Notes
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[*]
Professeur, doyen de la Faculté des sciences juridique et politique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. L’auteur tient à remercier son assistant de recherche M. Mamoudou Niane pour son apport de qualité dans la réalisation de cette étude. Revue Internationale de Droit Économique — 2004 — pp. 197-225
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[1]
Le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique est entré en vigueur le 18 septembre 1995. L’OHADA regroupe actuellement 16 États membres (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo).
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[2]
Il ressort des propos du Doyen Kéba Mbayé que « l’O.H.A.D.A. est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ». Sur la même question, voir K. MBAYÉ, « Avant-propos sur l’OHADA », Numéro spécial sur l’OHADA, Recueil Penant, n°827, 1998, pp. 125-128.
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[3]
M. KIRSCH, « Historique de l’OHADA », Recueil Penant, n°827, 1998, p. 129 et s.
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[4]
Cf. article 3 alinéa 2 du Traité de l’OHADA. Les institutions de l’OHADA sont réparties dans les différents États de l’Organisation. Ainsi, le Conseil des ministres se trouve au Gabon, la CCJA en Côte d’Ivoire, le Secrétariat permanent au Cameroun et l’ERSUMA au Bénin. Concernant le fonctionnement de l’OHADA, voir P.-G. POUGOUÉ, Présentation générale et procédure en OHADA, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, 1998.
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[5]
Sur les actes uniformes, J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes de l’OHADA », Revue de droit uniforme, UNIDROIT-Rome, 1999, p.5.
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[6]
Sur la question, voir les développements de J. LOHOUES-OBLE et J. ISSA-SAYEGH, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Bruylant, Bruxelles, 2002 et M.M. SALAH, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux. Réflexions sur l’ambivalence des rapports du droit de la mondialisation », RIDE, n°3, 2001, pp. 251-302.
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[7]
J. LOHOUES-OBLE, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », Revue internationale de droit comparé, 1999, p.543. À ce propos, le Professeur Gérard Farjat parle de « refondation sociale », voir G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques », in Mélanges offerts à Philippe Kahn, Litec, Paris, 2000, p.622.
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[8]
M. DIAKHATÉ, « OHADA : un nouveau droit des affaires pour sécuriser l’investissement en Afrique », in hhttp:/// www. Oecd.org/dataoecd/19/14/23731286.pdf.
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[9]
Les textes relatifs à ces actes uniformes sont disponibles sur le site de l’OHADA, sur le lien hhttp:/ // www. Ohada. com/ textes. php. D’autres actes uniformes sont aussi en cours d’élaboration, notamment celui relatif au droit du travail.
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[10]
Un total de près de 600 décisions peut être consulté sur le lien http:// www. Ohada. com/ jurisp. php.
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[11]
Les travaux des juristes africains sont recensés sur le site de l’OHADA ((http:// www. Ohada. com/ doctrine.php). En outre, un lot d’ouvrages sur l’OHADA est sorti sous la coordination scientifique des professeurs J. ISSA-SAYEGH, P.-G. POUGOUÉ, F.M. SAWADOGO au sein de la collection Droit uniforme africain, parue aux éditions Bruylant, Bruxelles, 2002.
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[12]
J. ISSA-SAYEGH, « Aspects techniques de l’intégration juridique des États africains de zone franc », communication à la session de formation du CFJ de Dakar du 27 au 30 avril 1998, sur le thème : « L’OHADA, un droit régional en gestation ».
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[13]
G. FARJAT, « Les républiques et les Cités et les vents de la mondialisation », in Mélanges Hubert Charles, La République et la Cité, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2001, p.175 et s.
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[14]
J. ISSA-SAYEGH, « La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA », in Mélanges en l’honneur de Roger Decottignies, Presses universitaires de Grenoble, 2003, pp. 175-184.
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[15]
Article 14 du Traité de l’OHADA.
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[16]
A. CISSÉ, « Le Sénégal », in Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne, vol. VI : Europe-pays d’Islam, (dir.) M. DELMAS-MARTY, éd. MSH, coll. Vers des principes directeurs internationaux de droit pénal, Paris, 1999, pp. 96-108.
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[17]
Article 1er du Traité de l’OHADA.
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[18]
Article 6 du Traité de l’OHADA.
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[19]
F.-M. SAWADOGO, « Les Actes uniformes de l’OHADA : aspects techniques généraux », Revue burkinabé de droit, n° 39-40, n° spécial, p. 37.
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[20]
A. CISSÉ, « Ingénieurie juridique et intelligence stratégique », Revue Africajuris, n°3, du 14 au 20 février 2002 et n°4, du 21 février au 6 mars 2002, pp.3-4. Voir L. BOY, « Normes », hhttp:// www. Msh-paris. fr/ redcs/ communic/ boyl. htm.
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[21]
P.-G. POUGOUÉ, F. ANOUKAHA et J. NGUÉBOU, Le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique OHADA, Presses universitaires d’Afrique, 1998.
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[22]
J.-P. RAYNAL, « Intégration et souveraineté : le problème de la constitutionnalité du traité OHADA », Recueil Penant, 2000, p. 5-22. Cf. Cour constitutionnelle du Sénégal, arrêt n° 3/C93 du 16 décembre 1996 ; le Président de la Cour a motivé sa décision en rappelant que « le Sénégal ne ménagera aucun effort pour la réalisation de l’objectif d’intégration ».
-
[23]
F. OST et M. Van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, FUSL, Bruxelles, 1987, pp. 355-436.
-
[24]
Article 15 de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
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[25]
Plus particulièrement sur le contrôle des normes communautaires, voir « La problématique de la délimitation des compétences entre la Cour de justice de l’UEMOA et la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA et les juridictions nationales des États parties », Actes de la session de formation régionale sur l’UEMOA et l’OHADA, Centre de Formation judiciaire de Dakar, du 9 au 13 octobre 2000, Dakar.
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[26]
A. CISSÉ, « Cautionnement des tiers par les banques et établissements financiers : quel rôle pour le Conseil d’administration ? », Revue Africajuris, n°17-18, du 23 mai au 5 juin 2002, pp.4-7.
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[27]
Sur la question, le site uemoa.int offre les différents actes pris par l’UEMOA pour favoriser l’harmonisation communautaire.
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[28]
La CCJA, par avis n°001/2001/EP, insiste sur la portée abrogatoire de l’article 10 du Traité de l’OHADA. Lire aussi les développements de J. ISSA-SAYEGH, « La portée abrogatoire des actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne des États parties », Revue burkinabé de droit, n°39-40, n°spécial, p.51.
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[29]
M. DELMAS-MARTY, M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit : réflexions sur la validité formelle d’un droit commun en gestation », in Variations autour d’un droit commun, M. DELMAS-MARTY et alii, UMRDC, Société de législation comparée, Paris, 2001, p.73 et s.
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[30]
Sur cette question, des développements importants ont été consacrés à la durée de la justice et le temps économique, in http:// www. confparis. org/ textes/ tempsjustice. htm.
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[31]
Article 1er du Traité OHADA.
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[32]
Cf. Préambule du Traité de l’OHADA.
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[33]
L’exemple de la prise en charge du phénomène de la pauvreté a permis d’établir la corrélation entre la capacité des institutions et les stratégies élaborées pour atteindre des objectifs de développement. Voir A. CISSÉ, « État de droit et pauvreté », Revue Africajuris, n°1, du 31 janvier au 6 février 2002 et n°2, du 7 février au 13 février 2002, pp.8-9, 4-5.
-
[34]
J. CHEVALLIER, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDPSP, n°3, 1998, p.669.
-
[35]
P. MOREAU DEFARGES,La mondialisation vers la fin des frontières, Dunod, Paris, 1993, p. 53.
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[36]
G. TIMSIT, Thèmes et systèmes de droit, PUF, Paris, 1986, pp. 97-147.
-
[37]
Sur ce point, des bilans de l’OHADA ont été dressés en vue de mesurer l’efficacité de l’Organisation sur une période donnée. Voir par exemple, J. LOHOUES-OBLE, « Le Traité OHADA, cinq ans après », texte d’une conférence prononcée à Abidjan ; K. KOUASSI, « Bilan et perspectives de l’OHADA », Écodroit, n°11, mai 2002, p.10.
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[38]
F. CHESNAIS, La mondialisation du capital, Syros, Paris, 1997, pp. 69-88.
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[39]
Même s’il existe une session de formation en ligne au niveau du site de l’OHADA.
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[40]
A. FENEON, « Un nouveau droit de l’arbitrage en Afrique (De l’apport de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA) », Recueil Penant, n°833, mai-août 2000, pp. 126-136.
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[41]
P. MEYER, Droit de l’arbitrage, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp.28-50.
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[42]
M. DELMAS-MARTY et M.-L. IZORCHE, op.cit., p. 78.
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[43]
CCJA, avis n°001/120/EP, op. cit.
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[44]
M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Seuil, Paris, 1994, pp.283-284.
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[45]
N. DIOUF, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile émergence d’un droit pénal communautaire dans l’espace OHADA », Revue burkinabé de droit, n°39-40, n°spécial, p.63.
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[46]
M. DELMAS-MARTY, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF, Paris, 1992, pp. 61-68.
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[47]
A. CISSÉ et alii, OHADA, société commerciales et G.I.E., Bruylant, Bruxelles, 2002.
-
[48]
M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, op.cit., p. 240.
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[49]
M. DELMAS-MARTY, « La mondialisation du droit : chances et risques », D., 1999, chron., p. 43 et s.
1 INTRODUCTION
1La recomposition de l’environnement juridique mondial sous les auspices des lois du marché suscite des enjeux importants relativement à la croissance économique des nations. Mais la dynamique de construction des nouveaux paysages normatifs semble s’orienter vers une gestion communautaire des intérêts nationaux. C’est pourquoi, en Afrique, l’intégration régionale est élevée au rang de palier fondamental entre le national et l’international.
2La signature à Port-Louis le 17 octobre 1993 du Traité instituant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) [1] a donné corps à une vision jusque-là méconnue de l’intégration communautaire par le droit. Par cet instrument juridique, les États signataires ont manifesté leur volonté de contribuer en Afrique noire francophone à l’instauration d’un espace économique unifié et apte à répondre aux attentes exigeantes des investisseurs [2]. Pour atteindre cet objectif, les États membres de l’OHADA ont entendu remédier à un certain nombre de non-conformités liées à la présence massive de lois nationales contradictoires, au contenu souvent obsolète. En effet, les efforts de mise à niveau des systèmes juridiques nationaux ont souvent conduit à une inflation et à une complexité superflue. En outre, l’environnement judiciaire africain s’accommodait d’un niveau d’incertitude non négligeable qui compromettait sérieusement la prévisibilité naturellement attachée aux décisions de justice. Conscient de ce handicap [3] révélé par ses partenaires, le législateur de l’OHADA a fait du dogme de la sécurité juridique et judiciaire le principe fondateur de l’alliance communautaire.
3Sous l’égide des États membres de la zone OHADA, l’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires a été structurée autour d’un Conseil des ministres chargé de mettre en œuvre la politique commune et d’une Cour commune de justice et d’arbitrage (CJCA, composée d’une Cour de cassation doublée d’une chambre d’arbitrage) dotée de pouvoir de contrôle et de sanction. Le Conseil des ministres dans son double rôle d’instance administrative et législative est aidé par un « Secrétariat permanent auquel est rattachée une École régionale supérieure de la magistrature (ERSUMA) » [4]. Pour atteindre l’harmonisation des droits nationaux relatifs aux affaires, le Conseil des ministres édicte des règles communes prenant la dénomination d’« actes uniformes » [5].
4Toutefois, au-delà des soucis de rationalisation du système juridique africain, le Traité de l’OHADA s’inscrit dans un vaste mouvement de régulation des relations juridiques supervisé par les institutions financières internationales et ressortissant de la logique de fonctionnement du marché [6]. À l’évidence, la philosophie économique dominante aujourd’hui balance en faveur du libéralisme et place la prise en compte des exigences du marché comme indicateur de la performance d’un ordre juridique donné. De cette relation entre le droit et le marché, il est ressorti des techniques de réforme des droits nationaux échappant de plus en plus à l’emprise de l’État. De telles préoccupations se retrouvent logiquement transférées au plan régional avec un surcroît d’intérêts relevant des enjeux nationaux d’une reformulation de leurs attributions classiques en matière de législation. Ainsi, l’internationalisation des relations juridiques a ouvert la voie à une compétition où la « manipulation des droits nationaux et communautaires » est l’objectif premier. Comme l’on pourrait s’en douter, le continent africain n’a pas pu résister à la tentation de vouloir accueillir les flux financiers nécessaires à son développement. La réponse à l’appel des investissements s’est faite au prix d’un remodelage des droits nationaux autour des principes communs dégagés par l’autorégulation des forces en présence sur le marché mondial [7]. C’est donc dans un contexte de négociation de la forme et de la consistance des droits nationaux que le Traité de l’OHADA est apparu. Mais était-ce pour servir de monnaie d’échange à l’attraction exercée par les flux financiers transnationaux ?
5La corrélation entre le « marché de la loi » et l’avènement du droit uniforme de l’OHADA n’est pas a priori manifeste. Mais avec un recul d’une décennie, il est possible de percevoir une focalisation du législateur africain sur l’investisseur étranger au détriment de l’investisseur local, partant sur les acteurs du marché financier international. Ainsi, à la veille du dixième anniversaire de l’Organisation, ses membres n’ont pas manqué de souligner lors de la conférence internationale sur le commerce et l’investissement tenue à Dakar en avril 2003, l’instrumentalisation de l’OHADA au service de la sécurisation des investissements en Afrique [8]. Par conséquent, les matières énumérées et ayant fait l’objet d’actes uniformes intéressent directement le cadre normatif de l’entreprise et la protection du crédit.
6Après dix ans d’existence, dresser un bilan de l’OHADA paraît prématuré et fastidieux. Certes, des réalisations importantes ont été faites, en application du Traité de l’OHADA. Au plan législatif, huit actes uniformes sont déjà disponibles sur des matières aussi diverses que : le droit commercial général, le droit des sociétés commerciales et G.I.E., le droit des sûretés, les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, les procédures collectives d’apurement du passif, le droit de l’arbitrage, la comptabilité des entreprises et les contrats de transport de marchandises par route [9]. Au plan de la pratique judiciaire, la mise en œuvre du droit de l’OHADA est à l’origine d’une abondante jurisprudence [10] issue de la CCJA et des juridictions nationales. La doctrine africaine non plus n’est pas en reste, ainsi une abondante bibliographie est en ligne et regroupe d’éminents juristes de l’espace OHADA [11]. Cependant, d’une part, la relative jeunesse de l’organisation communautaire pourrait valoir alibi à nombre de manquements, d’autant plus que la plupart des textes sont en cours d’appropriation par les États membres. En effet, la poursuite de la construction du cadre juridique communautaire s’accompagne d’une campagne de promotion de l’OHADA et de ses produits au niveau des principaux investisseurs internationaux et d’un rééquilibrage des compétences entre les organisations d’harmonisation du droit des affaires existantes. Il s’y ajoute que les règles communes et la capacité des institutions de l’OHADA doivent être mises à l’épreuve, afin d’évaluer leur fiabilité. D’autre part, l’objet d’harmonisation de l’OHADA est très vaste. Ainsi, l’imprécision du champ théorique du droit des affaires et le caractère réduit des matières harmonisées rendent toute synthèse laborieuse, voire approximative. En outre, l’utilisation des nouvelles technologies dans les transactions d’affaires élève la complexité de la régulation des relations juridiques dans un contexte de fracture numérique profond. L’utilisation massive de l’électronique dans les échanges commerciaux est encore mal perçue en Afrique. En effet, l’absence d’infrastructures adéquates et garantissant un niveau de sécurité appréciable détourne une bonne partie des investissements au profit d’autres régions qui ont misé sur les nouvelles technologies. Par ailleurs, l’absence de législation uniforme sur les nouvelles technologies dans la zone OHADA contribue à amoindrir l’efficacité des innovations apportées par les actes uniformes.
7Toutefois, les raisons invoquées pour tenter de défendre l’OHADA après dix d’existence n’empêchent nullement de procéder à un bilan d’étape en considération des activités menées par les instances communautaires.
8Il y a lieu de constater que la mise en œuvre du droit uniforme a conduit à une certaine résistance des ordres juridiques nationaux [12]. Ainsi, l’intervention de la CCJA pour interpréter l’article 10 du Traité relatif à la règle de la supranationalité met en évidence les contraintes liées à l’érection d’un ordre communautaire. De même, la prolifération des instances d’harmonisation du droit communautaire pose un problème de rationalisation des systèmes juridiques autonomes poursuivant des objectifs similaires et présents dans une zone d’intégration à géographie variable. La persistance de ces blocages structurels affecte la cohérence du droit de l’OHADA. C’est pourquoi l’étude critique des progrès réalisés par le législateur communautaire dans la voie de l’harmonisation des législations nationales trouve une justification pertinente. Par ailleurs, l’OHADA s’est fixé des objectifs à atteindre dans la sécurisation juridique et judiciaire de son environnement économique. Par conséquent, la recherche de la simplicité des normes du nouvel ordre juridique communautaire est posée comme une condition d’efficacité de l’attractivité du droit de l’OHADA. La vérification de l’adéquation entre les objectifs affichés et l’état de progression de la convergence régionale permet d’explorer les chances de survie de l’organisation de l’harmonisation du droit des affaires.
9Le regard critique jeté sur l’OHADA tente de situer les étapes franchies dans la création d’un nouveau pôle économique (2) et les efforts qui restent à faire vers un le développement économique par la voie de l’intégration juridique (3).
2 DÉJÀ DIX ANS ET DU CHEMIN PARCOURU !
10Les expériences d’intégration juridique et économique en Afrique empruntent des itinéraires variés qui retracent les hésitations des États africains à trouver un modèle original et adapté aux nécessités d’un environnement international de plus en plus concurrentiel. Une lecture du cheminement poursuivi par l’OHADA après une décennie pourrait s’appuyer les critères d’opérationnalité (2.1) et d’efficacité (2.2).
2.1 L’opérationnalité de l’OHADA
11La reconnaissance de l’importance d’une convergence des efforts nationaux vers une entreprise communautaire nécessitera la prise en compte de choix pertinents quant à l’organisation institutionnelle de la nouvelle infrastructure communautaire et quant aux règles qui seront issues de ses instances. Dans ce contexte, l’OHADA semble privilégier la simplicité institutionnelle et le principe de la supranationalité pour atteindre ses objectifs.
2.1.1 L’opérationnalité de l’OHADA sur le plan institutionnel
12 L’impératif d’efficacité assigné aux organisations à vocation économique renforce la tendance à la mise en place d’organes souples et capables de décisions rapides et adaptées face aux multiples contraintes liées à la prédominance de l’économie de marché. C’est dans cette logique que le Traité de l’OHADA a prévu un certain nombre d’organes pour la réalisation des tâches définies.
2.1.1.1 La mise en place d’institutions fonctionnelles
13 L’article 3 de l’OHADA confie la réalisation des missions de l’organisation principalement au Conseil des ministres (auquel sont adjoints un Secrétariat permanent et une École régionale supérieure de la magistrature) et à la Cour commune de justice et d’arbitrage. Le choix d’une formule allégée de gestion du droit des affaires dans la zone OHADA peut trouver des justifications eu égard à la recherche d’un modèle spécifique de développement économique. En effet, la mise en place progressive d’un environnement harmonisé à l’échelle régionale est intimement liée au renforcement de la cohésion des politiques économiques dès leur conception.
14L’existence d’un centre d’impulsion unique dans l’élaboration des décisions à portée communautaire traduit la prise en compte de l’impératif de la fonctionnalité par les signataires du Traité. Ainsi, en l’absence d’un organe dédié à l’exercice du pouvoir normatif, le Conseil des ministres prend en charge les volets administratifs et normatifs. En termes de rationalisation de l’efficacité des institutions communautaires, cette approche pourrait se révéler d’une grande souplesse.
15Mais l’intervention récurrente d’entités internationales [13] dans la définition des politiques de développement en Afrique suscite des réticences quant à la véritable pertinence d’un choix où dominent des contraintes de nature politique. Cela est d’autant plus clair que les matières choisies par le Traité et qui font l’objet d’une harmonisation immédiate intéressent directement le secteur des investissements. Il ressort de cette pratique, un transfert de pouvoirs renforcés au Conseil des ministres dans le sens d’une politique de développement économique extravertie.
16La gestion du contentieux au niveau communautaire est confiée à la Cour commune de justice et d’arbitrage [14], chargée d’intégrer les paramètres de sécurité juridique et de rapidité dans le traitement des litiges nés de l’application des textes communautaires. Pour cela, la répartition des compétences entre les ordres juridiques nationaux et communautaire suit une clé de répartition traditionnelle. Les juridictions nationales connaissent du contentieux en première instance et en appel, tandis que la juridiction régionale, en plus de son rôle en matière de cassation, associe une fonction consultative et juridictionnelle [15]. À ce stade, l’instance communautaire joue le rôle d’un instrument de nivellement de la pratique judiciaire dans l’application des actes uniformes. En outre, la CCJA dispose de très larges prérogatives impliquant la faculté de statuer au fond et la mise en œuvre d’un pouvoir d’évocation (article 14 du Traité de l’OHADA). Ainsi, l’objectif de simplicité et de rapidité dans la gestion du contentieux lié au droit OHADA semble bénéficier d’une organisation institutionnelle propice. La rationalisation des instances de règlement des différends contractuels a aussi guidé le législateur de l’OHADA vers une promotion de l’arbitrage comme principal outil de régulation. Il ressort de l’acte uniforme sur l’arbitrage, un mécanisme de simplification de la procédure arbitrale et un renforcement des garanties afférentes à l’exécution de la sentence arbitrale. Aussi, la mise en place de la CCJA répond-elle à une politique de lutte contre la corruption [16]. D’ailleurs la création de l’ERSUMA vise à pallier l’insuffisance des magistrats africains en matière de déontologie. Pour ce faire, les institutions de l’OHADA cherchent avant tout une meilleure articulation avec les autres instances nationales et régionales.
2.1.1.2 Articulation avec les autres institutions (nationales et supranationales)
17La participation effective des États membres à la réalisation des objectifs de l’OHADA est affirmée à plusieurs niveaux par le Traité. Il en ressort une politique de structuration homogène des institutions publiques et privées des États Parties d’un point de vue axiologique et logique.
18La détermination d’une philosophie du développement autour du paradigme de la croissance économique et de l’intégration propose aux États africains un même cadre théorique de conception des objectifs de développement. Ainsi, le préambule du Traité de l’OHADA sert de point de ralliement à ces différentes approches appelées à se compléter. À ce niveau, les signataires du Traité ont choisi la formule contractuelle avec la garantie de la force obligatoire des conventions légalement formées et le respect du principe de la bonne foi dans l’exécution des contrats. La définition des valeurs sur lesquelles s’appuiera l’organisation régionale d’harmonisation du droit des affaires reprend aussi les valeurs dégagées par l’économie de marché à travers l’exigence de « règles communes simples, modernes et adaptées » [17]. Dans la pratique, l’identité du cadre théorique de développement se traduit dans la concertation des participants à l’OHADA pour l’élaboration des normes communautaires. Ainsi, le recours au consensus dans l’adoption des règles communes est supposé renforcer l’unité voulue.
19L’interpénétration des activités normatives des États membres et leur connexion à la dynamique continentale et internationale sont perceptibles à deux niveaux d’élaboration de réseaux interactifs.
20Un premier niveau de connexion est établi entre les États membres grâce à la mise en place d’organes de gestion du fonctionnement de l’OHADA et à des méthodes de participation croisées. Ainsi, l’existence du Conseil des ministres et de la CCJA assure la convergence des institutions nationales de manière permanente. En effet, la répartition des ressources au sein de ces institutions se fait souvent sur la base de la représentativité égalitaire. Cette faculté permet de dépasser les spécificités nationales et l’élaboration de stratégies communautaires dérivées des objectifs communs. Par ailleurs, existe une sollicitation d’organes temporaires de participation à la marche de l’OHADA. Le recours aux travaux des États membres dans l’élaboration des règles communes et dans le contrôle de l’application des dispositions communautaires recense les différentes méthodes de participation entre institutions régionale et nationale dans un même domaine (le droit des affaires) [18].
21Un second niveau de connexion s’installe à travers les rapports entretenus par l’OHADA avec les autres institutions régionales et internationales. L’ambition de l’OHADA de s’ériger en instance continentale pour le droit des affaires en fait de facto un interlocuteur direct de toutes les organisations poursuivant une intégration par l’économie. Ainsi, la mission principale de l’OHADA à ce niveau est de tenter d’opérer un rapprochement entre les différents travaux entrepris. À l’échelle internationale, l’OHADA sert d’interface pour ses membres aux différents organismes concurrents (ayant des objectifs similaires) ou de coopération dans une économie de marché où la concurrence est une donnée fondamentale. L’articulation avec ces institutions se fait sur la base de la conformité des objectifs poursuivis et la recherche de la réciprocité dans les droits concédés. Cependant, les modèles de mise en communication des organisations internationales sont multiples et relèvent plus de critères factuels que de considérations éthiques.
2.1.2 L’opérationnalité de l’OHADA sur le plan normatif
22 La création de l’OHADA poursuit un objectif fondamental à travers « une unification progressive des législations » des États membres. Afin de rationaliser cet effort, les signataires du Traité de l’OHADA ont préféré laisser une place importante à la technique juridique des actes uniformes, en créant les conditions d’une structuration des autres sources du droit.
2.1.2.1 Les actes uniformes
23 Le recours à la technique des règles matérielles pour harmoniser le droit des affaires dans l’espace OHADA a donné naissance aux actes uniformes. Ainsi, conformément à l’article 5 du Traité, l’intégration juridique entre États membres offre une alternative plus pragmatique que les méthodes classiques d’harmonisation (édiction de lignes directrices pour parvenir à l’objectif d’harmonisation). En ce sens, les actes uniformes en s’imposant directement dans les ordres juridiques nationaux présentent la fonctionnalité de recomposition du droit des affaires africain sur une base conceptuelle quasi unitaire (sauf les cas de résistance des droits nationaux) et une formule opératoire modulable.
24La mise en œuvre des actes uniformes dans le droit national des États Parties s’oriente en effet vers la détermination de secteurs d’activités économiques prioritaires par rapport à l’objectif d’harmonisation [19]. Par conséquent, un certain nombre de matières ont fait l’objet d’actes uniformes. Jusqu’alors, la pratique consistait pour les organisations africaines poursuivant une intégration économique à fixer tous les domaines où un rapprochement des législations nationales était nécessaire. Le Traité OHADA quant à lui donne compétence au Conseil des ministres pour l’introduction dans le droit des affaires de toutes les matières existantes ou à venir pertinentes pour le développement de la zone.
25La construction du système juridique de l’OHADA procède d’une vision substantielle de la communautarisation et cherche à encourager la production normative consensuelle [20] autour d’un organe régional assisté de panels d’experts nationaux. Ainsi, le Conseil des ministres en collaboration avec les gouvernements des États Parties traduit les volontés communes en actes uniformes.
26La technique juridique de la supranationalité assure la convergence des droits nationaux dans les matières harmonisées afin d’éviter la neutralisation du droit communautaire par le recours à des instruments juridiques de transposition. Sous cet angle, le droit de l’OHADA vise à garantir une pleine efficacité aux règles communes qui seront adoptées. La conséquence en est que non seulement le risque d’une hétérogénéité des normes au sein de l’OHADA est amoindri, mais surtout la réception immédiate du droit communautaire par les États membres transcrit une certaine cohésion en relation avec le souci d’attractivité et de sécurité recherché. Ainsi, les actes uniformes s’inscrivent dans une logique d’adaptation au contexte de libéralisation internationale. Le pouvoir normatif reconnu au Conseil des ministres s’emploie donc à relever le défi de modernisation du droit des affaires tel que prévu par l’article premier du Traité de l’OHADA.
27L’impératif de sécurisation de l’environnement judiciaire qui doit nécessairement accompagner la production d’un nouveau droit guide aussi le législateur de l’OHADA. C’est sur cette base que le Traité de l’OHADA encourage la réglementation de l’arbitrage et la rationalisation de l’organisation judiciaire au sein des États membres. La propension des initiateurs de l’OHADA à privilégier l’arbitrage pour la résolution des litiges nés de l’application des actes uniformes démontre la prise en compte du paradigme de la souplesse dans l’élaboration de l’infrastructure juridictionnelle. Ainsi, l’adéquation d’un droit moderne à une justice rapide est au centre des préoccupations des actes uniformes.
28Les actes uniformes sont de toute évidence les réceptacles d’un réalisme juridique africain tourné vers la satisfaction d’enjeux économiques [21].
29Dans un tel contexte, les législations nationales et communautaires deviennent des champs d’attraction au même titre que n’importe quel produit destiné à doper le développement.
2.1.2.2 Les autres sources de droit (jurisprudence, doctrine et pratique)
30La vocation du contenu du droit des affaires à la flexibilité suscite un enjeu important auprès des théoriciens et praticiens de la science juridique. La relative pauvreté qui caractérise la production doctrinale africaine ne semble pas affecter l’érection du droit de l’OHADA. En effet, la doctrine tente de systématiser les apports du Traité au double plan institutionnel et normatif. L’aménagement d’un nouvel ensemble normatif a soulevé un nombre important de questions à propos de l’intégration du Traité dans le droit interne des États membres. L’un des aspects les plus saillants fut sans doute le problème de la constitutionnalité de l’OHADA [22]. Le débat sur la constitutionnalité a été tranché au moyen d’une analyse institutionnelle et d’une appréciation de la portée du principe de la supranationalité.
31La difficulté pour les juristes africains n’était pas d’expliquer un changement dans la politique d’intégration régionale, mais bien d’apporter la signification de la relation logique entre les normes contenues dans le dispositif communautaire et les objectifs poursuivis par les parties signataires. D’un autre côté, la fonction d’instrument critique que joue la doctrine par rapport à l’évolution de la régulation juridique oblige les juristes africains à contribuer à la connaissance du droit de l’OHADA et à un travail de vérification de la cohérence de l’édifice normatif. Sur ce point précis, la doctrine se révèle sous sa nature de source secondaire du droit.
32La pratique judiciaire a longtemps été séparée de la production normative, en ce qu’elle apparaissait comme vecteur de la vérification de l’effectivité de l’application des règles juridiques. En réalité, les juges sont investis d’une force créatrice du droit qui s’associe directement au pouvoir d’interprétation des normes qu’ils appliquent [23]. On pourrait objecter que l’interprétation du juge obéit à une réaction en chaîne (lecture pyramidale de la structure normative) dans la justification des décisions prises. Pour vrai que peut être un tel raisonnement, il ne faudrait pas occulter les cas d’existence de lacunes ou de vides juridiques où le juge est appelé à poser une nouvelle règle non nécessairement contenue dans les actes uniformes (ou lois nationales en cas de renvoi).
33La formule d’une cour de justice et d’arbitrage retenue par le Traité de l’OHADA semble propice à un travail de production normative de la part des praticiens. En effet, les fonctions consultatives et juridictionnelles de la CCJA renforcent la capacité des magistrats de l’OHADA à être en amont de l’homogénéisation des règles communautaires par leur travail d’interprétation. Mais à ce stade, le défaut de recours préjudiciel devant la CCJA constitue un frein à l’exploitation efficace de la fonction consultative. En effet, l’absence de recours préjudiciel devant la Cour par les destinataires de ces normes prive a priori les juges d’un important travail de mise en cohérence de la législation communautaire.
34Pour ce qui concerne l’arbitrage, le Traité de l’OHADA ouvre l’opportunité aux magistrats d’élargir leur champ d’investigation dans la recherche d’une solution appropriée. L’article 15 de l’acte uniforme sur l’arbitrage renvoie « aux usages du commerce international » [24] qui renferme un fort potentiel d’uniformisation substantielle des législations nationales. C’est donc bien dans cette perspective que la jurisprudence constitue une source non négligeable de production normative.
35La relative faiblesse des échanges intracommunautaires contribue à resserrer le rôle de la pratique en tant que source dérivée de règles communes. Les normes relevant des pratiques locales restent souvent limitées à l’usage des acteurs de l’économie informelle. Cependant, la mise en œuvre du droit des affaires de l’OHADA devrait permettre le développement de pratiques ressortissant des particularités de la zone.
2.2 L’efficacité de l’OHADA
36L’émergence de l’OHADA dans un environnement déjà constellé d’organisations poursuivant des objectifs similaires pourrait laisser planer un sentiment de surabondance. Cependant, l’approche initiée par les États parties au Traité tente d’assurer un ordonnancement des objectifs de l’OHADA aux actions déjà réalisées par les institutions précédentes. Il s’agira aussi de montrer un visage moderne du droit africain des affaires par l’intégration des standards d’une économie de marché axée sur le développement.
2.2.1 L’efficacité du droit OHADA par rapport à l’objectif d’harmonisation
37 Les possibilités d’établir une interaction entre des organismes différents et poursuivant des objectifs semblables peuvent revêtir diverses formes. Dans cette optique, l’OHADA envisage de jouer un rôle fédérateur. À partir de la recherche d’une mise en cohérence des institutions présentes, l’OHADA devra établir la conformité du droit des affaires aux ambitions de développement et à la régulation internationale.
2.2.1.1 Articulation avec les normes des autres institutions communautaires
38 Le désir de « création d’un nouveau pôle de développement en Afrique » est l’une des principales motivations des promoteurs du Traité de l’OHADA. Ainsi, la reconnaissance implicite de certaines limites (géographiques, techniques…) des autres organisations ne manquerait pas de soulever des problèmes d’articulation entre systèmes juridiques autonomes. Ainsi, en dehors de toute idée de fusion entre les organisations communautaires et du fait de l’appartenance croisée de plusieurs pays à des organisations communautaires différentes, un conflit de normes et une concurrence entre les normes étaient inévitables.
39Le risque de conflit ou de concurrence de normes est plus grand avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) [25], étant donné l’importance du nombre des intersections entre les compétences de ces deux entités. Sur ce point, des cas particuliers peuvent être soulevés, en plus de l’applicabilité directe attribuée à leurs normes. Il s’agit d’une part de la coexistence de règles comptables unifiées et de l’implication de la mise en œuvre de l’article 449 sur les banques. En effet, les États signataires du Traité de Port-Louis sont astreints au respect du Système comptable ouest-africain (SYSCOA) et de l’acte uniforme de droit comptable OHADA. Cependant, les deux instruments communautaires contiennent des dispositions distinctes applicables directement et de manière simultanée. La complexité de la situation qui en résulte a toutefois poussé les instances de l’UEMOA à opérer une mise en conformité du SYSCOA à l’acte uniforme sur le droit comptable. Ainsi, l’abrogation du règlement d’exécution 11/97/COM/UEMOA du 18 décembre 1997 opère les changements en laissant cependant subsister des divergences entre les deux textes. Par ailleurs, la généralisation de l’application des dispositions de l’article 449 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales (AUSC) et GIE se heurte à la spécificité des établissements bancaires [26]. En effet, les cautions, avals, garanties et garanties à première demande constituent des opérations quotidiennes et normales des institutions bancaires et dès lors, l’extension de l’article 449 de l’AUSC est une entrave manifeste à la compétitivité de celles-ci. Pour les autres États membres de l’OHADA, des observations similaires pourraient être faites (s’agissant de la Banque des États de l’Afrique centrale – BEAC – notamment).
40Le droit des systèmes de paiement offre un exemple d’incohérence assez illustratif des chevauchements de compétences dans la sous-région. Il en est ainsi du statut de commerçant et des actes de commerce qui sont régis par les actes uniformes de l’OHADA, tandis que les effets de commerce sont réglementés par des dispositions de l’UEMOA. Mais l’UEMOA par une série de décisions ponctuelles ou à long terme tente de rapprocher les législations communautaires autour de l’objectif de développement économique [27].
41En plus de l’UEMOA, l’OHADA partage des compétences avec d’autres organisations d’harmonisation du droit des affaires, dont la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA), l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES), la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), etc. L’articulation des normes de l’OHADA avec ces institutions est à la fois bilatérale (coopération OHADA-CIMA) et multilatérale sous l’égide d’organismes internationaux ou de pays tiers.
2.2.1.2 Articulation avec les normes nationales
42 En vertu du principe de la supranationalité posée comme règle d’agencement des normes au sein de la communauté, le conflit entre normes nationales et normes communautaires ne semble pas se cristalliser. En effet, l’article 10 du Traité de l’OHADA rappelle que « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».
43La force obligatoire conférée aux actes uniformes par l’article 10 du Traité met en jeu la primauté et l’applicabilité directe des normes communautaires dans les droits nationaux. À ce niveau, la CCJA a eu à se prononcer sur la règle de la supranationalité introduite par l’article 10. La solution donnée par la Cour résout les inquiétudes des États membres relatives à leurs législations internes en concurrence avec les matières harmonisées par le Traité, et prolonge l’entreprise d’unification en proposant d’étendre la portée abrogatoire de l’article 10 aux domaines susceptibles d’être harmonisés. De ce point de vue, les rapports entre le droit de l’OHADA et le droit national des États Parties respectent une certaine hiérarchie dans la mise en cohérence des règles juridiques. Une telle recherche de concordance se retrouve aussi dans l’application et l’interprétation des normes régionales par les juges. La Cour commune s’est déclarée en faveur du respect des dispositions des actes uniformes dès leur entrée en vigueur dans les États Parties [28]. En effet, l’observation par les juridictions nationales du droit de l’OHADA dans le règlement des contentieux intervenus après son adoption définitive reste un gage d’effectivité et d’efficacité de ce dernier. Ainsi, à l’échelon communautaire, les arrêts rendus par la CCJA sont revêtus d’une force exécutoire semblable à celle des décisions rendues par les juridictions nationales. Le contournement de la passerelle d’une décision d’exequatur peut s’interpréter comme une tendance à la célérité dans la gestion du contentieux des affaires. Mais là aussi, le législateur de l’OHADA n’est pas allé au bout de son innovation en laissant subsister une marge d’appréciation aux juridictions nationales [29] avec l’établissement d’un contrôle national. La règle de l’égalité entre les arrêts nationaux et communautaires ne joue pas pleinement en matière d’arbitrage, ce qui n’empêche pas la Cour de confirmer sa prééminence en matière arbitrale en déroulant sa compétence exclusive dans l’octroi de l’exequatur. La compétence exclusive de la Cour commune dans la procédure d’exequatur s’inscrit dans la logique de contrôle de l’adaptation du droit des affaires dans l’espace OHADA, car la promotion du recours à l’arbitrage comme mode de régulation des litiges d’affaires est conforme à l’objectif de captation des investissements.
44La formule d’articulation entre les normes nationales et communautaires permet de voir une construction orientée (vers les investissements !) du droit OHADA avec un aménagement des compétences nationales pour les questions « pudiquement » qualifiables d’internes.
2.2.2 L’efficacité du droit OHADA par rapport à l’objectif de simplicité, de modernité et d’adaptation
45 La reconnaissance de l’importance d’un droit en phase avec les réalités socioéconomiques d’un environnement ouvert et concurrentiel reste déterminante dans la production normative. Ainsi, la principale préoccupation des initiateurs de l’OHADA est de répondre aux exigences liées d’une part à la modernité et à la simplicité du Traité et d’autre part à son adaptabilité dans une dynamique d’évolution des affaires permanente.
2.2.2.1 Le droit OHADA, un droit moderne et simple ?
46Conformément au préambule du Traité, l’OHADA poursuit la mise en place dans les États membres d’un droit des affaires « harmonisé, simple, moderne ».
47La modernité du droit africain des affaires se découvre à travers l’action entreprise par les États membres de réduire les écarts entre les législations nationales et le renforcement de l’absorption des disparités avec la régulation juridique internationale. Au risque de voir le mimétisme s’imposer comme référentiel de la modernité du système juridique de l’OHADA, le législateur communautaire ne devrait pas ignorer l’encadrement du secteur informel qui occupe une place très importante dans les relations d’affaires. Sur ce point, le droit de l’OHADA marque une rupture avec les efforts communautaires précédents. En effet, la mise à disposition d’un environnement juridique attractif (pour les investissements) et conforme aux principes de la concurrence internationale traduit la modernité du droit des affaires dans l’espace OHADA.
48La recherche de la modernité par le Traité de l’OHADA ne peut s’analyser en un retrait de la souveraineté des États Parties au profit d’une politique ultra-libérale d’assimilation d’un modèle dominant. Le Traité de l’OHADA apparaît comme une réponse régionale à un phénomène de mondialisation. L’internationalisation des échanges sous l’impulsion des paradigmes de la vitesse, de la connectivité et de la dématérialisation engendre la production d’un droit de type nouveau. Les caractères de ce nouveau droit devront s’incarner dans une démarche favorisant l’accessibilité et la sécurité.
49La prise en compte de l’accessibilité concerne successivement la compréhension et l’interprétation des textes communautaires. Il s’ensuit que la clarté des dispositions dans leur rédaction et dans leur contenu devrait correspondre aux exigences essentielles des concepts liés à l’économie de marché. À ce stade, la croissance de l’emprise du marché sur les législations nationales a introduit un certain nombre de pratiques (extension du nombre des acteurs intervenant dans la production normative…) qui devront être répercutées dans la réforme du droit des affaires. Ainsi, l’harmonisation des notions utilisées par les acteurs du marché tend à renforcer l’idée de modernité et préfigure une tendance à l’interconnexion entre les sphères économiques. Parallèlement à l’accessibilité du droit des affaires, se pose aussi la question de l’homogénéisation de l’interprétation des règles communautaires.
50La centralisation de l’interprétation des actes uniformes au niveau de la Cour commune de justice et d’arbitrage comme le précise l’article 14 du Traité de l’OHADA procède d’une volonté d’uniformisation de la création normative incidente des États Parties par le haut. Ainsi, le recours à la structure faîtière pour interpréter les textes communautaires participe d’un souci de cohésion du système normatif de l’OHADA. Cette mesure vise à compléter au niveau de la pratique la règle de la supranationalité retenue comme condition d’harmonisation des règles communes. Le respect des conditions relatives à la formulation des normes communautaires et à leur interprétation résorbe en partie les contraintes inhérentes à l’adoption d’un droit simple. La simplicité pouvant se traduire comme la satisfaction des attentes du client à un coût moindre et dans un bref délai.
2.2.2.2 Le droit OHADA, un droit adapté ?
51L’accélération du temps économique par rapport au rythme d’évolution des tentatives d’encadrement juridique soulève le problème de la conformité des normes avec les pratiques économiques [30]. En dehors de tout système d’autorégulation global, la capacité d’adaptation du droit de l’OHADA devrait s’orienter vers deux pistes : une adaptation par rapport au contexte juridico-politique régional et une adaptation à l’activité normative internationale.
52Le travail d’adaptation du droit africain au contexte socioéconomique local est l’un des principaux objectifs du Traité de l’OHADA. En effet, les États membres poursuivent « l’adoption de règles communes… adaptées à la situation de leurs économies » [31]. Sur cette lancée, la création des actes uniformes vise à faciliter la promotion des activités économiques génératrices de revenus substantiels et la sécurisation des transactions et des investissements dans la zone OHADA. L’orientation du législateur de l’OHADA vers des normes souples en matière de création d’entreprises, de prévention et de traitement des difficultés des entreprises emporte la mise en place d’un environnement propice à l’initiative économique personnelle et collective.
53Les axes de développement du droit de l’OHADA ne semblent pas privilégier des domaines à fort taux d’attractivité comme le droit de la concurrence, le droit du travail (pour ce secteur précis, l’harmonisation des législations nationales est en cours), le droit des investissements et le droit des technologies de l’information et de la communication, même si le Traité laisse au Conseil des ministres la faculté de décider des matières à harmoniser. Cela pourrait s’expliquer par le caractère stratégique pour l’économie d’un pays des dispositions législatives et réglementaires relatives à la concurrence, à l’investissement ou au social. En outre, l’aspect confidentiel des données liées à la gestion des flux financiers transfrontaliers par les autorités administratives risque de provoquer ou d’aggraver les disparités consécutives à l’intégration effective du droit communautaire.
54L’existence d’un droit adapté aux économies locales dans l’espace de l’OHADA pourrait être confrontée à l’ouverture progressive des États membres aux valeurs du marché.
55La prédominance du modèle économique libéral destine les entreprises de développement, dans l’intégration, à osciller entre une formule d’ancrage systématique aux règles concurrentielles du marché et l’élaboration d’un droit sui generis né des contraintes et perspectives économiques de la zone OHADA. Sur cette question, les États Parties de l’OHADA ont choisi de rechercher une solution d’équilibre en optant pour une libéralisation mesurée de leur législation. Ainsi, la principale mesure d’évaluation de l’adaptation du droit des affaires au contexte international prévue par le Traité de l’OHADA consiste à « garantir la sécurité juridique des activités économiques » [32] dans l’optique de promouvoir les affaires et d’encourager l’investissement.
56Mais est-il possible de réaliser tout cela en dix ans ?
3 QUE DIX ANS ET ENCORE BEAUCOUP À FAIRE !
57La poursuite d’un projet de développement communautaire suppose au préalable l’identification des paramètres d’une bonne gouvernance de la communauté créée. Parmi ces conditions relatives à l’accroissement des performances de l’OHADA, se situent l’ancrage institutionnel (3.1) et la sécurisation de l’environnement juridique des affaires (3.2).
3.1 Le renforcement institutionnel de l’OHADA
58L’institution d’un nouveau foyer d’élaboration de normes pertinentes et efficaces découle d’une logique de répartition des compétences régionales en phase avec la nouvelle politique communautaire en matière de développement. La coexistence avec d’autres instances d’obédience régionale risque d’engendrer un besoin de redéfinition de la dynamique communautaire dans l’espace africain. Pour l’OHADA, la survie de sa vocation continentale dans les configurations régionales futures passe par l’amélioration de ses instances et de ses activités.
3.1.1 L’amélioration des instances de l’OHADA
59 La prééminence de l’aspect fonctionnel des institutions sert de baromètre à l’appréciation de l’efficacité des figures retenues par les signataires du Traité OHADA. C’est d’ailleurs en application de cette règle que s’effectue la délégation de compétences au niveau des instances afin d’assurer le maintien de la cohésion déclarée par le Traité OHADA.
3.1.1.1 Amélioration du fonctionnement des institutions
60 L’opérationnalisation du droit des affaires africain repose dans une large mesure sur la nature des institutions qui procèdent à sa création et à son contrôle. Les institutions mises en place par le Traité de l’OHADA restent fortement tributaires des méthodes de gestion publique de l’économie. En effet, la superposition de « l’argent » et du « prétoire » ne garantit pas la polyvalence des instances communautaires dans un environnement complexe.
61La polyvalence des institutions en environnement complexe ne se définit pas par l’aptitude des instances à épouser une consistance hybride mais bien par la diversification des ressources (humaines et techniques) utilisées et des stratégies adoptées. La dévolution au Conseil des ministres des prérogatives normatives transpose à un niveau supérieur les contraintes liées à la rigidité des procédures d’adoption des règles juridiques. Ainsi, la référence du Traité aux délais d’élaboration et d’adoption des règles communes ne permet pas de conclure à un effort de rationalisation de la procédure « législative ». La prise en considération du schéma d’ensemble de fonctionnement des instances communautaires laisse entrevoir une certaine contingence dans la prise de décision. En effet, les procédures de participation des États membres n’étant pas clairement définies, il faudrait s’attendre à une prolifération d’obstacles techniques rattachables aux modes d’intervention locaux propres à chaque pays. L’emploi de la technique du renvoi ne permet guère d’éluder les contraintes structurelles et celles relatives à la compétence des acteurs.
62L’édiction de règles pertinentes ne saurait suffire à elle seule pour assurer l’attractivité du système juridique posé. Il ressort des principes mêmes de toute réforme, la nécessité de poser les moyens de garantir la cohérence de ses normes par une infrastructure judiciaire adaptée. L’adéquation entre la norme posée et son application correcte par ses interprètes officiels (l’administration et le pôle judiciaire) doit servir de lignes directrices à une politique de qualité visant à asseoir des institutions polyvalentes et fiables. Dans cette mesure, l’OHADA voudrait offrir le visage d’une organisation novatrice surtout par rapport aux solutions apportées aux problèmes de rationalisation des institutions nationales et communautaires. Cependant, les procédés d’amélioration du profil des institutions ne dépendent pas d’un processus d’évolution des connaissances de gestion administrative, mais d’une conformité avec les tâches requises pour une participation efficace à l’économie de marché. Ainsi, le cumul des fonctions exécutives et législatives par le Conseil des ministres doit s’accompagner d’une capacité de gestion pluraliste des affaires ayant trait au droit des affaires. En effet, le véritable problème des institutions africaines est bien la capacité [33].
63La capacité pour une institution du type de l’OHADA doit s’analyser en une aptitude de prise en charge réelle des contraintes qui se posent à la réalisation de ses objectifs. Sur ce point, les progrès réalisés au niveau des nations pris individuellement doivent pouvoir se retrouver au niveau communautaire. Cette relation entre structures complémentaires repose en grande partie dans la mise en œuvre de mécanismes de régulation des phénomènes de résistance et d’attirance des « égoïsmes nationaux ».
3.1.1.2 Rationalisation des activités des institutions
64 Les larges prérogatives reconnues par le Traité de l’OHADA à ses instances doivent être envisagées comme une habilitation de l’organe communautaire à opérer une sélection rigoureuse de règles capables d’offrir un terrain propice à la sécurisation des transactions d’affaires. Ainsi, une entreprise de rationalisation des activités des institutions de l’OHADA prendrait en compte deux étapes. Il s’agirait d’une part de comprendre et d’autre part d’ordonner. En effet, la multiplication des espaces réservés aux transactions d’affaires (marché physique et marché virtuel) se traduit par la nécessité d’allier des mécanismes d’adaptation constamment renouvelables. Les règles classiques découlant de la perception de la souveraineté des États Parties ne suffisent plus à assurer un niveau d’efficacité apte à satisfaire les besoins des opérateurs économiques nationaux et internationaux [34]. Ce phénomène est aggravé par la mise en concurrence des droits nationaux et des procédés de règlement des différends. Pour les pays africains, la recherche de la solution optimale dépend de la nature des activités à entreprendre. La compréhension de l’exercice par les institutions de l’OHADA de la fonction de création normative et de contrôle de leur application est loin d’être appréhendée par l’analyse institutionnelle uniquement. La lecture de l’environnement économique actuel est subordonnée à la faculté de décrypter les stratégies des acteurs du marché et à la pertinence des solutions proposées pour les incorporer dans l’ordre juridique communautaire [35]. Pour cela, l’activité des instances administratives et législatives de l’OHADA (en l’occurrence le Conseil des ministres, plus précisément le Secrétariat permanent) est d’identifier les besoins exprimés par les acteurs locaux et par les investisseurs afin de mettre en œuvre les processus de mise en conformité entre la demande et l’offre de normes.
65La perception des besoins des participants aux transactions d’affaires dans l’espace OHADA devrait être poursuivie par un travail de réduction de l’incertitude inhérente à la complexité des systèmes actuels [36]. En effet, l’une des tâches fondamentales des instances communautaires est d’identifier les aspects techniques d’un problème qui sont pertinents dans un environnement de concurrence des normes. En effet, pour les experts de l’OHADA, la solution stratégique devrait associer la conception, la décision et l’information. Dans la phase de conception, les institutions devront se reposer sur les techniques d’évaluation combinée des risques encourus par les acteurs du marché régional et des avantages escomptés. Il ressort de cette phase l’élaboration de modèles décisionnels sous forme de scenarii de participation aux échanges intracommunautaires et internationaux. Les modèles de décision serviront de base de l’évaluation de la conformité entre les besoins des clients (d’une nouvelle législation communautaire) et la solution optimale qui sera adoptée. En effet, l’activité des institutions de l’OHADA constitue des réponses à des contraintes soulevées par les opérateurs économiques particuliers (investisseurs nationaux ou étrangers) et non une projection de ce que devrait être le comportement d’un agent économique dans un marché donné. Ainsi, les réponses apportées par l’OHADA devront être portées à la connaissance de ses destinataires non seulement par les voies communes (Journal officiel et site officiel) mais par un ensemble d’opérations de promotion des innovations consacrées en termes de sécurité juridique et de souplesse dans l’utilisation du droit commun.
66Pour répondre à la demande de justice des agents économiques, les modes de règlement des litiges d’affaires doivent incarner la garantie d’une procédure rapide (temps économique oblige !) et d’une solution appropriée. Pour la CCJA, l’amélioration de la voie arbitrale semble offrir le meilleur indice d’attractivité en tant que modèle de justice. Sur ce point, il y a lieu de souligner la marge de manœuvre appréciable de l’arbitre lorsqu’il recourt aux « règles de droit… les plus appropriées… » découlant du choix des parties. Si l’arbitrage offre des perspectives intéressantes pour les opérateurs économiques, il n’en demeure pas moins que l’amélioration des activités de la justice dans l’OHADA doit allier la polyvalence des magistratures économiques et les garanties offertes par les juridictions nationales (surtout dans la force exécutoire des décisions rendues).
3.1.2 L’amélioration des activités de l’OHADA et de ses institutions
67 La représentation qualitative d’une institution d’émission de normes dépend principalement de l’image que se font les utilisateurs sur les mesures affectant leurs comportements économiques [37]. Le droit de l’OHADA doit ainsi faciliter son appropriation par les acteurs du marché communautaire. En outre, l’insistance de la liberté des justiciables sur le choix du droit applicable à leur litige ne trouvera un écho favorable que dans la promotion de l’arbitrage.
3.1.2.1 Amélioration de l’accès au droit
68 L’adage « nul n’est censé ignorer le droit » ne dispense pas le législateur de l’OHADA d’apporter une diligence particulière dans la bonne diffusion de ses dispositions. En effet, dans un contexte de mise en concurrence des droits et des justices, la connaissance d’un droit particulier constitue un atout majeur.
69La mondialisation du capital s’est accompagnée d’une mobilité croissante des flux transnationaux [38]. Ainsi, le processus de déviation de ces flux financiers vers le marché de l’OHADA repose sur l’extériorisation du caractère simple, moderne et adapté du droit uniformisé. Il est désormais admis que le droit est un bien négociable comme tant d’autres. Il en résulte une inflation normative permanente pour répondre aux remous du marché mondial. L’un des avatars de ce jeu de force entre droit et marché pour les États africains est un renforcement de la porosité des systèmes nationaux et leur abandon par les investisseurs, faute de cohérence et de sécurité. Afin d’apporter une solution à cette tendance « économicide », le législateur de l’OHADA devrait actualiser le droit uniforme africain à l’aune d’un équilibre dynamique entre la demande et l’offre de régulation. L’actualisation du droit uniforme devrait s’établir sur la base d’un principe d’interopérabilité avec les règles et pratiques internationales.
70Cependant, les structures économiques locales fortement dominées par un secteur informel très dynamique nécessitent un cadre d’accès à l’information juridique adapté aux particularités des agents économiques locaux. La variation des paramètres de la concurrence praticable d’une zone économique à une autre définit le profil des marchés impliqués dans la croissance économique de l’OHADA. En effet, le droit de l’OHADA s’adresse à la fois aux agents des économies domestiques et aux investisseurs étrangers à la recherche de la rentabilité de leurs capitaux. De ce fait, les efforts consentis dans la diffusion du droit uniforme vers l’extérieur doivent aussi se ressentir au sein du marché africain. Ainsi, l’amélioration de l’accès au droit peut se poursuivre à travers une série d’activités ponctuelles et à long terme.
71Dans l’immédiat, une sensibilisation générale sur les droits et obligations des agents économiques apportés par le Traité de l’OHADA et sur le rôle des ses institutions pour les différentes couches du marché local (sociétés commerciales, GIE, secteur informel…) permettrait une meilleure diffusion du droit uniforme. À ce niveau, la manipulation de la langue de travail doit être aussi une préoccupation majeure des experts de l’OHADA. Par ailleurs, des sessions de consultations juridiques sur tous les aspects de l’OHADA pourront être organisées en permanence dans tous les États membres à l’intention des agents économiques (formels et informels, surtout illettrés) [39]. Par ailleurs, la consultation pourrait se prolonger par une assistance des agents économiques locaux dans la bonne utilisation des ressources offertes par le droit uniforme de l’OHADA.
72Dans le long terme, les institutions de l’OHADA devraient, en partenariat avec les États Parties, prévoir des procédés d’imprégnation des règles communes susceptibles de minimiser les incertitudes et assurer l’effectivité de son droit. Une telle action requiert un plan d’action plus vaste, incluant la formation permanente et la participation globale à l’élaboration des normes. Dans cette perspective, l’arbitrage est préconisé comme outil de facilitation de l’accès au droit.
3.1.2.2 Promotion de l’arbitrage
73 L’intégration de l’arbitrage parmi les modes de traitement des litiges d’affaires n’est pas un phénomène nouveau dans les pays africains. Cependant, l’institution de l’arbitrage connaît un regain d’intérêt avec le développement des échanges économiques d’une part, et l’hétérogénéité et la complexité des normes d’autre part. En effet, l’interpénétration des environnements juridiques accroît l’incertitude quant à la règle de droit applicable en cas de litige. Ainsi, le législateur de l’OHADA entend donner à l’Organisation les moyens de réguler les relations juridiques d’une manière efficace [40].
74L’efficacité du recours à l’arbitrage doit être située par rapport à ses modalités de fonctionnement, les garanties allouées aux parties et à l’exécution de la sentence arbitrale. Sur ces différents points, le Traité de l’OHADA envisage des solutions qui ont pour objectif l’encouragement du recours à l’arbitrage [41].
75La soumission des litiges d’ordre contractuel nés sous l’empire du droit uniforme est laissée à la discrétion des parties qui s’assurent ainsi du respect de leur volonté dans la résolution de leur différend. En effet, la contractualisation du litige entraîne l’incompétence des juridictions nationales avant que l’instance arbitrale désignée ne s’en saisisse. Par ce moyen, les parties devront avoir l’opportunité de choisir le droit qui leur sera applicable sous réserve de l’observation de l’ordre public international et, en partie, les arbitres qui devront se prononcer sur le différend (sauf désignation par le juge d’un État Partie en cas de blocage dans le choix des arbitres). Cependant, l’on note une insuffisante instrumentalisation de la clause compromissoire dans les contrats commerciaux et il s’y ajoute le déficit en experts locaux spécialisés dans l’arbitrage. La mise à l’écart des juridictions nationales constitue pour la plupart des agents économiques un îlot de confidentialité, postulat fondamental dans les relations d’affaires. En tout état de cause, le législateur de l’OHADA fait de la primauté de la volonté des parties, le fondement de l’arbitrage.
76L’égalité des parties tout au long de la procédure arbitrale et l’existence de voies de recours contre la sentence arbitrale constituent les principales garanties du droit uniforme sur l’arbitrage. L’égalité des parties dans la procédure se retrouve à presque tous les niveaux de l’arbitrage. Cette règle est affirmée de manière précise par l’article 9 de l’acte uniforme. Cette égalité pendant l’instance est précédée par le caractère éminemment consensuel (contractualisation de la justice arbitrale) de l’arbitrage. L’exercice des voies de recours par les parties à un litige arbitral fait partie des moyens traditionnels de toute réglementation processuelle. Ainsi, la mise en œuvre du recours en annulation et des autres voies de recours extraordinaires pour les parties s’accorde avec l’idée d’une sécurisation du traitement des différends.
77L’exécution de la sentence arbitrale par les parties est entourée par des garanties liées à la force reconnue aux décisions des arbitres et à la délivrance de l’exequatur par la CCJA. Ainsi, le législateur de l’OHADA par le biais des certains mécanismes simplificateurs apportés au Traité et au règlement sur l’arbitrage entend faire de ce moyen de régulation des relations juridiques l’une des principales dans l’espace OHADA. La promotion de l’arbitrage s’insère dans un mouvement de recherche de simplicité et de sécurité dans l’intégration juridique sous-régionale.
3.2 La sécurisation de l’environnement juridique des affaires dans l’OHADA
78La maîtrise des risques inhérents à l’hétérogénéité des règles juridiques en présence dans les États membres de l’OHADA inspire un processus de réorganisation du paysage normatif. Pour ce faire, les autorités de l’OHADA seront amenées à envisager des voies d’articulation de leurs normes avec celles des États membres et un renforcement des mesures pénales propres à la stabilité du système.
3.2.1 Rationalisation de l’articulation du droit des affaires OHADA avec les normes nationales et supranationales
79 L’assurance d’un minimum d’efficacité du nouveau système communautaire requiert la mise en conformité des différents textes applicables aux transactions d’affaires. La construction d’un ensemble cohérent de normes se fera au triple niveau interne, communautaire et international.
3.2.1.1 Amélioration de la réception du droit des affaires OHADA dans l’espace interne
80 La relation entre les règles juridiques communautaires et les droits nationaux des États membres dans l’espace OHADA est principalement constituée par le principe de la supranationalité. Par conséquent, la subordination de l’ordre juridique interne à l’ordonnancement communautaire découle d’une règle matérielle (article 10 du Traité de l’OHADA) qui fonde sa propre légitimité. En effet, parmi les techniques d’harmonisation des législations entre États parties d’une même organisation, la technique de la supranationalité offre une certaine garantie de cohérence du système eu égard à ses effets sur les ordres internes. Il s’agit notamment d’un processus d’« unification descendante » [42], du droit communautaire au droit interne. Ainsi, la démarche qui vise une dilution des règles communautaires impose aux législateurs nationaux un cadre de référencement de leurs travaux sur les domaines harmonisés. Dans la pratique, la conception unificatrice du droit de l’OHADA se manifeste à travers la force juridique prêtée aux actes uniformes dès leur entrée en vigueur. En effet, la CCJA s’est à plusieurs reprises prononcée sur la suprématie du droit uniforme vis-à-vis des règles nationales antérieures ou postérieures. En outre, la Cour commune précise que l’effet abrogatoire des actes uniformes touche « un article d’un texte, un alinéa de cet article ou une phrase de cet article » [43]. Ce souci dans la précision de la portée du principe de la supranationalité des textes communautaires traduit une volonté d’uniformisation au premier degré du droit des affaires.
81Cependant, la réception du droit de l’OHADA dans les ordres internes ne se déroule pas souvent comme le prédit le modèle théorique d’intégration. L’objectif d’homogénéisation des législations nationales se heurte à un phénomène de résistance de la part des États membres. En effet, la généralisation de la « marge nationale d’appréciation » comme condition d’intégration du droit uniforme laisse subsister des pans entiers des législations à harmoniser. Cette tendance découle d’une impossibilité plus politique que technique et offre un rapprochement des législations autour des concepts les plus généraux. En effet, plus la matière à harmoniser présente des relations profondes avec l’héritage socioculturel d’un pays membre, plus grande est la méfiance à l’endroit d’une gestion commune et transnationale. Cette distance à l’encontre de la mouvance communautaire est sensible en matière de droit commercial et des sociétés et en droit des personnes. L’existence d’une résistance à l’unification n’est pas spécifique au domaine du droit, d’autres secteurs de régulation des phénomènes sociaux ou naturels connaissent des cas de rejet (la société, la religion…). Toutefois, l’édification d’un système communautaire requiert une certaine stabilité dans la composition de ses différents éléments. Sur ce point, mis à part l’élaboration collective des actes uniformes, les mécanismes de leur réception doivent être clairement établis.
82La règle de la primauté du droit communautaire sur le droit national pose déjà le cadre des relations d’échange entre les deux systèmes normatifs. Cependant, la réception du droit communautaire dans l’ordre interne soulève la problématique de l’effectivité des règles communes. À ce niveau, l’administration et le juge sont les principales courroies de diffusion des actes uniformes. L’administration a, pour sa part, la responsabilité de faciliter l’imprégnation des agents économiques et des justiciables aux normes définies. Le juge quant à lui devra à chaque fois que les conditions d’application du droit communautaire sont réunies faire respecter la norme supranationale. En effet, le système judiciaire constitue le chaînon le plus efficace en termes de fonctionnalité pour la reproduction du droit communautaire dans les ordres internes. L’application du droit harmonisé par les juges nationaux associée aux fonctions consultative et juridictionnelle de la CCJA rend réelle l’amélioration de la réceptivité des règles communes. Et sur tous ces aspects, il reste encore beaucoup à faire.
3.2.1.2 Mise en cohérence de la législation OHADA avec celles des institutions internationales et communautaires
83 L’articulation entre le droit communautaire OHADA et le droit international (et les autres organisations communautaires) reste très complexe eu égard à la nature des relations qui lient les systèmes juridiques autonomes de manière générale.
84En Afrique, la prolifération des organismes communautaires à vocation économique entretient de façon durable l’hétérogénéité des normes émises et leur grand nombre. En effet, un exemple caractéristique de la concurrence des normes communautaires reste les cas de l’OHADA et de l’UEMOA ou de la CEMAC. La règle de la supranationalité posée par l’article 10 du Traité OHADA se retrouve au niveau de l’article 6 du Traité de l’UEMOA. Par conséquent, pour les États membres communs à ces deux organisations, deux systèmes juridiques indépendants interviennent souvent pour légiférer dans les mêmes matières. L’insertion directe des règles issues de ces organismes risque d’aggraver la complexité de l’environnement juridique pour les agents économiques et en particulier pour le juge, surtout en cas de contradiction entre les dispositions de l’OHADA et de l’UEMOA sur une matière où elles détiennent une compétence directe. À défaut de principe de résolution de concours de supranationalité entre deux normes communautaires, le risque d’impasse pour les théoriciens et praticiens est avéré. Pour l’instant des solutions semblent s’orienter vers la coopération entre les organisations communautaires (surtout en matière judiciaire) ou l’application de principes généraux relatifs à la concurrence entre normes d’égale valeur («lex posterior derogat priori»).
85À côté des organisations à vocation économique générale, interviennent des structures à vocation sectorielle qui interfèrent directement dans des matières relevant de la compétence de l’OHADA. Il s’agit en particulier de la CIMA et de l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle). Ainsi, le démantèlement latent du droit uniforme par des droits voisins au nom de la spécificité peut engendrer à long terme un labyrinthe normatif fatal à l’ambition d’attirer les investisseurs par la simplicité du droit OHADA recherchée.
86Le risque potentiel de dislocation du droit uniforme des affaires au niveau africain ne peut être jugulé qu’avec une définition rigoureuse des principes directeurs communs à toutes ces entreprises de communautarisation, de sorte à créer les conditions favorables à une unification substantielle des règles communes. Une autre voie verrait la rationalisation des divers organismes à prétention économique autour d’une structure unique dédiée à la création d’un marché continental commun et adoptant des règles similaires. La volonté de l’OHADA semble aller dans ce sens, mais la superposition des ordres juridiques dans un espace géographique restreint ne milite pas en faveur d’une telle option. En effet, en dehors des techniques juridiques d’articulation des normes communautaires entre elles, la régulation de tels conflits implique nécessairement une volonté politique franche. La mise en cohérence des droits communautaires devrait aussi se prolonger par un processus similaire avec le droit international.
87L’expérience nationale de la manipulation du droit international conventionnel par l’ordre juridique interne est principalement contenue dans les dispositions de la constitution des États membres ou dans la jurisprudence constitutionnelle. Cependant, l’articulation entre droit communautaire et droit international pose des difficultés d’adéquation entre systèmes juridiques différents, mais transparaît comme un maillon entre droit national et droit mondial unifié [44]. Ainsi, la réception de l’ordre international dans l’ordre communautaire s’effectue d’une manière générale sur la base de la réciprocité (du moins dans sa consécration textuelle). En effet, la principale organisation à vocation globale en matière économique est l’OMC. Sur ce point, les normes de l’OMC sont presque immédiatement reprises par les pays africains et constituent sur cette base des modèles logiques (en référence aux mécanismes de leur élaboration) de consensus pour les travaux d’unification des pays du Sud. Il en ressort une certaine identité entre les règles internationales relatives à l’économie et le droit des affaires de l’OHADA, au moins au niveau des concepts-clé consacrés. En outre, les régimes de dérogation souvent prévus pour les pays en développement tendent à faciliter la récupération systématique de ces règles, synonyme de conformité aux exigences du marché international. Toutefois, les problèmes issus de la mise en œuvre effective de certaines règles internationales en matière de commerce conduisent à des phénomènes de résistance nationale ou collective et débouchent sur la revendication d’un pluralisme juridique. À côté du droit de l’OMC, la lex mercatoria permet de dégager des principes directeurs autorisant le rapprochement entre normes internationales et droit communautaire de l’OHADA. En effet, le règlement OHADA sur l’arbitrage fait une mention explicite de la lex mercatoria comme source de droit.
88Au vu de toutes ces considérations, la mise en cohérence du droit de l’OHADA avec le droit international présente un intérêt en matière d’interopérabilité des règles juridiques dans un contexte où l’interpénétration des marchés est facilitée par les progrès des nouvelles technologies. Le législateur de l’OHADA en affichant son ambition de doter la zone économique d’un droit moderne et adapté lance le défi de l’harmonisation du droit des affaires africain avec la régulation économique internationale. Cependant, la rationalisation du dispositif normatif met en exergue l’aspect disciplinaire du comportement des agents économiques.
3.2.2 Le renforcement du dispositif pénal des affaires dans l’espace OHADA
89 La sécurisation du droit des affaires ne repose pas uniquement sur l’intention prescriptive (édiction de règles de comportement) du législateur, mais également dans la conception d’un dispositif apte à dissuader la délinquance d’affaires, mieux la réduire. Dans cette perspective, le législateur de l’OHADA doit prévenir les écarts en légiférant sur les infractions et rationaliser les sanctions pour échapper à la tentation d’une surenchère autour du « marché de la loi ».
3.2.2.1 Légiférer sur les infractions visant à protéger le système
90 Le législateur de l’OHADA a prévu la possibilité d’inclure des dispositions pénales dans les textes communautaires. En effet, l’article 5 dispose que les actes uniformes pourront contenir des « dispositions d’incrimination pénale ». Toutefois, la portée de l’article 5 se trouve limitée, car il ne permet pas de consacrer des infractions transversales qui sont censées protéger tout le système économique et qui ne sont pas liées à un acte uniforme quelconque. Il s’agit notamment de la corruption, du blanchiment de capitaux d’origine illicite, de la fraude, etc.
91L’extension de la compétence des instances de l’OHADA à la sphère pénale procède singulièrement de la volonté de contrôle de la délinquance d’affaires au sein de la zone OHADA [45]. La technique de contrôle utilisée par le législateur communautaire place la détermination des infractions d’affaires au niveau communautaire et l’appréciation des sanctions au niveau national. Cette approche, pour le moins paradoxale, va à l’encontre des principes de rationalisation du contrôle social en matière de politique criminelle [46].
92L’éclatement de la compétence en matière pénale fait surgir la nécessité pour l’OHADA de circonscrire le champ du droit des affaires en Afrique, afin de viser les écarts de comportement susceptibles de correspondre à des infractions d’affaires. L’imprécision du domaine des affaires est due à une liste indicative, insuffisante à prendre en compte les diverses manifestations de la criminalité d’affaires. De surcroît, des secteurs essentiels à la pratique des affaires et propices à la commission d’infractions récurrentes n’ont pas été expressément désignés. Le secteur bancaire et financier (même s’il existe des législations allant dans ce sens, telles que les règles sécrétées par l’UEMOA ou la CEMAC…) fait figure de plate-forme indispensable aux transactions d’affaires et les infractions sur ce domaine sont nombreuses. La prudence avérée du législateur de l’OHADA (article 2 du Traité) sur sa conception du droit des affaires ne devrait pas le dispenser d’étendre la fourchette d’harmonisation des infractions. En effet, l’abandon aux États membres de la faculté de définir les infractions sur des matières relevant du droit des affaires pourrait engendrer une rupture de cohérence au niveau de la politique criminelle communautaire. Ainsi, une harmonisation efficace des infractions d’affaires repose sur l’engagement collectif (OHADA, UEMOA, CIMA…) à la fixation d’un seuil commun de disqualification des comportements attentatoires aux valeurs du marché. Le caractère consensuel de la démarche devra permettre d’atteindre un minimum d’efficacité des normes édictées, en considération de l’identité des valeurs de référence chez les émetteurs de la règle commune. Un premier pas a été franchi avec l’acte uniforme sur le droit des sociétés [47]. Cependant, une telle cohésion dans la construction juridique ne se retrouve pas au niveau des sanctions.
3.2.2.2 Harmonisation des sanctions visant à protéger le système
93 Les instruments juridiques de l’OHADA ne semblent pas prévoir une harmonisation des sanctions pénales. En effet, le pouvoir de sanction est dévolu aux États membres de l’organisation communautaire. La dissociation des compétences entre la détermination des infractions et la fixation des sanctions emporte deux conséquences.
94Le Traité de l’OHADA fait du législateur national le principal acteur dans la sanction des infractions d’affaires consécutives à l’application des actes uniformes. Il découle de ce principe un risque d’hétérogénéité des sanctions encourues par les délinquants d’affaires pour une infraction unifiée dans une zone géographique théoriquement homogène (surtout pour les disciplines harmonisées). Le législateur de l’OHADA pourrait s’amender en invoquant la difficulté d’harmoniser les sanctions pénales même pour des organisations communautaires plus vieilles (Union européenne) ou la relativité des valeurs au sein même d’États appartenant à une tradition juridique identique [48]. Au surplus, la disparité des situations économiques et des systèmes pénaux entre les États Parties appartient là aussi au nombre des motifs souvent invoqués pour justifier l’option du Traité de l’OHADA. Cependant, le propre de l’harmonisation est bien l’établissement de principes communs à toutes les parties afin de conférer une certaine consistance aux valeurs à préserver.
95Une seconde conséquence de l’absence d’une politique criminelle cohérente dans l’espace OHADA est une concurrence des justices des États membres. En effet, la captation des investissements pourrait guider les législateurs nationaux vers plus de clémence envers les délinquants d’affaires. Ainsi, la sanction des infractions découlant de la mise en œuvre des actes uniformes pourrait prendre la forme d’une simple mise en garde ou d’un reproche (faiblesse totale ou partielle de la sanction). Plus encore, le système répressif pourrait devenir un élément pertinent de la détermination de la compétitivité du système économique d’un État par les agents économiques. Par conséquent, le risque de voir se multiplier les «forum shopping» dans l’espace OHADA est grand.
96Le rapprochement des sanctions pénales doit trouver une espace d’expression dans la création de vecteurs communs de fixation des peines encourues (amende, prison…) par les transgresseurs des normes communautaires. À ce stade, la combinaison des principes directeurs pourrait offrir un éventail de solutions au législateur de l’OHADA dans la perspective d’une harmonisation des sanctions pénales [49].
Mots-clés éditeurs : droit africain, droit des affaires, uniformisation
Notes
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[*]
Professeur, doyen de la Faculté des sciences juridique et politique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. L’auteur tient à remercier son assistant de recherche M. Mamoudou Niane pour son apport de qualité dans la réalisation de cette étude. Revue Internationale de Droit Économique — 2004 — pp. 197-225
-
[1]
Le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique est entré en vigueur le 18 septembre 1995. L’OHADA regroupe actuellement 16 États membres (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo).
-
[2]
Il ressort des propos du Doyen Kéba Mbayé que « l’O.H.A.D.A. est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance ». Sur la même question, voir K. MBAYÉ, « Avant-propos sur l’OHADA », Numéro spécial sur l’OHADA, Recueil Penant, n°827, 1998, pp. 125-128.
-
[3]
M. KIRSCH, « Historique de l’OHADA », Recueil Penant, n°827, 1998, p. 129 et s.
-
[4]
Cf. article 3 alinéa 2 du Traité de l’OHADA. Les institutions de l’OHADA sont réparties dans les différents États de l’Organisation. Ainsi, le Conseil des ministres se trouve au Gabon, la CCJA en Côte d’Ivoire, le Secrétariat permanent au Cameroun et l’ERSUMA au Bénin. Concernant le fonctionnement de l’OHADA, voir P.-G. POUGOUÉ, Présentation générale et procédure en OHADA, Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, 1998.
-
[5]
Sur les actes uniformes, J. ISSA-SAYEGH, « Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes de l’OHADA », Revue de droit uniforme, UNIDROIT-Rome, 1999, p.5.
-
[6]
Sur la question, voir les développements de J. LOHOUES-OBLE et J. ISSA-SAYEGH, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Bruylant, Bruxelles, 2002 et M.M. SALAH, « La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux. Réflexions sur l’ambivalence des rapports du droit de la mondialisation », RIDE, n°3, 2001, pp. 251-302.
-
[7]
J. LOHOUES-OBLE, « L’apparition d’un droit international des affaires en Afrique », Revue internationale de droit comparé, 1999, p.543. À ce propos, le Professeur Gérard Farjat parle de « refondation sociale », voir G. FARJAT, « Les pouvoirs privés économiques », in Mélanges offerts à Philippe Kahn, Litec, Paris, 2000, p.622.
-
[8]
M. DIAKHATÉ, « OHADA : un nouveau droit des affaires pour sécuriser l’investissement en Afrique », in hhttp:/// www. Oecd.org/dataoecd/19/14/23731286.pdf.
-
[9]
Les textes relatifs à ces actes uniformes sont disponibles sur le site de l’OHADA, sur le lien hhttp:/ // www. Ohada. com/ textes. php. D’autres actes uniformes sont aussi en cours d’élaboration, notamment celui relatif au droit du travail.
-
[10]
Un total de près de 600 décisions peut être consulté sur le lien http:// www. Ohada. com/ jurisp. php.
-
[11]
Les travaux des juristes africains sont recensés sur le site de l’OHADA ((http:// www. Ohada. com/ doctrine.php). En outre, un lot d’ouvrages sur l’OHADA est sorti sous la coordination scientifique des professeurs J. ISSA-SAYEGH, P.-G. POUGOUÉ, F.M. SAWADOGO au sein de la collection Droit uniforme africain, parue aux éditions Bruylant, Bruxelles, 2002.
-
[12]
J. ISSA-SAYEGH, « Aspects techniques de l’intégration juridique des États africains de zone franc », communication à la session de formation du CFJ de Dakar du 27 au 30 avril 1998, sur le thème : « L’OHADA, un droit régional en gestation ».
-
[13]
G. FARJAT, « Les républiques et les Cités et les vents de la mondialisation », in Mélanges Hubert Charles, La République et la Cité, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2001, p.175 et s.
-
[14]
J. ISSA-SAYEGH, « La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA », in Mélanges en l’honneur de Roger Decottignies, Presses universitaires de Grenoble, 2003, pp. 175-184.
-
[15]
Article 14 du Traité de l’OHADA.
-
[16]
A. CISSÉ, « Le Sénégal », in Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne, vol. VI : Europe-pays d’Islam, (dir.) M. DELMAS-MARTY, éd. MSH, coll. Vers des principes directeurs internationaux de droit pénal, Paris, 1999, pp. 96-108.
-
[17]
Article 1er du Traité de l’OHADA.
-
[18]
Article 6 du Traité de l’OHADA.
-
[19]
F.-M. SAWADOGO, « Les Actes uniformes de l’OHADA : aspects techniques généraux », Revue burkinabé de droit, n° 39-40, n° spécial, p. 37.
-
[20]
A. CISSÉ, « Ingénieurie juridique et intelligence stratégique », Revue Africajuris, n°3, du 14 au 20 février 2002 et n°4, du 21 février au 6 mars 2002, pp.3-4. Voir L. BOY, « Normes », hhttp:// www. Msh-paris. fr/ redcs/ communic/ boyl. htm.
-
[21]
P.-G. POUGOUÉ, F. ANOUKAHA et J. NGUÉBOU, Le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique OHADA, Presses universitaires d’Afrique, 1998.
-
[22]
J.-P. RAYNAL, « Intégration et souveraineté : le problème de la constitutionnalité du traité OHADA », Recueil Penant, 2000, p. 5-22. Cf. Cour constitutionnelle du Sénégal, arrêt n° 3/C93 du 16 décembre 1996 ; le Président de la Cour a motivé sa décision en rappelant que « le Sénégal ne ménagera aucun effort pour la réalisation de l’objectif d’intégration ».
-
[23]
F. OST et M. Van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, FUSL, Bruxelles, 1987, pp. 355-436.
-
[24]
Article 15 de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.
-
[25]
Plus particulièrement sur le contrôle des normes communautaires, voir « La problématique de la délimitation des compétences entre la Cour de justice de l’UEMOA et la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA et les juridictions nationales des États parties », Actes de la session de formation régionale sur l’UEMOA et l’OHADA, Centre de Formation judiciaire de Dakar, du 9 au 13 octobre 2000, Dakar.
-
[26]
A. CISSÉ, « Cautionnement des tiers par les banques et établissements financiers : quel rôle pour le Conseil d’administration ? », Revue Africajuris, n°17-18, du 23 mai au 5 juin 2002, pp.4-7.
-
[27]
Sur la question, le site uemoa.int offre les différents actes pris par l’UEMOA pour favoriser l’harmonisation communautaire.
-
[28]
La CCJA, par avis n°001/2001/EP, insiste sur la portée abrogatoire de l’article 10 du Traité de l’OHADA. Lire aussi les développements de J. ISSA-SAYEGH, « La portée abrogatoire des actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne des États parties », Revue burkinabé de droit, n°39-40, n°spécial, p.51.
-
[29]
M. DELMAS-MARTY, M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du droit : réflexions sur la validité formelle d’un droit commun en gestation », in Variations autour d’un droit commun, M. DELMAS-MARTY et alii, UMRDC, Société de législation comparée, Paris, 2001, p.73 et s.
-
[30]
Sur cette question, des développements importants ont été consacrés à la durée de la justice et le temps économique, in http:// www. confparis. org/ textes/ tempsjustice. htm.
-
[31]
Article 1er du Traité OHADA.
-
[32]
Cf. Préambule du Traité de l’OHADA.
-
[33]
L’exemple de la prise en charge du phénomène de la pauvreté a permis d’établir la corrélation entre la capacité des institutions et les stratégies élaborées pour atteindre des objectifs de développement. Voir A. CISSÉ, « État de droit et pauvreté », Revue Africajuris, n°1, du 31 janvier au 6 février 2002 et n°2, du 7 février au 13 février 2002, pp.8-9, 4-5.
-
[34]
J. CHEVALLIER, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDPSP, n°3, 1998, p.669.
-
[35]
P. MOREAU DEFARGES,La mondialisation vers la fin des frontières, Dunod, Paris, 1993, p. 53.
-
[36]
G. TIMSIT, Thèmes et systèmes de droit, PUF, Paris, 1986, pp. 97-147.
-
[37]
Sur ce point, des bilans de l’OHADA ont été dressés en vue de mesurer l’efficacité de l’Organisation sur une période donnée. Voir par exemple, J. LOHOUES-OBLE, « Le Traité OHADA, cinq ans après », texte d’une conférence prononcée à Abidjan ; K. KOUASSI, « Bilan et perspectives de l’OHADA », Écodroit, n°11, mai 2002, p.10.
-
[38]
F. CHESNAIS, La mondialisation du capital, Syros, Paris, 1997, pp. 69-88.
-
[39]
Même s’il existe une session de formation en ligne au niveau du site de l’OHADA.
-
[40]
A. FENEON, « Un nouveau droit de l’arbitrage en Afrique (De l’apport de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA) », Recueil Penant, n°833, mai-août 2000, pp. 126-136.
-
[41]
P. MEYER, Droit de l’arbitrage, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp.28-50.
-
[42]
M. DELMAS-MARTY et M.-L. IZORCHE, op.cit., p. 78.
-
[43]
CCJA, avis n°001/120/EP, op. cit.
-
[44]
M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Seuil, Paris, 1994, pp.283-284.
-
[45]
N. DIOUF, « Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l’OHADA : la difficile émergence d’un droit pénal communautaire dans l’espace OHADA », Revue burkinabé de droit, n°39-40, n°spécial, p.63.
-
[46]
M. DELMAS-MARTY, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF, Paris, 1992, pp. 61-68.
-
[47]
A. CISSÉ et alii, OHADA, société commerciales et G.I.E., Bruylant, Bruxelles, 2002.
-
[48]
M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, op.cit., p. 240.
-
[49]
M. DELMAS-MARTY, « La mondialisation du droit : chances et risques », D., 1999, chron., p. 43 et s.