Couverture de RHU_060

Article de revue

Mathieu Caesar, Histoire de Genève. Tome 1. La cité des évêques (IVe-XVIe siècle), Neuchâtel, Éditions Alphil-Presses Universitaires Suisses, 2014, 151 p.

Pages I à III

Notes

  • [1]
    Mathieu César a développé ces aspects dans sa thèse, Le pouvoir en ville. Gestion urbaine et pratiques politiques à Genève fin XIIIe - début XVIe siècle), Turnhout, Brepols, 2011 (Studies in European Urban History, 25).
English version

1Depuis la fin de l’Antiquité, Genève est avant tout une cité épiscopale. Dans ce premier tome de l’histoire de la ville, Mathieu Caesar nous propose une brève, mais très riche histoire de la cité des évêques depuis l’établissement du pouvoir épiscopal vers le milieu du IVe siècle jusqu’au départ définitif de l’évêque en 1533 à la veille de la réforme. Son objectif est de raconter la manière de vivre en ville et de s’approprier l’espace urbain de la société urbaine. Pour ce faire, il a choisi avec justesse un plan chrono-thématique dans lequel il fait alterner en treize tableaux, le récit événementiel et les chapitres sur la vie politique, les activités économiques, l’ordre social, l’église et la vie religieuse.

2Durant « les temps obscurs » qui s’étendent du passage de César jusqu’au XIe siècle, la cité, dès le début du Ve siècle, s’est érigée en centre régional dont l’importance est aussi bien économique que religieuse et administrative. Elle a donc acquis les traits fondamentaux qu’elle gardera tout au long du Moyen Âge. L’époque burgonde (443-534), durant laquelle Genève est choisie comme capitale du nouveau royaume, est un siècle fondamental pour le renforcement du christianisme et le développement des lieux de culte après la conversion de Sigismond au catholicisme avant 508. En 1032, à la fin du second royaume de Bourgogne, Genève est incorporée au Saint Empire et, au début du XIe siècle, les comtes de Genève sont devenus une dynastie héréditaire.

3Au cours des XIIe et XIIIe siècles, l’histoire de Genève est rythmée par les interminables querelles entre l’évêque – à la tête d’un vaste diocèse qui a connu assez tardivement la mise en place de réseaux monastiques (une soixantaine d’établissements masculins et six communautés féminines) - et les puissants seigneurs de la région voulant acquérir ses droits temporels ainsi que les conflits entre les différents lignages aristocratiques s’affrontant pour l’hégémonie régionale. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, l’équilibre des pouvoirs politique entre les comtes de Savoie, l’évêque et la communauté de citoyens, reste fragile et se trouve sans cesse remis en cause.

4L’organisation politique de la communauté genevoise est très semblable à celle des villes avoisinantes [1] . La ville est gouvernée par quatre syndics, élus annuellement par un conseil ordinaire au nombre variable de conseillers, entre 20 et 30. L’accès à la charge de syndic et au conseil ordinaire - qui se réunit une à deux fois par semaine -, a toujours été relativement ouvert et aucune famille n’a réussi à contrôler le pouvoir politique à la différence de ce qui s’est passé dans d’autres villes suisses. Les syndics et les citoyens exercent un rôle de premier plan dans l’administration de la justice. La communauté assure ses finances sur la base d’impôts indirects grevant la vente et la circulation des marchandises : droits et taxes perçues dans les deux halles de la ville auxquels s’ajoute un impôt sur les tonneaux de vin entrant dans la cité. La ville n’a pas d’armée permanente car sa protection est le devoir de tous les habitants. Genève n’a pas connu un système de « corporations » de métier et ceux-ci n’ont pas joué de rôle politique. Toutefois, certains groupements professionnels organisés autour d’une confrérie, comme celle des bouchers, ont agi collectivement pour défendre leurs intérêts parfois de manière violente.

5La position de la ville au cœur de l’Europe et le développement depuis l’Antiquité des routes empruntant les cols des Alpes occidentales ont largement contribué à attirer sur Genève les convoitises des puissants qui ont vu dans la domination de la ville et de ses campagnes une des clés pour le contrôle des axes reliant le nord de l’Europe à l’Italie et à la Méditerranée.

6Les foires, actives depuis au moins le milieu du XIIIe siècle, connaissent leur apogée au cours de la première moitié du XVe siècle et les produits de luxe occupent une place de choix dans les échanges. Mais leur vocation, de marchande est devenue aussi financière et la ville une véritable place financière dans laquelle plusieurs grandes compagnies, dont celle des Médicis, ont installé une filiale. Quelques familles genevoises sont aussi actives dans le commerce international. La croissance de ces foires et la vitalité économique qu’elles engendrent, la présence du duc de Savoie, l’éloignement des conflits qui agitent l’Europe et la stabilité politique, expliquent la prospérité économique et l’attractivité de Genève et de la Savoie au XVe siècle.

7Boostée par les foires, Genève est devenue le plus grand centre urbain de la région au milieu du XVe siècle. Sa population a triplé depuis le début du siècle pour atteindre environ 11 000 habitants, grâce essentiellement à une forte immigration en provenance des régions voisines. Elle connaît un essor urbain important avec la création de nouveaux quartiers et le développement de l’habitat le long des axes routiers. Les remparts font l’objet de réfection et de transformations. Les autorités ont un souci d’urbanisme et des préoccupation hygiéniques : aménagement des rues et des places publiques, préservation de la pureté des eaux, entretien et nettoyage des rues et des places pour endiguer la pollution. L’auteur va même jusqu’à écrire que la beauté de la vie et sa propreté sont un souci constant.

8La prospérité de Genève au XVe siècle ne peut qu’attirer les convoitises de la maison de Savoie. La cour savoyarde réside souvent sur les rives du Léman et de nombreux notables, font du service au prince un moyen d’ascension sociale et d’enrichissement. Jean Servion en est un bon exemple ; plusieurs fois syndic, il rédige, vers 1462-1463, Gestes et Chroniques de la maison de Savoie, depuis ses origines mythiques. Le comte, puis duc de Savoie, reste pourtant un prince redoutable qui ne cesse de chercher à imposer sa pleine souveraineté sur la ville et ses alentours.

9Cette conjoncture favorable cesse brutalement en 1462 quand le développement des foires connaît un arrêt brutal avec la promotion des foires de Lyon par Louis XI. Commence alors une période de crises. Le traité de combourgeoisie signé par l’évêque de Genève avec les villes de Berne et de Fribourg en 1477 marque l’entrée définitive sur la scène politique genevoise des deux villes confédérées et le début d’une période d’instabilité pour la ville qui met fin à plus d’un siècle de paix savoyarde. L’émergence des luttes de faction en ville entre Mammelus et Eidguenots et un conflit aigu entre une partie de l’élite dirigeante et le duc s’explique par l’affaiblissement et la perte de prestige de la maison ducale. Le rapprochement avec Fribourg et Berne, la victoire de la faction des Eidguenots et la ratification du traité de combourgeoisie en 1526 ne peuvent plus être considérés comme une première étape vers la Réforme. Mathieu Caesar, contrairement à la vision téléologique, couramment admise, conclut qu’à cette date « l’histoire de Genève n’est nullement écrite d’avance et, à bien des égards, l’avenir de la ville demeure incertain » (p.147). Le bas Moyen Âge genevois n’est pas, comme on l’a écrit « une marche vers l’indépendance de l’époque moderne, vers la citadelle de la Réforme » (p 7-9). « La Genève des XIIIe - XVe siècle est quelque part une ville savoyarde et de nombreuses familles de l’élite genevoise sont des ‘‘étrangers’’ établis en ville depuis une ou deux générations. Si le pouvoir et la richesse de la ville sont certes le fruit de l’ingéniosité de ses habitants et de leurs activités, ils ont souvent été aussi le produit de circonstances politiques favorables voire des malheurs de ses voisins » (p. 9).

10En cent cinquante pages, Mathieu Caesar nous offre donc une bonne synthèse, parfaitement à jour, fondée sur une bonne connaissance des archives et une parfaite maitrise de la bibliographie dont à la fin de chaque chapitre, quelques ouvrages soigneusement sélectionnés constituent autant de suggestions pour approfondir certains sujets. Bien écrit dans une langue claire, bien illustré avec un extrait de documents ou une enluminure en introduction de chaque chapitre, l’ouvrage est complété fort utilement par un tableau chronologique et des cartes. Il dépasse largement le cadre de la vulgarisation et est appelé à devenir rapidement la référence sur l’histoire médiévale de Genève, jusqu’alors surtout connue à partir de la Réforme protestante.


Date de mise en ligne : 25/06/2021.

https://doi.org/10.3917/rhu.060.0198

Notes

  • [1]
    Mathieu César a développé ces aspects dans sa thèse, Le pouvoir en ville. Gestion urbaine et pratiques politiques à Genève fin XIIIe - début XVIe siècle), Turnhout, Brepols, 2011 (Studies in European Urban History, 25).
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