Couverture de RIDE_194

Article de revue

Le droit, l'économie et le fondamental

Pages 431 à 455

Notes

  • [*]
    Professeur émérite à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, membre du Credeco, Gredeg FRE 2767 (CNRS)
  • [1]
    Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, Leiden, Nijhoff, 2004,383 p.
  • [2]
    La remarquable thèse de Chantal Russo, De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe. Contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, Paris, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de thèses, 2001.
  • [3]
    Jean-Baptiste Racine (coord.), Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, Lyon, L’Hermès, 2002,317 p.
  • [4]
    Les actes de ce colloque doivent paraître dans la collection des travaux du centre René-Jean Dupuy pour le droit et le développement de l’Université Senghor d’Alexandrie, aux éditions Bruylant (Bruxelles).
  • [5]
    Dont vient de paraître une nouvelle biographie, qui est aussi un bon rappel historique : Michel Laval, L’Homme sans concessions : Arthur Koestler et son siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2005,706 p.
  • [6]
    Pour un droit commun, p. 7.
  • [7]
    Trois défis pour un droit mondial, p. 10. « Reconnaître l’interdépendance entre l’économie et les droits de l’homme », p. 44-74.
  • [8]
    Dans notre Pour un droit économique, dont il a été rendu compte dans cette revue ( 2005, n° 1, p. 91-96).
  • [9]
    Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p. 246.
  • [10]
    Gérard Farjat, Pour un droit économique, Paris, PUF, 2004, p. 27.
  • [11]
    Paris, Grasset, 2004,143 p.
  • [12]
    Portalis, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil », in Écrits et discours juridiques et politiques, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1988, p. 52, et l’article remarquable de Jean-François Niort, « Droit, économie et libéralisme dans l’esprit du Code Napoléon », Archives de philosophie du droit, t. 37,1992, p. 101.
  • [13]
    Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque des idées, 1981.
  • [14]
    Le Nouvel Observateur avait préalablement longuement présenté le débat dans son numéro du 23 décembre 2004, intitulé « Dieu et la science, le nouveau choc ».
  • [15]
    Et pas seulement. Nous pensons notamment à l’Iran, où la Grande-Bretagne et les États-Unis ont renversé le docteur Mossadegh à la suite de la nationalisation des intérêts pétroliers de ces pays, alors que Mossadegh aurait pu être le Bourguiba de ce pays. On connaît la suite…
  • [16]
    Chiffres fournis par Jeremy Rifkin, dans Le Nouvel Observateur, 16-22 juin 2005, p. 114. J. Rifkin est président de la Foundation on Economic Trends à Washington, professeur à la Warton School, auteur de La Fin du travail (Paris, La Découverte, 1997,476 p.) et du Rêve européen, ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire (Paris, Fayard, 2005,564 p.).
  • [17]
    Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, coll. Thémis, 2002, p. 10.
  • [18]
    Lorsqu’une question dépend de la législation des États, les plaideurs tentent de soumettre leur litige, quand un élément le permet, à la législation de l’État qui leur est le plus favorable. Grégory Maitre le signale dans sa thèse : « La responsabilité civile relève de la législation des États aux États-Unis et il en résulte une compétition législative » (note 76, p. 216). Horatia Muir-Watt, dans Aspects économiques du droit international privé (voir note 1, ci-dessus), traite à plusieurs reprises du phénomène de la concurrence législative.

1 INTRODUCTION

1Nous avons trois raisons de présenter cette chronique. D’abord, parce que nous bénéficions, grâce à Dieu (peut-être par l’entremise de l’Université catholique de Louvain ; si tel est le cas, qu’elle en soit remerciée), d’une retraite qui perdure. Et les retraités, s’ils se sont retirés des combats, peuvent au moins rendre compte des luttes menées par ceux qui sont toujours sur le terrain ! D’autant plus que ces derniers ne se précipitent pas pour rendre compte des ouvrages produits par la concurrence… La deuxième raison est l’existence de textes français de qualité. Ce qui n’a pas toujours été évident. Nous pensons à l’observation faite, il y a quelques années, par un collègue belge qui n’est pas membre de notre association (nul n’est parfait !) : « Vous autres, Français, n’avez rien à dire sur l’évolution du système juridique à l’échelle mondiale, et d’ailleurs, vous ne dites rien. Comment ne nous tournerions-nous pas vers la doctrine américaine ? » Or des textes de qualité existent et des initiatives importantes sont prises dans notre pays. Leur origine est le plus souvent féminine. Ce qui n’est pas une surprise, mais nous remplit d’aise. « La femme est l’avenir de l’homme », disait Aragon. Enfin, la troisième raison est que nous pensons qu’un des principaux rôles de notre revue, notamment en raison de son caractère international, doit être d’informer sur les productions doctrinales qui concernent le droit économique. Et ce d’autant plus que cette discipline ne bénéficie pas, au moins en France, d’une véritable reconnaissance, quand elle ne fait pas l’objet d’une véritable hostilité (dont il convient aussi de rendre compte)… Mais il appartient aussi à notre revue de parler de ce que l’on peut appeler le droit fondamental, c’est-à-dire, selon nous, aussi bien les concepts fondateurs (les obligations, la propriété) que les concepts récupérés ou fondés par le droit au fil du temps (tels les droits de l’homme). Pourquoi les juristes de droit économique sont-ils concernés par le droit fondamental ? Parce que la discipline de droit économique sent le soufre sur ces deux points, les concepts fondateurs et le droit fondamental… Et qu’en tout état de cause, vu l’importance, si ce n’est l’hégémonie, du système économique, notre discipline mène à des interrogations fondamentales, qu’il convient de ne pas éluder. Après la bibliographie qui nous a inspiré ( 2), nous tiendrons quelques propos sur l’évolution du monde, le fondamental et le système juridique( 3).

2 BIBLIOGRAPHIE

2.1 La France s’ouvre au couplage droit-économie

2Cette ouverture se constate avec la parution de deux revues nouvelles et la création de nouvelles collections. Les nouvelles revues sont la revue Concurrences, revue des droits de la concurrence, n° 1, décembre 2004, et la Revue Lamy de la concurrence, n° 1, novembre 2004-janvier 2005 (avec le sous-titre très heureusement choisi de Droit, économie, régulation) qui est plutôt une nouvelle formule du Recueil Lamy des avis et décisions du Conseil de la concurrence (D. Brault et V. Sélinsky). La qualité des responsables des deux revues nous paraît une forte garantie pour l’avenir.

3La première des deux nouvelles collections s’intitule « Thèmes & Commentaires, Droit et économie de la régulation ». Lancée par les Presses de Sciences-Po et Dalloz, elle est dirigée par Marie-Anne Frison-Roche et compte déjà trois volumes : Les Régulations économiques, légitimité et efficacité (juin 2004,205 p.); Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation (juin 2004,192 p.) ; Les Risques de régulation (mai 2005,334 p). Ce sont des ouvrages collectifs, plein d’intérêt.

4La seconde est la collection « Droit & Économie ». Publiée par la L.G.D.J., elle est également dirigée par Marie-Anne Frison-Roche, et compte quatre publications qui datent toutes de juin 2005 : Sébastien Bonfils, Le Droit des obligations dans l’intermédiation financière, 388 p. ; Marie-Anne Frison-Roche et Alexandra Abello (sous la direction de), Droit et économie de la propriété intellectuelle, 464 p.; Grégory Maitre, La Responsabilité civile à l’épreuve de l’analyse économique du droit, 315 p. ; Irina Parachkevova, Le Pouvoir de l’investisseur professionnel dans la société cotée, 264 p.

5Avant de rendre compte de l’ouvrage de Grégory Maitre sur la responsabilité civile, signalons l’ouvrage Aspects économiques du droit international privé (réflexions sur l’impact de la globalisation économique sur les fondements des conflits de lois et de juridictions)[1]. L’auteur, Horatia Muir-Watt, a la double nationalité et la double culture, anglaise et française, ce qui est une excellente illustration d’un autre doublet : le droit et l’économie.

2.2 À propos de quelques ouvrages

6MAITRE Grégory, préf. MUIR WATT Horatia, La Responsabilité civile à l’épreuve de l’analyse économique du droit, Paris, L.G.D.J., coll. Droit & Économie, 2005,315 p.

7Cet ouvrage est, lui aussi, une belle illustration des possibilités d’apports positifs de l’analyse économique du droit et de l’intérêt de l’étude des rapports intersystémiques. L’auteur s’en explique longuement dans une introduction générale, riche en références sur cette analyse et son histoire. Il signale d’abord très opportunément que la méthodologie de l’analyse économique du droit ne s’identifie pas à l’approche développée par l’École de Chicago, fondatrice du mouvement Law and Economics, et qu’elle n’aboutit absolument pas à soumettre le droit à l’économie en l’instrumentalisant.

8Pour éviter cette instrumentalisation, c’est-à-dire la « hiérarchisation » d’une discipline à une autre, l’auteur préconise d’envisager le droit et l’économie en termes de systèmes, « ce qui permet d’établir leur relation sur un pied d’égalité » (p. 5). Ce choix est identique à celui que nous avons fait dans notre ouvrage récent sur le droit économique. C’est pour nous, venant d’un jeune auteur, une confirmation de l’utilité de l’approche systémiste. Grégory Maitre se réfère, à juste titre, à Luhmann et Teubner et aux caractères des systèmes : autoréférentiels, autorégulés et autopoïétiques. Ce dernier trait, qui implique qu’« un système est en perpétuelle évolution », explique, nous semble-t-il, une des raisons de l’hostilité au systémisme des intégrismes de tout poil.

9L’analyse économique du droit est une méthodologie et non une théorie du droit, insiste-t-il. Et ses propositions à cet égard ne devraient entraîner aucune protestation de la part des juristes « ouverts ». Cette analyse peut se placer dans une perspective comparatiste : « L’étude des interactions entre droit et économie correspond en réalité à leur comparaison. » Et comme toute étude comparative, elle est enrichissante. Elle relève presque d’une hygiène spirituelle pour le juriste : « La qualité principale de l’analyse économique du droit est de permettre au juriste, comme à l’économiste, de “sortir” de son cadre habituel de réflexion » (p. 13). Elle permet d’enrichir le système juridique lui-même, qui, comme tout système, en a besoin. « Dans la mesure où le système est une représentation schématique d’une réalité infiniment complexe, qu’il contribue ainsi à réduire, il n’est pas capable de traduire exactement cette réalité » (p. 9). L’analyse économique du droit apparaît à l’auteur comme « particulièrement pertinente dans l’optique subversive dans laquelle elle s’inscrit ». C’est en cela d’ailleurs qu’elle peut rencontrer l’hostilité de juristes qui rattachent le droit à la religion, comme Alain Supiot, dans l’ouvrage que nous commentons ci-dessous.

10Enfin, « aucun ouvrage d’analyse économique du droit n’a formellement défini le protocole à respecter afin de mettre en œuvre cette discipline ». Le « mouvement » connaîtrait « de nombreuses tendances, souvent complémentaires, parfois opposées ». Et, à moins qu’elle ne dépérisse, la « science » économique évoluera. Sans parler des discours, intéressés ou non, qui en tiennent lieu. Bien que Marx soit passé de mode, il faisait cependant de l’analyse économique du droit.

11Que nous apporte l’analyse économique de la responsabilité civile ?

12C’est à une analyse totale que se livre l’auteur. Dans une première partie, consacrée au « noyau de la responsabilité civile », il envisage l’ensemble des fondements possibles de cette responsabilité. Parmi ceux-ci, il en retient un, dont il présente le fonctionnement. La seconde partie est consacrée à « la périphérie de la responsabilité civile ».

13Dans la première partie, l’auteur passe donc au crible de l’analyse économique (les coûts de transactions, le théorème de Coase notamment) tous les fondements de la responsabilité civile qui ont été proposés. Il lui semble nécessaire, pour la cohérence du système, de concevoir une justification unique de la responsabilité civile (délictuelle et contractuelle), sauf à retenir l’hypothèse qu’il existe plusieurs régimes de responsabilité. Et comme, pour les économistes, la responsabilité civile est construite autour d’une structure incitative, il lui « semble possible de considérer que le fondement de la responsabilité civile réside dans l’incitation des responsables potentiels à la prévention adéquate et suffisante du dommage, par l’obligation qu’elle leur impose de prendre en charge la réparation intégrale du préjudice qu’ils seraient susceptibles de causer à autrui » (p. 56). Sans avoir repris tout le dossier de la responsabilité, nous ne sommes pas convaincu par la nécessité d’un fondement unique. D’autant plus que l’auteur est lui-même en faveur de l’existence de plusieurs régimes de la responsabilité. Et puis, quand on pense aux cinquante ans « gaspillés » (le mot est de Jean Carbonnier) en France en raison de la bataille menée entre les partisans de la faute et ceux du risque, on se dit qu’il faut être prudent. La faute ne traduisait pas seulement une conception individualiste et libérale de l’homme, comme l’affirme l’auteur (p. 33), elle faisait référence au péché. On lui reprochera – on lui a peut-être déjà reproché – une instrumentalisation du fondement de la responsabilité. Pourtant, le fondement qu’il propose est bien rattachable à la faute, à une conception exigeante même de la faute.

14Ses propositions sont intéressantes et dignes d’être prises en considération, au moins dans le cadre de certains risques. Comme le note sa préfacière, « l’analyse économique préconise l’emploi de la responsabilité pour faute pour les hypothèses dans lesquelles l’auteur du dommage (comme la victime elle-même, à qui la même analyse s’applique) était en mesure d’influer significativement sur la réalisation ou l’étendue du dommage (… ) une personne est responsable dès lors que le fait dommageable lui est imputable, c’est-à-dire qu’elle était en mesure d’en prévenir la survenance ou l’ampleur. » Citons encore Horatia Muir-Watt : « Le changement consiste à introduire une dimension collective dans un rapport perçu traditionnellement comme purement intersubjectif », et, observation particulièrement intéressante pour le droit économique, « la responsabilité tend progressivement à devenir un instrument de gestion des dommages massifs », ce qui « oblige à s’interroger sur les frontières qui séparent la sphère privée du droit public ».

15C’est la seconde partie sur « la périphérie de la responsabilité » qui paraît la plus à même d’être soumise à une analyse économique, singulièrement lorsqu’il s’agit de « l’impact budgétaire de la responsabilité civile » (titre I, p. 153-226). L’auteur s’interroge d’abord sur les rapports entre « incitation et réparation » (chapitre 1). Il constate que « l’analyse économique se révèle globalement compatible avec les grandes orientations du droit français de la réparation ». Ce qui montre que, contrairement aux craintes des traditionalistes, l’analyse économique ne bouleverse pas nécessairement les solutions du droit positif. Mais c’est évidemment l’assurance (chapitre 2) qui est devenue le lieu décisif des solutions rationnelles de la responsabilité, et le champ le plus opportun d’une analyse économique du droit. Grégory Maitre est amené à s’interroger sérieusement sur la question de la « déresponsabilisation », généralement rattachée à l’assurance de responsabilité, puisqu’il attribue à celle-ci un fondement incitatif. Rejoignant les observations d’une recherche précédente  [2], il considère que cet effet pervers de l’assurance de responsabilité est limité par des procédés qui « compensent la négligence accrue de l’assuré en l’incitant à une prévention plus active du dommage » : les franchises et la clause de réduction-majoration. C’est en « tiers impartial et désintéressé » qu’il mène son analyse « économique ». C’est pourquoi, même si son souci est celui de l’indemnisation des victimes, et plus encore celui de la prévention des dommages, il s’intéresse aux difficultés des compagnies. Il s’interroge sur les causes de la crise de l’assurance responsabilité, notamment « l’altération du caractère probabilitaire du risque de responsabilité civile » et « l’accroissement de la variance du risque de responsabilité », ainsi que les moyens d’y faire face (la clause réclamation) (p. 219).

16Surtout, le déplacement de l’assurance directe de la victime éventuelle vers l’assurance de responsabilité aurait déstabilisé celle-ci. Cette dernière, « lourde à gérer pour l’assureur », présente un coût pour l’assuré « supérieur à celui que représenterait l’assurance directe de la victime ». La hausse des coûts de l’assurance pourrait avoir une conséquence sur les coûts de certains produits et services et en priver certaines personnes à revenu faible. Enfin, « l’assurance de responsabilité bénéficie plus aux victimes riches, alors qu’elle est principalement financée par les personnes à revenus plus modestes, qui payent indirectement une prime trop élevée, compte tenu du risque auquel elles correspondent » (p. 225).

17Le titre consacré à « la résolution du litige en responsabilité » n’est-il pas hors sujet lorsque l’auteur traite des protagonistes du litige (chap. 1, p. 229 et suiv.)? On peut considérer qu’il nous livre deux thèses en une. Mais lorsqu’il envisage les influences de l’avocat et du juge sur la solution du litige, il ne peut aller au fond des choses. Il nous donne simplement une illustration du type de questions que l’analyse économique du droit peut amener à considérer. Par exemple, le principe de désintéressement et le basculement de la profession d’avocat dans l’économie de marché. Quelle est la rémunération qui assurera la meilleure défense ? Ne faut-il pas remédier à l’opacité de ce marché ? En ce qui concerne le juge, que l’économie du droit considère comme « un être humain parmi d’autres » pour ses éventuelles faiblesses (p. 254 et suiv.), l’auteur demeure prudent et convient que l’économie du droit n’apporte parfois pas de réponse satisfaisante. Les développements les plus convaincants concernent les lacunes sur l’information des parties pour leur stratégie (avec l’évocation de la procédure de discovery). Les observations sur « les différents modes de règlement du litige » sont brèves (p. 261-282). Elles sont justifiées, notamment par la perspective adoptée par l’auteur : la fonction préventive de la responsabilité ne sera pleinement assurée que si sa mise en œuvre est aisée. L’auteur a raison de relever l’intérêt des modes alternatifs de règlement des conflits, y compris la conciliation et la médiation (p. 279). Si certains présentent de réels dangers, ils n’en présentent pas moins la seule solution pour les « pauvres » et les petits litiges (et on est vite pauvre devant les charges et la lenteur du contentieux !)  [3]. L’auteur relève d’ailleurs l’insuffisance de l’analyse économique du droit à l’égard de ces procédures, et la nécessité d’un meilleur encadrement juridique.

18L’auteur nous paraît, en définitive, animé par deux soucis : la prévention des dommages et la meilleure réparation des dommages subis par les victimes. On remarquera que ce sont des soucis extérieurs à une analyse économique du droit. Des soucis humanistes qui peuvent aussi bien animer le droit que l’économie politique. Simplement, l’auteur relève à plusieurs reprises l’absence ou les insuffisances de cette analyse sur certains points de droit. Ce n’est pas surprenant. L’analyse économique s’est d’abord portée sur les terrains et les objectifs désignés par les décideurs économiques et leurs experts. Il est temps qu’elle se porte sur les impératifs du bien commun de l’humanité et des droits des « pauvres » ! Le bien commun ? Apparaissent des dommages qui concernent effectivement l’humanité, tel l’environnement. Les « pauvres » ? S’ils sont concernés par le système juridique, c’est sans doute, la plupart du temps, comme victimes. Si bien que la conception large du sujet adoptée par l’auteur se justifie. Que faire pour assurer une meilleure prévention des dommages massifs dans une société du risque qui est aussi une société inégalitaire dans la protection des droits ? G. Maitre offre une thèse constructiviste, une thèse courageuse à l’époque où l’ultralibéralisme rejoint souvent les solutions traditionnelles des académies du droit.

19LE TOURNEAU Philippe, L’Éthique des affaires et du management au XXIe siècle, Paris, Dalloz, Dunod, 2000,269 p.

20Il s’agit d’abord pour nous de réparer un oubli. Nous n’avons pas rendu compte, lors de sa parution, du livre que l’auteur nous avait sympathiquement adressé. Pour cela, il a fallu que nous nous replongions à nouveau sur l’éthique à l’occasion d’un colloque en souvenir de Philippe Fouchard sur l’éthique dans les relations économiques internationales [4]. Disons aussi que nous n’avons pas la même approche de l’éthique. Philippe Le Tourneau envisage l’ensemble des « ouvertures » du droit à l’éthique, en d’autres termes, tous les outils juridiques qui peuvent « servir » l’éthique, comme les notions générales (la bonne foi, la cause, l’abus de droit, la transparence, etc.) mais aussi, les protections entre concurrents et entre non-concurrents, ainsi que les protections particulières des faibles (des consommateurs aux salariés). Nous adoptons, quant à nous, l’idée, différente, que l’éthique est là lorsque le droit n’y est pas et qu’elle n’est plus là lorsque le droit y est. Mais ces deux approches sont parfaitement conciliables. Elles illustrent le phénomène mis en évidence par certains « systémistes » : les systèmes sociaux « se parlent ». Notre auteur bâtit une théorie générale de l’éthique et s’interroge sur la philosophie des rapports droit/morale, les finalités et les organes. Son ouvrage est une somme.

21Philippe Le Tourneau n’est pas dupe et connaît les faiblesses de « la mode de l’éthique (qui) imprègne l’air du temps comme une sorte de mythique utopie, (qui) est l’objet de détournements et a une finalité utilitariste dans les affaires. Faut-il dénoncer cette sorte “d’instrumentalisation” des valeurs ? » Non, car « elle possède une portée incitative et corrective certaine ». Et comment s’étonner de son succès, alors que « la barbarie imprègne l’économie, sous le couvert d’un libéralisme effréné, du libre-échangisme et du monétarisme élevés au rang de dogme » ? L’auteur montre bien comment il y a une nécessité pour les entreprises de soigner leur image. La nécessité d’une « éthique du gris », entre le noir et le blanc. Selon lui, « elle a la qualité de pratiquer une sorte d’autorégulation du marché en étouffant ses dérives les plus graves » (p. 259). Il a raison d’approuver la création du « Comité consultatif national d’éthique », alors que l’homme est « confronté à des questions neuves et graves ».

22En conclusion (p. 257 et suiv.), « ce livre, nous dit l’auteur, est un ensemble, au désordre organisé et dont le bégaiement de la pensée est sans doute plus apparent que réel ». Il relève justement que « si “le droit vient au monde par la discorde” (Héraclite), l’éthique rétablit harmonie et concorde ». Le défi du XXIe siècle « sera de parvenir à créer une harmonie mondiale, grâce à la solidarité, permettant à tous les pays de participer au développement ».

23Il offre enfin une référence heureuse à l’esthétique, dont nous partageons la pertinence : « L’éthique est aussi une esthétique. » L’auteur cite Saint-Exupéry : « Créer le navire, c’est donner aux hommes le goût de la mer. » Il poursuit : « Qui sait si à force de parler d’éthique, même dans une vue désintéressée, les intervenants du marché ne finiront pas par épouser une authentique morale, créatrice de “sens”? »

24Ce discours est assez éloigné des discours dominants en droit des affaires. Philippe Le Tourneau « éprouve parfois l’étrange sentiment d’être comme un étranger dans le monde de ce temps, et de vivre dans une sorte d’isolement ». Il est loin d’être seul à se sentir seul, intellectuellement seul. Mais il échappe à la « fraternité des pessimistes », concept qui, nous semble-t-il, a été créé par le grand Arthur Koestler  [5]. Nous l’envions ! Il rend hommage aux jeunes : « Par certains côtés, les jeunes sont nos maîtres. Ils nous sortent de nous-mêmes, de nos habitudes, routines et opinions. Une vaste tâche attend l’ardente jeunesse : celle d’édifier de nouvelles valeurs ainsi qu’une civilisation inédite, solidaire et respectueuse de l’homme » (p. 258). Il est heureux que des enseignants du « supérieur » tiennent un tel discours à des étudiants qui sont, la plupart du temps, placés par leurs « maîtres » sous la « loi naturelle » de la compétition, et qui, à la première difficulté, se réfugieront dans les fois frivoles ou sectaires.

25Toute notre sympathie est acquise à Philippe Le Tourneau, que nous ne connaissons que sur pièces. Je crois que lui et moi relevons de cette alliance que célébra jadis ce coquin d’Aragon – mais nul n’est coquin « absolument » – : l’alliance de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas.

26L’éthique est une belle question méprisée par beaucoup. Mais que n’ont-ils pas méprisé à l’époque, infiniment plus rude que celle que nous connaissons, des lois raciales et des génocides ?

27DELMAS-MARTY Mireille, Le Relatif et l’universel : les forces imaginantes du droit, Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2004,440 p.

28Mireille Delmas-Marty poursuit une œuvre, et une œuvre de renommée internationale. C’était déjà le cas lorsqu’elle a réveillé les études de droit pénal en France. Les Procédures pénales d’Europe (Paris, PUF, coll. Thémis, 1995,640 p.) a été traduit en espagnol, en italien (deux éditions) et en anglais. Son ouvrage, Les Grands Systèmes de politique criminelle (Paris, PUF, coll. Thémis, 1992,448 p.) a connu une traduction chinoise (en 2000) et une traduction persane (en 2002). Elle a eu la reconnaissance la plus convaincante, celle d’autorités extérieures au droit, celle du Collège de France et celle de l’étranger, comme bien peu de juristes français.

29Mais c’est dans la recherche de la construction d’un ordre juridique international qu’elle a développé ses travaux les plus marquants. Son Pour un droit commun (Paris, Seuil, 1989,305 p.) a été traduit en anglais en 1994. Surtout, Trois défis pour un droit mondial (Paris, Seuil, 1998,200 p.) a connu une version chinoise (en 2000), une version brésilienne (en 2002) et une version anglaise (en 2003). Quel auteur « académique » français peut revendiquer un tel succès ?

30Notre auteur a foi dans « les forces imaginantes du droit ». Et elle voit juste quand elle écrit : « Tout se passe comme si le droit était devenu, ou supposé devenir, le substitut des religions, des idéologies et, comme tel, seul fondateur du sujet (en d’autres termes) le droit pour instituer l’homme. » [6] À un moment donné de son itinéraire, elle écrit que, vu la diversité et la faiblesse des religions, c’est le droit qui peut jouer le rôle d’un élément unificateur dans la société internationale. Mais quel en est le contenu ?

31Le présent ouvrage est consacré à la tension entre le relatif et l’universel. Face au relativisme des droits nationaux se manifeste un universalisme juridique : les droits de l’homme, les droits du marché, le droit des crimes contre l’humanité, les biens communs. Et c’est une question fondamentale qu’elle évoque dans un chapitre consacré aux valeurs conflictuelles (p. 121) : « Peut-on construire une communauté de droit sans communauté de valeurs ?» Alors qu’on assiste à un accroissement des inégalités et à un conflit entre valeurs marchandes et non marchandes, Mireille Delmas-Marty rappelle la distinction faite par Kant entre la dignité et le prix. En cas de conflit, c’est la dignité qui devrait l’emporter. Mais elle constate que, dans le contexte actuel, la mondialisation semble privilégier « valeurs marchandes et procédures au détriment de l’éthique et de la justice substantielle ».

32Et qu’en est-il de l’ineffectivité des normes ? Quid du fait que certains responsables aux États-Unis préféreraient l’untilatéralisme à l’ONU en raison de cette ineffectivité ? En réalité, pensons-nous, la situation est plus grave. Les États-Unis en sont venus à une politique unilatérale (Irak) et au bilatéralisme aux dépens même de l’OMC, qui est efficace, mais qui, fidèle à son rôle de « tiers impartial et désintéressé », leur a parfois donné tort.

33Mireille Delmas-Marty considère le statut de la femme en pays d’islam (p. 137). Elle mentionne un des aspects du conflit : « À l’humanisme laïc des textes de l’ONU, ainsi que des conventions européenne, américaine et africaine des droits de l’homme s’opposent la Déclaration islamique et la Charte arabe qui ne séparent pas la religion du droit » (p. 139). Mais elle ne tranche pas. Elle évoque la réponse classique de toutes les religions qui ont légitimé l’inégalité des deux sexes : « L’homme et la femme sont placés sur un pied d’égalité face au Seigneur, mais à des places différentes. La discrimination qui relève de la volonté divine n’est pas attentatoire à la liberté. » Le débat ne semble pas possible, note Mireille Delmas-Marty. Certainement. Nous aurions aimé qu’elle le dise avec plus de force. Le statut de la femme dans certaines interprétations de l’islam n’est pas admissible à l’âge contemporain du monde. Nous exprimons une pensée qui est celle des minorités éduquées du monde musulman. Notamment celle de la société civile tunisienne que l’auteur et nous-même connaissons bien. En ce qui concerne l’Afrique noire, l’excision, elle, relève du statut du cannibalisme. La polygamie – fort différente de la liberté des mœurs en Occident (les Occidentaux prennent des maîtresses, mais utilisent des préservatifs) – est, entre autres, un obstacle au développement.

34Enfin, il nous paraît hors de doute que les sociétés humaines ne sont pas toutes arrivées au même degré de maturité. Et n’est-ce pas, Mireille, un bel obstacle sur la voie de la construction d’un ordre juridique transnational ? C’est sans doute un obstacle surmontable. Les pays développés connaissent eux-mêmes des franges de populations de toutes les religions qui ne sont pas à l’heure. Et surtout, il y a la tendance hégémonique du système économique. Mireille Delmas-Marty la connaît. À plusieurs reprises dans son œuvre, elle mentionne la dualité des processus qui viennent du système juridique pour bouleverser le monde : les droits de l’homme et le droit économique : « Il faut apprendre à conjuguer économie et droits de l’homme pour inventer un droit commun réellement pluraliste. » [7]

35L’économique à lui seul joue un rôle unificateur. La femme voilée ? Il y a quelques mois, en Égypte, nous contemplions ces jeunes filles aux voiles harmonieux qui embrassaient leurs amoureux comme en Europe. Nous n’en doutons pas : le marché balaiera ces frivolités, traditionnelles d’un système religieux. Le problème est au contraire celui de la survie des cultures devant le rouleau compresseur des médias.

36Mireille Delmas-Marty connaît en réalité fort bien les difficultés de la construction d’un ordre juridique porteur de valeurs universelles. Mais elle n’a pas choisi la dénonciation. Aussi, elle a pu se faire entendre dans toutes les parties du monde. Et notamment des mollahs à Téhéran sur le droit pénal et les droits de l’homme. À plusieurs reprises, elle hésite (avec raison !) sur la bonne solution à adopter. Sans doute, il lui « semble que le relativisme n’est pas réaliste et que le réalisme serait de faire appel aux forces imaginantes du droit pour sortir de l’impasse. Les faiblesses que nous avons analysées, qu’il s’agisse des concepts flous ou des normes ineffectives, ouvrent peut-être une autre voie pour tenter de construire ensemble une future communauté de valeurs, en faisant le pari que le flou, le doux et le mou seraient comme les garde-fous de cette complexité-là; il faut se nourrir de l’incomplétude des idées, pour ne pas subir la force des choses » (p. 215). C’est un grand plaisir d’entendre un tel discours dans l’océan de médiocrité positiviste sur lequel nous naviguons.

37FRISON-ROCHE Marie-Anne, BONFILS Sébastien, Les Grandes Questions du droit économique : introduction et documents, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2005,440 p.

38L’ouvrage est d’une toute autre nature que ceux que nous envisageons dans la présente chronique. Il ne s’agit pas de réflexions sur le monde où nous vivons ou d’exploration d’un avenir incertain. Il s’agit de la transmission du peu que nous savons. Ce qui n’est pas rien. Si nous insistons, c’est que cet autre ouvrage est, à notre avis, d’une réussite rare.

39Le projet de ce manuel reposait sur un pari. Non pas parce qu’il concerne les rapports entre le droit et l’économie. L’exercice est familier à nombre d’entre nous. Mais parce qu’il s’agit d’un manuel. La qualification a même retardé notre prise de connaissance jusqu’aux heures creuses des vacances. D’autant plus que nous avions des doutes sur les chances de réussite d’un ouvrage qui prétendait exposer tant à des économistes qu’à des juristes le couplage droit-économie.

40Le projet est réussi. Il s’agit bien d’un « manuel », mais c’est surtout un ouvrage d’ouverture qui peut effectivement permettre à des économistes soucieux d’éclairer de multiples aspects des situations où l’économique est largement construit par le droit, et à des juristes de s’initier à la discipline, hérétique par rapport à leur formation disciplinaire traditionnelle, du droit économique. Mais à quel public se destine cet ouvrage ? Les auteurs enseignent à Sciences-Po. Ils ont le meilleur auditoire de l’enseignement supérieur français.

41Les facteurs de la réussite de l’ouvrage résident moins dans les grandes questions retenues que dans les méthodes utilisées.

42Il n’y a pas de surprise quant aux questions retenues. Les chapitres sont classiques : 1) Généralités sur le droit économique; 2) L’entreprise; 3) Les difficultés des entreprises ; 4) Les règles communes aux différentes sociétés; 5) La société anonyme ; 6) Les autres formes sociétaires; 7) Le droit du marché financier; 8) Le droit civil de la concurrence; 9) Le droit du marché concurrentiel.

43Ce sont donc les méthodes qui retiennent l’attention.

44Tout d’abord, la présentation des questions est très heureuse. On n’expose pas la question dans son ensemble, on choisit des documents – une décision, un commentaire doctrinal, voire un article de journal, une illustration. Ainsi, s’agissant de la mondialisation, on mentionne l’existence du système juridique privé, mais on relève son insuffisance et on met en valeur l’OMC, « embryon d’un droit régulant la mondialisation ». Ou encore, on expose l’arrêt Magill de la CJCE sur les abus de position dominante, tout en signalant que s’il a éclaté comme un coup de tonnerre, il n’a guère engendré de suites. Mais peu importe, parce qu’il met en présence d’un conflit significatif. Les documents sont choisis en fonction de leur signification pour les intérêts en jeu, les conflits.

45Aussi, il y a trois parties identiques dans chaque chapitre : 1) Problématique et enjeux; 2) Bibliographie indicative ; 3) Illustrations. Il s’agit bien d’un manuel d’ouverture : on met le lecteur en présence de l’essentiel et on lui donne les moyens d’en savoir plus. C’est un manuel d’appel. Nous posions la question du public possible. Dans les masses d’étudiants en économie ou en droit soumis à un enseignement de plus en plus « primaire », positiviste et conformiste, il existe des esprits curieux et critiques qui n’ont pas eu les moyens d’accéder aux quelques lieux privilégiés d’enseignement supérieur. Et puis, l’ouvrage est utile à ceux qui ont en charge une tâche de communication qui implique une information interdisciplinaire droit/économie. Sans parler du public cultivé pour qui le livre est accessible.

46Quant au « fond » du discours, nous relevons que le droit est très justement présenté comme un système : sans dépendance de principe quant aux règles non juridiques, et apte à engendrer des solutions pour des situations nouvelles. Mais il est « poreux » vis-à-vis de faits et de normes d’autre nature. C’est évoqué brièvement et simplement, mais on mentionne des travaux de Luhmann et Teubner. Indépendamment des structures qu’il a fournies à l’économie (la propriété, les obligations), le droit détermine des limites. Le système économique ne peut être abandonné à lui-même : il doit être régulé.

47Disons pour finir que l’une des qualités de l’ouvrage qui entraîne notre sympathie est sa distanciation vis-à-vis du droit positif. Les auteurs ne font pas silence sur les phénomènes de pouvoir (p. 168 notamment), décisifs et pourtant ignorés par la doctrine dominante. « La concurrence tue la concurrence » (p. 11). « Certaines multinationales, plus puissantes et ayant pouvoir sur davantage d’individus que bien des États » : on le sait, mais est-il fréquent d’attirer l’attention des lecteurs sur ce fait fondamental dans les ouvrages de droit ? La société commerciale est une « cité politique », « le pouvoir politique est concentré pour une durée illimitée entre les mains des dirigeants sociaux » (p. 169). Mais sur quelle légitimité s’appuie-t-elle ? Il ne s’agit certes pas de la démocratie (mais l’ouvrage donne la parole à la doctrine qui s’attache encore à ce vieux mythe): le vote dépend de la quotité du capital détenu.

48Le risque qui grandit avec les parts détenues ? « Peut-être ne faut-il pas penser en termes politiques, mais en termes d’efficacité et d’organisation, ce qui entraîne vers une réflexion sur les contre-pouvoirs techniques, tel le commissaire aux comptes, et sur l’organisation de l’information » (p. 170). Ce qui nous paraît parfaitement raisonnable en l’état universel du système économique contemporain. De même, est-il raisonnable de noter qu’« il est des arbitrages de nature quasi politique, que les autorités de la concurrence ne peuvent pas opérer » (p. 427): saine reconnaissance du domaine propre du système politique. Sans doute sommes-nous personnellement plus critique. Nos auteurs apprécient avec humour la « notion d’entreprise reçue par le droit : (des) efforts mais peut mieux faire » (p. 83). Nous ferions quant à nous une part au « mythe » de l’entreprise, mais il est vrai qu’il joue surtout un rôle idéologique.

49Pour conclure, on est en présence d’un nouveau type de manuel, aux antipodes de ceux sur lesquels nous étudiions dans notre période de formation. Nous voudrions en persuader nos lecteurs : si nous lui avons consacré un peu de temps, c’est vraiment parce que nous avons là, nous semble-t-il, un remarquable outil pédagogique.

50SUPIOT Alain, Homo juridicus : essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2005,333 p.

51Cet ouvrage remarquable, que devraient lire tous ceux qui s’intéressent à la philosophie du droit, nous pose quelques problèmes.

52Le commentaire d’un tel ouvrage a-t-il sa place dans notre revue ? À l’évidence, l’auteur n’aime pas le droit économique, qu’il ne mentionne pas parmi les disciplines juridiques (p. 323). Mais on ne s’arrêtera pas, on s’en doute, à cette objection. Ce qui nous gêne, c’est que ce qui est en cause dans l’ouvrage d’Alain Supiot est, implicitement, le lien social et le jeu des différents systèmes qui le composent. Ne sommes-nous donc pas « hors sujet » à l’égard de la revue ? Non, car nous sommes intimement convaincu qu’un juriste qui s’intéresse au droit économique a bel et bien quelques questions de philosophie du droit à se poser s’il n’est pas enfermé dans le droit du marché et le marché du droit. Le problème est ailleurs. Nous venons de « sortir » un ouvrage sur le couplage droit-économie et nous projetons d’en écrire un autre sur le lien social à l’heure où les Lumières vacillent. Or nos propres conceptions et convictions sont, généralement, à l’opposé de celles d’Alain Supiot. Ce qui va nous amener à critiquer vivement certaines de ses affirmations. Une première lecture de l’ouvrage, extrêmement rapide, nous avait enthousiasmé. La seconde a mis en évidence des oppositions fondamentales. Mais avant d’en venir à celles-ci, exposons les raisons de la séduction de cet essai.

53On est emporté par un ouvrage au style vif et clair, à l’exposé rigoureux, soutenu par des convictions fortes, animé par un esprit critique, étayé par de nombreuses références bibliographiques éclectiques et de haute qualité, sans temps mort. À l’évidence, le fruit d’années de travail et de réflexion. Au plan de la conception d’ensemble, des méthodes d’exposé, de la construction de l’ouvrage, c’est un modèle. Si bien qu’après la première lecture, nous avons été soulagé en estimant qu’au moins, nous avions encore des choses à dire quant au fond dans notre ouvrage en construction !

54Quant au fond, nous partageons au moins deux options de l’auteur : nous sommes du côté des pauvres ! Et nous sommes hostile, comme lui, au positivisme juridique.

55Sur le sort des pauvres, eu égard aux frontières, Alain Supiot a une heureuse formule : « Ouvertes aux choses, ces frontières demeurent fermées aux hommes, et il n’existe pas de libre circulation des personnes à l’échelle internationale. » C’est le genre d’observation, fréquente dans cet ouvrage, qui constitue l’une des raisons qui le rendent attachant. L’auteur est l’un des rares analystes sérieux à soulever ce scandale dissimulé par l’idéologie qui nous entoure, ce scandale de la colossale inégalité mondiale entre les riches et les pauvres quant à la liberté d’aller et venir à l’échelle de la planète. Même si elle est inévitable, elle doit être prise en compte dans le bilan de la mondialisation.

56Alain Supiot est ouvert à toutes les « cultures » (concept qu’il n’utilise pas) ou, si l’on veut, à toutes les « façons de penser ». Nous apprécions ses rencontres avec la façon de penser chinoise grâce aux grandes analyses (J. Needham, le maître Granet, Vandermeersch), qui nous ont fait changer d’opinion sur la « nature » du droit. Mais même la « loi de l’islam » trouve grâce à ses yeux. Nous sommes moins indulgent et nous pensons, comme nos nombreux amis du Maghreb, que religions et peuples du monde ne sont pas tous parvenus au même âge historique.

57En ce qui concerne le système juridique, Alain Supiot condamne avec raison, comme nous-même, le « positivisme » et l’assimilation de la discipline juridique à une science [8].

58Enfin, parmi les éléments positifs de fond, nous apprécions de nombreux développements, notamment le chapitre consacré à la force obligatoire de la parole, ainsi que le dernier chapitre de l’ouvrage intitulé : « Lier l’humanité : du bon usage des droits de l’homme ».

59Alors, où sont les divergences entre la pensée de l’auteur et la nôtre ?

60D’abord, et essentiellement, quant au statut de la science. Nous sommes littéralement sidéré par certaines affirmations d’un auteur de cette qualité. D’où sont venus les totalitarismes du XXe siècle, le nazisme et le socialisme ? Du scientisme, ou tout au moins des « dérives scientistes », « qui avaient conduit à discriminer les hommes selon une prétendue identité de race, de classe ou de gènes » (p. 185). « Les systèmes totalitaires qui ont marqué le XXe siècle permettent de voir où se situe le point délirant du projet de régulation scientifique de la société. Il ne se situe pas dans leurs ressemblances, au demeurant nombreuses, avec des religions » (p. 104) ! C’est une prise de position polémique et sans aucun fondement que d’attribuer aux totalitarismes de cette époque un projet de régulation scientifique. On le sait, le totalitarisme communiste – qui, des deux, est celui qui se rapproche le plus d’une approche scientifique de la société – prétendait contrôler la science (pour n’admettre que la seule « science prolétarienne »). En réalité, les « dérives » de la science ne sont que des discours à coloration scientifique, destinés à renforcer la légitimité des systèmes totalitaires. Les autorités totalitaires ont obtenu quelque apparence de légitimité comme elles ont pu en obtenir des autres systèmes, particulièrement du juridique. Le système religieux a sans doute été le plus réticent (à noter cependant, la « repentance » de la religion catholique, tout à fait honorable).

61Alain Supiot veut bien convenir qu’« entre ceux qui se croient les instruments de la loi divine et ceux qui se croient les instruments de l’Histoire (selon laquelle survit la classe la plus progressive) ou de la Nature (selon laquelle seuls survivent les plus aptes), il y a plus qu’une homologie » : selon lui, les comparaisons chiffrées des massacres ne font pas la différence. La différence résiderait dans le fait que la loi divine et la loi de la République s’adresseraient à l’homme comme sujet et que les lois de la science l’envisageraient comme objet (p. 104). Les victimes des immenses massacres de toutes les époques et de tous les lieux de la planète n’apprécieraient guère cette différence.

62Alain Supiot n’hésite pas à affirmer que « nous vivons aujourd’hui dans une ère “post-hitlérienne” » (p. 74). « Ayant refusé de voir ce qui en elles-mêmes avait pu constituer les germes du totalitarisme, les démocraties ont continué de croire que l’économie détermine en dernière instance les rapports sociaux » (p. 75). D’où vient en définitive tout ce mal ? L’auteur reprend à son compte l’analyse de P. Legendre selon laquelle « la science occupe désormais la place structurale d’instance du Vrai jadis occupée par l’Église » (p. 75)  [9] et considère que « la légitimation scientifique prend ainsi la place de la Référence dogmatique » (p. 126). Aussi bien, l’évolution et Darwin, sans parler de la « raison », reçoivent leur lot de critiques.

63Nous avons mieux compris à la lecture de cet ouvrage pourquoi l’enseignement de Darwin était interdit dans certains États des États-Unis, et qu’il doit, dans d’autres, être nécessairement accompagné d’un enseignement biblique de la création.

64Revenez, Père Teilhard de Chardin, ils sont devenus fous !

65La grande faiblesse de l’ouvrage est d’ignorer la diversité et le jeu des systèmes qui composent le lien social et de négliger la force du système économique.

66Comment peut-on affirmer que la science a succédé à la religion et faire abstraction du système politique et du système économique ? Pourtant, Alain Supiot, dont la culture est considérable, connaît le systémisme (Luhmann et Teubner sont cités), mais n’en retient pas le minimum, à notre avis nécessaire. On fait souvent abstraction du systémisme, avons-nous écrit, « en raison d’une représentation quasi totalitaire du lien social. Une représentation religieuse de la société peut amener à considérer que le droit est, pour l’essentiel, ce qu’une société imparfaite retient de la parole de Dieu. [10] » Cette affirmation ne coïncide pas tout à fait avec le discours d’Alain Supiot. Il faudrait parler de représentation « totalisante » et non de représentation totalitaire. Mais lorsqu’il soutient que la science a remplacé la religion et qu’il se livre à une critique assez constante de cette dernière, il reste bel et bien la « religion » comme fondement unique du lien social. On peut effectivement soutenir qu’il existe une « spiritualité » commune à toutes les sociétés, des plus « primitives » aux sociétés d’Asie, d’Europe et d’ailleurs. Nous ne sommes pas compétent pour en traiter. On peut dire qu’il existe également une laïcisation du religieux. L’attitude d’Alain Supiot nous paraît proche de celle de Luc Ferry et Marcel Gauchet, dans leur ouvrage Le Religieux après la religion[11]. Mais, à notre avis, cette spiritualité commune relève plutôt d’un système moral, voire philosophique, que d’un système religieux, même si elle a succédé pour partie en Occident à celui-ci, ou si elle est, tout au moins, née de lui.

67Il n’en reste pas moins que c’est le système économique qui tend à occuper aujourd’hui une position privilégiée dans la composition du lien social et de « l’homme social ». Alain Supiot y fait référence, en imputant à cette place privilégiée une causalité idéaliste : « Dès lors qu’elle s’affranchit des lois positives des États et qu’elle croit incarner les forces impersonnelles du marché ou de la biologie, l’action économique porte en elle tous les germes de la conception totalitaire du droit. » La formulation est idéaliste. L’action économique ne s’affranchit pas des lois, elle contribue (le mot est sans doute faible) à leur formation. Elle ne croit pas incarner les forces impersonnelles, elle s’en moque. Si les forces économiques et leurs courtisans invoquent le marché, c’est pour légitimer leur action, surtout lorsqu’elles le violent ! La religion ? Et le marché de la foi tel qu’il fonctionne aux États-Unis ? Vraiment, peut-on imputer à la science l’oppression et le stress qui pèsent sur le producteur, ainsi que la conquête du consommateur ? L’extension du marché à tous les aspects de la vie et les tentatives hégémoniques du système économique actuel sur les autres systèmes – le politique, le religieux, le scientifique, la culture, etc. –, méritaient infiniment plus d’attention.

68Alain Supiot dirige essentiellement ses critiques contre les tentatives d’instrumentalisation du droit par l’économie et l’analyse économique du droit; tout au moins celle de l’école américaine. Et ses critiques de celle-ci nous paraissent parfaitement justifiées. Mais une analyse économique du droit peut avoir de nombreuses dimensions. Le marxisme constitue une telle analyse.

69Et puis, s’agissant du système économique, n’a-t-il pas eu un rôle libérateur fondamental de l’homme, et un rôle dans la construction de l’homo juridicus ? Marx, qui n’aimait pas la bourgeoisie, l’a salué à ce titre : il a entraîné « dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares ». Portalis a vanté « l’extraordinaire pouvoir émancipateur du commerce à l’égard des femmes et des enfants ». Les rédacteurs du Code civil français vantèrent l’esprit de société et l’esprit d’industrie « qui disposent mieux chaque individu à supporter le poids de sa propre destinée » [12]. Il est possible que les marchands, qui ne sont plus des marchands, mais des organisateurs privés de l’économie, se soient emparés du Temple et que la société ne corresponde plus au modèle du marché. C’est une hypothèse que nous formulons – et pas notre collègue Supiot. D’où l’urgence d’un droit économique qui soumette le système économique à un État de droit comme l’est le système politique.

70Supiot est l’un des rares juristes français à s’interroger sur l’essentiel. Notre avis est qu’il se trompe gravement de cible en visant la science. Il sous-estime la place du système économique actuel dans la structure de l’homme et des sociétés développées. Et nous ne partageons pas son analyse du système juridique. Il n’empêche, au-delà des pages éclairantes qu’il a écrites et dont nous n’avons pas rendu compte, et des critiques que nous avons formulées, qu’il est l’un de ceux qui combattent l’écrasement des faibles dans la société économique. Alain Supiot ne réalise pas combien une analyse économique du droit peut permettre de remettre celui-ci sur ses pieds et de réaliser une certaine transparence des rapports sociaux trop souvent recouverts par les habits et les masques formels du droit.

3 L’ÉVOLUTION DU MONDE, LE FONDAMENTAL ET LE SYSTÈME JURIDIQUE

71Le système juridique est très concrètement concerné par le « fondamental ». À l’évidence, au niveau des juridictions supérieures de toute nature, qui sont partout, et pas seulement aux États-Unis, créatrices de droit. Il faut penser aussi aux juridictions internationales et aux organismes de régulation, dont le rôle est considérable. On ne peut participer à l’« œuvre de justice », à l’arbitrage, sans références à des valeurs. La formation des juristes exige une interrogation sur ces valeurs.

72L’« essence » du droit est, pour nous, celle que proposait Alexandre Kojève : « l’intervention d’un tiers impartial et désintéressé » [13]. Mais, bien sûr, dès l’origine, ce tiers n’intervient pas sans références, même si elles ne sont pas encore révélées. Et puis, au fil de l’évolution, le système juridique s’est enrichi dans ses sources – la loi–, il a fait siennes certaines valeurs et il a secrété les siennes propres. Et il a fini par acquérir une position universelle dans les institutions internationales et la conscience des hommes. Trois points nous intéressent. Le droit est amené à se prononcer sur le fonctionnement de tous les systèmes qui composent le lien social et sur les rapports intersystémiques. Il doit le faire à une époque de bouleversements sociaux sans précédent dans l’évolution du monde. Et il n’est pas sûr qu’il soit en mesure de le faire de façon satisfaisante.

3.1 Le système juridique et les autres

73Nous n’avons du « systémisme » qu’une approche intuitive. Nous nous en tiendrons à quelques évidences. Les différents systèmes qui composent le lien social n’ont pas le même rôle, qui varie suivant les époques. Il y a les systèmes que l’on peut qualifier de systèmes de pouvoir, qui peuvent d’ailleurs connaître des dérives totalitaires. Ce qui implique non seulement une idéologie (au sens neutre, une représentation du monde et des rapports humains), mais aussi des institutions et des hommes qui détiennent le pouvoir. Le système religieux est le premier historiquement, ainsi que le système « moralo-philosophique » du confucianisme (qui accompagne le mandarinat). Le système politique a suivi, puis, pensons-nous, le système économique, qui manifeste aujourd’hui des tendances totalitaires. La science, le droit, les arts ne sont pas des « champs », voire des systèmes, de pouvoir. Quelle que soit leur influence, qui peut être, heureusement, considérable, ils ne s’identifient en aucune mesure à un pouvoir, à une « gouvernance », selon l’expression aujourd’hui répandue. Les savants n’ont exécuté personne, mais combien de savants ont été exécutés par les religions et les régimes politiques ! Jusqu’aux artistes qui ont souvent dû subir l’oppression des religieux et des politiques. Quant aux juristes, généralement, ils ont « servi ». Ils ont servi le droit positif, de quelque pouvoir qu’il vienne.

74Aussi bien, les différents systèmes sociaux vivent en harmonie et se « parlent entre eux », suivant la formule heureuse de Teubner. Leurs divergences finissent néanmoins par se régler, sauf lors de crises profondes, notamment lors des changements dans les rapports de force entre systèmes. L’harmonie est si évidente parfois que certains refusent la notion de système et préfèrent l’unité : la parole de Dieu, la raison. Il n’y aurait qu’une parole fondatrice.

75Revenons sur le conflit religion/science, très opportunément évoqué par notre collègue Alain Supiot, puisqu’il agite l’opinion américaine, et gagne la France. « Dieu contre Darwin, la nouvelle guerre civile américaine », titrait Le Monde 2 du 8 octobre 2005 [14]. Le président Bush, conformément à l’opinion de 65% des Américains, s’est prononcé en faveur de l’enseignement des théories de l’Intelligent Design au même titre que celles de l’évolution. Cela dit, personne ne condamne aujourd’hui Galilée et ne soutient que l’on devrait enseigner aussi, à côté de l’opinion commune, que la Terre est plate. D’ailleurs, la conception de l’Intelligent Design marque une évolution considérable dans la conception de Dieu : ce n’est plus l’homme barbu que l’on nous a présenté dans notre enfance. Aussi bien, l’Église catholique a admis le darwinisme avec le concile Vatican II ( 1962-1965), un siècle après son apparition. Mais elle a mis plus longtemps encore à admettre le régime démocratique. Les dialogues intersystémiques ne sont pas faciles.

76Dans cet ensemble relativement harmonieux (sauf en cas de crise) qui structure le lien social, le système juridique paraît avoir constamment un rôle auxiliaire, notamment à l’égard de systèmes qui ont la stature de systèmes dominants : le religieux, le moral, le politique, l’économique. Il est vrai qu’il apparaît comme le système qui « sert tous les autres », et qui les a servis successivement. Mais, précisément, à l’époque de la démocratisation et de la mondialisation, il est en passe de devenir un système de communication général, comme l’a bien vu Mireille Delmas-Marty.

77C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier les rapports du juridique et du politique. Nous avons connu ces rapports en France à l’époque de la domination du système politique sur le juridique. Elle était exercée de cent façons, mais déjà avec une certaine discrétion, car elle heurtait le discours idéologique dominant. Aujourd’hui, les systèmes juridiques ont acquis, dans la plupart des pays développés, l’autonomie qui caractérise un vrai système social. Mais, tout de même, des liens officiels importants demeurent avec le système politique. Aux États-Unis mêmes, ils se « parlent » d’assez près : c’est le Président qui nomme les membres de la Cour suprême. Dépendants, alors ? Pas tout à fait : ces derniers sont nommés à vie, ils ont conscience de leur position d’arbitre dont ils peuvent espérer tirer une reconnaissance sociale non partisane. Et puis, dans un système démocratique, il n’est pas anormal que le « peuple » se fasse entendre dans tous les systèmes.

78Il le fait essentiellement au sein du système politique, par la loi, devenue avec le système démocratique l’une des principales sources de droit.

79Alors, le système politique demeure-t-il le système dominant ? Pas nécessairement. Ce sont souvent les juges qui proposent des solutions concrètes. Et puis, le système économique a pris le relais du système politique dans la formation du droit contemporain. Si une bonne partie du droit contemporain des échanges vient des « marchands », si les hommes politiques sont plus ou moins élus avec le soutien du pouvoir économique, si l’opinion publique est « formée » par des moyens de communication qui sont la propriété du pouvoir économique, si l’économique a une influence dominante dans le système scientifique (l’économie « politique » prétend être devenue la science économique, elle définit largement les orientations de la recherche scientifique), si des principes économiques bénéficient de la reconnaissance des systèmes moraux et religieux (le caractère sacré de la propriété et de la liberté du commerce, dont on peut déduire pas mal de conséquences concrètes), c’est, en fait, que le système économique a de fortes tendances hégémoniques. D’autant plus que le pouvoir politique peut renoncer à exercer ses prérogatives sur des questions électoralement délicates. Et, remarque peut-être polémique, alors que les « hommes politiques » n’ont plus la stature de la belle époque du politique.

80Que devient, dans ces conditions, le système juridique ? Il sert le système aujourd’hui dominant comme il a servi ceux qui dominaient autrefois. Il se transforme avec les procédés de la régulation et fait une place au système dominant. Tous les systèmes ont un besoin de normalisation. Et il continue à jouer un rôle de médiation intersystémique. Mais il le fait sans doute avec beaucoup plus de difficultés qu’autrefois.

3.2 Des bouleversements mondiaux sans précédent

81Les bouleversements sont tels aujourd’hui qu’ils changent la structure sociale et idéologique de la planète. Aussi, aucun système ne propose de réponse cohérente et universelle quant à son contenu, à part un seul : le système économique. Il n’y a pas de précédent : c’est d’ailleurs pourquoi les autres systèmes sont « embarrassés » et que l’on parle couramment d’une perte du sens pour les « sujets » des différents systèmes : les individus. Ce qui ne signifie pas que ces derniers soient plus libres, contrairement à certaines affirmations courantes ! Si le système économique n’est pas embarrassé – il est même péremptoire –, c’est pour une raison simple : c’est lui qui mène la danse !

82Tous les pays – à quelques exceptions près non significatives – ont adopté les principes fondamentaux du libéralisme et du capitalisme. Dès lors, le système économique est le seul grand système de pouvoir à avoir une assise universelle, et effective, pas seulement en raison de l’existence de l’OMC, mais en raison d’un libre-échange et d’une concurrence mondiale. Et également en raison du fait que même les États-Unis, maîtres du jeu actuel de la mondialisation, sont exposés au jeu international de l’économie : trois États asiatiques sont en mesure de mettre le dollar en péril. Et, confirmation supplémentaire de la mondialisation, la mise en péril du dollar – nous dit-on – causerait un trouble planétaire.

83On sous-estime la mondialisation en ignorant, ou en feignant d’ignorer parfois, son aspect le plus fondamental : la victoire du système capitaliste sur le système socialiste. On ne se souvient plus – notre époque n’a pratiquement plus de mémoire historique – du fait que la mondialisation a été, pendant quelques années, la perspective d’un troisième conflit mondial à l’échelle planétaire et que la planète a hésité entre deux modèles économiques. Certains affirment aujourd’hui que la lutte des classes était une invention de Marx. Ils ont tort. Nous pouvons l’affirmer en raison du fait que nous sommes de ceux à qui l’Histoire fournit une expérimentation gracieuse (un des rares bénéfices de l’âge… ). La lutte a bel et bien existé, mais elle s’est terminée par la victoire de la classe des « possédants ». La chute du modèle socialiste, et surtout les conditions dans lesquelles elle s’est produite, rendent plus qu’improbable une relance dans un avenir proche. C’est une belle victoire.

84Elle est porteuse de paix. Les vainqueurs, guerre « froide » gagnée – déjà, cette guerre était sans précédent –, ne songent pas à en mener d’autres. Du moins, ce n’est plus leur préoccupation. Les guerres d’aujourd’hui sont des soucis pour les gouvernants, même lorsqu’elles correspondent à quelque considération du passé. On observera que les deux « blocs » étaient « internationalistes » et que cela conforte singulièrement la mondialisation actuelle. Les non-possédants étaient aussi pour l’« internationale ». Mais ce sont les possédants qui la réalisent.

85La mondialisation a un coût et implique la prise en charge d’obligations pour les vainqueurs. Elle demeure fragile. Pourquoi ?

86Les pays occidentaux, menés par les États-Unis, se sont alliés avec tous les régimes antisocialistes, qu’il s’agisse de régimes dictatoriaux ou de régimes religieux. Ils ont favorisé ceux-ci. Ils ont donné la priorité à l’économique, même s’ils invoquaient d’abord, en vertu de la place du politique en période de transition, les droits de l’homme, les fondements de la démocratie. D’où une seconde observation, en passant, sur la nature première de la mondialisation : les deux blocs privilégiaient l’économie. Alors, quelles sont les faiblesses de la mondialisation qui a réussi ?

87La plus apparente n’est pas nécessairement la plus difficile à vaincre. C’est évidemment le terrorisme. Les pays occidentaux, dans leur lutte contre le socialisme, ont soutenu, parfois imposé les régimes religieux les plus archaïques [15]. Ils en payent aujourd’hui le prix. Les pauvres du tiers-monde pensent maintenant ne pas avoir d’avenir sur Terre avec la disparition du « paradis socialiste », et ils ont reporté leurs espoirs sur le paradis traditionnel. Cela dit, les fanatiques peuvent causer de gros dommages, mais ils n’ont pas d’avenir politique.

88Les problèmes les plus graves pour les sociétés contemporaines sont ailleurs.

89Lorsque les soldats américains pénètrent dans des villes inondées, armés jusqu’aux dents, le doigt sur la détente, alors que, depuis trois jours, de jeunes enfants sont privés de nourriture, que des personnes âgées sont mortes noyées dans leur maison de retraite, que de nombreux cadavres sont portés par les flots et que ces villes ne sont pas en Irak, mais aux États-Unis mêmes, on doit s’interroger. Le « tiers-monde », dont on ne parle plus, n’a-t-il pas pénétré à l’intérieur des États riches ?

90Le fait que « la fortune des trois foyers les plus riches du monde (Bill Gates, Warren Buffet et la famille Walton, propriétaire des magasins Wal-Mart) dépasse le revenu total des 940 millions de personnes les plus pauvres » [16], le fait qu’« un enfant américain sur quatre vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté », que le taux de délinquance soit plus élevé aux États-Unis que dans tous les autres pays riches, alors qu’il s’agit de « l’un des derniers pays sans sécurité sociale pour tous » et qui est donné couramment comme modèle, tous ces faits et quelques autres sont significatifs d’un grand désordre. Mais le plus significatif de tous est l’existence, aux États-Unis, des « gated communities » : les riches se sont mis à fonder des villes nouvelles, à la fois fermées aux pauvres et peuplées en fonction des groupes ethniques. La protection, la « distinction » par quartiers n’est plus suffisante. Ils sont trente millions à avoir choisi la formule. Et le marché est en plein développement. Le droit n’a-t-il pas son mot à dire ?

3.3 Quelle place pour le système juridique ?

91Il est peut-être le seul à pouvoir remplir une fonction stabilisatrice, médiatrice dans le monde contemporain.

92Mireille Delmas-Marty a sans doute raison, au plan international notamment.

93À l’heure actuelle, tout conflit armé entre les puissances « occidentales » et entre les puissances occidentales et les grandes puissances asiatiques (qui pourraient « couler » le dollar, mais n’ont pas intérêt à le faire) est impensable. Il faut bien recourir à un règlement pacifique des inévitables conflits, notamment de nature économique. D’où l’importance des organismes de régulation internationaux et des aspects économiques que le droit international privé devra de plus en plus prendre en charge à la lumière d’un ordre public transnational. Et participer à sa construction. Les États disposent certes de l’outil de la diplomatie mais il est tout à fait insuffisant. Les organes de régulation internationaux sont indispensables.

94Comme s’il suivait l’économique, le système juridique voit son importance grandir dans le lien social et tendre à l’universalisme, en ce qui concerne tout au moins le droit des affaires. C’est pourquoi ce point de vue sur la croissance du système juridique n’est nullement utopique. D’autant plus qu’il est partagé par le meneur de jeu actuel à l’échelle mondiale, les États-Unis.

95Il est vrai que le président Bush invoque aussi l’autorité de Dieu, notamment pour légitimer les interventions militaires. Plus on a de légitimité systémique, plus on a de chances de s’imposer. Pourtant, le système religieux n’est aujourd’hui pas plus qu’hier en mesure d’assurer une fonction unificatrice à l’échelle planétaire. C’était évident hier. Aujourd’hui, il est extraordinaire d’imputer à la science le racisme nazi, comme nous semble l’avoir fait notre collègue Supiot. C’est Luther qui préconisait de brûler tous les juifs. C’est un village polonais qui brûla ses juifs effectivement à l’ombre de l’occupation nazie. Les États-Unis mêmes nous montrent que l’unification ne joue pas le rôle du système religieux. Règne aux États-Unis le marché de la foi, ce qui montre bien que le système religieux lui-même peut être « ordonné » par le système économique.

96Le système juridique peut également privilégier le système économique. Le droit économique – il faut bien en parler, en définitive – peut être réduit à un droit du marché et soumis par l’analyse économique aux priorités définies par l’économique. On peut invoquer, ce que certains ne manquent pas de faire, la sélection naturelle pour fonder le droit de la concurrence [17], voire l’inégalité. La sélection naturelle, un nouveau (?) droit naturel ! L’insécurité des villes ? Les riches que la délinquance gêne n’ont qu’à s’armer, recourir aux organismes de sécurité, sécuriser leurs quartiers, fonder des villes sûres. C’est ce qu’il font. Il existe un marché de la sécurité.

97Bien entendu, d’autres réponses existent, également fournies par le droit économique.

98Celles de l’État-providence, ou plus modestement dans le domaine de la responsabilité, le principe de précaution. Nous avons évoqué les inondations qui ont ravagé la Nouvelle-Orléans. La science, honnie par certains (le démon ?), avait permis de prévoir l’immense sinistre. Des mesures préventives pouvaient être prises. Un droit de l’environnement a fini par s’imposer. Plus généralement, le droit économique peut fournir des mesures réformistes, qui n’empruntent pas nécessairement les techniques du dirigisme, mais celles de la régulation, qui impliquent la participation des acteurs économiques. Le droit économique, à l’aide d’une réflexion critique, qui prolongerait le droit de la concurrence, peut constituer des barrières aux tendances hégémoniques du système économique sur la politique, la science, la culture et le droit lui-même.

99Cela dit, le système juridique est-il en mesure de répondre de façon satisfaisante aux besoins des sociétés contemporaines ?

100Nous pensons, et avons toujours pensé, que l’époque appelle une critique juridique de la société, et singulièrement du système économique, en raison de son rôle directif, et en conséquence un apport important du système juridique à la construction de ces sociétés contemporaines. Et, malheureusement, en un demi-siècle de fréquentation intense dudit système, nous avons constaté une certaine incapacité à pourvoir aux « besoins » des sociétés contemporaines. Sans doute le système juridique joue-t-il un rôle important aux États-Unis, et certains de ses aspects sont dignes d’intérêt pour l’Europe. Mais on ne saurait dire qu’il est vraiment ouvert à la population. Le marché du droit est fermé à l’immense majorité des sujets de droit en raison de son coût. Le correctif, heureux en son principe, compte tenu de l’importance des dommages massifs et des faibles moyens de l’immense majorité de la population, de la class action a eu un effet pervers considérable : elle génère des coûts considérables pour les entreprises à la suite de procès en responsabilité. Elles peuvent être mises en difficulté, ou bien elles doivent augmenter leurs prix. Et les pauvres, les particuliers à petit budget, n’auront plus accès à certains produits ou services en raison de leur coût. D’où l’hostilité du patronat français à l’introduction de la class action en France. En réalité, ses prétendus effets pervers viennent d’ailleurs : de l’institution du jury (les jurys populaires sont généreux et incompétents) ou encore du « marché » de la législation [18]. Ce qui amène à une autre constatation qui touche au fondamental : l’institution du jury n’a pas aujourd’hui sa place dans le système juridique. Ou c’est un souvenir formel du passé, ou bien c’est une promotion idéologique de la démocratie. Le « peuple » est associé à la justice. Il ne l’est toutefois pas à peu de frais. Il l’est à grands frais. Néanmoins, nul doute que les vrais décideurs préfèrent cette participation symbolique à une participation effective au politique. Pourquoi l’institution du jury est-elle anachronique ? Parce que notre société contemporaine est infiniment complexe (une analyse qui a connu un franc succès et qui est maintenant oubliée) et que la solution des litiges n’est pas à la portée de jurys « populaires », même en trichant sur leur désignation. Sans compter qu’un jury peut succomber aux charmes et à l’habileté des avocats… On en a l’expérience désastreuse aux États-Unis. À moins d’avoir une conception angélique du droit, on ne peut plus rendre la justice comme autrefois. La fragmentation même du droit condamne l’institution du jury.

101Pour finir, il nous paraît hors de doute que la régulation, chère à Marie-Anne Frison-Roche, a un bel avenir. En raison de la participation des acteurs économiques et de l’analyse des faits à partir desquels est construite la solution juridique. En ce qui concerne l’analyse des faits, tous les juristes qui ont été à l’origine de nouvelles branches du droit (droit commercial, droit du travail) ont revendiqué sa nécessité pour construire le droit nouveau. Nous doutons que les juristes qui sont hostiles par principe à l’analyse économique du droit soient de chauds partisans de la sociologie juridique. Pourtant, l’analyse des faits est sans doute la condition fondamentale de l’élaboration d’un droit apte à répondre aux besoins sociaux contemporains. Qu’il s’agisse d’une analyse économique du droit, d’une sociologie du droit ou d’une analyse juridique de l’économie, des faits économiques et des « lois » économiques, nous sommes en présence de manifestations de l’analyse intersystémique rendue nécessaire par les bouleversements contemporains.

102Sans doute l’absence de participation directe du « peuple économique » à la régulation fait problème, mais elle doit faire problème au peuple lui-même. C’est à lui de s’organiser pour la défense de ses droits, comme le font les décideurs. Pour ce qui est des juristes, il leur appartient de « juger » ou de suggérer des solutions doctrinales en fonction des références qui sont les leurs, mais aussi des analyses de toute nature des faits qui leur sont soumis. Les juristes sont-ils préparés à ce rôle ? Pas vraiment, ils s’y préparent eux-mêmes. Combien de fois avons-nous entendu des juristes d’affaires navrés de ne pouvoir, faute de temps, redresser le savoir juridique par la communication des réalités du droit tel qu’il est vécu ! Or la régulation, même si l’on en compose les organes avec le souci de mettre des « tiers impartiaux et désintéressés », ne privilégie pas nécessairement les juristes. D’où l’importance de véritables travaux de recherche en droit, alors qu’ils ne sont pas « payants » dans l’université. D’où l’importance d’organismes comme l’AIDE, de revues comme la RIDE. Que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas d’un militantisme politique « larvé ». Les écrits de Ripert nous ont montré l’intérêt du droit alors que nous étions étudiant et tenté par l’économie. Pourtant, nous n’avions aucune sympathie pour l’homme qui avait appartenu au gouvernement de Vichy. Nous avons admiré l’œuvre du Balte Pachoukanis, fondateur et responsable du droit économique en URSS, jusqu’à ce qu’il soit exécuté sur ordre de Staline (et d’ailleurs le droit économique condamné). Et Pachoukanis avait une haute opinion du juriste Hedemann, inventeur du droit économique, qui devait régner pendant tout le nazisme sur le droit allemand.

103Nous n’avons aucune fureur à l’égard des pratiques de l’analyse économique du droit, simplement de l’esprit critique sur les objectifs que peut avoir telle ou telle économie politique. Nous pensons simplement que le couplage des analyses économique et juridique est un enjeu pour le développement du droit.

104Subject DescriptorsEconlit Classification System) : K 130, K 200, K 190

Notes

  • [*]
    Professeur émérite à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, membre du Credeco, Gredeg FRE 2767 (CNRS)
  • [1]
    Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, Leiden, Nijhoff, 2004,383 p.
  • [2]
    La remarquable thèse de Chantal Russo, De l’assurance de responsabilité à l’assurance directe. Contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques, Paris, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de thèses, 2001.
  • [3]
    Jean-Baptiste Racine (coord.), Pluralisme des modes alternatifs de résolution des conflits, pluralisme du droit, Lyon, L’Hermès, 2002,317 p.
  • [4]
    Les actes de ce colloque doivent paraître dans la collection des travaux du centre René-Jean Dupuy pour le droit et le développement de l’Université Senghor d’Alexandrie, aux éditions Bruylant (Bruxelles).
  • [5]
    Dont vient de paraître une nouvelle biographie, qui est aussi un bon rappel historique : Michel Laval, L’Homme sans concessions : Arthur Koestler et son siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2005,706 p.
  • [6]
    Pour un droit commun, p. 7.
  • [7]
    Trois défis pour un droit mondial, p. 10. « Reconnaître l’interdépendance entre l’économie et les droits de l’homme », p. 44-74.
  • [8]
    Dans notre Pour un droit économique, dont il a été rendu compte dans cette revue ( 2005, n° 1, p. 91-96).
  • [9]
    Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p. 246.
  • [10]
    Gérard Farjat, Pour un droit économique, Paris, PUF, 2004, p. 27.
  • [11]
    Paris, Grasset, 2004,143 p.
  • [12]
    Portalis, « Discours préliminaire sur le projet de Code civil », in Écrits et discours juridiques et politiques, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1988, p. 52, et l’article remarquable de Jean-François Niort, « Droit, économie et libéralisme dans l’esprit du Code Napoléon », Archives de philosophie du droit, t. 37,1992, p. 101.
  • [13]
    Esquisse d’une phénoménologie du droit, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque des idées, 1981.
  • [14]
    Le Nouvel Observateur avait préalablement longuement présenté le débat dans son numéro du 23 décembre 2004, intitulé « Dieu et la science, le nouveau choc ».
  • [15]
    Et pas seulement. Nous pensons notamment à l’Iran, où la Grande-Bretagne et les États-Unis ont renversé le docteur Mossadegh à la suite de la nationalisation des intérêts pétroliers de ces pays, alors que Mossadegh aurait pu être le Bourguiba de ce pays. On connaît la suite…
  • [16]
    Chiffres fournis par Jeremy Rifkin, dans Le Nouvel Observateur, 16-22 juin 2005, p. 114. J. Rifkin est président de la Foundation on Economic Trends à Washington, professeur à la Warton School, auteur de La Fin du travail (Paris, La Découverte, 1997,476 p.) et du Rêve européen, ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire (Paris, Fayard, 2005,564 p.).
  • [17]
    Claude Lucas de Leyssac et Gilbert Parleani, Droit du marché, Paris, PUF, coll. Thémis, 2002, p. 10.
  • [18]
    Lorsqu’une question dépend de la législation des États, les plaideurs tentent de soumettre leur litige, quand un élément le permet, à la législation de l’État qui leur est le plus favorable. Grégory Maitre le signale dans sa thèse : « La responsabilité civile relève de la législation des États aux États-Unis et il en résulte une compétition législative » (note 76, p. 216). Horatia Muir-Watt, dans Aspects économiques du droit international privé (voir note 1, ci-dessus), traite à plusieurs reprises du phénomène de la concurrence législative.
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