Couverture de RHU_053

Article de revue

Se perdre et se retrouver dans le bazar de Mexico

Au siècle des Lumières

Pages 85 à 106

Notes

  • [1]
    « es la segunda cuadra mano izquierda pasando la primera esquina ». Signalons qu’il arrive régulièrement que l’on vous indique une fausse direction, refuser de répondre favorablement à une demande étant perçu au Mexique comme une forme d’impolitesse.
  • [2]
    Georges Perec définit l’« infra-ordinaire » comme un ensemble de petits signes matériels (poignée de porte, anfractuosités d’une façade, enseigne, trous dans la voirie, balcon en fer forgé) qui participent au quotidien des déplacements et dont la description constitue un ressort littéraire. Georges Pérec, L’Infra-ordinaire, Paris, Seuil, 1989.
  • [3]
    Si le terme de cuadra existe bel et bien en espagnol dès le XIIe siècle – il désigne alors une grande pièce d’une caserne, d’un hôpital ou d’une maison servant de réserve pour le bois –, il se pare d’une acception toute particulière dans l’Amérique espagnole et recouvre trois sens : une unité de croissance, une unité de répartition du sol et une unité de mesure. Cette notion se retrouve dès la fin du XVIe siècle dans les grandes ordonnances de fondation des cités des Indes de Philippe II. Pour en savoir plus voir l’article « Cuadra » d’Eduardo López Moreno dans Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin (sous la direction de), L’aventure des mots de la ville à travers le temps, les langues, les sociétés, Paris, Robert Laffont, 2010, p. 400-405.
  • [4]
    Sur la disparition du paysage lacustre, voir Alain Musset, L’eau dans la vallée de Mexico : enjeux techniques et culturels, Paris, de Boccard, 1991 .
  • [5]
    Bien que propre aux marchés orientaux, le terme de « bazar » a été privilégié dans le titre et préféré au terme de tianguis, historiquement plus exact, car le bazar traduit à la fois une place commerciale et une impression de désordre.
  • [6]
    Natalia Silva Prada, La política de una rebelión. Los indígenas frente al tumulto de 1692 en la Ciudad de México, México, El Colegio de México, 2007 ; Arnaud Exbalin, « Riot in Mexico City : a Challenge to the Colonial Order ? », Urban History, 43/2, 2016, p. 215-231, en ligne https://doi.org/ 10.1017/S0963926815000279
  • [7]
    Sur les échanges alimentaires et l’économie urbaine, voir Donatella Calabi, Il mercato e la città. Piazze, strade, architetture d’Europa in età moderna, Venise, Marsilio, 1993 ; Brigitte Marin, Catherine Virlouvet (sous la direction de), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003 ; Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002 ; Anne Montenach, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle. L’économie du quotidien, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2009. Sur l’histoire des polices urbaines, voir entre autres, Catherine Denys, Brigitte Marin, Vincent Milliot (sous la direction de), Réformer la police. Les mémoires policiers en Europe au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
  • [8]
    Annik Pardailhé-Galabrun a bien montré que l’essentiel des déplacements quotidiens des Parisiens se faisaient dans un rayon de 500 mètres. Annik Pardailhé-Galabrun, « Les déplacements des Parisiens dans la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles. Un essai de problématique », Histoire, économie et société, 1983, no 2, p. 205-253.
  • [9]
    Une seule étude aborde le fonctionnement du Baratillo mais, centrée sur la période 1559- 1763, elle ne s’intéresse pas à son transfert en 1791 vers la Plaza del Volador : Jorge Olvera Ramos, Los mercados de la Plaza Mayor en la Ciudad de México, México, Ediciones Cal y Arena / CEMCA, 2007.
  • [10]
    Hipólito Villarroel, Enfermedades políticas que padece la capital de esta Nueva España (1787), présenté par Beatriz Ruiz Gaytán, México, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, 1997, p. 58-60. Signalons qu’à Madrid, les marchés de bagatelles se nommaient également baratillos.
  • [11]
    Le marché de Tlatelolco, ville jumelle de Mexico, a tellement impressionné Hernan Cortés qu’il y consacre un long paragraphe dans la seconde lettre envoyée à l’empereur Charles Quint. Ces marchés de plein air étaient alors appelés tianguis. Ce terme est encore aujourd’hui usité par les habitants de Mexico.
  • [12]
    Cette disposition fut réactivée après l’émeute du 8 juin 1692.
  • [13]
    En Castille, la Plaza Mayor avait surtout une fonction festive et n’accueillait aucune autorité politique. Voir Thomas Calvo, « Le blanc manteau de l’urbanisation sur l’Amérique hispanique (1550-1600) », Perspectivas históricas, no 5-6, 2000, p. 12-62.
  • [14]
    Toutes les citations qui suivent ont été tirées des témoignages suivants : Carlos Sigϋenza y Góngora, Alboroto y motín de los Indios de México, dans W. Bryant (ed.), Seis obras, Bilbao, Grijalbo, 1984, p. 95-141 ; les instructions des vice-rois duc de Linares (1716) et second comte de Revillagigedo (1794) ont été publiées dans Ernesto de la Torre Villar (coord.), Instrucciones y Memorias de los virreyes novohispanos, México, Editorial Porrúa, vol. II, 1991, p. 775-776 et p. 1050 ; Francisco Sedano, Noticias de México desde el año de 1756, coordinadas, escritas de nuevo y puestas por órden alfabético en 1800, México, Edición de la Voz de México, imprimerie J. R. Barbedillo, 1880, p. 43-44 et le témoignage d’un juge de la cour criminelle de Mexico, Pedro Basave, recueilli dans Juicio de Residencia de Revillagigedo, México, Publicaciones del Archivo General de la Nación, t. XXII, 1933, p. 414-417.
  • [15]
    En castillan, comme en français, « se perdre » (perderse) recouvre une demi-douzaine d’acceptions différentes. Outre le sens commun de perdre son chemin, perderse renvoie plus largement à une perdition morale : « être contrarié par un accident, une passion, se livrer aux vices dans la plus grande liberté, souffrir un dommage physique ou spirituel, pourrir, ne plus être utile ». Diccionario de Autoridades de la lengua española, Madrid, Ed. Gredos, 1976 [1732].
  • [16]
    Le juge Pedro Basave va plus loin lorsqu’il écrit que l’abondance des gargotes « rendait les arrestations des délinquants très délicates [...] car ils entraient d’un côté et ressortaient de l’autre. Les jours de sentence publique, il était étonnant de voir comment les prostituées et les vagabonds se réunissaient sous les étals de nourriture et de pulque pour s’enivrer du matin au soir, à quoi s’ajoutait un nombre croissant de chiens attirés par le regrat et qui, tard dans la nuit, se jetaient avec férocité sur quiconque essayait de pénétrer dans l’amas des étals, de telle manière qu’il était impossible de s’y introduire, même pour les patrouilles [...] et, du coup, les malfaiteurs s’y sentaient en sécurité et se moquaient de la justice parce que les aboiements entraînaient leur fuite. Il était donc impossible d’attraper celui que l’on poursuivait », dans Juicio de Residencia de Revillagigedo, op. cit., p. 416.
  • [17]
    Par exemple, la description à laquelle se livre le juge Baltazar Ladrón de Guevara, chargé en 1782 d’opérer de nouvelles délimitations administratives dans les faubourgs de la capitale : « je me suis dirigé vers les quartiers composés pour la plupart de ruelles tortueuses, de constructions en ruine coincées entre canaux et fossés qui empêchent la circulation et de taudis en pisé ou en roseaux éparpillés en désordre », dans « Ordenanza de la división de la noble ciudad de México en cuarteles y creación de los alcaldes de ellos y reglas de su gobierno », Boletín del Archivo General de la Nación, t. X, janvier-mars 1969, p. 80.
  • [18]
    Sur le mot « plèbe », voir Serge Gruzinski, « Genèse des plèbes urbaines coloniales : Mexico aux XVIe et XVIIe siècles », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, no 84, juin 2005 : Plèbes urbaines d’Amérique latine, p. 11-35.
  • [19]
    Anne Béroujon, « L’environnement visuel : la ville des signes, XVIe-XVIIIe siècle », dans Anne-Marie Granet et Stéphane Gal (sous la direction de), Les territoires du risque, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2015, p. 113-125.
  • [20]
    Pour Paris, voir Vincent Milliot, Les cris de Paris ou le Peuple travesti. Les représentations des petits métiers parisiens (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1995. Pour Mexico, Arnaud Exbalin, Marta de Alba et Georgina Rodríguez, « El ambulantaje en imágenes : una historia de representaciones de la venta callejera en la Ciudad de México. Siglos XVIII-XXI », Cybergeo, European Journal of Geography, en ligne en avril 2007, www.cybergeo.eu/index5591.html.
  • [21]
    Jorge Olvera Ramos, Los mercados de la Plaza Mayor, op. cit., p. 135-138.
  • [22]
    Sur la corruption des vice-rois, voir Pierre Ragon, Pouvoir et corruption aux Indes espagnoles. Le gouvernement du comte de Baños, vice-roi du Mexique, Paris, Belin, 2016.
  • [23]
    Les ordonnances de prohibition de 1689, 1692 et de 1696 avaient été en effet aussitôt détournées : les vendeurs s’étaient reportés dans les rues adjacentes puis avaient réinvesti la place, d’abord de manière discrète, en vendant sous le manteau, avant de réinvestir la Plaza Mayor de façon ostentatoire.
  • [24]
    Ce marché en dur apparaît en bas de la figure 2 où il est appelé Baratillo.
  • [25]
    Ces deux plans sont reproduits dans Sonia Lombardo de Ruiz (coord.), Atlas histórico de la Ciudad de México, México, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes / Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1996, vol. II, planches 231 et 232.
  • [26]
    Archivo Histórico de la Ciudad de México, Puestos de la Plaza Mayor, vol. 3618, dossier 12.
  • [27]
    Cette information est mentionnée dans le règlement du marché du Volador présenté ci-après.
  • [28]
    La Plaza del Volador, aujourd’hui disparue, se trouvait en face de l’université. Elle était également occupée d’étals semi-mobiles et de vendeurs ambulants et servait surtout à accueillir les vendeurs du Baratillo de la Plaza Mayor lors des grandes festivités et courses de taureaux. Sur le mandat de Revillagigedo, voir María Lourdes Díaz-Terchuelo Spínola, Concepción Pajarón Parody et Adolfo Rubio Gil, « Juan Vicente de Gϋemes Pacheco. Segundo Conde de Revillagigedo (1789- 1794) », dans José Antonio Quijano (dir.), Los virreyes de Nueva España en el reinado de Carlos III, Séville, Publicaciones de la Escuela de Estudios Hispano-Américanos de Sevilla, 1967, t. 1, p. 85- 366.
  • [29]
    Jean-Louis Harouel, L’embellissement des villes. L’urbanisme français au XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1993.
  • [30]
    Juan Vicente de Gϋemes Pacheco, Compendio de providencias de policía del segundo conde de Revillagigedo, présenté par Ignacio González Polo, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 1983. Il est significatif que ces réformes urbanistiques aient été valorisées par le vice-roi Revillagigedo lui-même en marquant l’espace public par la pose de plaques commémoratives : « Inscripciones colocadas durante el gobierno de Conde de Revillagigedo en la Nueva España (1794) », Archivo General de la Nación, Ayuntamiento, Historia en General, vol. 2254, dossier 25.
  • [31]
    Nous avons traité ces transformations urbanistiques dans Arnaud Exbalin, La bonne police de Mexico. Réformes, acteurs et pratiques de police dans une capitale des Indes occidentales au XVIIIe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, à paraître en 2019.
  • [32]
    La numérotation des édifices a été étudiée par Catherine Denys, Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 362-365 et Marco Cicchini, La police de la République. L’ordre public à Genève au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 299-308.
  • [33]
    Conde de Revillagigedo, « Reglamento para el mercado del Volador de 1791 », Boletín del Archivo General de la Nación, Mexico, no 4, 1935, p. 562-572. Le plan est reproduit dans Sonia Lombardo de Ruiz (coord.), Atlas histórico..., op. cit., vol. II, planche 241 .
  • [34]
    Conde de Revillagigedo, « Reglamento para el mercado del Volador », op. cit., Article 1 : « la Plaza del Volador dispuesta del modo más conveniente para la comodidad de compradores y vendedores, para el aseo y para el orden y facilidad de la cobranza de los puestos y numerados todos ». Traduction : « la Place du Volador est aménagée de la manière la plus adéquate pour la commodité des vendeurs et des acheteurs, pour la propreté et l’ordre et pour faciliter le recouvrement des étals qui sont tous numérotés ».
  • [35]
    Rappelons que chaque haut fonctionnaire des Indes était soumis à un juicio de residencia ; la procédure se faisait en deux temps : la « partie secrète » dirigée par les juges du Conseil des Indes et la « partie publique » formulée par tout individu qui s’estimait lésé par la mandature du haut fonctionnaire. Le procès intenté par la Ville de Mexico contre le vice-roi comporte 159 chefs d’accusation et s’étala sur près de dix ans (1795-1803).
  • [36]
    Cette statue, jugée de mauvaise facture, fut refaite en bronze par Manuel Tolsa en 1796 et placée sur un socle au centre de la place. Voir Clara Bargellini, « La lealtad americana : el significado de la estatua ecuestre de Carlos IV », dans Iconología y sociedad. Arte colonial hispanoamericano. XLIV Congreso Internacional de Americanistas, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 1991 .
  • [37]
    Nous rejoignons ici les conclusions d’Anne Béroujon qui déclare que la réglementation et l’uniformisation des enseignes des boutiques à Lyon s’inscrivait « dans le triptyque ornement-commodité-sécurité » qui s’affirme au moment de faire de la ville un espace réglé et ordonné.
  • [38]
    Voir Felipe Hernando Sanz, « La seguridad en las ciudades : el nuevo enfoque de la geo-prevención », Scripta Nova. Revista Electrónica de Geografía y Ciencias Sociales, Universidad de Barcelona, vol. XII, no 270, mise en ligne en août 2008, www.ub.es/geocrit/sn/sn-270/sn-270- 14.htm.

1 Lorsque l’on demande son chemin à un passant dans la ville de Mexico, deux types de réponses sont possibles : soit la personne ne connaît pas précisément l’adresse indiquée et elle vous demande alors de préciser le lieu recherché en fonction d’une enseigne commerciale (supérette, banque, pompe à essence) ; soit elle vous indique la direction à suivre en s’appuyant sur la trame urbaine : « c’est la deuxième cuadra à gauche, après le premier coin de rue » [1] .

2 Pour celui qui s’intéresse à l’historicité des systèmes spatiaux de repérage, cette conversation banale des habitants d’une mégapole américaine nous renseigne doublement. Premièrement, elle témoigne de la persistance pour un grand nombre de citadins de repères qui échappent à la signalétique conventionnelle, c’est-à-dire que pour s’orienter les usagers de la ville n’ont pas recours à la nomenclature des rues mais à un ensemble de signes infra-ordinaires que chacun se constitue par une pratique assidue du territoire, d’autant qu’il n’est pas rare à Mexico que la numérotation des rues soit altérée [2]. Deuxièmement, elle illustre que la cuadra (îlot de maisons formant un quadrilatère) est un moyen de localisation fondamental dans les villes latino-américaines. Cet élément est consubstantiel aux fondations urbaines de l’époque coloniale (XVIe-XVIIIe siècle) [3].

3 La ville de Mexico a été fondée dans le deuxième quart du XVIe sur le principe de la cuadricula, un plan en damier, qui a fait l’admiration de tant de voyageurs séjournant dans la capitale de la Nouvelle-Espagne. La colonisation espagnole a imposé une trame et des repères visuels proprement hispaniques sur la ville mexica (Tenochtitlan a été fondée au milieu du XIVe siècle) : outre la cuadricula, une urbanisation en dur avec des édifices de plusieurs étages, l’érection de clochers, les rues pavées au détriment des canaux qui disparurent progressivement à la faveur de l’assèchement volontaire de la lagune [4].

4 Néanmoins, la ville au tracé orthogonal n’était pas toute la ville de Mexico et le damier ne s’imposa que dans la partie centrale – la traza –, alors que la périphérie réservée aux Indiens – les barrios des parcialidades – relevait d’autres logiques urbanistiques et s’inscrivait dans un paysage fort différent marqué par une urbanisation plus lâche constituée de maisonnettes en adobe, d’un lacis complexe de canaux, de prés et de ranchos. Il était donc a priori plus aisé de se repérer dans la partie centrale de Mexico que dans ses faubourgs. Pourtant, au cœur de la Plaza Mayor se trouvait un immense « bazar », le Baratillo, un marché de plein vent, comparé par les observateurs de l’époque à un labyrinthe tant il était difficile de s’y repérer [5].

5 À la différence des marchés d’alimentation des villes européennes, le Baratillo de Mexico se trouve en plein cœur de la capitale, à proximité immédiate des plus hautes autorités, en particulier du palais du vice-roi, premier représentant des Espagne dans les Indes. En 1692, ce marché fut l’un des épicentres de la plus grande émeute qu’ait connue la ville [6]. Les émeutiers, Indiens des faubourgs et petits vendeurs du Baratillo, mirent le feu au Palais qui finit en cendres. C’est précisément entre cette révolte et l’éradication de ce marché, un siècle plus tard, que se situe la présente étude qui croise approche matérielle de l’espace commercial, approche sociale des échanges alimentaires et histoire des polices urbaines [7].

6 Cet article se situe en amont des réflexions développées par les coordinateurs de ce numéro, car il nous a semblé difficile de documenter les différents usages que faisaient les habitants des signes matériels de repérage mis en place dans la capitale de la Nouvelle-Espagne au siècle des Lumières. Reconstituer l’historicité des déplacements et des moyens de s’orienter dans les grandes villes d’Ancien Régime relève de la gageure. D’une part, parce que les moyens, alors très divers, de se déplacer, que l’on soit à pied, à cheval, en carrosse ou à bord d’une barque, font varier les repères visuels et parce que celui qui se fait conduire n’a pas le même souci de s’orienter que celui qui manœuvre le véhicule ; d’autre part, parce que cela nécessite de prendre en compte le point de départ et la destination, or cette dernière est bien souvent située à quelques pas du lieu de résidence [8]. Enfin, parce que les micro-repères du quotidien transparaissent rarement dans les sources. Nous limiterons donc notre réflexion à un espace réduit en nous intéressant à la genèse et aux modalités de la mise en place d’un nouveau système de repérage et de numérotage des échoppes des petits vendeurs de rue à Mexico à la fin du XVIIIe siècle, un aspect jusqu’à présent peu exploré [9]. En 1791, un nouveau marché fut en effet édifié ex-nihilo sur la Place du Volador située à proximité de la Plaza Mayor en remplacement du marché du Baratillo. Dans ce transfert, se nouent des enjeux esthétiques, policiers et fiscaux.

Le Baratillo, ventre de Mexico

7 Le Baratillo est un marché de plein air situé au centre de la Plaza Mayor de Mexico (figure 2). Son nom vient – comme le suggère un chroniqueur contemporain, Hipólito Villarroel – de la faible qualité et du bas coût (barato) des produits qui y étaient vendus : articles de seconde main, des fripes aux ferronneries, fruits et légumes, plats préparés à emporter ou à consommer sur place, regrat, bière d’agave (pulque), mais aussi objets volés et armes interdites [10]. Économie souterraine et économie d’expédients se mêlaient donc étroitement en son sein.

8 Ce marché existait déjà à l’époque mexica (soit avant la conquête de Tenochtitlan, aux XIVe-XVe siècles) sur une place qui faisait face au palais de Moctezuma. Il s’inscrivait, au moment où nous l’étudions, dans une longue tradition préhispanique de vente en plein air [11] . Dans les années 1540, après la fondation de la ville de Mexico et l’aménagement de la Plaza Mayor, la Ville de Mexico, propriétaire de la place, autorisa les Espagnols à vendre dans des échoppes en bois fixes et fermées (cajones) dont elle tirait de substantiels revenus. Mais ce n’est qu’au cours du XVIIe siècle que de petits vendeurs, indigènes pour la plupart, notamment les Indiennes vendeuses de fruits, furent autorisés à s’installer à proximité de ce premier marché fixe de manière libre. À la faveur des crises et de la délivrance de patentes, le Baratillo se densifia à un tel point qu’il s’étendit au-delà de la Plaza Mayor vers les rues adjacentes et sur la place du Volador.

9 Ce marché occupait une très vaste superficie, près de 40 000 m2, soit l’équivalent d’une quinzaine de nos actuels hypermarchés. Chaque jour, il drainait des milliers de chalands et d’acheteurs qui déambulaient dans un réseau d’allées et au milieu de boutiques en bois, d’étals semi-fixes constitués de planches plus ou moins bien amarrées et d’auvents en nattes d’osier ou en tissus tendus entre des piquets. Le Baratillo était alors bien connecté à la périphérie lacustre des maraîchages (chinampas) via un canal, la Acequia Real, dont l’embarcadère se situait sur le côté nord de la Plaza Mayor (figure 2). Au cours du XVIIe siècle, ce marché se sédentarisa. Les vendeurs ambulants qui étaient autorisés à commercer, à condition de retirer leurs étals le soir venu, prirent l’habitude d’y dormir la nuit et de s’installer de manière pérenne, une pratique pourtant interdite par la réglementation urbaine qui exhortait les Indiens travaillant au sein de la ville espagnole à rentrer dans leurs quartiers (barrios de las parcialidades), selon le principe de séparation raciale entre la République des Indiens et la République des Espagnols [12].

10 La sédentarisation du Baratillo soulevait plus globalement un problème spécifique à Mexico – et à l’ensemble des capitales des Indes occidentales – qui se ne posait pas dans les mêmes termes que dans les villes européennes. L’existence de ce vaste bazar, situé au cœur de la Plaza Mayor, induisait des conflits d’usage qui n’existaient pas dans les villes de la péninsule ibérique : dans les villes américaines, la Plaza Mayor concentre en effet à la fois des fonctions politiques et judiciaires (palais du vice-roi, siège du tribunal royal, prison et échevinage avec l’Hôtel de ville), religieuses (cathédrale et palais de l’archevêque), mais aussi commerciales (consulat du commerce et marchés) [13].

11 Les descriptions que nous avons pu réunir sur ce lieu (instructions des vice-rois, récits de voyage, chroniques urbaines, rapports de police, soit des témoignages issus du monde des élites) s’accordent à dire, sans surprise, que le Baratillo était un marché anarchique, sans ordre ni repère, d’une laideur et d’une saleté répugnantes, qui dénaturait la belle harmonie de la place et des édifices prestigieux qui l’entouraient au point de défigurer la ville tout entière [14].

12 Selon le cosmographe du roi, Carlos Sigϋenza y Góngora, le Baratillo fait que « l’une des plus belles et des plus grandes places du monde apparaît à certains comme une bourgade mal fondée et à tous comme une véritable porcherie ». Pour les vice-rois, du duc de Linares (1711-1716) au second comte de Revillagigedo (1789-1794), le Baratillo était un véritable « labyrinthe », l’absence de repères physiques signifiée par ce mot renvoyant ipso facto à une déchéance morale [15]. Pour Revillagigedo, l’encombrement qui y régnait et l’absence de perspective entre les étals rendaient cet espace « impossible à surveiller » par les gardes du marché et les auxiliaires de police [16]. Pour Pedro Basave, juge à la Chambre criminelle du tribunal royal de la Real Audiencia dans les années 1780, le Baratillo était un immense lupanar où, protégées par les étals de fortune recouverts de tissus, des prostituées s’adonnaient à leurs vices avec des bandes d’ivrognes et de malfrats : ceux qui le fréquentaient « ne cherchaient pas autre chose qu’à s’enivrer, s’éprendre et à proférer des obscénités ». Pour le chroniqueur Franscico Sedano qui décrivit la ville dans un abécédaire à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, le plus choquant était l’extrême liberté avec laquelle hommes et femmes urinaient et déféquaient à la vue de tous et sous le balcon de la vice-reine : la boue des flaques, les ordures et les excréments se mêlaient dans des effluves pestilentiels.

13 Cette image très dépréciative est un topos littéraire et iconographique omniprésent chez les observateurs moraux et les graveurs européens du XVIIIe siècle. Que l’on songe à certaines descriptions de lieux populaires parisiens par Louis Sébastien Mercier ou encore aux chroniques madrilènes évoquant le marché du Rastro où viande, cuirs, fers, vêtements usagés s’échangeaient dans une joyeuse pagaille. Ce stéréotype du marché sale, désordonné et foyer d’illégalités n’a ici rien d’original si ce n’est la coloration raciale – et c’est sans doute l’autre caractéristique principale du Baratillo de Mexico. En effet, la manière même chez ces auteurs de décrire l’anarchie régnant au sein des marchés de la Plaza Mayor empruntait plusieurs éléments morphologiques caractéristiques des quartiers périphériques de la capitale de la Nouvelle-Espagne. Les termes utilisés par Pedro Basave (ruelles tortueuses/callejones, cahutes, cabanes/jacales, chozas, nattes en osier, paravent en bois/petates, tejamanil) sont les mêmes que ceux utilisés dans d’autres récits pour décrire les faubourgs des Indiens, comme si les éléments du paysage indigène avaient, aux yeux des élites, colonisé la partie la plus centrale, la plus hispanique et la plus noble de la capitale de la Nouvelle-Espagne [17]. Ce faisant, l’absence de repères qui caractériserait le Baratillo relevait d’un registre civilisationnel où s’opposaient deux conceptions antagoniques de l’espace : un bâti anarchique et désordonné qui serait le propre des Indiens et un espace ordonné proprement hispanique. À travers ces descriptions, non seulement transparaissaient la crainte d’un enlaidissement de la Très Noble Impériale Ville de Mexico, mais aussi la peur d’une dégénérescence raciale. Celle-ci est franchement explicite dans les mémoires du vice-roi duc de Linares pour qui le Baratillo était le point de rencontre de la plèbe où « l’indien le plus pauvre jusqu’au caballero le plus honorable » se mélangeaient au mépris de la hiérarchie des qualités [18]. Face au processus de métissage entre Espagnols, Indiens, Noirs et Asiatiques qui s’intensifiait au cours du XVIIIe siècle, le réagencement du Baratillo pouvait-il réellement contribuer à restaurer un ordre social et politique fondé sur la séparation des races ?

14 Il est clair que les témoins ici convoqués ne devaient pas souvent fréquenter le Baratillo pour y faire des emplettes (ils avaient recours à leurs domestiques) et qu’inversement, les chalands habituels y avaient leurs propres marques et savaient s’y retrouver malgré l’absence d’enseignes comme celles accrochées aux murs des commerces établis au sein du bâti. Il est néanmoins ici impossible, faute de sources équivalentes à celles utilisées par Anne Béroujon pour la ville de Lyon, de documenter les signaux (plaques, enseignes, objets suspendus) qui permettaient aux clients du Baratillo de s’orienter et de retrouver leurs étals habituels [19]. La vue n’est par ailleurs pas le seul sens à être sollicité dans ces marchés d’Ancien Régime. Les odeurs mais plus encore les sons, en particulier les cris des vendeurs ambulants, participaient pleinement à l’orientation des usagers [20]. Plusieurs peintures de métissage (pinturas de castas) représentent les vendeurs de rue en train de crier pour attirer les clients (figure 1).

15 Enfin, grâce à l’unique étude disponible, nous savons que le monde des vendeurs du Baratillo était, au-delà de l’apparent désordre, strictement organisé selon des normes et des pratiques dont la logique échappait aux vice-rois, aux cosmographes et aux faiseurs de réforme. Les apports de l’étude de l’historien mexicain Jorge Olvera Ramos sont doubles. D’une part, il montre que ce grand bazar est en réalité composé de plusieurs marchés. Le Baratillo mayor (qui devient un marché fermé au début du XVIIIe siècle, le Parian) était entre les mains de riches négociants espagnols ; il était alimenté en produits à forte valeur ajoutée (soies, passementerie, porcelaine, sellerie, vins) pour la plupart issus du commerce international, de Castille ou des Philippines. Le Baratillo menor était le marché de produits de seconde main que nous avons décrit plus haut ; c’est ce marché qui posait problème aux représentants de la Couronne. Enfin sur la Place, se trouvait des enclos à bestiaux (cochons et vaches pour le lait) et, sous les portiques, côté canal, se situait le marché aux fleurs et la halle aux grains.

Figure 1

La vente au coin de rue, Mexico, fin XVIIIe siècle. Anonyme, De Varsino e India, Campa mulato, peinture de métissage, 14e toile d’une série complète, Museo de América, Madrid. Le père et la mère initient leur enfant à la vente de rue. L’homme tient dans sa main un piment et la mère tient la main de l’enfant.

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La vente au coin de rue, Mexico, fin XVIIIe siècle. Anonyme, De Varsino e India, Campa mulato, peinture de métissage, 14e toile d’une série complète, Museo de América, Madrid. Le père et la mère initient leur enfant à la vente de rue. L’homme tient dans sa main un piment et la mère tient la main de l’enfant.

16 D’autre part, à une échelle plus fine, Jorge Olvera Ramos a montré qu’il n’y avait pas de séparation stricte entre ces différents marchés, rejoignant ici certaines des conclusions d’Anne Montenach sur les marchés de Lyon. Monde de la boutique et vente ambulante s’irriguaient mutuellement. C’est la pratique de l’arrimage : les petits vendeurs (Indiens et sang-mêlés pour la plupart), ambulants ou semi-ambulants, passaient des accords informels avec les propriétaires des boutiques fixes en bois. En échange de petites sommes et de menus services (nettoyage de l’emplacement), ils bénéficiaient de la protection du boutiquier, d’un abri pour stocker leurs marchandises, de points d’arrimage pour leurs bâches et parfois écoulaient certains produits du boutiquier lui-même. Propriétaires des échoppes et petits vendeurs fonctionnaient ainsi en symbiose.

17 Après l’émeute de 1692, la police et la gestion quotidienne du Baratillo furent affermées à un particulier de 1694 à 1745. L’alcalde de la Plaza Mayor était le véritable maître de la place ; il patrouillait dans les allées avec ses alguazils pour vérifier la qualité des produits, les poids et mesures, enregistrer les patentes et percevoir redevances et amendes de centaines de petits vendeurs [21] . Le contrôle par un particulier d’un espace commercial aussi vaste générait de conséquentes captations de pots de vin (en échange de la tolérance des petits vendeurs arrimés), une déprédation qui échappait au fisc royal, mais aussi à d’autres canaux de corruption de plus grande ampleur [22].

Tentatives de réagencement

18 Au cours du XVIIIe siècle, les autorités municipales et royales essayèrent à de nombreuses reprises de réformer le Baratillo, les diverses tentatives antérieures de le supprimer ayant échoué à la fin du XVIIe siècle [23]. Au début du XVIIIe siècle, le Parian fut construit dans la partie sud-ouest de la Plaza Mayor. Ce marché couvert composé de 80 boutiques alignées le long de deux quadrilatères et entouré d’une enceinte dotée de huit portes était destiné à la vente des produits de luxe importés [24]. Chaque boutique était construite sur le même modèle : un magasin équipé d’un présentoir pour la vente, une arrière salle qui servait de dépôt et une mezzanine pour le logement de la famille du boutiquier. Les allées intérieures furent pavées et dotées d’un système d’évacuation des eaux. Mais, mis à part les éléments de décoration (des niches dédiées à des saints protecteurs ornant les quatre coins de la balustrade de l’édifice), le nouveau marché couvert ne comportait aucun signe matériel de repérage destiné aux acheteurs. Il était certes sans doute plus aisé pour la clientèle de s’y repérer et d’identifier les produits grâce à l’alignement des boutiques et à l’uniformisation des présentoirs, mais rapidement le Parian fut investi par les vendeurs ambulants qui s’arrimèrent aux boutiquiers. En outre, le Parian ne venait pas pour autant supprimer le Baratillo qui subsistait sur la Plaza Mayor. Éradiquer le Baratillo, n’était-ce pas courir le risque de susciter une nouvelle révolte parmi les petits vendeurs comme ce fut le cas en 1692 ?

19 En 1720, le vice-roi marquis de Casafuerte lança un projet d’ordonnancement des étals qui ne put aboutir, étant donné que le marché était alors contrôlé par l’alcalde de la Plaza Mayor, Francisco Cameros. Il fallut attendre le décès de ce dernier en 1745 pour que le vice-roi comte de Fuenclara commissionne le Surintendant des Communs afin d’envisager une nouvelle organisation des marchés de la place. Ce projet ne prit forme, sur le papier, qu’en 1760 avec l’élaboration de plans et d’un règlement.

20 Deux plans (figures 2 et 3) commandés par le vice-roi Francisco Cajigal de la Vega ont été supervisés par le Surintendant des Communs [25]. De perspective oblique, dotés d’une échelle, d’une orientation et d’une légende, ils représentent la Plaza Mayor en deux temps : avant, puis après la réforme envisagée du marché. Le premier plan souligne avec force détails les désordres qui inondent la place, venant ainsi conforter les témoignages mentionnés plus haut. La légende, insérée dans un cartouche en haut à droite, insiste sur les irrégularités du sol, les eaux boueuses et stagnantes, le difficile accès à la cathédrale et au palais du vice-roi, embarrassés par les étals semi-mobiles. Le dessinateur a voulu signifier l’encombrement des espaces en multipliant les signes figuratifs. De petits losanges représentent les auvents des vendeurs sur la Plaza Mayor, sur la Plaza del Volador attenante et le long de la Acequía Real. Entre la cathédrale et le palais, il fait également prospérer les animaux en liberté (vaches et mules), alors que nous avons vu que ces animaux étaient parqués. La présence au premier plan, à proximité du cimetière, de deux mules en train de s’accoupler, servait à souligner, aux yeux des élites, la confusion morale qui régnait sur la place.

Figures 2 et 3

Plan de la Plaza Mayor et du Baratillo (1760).

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Plan de la Plaza Mayor et du Baratillo (1760).

Source : Anonyme, Planta y demostración de cómo estava la Plaza Mayor (en haut) et Planta de la forma y modo en la que Francisco Cagigal de la Vega resolvio para su arreglo (en bas) ; Plans en couleur avec échelle et orientation, dessins à l’encre et à l’aquarelle, 50×74 cm. Collection Lenin Molina (México, D. F.)

21 Le deuxième plan insiste au contraire sur l’ordre commercial qui pourrait résulter d’une telle réforme. Sur l’image, les animaux ont disparu, tout comme les étals mobiles et les auvents. Les deux places, Plaza Mayor et Plaza del Volador, apparaissent dégagées et le Baratillo désormais composé d’étals fixes qui, faute de pouvoir être complètement arasés, ont été dessinés de manière à restaurer les perspectives. La légende précise que les étals fixes seront alignés et formeront dix files parallèles (calles) organisées autour d’une allée centrale baptisée rue Royale (calle Real). 656 boutiques, toutes identiques en aspect comme en taille, composeront ce vaste quadrilatère. Les informations dont nous disposons ne mentionnent ni plaque relative à la rue Royale, ni numérotage des boutiques. Seuls les repères anciens et constitutifs du paysage de la place, la fontaine (l’approvisionnement) et la potence (la justice) ont été dégagés. L’unique élément nouveau qui s’imposait était une colonne, bien réelle (pirámide sur le plan), érigée en l’honneur du nouveau monarque, Charles III (1759-1788), et située en face de l’entrée principale du palais. Ces plans envoyés à Madrid avaient-ils aussi été dessinés dans le but de rassurer les membres du Conseil des Indes sur le bon gouvernement de la place ?

22 Cette projection s’accompagne d’un règlement censé réguler la vente nocturne et prévenir les risques d’incendie [26]. Précisons que l’émeute du 8 juin 1692 avait eu lieu à la tombée de la nuit et que les planches de bois des étals avaient servi à mettre le feu au palais. Le règlement stipule que les étals devront être évacués au moment de la dernière prière et l’activité des regrattières cesser à la tombée de la nuit. Mais nous ignorons si ces dispositions furent mises en application. Lorsqu’en 1765, le visiteur général, José de Gálvez, envoyé par le Conseil des Indes, arriva à Mexico et visita la Plaza Mayor, il émit un certain nombre de recommandations pour réguler la vente au sein du Baratillo dont celle, nouvelle, de numéroter les boutiques, une mesure qui ne sera appliquée qu’au moment de la création du nouveau marché du Volador [27].

Du bazar au marché orthonormé

23 Sur décision unilatérale et à la faveur d’un remodelage de la Plaza Mayor, l’autoritaire vice-roi second comte de Revillagigedo (1789-1794) fit démanteler les étals et boutiques en bois du Baratillo et évacuer les vendeurs de la Plaza Mayor pour les transférer sur une place adjacente, la Place du Volador (Plazuela del Bolador en haut à droite de la figure 3), où un nouveau marché est créé de toutes pièces [28]. L’aménagement du nouveau marché aux boutiques alignées et numérotées ne peut être appréhendé en dehors du processus d’embellissement des espaces publics que connurent les villes occidentales au siècle des Lumières [29]. La ville de Mexico participe pleinement de cette mise en ordre dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Sur la Plaza Mayor, des travaux de grande ampleur (terrassement, pavage de l’esplanade, nouvelles fontaines) s’accompagnèrent d’un ravalement systématique des façades des édifices qui bordaient la place et dans les rues adjacentes.

24 Les rapports de police que le vice-roi envoie régulièrement au Conseil des Indes témoignent de l’ampleur de ces aménagements et de l’attention toute particulière que Revillagigedo accordait à la dimension esthétique de la police [30]. C’est ainsi que les éléments fixés par les habitants aux façades des édifices – qui constituaient autant de marques particulières dans le paysage urbain – furent systématiquement démolis : balcons en bois, niches votives, autels auto-construits, auvents à l’entrée des maisons, sous le prétexte qu’ils altéraient les perspectives et qu’ils pouvaient facilement s’embraser en cas d’incendie. Parallèlement, de nouveaux éléments de voirie et du mobilier urbain furent aménagés : couverture des canaux du centre-ville par de grandes dalles, repavage des rues équipées de conduites d’évacuation et de trottoirs, installation d’un millier de lanternes, etc. [31] Enfin la pose d’azulejos portant le nom des rues et le numéro des maisons venait parachever ces aménagements [32].

Figure 4

Les transformations de la Plaza Mayor sous le mandat de Revillagigedo.

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Les transformations de la Plaza Mayor sous le mandat de Revillagigedo.

Figure 5

Plan du marché de la Plaza del Volador (1798).

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Plan du marché de la Plaza del Volador (1798).

Source : anonyme, plan en couleur du marché du Volador (1798). Dessin à l’encre, 53 x 72 cm. AGN, Policía y Empedrado, vol. 31, dossier 3, f 104. Ce plan, accompagné d’une légende, est tiré d’un dossier relatif à un incendie survenu sur la place. Les numéros en noir correspondent à la numération des étals ; ceux en rouge précisent le montant de la location ; les étoiles rouges localisent les débits de vente du pulque au nombre de quatre pour un montant de 10 pesos/jour. Le gros trait noir entoure la partie incendiée en février 1798.

25 Nous disposons de deux documents pour comprendre la manière dont le nouveau marché du Volador a été configuré : un règlement imprimé du 4 octobre 1791 et un plan plus tardif (1798) qui détaille la disposition des points de vente [33]. L’agencement général du marché dénote une nouvelle conception de l’espace commercial tranchant avec les formes traditionnelles d’organisation qui caractérisaient le Baratillo. Les 290 étals que compte le marché sont alignés le long de huit allées rectilignes (sur le plan, les lettres A/B/C/D/F/G/H/I) qui convergent vers une place centrale occupée par une fontaine construite à l’occasion. L’ensemble forme un carré. La nuit, les allées sont uniformément illuminées par 72 lanternes. Le marché de plein vent dispose néanmoins d’une clôture composée de huit portes dotées de grilles avec serrures qui sont fermées du coucher du soleil jusqu’à l’aube (art. 12). Cet espace carré, orthonormé, aux points de vente alignés et organisé autour d’une place centrale n’est pas sans rappeler le modèle fondateur de la ville américaine.

26 Le règlement systématise également le principe du zonage. Les points de vente, formés de boutiques fermées, de boutiques ouvertes et d’étals mobiles, sont tous numérotés, comme on peut le voir sur le plan. Les articles 2, 3, 4 et 5 du règlement précisent que l’organisation des étals dépend de la nature des produits vendus. C’est ainsi que les étals no 1-24 sont réservés au commerce des toiles, tissus, rubans et chapeaux ; les no 25- 48 aux métaux et à la ferronnerie ; les no 49-72 aux fruits secs, aux laitages, aux œufs et aux piments ; les no 73-96 aux fruits et légumes frais, etc. La numérotation des boutiques doit, comme le stipule l’article 1, faciliter le recouvrement des loyers [34]. Ces repères chiffrés ont donc bien davantage une fonction fiscale assignée à la bonne administration de la place qu’un usage pratique destiné aux clients peu enclins à s’orienter grâce à un tel dispositif. Elle reflète également une hiérarchisation entre les vendeurs : les points de vente les plus chers (de vingt à huit réaux) destinés aux produits les plus « nobles » se trouvent à la périphérie alors que les espaces centraux sont réservés aux Indiens, aux pauvres et au parcage des animaux (dindons).

27 L’organisation matérielle du marché venait ainsi refléter la hiérarchie et la qualité des vendeurs mais cette distribution apparaissait comme le double inversé du principe de séparation des deux Républiques (Indiens en périphérie, Espagnols au centre). Plus concrètement, il s’agissait de concentrer la vente de rue sur un espace réduit, ordonné et contrôlé, le but ultime étant de mettre un terme à certaines formes et pratiques contraires aux normes commerciales qu’imposait la ville des Lumières. Le règlement interdit par exemple la vente de plats préparés et le regrat (art. 9), la cession privée ou la sous-location des locaux (art. 7), soit la pratique de l’« arrimage » de vendeurs ambulants aux boutiques fixes dont nous avons vu qu’elle était la caractéristique principale du Baratillo.

28 Enfin, le règlement présente le marché du Volador comme un espace surveillé. Les articles 13 à 23 portent sur la police. Une nouvelle charge municipale, qui n’existait pas auparavant dans l’organigramme, est créée. Un Juge des Places est dorénavant élu chaque année par l’échevinage ; il est assisté d’un administrateur chargé de percevoir les patentes ainsi que de deux gardes. Les gardes, armés, salariés et en uniforme, doivent résider sur place, dans la guérite no 227 qui jouxte celle du Juge (art. 32). Non seulement ils veillent à la sécurité générale du marché, mais aussi à sa propreté et à son illumination. Ils patrouillent jour et nuit à tour de rôle, arrêtent les délinquants, ferment et ouvrent les grilles aux heures déterminées. Ils doivent enfin éviter les attroupements, les rumeurs, les insolences et les « excès de langage de la basse plèbe » (art. 19). Ce dernier point faisait-il spécifiquement référence aux cris de certains vendeurs qui n’hésitaient pas à verser dans des formules aussi drôles que scabreuses pour attirer le client ?

29 Le transfert du marché obligeait les autorités à repenser l’ensemble de la vente de rue à l’échelle de la ville toute entière. Au mois de juin 1791, Revillagigedo décida en effet d’affecter un nouveau marché sur la Plaza del Factor toute proche : cette dernière fut agrandie et des étals en bois furent construits. En mars 1792, il prit la décision d’ouvrir d’autres marchés sur d’autres places que nous avons localisées sur un plan (figure 6).

30 Les places de Santa Catarina, de Vizcaínas, de la Paja et de Loreto devinrent à leur tour l’objet de réaménagements guidés par les mêmes principes que ceux qui avaient régi la Place du Volador : repavées, équipées de boutiques en bois toutes fabriquées sur le même modèle et dotées d’une fontaine centrale.

31 À la lumière des documents consultés, le nouveau marché du Volador apparaissait comme une réussite : les vendeurs ambulants qui occupaient la Plaza Mayor avaient été chassés, le Baratillo et ses désordres éradiqués, la perception des loyers renforcée, tout comme le contrôle sur les denrées et les produits vendus. Désormais, l’ordre semblait régner sur un espace fermé, propre, sécurisé et bien quadrillé.

Figure 6

Les transformations de l’espace commercial de Mexico (1790-1793).

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Les transformations de l’espace commercial de Mexico (1790-1793).

Sources : AHDF, Actas de Cabildo, 8 juillet 1791 et 30 octobre 1791 ; Revillagigedo, Compendio de providencias de policía, op. cit., p. 30 ; AGN, Bandos, vol. 16, dossier 39.

32 Il convient néanmoins de nuancer cette vision irénique. Ces réaménagements avaient pris du temps et eurent un coût élevé pour la municipalité. Les travaux du marché du Volador s’étalèrent sur près de deux ans (décembre 1789-novembre 1791), et la fabrication des boutiques en bois avait coûté la bagatelle de 34 300 pesos. À cette dépense, il fallait ajouter le manque à gagner généré par la suppression des étals de la Plaza Mayor qui rapportaient alors plus de 10 000 pesos par an à la ville. Ce coût, dicté par une mesure autoritaire du vice-roi, sans négociation avec la Ville, fut au centre des griefs adressés au comte de Revillagigedo durant son jugement de fin de mandat [35]. En outre, ces boutiques montées sur roues et garnies de cuir à l’intérieur dans le but de les rendre ignifuges, n’avaient pas résisté aux affres du climat tropical. Un an après leur installation, sous l’effet conjugué du soleil et des averses, le bois de mauvaise qualité se fendit laissant passer la pluie. En juin 1792, alors que la saison des pluies commençait, les vendeuses du Volador envoyèrent une plainte à la municipalité : les fuites rendaient leurs locaux inutilisables ; des réparations durent être effectuées de toute urgence et les contrats de locations revus à la baisse.

33 Un autre point noir concerne précisément les baux. Prenons l’exemple des étals mobiles les moins chers, à quatre réaux par semaine, une somme que de nombreuses familles pauvres ne pouvaient se permettre de débourser à moins de répercuter ce coût sur une hausse du prix des comestibles et de provoquer une inflation générale des denrées. La cherté des loyers, conjuguée à la lenteur des travaux et au manque d’espace sur les marchés, entraîna une désorganisation complète des réseaux de vendeurs ambulants. Ces derniers s’installèrent sur les places aux marges de la ville, dans les rues à la périphérie de la traza ou encore dans les vestibules des maisons, sous les portes cochères des palais ou dans les cours intérieures des maisons de rapport.

34 Cette étude de cas sur les transformations du marché de Mexico au cours du XVIIIe siècle nous renseigne doublement sur l’historicité des dispositifs de repérage : d’abord sur les destinataires du système nouveau, ensuite sur des processus plus larges de mise en ordre des villes. L’instauration d’une numérotation des boutiques, l’alignement des échoppes de manière à créer des perspectives harmonieuses et le zonage de la vente selon la nature des produits ne résultaient pas à l’évidence d’une demande des habitants. Certes, il était sans doute plus « commode » pour le visiteur étranger de se retrouver au sein du nouveau marché du Volador que dans le dédale du vieux Baratillo, mais le désordre tant décrié du Baratillo ne semblait pas gêner les chalands habituels qui le fréquentèrent pendant plus d’un siècle. L’ordonnancement la place du Volador répondait avant tout à des exigences administratives, fiscales et bureaucratiques. Numéroter les boutiques était une manière d’obliger la municipalité à tenir une comptabilité claire, visible et donc vérifiable par les fonctionnaires de la Couronne. Il s’agissait autrement dit de faciliter la reddition des comptes.

35 Il y a ici non seulement des enjeux comptables, mais aussi en filigrane une partie de bras de fer entre, d’une part, les échevins qui revendiquaient leurs droits et leurs privilèges, notamment en matière fiscale et, d’autre part, les autorités royales – le vice-roi en tête, mais également le chef de la police, le corregidor et le surintendant des Communs – qui entendaient rationaliser les rentes de la ville au profit de la Couronne. Au travers du transfert du Baratillo de la Plaza Mayor vers la place du Volador, se jouait également la tentative de restauration de l’autorité royale dans les Indes occidentales : reprendre l’espace le plus central de la capitale de la Nouvelle-Espagne, rendre visible et magnifier sa souveraineté. Fait révélateur : une statue équestre du roi en bois – la première du genre en Amérique – fut érigée entre la cathédrale et le Parian en 1794 (figure 4) [36].

36 À un autre niveau, le marquage de l’espace urbain s’inscrivait dans un processus global de mise en ordre de l’espace urbain caractéristique des villes du siècle des Lumières [37]. La numérotation des boutiques faisait écho à la pose d’azulejos dans les espaces centraux qui elle-même accompagnait d’importants travaux d’aménagement (pavage, éclairage, alignement des façades...) ; ces opérations ne sont finalement pas dissociables des grandes réformes de police du dernier tiers du XVIIIe siècle dans l’ensemble du monde occidental, Europe et Amérique comprises. Les dispositifs de marquage qui se généralisent dans les grandes villes à cette période apparaissent comme les manifestations matérielles d’un processus large de sécurisation des espaces publics. Mutatis mutandis, nous retrouvons cette relation entre signes matériels homogènes de repérage et sécurisation au sein du principe de géoprévention développé par les urbanistes de l’École de Chicago [38]. Le Crime prevention through environment design entend prévenir les délits et les crimes en aménageant l’environnement grâce à un ensemble de dispositifs, certes plus sophistiqués qu’à Mexico au siècle des Lumières (éclairage, espaces verts, dégagement de la voirie, systèmes de repérage pour les touristes), mais de nature identique.

Notes

  • [1]
    « es la segunda cuadra mano izquierda pasando la primera esquina ». Signalons qu’il arrive régulièrement que l’on vous indique une fausse direction, refuser de répondre favorablement à une demande étant perçu au Mexique comme une forme d’impolitesse.
  • [2]
    Georges Perec définit l’« infra-ordinaire » comme un ensemble de petits signes matériels (poignée de porte, anfractuosités d’une façade, enseigne, trous dans la voirie, balcon en fer forgé) qui participent au quotidien des déplacements et dont la description constitue un ressort littéraire. Georges Pérec, L’Infra-ordinaire, Paris, Seuil, 1989.
  • [3]
    Si le terme de cuadra existe bel et bien en espagnol dès le XIIe siècle – il désigne alors une grande pièce d’une caserne, d’un hôpital ou d’une maison servant de réserve pour le bois –, il se pare d’une acception toute particulière dans l’Amérique espagnole et recouvre trois sens : une unité de croissance, une unité de répartition du sol et une unité de mesure. Cette notion se retrouve dès la fin du XVIe siècle dans les grandes ordonnances de fondation des cités des Indes de Philippe II. Pour en savoir plus voir l’article « Cuadra » d’Eduardo López Moreno dans Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin (sous la direction de), L’aventure des mots de la ville à travers le temps, les langues, les sociétés, Paris, Robert Laffont, 2010, p. 400-405.
  • [4]
    Sur la disparition du paysage lacustre, voir Alain Musset, L’eau dans la vallée de Mexico : enjeux techniques et culturels, Paris, de Boccard, 1991 .
  • [5]
    Bien que propre aux marchés orientaux, le terme de « bazar » a été privilégié dans le titre et préféré au terme de tianguis, historiquement plus exact, car le bazar traduit à la fois une place commerciale et une impression de désordre.
  • [6]
    Natalia Silva Prada, La política de una rebelión. Los indígenas frente al tumulto de 1692 en la Ciudad de México, México, El Colegio de México, 2007 ; Arnaud Exbalin, « Riot in Mexico City : a Challenge to the Colonial Order ? », Urban History, 43/2, 2016, p. 215-231, en ligne https://doi.org/ 10.1017/S0963926815000279
  • [7]
    Sur les échanges alimentaires et l’économie urbaine, voir Donatella Calabi, Il mercato e la città. Piazze, strade, architetture d’Europa in età moderna, Venise, Marsilio, 1993 ; Brigitte Marin, Catherine Virlouvet (sous la direction de), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003 ; Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002 ; Anne Montenach, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle. L’économie du quotidien, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2009. Sur l’histoire des polices urbaines, voir entre autres, Catherine Denys, Brigitte Marin, Vincent Milliot (sous la direction de), Réformer la police. Les mémoires policiers en Europe au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
  • [8]
    Annik Pardailhé-Galabrun a bien montré que l’essentiel des déplacements quotidiens des Parisiens se faisaient dans un rayon de 500 mètres. Annik Pardailhé-Galabrun, « Les déplacements des Parisiens dans la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles. Un essai de problématique », Histoire, économie et société, 1983, no 2, p. 205-253.
  • [9]
    Une seule étude aborde le fonctionnement du Baratillo mais, centrée sur la période 1559- 1763, elle ne s’intéresse pas à son transfert en 1791 vers la Plaza del Volador : Jorge Olvera Ramos, Los mercados de la Plaza Mayor en la Ciudad de México, México, Ediciones Cal y Arena / CEMCA, 2007.
  • [10]
    Hipólito Villarroel, Enfermedades políticas que padece la capital de esta Nueva España (1787), présenté par Beatriz Ruiz Gaytán, México, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, 1997, p. 58-60. Signalons qu’à Madrid, les marchés de bagatelles se nommaient également baratillos.
  • [11]
    Le marché de Tlatelolco, ville jumelle de Mexico, a tellement impressionné Hernan Cortés qu’il y consacre un long paragraphe dans la seconde lettre envoyée à l’empereur Charles Quint. Ces marchés de plein air étaient alors appelés tianguis. Ce terme est encore aujourd’hui usité par les habitants de Mexico.
  • [12]
    Cette disposition fut réactivée après l’émeute du 8 juin 1692.
  • [13]
    En Castille, la Plaza Mayor avait surtout une fonction festive et n’accueillait aucune autorité politique. Voir Thomas Calvo, « Le blanc manteau de l’urbanisation sur l’Amérique hispanique (1550-1600) », Perspectivas históricas, no 5-6, 2000, p. 12-62.
  • [14]
    Toutes les citations qui suivent ont été tirées des témoignages suivants : Carlos Sigϋenza y Góngora, Alboroto y motín de los Indios de México, dans W. Bryant (ed.), Seis obras, Bilbao, Grijalbo, 1984, p. 95-141 ; les instructions des vice-rois duc de Linares (1716) et second comte de Revillagigedo (1794) ont été publiées dans Ernesto de la Torre Villar (coord.), Instrucciones y Memorias de los virreyes novohispanos, México, Editorial Porrúa, vol. II, 1991, p. 775-776 et p. 1050 ; Francisco Sedano, Noticias de México desde el año de 1756, coordinadas, escritas de nuevo y puestas por órden alfabético en 1800, México, Edición de la Voz de México, imprimerie J. R. Barbedillo, 1880, p. 43-44 et le témoignage d’un juge de la cour criminelle de Mexico, Pedro Basave, recueilli dans Juicio de Residencia de Revillagigedo, México, Publicaciones del Archivo General de la Nación, t. XXII, 1933, p. 414-417.
  • [15]
    En castillan, comme en français, « se perdre » (perderse) recouvre une demi-douzaine d’acceptions différentes. Outre le sens commun de perdre son chemin, perderse renvoie plus largement à une perdition morale : « être contrarié par un accident, une passion, se livrer aux vices dans la plus grande liberté, souffrir un dommage physique ou spirituel, pourrir, ne plus être utile ». Diccionario de Autoridades de la lengua española, Madrid, Ed. Gredos, 1976 [1732].
  • [16]
    Le juge Pedro Basave va plus loin lorsqu’il écrit que l’abondance des gargotes « rendait les arrestations des délinquants très délicates [...] car ils entraient d’un côté et ressortaient de l’autre. Les jours de sentence publique, il était étonnant de voir comment les prostituées et les vagabonds se réunissaient sous les étals de nourriture et de pulque pour s’enivrer du matin au soir, à quoi s’ajoutait un nombre croissant de chiens attirés par le regrat et qui, tard dans la nuit, se jetaient avec férocité sur quiconque essayait de pénétrer dans l’amas des étals, de telle manière qu’il était impossible de s’y introduire, même pour les patrouilles [...] et, du coup, les malfaiteurs s’y sentaient en sécurité et se moquaient de la justice parce que les aboiements entraînaient leur fuite. Il était donc impossible d’attraper celui que l’on poursuivait », dans Juicio de Residencia de Revillagigedo, op. cit., p. 416.
  • [17]
    Par exemple, la description à laquelle se livre le juge Baltazar Ladrón de Guevara, chargé en 1782 d’opérer de nouvelles délimitations administratives dans les faubourgs de la capitale : « je me suis dirigé vers les quartiers composés pour la plupart de ruelles tortueuses, de constructions en ruine coincées entre canaux et fossés qui empêchent la circulation et de taudis en pisé ou en roseaux éparpillés en désordre », dans « Ordenanza de la división de la noble ciudad de México en cuarteles y creación de los alcaldes de ellos y reglas de su gobierno », Boletín del Archivo General de la Nación, t. X, janvier-mars 1969, p. 80.
  • [18]
    Sur le mot « plèbe », voir Serge Gruzinski, « Genèse des plèbes urbaines coloniales : Mexico aux XVIe et XVIIe siècles », Caravelle. Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, no 84, juin 2005 : Plèbes urbaines d’Amérique latine, p. 11-35.
  • [19]
    Anne Béroujon, « L’environnement visuel : la ville des signes, XVIe-XVIIIe siècle », dans Anne-Marie Granet et Stéphane Gal (sous la direction de), Les territoires du risque, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2015, p. 113-125.
  • [20]
    Pour Paris, voir Vincent Milliot, Les cris de Paris ou le Peuple travesti. Les représentations des petits métiers parisiens (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1995. Pour Mexico, Arnaud Exbalin, Marta de Alba et Georgina Rodríguez, « El ambulantaje en imágenes : una historia de representaciones de la venta callejera en la Ciudad de México. Siglos XVIII-XXI », Cybergeo, European Journal of Geography, en ligne en avril 2007, www.cybergeo.eu/index5591.html.
  • [21]
    Jorge Olvera Ramos, Los mercados de la Plaza Mayor, op. cit., p. 135-138.
  • [22]
    Sur la corruption des vice-rois, voir Pierre Ragon, Pouvoir et corruption aux Indes espagnoles. Le gouvernement du comte de Baños, vice-roi du Mexique, Paris, Belin, 2016.
  • [23]
    Les ordonnances de prohibition de 1689, 1692 et de 1696 avaient été en effet aussitôt détournées : les vendeurs s’étaient reportés dans les rues adjacentes puis avaient réinvesti la place, d’abord de manière discrète, en vendant sous le manteau, avant de réinvestir la Plaza Mayor de façon ostentatoire.
  • [24]
    Ce marché en dur apparaît en bas de la figure 2 où il est appelé Baratillo.
  • [25]
    Ces deux plans sont reproduits dans Sonia Lombardo de Ruiz (coord.), Atlas histórico de la Ciudad de México, México, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes / Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1996, vol. II, planches 231 et 232.
  • [26]
    Archivo Histórico de la Ciudad de México, Puestos de la Plaza Mayor, vol. 3618, dossier 12.
  • [27]
    Cette information est mentionnée dans le règlement du marché du Volador présenté ci-après.
  • [28]
    La Plaza del Volador, aujourd’hui disparue, se trouvait en face de l’université. Elle était également occupée d’étals semi-mobiles et de vendeurs ambulants et servait surtout à accueillir les vendeurs du Baratillo de la Plaza Mayor lors des grandes festivités et courses de taureaux. Sur le mandat de Revillagigedo, voir María Lourdes Díaz-Terchuelo Spínola, Concepción Pajarón Parody et Adolfo Rubio Gil, « Juan Vicente de Gϋemes Pacheco. Segundo Conde de Revillagigedo (1789- 1794) », dans José Antonio Quijano (dir.), Los virreyes de Nueva España en el reinado de Carlos III, Séville, Publicaciones de la Escuela de Estudios Hispano-Américanos de Sevilla, 1967, t. 1, p. 85- 366.
  • [29]
    Jean-Louis Harouel, L’embellissement des villes. L’urbanisme français au XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1993.
  • [30]
    Juan Vicente de Gϋemes Pacheco, Compendio de providencias de policía del segundo conde de Revillagigedo, présenté par Ignacio González Polo, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 1983. Il est significatif que ces réformes urbanistiques aient été valorisées par le vice-roi Revillagigedo lui-même en marquant l’espace public par la pose de plaques commémoratives : « Inscripciones colocadas durante el gobierno de Conde de Revillagigedo en la Nueva España (1794) », Archivo General de la Nación, Ayuntamiento, Historia en General, vol. 2254, dossier 25.
  • [31]
    Nous avons traité ces transformations urbanistiques dans Arnaud Exbalin, La bonne police de Mexico. Réformes, acteurs et pratiques de police dans une capitale des Indes occidentales au XVIIIe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, à paraître en 2019.
  • [32]
    La numérotation des édifices a été étudiée par Catherine Denys, Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 362-365 et Marco Cicchini, La police de la République. L’ordre public à Genève au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 299-308.
  • [33]
    Conde de Revillagigedo, « Reglamento para el mercado del Volador de 1791 », Boletín del Archivo General de la Nación, Mexico, no 4, 1935, p. 562-572. Le plan est reproduit dans Sonia Lombardo de Ruiz (coord.), Atlas histórico..., op. cit., vol. II, planche 241 .
  • [34]
    Conde de Revillagigedo, « Reglamento para el mercado del Volador », op. cit., Article 1 : « la Plaza del Volador dispuesta del modo más conveniente para la comodidad de compradores y vendedores, para el aseo y para el orden y facilidad de la cobranza de los puestos y numerados todos ». Traduction : « la Place du Volador est aménagée de la manière la plus adéquate pour la commodité des vendeurs et des acheteurs, pour la propreté et l’ordre et pour faciliter le recouvrement des étals qui sont tous numérotés ».
  • [35]
    Rappelons que chaque haut fonctionnaire des Indes était soumis à un juicio de residencia ; la procédure se faisait en deux temps : la « partie secrète » dirigée par les juges du Conseil des Indes et la « partie publique » formulée par tout individu qui s’estimait lésé par la mandature du haut fonctionnaire. Le procès intenté par la Ville de Mexico contre le vice-roi comporte 159 chefs d’accusation et s’étala sur près de dix ans (1795-1803).
  • [36]
    Cette statue, jugée de mauvaise facture, fut refaite en bronze par Manuel Tolsa en 1796 et placée sur un socle au centre de la place. Voir Clara Bargellini, « La lealtad americana : el significado de la estatua ecuestre de Carlos IV », dans Iconología y sociedad. Arte colonial hispanoamericano. XLIV Congreso Internacional de Americanistas, México, Universidad Nacional Autónoma de México, 1991 .
  • [37]
    Nous rejoignons ici les conclusions d’Anne Béroujon qui déclare que la réglementation et l’uniformisation des enseignes des boutiques à Lyon s’inscrivait « dans le triptyque ornement-commodité-sécurité » qui s’affirme au moment de faire de la ville un espace réglé et ordonné.
  • [38]
    Voir Felipe Hernando Sanz, « La seguridad en las ciudades : el nuevo enfoque de la geo-prevención », Scripta Nova. Revista Electrónica de Geografía y Ciencias Sociales, Universidad de Barcelona, vol. XII, no 270, mise en ligne en août 2008, www.ub.es/geocrit/sn/sn-270/sn-270- 14.htm.
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