Couverture de RHU_047

Article de revue

Bouchers et boucherie à Paris

Un monopole en sursis (1802-1858)

Pages 167 à 184

Notes

  • [*]
    Université Laval (Québec).
  • [1]
    Un historique de la réglementation sur la boucherie et une évaluation des variations du nombre des bouchers se trouvent dans de nombreux textes d’époque. Deux ouvrages en particulier les reprennent et les critiquent, ceux de L.-Charles Bizet et de Hubert Bourgin. Ces deux ouvrages sont cités dans la thèse de doctorat de Sylvain Leteux, soutenue à l’Université de Lille 3 en 2005, intitulée Libéralisme et corporatisme chez les bouchers parisiens (1776-1944). Sylvain Leteux a également publié un grand nombre d’articles sur des aspects particuliers du commerce de la boucherie parisienne et il est actuellement sans conteste le grand spécialiste de la question.
  • [2]
    Steven L. Kaplan La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001 , 740 p. et l’ouvrage collectif dirigé par Steven L. Kaplan et Philippe Ménard La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Belin, 2004.
  • [3]
    Ces ordonnances sont reproduites dans de nombreux documents, en particulier dans les Almanachs du commerce de la boucherie postérieurs à 1830.
  • [4]
    Nous avons attentivement analysé ces nombreuses commissions de divers organes du pouvoir (principalement en 1839, 1840, 1850, 1851 et 1853), On en trouve la référence et la description dans le chapitre 4 de la thèse de Sylvain Leteux.
  • [5]
    Ordonnance du Préfet de Police du 1er octobre 1855 qui maintient par ailleurs la limitation.
  • [6]
    Voir Chambre de commerce de Paris, Statistique de l’industrie de Paris résultant de l’enquête faite par la Chambre de commerce pour les années 1847-1848, Paris 1851 , p. 39.
  • [7]
    Assemblée Nationale, Enquête législative sur la production et la consommation de la viande de boucherie, ordonnée par les résolutions des 13 et 21 janvier 1851 . Paris, 1851 , Annexe, État no 1 . Plus près de nous, Reynald Abad présente une synthèse sur l’approvisionnement de Paris en bestiaux sous l’Ancien régime dans Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 202, p. 113 à 397.
  • [8]
    Assemblée Nationale, Enquête législative, op. cit., État no 2.
  • [9]
    Réalité difficile à chiffrer mais attestée par de multiples témoignages ; voir Le Moniteur, 10 juillet 1822 et AN, C1014, Enquête orale de la Commission de l’Assemblée Nationale, 1851 , séance du 3 avril 1851 .
  • [10]
    L’addition des droits rattachés à l’Octroi, à la Caisse de Poissy et aux abattoirs fournit une somme annuelle de près de dix millions de francs ; voir Résumé statistique des recettes et dépenses de la ville de Paris de 1841 à 1850 inclusivement, Paris, 1856, p. 2, 3, 6, 7, 8, 9. Et, pour la période antérieure, F. -L. Martin St-Léon, Résumé statistique des recettes et dépenses de la ville de Paris pendant une période de quarante-quatre ans de 1797 à 1840, Paris, 1843.
  • [11]
    AN, C1024, Mémoire présenté par la boucherie de Paris à la Commission créée en 1850 pour examiner toutes les questions relatives à ce commerce, p. 111 .
  • [12]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 34. Voir aussi Henry Boulay de la Meurthe, aîné, Rapport sur l’organisation du commerce de la Boucherie fait au Conseil Municipal de Paris dans sa séance du 13 août 1841 au nom d’une commission spéciale, p. 341 et 342 ; Mémoire du syndicat de la boucherie, 4 septembre 1830, cité par Joseph Barberet, Le travail en France. Monographies professionnelles, Paris, 1886, T. 1 , p. 330 ; Lepecq, Mémoire sur le commerce de la boucherie à Paris, Paris, 1838, p. 10 et 15.
  • [13]
    Boucherie de Paris, Note sur la boucherie de Paris, [Paris], 1851 , p. 6 (A.N. C1024).
  • [14]
    Ibidem, p. 4.
  • [15]
    Lepecq, Observations sur la boucherie de Paris, [Paris], octobre 1838, p. 8.
  • [16]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 10-11 . L’expression « chevillard » ou « boucher à la cheville » vient du fait que le boucher en gros, après avoir débité le bétail, en suspendait les morceaux à des chevilles pour les vendre aux bouchers n’allant pas sur les marchés. Voir sur le sujet une thèse de doctorat : Pierre Haddad, Les chevillards de la Villette. Naissance, vie et mort d’une corporation (1829-1974), Paris X, 1995, 784 p.
  • [17]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 6.
  • [18]
    Quelques-uns d’entre eux tels Ortillon, Riom, Hamont ont écrit en leur nom personnel.
  • [19]
    Sous l’Ancien Régime, les bouchers se sont aussi opposés avec succès pendant 300 ans à toutes les tentatives visant à interdire l’abattage des bestiaux au centre-ville ; voir Sydney Watts, « Boucherie et hygiène à Paris au XVIIIe siècle » Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2004/3, no 51-3, p. 79-103. L’opposition à la construction d’abattoirs et ses motifs sont exposés par Reynald Abad dans son article « Les tueries à Paris sous l’Ancien Régime ou pourquoi la capitale n’a pas été dotée d’abattoirs aux XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire, économie et société, 1998/17, no 4, surtout aux pages 667 à 675.
  • [20]
    Sylvain Leteux, « Les formes d’intervention des pouvoirs publics dans l’approvisionnement en bestiaux de Paris : la Caisse de Poissy de l’Ancien Régime au Second Empire », Cahiers d’économie et de sociologie rurales, 2005, no, 74, p 49-78.
  • [21]
    Le Conseil municipal de Paris est certes le groupe qui a persisté le plus longtemps dans son appui au syndicat de la boucherie. Le rapport de Boulay de la Meurthe préparé pour ce Conseil en 1841 défend la thèse des bouchers qui s’y réfèrent sans arrêt.
  • [22]
    En réponse à la position adoptée en 1841 par le Conseil municipal, le préfet de Police se prononce ouvertement le 22 avril 1842 contre le monopole ; voir Ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, Documents relatifs à la question de la boucherie. Deuxième lettre de la préfecture de Police du 22 avril 1842 sur la question de la révision des règlements de la boucherie, Paris, 1856, p.
  • [23]
    M. de Kergorlay, « De la consommation de la viande et de l’organisation du commerce de la boucherie dans Paris », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, t. XXVII, (1842), p. 98.
  • [24]
    Assemblée Nationale, Enquête législative, op. cit.. p. 2.
  • [25]
    Préfecture de Police, Documents fournis par M. le Préfet de Police au Conseil Municipal de Paris et à la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le commerce de la viande, Paris, juin 1851 , p. 42.
  • [26]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 172.
  • [27]
    Les journaux de toutes tendances politiques se sont impliqués dans ce débat.
  • [28]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 172.
  • [29]
    Voir le Constitutionnel, le Moniteur Universel, la Presse, le National, Le Siècle, le Journal des Débats, etc. Même les journaux plus spécialisés s’impliquent dans les discussions, tel le Journal des Économistes.
  • [30]
    Voir de Kergorlay, « De la consommation... », loc. cit., ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit. ; Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit. ; A. de Tourdonnet, Société d’écoulement des produits agricoles, 1ère partie, Réforme de la boucherie, Paris, 1851 ; Borelli de Serres, Notice sur le commerce de la boucherie de Paris, Paris, 1851 .
  • [31]
    Le chemin de fer a beaucoup transformé l’approvisionnement de la capitale en viande ; voir Sylvain Leteux, « L’impact des transports ferroviaires sur la filière de la viande et la consommation carnée à Paris (1850-1920) », Revue d’histoire des chemins de fer, 2010, no 41 , p. 189-203.
  • [32]
    Avec la prise de position du préfet de Police immédiatement après la décision du Conseil municipal de Paris en 1841 et la réponse de Kergorlay (dans les Annales d’hygiène publique) au rapport de Boulay de la Meurthe.
  • [33]
    Félix Ponteil, Les classes bourgeoises et l’avènement de la démocratie, Paris, 1968, p. 146 à 151.
  • [34]
    A de Tourdonnet, Société..., op. cit., p. 59 ; de Kergorlay, « De la consommation... », op. cit., p. 84 ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 18 et 28 (témoignages de M. Delestre, membre du Conseil municipal et de M. Lupin, éleveur), Ibidem, p. 18 (témoignage de M. Delestre).
  • [35]
    La taxation de la viande en 1855 résulte directement d’un tollé face à une hausse des prix en 1854.
  • [36]
    Boucherie de Paris, Note sur..., op. cit., p. 24.
  • [37]
    Préfecture de Police, Documents fournis, op. cit., p. 2.
  • [38]
    Citation de Husson ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 20.
  • [39]
    D’après le fichier des faillites des Archives de Paris, 126 faillites de bouchers sont survenues de 1826 à 1850, contre 24 seulement de 1810 à 1824. Quant aux mutations, M. Riant, du Conseil municipal de Paris, avance qu’il y en eut 1103 entre 1826 et 1850 (Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 39). M. Millot, spécialiste en statistique, soutient pour sa part qu’en 1824, la valeur moyenne des étals était de 40 000 francs alors qu’elle n’est plus en 1840 que de 10 000 francs (Henry Boulay de la Meurthe, Rapport..., op. cit., p. 316.). Ces derniers chiffres nous apparaissent contestables au vu des statistiques fournies lors de l’enquête législative de 1851 (Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit., Annexe, État no 20). Le syndic des bouchers lui-même évalue d’ailleurs la valeur moyenne des étals à 25 000 francs en 1851 (Question de la boucherie..., op. cit., p. 17). Quoi qu’il en soit, il y a accord général sur le fait qu’une dépréciation importante s’est effectuée pendant cette période.
  • [40]
    Voir respectivement Jean Vidalenc, « Une industrie alimentaire à Paris au XVIIIe siècle : la préparation et la vente des tripes et abats », Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile de France, Mémoires, t. I (1949), Paris 1952, passim, Lepecq, Observations..., op. cit., p. 14 et Henri. Bourgin, Essai..., op. cit., p. 86.
  • [41]
    À Sceaux et à Poissy, respectivement à 2 et 7 lieues de Paris.
  • [42]
    Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit., Annexe, État no 24. Le syndicat de la boucherie évalue cependant déjà ce nombre à environ 260 en 1839 (Motifs des propositions..., op. cit., p. 2). Il est probable que l’évaluation du syndicat ait été légèrement gonflée.
  • [43]
    Le syndic de la boucherie parle de cette « fureur [alors que] tout le monde voulait être boucher » (A.N. C1014, Enquête orale..., op. cit., séance du 10 mars 1851).
  • [44]
    On peut toutefois noter qu’avant la révolution, l’influence de l’abattage sur la division du travail se posait déjà ; voir la thèse de Sydney Watts, Meat Matters, Politics and Market Culture in Eighteenth Century Paris, N.Y., University of Rochester Press, 2006, 244 p.
  • [45]
    La progression du phénomène s’accentue au gré des nouveaux arrivants dans le commerce car, s’il faut en croire le syndic Lepecq, « [s]ur dix bouchers qui succèdent, on n’en compte souvent pas deux qui vont sur les marchés », (Lepecq, Observations..., op. cit., p. 7, en note.)
  • [46]
    Le syndicat confirme lui-même que cette pratique existait malgré l’article 4 de l’Ordonnance de 1829 qui interdisait aux bouchers de posséder plus d’un étal.
  • [47]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 20.
  • [48]
    Voir par exemple AN, C.1014, séance du 22 mars 1851 avec les éleveurs de bétail. Bien d’autres témoignages vont dans le même sens, en particulier lors des séances des 5 et 8 avril 1851 . Un boucher de banlieue parle du « cauchemar » qu’était la criée pour les bouchers de Paris qui « ont fait le serment de n’y pas venir pour la faire tomber ». A. de Tourdonnet donne aussi des exemples dans Société..., op. cit., p. 58-59.
  • [49]
    Les statistiques de l’enquête législative de 1851 sur les bouchers fréquentant les marchés font état de 37 bouchers en gros (une erreur de transcription a fait inscrire 27) et 36 en demi-gros (État no 24). Certains documents mentionnent environ dix grossistes qui disposeraient de capitaux largement supérieurs aux autres et qui vendraient également en gros en dehors des jours de marché, contrairement aux autres chevillards (Lepecq, Mémoire..., op. cit., p. 26 ; Motifs des propositions..., op. cit., p. 2.). Borelli de Serres affirme qu’une cinquantaine de bouchers achète les 4/5 des animaux sur pied (Notice sur le commerce..., op. cit., p. 20.).
  • [50]
    Henry Boulay de la Meurthe, Rapport..., op. cit., p. 316.
  • [51]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 39. Statistiques apportées par M. Riant, membre du Conseil municipal de Paris.
  • [52]
    AN, F11 1146.
  • [53]
    Extrait d’un mémoire de la boucherie de Paris en 1842, cité par A. de Tourdonnet, Société..., op. cit., p. 48.
  • [54]
    M. Riom, Boucherie de Paris. Observations sur le rapport de M. Boulay de la Meurthe, 1841 , p. 3. Treize signatures y apparaissent.
  • [55]
    Ibidem, p. 11 .
  • [56]
    Ibid., p. 6.
  • [57]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 57.
  • [58]
    Ibidem, p. 59.
  • [59]
    Question de la boucherie. À Messieurs les Membres..., op. cit., p. 10.
  • [60]
    AN, C 1014, Enquête orale..., op. cit., séance du 10 mars 1851 .
  • [61]
    M. Daniel, directeur de la Caisse de Poissy, déclarera lors de l’enquête orale de l’Assemblée Nationale que les bouchers des quartiers riches ne craignent pas la liberté car leurs clients se soucient davantage de la qualité de la viande que de son prix (séance du 1er mars 1851).
  • [62]
    Il signale dans son rapport de 1841 que cette question du commerce à la cheville a été la plus discutée. On sait par ailleurs que 17 réunions ont été nécessaires avant de parvenir à un consensus (Boucherie de Paris, Note sur..., op. cit., p. 7).
  • [63]
    Joseph Barberet, Le travail..., op. cit., p. 363 ; J.-R. de Massy, Des halles et marchés et du commerce des objets de consommation à Londres et à Paris, Paris, 1862, p. 228.

1 Le commerce de la boucherie constitue – avec la boulangerie – un cas d’exception dans la première partie du XIXe siècle en France. Étroitement encadrés depuis le Moyen-Âge, les bouchers avaient vu leur corporation et leurs privilèges, comme ceux de tous les autres métiers, abolis par la loi du 17 juin 1791 . Pour diverses raisons, une première intervention des autorités survint avec un arrêté en 1802 qui institua le syndicat des bouchers et les soumit à un cautionnement. Cette mesure contribua à réduire leur nombre d’autour de 580 en l’an X à environ 450 en 1810. Limité à 300 en 1811 , ce nombre ne baissa en réalité jamais au-dessous de 370, nombre maximal fixé en 1822 [1] .

2 Ce métier s’exerçait de fait dans une situation monopolistique, et tel était l’objectif poursuivi par les bouchers. Or le corporatisme, comme le démontre en particulier Steven L. Kaplan, a fait l’objet de critiques systématiques depuis le XVIIIe siècle et pendant la première moitié du XIXe siècle [2]. Dans un contexte où les principes du libéralisme économique s’imposaient de plus en plus de même qu’une valorisation à l’extrême du phénomène de la concurrence, on peut soupçonner que la défense des privilèges des bouchers ne sera pas facile. Les conditions particulières de la boucherie feront en effet l’objet d’une remise en cause quasi-permanente jusqu’à ce que soit proclamée la liberté de ce commerce à la fin des années 1850.

3 L’année 1825 marque un moment tournant dans le processus de dérégulation de ce commerce quand le gouvernement décide de dissoudre le syndicat et de permettre une hausse de 100 étaux par an jusqu’en 1828 où le commerce devait devenir totalement libre. Une ordonnance de 1829 rétablit cependant l’organe représentant les bouchers et fixe une limite de 400 bouchers, alors que 514 étaient déjà installés. Une autre ordonnance du préfet de Police de Paris complète celle de 1829 et organise en 1830 le fonctionnement de ce commerce jusque dans le moindre détail [3]. Jamais cependant le nombre des bouchers ne fut ramené au plafond légal de 400 et, entre 1830 et 1858, leur nombre est pour ainsi dire stable entre 496 et 501 .

4 Les revendications permanentes des bouchers pour l’application du seuil maximal fixé et les plaintes contre la cherté de la viande amènent, à partir de 1839 et surtout en 1841 et 1851 , de nombreuses commissions à examiner le problème [4]. Si en 1841 on conclut encore au maintien de la réglementation, le courant se renverse complètement en 1851 et amène une prise de position générale pour la liberté du commerce de la boucherie. Il faut dire aussi que de nombreuses mesures, surtout depuis 1848 (par exemple la vente quotidienne de viande sur les marchés publics en 1848, l’autorisation de la vente à la criée en 1849 et la création de la Boucherie centrale des hôpitaux en 1849), avaient progressivement grugé le monopole des bouchers. Après de multiples tergiversations, dont l’imposition en 1855 d’un prix maximum pour la viande [5], on finit par adopter définitivement le principe de la liberté de ce commerce, mais en 1858 seulement.

5 L’enjeu du monopole de la boucherie compte assurément parmi les problèmes les plus discutés dans cette première partie du XIXe siècle. Lois, décrets et ordonnances, débats dans les journaux, à l’Assemblée Nationale et dans divers forums agricoles, brochures multiples, enquêtes municipales, préfectorales et législatives pendant toute la période de réglementation (1802-1858) ont alimenté les discussions des Parisiens et laissé une documentation plus qu’abondante sur laquelle nous nous appuyons tout au long de cet article.

6 Son analyse revêt un intérêt historique majeur par la multitude des pistes de recherche qu’elle laisse entrevoir. On constate d’abord l’importance des intérêts financiers et sociaux impliqués dans le commerce de la viande au milieu du siècle. Ce commerce se situant alors au deuxième rang des industries parisiennes avec un chiffre d’affaires annuel de 74 895 342 francs, juste derrière les tailleurs [6], on conçoit facilement la vigueur de la lutte engagée entre le syndicat des bouchers qui veut conserver son monopole, les éleveurs de bestiaux qui cherchent à maximiser leurs profits et l’opinion qui réclame « la viande à bon marché ». Il devient en effet clair, surtout après la révolution de 1848, que l’élargissement de la consommation de la viande aux classes populaires est devenue un enjeu social important.

7 Le débat sur la boucherie met également en évidence l’interdépendance entre Paris et le reste de la France. Cinquante-six départements fournissent en effet, chaque année, leurs bestiaux à l’approvisionnement parisien [7] et chaque jour une centaine de bouchers des alentours de Paris introduisent dans la capitale des quantités importantes de viande abattue [8] ; dans l’autre direction, plusieurs milliers de Parisiens sortent consommer aux barrières la viande à bon marché (puisque non imposée) des guinguettes villageoises [9]. Ces mouvements contribuent, de toute évidence, à resserrer le tissu des relations entre Paris, sa proche banlieue et l’ensemble du territoire français.

8 Ces discussions constituent, de plus, un excellent lieu d’observation de l’attitude des autorités municipales. Celles-ci, tout en ayant pour mission d’assurer la salubrité publique et un approvisionnement régulier de Paris, se doivent de ménager les différents intérêts impliqués tout en préservant l’apport très lucratif de ce commerce aux finances de la ville [10]. Enfin, l’évolution du commerce de la boucherie apporte un éclairage intéressant sur les mécanismes de l’économie au XIXe siècle. Résidu des structures d’Ancien Régime, ce monopole s’oppose aux nouveaux principes économiques. Il permet aussi de mesurer la force du corporatisme, la tendance irréversible vers une forte concentration industrielle et une division du travail plus poussée.

9 On le voit donc, les polémiques autour des privilèges des bouchers parisiens nous introduisent au coeur même de questions socioéconomiques fondamentales au XIXe siècle. Nous nous sommes particulièrement intéressée dans le cadre de cet article à la perception des bouchers, de même qu’à celle des contemporains à l’égard de l’évolution du commerce de la boucherie. Leurs positions et les facteurs qui les expliquent permettent d’approfondir la question du monopole de la boucherie, tout en la rattachant à la perspective plus vaste que nous venons d’évoquer. C’est donc en cela que nous croyons apporter un complément à la thèse de Sylvain Leteux.

10 Parmi la multiplicité des intervenants – bouchers, éleveurs, autorités de divers niveaux, politiciens et journalistes qui s’affichent comme représentants du public – deux pôles opposés se dégagent, l’un pour et l’autre contre le monopole de la boucherie. En dépit des intérêts parfois importants derrière les différentes positions, chacun présente la sienne comme étant la seule objective.

11 Nous allons nous attarder dans un premier temps à l’argumentation de chaque groupe. Cette approche présente toutefois des perspectives fort subjectives et projette une vision quelque peu manichéenne de la situation. Nous tenterons donc dans une troisième partie de dégager la complexité du problème, de décortiquer les motivations réelles de chaque camp et de tracer quelques lignes de force qui influent sur l’évolution du commerce de la viande à Paris pendant cette période.

Des vertus de la limitation

12

« En tout commerce, ce qui fait le bon marché,
c’est la prospérité du commerçant. »[11]

13 Les tenants de la limitation du nombre des bouchers à Paris se rendent parfaitement compte que la cause qu’ils défendent va à l’encontre de l’abolition des privilèges décrétés par la Révolution et du principe largement accepté de la liberté du commerce. Aussi invoquent-ils avec conviction les motifs pour lesquelles ils réclament une exception.

14 Le premier réside dans la spécificité de la ville de Paris. Capitale dont la population importante entraîne une consommation trois à quatre fois supérieure à celle de toutes les autres grandes villes de France, Paris se situe à 50, 100 ou même 150 lieues des pays qui l’approvisionnent en bestiaux. Puisque, contrairement à Londres, la ville n’est pas entourée de pâturages permettant de constituer des réserves, il faut s’assurer par des mesures exceptionnelles que les arrivages soient suffisants et réguliers. En deuxième lieu, on doit prendre en compte que le commerce de la boucherie n’est comparable à aucun autre. D’abord il ne fournit pas un produit qu’il est possible de « manufacturer » au fur et à mesure des besoins. De plus, le boucher ne peut ni attendre le meilleur prix d’achat car il doit garder son étal garni en permanence, ni stocker pour vendre quand le marché est le plus favorable à cause du caractère éminemment périssable de la viande. Les lois de la concurrence ne peuvent donc pas lui être appliquées et « des règlements exceptionnels sont nécessaires à ce commerce tout exceptionnel lui-même » [12].

15 Le nombre limité des étals constitue également un gage de respect de la salubrité [13] car si la distribution des produits de la boucherie pouvait se faire librement, la multiplicité des points de vente rendrait impossible le travail des inspecteurs.

16 En plus d’assurer l’approvisionnement et la salubrité, le monopole entraîne aussi de meilleurs prix à la clientèle [14]. Pour convaincre les sceptiques, on tente alors de démontrer que les coûts fixes d’opération étant quasi invariables quelle que soit la taille de l’étal, un débit plus important permet de réduire le prix de vente.

17 L’invocation des bienfaits de la limitation ne va évidemment pas sans son corollaire, c’est-à-dire la description apocalyptique des horreurs qu’entraînerait la liberté du commerce. Incertitude de l’approvisionnement, menaces sérieuses pour la santé des travailleurs, hausse certaine des prix à court terme, constituent les conséquences sur lesquelles on insiste longuement [15].

18 L’argument historique vient aussi renforcer la démonstration avec le rappel des deux périodes – après 1791 et après 1825 – pendant lesquelles la liberté complète ou partielle a été proclamée. Chiffres à l’appui, on affirme que la consommation de viande a alors diminué, que la qualité des bœufs s’est dégradée, que la production s’est épuisée obligeant à un recours à l’importation de bestiaux et que la surveillance est devenue quasi impossible. De plus, la prolifération d’intervenants incapables d’acheter eux-mêmes leur bétail sur les marchés a fait émerger une classe de bouchers en gros dits « chevillards » [16] qui menace de créer un monopole, véritable cette fois, nuisible aux intérêts des consommateurs, des éleveurs et des bouchers eux-mêmes.

19 Il vaut donc mieux profiter des leçons du passé, car abolir la limitation risque d’entraîner les plus fâcheux inconvénients, surtout en période de crise. On évoque alors, et l’argument porte, le retour cyclique des émeutes ou révolutions à Paris et les conséquences d’un défaut d’approvisionnement sur la tranquillité du pays.

20 Au coeur même de la démonstration, on retrouve comme un leitmotiv l’argument de l’intérêt général : « L’avantage de notre cause, c’est qu’elle est la cause commune, et que nous ne pouvons défendre nos intérêts privés sans défendre en même temps l’intérêt général...» [17] Ce qui frappe au premier abord dans cette démonstration, c’est son aspect invariable. Des touts premiers documents, en 1802, jusqu’aux années 1850, le fond de l’argumentation demeure le même. Les quelques adaptations de ce discours répétitif sont dues aux circonstances – instauration de marchés quotidiens, de la vente à la criée – qui exigent parfois l’ajout ou le retrait d’un argument.

21 Le peu d’attention accordé au problème de la consommation constitue une autre caractéristique de ce discours qui semble se situer ainsi en marge d’une préoccupation devenue générale. On utilise l’argument de la baisse des prix, stimulatrice d’une plus grande consommation, mais à travers d’autres considérations qui souvent dominent. Les liens entre le monopole de la boucherie et l’élargissement de la consommation de viande apparaissent aux bouchers comme relativement marginaux. Pour répondre au besoin de hausser leur débit quotidien, les bouchers semblent compter plus sur la limitation des détaillants que sur l’augmentation de la consommation des clientèles populaires. Peut-être étaient-ils en cela réalistes sur le pouvoir d’achat des classes laborieuses ?

22 Parmi les partisans du monopole de la boucherie, il va de soi que se retrouvent au premier plan les bouchers individuellement [18] de même que leur syndicat. Leurs plaidoyers se sont succédés quasi sans répit pendant toute la période envisagée. Sous forme de brochures, mémoires, pétitions, lettres aux journaux, recours judiciaires ou témoignages devant différentes commissions, ils ont démontré une grande cohésion et la force de leur corporatisme. En effet, malgré des tensions internes que nous verrons en troisième partie, leur voix officielle, sauf sur quelques rares questions, s’est exprimée avec une unité indéfectible. Cette détermination n’est pas étrangère à leur succès à court et moyen termes.

23 Profondément hostiles aux révolutions, ils se sont montrés rébarbatifs à tous les changements proposés et réalisés au cours de la période analysée [19]. D’abord contre le cautionnement prévu par l’arrêté de 1802, puis contre le rétablissement de la Caisse de Poissy [20], la construction d’abattoirs publics et la création de marchés quotidiens ; ils se sont également fortement opposés à l’instauration de la vente à la criée en 1849. Promettant à chaque fois une apocalypse qui ne se matérialisa jamais, ils ont progressivement perdu une partie importante de leur crédibilité.

24 Dans les premières années du XIXe siècle se joignent à eux divers groupes et corps constitués : conseils agricoles, éleveurs, Chambre de commerce, Conseil municipal, Préfecture de Police et Préfecture de la Seine qui, malgré des fidélités variables, défendent dans l’ensemble la nécessité du monopole [21] . Cependant, au début des années 1840 s’opère un premier revirement significatif de la part du préfet de Police [22]. Celui-ci sera largement suivi si bien que les bouchers se retrouveront pour ainsi dire seuls au début des années 1850 à défendre le bien-fondé de la limitation. L’analyse des motifs de cette volte-face et l’argumentation des tenants de la liberté du commerce de la boucherie font l’objet de la partie qui suit.

Vive la concurrence !

25

« La concurrence est la seule puissance qui réalise le bon marché. »[23]

26 La plupart des écrits d’époque sur le sujet font état de l’influence de « l’opinion » sur l’évolution des positions. Un rapporteur de commission signale avoir accéléré les travaux à cause de « la juste impatience de la population de Paris et des producteurs » [24] ; l’administration municipale fait état des « exigences de l’opinion publique égarée » [25] et enfin, le syndicat des bouchers se plaint des « mots spécieux [avec lesquels] on a excité depuis six mois l’opinion » [26]. Il y a unanimité pour reconnaître le rôle majeur joué par les réclamations du public. Il ne fait d’ailleurs pas de doute que la presse constitue le moteur de cette véritable charge contre la boucherie de Paris [27]. Le syndicat souligne à juste titre l’importance « de cette devise à l’aide de laquelle on a fait une émeute de plumes : la viande à bon marché ! » [28].

27 Le temps fort de cette « émeute » se situe entre 1848 et 1852, période d’effervescence pendant laquelle les protestations de la presse contre les bouchers entraînent des mesures d’assouplissement du monopole ; ces mesures étant jugées insuffisantes par les journaux, on assiste à l’implication des hommes politiques et à l’instauration de multiples enquêtes, comités et commissions, évoqués précédemment. Comme le tout fait l’objet de commentaires nourris des journaux, la volonté de réforme en profondeur est entretenue et exerce sur les décideurs une pression lourdement ressentie. Même si cette campagne du milieu du siècle sera la plus importante quant à son ampleur et son efficacité, lors de chacune des périodes de modification de la législation, de hausse des prix ou encore de revendications des bouchers, les journaux se font l’écho de débats houleux, se rangeant très généralement contre le monopole des bouchers [29].

28 L’offensive journalistique repose alors sur des arguments percutants et dans l’ensemble sans nuance : le boucher est seul coupable du prix élevé de la viande ; les bouchers, riches et accapareurs réalisent des profits scandaleux sur le dos des pauvres consommateurs ; à preuve, quand le prix des bestiaux sur pied baisse ou lorsque les droits sont réduits, les prix à l’étal ne bougent pas. On n’hésite pas à faire des affirmations plus ou moins vérifiées. L’objectif est clair : on veut la viande à bon marché dans l’intérêt du consommateur. La solution préconisée est précise et unique : abolir le monopole, tout déréglementer et laisser faire le jeu de la concurrence, seul remède adéquat.

29 En somme il s’agit d’une analyse un peu simpliste des causes de la cherté et des moyens de la contrer. Elle utilise un langage sans ambiguïté et fait flèche de tout bois, d’une façon quelque peu démagogique. L’efficacité du procédé a néanmoins porté et obligé toutes les instances impliquées dans la production des viandes, la réglementation et l’organisation de leur commercialisation à se pencher sur la question.

30 Ces instances représentent la seconde catégorie d’opposants au monopole qui exprime, de façon générale, des positions plus subtiles [30]. Leur appartenance pour plusieurs aux milieux agricoles, scientifiques ou commerciaux – éleveurs, membres de conseils d’agriculture, inspecteurs de marchés – ou leur participation à des commissions d’enquête les obligeant à considérer tous les points de vue, leur fournissaient une information susceptible de nuancer leur pensée.

31 Leur analyse reflète cette compétence face aux problèmes soulevés. La cherté de la viande apparaît dès lors comme le résultat d’un ensemble de facteurs tels le prix de revient des éleveurs, la multiplicité des intermédiaires, les droits prélevés par la ville et les coûts fixes des bouchers. L’augmentation de la consommation et l’intérêt de l’acheteur font partie de leurs objectifs fondamentaux, mais ils considèrent également l’importance de l’approvisionnement, la qualité de la production et la salubrité publique. Le « bon marché » visé implique dès lors le respect d’un équilibre entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs.

32 Malgré ces nuances, les deux groupes s’accordent, au début des années 1850, pour recommander l’abolition du monopole. L’ensemble de l’argumentation réfute un à un les motifs invoqués par les tenants du monopole. S’appuyer sur la situation particulière de Paris pour réclamer une exception n’est plus de mise puisque la capitale de la France se trouve maintenant à quelques heures seulement, avec le chemin de fer, de ses principaux marchés d’approvisionnement [31] . Comme la liberté existe dans la plupart des villes d’Europe sans qu’y soit compromise la salubrité publique, il est également faux de prévoir une invasion de viandes impropres à la consommation advenant l’ouverture de la profession.

33 L’abolition de la limitation avait ses adeptes dès le début des années 1820. La pression des éleveurs, les avis conjugués de la Chambre de Commerce, du Conseil municipal de Paris et du Conseil d’État avaient entraîné en 1825 l’ordonnance proclamant l’illimitation du nombre des bouchers. Déçus des résultats, ces trois organismes et un grand nombre d’éleveurs se sont ensuite rangés derrière le syndicat et ce n’est que dans les années 1840 que les opposants au monopole s’organisent vraiment [32] pour l’emporter en 1851 .

34 La progression du nombre des insatisfaits de l’organisation de la boucherie s’explique par des facteurs de nature idéologique, mais surtout d’ordre structurel et conjoncturel, c’est-à-dire liés aux mouvements de l’économie et de la société.

35 Seule la crainte de graves perturbations savamment entretenue par une corporation puissante avait permis au commerce de la boucherie d’échapper à l’abolition des corporations au début du siècle. La cherté de la viande et la perception – fondée ou non – d’une baisse de la consommation remit vite en cause l’exception faite aux bouchers.

36 Au plan social également, l’évolution idéologique explique cet engouement nouveau pour un mieux-être des milieux populaires. Les réformateurs sociaux avaient, dès les années 1820, dénoncé la misère des classes laborieuses. Progressivement une partie de la bourgeoisie s’était à son tour apitoyée sur le sort de ces « misérables » et cette prise de conscience avait donné naissance à une forme de paternalisme patronal [33]. Bref, il était de bon ton, au tournant des années 1850, de se préoccuper de l’amélioration des conditions de vie du monde ouvrier. La volonté d’élargir la consommation de la viande aux plus démunis avait donc pris dans l’opinion et les médias une valeur symbolique mobilisatrice après la révolution de 1848.

37 Cette prise de position n’était pas totalement dénuée d’objectifs pragmatiques. Outre la crainte des émeutes, plusieurs interventions soulignent l’importance d’une bonne alimentation pour le rendement des travailleurs [34].

38 L’attachement à certaines valeurs, autant économiques que sociales n’est donc pas étranger à l’évolution de l’opinion face au monopole de la boucherie. D’autres éléments liés cette fois à la situation économique ou sociale ont également eu leur influence comme certains mouvements conjoncturels de hausse des prix [35] ou certains événements comme les révolutions, en particulier celle de 1848. Comme le déplore le syndic de la boucherie en 1851 , les positions se sont modifiées par « suite de ce goût d’innovation irréfléchi qui s’est introduit depuis trois ans dans les esprits » [36]. D’autres facteurs tels l’extension des transports ferroviaires et l’invention du télégraphe ont largement contribué à minimiser la crainte d’un mauvais approvisionnement, comme nous l’avons vu. De plus, l’habileté de l’administration qui en 1848 et 1849 avait instauré avec succès la vente à la criée et les marchés quotidiens avec une majorité de bouchers de la banlieue, avait largement contribué à démentir les conséquences catastrophiques prévues par le syndicat de la boucherie.

39 Il était devenu évident pour tous que l’abolition du monopole ne pouvait maintenant avoir que des effets bénéfiques pour les consommateurs. Même le Conseil municipal se range à l’idée qu’« il s’agirait de substituer un ordre de choses nouveau plus en harmonie avec les besoins et les institutions de notre époque » [37].

Le véritable problème de la boucherie

40

« La question de la boucherie a été, depuis plusieurs années, l’objet de travaux développés et consciencieux ; mais telle est sa
complication, qu’elle divise encore les meilleurs esprits. »[38]

41 Les défenseurs comme les pourfendeurs de la limitation du nombre des bouchers présentaient de part et d’autre leur analyse comme pertinente et leur solution comme la seule susceptible de donner satisfaction au consommateur. Il s’avère pourtant qu’aucune des deux parties n’est parvenue à soulever les véritables problèmes auxquels le commerce de la boucherie était confronté.

42 Il existe, de fait, un malaise profond au sein de cette branche de l’économie parisienne à partir du milieu des années 1820. On peut le constater par le nombre de faillites et de mutations qui surviennent entre 1826 et 1850, de même que par la dépréciation des fonds de commerce dont la valeur diminue considérablement pendant la même période [39].

43 Ce sont là des réalités que subissaient les bouchers et qui créaient chez eux une vive inquiétude, sinon même un sentiment de panique. Incapable de faire une analyse en profondeur des mécanismes économiques qui entraînaient une telle situation, le syndicat de la boucherie s’est trouvé une explication simple dans la non-application de l’ordonnance limitant le nombre des bouchers.

44 Nous croyons, tout comme Sylvain Leteux, que le problème majeur qui affecte alors le commerce de la boucherie est celui de la transformation complète qui s’opère dans la pratique du métier de boucher et dans les tensions intrinsèques qui s’en suivent. Une nouvelle division du travail et ses conséquences sur la concentration de toute une partie des opérations entre les mains d’une minorité, provoque en effet des inégalités importantes entre les individus. Aussi est-ce du côté des causes de cette nouvelle répartition du travail que nous devons chercher l’explication du malaise.

45 La division du travail n’en est pas à ses premières manifestations au sein du commerce de la boucherie au XIXe siècle. Dès le Moyen-Âge, une première spécialisation avait vu le jour avec la communauté des « chaircuitiers », alors limités à la vente des chairs cuites et des saucisses, puis, progressivement, ce sont les tripes et abats (XVIIe siècle), puis les filets et au cours du XIXe siècle la fonte du suif [40] qui se verront soustraits de l’activité des bouchers et constitués en industries indépendantes. Aucune de ces nouvelles spécialités ne remettait cependant en cause le fait que la plupart des bouchers contrôlaient l’ensemble d’un processus qui allait de l’achat du bétail jusqu’à la vente au détail en passant par l’abattage et l’habillage de l’animal.

46 Avec l’ouverture des cinq abattoirs publics en 1817 en périphérie de Paris et l’obligation de fermer tous les petits échaudoirs privés, on facilitait le développement de spécialités parmi les bouchers, certains achetant les bestiaux pour d’autres sur les marchés et les leur revendant après les avoir tués et préparés. Il va de soi que les nouveaux bouchers en gros ou chevillards se recrutaient parmi ceux qui avaient le débit le plus important, car ceux qui n’écoulaient qu’un ou deux bœufs par semaine n’étaient pas intéressés à perdre du temps aux marchés, situés de surcroît à l’extérieur de Paris [41] . Après l’Ordonnance de 1825 permettant l’établissement de nouveaux bouchers, le nombre de ceux n’achetant pas sur pied est passé d’environ 70 individus (infirmes, âgés ou veuves) qu’il était avant 1825 à plus de 262 en 1851 [42]. La plupart des nouvelles recrues venues à ce métier en croyant y faire fortune [43], mais sans préparation suffisante, se trouvaient en effet incapables d’acheter leurs bestiaux vivants. Ils eurent alors recours à l’utile chevillard qui a ainsi vu le nombre de ses pratiques se multiplier.

47 L’ouverture des abattoirs a certes constitué un élément fondamental du développement d’une industrie spécialisée dans la vente en gros. S’offraient alors en effet une infrastructure et de nouvelles facilités matérielles pour abattre en grande quantité [44]. En conséquence, malgré l’interdiction du commerce en gros, le processus de concentration de l’achat de la viande sur pied se trouvait enclenché de façon quasi irréversible [45] car ceux qui l’exerçaient accroissaient leurs bénéfices et leur pouvoir au détriment de leurs abonnés qui devenaient alors de simples « marchands de viande », appellation fort péjorative pour les bouchers. En plus de se sentir dévalorisé à l’intérieur de la profession, ce groupe tombait de plus en plus sous la dépendance des grossistes. Ces derniers en effet, en faisant crédit à leurs clients, se les attachaient de façon définitive et pouvaient par la suite leur faire payer intérêt à leur convenance, devenant d’ailleurs souvent propriétaires « de fait » de leur étal qui fonctionnait alors sous un prête-nom [46].

48 On pourra constater l’étendue de la sujétion du petit boucher envers le gros au moment où la ville de Paris autorise la vente à la criée en 1849. Concurrente directe des chevillards, cette vente fournissait aux bouchers de Paris 337 039 kilogrammes de viande dans les trois premiers mois de 1851 [47]. On imagine bien que les bouchers en gros n’allaient pas regarder leur commerce péricliter sans opposer une riposte ferme. De nombreux témoignages font en effet mention de pressions de toutes sortes exercées sur les bouchers pour les amener à abandonner la criée pourtant fort intéressante pour eux [48].

49 Ces témoignages illustrent bien le pouvoir de ces nouveaux maîtres du marché [49]. Ce sont en fait eux qui attirent les foudres du public et qui contribuent à propager l’opinion selon laquelle les bouchers sont riches. En fait, il y a chez les bouchers, comme dans les autres métiers, des riches et des pauvres. Les conditions d’exercice de leur commerce entraînent cependant vers le bas de l’échelle un nombre croissant d’entre eux, et c’est bien là ce qui les alarme. En 1841 , ils ont remis à la Commission municipale une liste de 215 bouchers qui, depuis huit à neuf ans, ont quitté la profession par suite de la détresse de leurs affaires. M. Louis Millot, spécialiste en matière de statistiques auquel recourt la Commission, cautionne cette affirmation en précisant que « trois cent soixante-dix-huit [mutations] ont eu lieu par suite de gêne, de discrédit, de misère, de faillite ou même de suicide » [50]. D’autres statistiques, fondées sur les mutations survenues entre 1826 et 1850, viennent confirmer les mêmes tendances [51] . Le corps des bouchers dans son ensemble est donc loin de la prospérité qu’on lui prête et il y a tout lieu de croire que l’exploitation que les chevillards exercent sur eux n’est pas étrangère à cette détérioration de leur situation collective.

50 Malgré une perception pourtant juste de l’importance de ce problème, le syndicat se refuse à y voir la source de ses maux qui demeure pour lui le trop grand nombre de bouchers. Et pourtant le nombre des étals dans Paris avant 1789 était, proportionnellement à la population, beaucoup plus important qu’en 1820, 1830 ou 1850 [52]. Le rapport entre le nombre des étals et la population n’est donc pas la cause de la misère des bouchers. Ceux-ci n’en persistent pas moins à considérer la limitation comme la panacée. La concentration leur apparaît comme une excroissance anormale et non comme la résultante logique d’un processus de spécialisation observable dans d’autres secteurs du commerce et de l’industrie de l’époque.

51 Il est significatif de constater que, dans tous les documents laissés par les bouchers et leur syndicat, cette question du commerce à la cheville, déterminante pour l’avenir de leur profession, soit la seule à propos de laquelle s’expriment des divergences profondes. C’est également le seul point sur lequel il n’y a pas de continuité dans l’argumentation du syndicat.

52 Devant l’accroissement de la concentration, le syndicat des bouchers s’affiche d’abord fermement dès 1838 en faveur des petits bouchers. Il affirmera même en 1842 que si on consulte « à cet égard le corps entier de la boucherie, on n’entendra qu’une voix pour proscrire le commerce à la cheville » [53]. Il voulait manifestement, par cette affirmation d’unanimité, ignorer la prise de position d’un certain nombre de bouchers non chevillards [54] qui s’étaient clairement opposés à la position syndicale contre le commerce en gros. En effet non seulement Riom avait-il, dans une de ses lettres, rendu hommage à « l’intelligence » et aux « capitaux » des chevillards [55], mais il avait, dans une autre lettre, blâmé sévèrement l’organe officiel de la boucherie pour n’avoir pas su défendre les intérêts des bouchers [56].

53 La mésentente à ce chapitre reflète bien les tensions vécues à l’intérieur du corps des bouchers. Le syndicat semble alors résolu à entreprendre une lutte à finir contre le commerce en gros. Aussi est-il étonnant de constater que dans son mémoire de 1850, sa position s’est radicalement transformée. La vente à la cheville est devenue « un perfectionnement introduit dans la boucherie, à laquelle il assure tous les avantages dus à la division du travail, si préconisée par les nouveaux économistes » [57]. Pour expliquer ce revirement spectaculaire, il invoquera le geste de l’administration qui, avec la criée, a elle-même instauré un marché à la cheville. Son argumentation à cet égard est cependant confuse, parfois contradictoire. Même s’il conclut ce chapitre en disant qu’il n’entend pas plus défendre le commerce à la cheville dans le passé que dans le présent » [58], il n’en continuera pas moins à le soutenir, notamment dans son deuxième mémoire de 1851 , où ce commerce apparaît « plus dans l’intérêt des petits détaillants que dans celui des gros vendeurs » [59]. On y fait l’éloge du « capital qui secourt ceux qui n’ont pas de capitaux » pour conclure que « c’est l’échelonnement habituel de tous les commerces ».

54 Deux hypothèses semblent plausibles pour expliquer la volte-face du syndicat. La première voudrait que les chevillards aient noyauté l’organisation officielle de la boucherie devant le danger que représentait pour eux la criée. La preuve n’est toutefois pas facile à établir. Un seul nom, celui de Hersant, se retrouve à la fois parmi les signataires opposants de 1841 et parmi les syndics adjoints de 1851 . La seconde hypothèse nous semble plus probable. La plupart des bouchers se seraient réconciliés avec l’idée d’une boucherie en gros devant l’irréversibilité du phénomène. Le témoignage du syndic Lescuyot à l’enquête orale menée en 1851 par la Commission de l’Assemblée Nationale, accrédite cette possibilité. Tout en constatant qu’il serait souhaitable que tous les bouchers aillent au marché, il dit acheter lui-même « depuis peu » à la cheville. Son père allait au marché, lui-même y allait aussi jusqu’à ce qu’il se convainque qu’il se ruinait [60]. Les bouchers n’achetant pas eux-mêmes leurs bestiaux étaient d’ailleurs devenus majoritaires en 1851 .

55 Il n’est cependant pas exclu que les deux hypothèses puissent se combiner pour expliquer la nouvelle position de la boucherie officielle.

56 Il ne faut pas s’étonner de l’analyse partielle que les bouchers font de leur situation. Le métier un peu particulier qu’ils exercent n’en faisait pas des spécialistes des mécanismes de l’économie. Généralement assez peu scolarisés, ils appartenaient à un monde relativement clos, dans lequel les savoirs se transmettaient de père en fils. De mémoire d’homme on avait ainsi, de génération en génération, toujours bien vécu de cette profession jusque dans les années 1820. Lorsque les différenciations sociales ont commencé à s’accentuer et que se sont multipliées les faillites ou la dépendance d’une proportion importante des leurs, les bouchers ont tout naturellement recherché dans leur fonctionnement passé la clé d’un avenir meilleur. Ils ont systématiquement repris une argumentation mise au point avec succès dès le début du XIXe siècle.

57 L’âge d’or s’est rapidement confondu pour eux avec les vingt premières années du siècle, alors que le nombre restreint des bouchers et une population en forte croissance amenaient une relative aisance de l’ensemble des membres de la corporation. Se cramponnant à un passé idéalisé, ils se replient sur des solutions non seulement inefficaces, mais devenues incompatibles avec le nouveau contexte économique. Une partie d’entre eux, les bouchers en gros, mais aussi les quelques 160 bouchers réguliers (c’est-à-dire ceux qui allaient sur les marchés acheter pour eux-mêmes) regardaient avec indifférence le problème de la limitation. Les premiers vivaient la période de transition du côté des plus forts, donc sans douleur, alors que les seconds profitaient en même temps sur les marchés des bas prix négociés par les chevillards et, lors de la revente au détail, des prix élevés que les petits détaillants se voyaient obligés d’imposer. Comme au surplus bon nombre d’entre eux approvisionnaient les quartiers riches avec les « morceaux de luxe » et que leur débit était important, ils ne craignaient pas la concurrence [61] . Même si leur position est connue, ils ne se mêlent pas ouvertement au débat et laissent le syndicat mener son combat d’arrière-garde.

58 Si le syndicat de la boucherie posait un diagnostic peu perspicace sur l’évolution du commerce qu’il représentait, l’analyse de plusieurs observateurs ou spécialistes extérieurs qui se sont penchés sur cette question ne s’est pas avérée plus juste. Plusieurs voyaient l’ouverture de la profession comme la solution à tous les problèmes ; d’autres, plus fins, se rendaient compte que le monopole n’existait plus en fait depuis 1848-1849. Ils ont cependant réagi comme les bouchers en réclamant l’interdiction de la cheville. Boulay de la Meurthe le fait en 1841 [62], De Tourdonnet également, en 1851 . Certains autres enfin, tels le préfet de Police ou la Commission de l’Assemblée nationale, se révéleront de meilleurs analystes et soutiendront qu’il ne faut pas s’attendre du jour au lendemain à ce que les éleveurs obtiennent un prix élevé pour leurs bestiaux et les consommateurs un plus bas prix. Ils précisent cependant que la disparition de toute réglementation de ce commerce devrait faire naître une nouvelle situation avantageuse tant pour l’agriculteur que pour le commerçant ou le consommateur. Ils ont cru qu’en libérant ce commerce, un nouvel équilibre surviendrait de lui-même qui serait plus en accord avec le système économique de l’époque. L’avenir devait leur donner raison.

59 La sérénité ne reviendra au sein de la profession que plus tard, après la liberté du commerce et la dissolution du Syndicat des bouchers décrétées en 1858. La phase de transition vers une nouvelle organisation interne de ce commerce sera alors complétée. Le processus de division du travail consacrant l’existence d’une boucherie en gros et d’une boucherie de détail se continuera dans la seconde partie du XIXe siècle, mais dès 1873, une chambre syndicale des bouchers en gros et commissionnaires en bestiaux s’est constituée parallèlement à une nouvelle Chambre syndicale de la boucherie de Paris fondée en 1868 qui deviendra la représentante (patronale) de la boucherie de détail. L’existence de deux professions parallèles avec des vocations différentes sera alors acceptée et les relations entre les deux se trouveront normalisées [63].

60 Le commerce de la boucherie au XIXe siècle montre l’inadaptation d’une structure de réglementation demeurée celle d’Ancien Régime dans le contexte d’une structure économique qui, de son côté, s’adapte au capitalisme industriel et commercial.


Date de mise en ligne : 01/03/2017

https://doi.org/10.3917/rhu.047.0167

Notes

  • [*]
    Université Laval (Québec).
  • [1]
    Un historique de la réglementation sur la boucherie et une évaluation des variations du nombre des bouchers se trouvent dans de nombreux textes d’époque. Deux ouvrages en particulier les reprennent et les critiquent, ceux de L.-Charles Bizet et de Hubert Bourgin. Ces deux ouvrages sont cités dans la thèse de doctorat de Sylvain Leteux, soutenue à l’Université de Lille 3 en 2005, intitulée Libéralisme et corporatisme chez les bouchers parisiens (1776-1944). Sylvain Leteux a également publié un grand nombre d’articles sur des aspects particuliers du commerce de la boucherie parisienne et il est actuellement sans conteste le grand spécialiste de la question.
  • [2]
    Steven L. Kaplan La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001 , 740 p. et l’ouvrage collectif dirigé par Steven L. Kaplan et Philippe Ménard La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Belin, 2004.
  • [3]
    Ces ordonnances sont reproduites dans de nombreux documents, en particulier dans les Almanachs du commerce de la boucherie postérieurs à 1830.
  • [4]
    Nous avons attentivement analysé ces nombreuses commissions de divers organes du pouvoir (principalement en 1839, 1840, 1850, 1851 et 1853), On en trouve la référence et la description dans le chapitre 4 de la thèse de Sylvain Leteux.
  • [5]
    Ordonnance du Préfet de Police du 1er octobre 1855 qui maintient par ailleurs la limitation.
  • [6]
    Voir Chambre de commerce de Paris, Statistique de l’industrie de Paris résultant de l’enquête faite par la Chambre de commerce pour les années 1847-1848, Paris 1851 , p. 39.
  • [7]
    Assemblée Nationale, Enquête législative sur la production et la consommation de la viande de boucherie, ordonnée par les résolutions des 13 et 21 janvier 1851 . Paris, 1851 , Annexe, État no 1 . Plus près de nous, Reynald Abad présente une synthèse sur l’approvisionnement de Paris en bestiaux sous l’Ancien régime dans Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 202, p. 113 à 397.
  • [8]
    Assemblée Nationale, Enquête législative, op. cit., État no 2.
  • [9]
    Réalité difficile à chiffrer mais attestée par de multiples témoignages ; voir Le Moniteur, 10 juillet 1822 et AN, C1014, Enquête orale de la Commission de l’Assemblée Nationale, 1851 , séance du 3 avril 1851 .
  • [10]
    L’addition des droits rattachés à l’Octroi, à la Caisse de Poissy et aux abattoirs fournit une somme annuelle de près de dix millions de francs ; voir Résumé statistique des recettes et dépenses de la ville de Paris de 1841 à 1850 inclusivement, Paris, 1856, p. 2, 3, 6, 7, 8, 9. Et, pour la période antérieure, F. -L. Martin St-Léon, Résumé statistique des recettes et dépenses de la ville de Paris pendant une période de quarante-quatre ans de 1797 à 1840, Paris, 1843.
  • [11]
    AN, C1024, Mémoire présenté par la boucherie de Paris à la Commission créée en 1850 pour examiner toutes les questions relatives à ce commerce, p. 111 .
  • [12]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 34. Voir aussi Henry Boulay de la Meurthe, aîné, Rapport sur l’organisation du commerce de la Boucherie fait au Conseil Municipal de Paris dans sa séance du 13 août 1841 au nom d’une commission spéciale, p. 341 et 342 ; Mémoire du syndicat de la boucherie, 4 septembre 1830, cité par Joseph Barberet, Le travail en France. Monographies professionnelles, Paris, 1886, T. 1 , p. 330 ; Lepecq, Mémoire sur le commerce de la boucherie à Paris, Paris, 1838, p. 10 et 15.
  • [13]
    Boucherie de Paris, Note sur la boucherie de Paris, [Paris], 1851 , p. 6 (A.N. C1024).
  • [14]
    Ibidem, p. 4.
  • [15]
    Lepecq, Observations sur la boucherie de Paris, [Paris], octobre 1838, p. 8.
  • [16]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 10-11 . L’expression « chevillard » ou « boucher à la cheville » vient du fait que le boucher en gros, après avoir débité le bétail, en suspendait les morceaux à des chevilles pour les vendre aux bouchers n’allant pas sur les marchés. Voir sur le sujet une thèse de doctorat : Pierre Haddad, Les chevillards de la Villette. Naissance, vie et mort d’une corporation (1829-1974), Paris X, 1995, 784 p.
  • [17]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 6.
  • [18]
    Quelques-uns d’entre eux tels Ortillon, Riom, Hamont ont écrit en leur nom personnel.
  • [19]
    Sous l’Ancien Régime, les bouchers se sont aussi opposés avec succès pendant 300 ans à toutes les tentatives visant à interdire l’abattage des bestiaux au centre-ville ; voir Sydney Watts, « Boucherie et hygiène à Paris au XVIIIe siècle » Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2004/3, no 51-3, p. 79-103. L’opposition à la construction d’abattoirs et ses motifs sont exposés par Reynald Abad dans son article « Les tueries à Paris sous l’Ancien Régime ou pourquoi la capitale n’a pas été dotée d’abattoirs aux XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire, économie et société, 1998/17, no 4, surtout aux pages 667 à 675.
  • [20]
    Sylvain Leteux, « Les formes d’intervention des pouvoirs publics dans l’approvisionnement en bestiaux de Paris : la Caisse de Poissy de l’Ancien Régime au Second Empire », Cahiers d’économie et de sociologie rurales, 2005, no, 74, p 49-78.
  • [21]
    Le Conseil municipal de Paris est certes le groupe qui a persisté le plus longtemps dans son appui au syndicat de la boucherie. Le rapport de Boulay de la Meurthe préparé pour ce Conseil en 1841 défend la thèse des bouchers qui s’y réfèrent sans arrêt.
  • [22]
    En réponse à la position adoptée en 1841 par le Conseil municipal, le préfet de Police se prononce ouvertement le 22 avril 1842 contre le monopole ; voir Ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, Documents relatifs à la question de la boucherie. Deuxième lettre de la préfecture de Police du 22 avril 1842 sur la question de la révision des règlements de la boucherie, Paris, 1856, p.
  • [23]
    M. de Kergorlay, « De la consommation de la viande et de l’organisation du commerce de la boucherie dans Paris », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, t. XXVII, (1842), p. 98.
  • [24]
    Assemblée Nationale, Enquête législative, op. cit.. p. 2.
  • [25]
    Préfecture de Police, Documents fournis par M. le Préfet de Police au Conseil Municipal de Paris et à la Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le commerce de la viande, Paris, juin 1851 , p. 42.
  • [26]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 172.
  • [27]
    Les journaux de toutes tendances politiques se sont impliqués dans ce débat.
  • [28]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 172.
  • [29]
    Voir le Constitutionnel, le Moniteur Universel, la Presse, le National, Le Siècle, le Journal des Débats, etc. Même les journaux plus spécialisés s’impliquent dans les discussions, tel le Journal des Économistes.
  • [30]
    Voir de Kergorlay, « De la consommation... », loc. cit., ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit. ; Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit. ; A. de Tourdonnet, Société d’écoulement des produits agricoles, 1ère partie, Réforme de la boucherie, Paris, 1851 ; Borelli de Serres, Notice sur le commerce de la boucherie de Paris, Paris, 1851 .
  • [31]
    Le chemin de fer a beaucoup transformé l’approvisionnement de la capitale en viande ; voir Sylvain Leteux, « L’impact des transports ferroviaires sur la filière de la viande et la consommation carnée à Paris (1850-1920) », Revue d’histoire des chemins de fer, 2010, no 41 , p. 189-203.
  • [32]
    Avec la prise de position du préfet de Police immédiatement après la décision du Conseil municipal de Paris en 1841 et la réponse de Kergorlay (dans les Annales d’hygiène publique) au rapport de Boulay de la Meurthe.
  • [33]
    Félix Ponteil, Les classes bourgeoises et l’avènement de la démocratie, Paris, 1968, p. 146 à 151.
  • [34]
    A de Tourdonnet, Société..., op. cit., p. 59 ; de Kergorlay, « De la consommation... », op. cit., p. 84 ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 18 et 28 (témoignages de M. Delestre, membre du Conseil municipal et de M. Lupin, éleveur), Ibidem, p. 18 (témoignage de M. Delestre).
  • [35]
    La taxation de la viande en 1855 résulte directement d’un tollé face à une hausse des prix en 1854.
  • [36]
    Boucherie de Paris, Note sur..., op. cit., p. 24.
  • [37]
    Préfecture de Police, Documents fournis, op. cit., p. 2.
  • [38]
    Citation de Husson ; Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 20.
  • [39]
    D’après le fichier des faillites des Archives de Paris, 126 faillites de bouchers sont survenues de 1826 à 1850, contre 24 seulement de 1810 à 1824. Quant aux mutations, M. Riant, du Conseil municipal de Paris, avance qu’il y en eut 1103 entre 1826 et 1850 (Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 39). M. Millot, spécialiste en statistique, soutient pour sa part qu’en 1824, la valeur moyenne des étals était de 40 000 francs alors qu’elle n’est plus en 1840 que de 10 000 francs (Henry Boulay de la Meurthe, Rapport..., op. cit., p. 316.). Ces derniers chiffres nous apparaissent contestables au vu des statistiques fournies lors de l’enquête législative de 1851 (Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit., Annexe, État no 20). Le syndic des bouchers lui-même évalue d’ailleurs la valeur moyenne des étals à 25 000 francs en 1851 (Question de la boucherie..., op. cit., p. 17). Quoi qu’il en soit, il y a accord général sur le fait qu’une dépréciation importante s’est effectuée pendant cette période.
  • [40]
    Voir respectivement Jean Vidalenc, « Une industrie alimentaire à Paris au XVIIIe siècle : la préparation et la vente des tripes et abats », Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile de France, Mémoires, t. I (1949), Paris 1952, passim, Lepecq, Observations..., op. cit., p. 14 et Henri. Bourgin, Essai..., op. cit., p. 86.
  • [41]
    À Sceaux et à Poissy, respectivement à 2 et 7 lieues de Paris.
  • [42]
    Assemblée Nationale, Enquête législative..., op. cit., Annexe, État no 24. Le syndicat de la boucherie évalue cependant déjà ce nombre à environ 260 en 1839 (Motifs des propositions..., op. cit., p. 2). Il est probable que l’évaluation du syndicat ait été légèrement gonflée.
  • [43]
    Le syndic de la boucherie parle de cette « fureur [alors que] tout le monde voulait être boucher » (A.N. C1014, Enquête orale..., op. cit., séance du 10 mars 1851).
  • [44]
    On peut toutefois noter qu’avant la révolution, l’influence de l’abattage sur la division du travail se posait déjà ; voir la thèse de Sydney Watts, Meat Matters, Politics and Market Culture in Eighteenth Century Paris, N.Y., University of Rochester Press, 2006, 244 p.
  • [45]
    La progression du phénomène s’accentue au gré des nouveaux arrivants dans le commerce car, s’il faut en croire le syndic Lepecq, « [s]ur dix bouchers qui succèdent, on n’en compte souvent pas deux qui vont sur les marchés », (Lepecq, Observations..., op. cit., p. 7, en note.)
  • [46]
    Le syndicat confirme lui-même que cette pratique existait malgré l’article 4 de l’Ordonnance de 1829 qui interdisait aux bouchers de posséder plus d’un étal.
  • [47]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 20.
  • [48]
    Voir par exemple AN, C.1014, séance du 22 mars 1851 avec les éleveurs de bétail. Bien d’autres témoignages vont dans le même sens, en particulier lors des séances des 5 et 8 avril 1851 . Un boucher de banlieue parle du « cauchemar » qu’était la criée pour les bouchers de Paris qui « ont fait le serment de n’y pas venir pour la faire tomber ». A. de Tourdonnet donne aussi des exemples dans Société..., op. cit., p. 58-59.
  • [49]
    Les statistiques de l’enquête législative de 1851 sur les bouchers fréquentant les marchés font état de 37 bouchers en gros (une erreur de transcription a fait inscrire 27) et 36 en demi-gros (État no 24). Certains documents mentionnent environ dix grossistes qui disposeraient de capitaux largement supérieurs aux autres et qui vendraient également en gros en dehors des jours de marché, contrairement aux autres chevillards (Lepecq, Mémoire..., op. cit., p. 26 ; Motifs des propositions..., op. cit., p. 2.). Borelli de Serres affirme qu’une cinquantaine de bouchers achète les 4/5 des animaux sur pied (Notice sur le commerce..., op. cit., p. 20.).
  • [50]
    Henry Boulay de la Meurthe, Rapport..., op. cit., p. 316.
  • [51]
    Préfecture de Police, Documents fournis..., op. cit., p. 39. Statistiques apportées par M. Riant, membre du Conseil municipal de Paris.
  • [52]
    AN, F11 1146.
  • [53]
    Extrait d’un mémoire de la boucherie de Paris en 1842, cité par A. de Tourdonnet, Société..., op. cit., p. 48.
  • [54]
    M. Riom, Boucherie de Paris. Observations sur le rapport de M. Boulay de la Meurthe, 1841 , p. 3. Treize signatures y apparaissent.
  • [55]
    Ibidem, p. 11 .
  • [56]
    Ibid., p. 6.
  • [57]
    Mémoire présenté..., op. cit., p. 57.
  • [58]
    Ibidem, p. 59.
  • [59]
    Question de la boucherie. À Messieurs les Membres..., op. cit., p. 10.
  • [60]
    AN, C 1014, Enquête orale..., op. cit., séance du 10 mars 1851 .
  • [61]
    M. Daniel, directeur de la Caisse de Poissy, déclarera lors de l’enquête orale de l’Assemblée Nationale que les bouchers des quartiers riches ne craignent pas la liberté car leurs clients se soucient davantage de la qualité de la viande que de son prix (séance du 1er mars 1851).
  • [62]
    Il signale dans son rapport de 1841 que cette question du commerce à la cheville a été la plus discutée. On sait par ailleurs que 17 réunions ont été nécessaires avant de parvenir à un consensus (Boucherie de Paris, Note sur..., op. cit., p. 7).
  • [63]
    Joseph Barberet, Le travail..., op. cit., p. 363 ; J.-R. de Massy, Des halles et marchés et du commerce des objets de consommation à Londres et à Paris, Paris, 1862, p. 228.

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