1Cet ouvrage reprend le titre de l’exposition Lyon sur le divan, les métamorphoses d’une ville présentée par les musées Gadagne du 17 novembre 2017 au 18 juin 2018. Il s’inscrit en réponse à une démarche expérimentale de psychanalyse de la ville de Lyon par l’Agence national de psychanalyse urbaine. L’objectif de cet ouvrage collectif, écrit par six historiens et un géographe et composé de quatre chapitres, est de « proposer le récit actualisé d’une histoire urbaine contemporaine » (p. 22). La période considérée s’étend du XVIIIe siècle, perçu comme la matrice de l’urbanisme d’aujourd’hui, aux grands projets modernisateurs des années 1960-1970.
2Natacha Coquery et Laurent Coudroy de Lille, dans le chapitre intitulé « Une ville aux prises avec son site (1720-1830) », traitent de la croissance urbaine de Lyon, telle une ville archipel, au cours du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. L’urbanisme lyonnais y prend son essor mû par la croissance démographique des faubourgs et par un subtil jeu de concurrence entre acteurs politiques (locaux et étatiques), religieux et privés (entrepreneurs, architectes). Des figures de l’architecture parisienne (Jacques-Germain Soufflot) ou lyonnaise (Jean-Antoine Morand) y laissent leur empreinte, normalisant ainsi la « production architecturale lyonnaise » (p. 33). La ville se pare de constructions monumentales aux fonctions religieuses, alimentaires (Le grenier d’Abondance), hospitalières (telle la façade monumentale de l’Hôtel-Dieu, fig. 3 p. 35) ou encore commerciales et culturelles (comme le théâtre). Des projets ambitieux et novateurs de planification urbaine sont en outre élaborés comme celui de Jean-Antoine Morand, en 1766 (fig.5 p. 38) ou encore de Michel Antoine Perrache, en 1776 (fig. 10 p. 43). Les exemples développés ici, d’initiatives privées, permettent d’éclairer les jeux d’acteurs et de souligner la possible diachronie entre l’élaboration d’un projet urbain et sa réalisation totale ou partielle. Les auteurs s’interrogent enfin sur le rôle de la Révolution française dans les transformations de Lyon à la suite du décret du 12 octobre 1793 déclarant que « Lyon n’est plus ». Il s’accompagne des violences révolutionnaires traduites sur le tissu urbain par des démolitions programmées ou accidentelles. Mais les auteurs les relativisent au sens où la vente des biens nationaux en 1790 a comparativement plus d’importance sur les mutations urbaines : les ventes massives sont suivies de l’urbanisation de quartiers à l’exemple de la densification des pentes de la Croix-Rousse.
3Le chapitre intitulé « Une cité à l’ouvrage. Des immeubles-ateliers aux grands travaux (1830-1900) », écrit par Laurent Coudroy de Lille et Nadine Halitim-Dubois, porte sur Lyon au XIXe siècle. La ville connaît un important essor démographique, par les annexions de 1852, et économique, grâce à la soierie. L’activité de celle-ci génère une forte demande locative et une urbanisation des pentes de la Croix-Rousse, avec la multiplication des immeubles-ateliers. Le parcellaire du plateau croix-roussien est quadrillé, modifiant l’ancien parcellaire en lanières. Cet urbanisme, entre densification et extension, est marqué par des réalisations urbaines et architecturales de prestige, des opérations de percement et d’alignement des rues, l’aménagement de places et une élévation du bâti pour répondre à l’augmentation de la densité du peuplement. Seuls quelques ensembles cohérents du tissu médiéval et Renaissance sont préservés. Une grande partie du tissu central lyonnais se trouve transformée. Cependant cette urbanisation par projet reste limitée dans l’espace : aucun grand système de boulevards ou de vastes perspectives ne s’en dégage. Les auteurs s’intéressent ensuite au tissu social lyonnais et à ses recompositions. Les limites de Lyon sont repoussées vers l’est et redéfinies par la nouvelle ligne des forts et par le réseau ferré. Si la ligne ferroviaire Paris-Lyon Marseille fait de Lyon un nœud important du réseau ferroviaire national, elle crée, à l’échelle locale, une rupture dans l’espace social de la ville. A l’est et au sud, les vastes plaines agricoles de Villeurbanne et de Vaux comme le quartier de Gerland forment de vastes réserves foncières attractives pour l’installation de grandes infrastructures industrielles. A l’ouest, des collines de Fourvière – marquée par l’édification de sa vaste basilique – au Val de Saône, se déploie l’espace de villégiature de la bourgeoisie. L’espace urbain se transforme progressivement amorçant une nouvelle distribution sociale à l’échelle de l’agglomération.
4Dans le chapitre intitulé « Le temps des thérapeutes (1900-1950) », Stéphane Frioux et Marie-Clotilde Meillerand traitent des politiques réformistes engagées face aux pathologies urbaines dénoncées au tournant du XIXe siècle. Les auteurs traitent dans un premier temps des politiques réformistes durant la période 1900-1930 pour étudier ensuite l’émergence d’une réflexion urbaine à l’échelle intercommunale dans cette cité industrielle. Edouard Herriot, maire de Lyon de 1905 à 1957, conduit une politique dans le but de lutter contre la surmortalité urbaine. Pour cela, il intègre les réseaux réformateurs et s’appuie sur un personnel compétent tel Camille Chalumeau, ingénieur municipal. Cette politique hygiéniste se traduit par la construction d’abattoirs, de bains-douches, de stades (Gerland), de piscines, d’institutions de santé et de parcs. La planification urbaine est très avancée à Lyon car elle est l’une des premières villes de France à adopter un plan général d’urbanisme en 1919 conçu à l’échelle intercommunale. Cependant, les projets d’assainissement, arrêtés par la guerre, sont relancés seulement à partir de 1928 à la suite d’une épidémie de fièvre typhoïde dans la banlieue lyonnaise. Une réflexion et une coordination intercommunale prennent forme afin de réduire les fumées polluantes, améliorer les réseaux d’égouts, réduire le risque de crue et pour aménager le boulevard de ceinture. Cette coordination se traduit par la création du Syndicat intercommunal d’assainissement de la rive gauche du Rhône dès les années 1920 et par la création d’un Groupement d’urbanisme de la région lyonnaise dans les années 1930. Mais la politique de reconstruction de l’immédiat après-guerre met en sommeil la planification urbaine à l’échelle de l’agglomération.
5L’article de Philippe Dufieux et de Christian Montès sur « Lyon embrasse la modernité (1957-1980) » traite de l’évolution urbaine de l’agglomération lyonnaise durant « les Trente Glorieuses » en suivant la politique moderniste de Louis Pradel, maire de Lyon de 1957 à 1976. En filigrane, les auteurs interrogent la possible identification de l’action municipale face à l’imbrication des échelles (du local au national) et la multiplication des acteurs intervenant dans la politique d’aménagement du territoire. La conception moderniste de la ville, fondée alors sur la fluidité de circulation et l’usage du béton, se traduit par la construction de grands ensembles destinés à répondre au besoin impérieux de logements. Les auteurs éclairent les évolutions de l’urbanisme lyonnais, conçu dès 1948 selon un schéma directeur régional, en s’intéressant aux « unités de voisinage » et à la nouvelle physionomie des banlieues françaises hérissées de « barres et tours au milieu des potagers, des lotissements et des usines » (p. 128). Les auteurs présentent ces opérations d’urbanisme telles des expérimentations techniques et fonctionnelles qu’ils étudient dans trois cas : le quartier de la Part-Dieu, le réseau métropolitain lyonnais et le centre d’échanges de Perrache. L’approche des auteurs consistant à étudier des projets urbains de leur conception à leur réalisation permet d’entrer dans la fabrique urbaine. L’action mayorale de Louis Pradel ne transparaît pas dans les constructions d’infrastructures universitaires ou hospitalières qui marquent l’urbanisme lyonnais par leur emprise spatiale, mais plutôt dans le domaine culturel ou sportif. Les auteurs, faisant écho aux voix dénonçant l’urbanisme des années 1960-1970, soulignent que « le temps est à la recomposition des entités construites, notamment autour de la notion de quartier » (p. 144).
6Ce récit d’histoire urbaine contemporaine, richement illustré avec 59 figures, constitue un tour de force au sens où cette synthèse dresse l’évolution des métamorphoses de Lyon sur trois siècles en intégrant les apports de l’historiographie la plus récente. Les auteurs entrent dans la fabrique de la ville en prenant en compte la pluralité des acteurs et en suivant l’évolution des projets qu’ils élaborent. Cette démarche permet de souligner les possibles diachronies entre l’élaboration d’un projet urbain et sa réalisation, et elle contribue à une meilleure compréhension des processus de construction des savoirs urbains. Une pensée de la ville prend forme et on suit l’émergence d’une réflexion urbaine à l’échelle de l’agglomération durant l’Entre-deux-Guerres qui se traduit d’un point de vue opérationnel dans la seconde moitié du XXe siècle. L’objectif formulé de proposer une histoire spatiale de Lyon est atteint car les nombreuses études d’opérations d’urbanisme développées dans ce livre participent à une intelligibilité spatiale fine de l’évolution de l’agglomération lyonnaise.