Notes
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[1]
Soutenu par l’ANR (2018-2022) et intitulé « Pratiques des savoirs entre jugement et innovation. Experts, expertises du bâtiment, Paris 1690-1790 », ce projet de recherche associe les partenaires suivants : Robert Carvais (porteur du projet, historien du droit, CNRS, CTAD, Paris Nanterre Université, UMR 7470), Michela Barbot (historienne de l’économie, CNRS, IDHES, ENS Paris-Saclay, UMR 8533), Emmanuel Château-Dutier (historien de l’art et spécialiste en humanités numériques, Faculté des arts et sciences – Université de Montréal), Valérie Nègre (historienne des techniques, Université Panthéon-Sorbonne) et les collaborateurs Juliette Hernu-Bélaud, Léonore Losserand et Josselin Morvan. Ce projet a fait l’objet d’une étude de préfiguration financée par la Mission de recherche « Droit et Justice » du Ministère éponyme (2016-2018).
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[2]
Outre les publications de la collection « Paris et son patrimoine » éditées par l’Action artistique de la ville de Paris et les nombreux articles sur les îlots et hôtels parisiens parus dans les revues d’histoire de l’art, voir Françoise Boudon, André Chastel, Hélène Couzy et Françoise Hamon, Système de l’architecture urbaine. Le quartier des Halles à Paris, Paris, Éditions du CNRS, 1977 ; Jean-François Cabestan, La conquête du plain-pied. L’immeuble à Paris au xviiie siècle, Paris, Picard, 2004 ; Linnéa Rollenhagen Tilly, Maisons ordinaires à Paris, 1650-1790, thèse Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne, 2006.
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[3]
À l’exception de Youri Carbonnier, Maisons parisiennes des Lumières, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2006.
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[4]
1 060 articles couvrent la période allant de 1610 à 1798, avec d’importantes lacunes jusqu’en 1638 et peu d’expertises après 1790. Ils conservent par conséquent près de 900 000 expertises sur environ un siècle et demi.
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[5]
À l’exception de Nicolas Lemas, Le Marché Oblique. Essai sur les experts-jurés parisiens au xviiie siècle (1690-1791), mémoire de DEA d’Histoire de l’art, sous la direction de Dominique Poulot, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, 2002, 2 vol. 271 p. et un vol. d’annexe non paginé ; idem, « Les Hommes de plâtre. Contribution à l’étude du corps des experts-jurés parisiens sur le fait des bâtiments au xviiie siècle », Mémoire de la Fédération historique Paris et Île-de-France, 54, 2003, p. 93-148.
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[6]
Robert Carvais, « Surveyors and Building Appraisals. Conceptualizing a Comparative Project (13th-20th century) », in Ine Wouters, Stephanie van de Voorde, Inge Bertels, Bernard Espion, Krista de Jonge, Denis Zastavni (ed.), Building Knowledge, Constructing Histories, London, CRC Press/Taylor & Francis, 2018, 2 vol., t. 1, p. 67-76.
-
[7]
Voir les explications du vocable « expert » ou « expertise » dans les ouvrages juridiques, par exemple Jean-Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, Chez la Veuve Desaint, 1771, ou Joseph-Nicolas Guyot (sous la direction de), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Chez Visse, 1785 ou encore Oscar Dejean, Traité théorique et pratique des expertises en matières civiles, administratives et commerciales. Manuel des experts, Paris, 1873.
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[8]
Robert Carvais, « Le statut juridique des architectes à l’époque moderne », dans Alexandre Cojannot et Alexandre Gady (sous la direction de), Architectes du Grand Siècle, du dessinateur au maître d’œuvre, Paris, Le Passage, 2020, p. 13-33.
-
[9]
Leon Battista Alberti, De re aedificatoria, livre I, chapitre 9.
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[10]
La définition de la ville a donné lieu à une littérature très fournie. Nous ne saurions en exposer ici les grandes lignes. Retenons pour se départir d’une définition classique fondée sur la densité et la continuité de la cité, celle de Robert Park qui y voit un état d’esprit, un mode de vie, sans s’arrêter à ces éléments matériels. Sur ce débat voir également Histoire Urbaine, « La ville entre urbanité et ruralité », no8, 2003.
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[11]
Suzanne Clémencet, « Z1j – Chambre des bâtiments et Greffiers des bâtiments », dans Guide des recherches dans les fonds judiciaires de l’Ancien Régime, Paris, Archives de France/Imprimerie Nationale, 1958, p. 327-332.
-
[12]
Fabrice Mauclair, « Pour une étude de la justice civile non contentieuse dans les tribunaux ordinaires au xviiie siècle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, no 118-2, 2011, p. 41-59.
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[13]
Robert Carvais, « La Chambre des Bâtiments, juridiction de police » dans Pascale Laborier, Frédéric Audren, Paolo Napoli, Jakob Vogel (sous la direction de), Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 330-382.
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[14]
Les procès-verbaux de visite de police sont conservés pour 1674-1790 dans AN Z1J 191 à 255 et en compléments pour les années 1718-1727 dans BnF, Joly de Fleury 1422-1423.
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[15]
Les registres d’audience de police se trouvent dans AN Z1J 2-162, avec des lacunes pour 1681- 1684, 1686, 1693-1695, 1736-1737, 1750-1751, 1754-1755, 1761-1762.
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[16]
Sur cette notion voir Laurent Besse, Albane Cogné, Ulrike Krampl, Stéphanie Sauger (sous la dirction de), Voisiner. Mutations urbaines et construction de la cité du Moyen Âge à nos jours, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2018.
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[17]
Ces pourcentages sont réalisés à partir du dépouillement des années 1696 (26,33 %), 1726 (18,18 %), 1756 (25,54 %) et 1776 (17,03 %). En tenant compte des expertises contenant des réparations, le pourcentage est régulier autour de 30 % : 1696 (31,63 %), 1726 (29,81 %), 1756 (28,82 %) et 1776 (30,63 %). Nous rappelons que les expertises ne sont pas uniquement sollicitées en cas de litiges, mais qu’elles peuvent l’être gracieusement pour une partie, voire pour plusieurs parties qui désirent avoir un conseil pour prendre une décision.
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[18]
Robert Carvais, « Entretenir les bâtiments : une préoccupation juridique essentielle chez les architectes sous l’Ancien Régime », dans Charles Davoine, Maxime L’Héritier, Ambre Péron d’Harcourt (sous la direction de), Sarta Tecta. De l’entretien à la conservation des édifices, Antiquité, Moyen Âge, début de la période moderne, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2019, p. 23-36.
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[19]
Ces pourcentages sont réalisés à partir du dépouillement des années 1696 (26,75 %), 1726 (18,18 %), 1756 (25,54 %) et 1776 (17,03 %).
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[20]
Voir Philippe Bernardi, Maxime L’Héritier (coordonné par), « Recyclage et remploi : la seconde vie des matériaux de construction », Ædificare, no 4, 2018.
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[21]
AN Z/1j/578, dossier 11, 10-23 janvier 1726. Sur ces différentes réparations, observées à partir de l’analyse d’un immeuble parisien tout au long du xviiie siècle, voir Camille Pascal, « Contribution à une histoire économique de la maison parisienne au xviiie siècle. Patrimoine, entretien, revenu », dans Michel Balard, Jean-Claude Hervé, Nicole Lemaître (sous la direction de), Paris et ses campagnes sous l’Ancien Régime : mélanges offerts à Jean Jacquart, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 165-173.
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[22]
AN Z/1j/578, dossier 48, 7-14 février 1726.
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[23]
AN Z/1j/579, dossier 38, 30 mars-11 avril 1726.
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[24]
AN Z/1j/581, dossier 22, 17 juin 1726.
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[25]
AN Z/1j/1000, dossier 71, 29 mars 1776.
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[26]
Toutes proportions gardées, nous pensons à l’admirable travail cartographique réalisé par Pierre Couperie, Paris au fil du temps. Atlas historique d’urbanisme et d’architecture, Editions Joël Cuénot, 1968, ou à celui d’Emile Ducoudray, Raymonde Monnier, Daniel Roche, Alexandra Laclau, Atlas de la Révolution française, vol. 11, Paris, Éditions de l’EHESS, 2000.
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[27]
Christian Topalov, Le logement en France : histoire d’une marchandise impossible, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1987.
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[28]
Lucien Karpik, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.
-
[29]
Sur une excellente vision typologique des constructions privées parisiennes, voir Jacques Frédet, Les Maisons de Paris. Types courants de l’architecture mineure parisienne de la fin de l’époque médiévale à nos jours avec l’anatomie de leur construction, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2003.
-
[30]
La large diffusion des pratiques liées au démembrement de la propriété est très bien montrée par Olivier Faron, Etienne Hubert (sous la direction de), Le sol et l’immeuble : les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d’Italie (xiie-xixe siècle), Rome, École française de Rome, 1995.
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[31]
Ces difficultés sont parfaitement exposées par Nicolas Lyon-Caen, « L’immobilier parisien au xviiie siècle. Un marché locatif », Histoire Urbaine, no 43, 2015, p. 55-70. Pour les cas de Venise, de Milan et de Marseille, voir Jean-François Chauvard, « La formation des prix des maisons dans la Venise du xviie siècle », Histoire et mesure, no 3-4, 1999, p. 331 – 368 ; Michela Barbot, « A ogni casa il suo prezzo. Le stime degli immobili della Fabbrica del Duomo di Milano fra Cinque e Settecento », Mélanges de l’École Française de Rome. Italie et Méditerranée, no 119/2, 2007, p. 249-260 ; Julien Puget, « Fra misura e opinione comune : la costruzione dei prezzi immobiliari a Marsiglia fra Sei e Settecento », in Michela Barbot, Marco Cattini, Matteo Di Tullio, Luca Mocarelli (a cura di), Stimare il valore dei beni. Una prospettiva europea (secoli XV-XX), Udine, Forum Editrice Universitaria, 2018, p. 167-190.
-
[32]
Le poids des enchères est très important dans le marché parisien, comme le montrent Katia Béguin et Nicolas Lyon-Caen, « ‘‘Dans la chaleur des enchères’’. Adjudications et prix des immeubles à Paris aux xviie et xviiie siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 65, 2018, p. 144-166.
-
[33]
En revanche, le coût de la main d’œuvre semble n’être jamais pris en charge par les experts. Cette même absence caractérise les estimations réalisées à Milan à la même époque : Michela Barbot, « The Justness of Aestimatio and the Justice of Transactions : defining Real Estate Values in 16th-18th Century Milan », in Bert De Munck et Dries Lyna (ed.), Concepts of Value in Material Culture, 1500-1900, Farham, Asghate, 2015, p. 133-149.
-
[34]
C’est le cas, précisément, d’une maison au Cul-de-sac Saint-Michel à Paris (AN Z/1j/1003, dossier 17, 1776).
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[35]
Cette absence correspond à un véritable coût qui rentre à part entière dans les calculs des experts : comme le rappelle un procès-verbal d’estimation sur une pièce de terre « au bout de la rue de Varenne et de ladit rue de Bourgogne », « lesdites rues ne sont point pavées, et il en coutera beaucoup à l’acquéreur lors qu’il les faudra paver » (AN Z/1j/578, dossier 21, 1726).
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[36]
AN Z/1j/1009, dossier 40, 1776.
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[37]
À titre d’exemple, on peut évoquer le cas d’une maison située « au 13 rue Basse du Rempart Saint-Honoré ». Chargé de son estimation, Pierre Taboureur déclare avoir prisé cette maison en considérant plusieurs éléments, dont « son état, consistance et distribution, la nature de sa construction, les réparations qui sont à y faire, sa figure, la manière dont sont employés lesdits bâtiments, et nous avons aussi fait attention à l’étendue de sa superficie et de la situation en chantier du jardin de ladite maison qui donne le moyen de l’augmenter même d’y construire et procurer un débouché et une vue sur une rue ouverte à l’avantage deladite maison et dépendances » (AN Z/1j/1000, dossier 18, 1776).
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[38]
Cette rationalité marchande, par ailleurs, n’épargne aucun genre de bien, y compris les maisons de famille ou les hôtels particuliers les plus prestigieux. Appelé en 1776 à estimer l’hôtel de la Rochefoucauld « en vue de sa vente prochaine », l’expert Jacques Antoine Payen déclare ainsi avoir fixé sa valeur en considérant « ce que l’hôtel peut produire de revenu annuel par rapport aux maisons de quartier » (AN Z/1j/1000, dossier 25, 1776).
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[39]
Édit de mai 1690, enregistré au parlement le 16 juin 1690 et à la cour des aides le 20 juin 1690.
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[40]
Voir le dernier travail sur le sujet : Anne Conchon, Hélène Noizet, Michel Ollion (sous la direction de), Les limites de Paris. xiie-xviiie siècles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017.
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[41]
Sur les distinctions entre les espaces parisiens : Jean-Pierre Poussou, « De la difficulté d’application des notions de faubourg et de banlieue à l’évolution de l’agglomération parisienne entre le milieu du xviiie et le milieu du xixe siècle », Histoire, économie et société, no3, 1996, p. 339-351 ; Bernard Rouleau, Le tracé des rues de Paris. Formation, typologie, fonctions, Paris, Éditions du CNRS, 1975, et idem, Villages et faubourgs de l’ancien Paris. Histoire d’une espace urbain, Paris, Seuil, 1985 ; Michel Balard, Jean-Claude Hervé, Nicole Lemaître (sous la direction de), Paris et ses campagnes, op. cit.
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[42]
Hélène Noizet, Caroline Bourlet, « La banlieue de Paris, du xiie au xviiie siècle : critères de définition, extensions et spatialités », dans Anne Conchon, Hélène Noizet et Michel Ollion, Les limites de Paris..., op. cit., p. 23-55.
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[43]
Nicolas Vidoni, « Les limites de Paris et la police, 1667-1789 », Ibidem, p. 113-129.
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[44]
Hélène Noizet, Caroline Bourlet, « La banlieue de Paris », op. cit., p. 51.
-
[45]
Ibidem, p. 54.
1Dans le cadre d’un projet de recherche collectif qui porte sur les « pratiques des savoirs entre jugement et innovation » [1], nous analysons un corpus d’archives conservées sous la cote Z1J des Archives nationales. Les procès-verbaux d’expertise parisienne des greffiers des bâtiments contiennent des informations riches et précieuses sur les constructions élevées et transformées dans la capitale au cours des xviie et xviiie siècles. Ces documents constituent des archives urbaines d’une part parcequ’ils sont réalisés par des institutions urbaines : experts et greffiers « pour la ville de Paris », juridictions parisiennes ou locales, comme le bailliage de la Chapelle Saint-Denis ou la prévôté du Roule ; d’autre part, parcequ’ils sont agrégés dans un fonds qui représente une photographie de la cité. Bien qu’abondamment utilisé par les historiens de l’art [2], et plus rarement par les historiens [3], cet immense corpus [4] n’a jamais fait l’objet d’une analyse approfondie sur sa nature même ni sur son contenu [5]. Or, celui-ci demeure assez riche pour saisir bien des aspects de l’histoire urbaine.
2Cette procédure, qui permet d’aider à la prise de décision en situation d’incertitude, est aujourd’hui accusée de compromettre l’équité démocratique car l’expertise abuserait de son autorité [6]. Historiquement, l’usage de l’expertise s’est particulièrement développé dans le secteur de l’industrie du bâtiment, au point que les références de l’expertise sont indéniablement celles concernant ce secteur [7]. Or – élément qui corrobore ce lien entre expertise et construction – Paris, ses faubourgs et ses banlieues disposent sous l’Ancien Régime d’une organisation spécifique de l’expertise des bâtiments dont la fameuse sous-série Z1J des Archives nationales conserve les traces.
3Le premier objectif de notre projet est d’analyser et de comprendre le fonctionnement des experts et de l’expertise des bâtiments sur un siècle inauguré par la profonde réforme qui, par la création d’offices partagés (Édit de 1690), ouvre aux architectes à part égale avec les entrepreneurs maçons et charpentiers, leurs concurrents directs, les portes d’une institution parisienne déjà ancienne. L’analyse porte sur les trois enjeux de l’expertise constructive : l’évaluation de l’usage des techniques, l’estimation de la valeur du patrimoine bâti et les fondements et finalités juridiques de l’expertise.
Liste des noms et demeures des soixante experts jurés du roi en 1699 à Paris, réparties en deux colonnes, la première d’architectes-experts-bourgeois et la seconde d’experts-entrepreneurs, créés par les édits de mai et décembre 1690 et la déclaration de décembre 1691, Affiche imprimée 64×49 cm,
Liste des noms et demeures des soixante experts jurés du roi en 1699 à Paris, réparties en deux colonnes, la première d’architectes-experts-bourgeois et la seconde d’experts-entrepreneurs, créés par les édits de mai et décembre 1690 et la déclaration de décembre 1691, Affiche imprimée 64×49 cm,
4Le second objectif est une étude prosopographique des environ 268 experts pour moitié architectes, pour moitié entrepreneurs. En recueillant des informations de nature souvent sérielle sur ces officiers (identité, familles, activités professionnelles, statut économique, réseaux sociaux, travaux intellectuels), nous comptons tant apporter un nouvel éclairage à la distinction professionnelle entre l’architecte et l’entrepreneur que mettre au jour les réseaux de ces deux catégories d’acteurs [8].
5Pourquoi qualifier d’urbaines ces archives ? Si elles ne s’affichent pas comme telles, elles participent bien de la gouvernance et du changement urbain. À y regarder de près, les rapports d’expertise analysent, la plupart du temps, des situations spécifiques d’un ou plusieurs bâtiments – voire d’éléments de bâtiment(s) – afin d’aider le(s) requérant(s) à prendre une décision, qu’il(s) soi (en) t des particuliers ou des institutions publiques, en général des magistrat(s). L’enjeu peut être amiable ou conflictuel. Malgré le caractère individuel de chaque dossier, dans chacune des configurations possibles (estimer la valeur de biens ; recevoir les travaux et évaluer la valeur des choses ; apprécier les réparations à effectuer ; départager les conflits de voisinage et de propriété et enregistrer une situation administrative), l’expertise contribue, à son échelle, à traduire les transformations de la cité, toujours en lien avec le marché immobilier de la capitale, avec la qualité des travaux réalisés, avec leur nature urgente ou ordinaire dans le but d’asseoir le patrimoine, dans un esprit de pacification des relations des habitants, quel que soit le statut juridique de ces derniers à l’égard du bien qu’ils occupent.
6Il faut également s’entendre sur ce que nous appelons la ville. Doit-on forcément opposer cette notion à celle de campagne ? La concentration de maisons serait-elle le critère de distinction de la cité ? La définition énigmatique d’Alberti considérant « la ville comme une grande maison et la maison comme une petite ville » [9] souligne l’aspect organisationnel et institutionnel de la cité. Sur le plan géographique, chaque parcelle de terre, construite ou pas, appartient à une entité juridique urbaine. L’usage de l’opposition urbain/rural s’applique dans le calcul de la valeur de la rente. En matière de logement, il peut sembler nécessaire de valoriser la non-promiscuité des centres villes, voire de distinguer l’habitat en maison, voire en hôtel particulier et en appartement. Ce ne sont cependant pas ces critères qui nous empêcheront de considérer les archives des expertises comme urbaines. Le rural n’est pas le non-urbain, surtout à une époque durant laquelle le centre-ville n’était pas forcément densément habité [10].
7Nous développerons ici trois questions autour de ce fonds spécifique des greffiers des bâtiments comme lieu de conservation des transformations de la ville en expansion. En premier lieu, comment et pourquoi les procès-verbaux d’expertise du bâtiment ont-ils été réunis en un seul corpus et protégé comme tel ? Ensuite, quels sont les enjeux urbains de l’usage de telles expertises ? Qu’est-ce que ces expertises renseignent de l’état d’esprit d’une ville ? Enfin, en quoi les expertises du bâtiment fournissent-elles des indications topographiques précises sur la ville, lesquelles et à quelle échelle ? Les lieux visités cartographient-ils toutes les transformations de la ville ?
Les archives des expertises à repérer correctement
8Le fonds des expertises du bâtiment, intitulé « Greffiers des Bâtiments (ou de l’Écritoire) » du nom des officiers en charge de transcrire et conserver les procès-verbaux des experts, a été à la Révolution abusivement réuni à celui des papiers de la Chambre des Bâtiments [11], alors que les deux institutions – juridiction et expertise – constituent respectivement un organe judiciaire et une modalité de procédure judiciaire ou extra-judiciaire. En réalité, l’expertise est une mesure d’instruction ou d’aide à la décision qui n’est pas demandée uniquement par des magistrats, ni même uniquement par les juges de la Chambre des Bâtiments, mais par n’importe quelle juridiction exerçant sur le territoire de la prévôté et vicomté de Paris. Les expertises peuvent être requises par un juge dans un cadre contentieux. Elles peuvent également être sollicitées à l’amiable : l’Ancien Régime qualifie de « volontaires » ces très courantes saisines que nous dénommons aujourd’hui expertises « gracieuses » [12]. Alors qu’il s’agit bien de deux modalités différentes, la confusion entre Chambre et Greffiers reste fréquente chez les chercheurs : il est facile de parler des « expertises de la Chambre des Bâtiments » ou bien, alors que l’on s’intéresse aux expertises, de les situer dans les archives de la Chambre des Bâtiments et d’omettre le rôle des greffiers qui donnent pourtant le nom au fonds des expertises.
9La confusion est doublement entretenue par le fait que les expertises conservées par ces greffiers spécialisés devraient être localisées dans leurs études parisiennes respectives, et recouvrent la dictée des avis d’experts qui constituent un corps d’auxiliaires juridiques et techniques à part entière. Ces derniers ne sont en outre pas représentés par leur domiciliation dans les procès-verbaux, mais par celles du/des lieux soumis à leurs expertises. La qualité des experts du bâtiment, architectes ou entrepreneurs pourtant missionnés pour examiner les questions techniques, juridiques voire économiques et pour donner leur avis de spécialistes, n’occupent aucune place dans la dénomination des archives. Cela contribue, sans nul doute, à la confusion entre la justice et l’expertise.
10Un dernier facteur de confusion entre ces deux fonctions réside dans le fait que la Chambre des Bâtiments a exercé des fonctions de police durant toute la période moderne [13]. Cette activité s’exerçait en deux temps qui consitaient, pour le premier, à organiser régulièrement des visites de chantiers et, pour le second, en la suite judiciaire de l’affaire lors d’audiences de police sous la surveillance des experts. Deux jurés et quatre maîtres-maçons sont commis chaque mois par le maître général en exercice pour vaquer aux visites de police. Le nombre – jusqu’à huit – et la qualité des commis aux visites (architectes/entrepreneurs) ont varié dans le temps. Les lieux des visites sont déterminés selon trois critères complémentaires : la vue des traces de chantiers (échafaudages, stockage de matériaux, regroupement d’ouvriers en activité, délabrement de façades, etc.) ; les rumeurs de travaux ou d’accidents de chantier portés à connaissance du magistrat ou plus fréquemment du syndic ou adjoint de la communauté ; la délation, autorisée au travers de messages laissés dans une boîte aux lettres près de la salle d’audience, surtout en ce qui concerne les malfaçons ou les travaux non autorisés, comme l’acte de maître pour un compagnon ou le marché clé en mains. Ainsi, une cinquantaine de chantiers est, en présence d’un huissier, auscultée chaque mois d’abord dans le seul Paris intra-muros, puis également dans ses faubourgs et banlieues où sont visitées les carrières de pierre, de gypse, les fours à plâtre et à chaux, etc.
11Si l’on devait dépouiller toutes les visites de l’Ancien Régime [14], nous obtiendrions non seulement une cartographie fidèle de l’évolution géographique de la ville, mais également une cartographie du travail dans le domaine du bâtiment, de l’état de salubrité et de solidité de la capitale en négatif et plutôt en positif de l’état d’insalubrité des logements de la ville, des risques de départs de feu et de fragilité des maçonneries des bâtiments, de la localisation des malfaçons (fondations, murs, baies support, couvrement, charpente, cheminée, escalier, fosse d’aisance...) et des causes de celles-ci (usage de matériaux de mauvaise qualité, réalisation de mauvaises liaisons entre éléments constructifs ou non-respect des règles de l’art dans la fabrication d’éléments architecturaux). Ces procès-verbaux de visite de police dirigés, entre autres, par des experts constituent des archives urbaines cohérentes dont on peut comprendre la confusion faite par les historiens avec les archives des greffiers des bâtiments, autrement dit avec les procès-verbaux d’expertises.
12Les visites de police expriment une volonté de sécuriser l’espace public par une inspection des chantiers privés. Afin de renforcer cette source comme représentative des actions se déroulant dans la cité, il convient de préciser que ces visites sont gratuites. Les experts acceptent de perdre une partie de leur temps et donc de leurs salaires – bénéfices s’ils exercent comme entrepreneurs – pour se consacrer à l’intérêt général. Ils sont de plus considérés par la Chambre des Bâtiments comme responsables de la réalisation de leurs missions et de leur défaillance le cas échéant. Il serait même légitime de compléter ces affaires dans les audiences de police qui sont tenues par les représentants de la communauté des maçons, le syndic et adjoint jouant le rôle permanent de procureur du roi devant la juridiction (du moins jusqu’en 1769, date à laquelle un homme de loi est nommé à cette charge nouvellement créée) [15]. La finalité des poursuites permet davantage de réparer les défectuosités révélées que de punir les contrevenants. Ces archives de police (procès-verbaux de visite complétée par les sentences de police correspondantes) sont des archives urbaines à l’initiative d’une juridiction, mais n’ont pas la légitimité des expertises qui, de plus en plus au cours du xviiie siècle, sont volontaires et proviennent d’en bas, des particuliers qui peuvent avoir besoin d’une aide pour répondre à des interrogations sur leurs biens, quelle que soit leur qualité de détenteur de droit réel sur un bien immobilier.
13En dehors de ces confusions possibles avec la Chambre des Bâtiments et avec ses procès-verbaux de visite de police, le fonds des expertises conservées par les greffiers des bâtiments constitue bien un ensemble d’archives urbaines car il est le résultat d’un travail commun de deux corps d’officiers parisiens, celui des experts et celui des greffiers, et que les expertises, se déroulant sur une séquence de temps de plus en plus longue au fur et à mesure que le siècle avance, nécessitent une repérabilité pratique des vacations successives qui se complètent sur le même procès-verbal. Enfin, les requérants d’une expertise, même s’ils sont susceptibles de demander au greffier une expédition de la minute du procès-verbal comme pour les actes notariés à tout moment de leur existence, peuvent avoir besoin d’une authentification du travail des experts. C’est la raison d’être de cette institution conservatrice des greffiers. Quelle information d’histoire urbaine peuvent délivrer ces expertises désormais correctement repérées et désignées ?
Cartes des visites de police de la Chambre des Bâtiments à Paris, ses faubourgs et sa banlieue en 1678, 1753 et 1783, réalisées d’après les dépouillements des procès-verbaux conservées dans les archives de la Chambre royale des Bâtiments (Arch. nat. Z1J 191 à 255 et Bibliothèque nationale de France, Joly de Fleury 1422-1423). Sont représentées les voies visitées et l’épaisseur des tracés indique la fréquence du passage de la police.
Cartes des visites de police de la Chambre des Bâtiments à Paris, ses faubourgs et sa banlieue en 1678, 1753 et 1783, réalisées d’après les dépouillements des procès-verbaux conservées dans les archives de la Chambre royale des Bâtiments (Arch. nat. Z1J 191 à 255 et Bibliothèque nationale de France, Joly de Fleury 1422-1423). Sont représentées les voies visitées et l’épaisseur des tracés indique la fréquence du passage de la police.
Les enjeux urbains des expertises du bâtiment : entretenir et estimer
14L’expertise constitue par définition une aide à la décision d’un problème qui se pose à un juge en charge d’un litige mais aussi à tout citoyen en réflexion. Elle permet, entre autres, de répondre à deux types de finalités urbaines : l’entretien et la valeur de la ville.
15Les conflits urbains de voisinage sont d’autant plus nombreux qu’ils interfèrent souvent dans la bonne gestion de la cité. Si un bâtiment tombe en ruine et impacte le voisinage [16], comment y remédier ? Les servitudes actives – dont on profite – et passives – dont on supporte les conséquences – sont des sources variées de conflits qui mettent en cause le mauvais état d’un mur mitoyen, d’une cheminée, de gouttières, d’une fosse d’aisances ou d’un puits commun. L’ouverture d’une nouvelle vue sur une façade, l’encombrement d’un passage, la pose d’un échafaudage sur une parcelle voisine pour effectuer des réparations sur sa propre propriété constituent des moments contentieux. Les affaires de mitoyenneté sont nombreuses chaque année, entre 15 et 26 % des expertises [17]. Par ce biais, une carte des lieux de contraintes entre propriétés montrerait en quoi les limites des unités parcellaires font l’objet de disputes, voire de simples interrogations et d’interventions constructives.
Entretenir la ville
16La question de l’entretien de la ville est déterminante. Nous avons déjà remarqué ailleurs que la littérature juridique dédiée aux constructeurs sous l’Ancien Régime consacre à ce domaine de nombreux commentaires des coutumes [18]. Le droit, en effet, règle depuis le droit romain la répartition des charges d’entretien des biens immobiliers, tout en précisant de quel entretien il s’agit. Qu’en est-il en pratique ? S’il peut sembler facile de s’intéresser aux constructions neuves, il est plus difficile de percevoir ce qui est réparé, corrigé, mis aux normes, augmenté et transformé. Ces opérations n’ont pas la même envergure et mobilisent moins de monde que l’élévation d’une nouvelle bâtisse. Elles sont néanmoins repérables dans les expertises où elles se distinguent d’autres réparations importantes ou réduites, comme celles à faire ou déjà faites, comme celles urgentes et nécessaires ou encore conservatoires et préventives. Les procès-verbaux concernant les réparations constituent un type d’expertise remarquable tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Ils représentent un pourcentage non négligeable du corpus, entre 17 % et plus de 26 % de l’ensemble [19]. Si l’on tient compte également des expertises mentionnant une opération de réparations accessoire, le pourcentage atteint environ le tiers du corpus. De plus, l’action de réparer constitue – avec l’actualité d’une économie circulaire que nos sociétés contemporaines tentent de mettre en place et contrairement aux idées reçues et au traitement de la question par les historiens de l’art qui ont souvent négligé cet aspect – une activité complète de l’art de bâtir déjà sous l’Ancien Régime. Les réparations sont projetées, réalisées puis récolées, réceptionnées et contrôlées dans les règles de l’art. On répare autant que l’on construit ex nihilo. Les expertises permettent de déceler la pratique du recyclage de matériaux comme les dégradations des bâtiments dont l’expertise a pour mission de déterminer les causes [20]. Pour les logements en mauvais état, il est indiqué les améliorations nécessaires pour les rendre décents et les louer honorablement.
17Prenons quelques exemples. En ce qui concerne les réparations faites dans des maisons reçues en héritage, l’expert est chargé d’estimer celles qui ont été menées depuis le décès du propriétaire, en distinguant celles qui sont d’entretien de celles « qui regardent le fond » [21]. Dans une autre affaire, sont par expertise, recherchés les responsables de l’entretien d’un mur mitoyen qui semble mal construit « estant avec moilons à plastre en plus grande partie, desquels moilons de carrières deslittez et de mauvaise qualité, et au surplus avec mauvaises bloquailles en déliaisons mal maçonnées, ne l’estant qu’avec terres meslée de [chaux ?] et de sable, et séparé dans son corps » [22]. Une autre fois, l’expertise doit préciser la répartition des charges d’entretien entre un propriétaire et un locataire [23]. La notion d’entretien – toute relative qu’elle soit – doit être mise en balance avec ce que le bien rapporte en loyers [24]. Le mauvais entretien de berges de l’Orge et du déversoir en amont peut être responsable des « déprédations » survenues au moulin de Juvisy [25]. Les frais courant d’entretien sont systématiquement incorporés dans l’estimation des biens immobiliers.
18Par ce biais, une carte des travaux d’entretien, incluant les nouvelles constructions au fil du temps faisant l’objet d’une expertise de réception, pourrait être dressée. Étant donnée la malléabilité de la notion de réparation, qui peut aller du simple aménagement de secours indispensable pour éviter la ruine du bâti à la reconstruction entière d’un bâtiment ou de certains de ses éléments, de manière à le conserver comme manifestation patrimoniale, celle-ci montrerait l’évolution du bâti dans toutes ses nuances [26].
Estimer l’immobilier
19Les expertises tant gracieuses que contentieuses permettent également d’établir les valeurs des parcelles de la ville et surtout de formuler les critères intrinsèques comme extrinsèques du prix des biens immobiliers. Elles sont un moyen assez complet de retracer les logiques des échanges immobiliers de la capitale sur le temps long, et cela dans une perspective comparative avec ses faubourgs et la campagne plus ou moins proche.
20À partir d’exemples tirés des années 1726 et 1776, nous allons présenter ici les potentialités et les contraintes méthodologiques que ces sources posent à une histoire de la valeur des immeubles urbains. On rappellera tout d’abord brièvement les questionnements principaux que le thème de la valeur adresse aux historiens de la ville, et on montrera ensuite comment l’analyse des sources dépouillées dans le cadre de notre projet permet d’avancer à ce sujet.
21Un premier questionnement concerne la nature même des immeubles en tant que marchandises. Dans un ouvrage bien connu, Christian Topalov avait qualifié le logement de « marchandise impossible » [27], et cela, entre autres, parce qu’il inclut un ensemble de critères extra-économiques, à la fois sociaux, anthropologiques et politiques : d’une part, le logement est à la fois l’un des lieux dans lesquels les distinctions sociales sont les plus évidentes et l’intimité domestique, la plus directement exprimée ; d’autre part, son statut de bien de première nécessité en fait l’objet d’une vigilance accrue de la part des autorités publiques. En outre, et du fait de sa dimension purement matérielle, tout immeuble constitue (pour reprendre cette fois une expression forgée par Lucien Karpik [28]) une « singularité », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un objet unique, non standardisé, non remplaçable par de parfaits substituts. Les procès-verbaux parisiens confirment la grande hétérogénéité des immeubles [29] : sans prétendre à l’exhaustivité, ils ont pour objet des maisons ordinaires, des maisons « bourgeoises », des appartements, des immeubles locatifs, des hôtels particuliers, des « terres labourables », des terrains abandonnés, des jardins, des potagers, des échoppes, des étables, des ateliers, des manufactures. Il est fréquent que l’objet de l’estimation ne soit pas le bien immobilier dans sa matérialité, mais plutôt la rente immatérielle assise sur ce bien. Les démembrements de la propriété étant fréquents au xviiie siècle [30], plusieurs procès-verbaux portent sur l’évaluation de redevances emphytéotiques, l’objectif étant de réactualiser ou de modifier des baux signés plusieurs décennies auparavant. Tous ces éléments impliquent que l’achat et la location d’un immeuble ou d’une parcelle échappent largement au modèle de marché parfaitement concurrentiel et, qui plus est, qu’ils se prêtent très difficilement à un traitement de type quantitatif ou sériel [31].
22D’autre part, le marché (la vente ordinaire) n’est que l’un parmi de nombreux dispositifs de transfert de la propriété. Les immeubles, en effet, peuvent changer de main dans des cadres juridiques variés, tels que les successions, les mariages, les donations, les enchères ou les ventes judiciaires [32]. Les données issues des expertises parisiennes confirment ainsi l’importance de ces transferts « non marchands » : en 1726 et en 1776, la grande majorité des estimations immobilières est réalisée dans l’objectif d’évaluer les possibilités de partage entre cohéritiers.
23Comme le montre l’exemple des estimations faites au début des années 1726 et 1776 par Jean-Baptiste Loir et Pierre Taboureur, les chiffres fixés par les experts, au vu de la difficulté de les comparer entre eux, renseignent très peu sur les mouvements globaux de la rente urbaine.
Estimations immobilières réalisées par les experts Jean-Baptiste Loir et Pierre Taboureur (janvier-février 1726 et 1776).
Lieu | Année | Objet de l’estimation | Valeur estimée (en Livres) |
Paris | 1726 | Terre vague | 8 000 |
Paris | 1726 | Maison et jardin | 16 000 |
Reully | 1726 | Château | 38 400 |
Paris | 1726 | Maison | 12 000 |
Varennes | 1726 | Maison et terres | 3 500 |
Paris | 1726 | Masures, jardins et marais | 4 000 |
Paris | 1726 | 3 Maisons | 37 500 |
Paris | 1726 | Maison, pièce de terre et moulin | 6 500 |
Paris | 1726 | Maison | 4 000 |
Paris | 1726 | Maison locative | 4 350 |
Paris | 1776 | Grande maison | 5 700 |
Paris | 1776 | Commodités à l’anglaise dans un cabinet | 259 |
Paris | 1776 | Terrain abandonné | 600 |
Paris | 1776 | 7 Maisons | 252 970 |
Paris | 1776 | Maison | 13 000 |
Paris | 1776 | Maison | 7 000 |
Paris | 1776 | Maison | 55 000 |
Passy | 1776 | Maison, cour, jardin et dépendances | 14 000 |
Paris | 1776 | Maison | 55 000 |
Paris | 1776 | Maison locative | 22 000 |
Sarcelles | 1776 | Plusieurs immeubles | 56 300 |
24En revanche, la lecture intégrale des procès-verbaux d’estimation dégage une piste de recherche très fructueuse sur l’évolution des critères mobilisés en amont pour donner une valeur aux immeubles et aux parcelles de la ville. Qu’il s’agisse d’estimer un bien ou une rente locative, l’un des principaux critères d’évaluation utilisés est celui de la valeur intrinsèque, qui correspond au coût de production de l’immeuble, obtenu à partir du coût des matières premières, de celui du terrain et de celui des réparations futures (ce dernier élément, par ailleurs, est susceptible de donner des indices importants sur l’état de conservation du bâti parisien) [33].
25Une voie complémentaire consiste à considérer les éléments de confort dont l’immeuble bénéficie. Parmi les éléments les plus appréciés, on retrouve les cuisines, les cheminées, les puits, les fenêtres vitrées, l’existence de jardins ou d’espaces privatifs. Afin de justifier des estimations modestes, certains experts évoquent, en revanche, la mauvaise exposition des immeubles, leur « scituation dans un cul de sac » [34], l’absence de rues pavées pour y accéder [35], la distance trop grande par rapport au centre ville, ou encore – comme le fait l’architecte Jacques Antoine Payen en 1776 à propos d’une maison parisienne – le danger qui découle du fait
« que les susdits edifices sont isolés et écartés d’autres habitations, qu’il est [...] de pourvoir à la seureté publique et de prevenir les evenemens qui pourroient arriver par le fait des malfaiteurs qui le detérioreraient [...] par la facilité qu’il y a de s’y introduire et de s’i cacher rien ne s’opposant » [36].
27A contrario, la proximité des boulevards et d’autres voies de transport est toujours considérée comme un facteur positif d’appréciation. Il en va de même pour les espaces non bâtis : dans une ville densément habitée comme Paris, la possibilité d’agrandir la surface habitable grâce à la présence d’espaces non édifiés constitue un atout important [37].
28Il demeure essentiel d’observer que, tout au long du xviiie siècle, on assiste à la montée en puissance de critères d’évaluation qui s’appuient sur des considérations plus strictement marchandes. Entre 1726 et 1776, en effet, les « estimation préalables à la vente » se font de plus en plus nombreuses : même dans le cadre des successions, l’objectif n’est plus seulement d’estimer un patrimoine en vue de son partage, mais aussi, et surtout, de dessiner une stratégie économique afin d’exploiter ce patrimoine de façon rentable. Certains experts n’hésitent alors pas à parier sur la montée de certains quartiers, à appuyer leurs évaluations sur les prix les plus pratiqués, à se livrer à des calculs coûts-bénéfices sur l’opportunité de vendre un bien, ou à réaliser des estimations uniquement fondées sur la rente locative actuelle ou potentielle des immeubles [38]. Cette montée en puissance de logiques spéculatives semble, en revanche, ne pas affecter les immeubles situés en province, dont l’évaluation continue d’être faite sur la base de critères plus « intrinsèques », liés à leur structure. Cela crée un important clivage entre la ville et ses alentours que l’élargissement de notre base de données permettra de mieux préciser dans ses contours ainsi que dans sa temporalité.
29Au-delà des informations fondamentales sur l’entretien du patrimoine immobilier de la capitale et sur sa valeur, ces procès-verbaux d’expertises délivrent également des informations sur les territoires de la ville.
Comment les expertises permettent de délimiter les territoires de la cité, entre ses faubourgs, sa banlieue et la province ?
30Nous nous heurtons ici à la notion de temporalité. Ces archives d’expertise permettent non pas l’examen d’un lieu, de plusieurs lieux, ni de la ville dans son intégralité à un moment donné, mais plutôt celui de l’évolution des lieux. De quel type de transformation, une rue, un îlot, un quartier fait l’objet dans le temps ? Et de quelle spatialité parle-t-on ? De la ville intra-muros avec ou sans ses faubourgs, de sa banlieue, voire de sa province ? À quelle échelle pouvons-nous examiner la cité ?
31Pour quels lieux les expertises sont-elles sollicitées ? Les « lieux contentieux », comme ils sont souvent dénommés dans les procès-verbaux, sont répartis sur le territoire national en fonction de la compétence ratione loci des experts parisiens. Dans les édits de création du corps des experts, nous apprenons que les pourvus des offices pourront :
« être nommés experts ; savoir ceux de la ville de Paris, tant dans la prévôté et vicomté, que dans toutes les autres villes et lieux du royaume ; ceux des villes où il y a parlement, tant dans ladite ville que dans l’étendue du ressort du parlement ; et ceux des autres villes chacun dans les lieux de leur établissement, et dans le ressort du présidial ou autre juridiction ordinaire de ladite ville » [39].
33Les experts parisiens peuvent donc agir en absolu sur une étendue très large du territoire. Bien entendu, leurs sollicitations viennent essentiellement de la capitale, ses faubourgs et sa banlieue, mais ils ne sont pas à l’abri de requêtes en provenance de villes lointaines dans le cadre du ressort étendu de la juridiction du Parlement de Paris (près d’un tiers de la surface du pays). La plupart de ces invitations se justifient par l’implantation parisienne – ou à la cour royale – de l’aristocratie possédant des fiefs, terres, propriétés et châteaux en province. Étant de surcroît souvent commanditaires d’ouvrages à des fins personnelles ou dans le cadre de la gestion de leur patrimoine, ils connaissent les gens de la bâtisse, entrepreneurs ou architectes de la capitale.
Répartition des localisations des expertises en nombre et en pourcentage entre Paris et ses faubourgs, la banlieue et la province en 1696, 1726, 1756 et 1776.
Paris dans les remparts et faubourg | Banlieue | Province ou Campagne | Total | ||||
nb | % | nb | % | nb | % | ||
1696 | 344 | 70,49 | 77 | 15,78 | 67 | 13,73 | 488 |
1726 | 352 | 71,98 | 75 | 15,34 | 62 | 12,68 | 489 |
1756 | 303 | 59,53 | 98 | 19,25 | 108 | 21,22 | 509 |
1776 | 507 | 63,53 | 157 | 19,67 | 134 | 16,79 | 798 |
Moyenne | 376,5 | 66,38 | 101,75 | 17,61 | 92,75 | 16,25 |
Répartition des localisations des expertises en nombre et en pourcentage entre Paris et ses faubourgs, la banlieue et la province en 1696, 1726, 1756 et 1776.
34Pour apprendre exactement le temps passé par les experts sur les lieux des visites, il conviendrait de comptabiliser le nombre de vacations (ou temps passé exprimé parfois en heures) en fonction de leur localisation sur le territoire. Nous disposons dans ces archives de renseignements assez homogènes. Si l’on omet les erreurs des greffiers ou de l’équipe de visite, les accommodements passés entre les parties, le plus souvent un paragraphe spécifique, récapitulatif des frais de l’expertise, mentionne le détail des coûts attribués aux experts, au greffier, au(x) procureur(s) et aux autres participants conviés comme des ouvriers, manœuvres ou aides, mais aussi celui du rapport matériel (papier, réalisation de plans, production de pièces de procédure). Il est parfois rajouté le prix de la surveillance des travaux requis par l’expertise (frais de conduite de chantier). Ainsi nous pourrions opérer un comptage précis du temps passé à Paris, en banlieue et en province, puisque les expertises se déroulent en un nombre de vacations variables allant de l’unique demi-journée à l’étalement sur plusieurs mois, voire années.
35Malgré ces éléments, il reste difficile de déterminer précisément le temps de l’expertise passé sur chaque lieu. Les procès-verbaux offrent parfois une note de synthèse plus ou moins complète que l’on peut affiner à la lecture du dossier de l’expertise (rapports et pièces annexes). Sur le grand nombre d’expertises que nous étudions, ce calcul devrait s’opérer automatiquement, ce que nous ne manquerons pas de réaliser au moment où notre enquête sera achevée. Pour le moment, dans le tableau 2, nous avons comptabilisé, pour les quatre années dépouillées (1696, 1726, 1756 et 1776), les lieux uniquement en distinguant Paris, sa banlieue et la province, sans tenir compte de la durée de celles-ci. Les expertises mixtes ont été réparties de la même manière. Par exemple, une expertise qui s’est déroulée à la fois à Paris, en banlieue et en province a été comptée pour trois, sans tenir compte là encore de la durée des trois opérations.
36S’il est, à partir de ces archives, aisé de déterminer les lieux qui appartiennent à la province (ou campagne) car il est indiqué alors la distance du lieu expertisé à la capitale en unités de longueurs (lieux) même approximatives, la limite de Paris et de sa banlieue, malgré les travaux récents [40], demeure encore une énigme que notre travail pourrait contribuer à éclaircir. La question est d’autant plus complexe que cette limite évolue dans le temps.
37La répartition entre les catégories Paris et ses faubourgs, la banlieue et la province est déterminante dans la mesure où il est pratiqué un tarif différent selon les lieux où se déroulent les vacations [41], ce qui correspond au temps que l’équipe composée des experts, du greffier et des parties, et de leur représentant le cas échéant, met pour rejoindre le lieu de l’expertise. De manière globale, nous pouvons constater que les 2/3 des expertises se déroulent à Paris intra-muros et que le tiers des expertises restantes se partage à peu près équitablement entre la banlieue et la province.
38Il est d’autant plus facile de déterminer exactement où se situent le ou les biens visités, sans passer par la topographie, que le coût des vacations est fixé par un texte officiel dès l’origine en fonction de la distance de la situation du lieu par rapport à la cité intra-muros. Dans l’édit originel de mai 1690, il est prévu deux tarifs de salaires et vacations pour les experts : le premier est fixé « pour notre ville et faubourgs de Paris à 6 livres pour chacune vacation, et à 7 livres 10 sols pour chaque vacation lorsqu’ils seront obligés de se transporter dans la banlieue ». Au-delà de la banlieue, le travail et le déplacement des experts sont calculés à la journée et non à la vacation (qui correspond seulement à une demi-journée). Le coût d’une journée « à la campagne » est fixé à 24 livres par une sentence du Châtelet du 29 janvier 1729. Le vocable « campagne » ne désigne pas l’opposition entre urbain et rural, mais bien la distinction entre Paris et la province. Toutes les seigneuries composées de bois, terres ou constructions sont rattachées à un village, à défaut de l’être à une petite ville. Auparavant, le coût de la journée fluctuait en pratique entre 20 et 31 livres (résultat obtenu sur l’année 1726). Nous avons constaté qu’en dehors du premier tarif qui est resté fiable jusqu’à la fin du xviiie siècle pour indiquer que la visite se situe bien dans le cœur de la cité, les deux autres tarifs ont varié dans le temps, ce qui peut se comprendre dans la mesure où le coût du déplacement a pu évoluer. De plus, s’il semble facile de distinguer la banlieue et la province lorsque les distances sont significatives, que dire des emplacements qui se trouvent sur la ligne délimitant la ville de sa banlieue, comme des lieux se situant sur la limite entre la banlieue et la « campagne ». Ces lignes n’ont-elles jamais existé ? Et, si oui, on imagine qu’elles ont fluctué. Dans quelles proportions et sur quels critères ?
39L’excellente contribution d’Hélène Noizet et de Caroline Bourlet lève le voile sur ce qu’il faut entendre par banlieue entre les xiie et xviiie siècles [42]. Ce n’est ni ce que l’on entend par le vocable de nos jours, ni un espace territorial défini par une équation mathématique figée. Même le Moyen Âge voit le sens de la banlieue évoluer du juridique au spatial. Et encore, l’espace est ainsi constitué d’une multitude de points topographiques à une surface qui ne sera pas considérée comme homogène. Parmi les nombreuses circonscriptions en usage au cours des xive et xve siècles, et à partir des différentes versions éditées du Grand Coutumier de France, la banlieue apparaît comme un espace défini par un centre, Paris, et une « circuité » d’environ une lieue. Étymologiquement, c’est le domaine d’activité des sergents à verge, ou sergents à pieds, qui peuvent parcourir cet espace en une journée aller-retour pour procéder aux ajournements des parties en justice, aux saisies et aux arrestations. Plusieurs sources donnent des listes de villages appartenant à la banlieue. Certaines se recoupent, d’autres non, mais se complètent souvent. Au début du xviiie siècle, il faut avouer que c’est l’incertitude la plus totale qui règne pour savoir ce que recouvre la banlieue de Paris. Lorsque le procureur général du Parlement demande à Le Clerc du Brillet, continuateur du Traité de la police de Nicolas de La Mare (t. IV sur la voirie) les limites de la banlieue parisienne, il lui est impossible de répondre précisément car celle-ci est l’expression de l’affirmation d’une multitude de pouvoirs en concurrence plutôt qu’un espace délimité au statut unifié [43]. Entre le xive siècle et les cartes modernes des xviie et xviiie siècles, on observe une très bonne correspondance entre les espaces représentant la banlieue parisienne, à trois localités près (Montreuil, Pont de Charenton et Bourg-la-Reine). Ce n’est que dans la seconde moitié du xviiie siècle que la banlieue apparaît « comme un bloc d’espace continu, existant par lui-même, indépendamment de son espace environnant » [44], une portion du territoire « isotrope et homogène » [45]. Sa forme adopte davantage le cercle autour de la ville de Paris, en perdant une partie du sud-ouest (Clamard, Fontenay-aux-roses, L’Haye, Chevilly) et Saint-Denis au nord, mais en s’étendant vers l’est jusqu’au mur du parc de Vincennes et en incluant plusieurs villages nouveaux (Vitry, Charenton, Saint-Mandé, Vincennes, Montreuil, Romainville).
40La consultation et l’analyse des procès-verbaux d’expertise et de leur coût sur un temps long nous aideront à confirmer cette évolution et surtout à préciser par touches impressionnistes que Saint-Denis se détachera de la banlieue au cours du xviiie siècle, que Fontenay-aux-Roses n’appartient pas à la banlieue dès 1726, que les villages de Passy, de Vaugirard ou de Bagnolet sont, au cours de la même année et sans pouvoir en déterminer la raison, tantôt inclus tantôt exclus, que celui de Montrouge passe de la campagne à la banlieue... Nous pourrons également expliquer à partir de quel endroit précis un bâtiment sur une longue rue traversant Paris appartiendra à la cité intra-muros ou bien plutôt à la banlieue, voire à la campagne.
41Les procès-verbaux de l’expertise constructive parisienne à l’Époque moderne, bien distingués des archives judiciaires et policières de la Chambre des bâtiments, disent la ville par ses descriptions fines du bâti, par ses propositions de réparations, par ses estimations mesurées du patrimoine construit de la cité.
42Une des finalités des procès-verbaux d’expertise vise à calibrer l’entretien permanent de la ville par des réparations pratiquées en vue de protéger le bâti de sa décrépitude naturelle, d’éviter son péril imminent, de mettre à profit la valeur du bien immobilier en l’habitant ou en le louant correctement, et enfin de développer une conscience patrimoniale, au-delà d’un simple profit à court terme. Près d’un tiers des procès-verbaux abordent de face ou de biais la question des réparations. C’est dire son importance pour l’évolution physique de la ville.
43Dans le cadre des estimations de valeur, les procès-verbaux renseignent précisément la mutation des patrimoines immobiliers, les logiques multiples de formation et d’évolution de la rente urbaine, ainsi que les transformations des modes d’habiter à Paris.
44Enfin, sur le plan géographique, les expertises sont taxées selon un tarif différent que l’action se déroule à Paris intra-muros (avec ses faubourgs), dans sa banlieue ou en province. L’analyse des lieux visités et leur localisation précise devraient permettre d’écrire l’histoire des limites matérielles séparant, d’une part, la capitale de sa banlieue et, d’autre part, sa banlieue de la province. Les expertises sont donc une source essentielle pour appréhender les transformations de la ville.
Notes
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[1]
Soutenu par l’ANR (2018-2022) et intitulé « Pratiques des savoirs entre jugement et innovation. Experts, expertises du bâtiment, Paris 1690-1790 », ce projet de recherche associe les partenaires suivants : Robert Carvais (porteur du projet, historien du droit, CNRS, CTAD, Paris Nanterre Université, UMR 7470), Michela Barbot (historienne de l’économie, CNRS, IDHES, ENS Paris-Saclay, UMR 8533), Emmanuel Château-Dutier (historien de l’art et spécialiste en humanités numériques, Faculté des arts et sciences – Université de Montréal), Valérie Nègre (historienne des techniques, Université Panthéon-Sorbonne) et les collaborateurs Juliette Hernu-Bélaud, Léonore Losserand et Josselin Morvan. Ce projet a fait l’objet d’une étude de préfiguration financée par la Mission de recherche « Droit et Justice » du Ministère éponyme (2016-2018).
-
[2]
Outre les publications de la collection « Paris et son patrimoine » éditées par l’Action artistique de la ville de Paris et les nombreux articles sur les îlots et hôtels parisiens parus dans les revues d’histoire de l’art, voir Françoise Boudon, André Chastel, Hélène Couzy et Françoise Hamon, Système de l’architecture urbaine. Le quartier des Halles à Paris, Paris, Éditions du CNRS, 1977 ; Jean-François Cabestan, La conquête du plain-pied. L’immeuble à Paris au xviiie siècle, Paris, Picard, 2004 ; Linnéa Rollenhagen Tilly, Maisons ordinaires à Paris, 1650-1790, thèse Histoire de l’art, Université Paris-Sorbonne, 2006.
-
[3]
À l’exception de Youri Carbonnier, Maisons parisiennes des Lumières, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2006.
-
[4]
1 060 articles couvrent la période allant de 1610 à 1798, avec d’importantes lacunes jusqu’en 1638 et peu d’expertises après 1790. Ils conservent par conséquent près de 900 000 expertises sur environ un siècle et demi.
-
[5]
À l’exception de Nicolas Lemas, Le Marché Oblique. Essai sur les experts-jurés parisiens au xviiie siècle (1690-1791), mémoire de DEA d’Histoire de l’art, sous la direction de Dominique Poulot, Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, 2002, 2 vol. 271 p. et un vol. d’annexe non paginé ; idem, « Les Hommes de plâtre. Contribution à l’étude du corps des experts-jurés parisiens sur le fait des bâtiments au xviiie siècle », Mémoire de la Fédération historique Paris et Île-de-France, 54, 2003, p. 93-148.
-
[6]
Robert Carvais, « Surveyors and Building Appraisals. Conceptualizing a Comparative Project (13th-20th century) », in Ine Wouters, Stephanie van de Voorde, Inge Bertels, Bernard Espion, Krista de Jonge, Denis Zastavni (ed.), Building Knowledge, Constructing Histories, London, CRC Press/Taylor & Francis, 2018, 2 vol., t. 1, p. 67-76.
-
[7]
Voir les explications du vocable « expert » ou « expertise » dans les ouvrages juridiques, par exemple Jean-Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, Chez la Veuve Desaint, 1771, ou Joseph-Nicolas Guyot (sous la direction de), Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Chez Visse, 1785 ou encore Oscar Dejean, Traité théorique et pratique des expertises en matières civiles, administratives et commerciales. Manuel des experts, Paris, 1873.
-
[8]
Robert Carvais, « Le statut juridique des architectes à l’époque moderne », dans Alexandre Cojannot et Alexandre Gady (sous la direction de), Architectes du Grand Siècle, du dessinateur au maître d’œuvre, Paris, Le Passage, 2020, p. 13-33.
-
[9]
Leon Battista Alberti, De re aedificatoria, livre I, chapitre 9.
-
[10]
La définition de la ville a donné lieu à une littérature très fournie. Nous ne saurions en exposer ici les grandes lignes. Retenons pour se départir d’une définition classique fondée sur la densité et la continuité de la cité, celle de Robert Park qui y voit un état d’esprit, un mode de vie, sans s’arrêter à ces éléments matériels. Sur ce débat voir également Histoire Urbaine, « La ville entre urbanité et ruralité », no8, 2003.
-
[11]
Suzanne Clémencet, « Z1j – Chambre des bâtiments et Greffiers des bâtiments », dans Guide des recherches dans les fonds judiciaires de l’Ancien Régime, Paris, Archives de France/Imprimerie Nationale, 1958, p. 327-332.
-
[12]
Fabrice Mauclair, « Pour une étude de la justice civile non contentieuse dans les tribunaux ordinaires au xviiie siècle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, no 118-2, 2011, p. 41-59.
-
[13]
Robert Carvais, « La Chambre des Bâtiments, juridiction de police » dans Pascale Laborier, Frédéric Audren, Paolo Napoli, Jakob Vogel (sous la direction de), Les sciences camérales : activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 330-382.
-
[14]
Les procès-verbaux de visite de police sont conservés pour 1674-1790 dans AN Z1J 191 à 255 et en compléments pour les années 1718-1727 dans BnF, Joly de Fleury 1422-1423.
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[15]
Les registres d’audience de police se trouvent dans AN Z1J 2-162, avec des lacunes pour 1681- 1684, 1686, 1693-1695, 1736-1737, 1750-1751, 1754-1755, 1761-1762.
-
[16]
Sur cette notion voir Laurent Besse, Albane Cogné, Ulrike Krampl, Stéphanie Sauger (sous la dirction de), Voisiner. Mutations urbaines et construction de la cité du Moyen Âge à nos jours, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2018.
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[17]
Ces pourcentages sont réalisés à partir du dépouillement des années 1696 (26,33 %), 1726 (18,18 %), 1756 (25,54 %) et 1776 (17,03 %). En tenant compte des expertises contenant des réparations, le pourcentage est régulier autour de 30 % : 1696 (31,63 %), 1726 (29,81 %), 1756 (28,82 %) et 1776 (30,63 %). Nous rappelons que les expertises ne sont pas uniquement sollicitées en cas de litiges, mais qu’elles peuvent l’être gracieusement pour une partie, voire pour plusieurs parties qui désirent avoir un conseil pour prendre une décision.
-
[18]
Robert Carvais, « Entretenir les bâtiments : une préoccupation juridique essentielle chez les architectes sous l’Ancien Régime », dans Charles Davoine, Maxime L’Héritier, Ambre Péron d’Harcourt (sous la direction de), Sarta Tecta. De l’entretien à la conservation des édifices, Antiquité, Moyen Âge, début de la période moderne, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2019, p. 23-36.
-
[19]
Ces pourcentages sont réalisés à partir du dépouillement des années 1696 (26,75 %), 1726 (18,18 %), 1756 (25,54 %) et 1776 (17,03 %).
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[20]
Voir Philippe Bernardi, Maxime L’Héritier (coordonné par), « Recyclage et remploi : la seconde vie des matériaux de construction », Ædificare, no 4, 2018.
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[21]
AN Z/1j/578, dossier 11, 10-23 janvier 1726. Sur ces différentes réparations, observées à partir de l’analyse d’un immeuble parisien tout au long du xviiie siècle, voir Camille Pascal, « Contribution à une histoire économique de la maison parisienne au xviiie siècle. Patrimoine, entretien, revenu », dans Michel Balard, Jean-Claude Hervé, Nicole Lemaître (sous la direction de), Paris et ses campagnes sous l’Ancien Régime : mélanges offerts à Jean Jacquart, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, p. 165-173.
-
[22]
AN Z/1j/578, dossier 48, 7-14 février 1726.
-
[23]
AN Z/1j/579, dossier 38, 30 mars-11 avril 1726.
-
[24]
AN Z/1j/581, dossier 22, 17 juin 1726.
-
[25]
AN Z/1j/1000, dossier 71, 29 mars 1776.
-
[26]
Toutes proportions gardées, nous pensons à l’admirable travail cartographique réalisé par Pierre Couperie, Paris au fil du temps. Atlas historique d’urbanisme et d’architecture, Editions Joël Cuénot, 1968, ou à celui d’Emile Ducoudray, Raymonde Monnier, Daniel Roche, Alexandra Laclau, Atlas de la Révolution française, vol. 11, Paris, Éditions de l’EHESS, 2000.
-
[27]
Christian Topalov, Le logement en France : histoire d’une marchandise impossible, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1987.
-
[28]
Lucien Karpik, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.
-
[29]
Sur une excellente vision typologique des constructions privées parisiennes, voir Jacques Frédet, Les Maisons de Paris. Types courants de l’architecture mineure parisienne de la fin de l’époque médiévale à nos jours avec l’anatomie de leur construction, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2003.
-
[30]
La large diffusion des pratiques liées au démembrement de la propriété est très bien montrée par Olivier Faron, Etienne Hubert (sous la direction de), Le sol et l’immeuble : les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d’Italie (xiie-xixe siècle), Rome, École française de Rome, 1995.
-
[31]
Ces difficultés sont parfaitement exposées par Nicolas Lyon-Caen, « L’immobilier parisien au xviiie siècle. Un marché locatif », Histoire Urbaine, no 43, 2015, p. 55-70. Pour les cas de Venise, de Milan et de Marseille, voir Jean-François Chauvard, « La formation des prix des maisons dans la Venise du xviie siècle », Histoire et mesure, no 3-4, 1999, p. 331 – 368 ; Michela Barbot, « A ogni casa il suo prezzo. Le stime degli immobili della Fabbrica del Duomo di Milano fra Cinque e Settecento », Mélanges de l’École Française de Rome. Italie et Méditerranée, no 119/2, 2007, p. 249-260 ; Julien Puget, « Fra misura e opinione comune : la costruzione dei prezzi immobiliari a Marsiglia fra Sei e Settecento », in Michela Barbot, Marco Cattini, Matteo Di Tullio, Luca Mocarelli (a cura di), Stimare il valore dei beni. Una prospettiva europea (secoli XV-XX), Udine, Forum Editrice Universitaria, 2018, p. 167-190.
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[32]
Le poids des enchères est très important dans le marché parisien, comme le montrent Katia Béguin et Nicolas Lyon-Caen, « ‘‘Dans la chaleur des enchères’’. Adjudications et prix des immeubles à Paris aux xviie et xviiie siècles », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 65, 2018, p. 144-166.
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[33]
En revanche, le coût de la main d’œuvre semble n’être jamais pris en charge par les experts. Cette même absence caractérise les estimations réalisées à Milan à la même époque : Michela Barbot, « The Justness of Aestimatio and the Justice of Transactions : defining Real Estate Values in 16th-18th Century Milan », in Bert De Munck et Dries Lyna (ed.), Concepts of Value in Material Culture, 1500-1900, Farham, Asghate, 2015, p. 133-149.
-
[34]
C’est le cas, précisément, d’une maison au Cul-de-sac Saint-Michel à Paris (AN Z/1j/1003, dossier 17, 1776).
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[35]
Cette absence correspond à un véritable coût qui rentre à part entière dans les calculs des experts : comme le rappelle un procès-verbal d’estimation sur une pièce de terre « au bout de la rue de Varenne et de ladit rue de Bourgogne », « lesdites rues ne sont point pavées, et il en coutera beaucoup à l’acquéreur lors qu’il les faudra paver » (AN Z/1j/578, dossier 21, 1726).
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[36]
AN Z/1j/1009, dossier 40, 1776.
-
[37]
À titre d’exemple, on peut évoquer le cas d’une maison située « au 13 rue Basse du Rempart Saint-Honoré ». Chargé de son estimation, Pierre Taboureur déclare avoir prisé cette maison en considérant plusieurs éléments, dont « son état, consistance et distribution, la nature de sa construction, les réparations qui sont à y faire, sa figure, la manière dont sont employés lesdits bâtiments, et nous avons aussi fait attention à l’étendue de sa superficie et de la situation en chantier du jardin de ladite maison qui donne le moyen de l’augmenter même d’y construire et procurer un débouché et une vue sur une rue ouverte à l’avantage deladite maison et dépendances » (AN Z/1j/1000, dossier 18, 1776).
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[38]
Cette rationalité marchande, par ailleurs, n’épargne aucun genre de bien, y compris les maisons de famille ou les hôtels particuliers les plus prestigieux. Appelé en 1776 à estimer l’hôtel de la Rochefoucauld « en vue de sa vente prochaine », l’expert Jacques Antoine Payen déclare ainsi avoir fixé sa valeur en considérant « ce que l’hôtel peut produire de revenu annuel par rapport aux maisons de quartier » (AN Z/1j/1000, dossier 25, 1776).
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[39]
Édit de mai 1690, enregistré au parlement le 16 juin 1690 et à la cour des aides le 20 juin 1690.
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[40]
Voir le dernier travail sur le sujet : Anne Conchon, Hélène Noizet, Michel Ollion (sous la direction de), Les limites de Paris. xiie-xviiie siècles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017.
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[41]
Sur les distinctions entre les espaces parisiens : Jean-Pierre Poussou, « De la difficulté d’application des notions de faubourg et de banlieue à l’évolution de l’agglomération parisienne entre le milieu du xviiie et le milieu du xixe siècle », Histoire, économie et société, no3, 1996, p. 339-351 ; Bernard Rouleau, Le tracé des rues de Paris. Formation, typologie, fonctions, Paris, Éditions du CNRS, 1975, et idem, Villages et faubourgs de l’ancien Paris. Histoire d’une espace urbain, Paris, Seuil, 1985 ; Michel Balard, Jean-Claude Hervé, Nicole Lemaître (sous la direction de), Paris et ses campagnes, op. cit.
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[42]
Hélène Noizet, Caroline Bourlet, « La banlieue de Paris, du xiie au xviiie siècle : critères de définition, extensions et spatialités », dans Anne Conchon, Hélène Noizet et Michel Ollion, Les limites de Paris..., op. cit., p. 23-55.
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[43]
Nicolas Vidoni, « Les limites de Paris et la police, 1667-1789 », Ibidem, p. 113-129.
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[44]
Hélène Noizet, Caroline Bourlet, « La banlieue de Paris », op. cit., p. 51.
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[45]
Ibidem, p. 54.