production pharmaceutique s’est grandement développée. La production de matières premières est passée de 180 millions de roupies à 60 milliards entre 1965 et 2003. Celle de médicaments a enregistré une croissance plus importante, passant de 1,5 milliard de roupies à la fin de la décennie 1960 à 230 milliards en 2003. Du coup, le secteur exporte avantageusement vers le reste du monde, tant les matières premières que les médicaments. Le dynamisme des exportations est tel que les déficits chroniques du secteur font place dès la fin des années 1980 à des excédents commerciaux. En 2003, l’excédent s’élevait à plus de 140 milliards de roupies [21]. En somme, inexistante au début des années 1970, l’industrie pharmaceutique indienne a crû à un rythme de 13,7 % par an, sur la période 1970-2003. Sa production s’élève actuellement à 8 milliards de dollars, ce qui la classe au 4e rang mondial en volume et au 13e rang en valeur.
17L’autosuffisance sanitaire du pays et l’accessibilité des médicaments se sont sensiblement améliorées. D’une part, l’industrie fabrique 70 % des matières premières et 80 % des médicaments disponibles sur le marché indien [22]. En 2003, la vente de médicaments s’élevait à 4,3 milliards de dollars sur le marché domestique, vente réalisée à 75 % par des firmes nationales [23]. D’autre part, la comparaison entre l’indice des prix pour les médicaments et l’indice des prix pour les autres biens sur la période 1961-1989 révèle les effets favorables du DPCO. Au début de la décennie 1960, on note 2 % d’inflation pour les médicaments, contre 3 % pour l’ensemble des biens. Puis, l’écart se creuse entre les deux indices : sur la période 1961-1989, l’indice des prix de l’ensemble des produits a crû de 676,6 %, contre 386,6 % pour les médicaments [24].
18Au total, c’est en assouplissant son système de DPI que l’Inde a soutenu l’essor d’une industrie pharmaceutique capable de produire des médicaments génériques plus abordables. Dernièrement, cette industrie a permis de tirer le prix des antirétroviraux vers le bas et d’améliorer grandement leur accessibilité. Pourtant, membre de l’OMC, l’Inde a dû procéder à une nouvelle modification de sa législation relative au brevet pour se conformer à l’Accord ADPIC.
3 LE RENFORCEMENT INTERNATIONAL DU RÉGIME DU DPI : LA BREVETABILITÉ SELON L’ACCORD ADPIC
19L’Accord ADPIC vise à atténuer les différences dans la manière dont les DPI sont protégés dans le monde en fixant un niveau de protection minimum de la propriété intellectuelle que chaque État membre de l’OMC doit garantir. L’Accord fixe ainsi les règles internationales communes minimales, indiquant principalement ce qui est brevetable, ce qui ne l’est pas et les limites opposables aux droits conférés par le brevet.
3.1 Les conditions de la brevetabilité
20L’Accord fixe la durée du brevet à un minimum de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet (article 33). En la matière, le standard des pays industrialisés a donc prévalu. De fait, la longueur des procédures administratives destinées à vérifier l’innocuité et l’efficacité des produits préalablement à l’autorisation de mise sur le marché entamait d’autant la durée effective du brevet. Entre le dépôt du brevet proprement dit et l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché, il s’écoulait quelques années qui réduisaient d’autant l’exploitation effective du monopole conféré par le brevet et entamaient finalement les profits censés couvrir les dépenses engagées en R&D par les firmes pharmaceutiques. À titre de compensation, les autorités américaines, d’un côté, et les autorités européennes, de l’autre, ont accordé une prorogation de la durée du brevet portée finalement à 20 ans.
21En matière de validité du brevet, l’article 27 commande qu’« il sera possible de jouir de droits de brevet sans discrimination quant au (…) fait que les produits sont importés ou sont d’origine nationale ». En d’autres termes, alors que la législation nationale de pays en développement comme l’Inde ou la Thaïlande prévoyait que seule la production nationale permettait de valider le brevet, dorénavant l’importation suffit [25].
22La question des conditions de la brevetabilité, ou autrement dit des critères (positifs et négatifs) de la brevetabilité, n’est pas simplement technique. Ces critères déterminent ce qui peut faire l’objet d’une appropriation privée et ce qui ne peut être accaparé et soustrait au libre usage. Ils formalisent et précisent la teneur du contrat social passé entre la collectivité et l’inventeur, que nous évoquions dès l’introduction de cet article.
23Le droit de l’OMC impose d’offrir une protection étendue à un brevet. En effet, selon l’article 27.1, les membres sont tenus d’offrir la protection conférée par un brevet pour toute invention, qu’il s’agisse d’un produit (un médicament) ou d’un procédé (une méthode de production des ingrédients chimiques entrant dans la composition d’un médicament). Alors que nombre de pays en développement ont opté pour le brevetage des seuls procédés, désormais ils devront accorder des brevets à la fois pour des procédés et des produits sous certaines conditions.
24Première condition, le procédé ou le produit doit faire preuve de nouveauté. L’Accord n’apporte aucune précision sur ce point. Cependant, il est généralement admis qu’est nouveau tout ce qui n’est pas inclus dans l’état antérieur de la technique. Donc est nouvelle toute invention inconnue, indépendamment du lieu et de l’époque considérés. Ainsi, la divulgation antérieure, entendue comme toute révélation, écrite ou orale, expresse ou implicite, y compris par le biais de l’usage, peut limiter le caractère novateur et exclure la brevetabilité d’un procédé ou d’un produit. De même, l’état de la technique peut englober les demandes de brevets antérieures non encore publiées et limiter la recevabilité d’une demande de brevet. Enfin, les connaissances des communautés locales, les savoirs traditionnels peuvent être inclus dans l’état de la technique et être à ce titre non brevetables.
25Deuxième condition, l’innovation doit être « inventive », ce qui correspond au critère de « non-évidence ». Il s’agit d’un filtre permettant de refuser l’octroi d’un monopole pour des procédés et produits ne relevant ni d’une intelligence ni d’une créativité particulières. L’activité inventive est généralement entendue comme réalisée si, pour l’homme du métier, l’invention ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique.
26Troisième condition, l’invention est « susceptible d’application industrielle ». Ici encore, l’Accord n’apporte que peu de précision sur ce point, laissant aux États une grande marge de manœuvre. Ce critère est généralement entendu comme le moyen de s’assurer que le monopole est octroyé uniquement pour des procédés ou des produits susceptibles d’entraîner la fabrication concrète d’un élément, de donner un résultat industriel.
27Quatrième et dernière condition, en plus d’être nouvelle et inventive, « les membres exigeront du déposant d’une demande de brevet qu’il divulgue l’invention d’une manière suffisamment claire et complète pour qu’une personne puisse l’exécuter, et pourront exiger de lui qu’il indique la meilleure manière d’exécuter l’invention connue de l’inventeur à la date du dépôt » (article 29) [26]. Ainsi, en échange d’un monopole temporaire, le demandeur rend publics des renseignements techniques qui permettront de faire progresser la technologie et garantissent qu’après l’expiration du brevet l’invention tombera réellement dans le domaine public. À expiration du brevet, il sera possible pour les professionnels du secteur de copier aisément le procédé ou le produit en question, sans avoir à faire preuve à leur tour de créativité. Simultanément, une divulgation claire et complète des caractéristiques du produit permettra de limiter l’étendue du brevet en prévenant les revendications excessives du demandeur, de façon à éviter l’octroi d’un monopole large susceptible de restreindre de façon excessive la concurrence.
3.2 Les exceptions à la protection conférée par un brevet
28Le droit de l’OMC envisage certaines situations qui justifient des limites et des exceptions aux droits conférés par le brevet [27]. De façon générale, l’article 30 de l’Accord ADPIC laisse aux États membres une certaine latitude pour ménager des « exceptions » aux droits du breveté. Il est toutefois impératif de veiller au respect de trois conditions : « les membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes des tiers » [28].
29Notons que l’article 30 couvre l’exception relative à la commercialisation de médicaments génériques, comme cela a été confirmé dans le rapport Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits [29]. Certains États autorisent les fabricants de médicaments génériques à utiliser l’invention brevetée pour obtenir une autorisation de mise sur le marché sans l’autorisation du titulaire du brevet et avant expiration de la période de protection conférée par le brevet. Ce dispositif permet aux fabricants de médicaments génériques de commercialiser leurs produits dès l’expiration du brevet. Cette disposition spécifique au secteur pharmaceutique est dénommée disposition « Bolar », en référence à une affaire portée devant la justice américaine [30].
30Mais de façon plus précise, les exceptions peuvent viser à protéger des intérêts non commerciaux [31], à exclure de la brevetabilité des méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales, des végétaux, des animaux et des procédés biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux [32] et enfin à permettre l’utilisation du brevet sans l’autorisation du détenteur du droit. C’est cette dernière hypothèse qui retiendra notre analyse dans la mesure où elle trouve un terrain d’application tout particulier dans le cas de l’Inde.
31L’article 31 de l’Accord ADPIC autorise, dans le respect de certaines conditions, des tiers à fabriquer un produit breveté ou à utiliser un procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet afin de poursuivre des objectifs d’intérêts publics. La plupart des pays développés et des pays en développement prévoient ainsi la concession de licences obligatoires dans leur législation [33]. Le recours aux licences obligatoires [34] se base sur l’article 31 de l’Accord ADPIC, consacré aux « autres utilisations sans autorisation du détenteur de droit ». L’article vise à trouver un équilibre entre le souci de promouvoir l’accès aux médicaments existants et celui de la protection/incitation à la R&D dans le domaine pharmaceutique [35]. En d’autres termes, l’intérêt est de créer, sous certaines conditions [36], un environnement plus concurrentiel sans toutefois ignorer les droits du titulaire de brevet, lequel devra bénéficier en tout état de cause d’une rémunération adéquate [37]. Les licences obligatoires revêtent une importance particulière pour les pays en développement qui font face à des épidémies comme celle du VIH/SIDA. Certains y voient un moyen de contrecarrer les effets négatifs des brevets sur les prix et l’accessibilité des médicaments, dans la mesure où ces licences permettent de réduire le prix des médicaments protégés par un brevet en vigueur, voire d’obtenir de la technologie [38].
32Néanmoins, quelques difficultés subsistent. Tout d’abord, le flou entourant la définition exacte de ces cas de figure et l’insécurité juridique qui en résulte ont incité les pays en développement à exiger une déclaration précise en la matière. Ensuite, les licences obligatoires sont normalement accordées principalement pour approvisionner le marché intérieur. Quid des pays en développement frappés par une urgence nationale ou victimes d’une pratique anticoncurrentielle n’ayant pas de capacités de production locales ?
33Par ailleurs, les importations parallèles permettent l’importation et la revente dans un pays, sans l’autorisation du titulaire du brevet, d’un produit breveté et commercialisé à l’étranger par le titulaire du brevet lui-même ou par une personne dûment autorisée. Cette mesure témoigne également d’un souci d’établir un équilibre entre le respect du monopole du breveté et le principe de libre circulation, permettant de créer un environnement aussi compétitif que possible. En pratique, si un médicament X est commercialisé dans les pays A et B et s’il l’est à un prix plus faible dans le pays A, alors le pays B sera tenté de l’importer depuis le pays A pour bénéficier d’un prix plus intéressant.
34Toutefois, le recours effectif aux importations parallèles dépend du principe d’épuisement des droits retenu par les États membres, qui peut être national, régional ou international [39]. Selon le principe d’épuisement national, les droits du titulaire du brevet sont considérés comme ayant rempli leur objet une fois que le breveté a commercialisé son produit sur un marché national. L’épuisement de ses droits intervient de sorte qu’il n’a plus aucun contrôle sur les ventes et surtout les reventes ultérieures de son produit sur ce marché national [40]. En revanche, il peut parfaitement s’opposer à l’importation de son produit depuis des pays tiers et interdire les importations parallèles sur ce marché national [41]. Sur une base régionale, il y a épuisement des droits à partir du moment où le produit est commercialisé au sein d’un marché régional. Ce mécanisme prévaut au sein du marché européen et autorise tout pays membre à importer un produit qui serait commercialisé à un prix plus faible sur le territoire d’un autre pays membre. Enfin, sur une base internationale, une fois que le détenteur du brevet accepte la commercialisation de son produit dans un pays, l’épuisement international de ses droits intervient : le détenteur du brevet ne peut interdire les importations de son produit et s’opposer à la volonté d’un pays de procéder à des importations dudit produit pour accéder à une source d’approvisionnement plus compétitive.
35Sur ce point, l’Accord ADPIC prévoit « qu’aucune disposition du présent accord ne sera utilisée pour traiter la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle » (article 6). En refusant d’arbitrer, l’OMC laisse donc toute latitude aux États membres pour légiférer [42]. Par conséquent, si un pays autorise des importations parallèles selon des modalités qui enfreignent l’Accord, l’affaire ne peut être portée devant l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC, sauf si les principes fondamentaux de la non-discrimination sont en cause en vertu de l’article 6 de l’Accord [43].
36Au terme de cette brève présentation, on constate que, si l’Accord ADPIC renforce largement la protection du brevet, il laisse toutefois à la discrétion des États des instruments relativement importants quant à la mise en œuvre de la protection. Ils doivent en particulier définir ce qu’est une urgence nationale ou choisir le principe d’épuisement des droits retenu.
3.3 Les nouvelles perspectives ouvertes par la Déclaration ministérielle de Doha
37Compte tenu des difficultés rencontrées par les pays en développement pour recourir de façon effective aux flexibilités prévues par l’Accord ADPIC, les membres de l’OMC ont tout d’abord réaffirmé à Doha leur attachement au principe de la protection des DPI comme moteur de l’innovation : « Nous reconnaissons que la protection de la propriété intellectuelle est importante pour le développement de nouveaux médicaments. » [44] Puis, ils ont réaffirmé la soumission du principe de protection des DPI au principe de santé publique : « Nous convenons que l’Accord sur les ADPIC n’empêche et ne devrait pas empêcher les membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique (…) En conséquence ledit accord peut et devrait être interprété et mis en œuvre d’une manière qui appuie le droit des membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments. » [45]
38En ce sens, ont été réaffirmées les possibilités offertes aux membres de l’OMC de recourir aux importations parallèles et aux licences obligatoires en cas d’urgence nationale, et de définir en toute discrétion ce qui « constitue une situation d’urgence nationale » [46]. D’une part, il appartient aux membres de statuer en toute liberté sur le principe d’épuisement des droits (paragraphe 5d), ce qui conditionnera la possibilité pratique de recourir aux importations parallèles sur une base régionale ou mondiale. D’autre part, aux objections formulées par les pays africains qui ne peuvent recourir aux licences obligatoires faute de capacités de production suffisantes sur leur territoire, la conférence ministérielle de l’OMC organisée à Doha a commandé aux États membres de trouver une solution avant la fin 2002 [47].
39C’est en août 2003, quelques mois avant le sommet de Cancun, qu’un accord a été trouvé [48]. Celui-ci prévoit une flexibilité additionnelle : la possibilité pour les États membres d’importer des médicaments sous licence obligatoire. Ainsi, un pays comme le Botswana pourra parfaitement délivrer une licence obligatoire et demander à une entreprise installée dans un pays tiers (où les brevets seront éventuellement reconnus) de procéder à la production de médicaments et de les exporter vers son territoire pour lui permettre de traiter une urgence nationale telle que l’épidémie du VIH/SIDA [49]. La déclaration du Président du Conseil général de l’OMC indique une série d’engagements destinés à éviter des abus éventuels et engageant les pays à utiliser de « bonne foi » le mécanisme mis en place. Cette déclaration a pour but de rassurer les États-Unis sur un usage injustifié de la notion d’urgence nationale destinée à couvrir en pratique des intérêts commerciaux. De même, les licences obligatoires délivrées par l’État membre exportateur énonceront une série de conditions strictes : volume déterminé de production, identification sans équivoque des produits, notification de ces conditions et du pays de destination, et rémunération adéquate du détenteur du brevet, comme le prévoit l’article 31h de l’Accord ADPIC.
40Ajoutons enfin qu’en matière d’accessibilité des traitements, il existe une autre marge de manœuvre pour les pays en développement en général, et pour l’Inde en particulier. Rien dans l’Accord ADPIC n’interdit aux membres de l’OMC de prendre des mesures institutionnelles en faveur du contrôle des prix dès lors que les principes de traitement national et de la nation la plus favorisée sont parfaitement respectés [50].
41On soulignera à ce point de l’analyse que, si l’Accord ADPIC contribue principalement à un renforcement de la protection des DPI, les membres de l’OMC se voient ménager certaines marges de manœuvre. Toutefois, le recours, tant aux flexibilités contenues dans l’Accord qu’à des mesures de contrôle efficace des prix, suppose une volonté politique forte de la part des pouvoirs publics dans les pays en développement, c’est-à-dire plus une capacité économique à résister aux pressions commerciales émanant des pays du Nord.
4 LA MISE EN CONFORMITÉ DU DROIT INDIEN AU DROIT OMC : L’INERTIE PUIS LE PRAGMATISME
42La mise en conformité de la législation indienne avec l’Accord ADPIC constitue de fait un renforcement du régime de DPI indien. Le pays peut donc craindre légitimement que ce nouveau renforcement ne vienne entamer les progrès industriel et sanitaire réalisés. Pourtant, la volonté politique indienne est vive, comme en témoigne un cheminement a priori erratique vers un amendement tardif et judicieux de sa législation sur le brevet.
4.1 L’inertie indienne dans l’adaptation de la législation nationale sur le brevet
43À la suite de la ratification des accords de l’OMC, l’Inde n’a pas modifié immédiatement son système de DPI. Au contraire, on observe alors une inertie qui tient essentiellement à l’opposition des acteurs industriels, qui tirent profit du système de DPI souple hérité de l’Indian Patent Act de 1970. Cette inertie se traduit par l’introduction d’un projet de législation dès mars 1995 pour amender l’Indian Patent Act de 1970, dont l’approbation sera refusée par le Parlement et qui sera de ce fait renvoyé en commission.
44Ce n’est en réalité qu’à partir de 1998 qu’on perçoit des changements notables. À cette date, les principaux partis politiques affûtent leurs positions en matière de protection intellectuelle. L’Indian National Congress (Parti du Congrès) devient favorable à une modification du régime de DPI. Cette évolution apparaît comme un prolongement de la politique de libéralisation amorcée en 1991 par ce même Parti du Congrès [51]. De leur côté, arrivés au pouvoir en 1998, les nationalistes du Bharatiya Janata Party (BJP) se déclarent également enclins à l’adoption d’un régime de DPI plus fort.
45Parallèlement, les lobbies s’organisent. La Confederation of Indian Industry avance que la réforme du système de DPI permettra d’attirer des investissements directs étrangers et d’accéder aux nouvelles technologies, éléments nécessaires d’une gestion moderne et professionnelle de l’industrie indienne. La Federation of Indian Chambers of Industry and Commerce crée l’International Institute of Intellectual Property Development en 1997 qui fait campagne avec le slogan « breveter ou périr ». À l’image du Council of Scientific and Industrial Research, les organismes scientifiques publics voient d’un bon œil la possibilité qui leur est offerte de breveter les connaissances qu’ils développent.
46Premier signe d’une modification effective de la loi sur le brevet, l’Inde signe la Convention de Paris le 8 décembre 1998 et ratifie le Traité de coopération sur les brevets [52]. En 1998, le BJP introduit une motion en vue de modifier la loi sur le brevet sous pression de l’OMC. En effet, il faut ici souligner que les règles internationales en matière de propriété intellectuelle contenues dans l’Accord ADPIC bénéficient, à l’instar de l’ensemble des règles de l’OMC, d’une effectivité forte et transforment les espaces normatifs nationaux.
47L’article XVI :4 de l’accord instituant l’OMC énonce que « chaque Membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec ses obligations telles qu’elles sont énoncées dans les accords figurant en annexe ». L’Inde est donc tenue de respecter cette « obligation fondamentale de nature générale » et d’élaborer, supprimer ou modifier toute disposition interne [53] qui pourrait constituer une violation des règles contenues dans les accords de l’OMC [54]. Précisément, l’Accord prévoit un moratoire pour les pays du Sud. Pour les pays les moins avancés, la ratification de l’Accord devra intervenir avant le 1er janvier 2016. Pour les autres pays en développement, celle-ci devra intervenir avant le 1er janvier 2005. Toutefois, premier point important, malgré ses revendications, l’Inde a été classée parmi les autres pays en développement [55]. En tout état de cause, le pays devait donc à partir de 2005 avoir adapté sa législation sur le brevet pour se conformer aux dispositions de l’Accord ADPIC.
48Si l’Inde ne modifie pas son droit interne pour le rendre conforme aux dispositions contenues notamment dans l’Accord ADPIC, toute mesure indienne particulière pourra être contestée devant l’ORD [56]. Tout membre pourra considérer que l’un des avantages résultant directement ou indirectement d’un ou plusieurs accords de l’OMC se trouve annulé ou compromis, ou que la réalisation de l’un des objectifs du ou des accords invoqués est entravée. L’ORD intervient ainsi dans le système OMC pour rappeler, à travers un rapport, obligatoire dans tous ses éléments, pour les parties au litige, au membre concerné qu’il a failli à ses obligations contenues dans les accords OMC [57]. L’ORD contribue ainsi à assurer une efficacité forte aux règles contenues dans l’Accord ADPIC [58], d’autant qu’en dernier recours il peut donner le droit au membre lésé d’adopter des contre-mesures [59].
49L’Inde s’est ainsi vue rappeler l’obligation d’exécuter les règles contenues dans l’Accord ADPIC. Si l’amendement de l’Indian Patent Act en 1970 n’accordait pas de protection par le brevet pour les produits pharmaceutiques à la date d’entrée en vigueur de l’Accord ADPIC [60], l’article 70.8 de l’Accord énonce néanmoins l’obligation de mettre en place un moyen de déposer des demandes de brevet pour de telles inventions dans une « boîte aux lettres » (« mail box application »). Sur ce point précis, l’ORD a condamné l’Inde à la suite de plaintes émanant de la Communauté européenne [61] et des États-Unis [62]. Le Groupe spécial constitué dans cette affaire a constaté que l’Inde n’avait pas rempli ses obligations au titre des articles 70.8 et 70.9 de l’Accord ADPIC. Autrement dit, l’Inde avait le droit, en vertu des dispositions transitoires des paragraphes 1,2 et 4 de l’article 65, de différer l’application de l’article 27 concernant les brevets pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques dans l’agriculture jusqu’au 1er janvier 2005. Mais elle avait aussi pour obligation de prévoir la mise en place d’une boîte aux lettres. Or, selon le Groupe spécial, « l’absence de sécurité juridique dans le fonctionnement du système de boîte aux lettres en Inde [était] telle que le système ne [permettait] pas de manière appropriée d’atteindre l’objet et le but de l’article 70.8 et de protéger les attentes légitimes qui en découlent pour les inventeurs de produits pharmaceutiques et de produits chimiques pour l’agriculture » [63]. Le Groupe spécial a renforcé son argument en soulignant le caractère fondamental d’un tel principe. En effet, « la prévisibilité en ce qui concerne le régime de la propriété intellectuelle est essentielle pour les ressortissants des Membres de l’OMC lorsqu’ils prennent des décisions en matière de commerce et d’investissement dans le cadre de leurs opérations commerciales » [64].
50Par ailleurs, l’Inde ne s’était pas non plus acquittée de ses obligations au titre de l’article 70.9 de l’Accord ADPIC parce qu’elle n’avait pas établi un système d’octroi de droits exclusifs de commercialisation. L’Inde a fait appel, mais l’Organe d’appel a confirmé, en les modifiant [65], les constatations du Groupe spécial relatives aux paragraphes 8 et 9 de l’article 70. L’Organe d’appel a précisé que les membres « ne sont pas obligés de garantir que les demandes de brevets déposées dans la boîte aux lettres ne seront pas rejetées ou invalidées parce qu’antérieures à l’entrée en vigueur de toute législation, mais simplement d’établir un mécanisme juridique suivant le système de la boîte aux lettres » [66].
51Ainsi, le gouvernement indien a dû mettre en œuvre les recommandations de l’ORD relatives aux obligations des articles 70.8 et 70.9 ADPIC en transformant son droit national. En 1999, un premier amendement de la loi sur le brevet de 1970 est adopté pour satisfaire pleinement aux exigences de conformité rappelées par l’ORD [67]. Il autorise le brevetage des produits dans les secteurs de l’agrochimie et de la pharmacie. Les demandes de brevets sont donc déposables dans une boîte aux lettres, comme l’exige l’Accord ADPIC [68]. Les demandes seront examinées en 2004 pour être finalement satisfaites en 2005. Seules les molécules découvertes et ayant fait l’objet d’un dépôt de brevet dans un pays membre de l’OMC après 1995, date d’entrée en vigueur de l’Accord ADPIC, sont brevetables. Aussi, les pays devront s’assurer que les demandes déposées concernent bien des médicaments découverts après cette date. En outre, comme le prévoit l’Accord ADPIC, durant la période de transition, des droits de commercialisation exclusifs pourront être accordés pour 5 ans aux entreprises qui en font la demande.
52Puis, au-delà des pressions multilatérales exercées par l’OMC et des décisions rendues par l’ORD, l’Inde est placée, en mai 2001, sous la Special 301 Priority Watch List. Il s’agit d’un instrument utilisé par les États-Unis pour exercer des pressions commerciales unilatérales sur les pays qui portent atteinte à leurs intérêts économiques en adoptant des mesures protectionnistes ou en n’opérant pas une modification souhaitable de leur régime de DPI. Dès 2002, un nouvel amendement de la législation est adopté [69]. Il y est question entre autres de précisions relatives à la définition du terme « invention », des éléments non brevetables, du droit du détenteur du brevet, des licences obligatoires ou encore des importations parallèles [70].
53En somme, à l’inertie indienne d’abord constatée succède très vite une pression forte émanant de l’OMC et de certains partenaires commerciaux comme les États-Unis. La conséquence en sera une offensive indienne matérialisée par un amendement judicieux de sa loi sur le brevet.
4.2 Un amendement judicieux de la loi indienne sur le brevet
54Ayant pu pleinement apprécier dans une période antérieure les effets préjudiciables d’un régime de DPI contraignant pour le développement socio-économique et la santé publique, l’Inde entend cette fois-ci concilier protection du brevet et promotion de la santé publique. Pour cela, elle a procédé en 2005 à un amendement plus avisé de sa loi sur le brevet pour faciliter notamment l’accès des patients aux médicaments essentiels, tels les antirétroviraux.
55En effet, pour illustrer les difficultés à attendre de ce nouveau renforcement du régime de la propriété intellectuelle, on peut rappeler que dernièrement l’OMS a changé ses recommandations concernant les traitements en première intention à administrer aux patients atteints du VIH/Sida [71]. Désormais, l’Emtricitabine et le Tenofovir composent les traitements de première intention recommandés dans les pays du Sud. Ces deux antirétroviraux ont été brevetés après 1995 et les brevets expireront respectivement en 2015 et 2018. Comme le prévoit l’Accord ADPIC, ces médicaments sont brevetables dans les pays en développement membres de l’OMC, si par ailleurs la période de transition le permet.
56En Inde, cette période s’est achevée au 1er janvier 2006 et les firmes attendent les décisions des contrôleurs concernant les demandes de brevet déposées dans la boîte aux lettres. Dès qu’un brevet sera accordé, les firmes indiennes n’auront plus la possibilité de produire une copie du médicament protégé et de fournir des médicaments moins chers aux autorités publiques, aux ONG et aux patients en Inde et dans le monde. L’enjeu est prodigieux lorsque l’on sait que les deux antirétroviraux précités font partie des combinaisons à doses fixes recommandées par l’OMS pour améliorer l’observance des patients et réduire les risques de résistance [72]. Autrement dit, ce n’est pas simplement le Tenofovir ou l’Emtricitabine qui risquent de devenir inabordables en Inde et dans d’autres pays en développement, mais également les combinaisons composées de l’un ou l’autre de ces antirétroviraux.
57Consciente de ces risques pour la santé publique [73], la loi indienne sur le brevet prévoit depuis janvier 2005 que les firmes domestiques, qui ont réalisé des investissements significatifs pour produire et commercialiser des médicaments avant l’entrée en vigueur de l’Accord ADPIC au 1er janvier 2006, pourront être autorisées à poursuivre la production et la commercialisation de ces génériques. Elles devront en échange verser une redevance raisonnable à tout nouveau détenteur du brevet [74].
58Ensuite, l’Inde a opté pour une limitation de l’étendue du brevet en restreignent les critères de brevetabilité. Explicitement, la section 3 de l’Amendment Act de 2005 prévoit que « la simple découverte d’une forme nouvelle d’une substance connue qui ne résulte pas d’une amélioration de l’efficacité connue de cette substance ou la simple découverte d’une nouvelle propriété ou nouvel usage pour une substance connue ou le simple usage d’un procédé connu, de machines ou de dispositifs connus sera considéré comme la même substance, à moins qu’ils ne diffèrent de façon significative dans ses propriétés en considération de son efficacité ». De cette façon, les nouveaux usages ou nouvelles indications thérapeutiques d’un médicament déjà connu ne seront pas brevetables.
59En outre, une procédure d’opposition intervenant avant l’octroi d’un brevet a été mise en place [75]. Sur la base de ces deux dispositions, la demande de brevet déposée par Novartis pour son Gleevec, traitement contre la leucémie, a été refusée en 2005. Les autorités indiennes ont jugé que le Gleevec n’était pas un nouveau médicament mais la forme nouvelle d’un médicament déjà connu. Actuellement, Novartis conteste cette décision en faisant valoir que la loi sur le brevet indienne, précisément les critères de brevetabilité retenus, ne sont pas conformes aux dispositions prévues par l’Accord ADPIC [76].
60De même, plusieurs ONG ont fait opposition à la demande de brevet déposée par Gilead pour son Tenofovir. L’opposition est motivée par le caractère novateur discutable de ce médicament. En contestant la demande de brevet, les ONG entendent prévenir toute entrave à l’accès à ce médicament vital. Plus tôt, une opposition avait été déposée contre la demande de brevet de GlaxoSmithKline pour son Combivir, un cocktail antisida. Depuis, Gilead a annoncé son intention de céder des licences volontaires aux producteurs indiens pour le Tenofovir dès qu’elle aura obtenu un brevet en Inde.
61Par ailleurs, l’Inde a amendé sa loi sur le brevet de façon à autoriser les exportations de médicaments sous licence obligatoire [77]. Ainsi, les firmes indiennes devraient pouvoir produire des médicaments brevetés et exporter des génériques moins chers vers les pays africains par exemple, sous réserve de satisfaire aux autres conditions réglementaires définies à Doha.
62En somme, consciente de ses obligations en tant que membre de l’OMC, l’Inde amende actuellement sa loi sur le brevet d’une façon qui lui permette de promouvoir la santé publique. Ce faisant, elle tire profit de toutes les flexibilités indiscutables offertes par l’Accord ADPIC [78], principalement en favorisant une interprétation étroite des critères de brevetabilité.
5 CONCLUSION
63Le système de DPI adopté par tout État est fondamentalement un outil qui s’efforce d’organiser à la fois l’essor d’une industrie pharmaceutique nationale et l’accès aux médicaments. De ce point de vue, l’expérience indienne montre que c’est précisément grâce à l’assouplissement de son régime de DPI que le pays favorisa le développement de son industrie nationale, assurant simultanément une meilleure accessibilité des médicaments. Le processus de globalisation ne néglige aucun secteur ; ce faisant les médicaments ont également à subir l’influence d’un nouveau cadre juridique mis en place au sein de l’OMC.
64Face à ce nouveau cadre, qui constitue un renforcement du régime juridique du brevet dans le monde, l’Inde observe la remise en cause des avancées de son industrie et corrélativement de l’accès des patients aux médicaments. La problématique de l’autosuffisance sanitaire refait surface avec la crainte pour l’Inde de devenir à nouveau tributaire des productions étrangères, elles-mêmes renforcées par les garanties octroyées au niveau international. C’est tout le sens de la position de certains pays du Sud qui veulent voir reconnaître au sein de l’OMC la priorité donnée aux soins des malades plutôt qu’aux producteurs de médicaments. En d’autres termes, ces pays militent pour une mise en valeur plus évidente et plus effective de la logique de l’OMS, celle qui pour ce nouveau millénaire prône l’accès aux soins pour tous et la reconnaissance de la santé comme bien public mondial [79].
65Certes, la Déclaration de Doha met en évidence le droit à la santé et l’accès aux traitements, mais les règles internationales telles qu’elles existent aujourd’hui privilégient encore nettement les productions des pays développés au détriment des pays pauvres. Cela fait donc tout l’intérêt de la position des pays du Sud, et en particulier de l’Inde, engagés dans de nouvelles négociations internationales pour parvenir à un meilleur équilibre entre l’impérieux besoin de garantir aux populations les plus défavorisées un accès aussi satisfaisant que possible aux médicaments, notamment pour lutter contre les épidémies, et la prise en compte des exigences financières auxquelles font face les industries du médicament. En tout état de cause, cette problématique s’est déplacée d’un cadre national à un cadre international.
66Mais tandis que des débats animés accompagnent la mise en place progressive de l’Accord ADPIC dans les pays du Sud et qu’un intérêt certain s’exprime, invitant ces pays à amender leur loi sur le brevet de façon à tirer le meilleur parti des flexibilités prévues par l’Accord ADPIC, il semble qu’une autre tendance majeure se dessine : la multiplication des accords « ADPIC plus ». L’attention doit désormais se porter sur la stratégie suivie par les États-Unis qui, loin du multilatéralisme prôné par l’OMC, négocient depuis cinq ans des accords de libre-échange avec les pays en développement qui vont sans surprise bien au-delà des standards minimum établis par l’Accord ADPIC. Des accords bilatéraux et régionaux ont été notamment passés avec la Jordanie, le Chili, le Maroc ou en Amérique centrale. D’autres sont en négociation avec le Panama, la Thaïlande, l’Union douanière du continent sudafricain ou les pays andins. En outre, cette tendance à négocier des accords pour promouvoir le commerce et la protection des DPI en dehors du cadre multilatéral de l’OMC sera sans doute confirmée, voire renforcée, par la suspension des négociations commerciales depuis le 27 juillet 2006, suite à l’échec des efforts déployés pour résoudre les différends portant sur le volet agricole.
67Les accords de libre-échange sont beaucoup plus offensifs en matière de protection des DPI dans le monde et pourraient entrer en conflit, de façon dramatique, avec les impératifs économique et sanitaire des pays du Sud. De fait, profitant du caractère ambigu de dispositions contenues dans l’Accord ADPIC, le contenu de ces accords peut miner le recours pratique aux flexibilités prévues par l’Accord, empêcher la fourniture de médicaments génériques et finalement menacer l’accès à des traitements plus abordables dans les pays en développement. Plus précisément, profitant du flou entourant la définition des critères de brevetabilité dans l’Accord ADPIC, une volonté s’affirme pour élargir l’étendue des brevets, de telle sorte que les nouvelles formes et nouvelles indications thérapeutiques puissent être brevetées. De même, œuvrant sur une disposition large de l’Accord ADPIC qui prévoit simplement une protection des données cliniques contre « tout usage commercial déloyal » (article 39-3), les accords de libre-échange commandent une protection de ces données pour 5, voire 10 ans. Cette protection retardera d’autant le moment où les fabricants de médicaments génériques pourront utiliser ces données, fournies par les entreprises multinationales du Nord lors de la première demande d’autorisation de mise sur le marché, pour soumettre leur propre dossier de commercialisation d’une copie. Enfin, les dispositions gouvernant l’utilisation des licences obligatoires et importations parallèles s’avèrent beaucoup plus restrictives que celles contenues dans l’Accord ADPIC. Concernant notamment le recours aux importations parallèles, l’épuisement régional, voire national, des droits est systématiquement privilégié dans le cadre respectivement d’accords régionaux et bilatéraux. En résumé, ces accords de libre-échange pourraient bien renforcer de manière plus que raisonnable l’intérêt des entreprises multinationales du Nord, en assurant la protection et l’extension de leurs positions de monopole au Sud [80].
68En somme, si le plus sûr moyen d’assurer l’accès des patients aux traitements reste, à ce jour, l’instauration d’un régime de DPI souple, comme en atteste la trajectoire indienne, l’enjeu est désormais autre pour les pays en développement. Il est de mettre en place un régime de DPI le moins contraignant possible en évitant les surenchères, dues aux pressions commerciales et/ou à la ratification d’un accord de libre-échange, autour des dispositions minimales prévues par l’Accord ADPIC.
69Subject Descriptors (Econlit Classification System) : E390, F130, H410, I180, L650, O340.
Mots-clés éditeurs : OMC, médicament, Inde, ADPIC, brevet
Mise en ligne 01/07/2007
https://doi.org/10.3917/ride.212.0185Notes
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[1]
Maître de conférences, Centre d’économie de l’Université Paris Nord (Paris 13), gguennif@ seg. univ-paris13.fr.
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[2]
Chargé d’enseignement, Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, “Alternate Leader”, World Trade Institute de Berne ((www. wti. org),julien. chaisse@ wti. org.
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[3]
En effet, les entreprises seraient constamment soumises à la menace de la copie de la part des concurrents. Aussi, en absence d’un « arrangement institutionnel » approprié, elles seraient peu enclines à financer des programmes de R&D, ce qui aurait pour effet de réduire le bien-être général, l’accès aux dernières innovations thérapeutiques étant compromis. Voy. Arrow K., « Economic Welfare and the Allocation of Resources for Invention », in Nelson R. (ed.), The Rate and Direction of Inventive Activity, Princeton University Press, 1962, pp. 609-625 ; Demsetz H., « Toward a Theory of Property Right », Vol. 57, Issue 2, American Economic Review, 1967, pp. 347-359.
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[4]
Pour citer quelques exemples, le Royaume-Uni a introduit le brevet sur le médicament en 1949, la France en 1959 ou encore la Suisse en 1977. Se reporter à Remiche B. et Desterbecq H., « Les Brevets pharmaceutiques dans les Accords du GATT : l’enjeu ? », Revue Internationale de Droit Économique, 1996, n° 1, pp. 7-68 ; Mfuka C., « Accords ADPIC et brevets pharmaceutiques – Le difficile accès des pays en développement aux médicaments antisida », Revue d’Économie Industrielle, 2002, n° 99, pp. 191-214.
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[5]
Braga C.A., « The Economics of Intellectual Property Rights and the GATT : a View from the South », 22(2), Vanderbilt Journal of Transnational Law, 1989, pp. 243-264 ; Boulet P. et Velasquez G., Mondialisation et accès aux médicaments : les implications des Accords ADPIC/OMC, Organisation mondiale de la Santé, 1999,143 p. ; Gervais D.J., « The TRIPs Agreement, Interpretation and Implementation », European Intellectual Property Review, 1999, n° 3, pp. 156-162.
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[6]
Le cadre des négociations internationales en matière de propriété intellectuelle s’est ainsi déplacé de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), organisation technique spécialisée, vers l’OMC, dotée d’un mandat plus large, mais strictement et résolument mue par des considérations commerciales.
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[7]
Le renforcement des DPI dans le monde s’opère au moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS), autre institution internationale, a initié un programme en faveur de l’accès des populations aux médicaments essentiels, ces médicaments permettant de traiter les maladies les plus prégnantes au Sud.
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[8]
Il s’agit de Cipla, Ranbaxy, Hetero, Aurodindo ou encore Cadila.
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[9]
Guennif S., AIDS in India : Public Heath Related Aspects of Industrial Policy and Intellectual Property Rights in a Developing Country, New Delhi, Centre de Sciences humaines (CSH), Occasional Paper n° 8, Rajdhani Press/CSH, 2004,179 p.
-
[10]
Un cocktail est un traitement composé de trois antirétroviraux qui se présente sous la forme d’une seule pilule à prendre deux à trois fois par jour. Ce traitement à dose fixe permet de réduire le nombre de pilules à prendre par jour, améliore significativement l’observance chez les patients et réduit sensiblement le risque de résistance. Cf. WHO (OMS), Antiretroviral Therapy for HIV Infection in Adults and Adolescents in Resource-limited Settings : Towards Universal Access. Recommendations for a Public Health Approach, revision, 2006,144 p.
-
[11]
Médecins Sans Frontières, Untangling the Web of Price Reductions : a Pricing Guide for the Purchase of ARVs for Developing Countries, 9th edition, July 2006,48 p.
-
[12]
Médecins sans Frontières, Untangling the Web of Price Reductions : a Pricing Guide for the Purchase of ARVs for Developing Countries, 8th edition, 2005,21 p.
-
[13]
Guennif S., AIDS in India…, op. cit. ; Guennif S. et Mfuka C., « Promesse et risque du renforcement du brevet au Sud. Transfert technologique, développement pharmaceutique et accès aux traitements », Cahiers de l’Association Tiers Monde, n° 20,2005, pp. 185-195.
-
[14]
Lalitha N., « Indian Pharmaceutical Industry in WTO Regime : a SWOT Analysis », August, 24, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 3542-3555.
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[15]
Se reporter à Mittal D.K., Drugs and Pharmaceutical Industry, New Delhi, Anmol Publications Pvt. Ltd, 1993,255 p. ; Keayla B.K., « Patent Protection and the Pharmaceutical Industry », in Nair K.R.G. and Kumar A. (eds), Intellectual Property Rights, New Delhi, Allied Publishers Limited, 1995, pp. 151-164 ; Watal J., Intellectual Property Rights in the WTO and Developing Countries, Oxford University Press, 2001,248 p. ; Ramanna A., « Policy Implications of India’s Patent Reforms. Patent Applications in the Post-1995 Era », May, 25, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 2065-2075.
-
[16]
Lalitha N., « Drug Policy 2002 : Prescription for Symptoms », July, 27, Economic and Political Weekly, 2002, pp. 3102-3104.
-
[17]
Singh S., Multinational Corporations and Indian Drug Industry, New Delhi, Criterion Publications, 1985,127 p. ; Felker G., Chaudhuri S., György K., Goldman M., The Pharmaceutical Industry in India and Hungary. Policies, Institutions and Technological Development, n° 392, Work in progress for public discussion, World Bank Technical Paper, The World Bank, 1997,46 p. ; Srinivasan S., « Drug Price Control. Who is in Charge ? », March, 24, Economic and Political Weekly, 2001, pp. 997-998 ; Organisation of Pharmaceutical Producers of India, Drug Prices Control Order – 95, OPPI, 2001,42 p. ; Kunnapallil P., Drudgery of Drug Price Controls : who Benefits, Center for Civil Society, Working Paper n° 27,2003,37 p.
-
[18]
Le prix des médicaments les plus essentiels sera fixé de manière à assurer une marge de 75 % par rapport aux divers coûts de production des entreprises. Pour les médicaments non essentiels, le taux de marge sera de 150 %. Par la suite, le système de contrôle des prix subira des modifications successives. Cf. Gross A., New Trends in India’s Pharmaceutical Market, Pacific bridge Inc., wwww. pacificbridgemedical.com, 1999 ; Govindaraj R. and Chellaraj G., The Indian Pharmaceutical Sector. Issues and Options for Health Sector Reform, World Bank Discussion Paper n° 437, The World Bank, 2002,59 p. ; Lalitha N., « Indian Pharmaceutical Industry in WTO regime… », op. cit. ; Lalitha N., « Drug Policy 2002… », op. cit.
-
[19]
En ce sens, Ghosh souligne que « the main objective of [the IPA] was to ensure that the benefits of technological development reached the people ». Voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », in Banerjee P., Chakraborty D., Sengupta D., Beyond the Transition Phase of World Trade Organisation – An Indian Perspective on Emerging Issues, New Delhi, Academic Foundation, 2006, p. 170.
-
[20]
Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry, Competitiveness of the Indian Pharmaceutical Industry in the New Patent Regime, March 2005,16 p. , wwww. ficci. com. Voy. Mittal D.K., Drugs and Pharmaceutical Industry, op. cit. Par ailleurs, le secteur occupe actuellement directement 250 000 personnes et indirectement 750 000. Voy. Felker G., Chaudhuri S., György K., Goldman M., The Pharmaceutical Industry in India and Hungary…, op. cit.
-
[21]
L’industrie indienne exporte beaucoup vers les marchés du Nord, spécialement vers les États-Unis où le médicament générique se développe beaucoup sous l’impulsion des pouvoirs publics qui cherchent à maîtriser les dépenses de santé. Voy. Indian Drug Manufacturers’ Association, Thirtyfourth Annual Publication, Bombay, 2001,123 p.
-
[22]
Lanjouw J. O., The Introduction of Pharmaceutical Product Patents in India : Heartless Exploitation of the Poor and Suffering, Center Discussion Paper n° 775, Economic Growth Center, Yale University, 1997,63 p.
-
[23]
Sampath P. G., Economic Aspects of Access to Medicines after 2005. Product Patent Protection and Emerging Firms Strategies in the Indian Pharmaceutical Industry, Institute for New Technologies, United Nations University, 2005,111 p.
-
[24]
Government of India, « Indian Drug Statistics », reproduit dans Prasad H. and Bhat S., « Strengthening India’s Patent System : Implications for Pharmaceutical Sector », Vol. 28, Issue 21, Economic and Political Weekly, 1993, p. 1037.
-
[25]
Les membres de l’OMC ne disposent plus d’outils discriminants favorisant l’accès aux techniques et aux médicaments. En ce sens, Shaffer G., « Recognizing Public Goods in WTO Dispute Settlement : Who Participates ? Who Decides ? The Case of TRIPs and Pharmaceutical Patent Protection », Volume 7, Issue 2, Journal of International Economic Law, 2004, pp. 459-482.
-
[26]
En outre, il peut être demandé au déposant de préciser les sources de tout matériel biologique impliqué dans l’invention. Il s’agit par ce biais de lutter contre le bio-piratage en s’assurant du respect des dispositions de la Convention sur la Diversité biologique (CDB) de 1992. Ce texte, proclamant la souveraineté des États sur leurs ressources nationales, vise à la préservation des savoirs traditionnels et de la diversité biologique. Le déposant doit alors être en mesure de prouver que le pays d’où provient ce matériel avait donné son consentement éclairé préalable dans le respect de la réglementation en vigueur dans cet État. Cela permet en outre de s’assurer de la mise en place d’un système juste et équitable de répartition des avantages et bénéfices issus de l’utilisation et de la commercialisation de ce matériel. Sur les problèmes d’articulation entre l’Accord ADPIC et la CDB de 1992, voy. Chapman A.R., « The Human Rights Implications of Intellectual Property Protection », Vol. 5, Issue 4, Journal of International Economic Law, 2002, pp. 861-882.
-
[27]
Pour un exposé général, voy. Yusuf A., « TRIPs : Background, Principles and General Provisions », in Correa C., Yusuf A., Intellectual Property and International Trade : The TRIPS Agreement, London, Kluwer Law International, 1998, pp. 3-20.
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[28]
Les trois conditions sont cumulatives, comme l’a souligné le Groupe spécial réuni dans l’affaire Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits. En effet, chaque condition formule « une prescription distincte et indépendante à laquelle il faut se conformer. [À cet égard, s’il] n’est pas satisfait à l’une des trois conditions, le bénéfice de l’exception prévue à l’article 30 est refusé ». Voy. Rapport du Groupe spécial, Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits, WT/DS114/R, 17 mars 2000, para. 7.20. Le Groupe spécial définit chacune de ces conditions aux paragraphes 7.55,7.58 et 7.68.
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[29]
Rapport du Groupe spécial, Canada – Protection conférée par un brevet pour les produits, WT/ DS114/R, 17 mars 2000, para. 4.15.
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[30]
L’« exemption Bolar » apparaît dans la législation des États-Unis en matière de brevets en 1984, à la suite de la décision de la Cour d’appel pour le Circuit fédéral dans Roche Products Inc. c. Bolar Pharmaceuticals Co. Inc. (733 F.2d 858 ; cert denied 221 USPQ 937 ; 469 US 856 (1984)). Dans cette affaire, un fabricant de génériques avait exploité une invention brevetée pour des essais de sa version et une demande d’autorisation de commercialisation d’un médicament breveté. Le tribunal avait décidé que « l’utilisation à des fins expérimentales » en vertu de la common law ne couvrait que l’expérimentation à des fins scientifiques et non commerciales et que les activités du fabricant de génériques constituaient donc une contrefaçon des brevets pertinents.
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[31]
À l’instar de tous les ordres juridiques, l’OMC prévoit qu’en matière de protection des DPI, il doit être possible exceptionnellement de refuser la brevetabilité afin de protéger l’ordre public ou la moralité. L’article 27.2 prévoit que « les membres pourront exclure de la brevetabilité les inventions dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale sur leur territoire pour protéger l’ordre public ou la moralité, y compris pour protéger la santé et la vie des personnes ou des animaux ou préserver les végétaux, ou pour éviter de graves atteintes à l’environnement ». La notion d’ordre public n’est cependant pas définie par l’Accord. Les membres de l’OMC disposent donc d’une marge de manœuvre pour servir leurs besoins propres. Ainsi, il est possible d’exclure de la brevetabilité certains médicaments pour des motifs liés à la santé publique. Cependant, l’exclusion ne serait envisageable que dans des circonstances exceptionnelles, soumises à une limitation dans la mesure où l’article ne vise que les inventions « dont il est nécessaire d’empêcher l’exploitation commerciale ». Dans tous les cas, un objet ne pourra pas être déclaré non brevetable si parallèlement sa distribution ou sa vente sur le territoire national est autorisée. Sur l’exception d’ordre public et de moralité, voy. United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, pp. 375 ss.
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[32]
L’article 27.3a autorise les États membres à exclure de la brevetabilité « les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux ». Une telle exclusion est importante pour les PED dans la mesure où la brevetabilité de ces méthodes risque d’entraîner des conséquences en matière de santé publique et de réduire l’accès aux soins. D’une manière générale, dans l’hypothèse où la législation nationale ne prévoirait pas une telle exclusion, la demande de brevet pourrait être rejetée pour non-respect des critères de brevetabilité, spécialement du critère d’application industrielle. Restent toutefois brevetables les méthodes de fabrication des médicaments, les machines à diagnostiquer et à soigner, ou encore les tests de dépistage. Par ailleurs, selon les termes de l’article 27.3b, « les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux ou d’animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques » peuvent être exclus de la brevetabilité. Ici, la latitude laissée aux États est limitée par l’obligation de breveter les micro-organismes. Or les inventions portant sur les micro-organismes sont courantes et utiles dans l’industrie pharmaceutique. Par exemple, une séquence chirurgicale ou un test médical nouveau peut être exclu de la brevetabilité en tant que méthodes diagnostique, thérapeutique ou chirurgicale. En revanche, les médicaments sont brevetables en tant que procédés microbiologiques (antibiotiques) ou simplement en tant que procédés chimiques utilisés à des fins thérapeutiques. Dans tous les cas de figure, ils ne sont pas considérés comme des méthodes thérapeutiques. Sur ce point, voy. Luff D., Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce – Analyse critique, Bruxelles, Bruylant/Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, 2004, note de bas de page n° 131, p. 706. Voy. également United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, op. cit., pp. 384 ss.
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[33]
Comme le rappelle du reste l’épisode anthrax qui opposa les pouvoirs publics américains et la firme Bayer détentrice du brevet.
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[34]
Pour un examen juridique critique de la notion de licence obligatoire, voy. Matsushita M., Mavroidis P., Schoenbaum T., The World Trade Organization – Law, Practice, and Policy, Oxford, Oxford University Press, 2003, pp. 418-420.
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[35]
En ce sens, Sun H., « Reshaping the TRIPs Agreement Concerning Public Health : Two Critical Issues », Volume 37, Issue1, Journal of World Trade, 2003, pp. 171-172 et Luff D., Le droit de l’Organisation mondiale du Commerce…, op. cit., p. 711.
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[36]
La délivrance d’une licence obligatoire est possible sous certaines conditions pour s’assurer que les intérêts légitimes du détenteur de brevet ont été protégés. Notamment, il faut avoir au préalable tenté d’obtenir du détenteur une licence volontaire à des conditions commerciales raisonnables (article 31.b). Cependant, cet article prévoit qu’il n’est pas nécessaire de solliciter une licence volontaire en cas d’urgence nationale, dans des circonstances d’extrême urgence, d’utilisation publique à des fins non commerciales (ou utilisation par les pouvoirs publics), ou en cas de pratiques anticoncurrentielles. Sur ce point, voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », op. cit.
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[37]
Sur cette notion, voy. United Nations Conference on Trade and Development and International Centre for Trade and Sustainable Development, Resource Book on TRIPS and Development, op. cit., pp. 475-476.
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[38]
Dernièrement, dans le but de traiter des problèmes de santé publique en assurant l’accès à certains médicaments, la Thaïlande a délivré des licences obligatoires pour deux antirétroviraux et un anticoagulant utile dans le traitement des maladies cardio-vasculaires. Cela n’a pas manqué de susciter critiques et commentaires : les firmes multinationales condamnent cette violation de leurs droits et menacent de retirer les investissements directs étrangers ; la directrice de l’OMS soutient que le traitement d’une crise sanitaire passe plus sûrement par des négociations avec ces mêmes firmes. Voy. Rivière P., « La Thaïlande ose les génériques », Le Monde Diplomatique – La Valise Diplomatique, 3 février 2007 (http :// www. monde-diplomatique. fr).
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[39]
Voy. Abbott F. M., « The TRIPs-legality of Measures Taken to Address Public Health Crises », in Kennedy D., Southwick J. (eds), The Political Economy of International Trade Law – Essays in Honor of Robert E. Hudec, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, pp. 330-332.
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[40]
L’idée étant que le détenteur du brevet obtient rémunération et compensation pour les investissements consentis en recherche et développement lors de la première commercialisation de son médicament sur ce marché. Il n’est donc plus utile de restreindre le circuit ultérieur emprunté par le médicament en requérant le consentement du breveté. Voy. UNCTAD/ICTSD, Resource Book on TRIPS and Development : an Authoritative and Practical Guide to the TRIPS Agreement, UNC-TAD/ICTSD capacity building on IPRs, 2004, p. 93.
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[41]
Ce système est notamment en vigueur aux États-Unis.
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[42]
Face notamment à la position soutenue par l’industrie pharmaceutique selon laquelle l’Accord ADPIC dispose dans son article 28 d’indications quant au régime d’épuisement à mettre en place au sein de l’OMC, la Déclaration de Doha a dû revenir sur ce point en réaffirmant que chaque pays membre est libre de définir son régime d’épuisement sous respect des principes de traitement national et de traitement de la nation la plus favorisée. Voy. UNCTAD/ICTSD, Resource Book on TRIPS and Development…, op. cit., p. 106 ; Brook K., Arthritic Flexibilities : Analysis of WTO Action Regarding Paragraph 6 of the Doha Declaration on the TRIPS Agreement and Public Health, ExpressO Preprint Series, Working Paper No.108, December 2003,65 p.
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[43]
Principes du traitement national et du traitement de la nation la plus favorisée.
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[44]
Article 2 de la Déclaration sur l’Accord ADPIC et la santé publique adoptée le 14 novembre 2001 à Doha.
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[45]
Déclaration de Doha, paragraphe 4.
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[46]
Déclaration de Doha, paragraphes 5b et 5c.
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[47]
Déclaration de Doha, paragraphe 6.
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[48]
OMC, communiqué de presse du 30 août 2003.
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[49]
Plus exactement, cette possibilité suppose que les législations des pays d’importation et de production~exportation des antirétroviraux soient favorables. Ainsi, pour que le Bostwana procède à des importations sous licence obligatoire depuis le territoire indien, il importe que le Botswana autorise les importations sous licence obligatoire et l’Inde les exportations sous licence obligatoire. D’où une difficulté majeure pour concilier les contraintes légales dans deux pays, celui qui entend traiter une urgence nationale et celui qui dispose de capacités industrielles pour produire le médicament essentiel.
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[50]
À titre d’exemple, de telles procédures de contrôle des prix existent en France. Des négociations entre pouvoirs publics et firmes pharmaceutiques ont lieu pour fixer le prix des médicaments remboursables, le prix des médicaments non remboursables restant libre. Ensuite, ces négociations ont pour effet de fixer les profits maximum que pourra réaliser l’industrie et les modalités de reversements des excédents perçus.
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[51]
Ramanna A., « Policy Implications of India’s Patent Reforms… », op. cit.
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[52]
Kumar N., « India, Paris Convention and TRIPS », September, 5, Economic and Political Weekly, 1998, pp. 36-37.
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[53]
Sur les champs matériel et temporel d’application de l’obligation, voy. Chaisse J., Ensuring the Conformity of National Law with World Trade Organisation Agreements – India as a Case Study, New Delhi, Centre de Sciences humaines (CSH), Occasional Paper No. 13, Rajdhani Press/CSH, 2005, pp. 12-17.
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[54]
Des plaintes relatives au respect de l’Accord ADPIC pourraient éventuellement concerner des cas exceptionnels de non-violation, voy. Sun H., « Reshaping the TRIPs Agreement Concerning Public Health… », op. cit.
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[55]
Si un revenu par habitant de 530 dollars classe l’Inde parmi les pays à bas revenu, il semble que le pays ait été desservi par sa forte démographie.
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[56]
Pour une présentation des différentes affaires ayant impliqué l’Inde, voy. Chaisse J. and Chakraborty D., « Dispute Resolution in the World Trade Organisation – The Experience of India », in Banerjee P., Chakraborty D., Sengupta D. (eds), Beyond the Transition Phase of World Trade Organisation : An Indian Perspective on Emerging Issues, New Delhi, Academic Foundation, 2006, pp. 507-540.
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[57]
Sur le processus de détermination de la conformité, voy. Chaisse J., Ensuring the Conformity of Domestic Law with World Trade Organization Law, Pan-Pacific Conference XXII, Pukyong National University (Korea), University of Nebraska – Lincoln (USA), Busan (Korea), 29-31. May, 2006,32 p.
-
[58]
Sur la contribution de l’ORD à la mise en conformité, voy. Chaisse J. and Chakraborty D., « Implementing WTO Rules through Negotiations and Sanction : The Role of Trade Policy Review Mechanism and Dispute Settlement System », 28(1), University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, 2007.
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[59]
Sur l’utilisation des contre-mesures, voy. Anderson K., Pecularities of Retaliation in WTO Dispute Settlement, Adelaide, Discussion Paper No. 207, Centre for International Economic Studies/Adelaide University, 2002,34 p.
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[60]
Certes, sur la base des pouvoirs conférés au Président de l’Inde par l’article 123 de la Constitution, une ordonnance (l’ordonnance de 1994 sur les brevets), visant à modifier la loi de 1970 sur les brevets, avait été promulguée afin de donner rapidement effet à l’Accord ADPIC. Cette ordonnance devait permettre de déposer et de traiter les demandes de brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture (comme l’exige l’article 70.8 ADPIC), et d’accorder des droits exclusifs de commercialisation pour les produits faisant l’objet de ces demandes (comme l’exige l’article 70.9 ADPIC). Mais cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, est devenue caduque le 26 mars 1995, puisque le droit constitutionnel indien prévoit que ce type de norme cesse d’être applicable six semaines après la reprise de la session parlementaire. De surcroît, le projet de loi de 1995 sur les brevets, censé donner un effet législatif permanent aux dispositions de l’ordonnance, n’a jamais été adopté. Voy. Jain M. P., Indian Constitutional Law, Volume 1 (Chapter I to XXVII), New Delhi, Wadhwa Nagpur, 2003,1 389 p.
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[61]
Contrairement à l’Union européenne, la Communauté européenne dispose de la personnalité juridique. Dotée d’une personne morale de droit international public, elle a donc la capacité d’agir au sein de l’OMC.
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[62]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/R, 5 septembre 1997 ; rapport de l’Organe d’appel, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/AB/R, 19 décembre 1997 ; rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998.
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[63]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998, para. 7.41.
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[64]
Rapport du Groupe spécial, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS79/R, 24 août 1998, para. 7.30.
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[65]
Rapport de l’Organe d’Appel, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture, WT/DS50/AB/R, 19 décembre 1997, para. 58 à 67.
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[66]
Canal-Forgues E. et Flory T., Recueil des contentieux GATT/OMC (1948-1999), Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 761.
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[67]
Ainsi que notifié à l’OMC par le gouvernement indien. Voy. Rapport de situation de l’Inde, Inde – Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques pour l’agriculture – Addendum, WT/DS50/10/Add.4, WT/DS79/6,16 avril 1999.
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[68]
Gazette of India, The Patents (Amendment) Act 1999,26. March, 1999, New Delhi.
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[69]
Ibid., The Patents (Amendment) Act 2002,25. June, 2002.
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[70]
Bhattacharya S.K., TRIPS, Indian Patent (Amendment) Act and India’s Agendas in the Next Ministerial Meeting at Mexico, Indian Institute of Public Administration, 2002,39 p. ; Keayla B.K., Trips Patent System : Core and Important Issues of Concern, National Working on Patent Law, Government of India, 2003,45 p.
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[71]
WHO, Antiretroviral Therapy for HIV Infection…, op. cit. NdR Le traitement en première intention est le traitement qui est donné à un patient nouvellement diagnostiqué et donc n’ayant jamais été traité.
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[72]
NdR L’observance des patients désigne la prise du traitement tel qu’il a été prescrit par les médecins aux patients.
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[73]
Et sous la pression d’une partie de l’industrie pharmaceutique indienne et la vigilance de la société civile.
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[74]
Gazette of India, The Patents (Amendment) Act, 2005,7. April, 2005, Section 11A, 18 p.
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[75]
Ibid., Section 25.
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[76]
Comme le résume le rapport du Comité Mashelkar (2006), rapport commandé par le ministère du Commerce et de l’Industrie et présenté au Parlement indien en décembre 2006 suite à l’amendement de la loi indienne sur le brevet en mars 2005, la position soutenue par Novartis consiste à affirmer que l’Accord ADPIC dispose qu’« un brevet pourra être obtenu pour toute invention » (article 27). À ce titre, selon Novartis, toute substance pharmaceutique, qu’il s’agisse d’une « nouvelle molécule chimique » ou d’une « nouvelle entité médicale », doit pouvoir jouir d’un brevet. En conséquence, toute législation visant à limiter l’octroi d’un brevet aux seules nouvelles molécules chimiques n’est pas conforme à l’Accord ADPIC. Le problème ici provient du fait que l’Accord ne définit pas le terme invention. Nulle part, il n’est fait usage des termes nouvelle molécule chimique ou nouvelle entité médicale, aussi l’interprétation préside en favorisant soit une interprétation étroite du terme innovation (innovation majeure couvrant les nouvelles molécules chimiques), soit large (innovation mineure couvrant également les nouvelles formulations, les nouvelles combinaisons ou encore les nouvelles indications thérapeutiques). Se reporter à Technical Expert Group on Patent Law Issues, Report of the Technical Expert Group on Patent Law Issues, December 2006,58 p. Disponible sur www. ipindia. nic. in/ ipr/ patent/ mashelkar_committee_report. doc.
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[77]
Ibid., sections 90 et 92A.
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[78]
Pour une présentation critique des stratégies possibles de l’Inde, voy. Ghosh S., « TRIPs and India : Crux of the Patent Controversy », op. cit., pp. 200-203.
-
[79]
Kaul I., Grunberg I., Stern M. A., Global Public Goods : International Cooperation in the 21st Century, New York, UNDP, Oxford University Press, 1999,592 p. ; Organisation mondiale de la Santé, Macroéconomie et santé. Investir dans la santé pour le développement économique, Rapport de la Commission macroéconomie et santé, Genève, décembre, 2001,216 p. ; Maskus K.E. and Reichman J. H., International Public Goods and Transfer of Technology under a Globalized Intellectual Property Regime, Cambridge University Press, 2005,650 p.
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[80]
Cptech, wwww. cptech. org/ ip/ health/ trade/ fta-onebig. doc,2004 ; Oxfam, Free Trade Agreement between USA and Thailand Threatens Access to HIV/AIDS Treatment, Oxfam Briefing Note, July 2004, 11 p. ; Abbott F. M., Intellectual Property Provisions of Bilateral and Regional Trade Agreements in Light of US Federal Law, Issue Paper No. 12, International Centre for Trade and Sustainable development, 2006,36 p. ; Guennif S., One size fits all, but which one ? From TRIPS agreement to TRIPS Plus agreements. Intellectual Property Rights Regimes and Access to Medicines in Developing Countries, International Conference, DIME Workshop, “Intellectual Property Rights for Business and Society”, London, 2006 ; Musungu S.F. and Oh C., The Use of Flexibilities in TRIPS by Developing Countries : Can they Promote Access to Medicines, World Health Organization, April, 2006,56 p. ; Correa C., Bilateral Investment Agreements : Agenda of a New Global Standard for the Protection of Intellectual Property Rights ?, Briefing Paper, wwww. grain. org/ briefings/ ? id= 186 ; Fink C., Tightening TRIPS : the Intellectual Property Provisions of Recent US Free Trade Agreements, Trade Note, The World Bank, February 2005,11 p. ; Morin J.-F., « La brevetabilité dans les récents traités de libre-échange américains », Revue Internationale de Droit Économique, 2004, n° 4, pp. 483-501.