Couverture de RHU_032

Article de revue

Citoyenneté et fait minoritaire dans la ville médiévale

Étude comparée des juifs de Marseille, de Catalogne et de Majorque au bas Moyen Âge

Pages 73 à 100

Notes

  • [*]
    Claude Denjean est maître de conférences, habilitée à diriger des recherches, d’histoire médiévale à l’Université de Toulouse-Le Mirail et membre du FRAMESPA JACOV.
  • [**]
    Juliette Sibon est maître de conférences d’histoire médiévale à l’Université d’Albi et membre de l’équipe JACOV au sein du FRAMESPA, Université Toulouse-Le Mirail.
  • [1]
    Cet article rend compte de la réflexion suscitée par la question posée par Juliette Sibon, organisatrice de la session Le citoyen juif dans la ville médiévale au 10e colloque de l’Association Européenne d’Histoire Urbaine qui s’est tenu à Gand du 1er au 4 septembre 2010.
  • [2]
    Bulle Sicut Iudaeis de 1123, Latran III en 1179 et Latran IV en 1215.
  • [3]
    Rosa Aznar Costa, Guillermo Redondo Veintimillas, Esteban Sarasa Sánchez, Max Gorosh, Los fueros de Teruel y Albarracín : tiempo de derecho foral en el sur aragonés, Zaragoza, El Justicia de Aragón, 2007, 2 vol ; José Castañe, El Fuero de Teruel, Edición crítica con introducción y traducción, Teruel, Ayuntamiento de Teruel, 1989 ; Ana María Barrero García, El Fuero de Teruel. Su historia, proceso de formación y reconstrucción crítica de sus fuentes, Madrid, Agesa, 1979 ; Jaime Caruana Gómez de Barreda, El Fuero latino de Teruel, Teruel, Instituto de Estudios Turolenses, 1974.
  • [4]
    Ytzak Fritz Baer, A History of the Jews in Christian Spain, Philadephia-Jerusalem, The Jewish Publication Society of America, 1992, p. 85.
  • [5]
    Béatrice Leroy, Les Juifs dans l’Espagne chrétienne avant 1492, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [6]
    Par exemple, dans le royaume de France, William Chester Jordan, The French Monarchy and the Jews : from Philip August to the last Capetians, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989.
  • [7]
    Henri Bresc, Arabes de langue, juifs de religion. L’évolution du judaïsme sicilien dans l’environnement latin, XIIe-XVe siècles, Paris, Bouchène, 2001 , p. 109-111 .
  • [8]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille au Moyen Âge », Revue des Études Juives, n46, 1903, p. 1-47 et p. 246-268, et n47, 1904, p. 62-86 et p. 243-261, et Juliette Sibon, Les juifs de Marseille au XIVe siècle, Préface de Henri Bresc, Paris, Cerf (Coll. Nouvelle Gallia Judaica n6), 2011 .
  • [9]
    Henri Bresc, « L’étranger privilégié dans les politiques municipales : Palerme (1311-1410) et Draguignan (1370-1440) », dans Claudia Moatti et Wolfgang Kaiser (sous la direction de), Gens de passage en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 203-211 , ici p. 204.
  • [10]
    Noël Coulet, « Les juifs en Provence au bas Moyen Âge : les limites d’une marginalité », dans Pierre Tucoo-Chala (sous la direction de), Minorités et marginaux en France méridionale et dans la péninsule Ibérique (VIIe-XVIIIe s.), Paris, Éd. du CNRS, 1986, p. 203-219.
  • [11]
    Ibidem, p. 203-204.
  • [12]
    Corpus juris civilis, c. 21 , C. 1 , 5, et Novelles, 45.
  • [13]
    Statuts de Marseille II, 9, IV, 22, V, 8 et V, 14.
  • [14]
    Il s’agit de l’ordonnance du 8 février 1294 au sujet de la morale religieuse, qui passe, par exemple, par l’assistance à la messe et l’interdiction du concubinage, ainsi que par l’interdiction faite aux juifs d’avoir des serviteurs chrétiens et d’exercer des offices de justice. Voir Gérard Giordanengo, « L’État et le droit en Provence », dans L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre XIIIe et XIVe siècle, Roma, École Française de Rome, 1998, p. 35-80.
  • [15]
    Livres verts et livres rouges dont certains sont édités par la Fundació Noguera ; à Barcelone, ordinacions. Les monographies urbaines ou celles étudiant les communautés juives sont trop nombreuses pour être citées ici.
  • [16]
    José Maria Font i Rius, Cartas de poblaciones y franquicias de Catalunya, Madrid-Barcelona, Escuela de estudios medievales, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instítuto de Geografía, Etnografía e Historia, Unidad de Investigación en Historia Medieval, 1969-1983, 2 vol. Les travaux récents qui ont fait date ne s’attachent pas à l’histoire urbaine et à la question de la citoyenneté, mais restent tributaires du débat sur la convivencia en observant plutôt le statut des minorités à travers la thématique de la violence, en particulier David Nirenberg, Communities of Violence : persecution of minorities in the Middle Ages, Princeton, 1996 (Violence et minorités au Moyen Âge, trad. française par Nicole Genet, Paris, 2001) et Claire Soussen, « Iudei Nostri ». Pouvoir royal, communautés juives et société chrétienne dans les territoires de la Couronne d’Aragon (XIIIe-1re moitié du XIVe siècle), Toulouse, Méridiennes (à paraître en septembre 2011) ; Christophe Cailleaux, « La ségrégation des juifs à Barcelone au XIVe siècle : entre normes et pratiques », dans Nicole Gonthier (édité par), L’exclusion au Moyen Âge, Actes du colloque international organisé les 26 et 27 mai 2005, Lyon, Université Jean Moulin, 2006, p. 43-68 ; idem, « Documents judiciaires des juifs de Tortose », Échanger, évaluer, estimer, Journées Solidarités fugaces, solidarités imaginaires, (Toulouse, 23-24 février 2008), (à paraître).
  • [17]
    Voir par exemple Claude Denjean, Juifs et chrétiens. De Perpignan à Puigcerdá XIIIe-XIVe siècles, Préface de Danièle Iancu-Agou, Canet, Trabucaire, 2004.
  • [18]
    Au sujet de Perpignan, voir Philip Daileader, De vrais citoyens : violence, mémoire et identité dans la communauté médiévale de Perpignan, 1162-1397, Canet, 2004.
  • [19]
    Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, 1937, 9 vol., qui prend son exemple dans un texte d’Oresme.
  • [20]
    Christian Maurel, « Habitants et citoyens de Marseille à l’automne du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles) », Marseille, n159, 1991 , p. 46-48, et « Du citadinage à la naturalité : l’intégration des étrangers à Marseille (XIIIe-XVIe siècles) », De Provence et d’ailleurs, Mélanges offerts à Noël Coulet, Provence Historique, n49, 1999, p. 333-352.
  • [21]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., Pièce justificative n1 , p. 62-63. Pour le XVe siècle provençal, voir Danièle Iancu, Les juifs en Provence (1475-1501). De l’insertion à l’expulsion, Préface de Georges Duby, Marseille, Institut historique de Provence, 1981 , p. 177 et Pièce justificative n44, p. 290, et Noël Coulet, « Frontières incertaines : les juifs en Provence au Moyen Âge », Provence Historique, n35, 1985, fasc. 142, p. 371-376, ici p. 375.
  • [22]
    Jusqu’en 1348, Marseille est administrativement divisée entre la Ville inférieure, la Ville supérieure et la Ville de la Prévôté. Il existe alors deux Juiveries officielles, l’une dans la Ville inférieure et l’autre dans la Ville supérieure, chacune s’épanouissant dans le cadre de son Universitas.
  • [23]
    Archives départementales des Bouches-du-Rhône (désormais AD13), 381 E 372.
  • [24]
    Respectivement AD13 391 E 5, fol. 142, et 355 E 80, fol. 35.
  • [25]
    Nouvelles acquisitions latines de la Bibliothèque Nationale de France (désormais BNF Nal), 1350, fol. 22v.
  • [26]
    Respectivement AD13 381 E 380, fol. 27v, et 351 E 52, fol. 38v.
  • [27]
    Par Philippe de Majorque, le 5 novembre 1325, Códice Pueyo, f31 v. : « ad humilem suplicationem secretariorum aljame judeorum Majoricarum, nomine tutorio predicto, damus et concedimus dicte aljame et judeis ejusdem, presentibus et futuris, licentiam et potestam, quod possint et valeant libere uti et gaudere omnibus franquesiis, consuetudinibus et aliis immunitatibus, quibus utuntur et gaudent cives civitatis et regni Majoricarum in omnibus et per omnia, prout tamen dicti judei usi sunt hactenus de eisdem ». Merci à Youna Masset d’avoir rappelé l’importance de ce texte. Voir Fidel Fita et Gabriel Llabrès, « Privilegios de los hébréos mallorquinos en el códige Pueyo », Boletín de la Real Academia de Historia, Segundo período, 1900, p. 123-149. L’île a été conquise en 1229 par Jacques 1er le Conquérant, qui a accordé un statut favorable aux juifs déjà présents ; cette politique est poursuivie par les rois de Majorque (1279-1344), durant les années où le royaume manifeste son indépendance par rapport à l’Aragon. Sur les aléas de la situation des juifs, voir David Abulafia, Un emporio mediterráneo. El reino catalan de Mallorca [éd. anglaise, Cambridge, 1994], Barcelona, 1996.
  • [28]
    Archives départementales des Pyrénées orientales (désormais ADPO), 1 B 332.
  • [29]
    Par exemple, Arxiu Històric Comarcal de Puigcerda, Liber extraneorum, 1297, f15.
  • [30]
    Joan Bastardas i Parera (édité par), Usatges de Barcelona. El codi a mitjan segle XII, Barcelona, Fundació Noguera, 1984.
  • [31]
    Ces cas sont nombreux après les expulsions de France du début du XIVe siècle et au moment où les conversions sont fréquentes. Voir Claude Denjean, « Comment peut-on être un bon converti ? Des convertis en Roussillon et en Cerdagne à la fin du XIVe siècle », dans Michelle Ros (sous la direction de), Perpignan, l’histoire des Juifs dans la ville, Perpignan, 2003, p. 123-130 ; « Les néophytes en Roussillon et en Cerdagne au XVe siècle : réflexions pour une typologie », dans Danièle Iancu-Agou, L’expulsion des juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne. Exils et conversions (XVe-XVIe siècles), En mémoire de Georges Duby, Paris, Cerf (coll. Nouvelle Gallia judaica), 2005, p. 207-230.
  • [32]
    Charte du quartier de Darracina, à Tortosa, dans José Maria Font i Rius, Cartas de poblaciones... op. cit., n76, p. 126-128.
  • [33]
    Juliette Sibon, « La communauté juive dans la cité : la juiverie de la ville basse », dans Thierry Pécout (sous la direction de), Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée : les horizons d’une ville portuaire, Paris, Désiris, 2009, p. 111-114.
  • [34]
    Représentant de l’Université des juifs, en fonction pour un an, chargé de la collecte des impôts en collaboration avec un ou deux autres syndics.
  • [35]
    Sur Aaron, voir Kalonymos ben Kalonymos d’Arles, L’Épître de l’Apologie mineure, éditée par Joseph Shatzmiller, Sefunot, n10, 1966, p. 9-52, et sur Bonjuson, voir Isaac Bloch, « Bonjusas Bondavin », Revue des Études Juives, n8, 1884, p. 280-283.
  • [36]
    Daniel Smail, « The Two Synagogues of Medieval Marseille. Documentary Evidence », Revue des Études Juives, n156 (1-2), 1995, p. 115-124.
  • [37]
    Fred Menkès, « Une communauté juive en Provence au XIVe siècle. Étude d’un groupe social », Le Moyen Âge, n24/4, 1977, p. 277-303, p. 417-450.
  • [38]
    AD13 3B 7, fol. 28 et 38 vo, traduits et publiés dans Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d’argent dans la société médiévale, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 195 et p. 205.
  • [39]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, Processos en Quart (désormais ACA, PQ), 1325 A, B et C.
  • [40]
    Ibidem, 1325 A 11v, 13 v, B f. 1 v, 3 v, 6 v-7 r, 11r-v, 15 r, 16 r, 35 r, C f. 5 v.
  • [41]
    On le retrouve à Saragosse, dans l’argumentaire au sujet du mariage et du bon chrétien fin XVe, dans Martine Charageat, La délinquance matrimoniale. Couples en conflits et justice en Aragon (XVe-XVIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
  • [42]
    Jacques de Voragine, Legenda aurea, [Paris 1900] (La légende dorée, trad. du latin par l’abbé Jean-Baptiste-Marie Roze, Paris, 1967), p. 50-51.
  • [43]
    Giacomo Todeschini, Ricchezza francescana. Dalla poverta‘ volontaria alla societa‘ di mercato, Bologna, 2004 (Richesse franciscaine, de la pauvreté volontaire a‘ la société de marché, trad. française par Nathalie Gailius et Roberto Nigro, Lagrasse, Verdier, 2008) ; voir aussi Paolo Evangelisti, « Fede, mercato, comunità nei sermoni di un protagonista della costruzione dell’identità politica della corona catalano-aragonese. Matteo d’Agrigento (1380 c.-1450) », Collectanea Franciscana, LXXIII, 2003, p. 617-664 ; « Credere nel mercato, credere nella res publica. La communità catalano-aragonese nelle proposte e nell’azione politica di un esponente del francescanesimo mediterraneo : Francesc Eiximenis », AEM, n33 (1), 2003, p. 69-117.
  • [44]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Registre 319, Varia 32, Usurarum, 1297-1298 ; Claude Denjean, La loi du lucre. L’usure en procès dans la couronne d’Aragon à la fin du Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez, 2011.
  • [45]
    ACA, PQ, 1298 T.
  • [46]
    Juliette Sibon, « Du gage-objet au gage-chose. Une étude de cas au sommet de la société urbaine marseillaise à l’extrême fin du XIVe siècle », dans Anna Rodriguez et Laurent Feller (sous la direction de), Les objets sous contrainte, (à paraître).
  • [47]
    Latran IV (1215), canon 68, dans Raymonde Foreville, Histoire des conciles œcuméniques 6. Latran I, II, III et Latran IV, Paris, Éditions de l’Orante, 1965, p. 380-382, et pour la réglementation municipale, Statuts de la ville de Marseille, V, 14.
  • [48]
    Damien Boquet, « Faire l’amitié au Moyen Âge », Critique, n63/716-717, 2007, p. 102-113, et Laurence Fontaine, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard (coll. nrf essais), 2008, p. 224-238.
  • [49]
    Barbara Rosenwein, To be Neighbor of Saint Peter. The Social Meaning of Cluny’s Property (909-1049), Ithaca-London, Cornell University Press, 1989.
  • [50]
    ACA, PQ, 1298 T et Claude Denjean, « Les juifs courtiers parmi les chrétiens : l’échange sans la religion ? », Bon gré mal gré. Les échanges interconfessionnels dans l’Occident chrétien (XIIe-XVIIIe siècles), Claire Soussen (sous la direction de), Cahiers de recherches médiévales et humanistes (à paraître).
  • [51]
    AD13 3B 96, fol. 103-116.
  • [52]
    AD13 3B 83, 3B 96, fol. 48 et sq., fol. 64 et sq., fol. 103 et sq., et fol. 139 et sq., et 3B 845, fol. 312 et sq.
  • [53]
    Sur les connotations différentes des termes judeus et hebreus dans les sources littéraires, voir notamment Danièle Sansy, L’image du juif en France du Nord et en Angleterre du XIIe au XVe siècles, Thèse de doctorat non publiée, Université de Paris X-Nanterre, 1993, p. 328.
  • [54]
    AD13 3B 96, fol. 104.
  • [55]
    AD13 351 E 36, fol. 122.
  • [56]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 8.
  • [57]
    La réalité de cette nouvelle expulsion des juifs du royaume de France après le rappel effectué par Louis X le Hutin en 1315 ne fait pas l’unanimité chez les historiens.
  • [58]
    Kenneth Stow, Alienated Minority. The Jews of Medieval Latin Europe, Cambridge Mass.- London, Harvard University Press, 1992, p. 295.
  • [59]
    Georges Lesage, « Les difficultés du ravitaillement de Marseille en blé au XIVe siècle », Bulletin du musée de la ville de Marseille, n56, 1941 , p. 3-6.
  • [60]
    Juliette Sibon, « La communauté juive de Marseille : un refuge pour les exilés du royaume de France ? », dans Danièle Iancu-Agou (sous la direction de), avec la collaboration d’Élie Nicolas, Philippe le Bel et les juifs du royaume de France (1306), Paris, Cerf (coll. Nouvelle Gallia Judaica n7), à paraître en 2012.
  • [61]
    Israël Lévi, Les juifs et l’Inquisition dans la France méridionale, Paris, Durlacher, 1891 , cité dans Joseph Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Âge, 1241- 1329, Préface de Georges Duby, Paris-La Haye, Mouton & Co, p. 15.
  • [62]
    Voir Heinrich Gross, Gallia Judaïca. Dictionnaire géographique de la France d’après les sources rabbiniques, Paris, Cerf, 1897, 2e réédition préfacée par Danièle Iancu-Agou et Gérard Nahon, avec un nouveau supplément bibliographique de Simon Schwarzfuchs, Paris-Louvain, Peteers, 2010.
  • [63]
    Gérard Nahon, Inscriptions hébraïques et juives de France, Paris, Les Belles Lettres (coll. Franco-Judaïca), 1986, p. 342-345.
  • [64]
    Claude Denjean, « Comment peut-on être un bon converti ?... », op. cit., et eadem, « Les conflits inter et intra communautaires en Cerdagne et en Roussillon, aux XIIIe, XIVe et XVe siècles », dans Michelle Ros (sous la direction de), Perpignan..., op. cit., p. 131-146.
  • [65]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, Processos en Quart, 1300.
  • [66]
    Joseph Shatzmiller, Shylock..., op. cit., et Juliette Sibon, Les juifs de Marseille..., op. cit., p. 60- 72.
  • [67]
    Elena Lourie, « Jewish Participation in Royal Funerary Rites : an Early Use of the Representatio in Aragon », Journal of the Warbug and Courtault institute, n45, 1982, p. 192-194.
  • [68]
    Noël Coulet, « De l’intégration à l’exclusion : la place des juifs dans les cérémonies d’entrée solennelle au Moyen Âge », Annales, n34, 1979, p. 672-683.
  • [69]
    Ibidem, p. 679-680.
  • [70]
    Claude Denjean, De Perpignan à Puigcerda..., op. cit.., p. 89.
  • [71]
    Claude Denjean, « La Cerdagne autour de 1350 : pratiques politiques d’une périphérie convoitée », Hommes et terres du Sud : structures politiques et évolution des sociétés, XIIe-XVIIIe siècles, dans Philippe Contamine (sous la direction de), Paris, CTHS (coll. Histoire), 2009, p. 217-242.
  • [72]
    Archives municipales de Marseille (désormais ACM), EE 10, fol. 24, et ACM CC 193, Registre des mandats délivrés par les syndics et les Six de la Guerre, rubrique « Rèves du blé », fol. 92 et fol. 97.
  • [73]
    ACM CC 175, fol. 18, 21 vo, 24, 48 et 75.
  • [74]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., n47, p. 30-31 .
  • [75]
    Juliette Sibon, Les juifs de Marseille..., op. cit., p. 193-203.
  • [76]
    ACM CC 2263 (Comptes d’emprunts), registre des quotités versées pour l’emprunt en vue de satisfaire aux accords conclus avec les Génois (dépenses du siège d’Auriol et de Roquevaire).
  • [77]
    Philippe Wolff, « L’épisode de Berenguer Oller à Barcelone en 1285. Essai d’interprétations sociales », Anuario de Estudios Medievales, n5, 1968, p. 207-222.
  • [78]
    Un batlle royal est en Catalogne un officier local responsable de l’ordre et du prélèvement de taxes. Son autorité est subordonnée à celle du viguier.
  • [79]
    Claude Denjean, La loi du lucre..., op. cit., p. 256-257 et David Romano, « Los hermanos Abenmassé al servicio de Pedro el Grande de Aragón », dans Homenaje a Millás-Vallicrosa, Barcelona, 1956, t. II, p. 243-292 ; repris dans De historia judía hispánica, Barcelona, Universitat de Barcelona, 1991 , p. 43-92 et Judíos al servicio de Pedro el Grande de Aragón, 1276-1285, Barcelona, 1985.
  • [80]
    AD13 3B 59, fol. 43 et sq., et Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 64-71 .
  • [81]
    Juliette Sibon, « La fides des infidèles. Les courtiers juifs de Marseille au XIVe siècle », dans Benoît Grévin, Annliese Nef et Emmanuelle Tixier (sous la direction de), Chrétiens, juifs et musulmans dans la Méditerranée médiévale, Hommage en l’honneur d’Henri Bresc, Paris, 2008, p. 103-114.
  • [82]
    Fabienne Plazolles-Guillen, « Les courtiers de commerce à Barcelone au XVe siècle », Mélanges de la Casa de Velázquez, n29/I, 1993, p. 127-154.
  • [83]
    Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé..., op. cit., p. 81 .
  • [84]
    Arxiu Històric Comarcal de Puigcerda, Liber firmitatis, 1343, f1 ro.
  • [85]
    Claude Denjean et Laurent Feller (sous la direction de), Expertise et valeur des choses. 1. Le besoin d’expertise, Madrid, Casa de Velázquez, (à paraître).
  • [86]
    Claude Denjean, La loi du Lucre..., op. cit.
  • [87]
    Juliette Sibon, « Pourquoi a-t-on besoin d’experts juifs à Marseille au XIVe siècle ? », dans Claude Denjean et Laurent Feller (sous la direction de), Expertise et valeur des choses..., op. cit.
  • [88]
    Joseph Billioud, « De la confrérie à la corporation : les classes industrielles en Provence aux XIVe, XVe et XVIe siècles », Mémoire de l’Institut historique de Provence, t. VI, 1929, p. 235-271 , et t. VII, 1930, p. 5-35, ici p. 13-14 et Pièce justificative p. 67.
  • [89]
    Daniel Smail, Mapping Networks and Knowledge in Medieval Marseille, 1337-1362. Variations on a Theme of Mobility, Ann Arbor, Université du Michigan, 1994, thèse non publiée, p. 243- 244.
  • [90]
    Adolphe Crémieux « Les juifs de Marseille... », op. cit., n47, 1904, p. 62-86, ici Pièce justificative n6, p. 71-72.
  • [91]
    AD13 3B 843, f399 et sq.
  • [92]
    AD13 3B 60, fol. 216 et sq.
  • [93]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 10 et p. 13.
  • [94]
    ACM, Registre des Délibérations 1322-1323, f58, cité dans Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 8.
  • [95]
    Juliette Sibon, « La communauté juive de Marseille au début du XIVe siècle : un refuge pour les exilés du royaume de France ? », dans Danièle Iancu-Agou (sous la direction de), avec la collaboration d’Élie Nicolas, Les Juifs du royaume de France..., op. cit., (à paraître).
  • [96]
    On pense ici au fonds géronais de l’Arxiu Històric de Girona (www.hebrewmanuscript.com).
  • [97]
    C’est l’une des ambitions du groupe JACOV (« De Juifs à chrétiens, À l’Origine des Valeurs sur les marchés médiévaux »), rassemblé autour de Claude Denjean.

1 En Europe méditerranéenne chrétienne, au bas Moyen Âge, les juifs bénéficient de statuts juridiques qui se superposent. D’abord, le statut d’homo Ecclesie, « homme de l’Église », défini par la législation canonique émise dans le cadre des bulles et des canons des grands conciles [2] repris et intégrés dans la législation des princes, trahit le souci constant des clercs de maintenir les juifs sous leur seule juridiction. Ensuite, celui de « juif du roi » ou « serf de la Chambre royale », défini pour la première fois en péninsule Ibérique dans le fuero de Teruel (1176) [3], établit que le juif libre dépend exclusivement de la protection du roi, en échange d’un impôt fixe et personnel [4], appelé pecha dans la Couronne d’Aragon et tallia judeorum dans l’espace provençal angevin. Enfin, le statut de dépendance à l’égard des seigneurs est de plus en plus discuté par les princes dans le cadre de la Reconquista[5] et de la centralisation monarchique amorcée en Europe féodale au Moyen Âge classique [6].

2 Dans le contexte de l’essor urbain et du développement des municipalités, un quatrième niveau de juridiction est défini par les termes d’habitator et de civis. C’est le cas en Sicile chrétienne, où les juifs sont citoyens à égalité complète avec les chrétiens [7]. C’est aussi le cas en Provence angevine (1245-1481), et à Marseille en particulier, qui renferme alors l’une des trois grandes communautés juives du comté – estimée entre 1 000 et 2 000 individus, soit environ 10% de la population totale du port –, où les juifs sont explicitement dits cives dans les documents latins, au même titre que leurs voisins chrétiens [8]. En revanche, une réponse abrupte à la question d’une éventuelle citoyenneté des juifs de la couronne d’Aragon est négative : les juifs ne sont jamais qualifiés de cives. Est-ce à dire que leur condition est diamétralement opposée à celle des juifs de Marseille qui, pour leur part, constituent, au moins en théorie, un corps politique dans la cité ? Le vocabulaire est-il signe de différence de statut, de jure comme de facto ?

3 L’accès à la citoyenneté est au cœur de la politique municipale des villes médiévales. Or, au bas Moyen Âge, le contexte de la dépression démographique fait que « l’homme est rare et précieux » et que « la pompe aspirante des privilèges a pour objectif de l’attirer et de le fixer » [9]. Le contexte est alors propice afin que la ville s’ouvre à l’immigration et délaisse tout réflexe de méfiance et d’hostilité – sauf à l’encontre de l’« ennemi public ».

4 Dans les deux cas comparés ici, la question de la citoyenneté des juifs n’est pas simple. Certes, pour la Provence médiévale, Noël Coulet a souligné combien le juif citoyen n’est pas « un phénomène erratique » [10]. À Tarascon, à Trets et à Aix, les citoyens juifs jouissent des mêmes libertés et franchises que les autres hommes de ces villes. Au terme des guerres de l’Union d’Aix, les traités signés entre 1385 et 1390 à Arles, Aix et Tarascon précisent que tous les juifs de ces localités sont considérés comme citoyens [11] . À Marseille, la norme définit aussi explicitement la citoyenneté des juifs. Néanmoins, les Statuts de la ville codifiés entre 1252 et 1257, fruits de la négociation entre la Commune et le prince angevin, prévoient quatre restrictions spécifiques aux juifs, destinées à manifester leur extériorité à la christianitas. Il s’agit de l’interdiction de témoigner en justice contre un chrétien – en conformité avec le Code Justinien [12] –, de celle d’embarquer à plus de quatre juifs sur un navire – assortie de la proscription absolue des voyages vers Alexandrie –, de celle de travailler les dimanches et jours de fêtes observés par les chrétiens, et enfin, de l’obligation de porter un signe distinctif [13]. Les Statuts sont ensuite complétés par un édit de Charles Ier d’Anjou, daté de 1266, repris et précisé en 1294 par Charles II, qui interdit aux juifs de Marseille d’exercer une charge publique [14]. Mais si la norme est restrictive, la pratique telle qu’elle est saisissable à travers les délibérations municipales, les actes notariés et les procès, montre qu’elle est souvent contournée et que, malgré tout, les juifs de Marseille ne sont pas étrangers à la civitas.

5 Quant aux juifs de la Couronne d’Aragon, s’ils ne sont pas explicitement qualifiés de « citoyens », les statuts des villes [15], les chartes de franchise [16], les délibérations municipales, les registres notariés et judiciaires [17], mettent en valeur des convergences avec le cas marseillais, et font apparaître des formes de prise de position des juifs en tant que corps politique au sein de la cité. Il est donc trop rapide de considérer que les juifs médiévaux ne peuvent, par définition, en aucune manière, appartenir à la société citoyenne qui se développe dans les villes de la Couronne d’Aragon du XIIe au XVe siècle, en associant pouvoir politique et identité urbaine [18]. Juridiquement, ils sont, au même titre que les musulmans vaincus, membres de communautés appelées aljamas. Subordonnés aux seigneurs, ils restent pour la plupart « juifs du roi » (judei nostri). Il n’en demeure pas moins qu’ils ont une place dans la communauté urbaine.

6 Or, les termes français de « citoyen » et de « citoyenneté » invitent à la prudence face au risque d’anachronisme. « Citoyen » ne devient un nom qu’au XVIe siècle dans le sens d’« habitant d’une ville » et de « concitoyen ». Il ne se rapproche de son sens antique qu’à la fin du XVIIe siècle, avant de prendre, à la fin du XVIIIe siècle, le sens de « membre de la communauté civique », préfigurant l’apparition de « citoyenneté ». C’est donc plutôt vers le dérivé de « civilité », employé en vieux français au XVe siècle, qu’il faut chercher pour comprendre les emplois médiévaux [19]. Les termes catalan et castillan de ciutat ou ciutad, avec leurs veïns ou vecinos, mettent justement l’accent sur la communauté d’habitants que soudent divers types de solidarités, celles de voisins rassemblés dans une ville pourvue d’un statut spécifique qui l’oppose aux autres « villes ». Le Bürger allemand ne dit pas autre chose. Bref, ce rapide tour d’horizon du lexique conduit à se garder de toute réflexion anhistorique et de toute rigueur stérilisante résidant dans le refus d’examiner la question.

7 Dans la Couronne d’Aragon, les juifs seraient-ils des « non citoyens », à l’instar des métèques de la cité grecque ? Quant aux citoyens juifs de Marseille, seraient-ils des citoyens de seconde zone, à la romaine, en voie d’intégration ? Finalement, on peut s’interroger plus généralement sur ce que signifie être civis, juif ou non, dans la ville du bas Moyen Âge.

8 On analysera d’abord les droits et les devoirs qui font le citoyen. Dans les deux cas, les juifs partagent avec les chrétiens les valeurs et les qualités de la bonne citoyenneté. De ce premier constat, on pourra ensuite s’interroger sur la reconnaissance politique des juifs dans la cité : ont-ils voix au chapitre ? La question des offices publics et de l’expertise montre combien les juifs spécialistes sont réputés utiles à la « chose publique ».

Les droits et les devoirs qui font le citoyen

9 À Marseille comme dans la Couronne d’Aragon, les juifs manifestent les qualités du citoyen. Ils en défendent les valeurs. Ils en exercent certaines charges par délégation.

CIVIS ET HABITATOR

10 À l’instar des chrétiens, les juifs de Marseille sont identifiés par le notaire comme habitatores Massiliensis ou cives et habitatores Massiliensis. Les étrangers qui s’établissent dans la ville accèdent d’abord au statut d’« habitant ». Ils peuvent ensuite devenir « citoyens » sous certaines conditions, à savoir d’être établis dans la ville et de jurer de contribuer aux charges communes de la cité, tout en se soumettant à la juridiction comtale. À partir de 1351 , ils doivent s’engager, en sus, à investir au moins le tiers de leur fortune en biens immobiliers ou fonciers sur le territoire de Marseille. Ainsi, le statut socioéconomique ouvre l’accès à la citoyenneté [20]. L’unique procédure parvenue jusqu’à nous qui implique un juif de Marseille date du 21 janvier 1308 [21]. Citoyen de la ville inférieure de Marseille [22], Bonisac, fils de feu Vital de Vidon, prête serment sur la Loi mosaïque devant le juge et obtient, après changement de domicile, la citoyenneté de la ville supérieure, au même titre que tout autre citoyen chrétien. Le juge lui concède omnes libertates, immunitates, franquesias, consuetudines et antiquitates quas habent et quibus gaudent alii cives et habitatores civitatis superioris, sans distinction de religion, à condition qu’il s’engage à demeurer dans la ville supérieure, à y réunir la majeure partie de son patrimoine, et à participer aux charges de la cité.

11 Avant la réunion administrative des villes de Marseille en 1348, les individus, qu’ils soient juifs ou chrétiens, sont dits « citoyens et habitants de la Ville supérieure » ou « citoyens et habitants de la Ville inférieure ou vicomtale ». Pourtant, quelques mentions laissent penser que la citoyenneté renvoie davantage à l’identité urbaine, à l’attachement affectif à la cité d’origine ou d’adoption, tandis que le terme habitator est lié à la notion de résidence, temporaire ou non. Par exemple, en mars 1306, les juifs Vital de Nîmes et Abraham Capelle sont dits « citoyens juifs de Marseille, habitants de la Ville vicomtale » [23]. Cette distinction semble claire dans le cas d’individus fraîchement implantés dans une autre cité. Il en est manifestement ainsi, par exemple, pour le laboureur chrétien Guillaume d’Alès en 1333, « citoyen de Marseille et habitant de Cassis », comme pour Joseph Abraham de Meyrargues, en mai 1395, « citoyen juif de Marseille, maintenant habitant d’Oristano en Sardaigne » [24]. L’attachement à la cité d’origine est même parfois précisé par le notaire à l’instance de son client, comme cela semble avoir été le cas le lundi 3 novembre 1399 pour Bonet Bonsenhor, « habitant juif de Marseille, qui se dit citoyen de Toulon » [25]. Le terme de civis peut parfois disparaître au profit de la seule cité d’origine au génitif. Par exemple, en 1324, Astrug Mossé est présenté comme « juif du Viviers et habitant de Saint-Rémy », ou encore en 1381 , Abraham Bonehore est dit « juif de Beaucaire, habitant de Marseille » [26]. Ainsi, le statut d’habitator ne renvoie pas seulement à la résidence temporaire, mais peut aussi être perçu comme un statut transitoire, un premier pas vers la citoyenneté dans la cité d’adoption.

12 Le cas marseillais révèle que quoique affaibli, le statut d’habitator procède de la civitas. De même, en Catalogne, bien que « citoyens en parallèle », les juifs ressemblent parfaitement aux citoyens chrétiens : ils ne sont bien entendu jamais cités parmi les chrétiens, le scribe n’emploie pas les mêmes formules pour désigner un habitant juif et un citoyen chrétien ; néanmoins, un parallélisme s’établit entre les deux catégories puisque des formules comparables se suivent, dans une phrase au rythme balancé. À Majorque, terre de conquête récente puis couronne au statut contesté par les rois d’Aragon, cousins des rois de Majorque, les coutumes accordées aux citoyens leur sont même explicitement concédées [27]. Partout ailleurs, ils ne sont certes jamais cités parmi les chrétiens et le scribe n’emploie pas les mêmes formules pour désigner un habitant juif et un citoyen chrétien. Néanmoins, les juifs sont dénommés habitatores de telle ou telle ville sans aucune ambiguïté, ce qui leur confère des droits et leur impose des devoirs, comme payer des impôts, et contribuer à la défense et à la gestion de leur ville. La mention d’habitator suivi du génitif ne signifie pas, cependant, que l’individu réside effectivement dans la ville de manière continue. Le terme sous-entend d’abord qu’il y est membre de la communauté. L’obtention de ce titre est signalée d’ailleurs parfois plusieurs années après l’installation dans la ville. Ainsi, à l’occasion de revendications au sujet du paiement des impôts à Puigcerdà, la fin du XIVe siècle est propice à l’expression de ce que les citadins médiévaux considèrent comme des évidences, mentions précieuses pour l’historien. Par exemple, quand Isach Vidall Comte quitte ses responsabilités communautaires à Puigcerdà pour habiter Besalù, l’argument majeur qu’il invoque pour ne plus rien devoir dans le cadre du prélèvement cerdan en sus de son déménagement est celui de son appartenance nouvelle à une communauté urbaine différente, et sans mention de l’aljama ni de la collecta[28]. Ce type de cas nous conduit à interpréter la mention d’habitator Podiiceretani qui fuit de Montepellusano qui suit les noms des membres de la famille Comte du XIIIe siècle des années après leur installation à Perpignan et à Puigcerdà, comme le signe de l’acquisition d’une sorte de citoyenneté en Cerdagne, qui dépasse l’appartenance à la communauté juive [29].

LA QUESTION DE LA PROPRIÉTÉ

13 Les juifs de la Couronne d’Aragon sont intégrés dans le processus de formation juridique et politique postérieur à la Reconquête. Présents comme communauté inférieure pourvue de droits limités dans les Usatges de Barcelone – code qui sert de modèle en Catalogne –, ils bénéficient en divers lieux de chartes aux articles favorables qui leur assurent un rôle central dans la cité [30]. La catégorie des judei est juridique, qui les distingue des chrétiens et des musulmans ; y appartenir procède d’une appartenance communautaire lorsque les membres d’une aljama tout entière se voient accorder des privilèges ou une charte de franchise spécifique. La reconnaissance et l’attribution du droit des juifs s’obtiennent également par déclaration individuelle devant notaire à l’occasion d’un contrat ou de l’indication de l’appartenance religieuse par des migrants qui ne sont pas forcément connus comme juifs. À l’inverse, les convertis peuvent avoir besoin de certificats de catholicité, actes dans lesquels un notaire constate que des témoins attestent la religion du néophyte [31] .

14 Quant aux juifs d’origine andalouse qui vivaient antérieurement sous domination musulmane, ils sont reçus en groupe. Les chrétiens souhaitent les maintenir sur place sans rupture avec l’époque musulmane. Il est aussi possible que ces juifs s’intègrent dans des communautés déjà reconnues en terre chrétienne lorsqu’ils migrent individuellement. Ils obtiennent une reconnaissance calquée sur les textes octroyés aux chrétiens. Ainsi, la charte de franchise de Darracina, un quartier de Tortose, leur donne des lots où édifier des maisons [32]. Ces terrains sont inaliénables et peuvent être légués à leurs descendants. Dans la cité de Majorque – Ciutat de Mallorca, c’est-à-dire Palma de Majorque –, c’est une place centrale qui leur est concédée au plus près du palais royal de l’Almudayna, non loin du couvent des Prêcheurs et face à la grande cathédrale, la Seu en construction au XIVe siècle, située face à la mer. Cette place symbolique au cœur des lieux de pouvoir a d’ailleurs suscité des conflits. Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cités et villes de Catalogne, les juifs obtiennent la concession de terrains et possèdent les bâtiments communautaires essentiels : schola sive synagoga, cimetière, boucherie, bain rituel, parfois four, reconnus en emphytéose à la communauté. On pourra arguer que ces concessions, mêlées à toutes les autres chartes royales, copiées dans les registres Commune ou Graciarum conservés aux Archives de la Couronne d’Aragon ne relèvent pas exactement de la citoyenneté. Cependant, l’exemple de Darracina est le plus éclairant à ce sujet, dans la mesure où les juifs sont traités comme les habitants chrétiens, mais en parallèle.

15 À Marseille, les juifs sont propriétaires d’immeubles et de terres, à égalité avec les chrétiens. Le centre névralgique du judaïsme marseillais se situe dans la ville basse, près de l’église Saint-Martin, et s’ouvre sur le marché du Tholonée, à deux pas de l’angle commercial du port [33]. Il compte deux synagogues et une maison de l’Aumône, toutes trois mitoyennes. Dans ces quelques rues, les propriétaires sont majoritairement juifs. Ils sont banquiers, négociants et intellectuels. Ils occupent les fonctions communautaires de rabbins et de syndics [34]. Tout au long du siècle, les familles juives les plus en vue résident dans la Juiverie de la ville basse, à l’instar du talmudiste de renom Aaron de Camera. Il apparaît une vingtaine de fois dans les registres notariés latins entre 1299 et 1319 et figure, sous le nom d’Aaron ben-Hédri, dans une épître de Kalonymos ben Kalonymos d’Arles. Bondavin de Draguignan (v. 1285-1361), puis son héritier et arrière-petit-fils maître Bonjuson Bondavin (v. 1350- v. 1420), lui aussi célèbre talmudiste, y demeurent également [35].

16 Aucun règlement n’impose de résidence spécifique aux juifs de Marseille. Le quartier se dilate après 1361 , vers l’Ouest en particulier, le long de la rue de l’Éperon. Deux tailleurs juifs, Juffet de Saint-Paul et Bonisac Marvan, s’y implantent au voisinage du notaire Guillaume de Belleville. La Juiverie conserve, en effet, une présence chrétienne prestigieuse tout au long du XIVe siècle : entre 1337 et 1362 vivent dans la rue de Saint-Martin, non loin de la demeure de Bondavin de Draguignan, deux membres du parti des Vivaud et un membre de la faction rivale des Jérusalem [36]. Antoine de Jérusalem possède une maison dans la rue de la Juiverie, et les Montolieu y détiennent un verger. Les Ricau et Guigonet de Montolieu sont les voisins de Durant de Bédarrides dans la rue Neuve.

17 En outre, l’habitat dans la Juiverie est confortable et relativement cher. Les notables juifs y sont des propriétaires multiples et ils veillent à ce qu’aucun parc de logements locatifs ne puisse s’y développer. Par leurs stratégies d’acquisition du patrimoine immobilier, ils en font un quartier socialement ségrégé qu’ils se réservent jalousement en imposant les règles de l’accès à la propriété. On retrouve là une pratique de la noblesse marseillaise, qui consiste à s’arroger le contrôle de portions de l’espace urbain, en rattachant ses noms à des pâtés de maisons, des places ou des rues, et en veillant à y installer sa clientèle. C’est une stratégie élitiste et exclusive, connue à Trets à la même époque, où les juifs aisés cohabitent dans la carreria judaïca avec l’élite nobiliaire et notariale du bourg [37].

18 Cette insertion topographique des élites juives s’observe certainement de Marseille à Valence, voire peut-être sur un espace plus large. L’insertion au sein des réseaux relationnels dominant la ville va de pair. Dans les villes de la Méditerranée occidentale chrétienne, on retrouve ces maisons juives voisines de celles de notables chrétiens mais aussi proches des équipements cultuels nécessaires à leur pratique religieuse. Les églises et les synagogues sont proches les unes des autres, et les Juiveries et juderias font voisiner des chrétiens et des juifs réunis par des activités communes et un statut social et politique équivalent, celui d’une oligarchie urbaine qui partage des valeurs communes.

LES GRADIENTS DE LA VERTU CITOYENNE

19 La notion de vertu citoyenne est reconnue par les deux religions, définie de conserve par des concitoyens capables de reconnaître dans l’autre religion des valeurs convergentes. Les qualités à démontrer sont celles qui décrivent l’homme policé soucieux de la communauté, respectueux de ses valeurs. De ce point de vue, les sources judiciaires sont les plus riches. Bon prêteur, Bondavin de Draguignan est aussi bon citoyen. Le 21 février 1317, à Marseille, Montolieu de Montolieu, l’un des plus éminents représentants du patriciat marseillais, témoigne en sa faveur, dans le procès qui se tient devant la Cour de justice angevine face à l’un de ses débiteurs, Laurent Girard. Ce dernier accuse le notable juif de lui réclamer une dette déjà éteinte. Montolieu dit sous serment qu’il considère Bondavin « comme bon dans sa loi (in sui lege bonum), vertueux, pacifique et tranquille, de bonne renommée et de bonne opinion ». Il ajoute que Bondavin « a fait autrefois de nombreuses et grandes faveurs à différentes personnes ». Il dit aussi avoir vu Bondavin rendre souvent service « en diminuant la quantité et la part des dettes ». Le lendemain, le marchand Pierre de la Treille ajoute que Bondavin prête souvent de l’argent gratuitement et prolonge volontiers l’échéance du prêt à la demande de ses débiteurs [38].

20 La définition du bon juif selon le procès d’Astruch de Besalù, bourgade proche de Gérone, en Catalogne, dénoncé par le sacristain Ferrer en 1325, démontre aussi la correspondance des qualités du bon citoyen et du bon juif [39]. Discret, poli et aimable avec chacun, modéré, travailleur, bon époux, généreux et humain, cet homme bien éduqué, voire lettré, est pacifique, respectueux de la chose publique et charitable. Tout l’inverse du joueur, irascible, débraillé et sans pudeur, incapable de faire preuve de la moindre modération. Dans ce procès, les passages les plus frappants sur notre sujet sont celui où Astruch est dénoncé comme capable de dérober des pierres en détruisant le mur de la ville, celui où l’on rapporte que sa mère s’est plainte qu’il n’a pas suivi l’école comme il aurait fallu à cause de la mauvaise influence de son père, enfin celui où un témoin raconte que le sacristain Ferrer n’est même pas capable de faire son travail convenablement, à savoir ouvrir et fermer la synagogue en temps et heure [40] !

21 Les modes de discrimination entre les bons et les mauvais juifs sont en partie identiques, en partie adaptés à la nature du judaïsme. Ainsi, par exemple, un juif peu lettré est jugé mauvais juif tant par les juifs que par les chrétiens ; au contraire, un savant talmudiste demeure une autorité qu’interrogent les juifs comme les chrétiens au sujet de l’interprétation de la Halakha.

22 Ce partage des valeurs du bon citoyen, du bon chrétien ou du bon juif, repérable encore au début du XVIe siècle, est de grande portée [41] . La construction d’une communis opinio, liée à la nécessité d’entretenir un réseau relationnel opératoire sur les marchés et à l’excellente acculturation judiciaire partagée avec les chrétiens de même rang social, s’opère autour de la figure du marchand lettré, du bon père et du bon époux, du membre de la communauté charitable. La fides peut appartenir tant à un chrétien qu’à un juif. Elle est reconnue comme une qualité dont certains juifs font preuve tant dans les sources de la pratique que dans d’autres documents. L’exemple le plus savoureux est celui d’Isach Biona, juif de Vilafranca-de-Penedés. En 1298, Isach obtient de nombreux témoignages contre le chrétien Guillem Franquea, qu’il accuse d’usure. Au-delà des faits délictueux – à savoir des transactions dépassant le juste prix – que diverses victimes dénoncent avec une vive rancœur, ce cas démontre combien les pratiques marchandes et financières prohibées sont jugées comme l’expression de l’absence de respect des valeurs civiques qui soudent la communauté urbaine autour de l’échange vertueux. La fides est bien à la fois la confiance et la garantie, tant fiduciaire que morale, la conscience de la bonne foi du partenaire économique, caractérisée par une attitude humaine qui place l’équité, la générosité et la solidarité au-dessus du bénéfice, ou plutôt qui sait en jouer pour obtenir un véritable bénéfice. Saint Nicolas ne défend pas autre chose lorsqu’il punit un faux témoin chrétien qui dénonce fallacieusement et mensongèrement une créance accordée par un juif pourvu évidemment de cette foi essentielle pour les relations et les transactions [42].

23 Les mêmes qualités d’urbanité sont partagées entre juifs et chrétiens. Les valeurs que prône la religion juive sont reconnues et traduites dans la sphère chrétienne. Elles sont comprises dans leur spécificité mais fusionnent dans le même temps avec les valeurs chrétiennes en train de se laïciser pour devenir des valeurs urbaines [43]. Ainsi, lorsqu’en 1297, le roi d’Aragon Jacques II décide des enquêtes contre les usuriers et contre les mauvais officiers, il vise aussi à corriger les mœurs de puissants qui jouent de leur pouvoir politique et de leurs capacités financières pour opprimer des sujets du roi dont la doléance et des plaintes remontent jusqu’à lui [44]. Le groupe accusé est bien implanté dans les rouages de l’administration royale. Le lien entre les diverses affaires apparaît au grand jour à Vilafranca-de-Penedés [45]. Les enquêtes et les quelques procès qui s’ensuivent montrent combien des habitants de cette ville, excédés par les exactions qu’ils ont subies d’hommes venus pour la plupart de Barcelone lors du règne précédent, critiquent les méthodes qui permettent de mettre en coupe réglée la ville et son plat pays. Ils accusent des ennemis sans aucun doute membres d’un autre clan mais décrits comme étrangers à la fois à la communauté urbaine solidaire, à l’aljama juive – qui est certes, communauté autonome, mais liée à la première –, et aux valeurs et aux relations qui font cette union locale.

24 L’expression de ces divisions et de la concurrence entre clans oligarchiques s’opère sous le mode de la défense des bonnes valeurs civiques. Lorsque l’on en est victime, la brutalité du maintien de l’ordre, l’injustice systématique de la cour de la viguerie, les prélèvements non négociés et les transactions inéquitables imposées de force suscitent un clam populaire. Cette clamor est l’expression politique et procédurale de l’ancienne alliance entre le monarque et les habitants des villes et lieux de Catalogne contre des catégories de grands féodaux et leur sbires, qui gênent autant le pouvoir royal que le développement des cités.

25 C’est ainsi que l’amicitia noue des liens puissants au sein de clans où la religion n’est pas le critère primordial d’agrégation ou d’exclusion. À Marseille, on l’a vu, le procès de Bondavin de Draguignan l’illustre. Quelques décennies plus tard, rien n’a changé, comme le montre celui qui oppose le médecin juif marseillais Senhoret de Lunel au fils de son ami chrétien François Galli, en 1394 [46]. Les deux amis se sont entendus dans une affaire de prêt sur des gages volontairement déposés chez François par Senhoret. Senhoret est le prêteur et François le capitaliste qui finance le prêt concédé à un tiers. Or, en mettant volontairement le gage sous contrainte auprès de François, Senhoret montre et affiche la confiance et l’« amitié » qu’il a pour François. Entre les deux partenaires, chrétien et juif, il est explicitement question d’un pactum amicitie. Il n’est évidemment pas question de manifestation physique de ces sentiments. Le statut d’infidèle est défini par des mesures discriminatoires théoriques, destiné à éviter les contacts physiques, tel le port d’un signe distinctif par exemple [47]. Il reste donc l’expression par la rhétorique et, comme ici, par l’immobilisation d’un objet qui crée, outre de la contrainte économique et juridique, de l’engagement social. En effet, la transaction économique entre les deux hommes est d’abord l’expression d’un lien social dénué de rapport de force, destiné à affirmer leur noblesse d’âme et leur position sociale [48]. À Marseille au Moyen Âge, l’amicitia est donc possible entre un notable chrétien et un notable juif. Tous deux partagent la même « économie morale du don », à l’instar des réseaux de relations entre Cluny et ses donateurs aux Xe et XIe siècles, analysés et décrits par Barbara Rosenwein [49]. Ainsi, l’immobilisation des gages chez François est aussi une preuve d’affection désintéressée du point de vue économique. Seule la mort de François brise la confiance.

XÉNOPHOBIE ET AMOUR DE LA CITÉ NATALE

26 Le partage de la communis opinio n’exclut jamais, cependant, que l’appartenance à la communauté juive et l’existence d’arguments ou d’avanies spécifiquement antijuifs fassent partie des armes que l’on ne se prive pas d’utiliser. À Vilafranca-de-Penedés, l’officier Bartomeu de Mans et ses hommes menacent de jeunes juifs en âge d’apprendre le métier de prêteur ou de se marier, et laissent jeter des pierres sur les maisons juives [50]. Cela n’empêche en rien le sentiment d’appartenance des juifs à leur communauté locale et à la communauté urbaine dans son ensemble, la seconde incluant la première. En effet, la distinction religieuse et juridique entre juifs et chrétiens, qui se marque, par exemple, par le jurement sur la Loi mosaïque, n’est pas le signe de l’exclusion. Elle ressortit à la reconnaissance très pragmatique d’une spécificité. La distinction sociale et le partage des valeurs qui sépare les notables des pauperes transcendent la barrière confessionnelle.

27 Dans les pièces du procès des vingt-deux corailleurs juifs qui se tient à Marseille en place publique en 1380, les accusés – finalement réhabilités – sont indistinctement qualifiés de fures et latrones (voleurs et larrons) et, qui plus est, de pauperes[51]. La dernière invective relève moins du statut socioéconomique que de la marginalisation et de l’exclusion des réseaux de solidarités et de sociabilité. Il appert qu’elle est en contradiction avec le statut de « citoyen », qui inclut, bien au contraire, l’intégration et l’implication dans la vie de la cité. Une autre mention frappe dans le texte du procès-verbal, celle du vocable hebreus en lieu et place de celui de judeus, communément employé par les notaires. Or, le premier s’inscrit dans un registre distinct du second. Chez les notaires marseillais du XIVe siècle, il ne qualifie jamais un individu, mais s’applique aux écrits en hébreu – ou, du moins, en caractères hébraïques. Si dans les sources littéraires, le terme de judeus désigne les meurtriers du Christ, il sert, dans les documents de la pratique, à désigner juridiquement le juif, sans sous-entendu négatif ou positif. Dans ces conditions, l’usage rare du terme hebreus – on ne le retrouve que cinq autres fois dans la documentation latine marseillaise du XIVe siècle [52] – pour désigner des juifs dans des pièces judiciaires interpelle. Tandis qu’il est assurément laudateur dans les sources littéraires [53], il semble choisi ici pour renforcer le caractère « étranger » des juifs. L’hypothèse se renforce avec le cas de Maymon Ferrier qui figure parmi les accusés juifs et qui est dit « plus suspect que n’importe quel autre hébreu de la ville car il est catalan et étranger dans ladite ville » (suspicatur plus de eo quam de aliquo altero Ebreo huiusdem civitatis cum sit extraneus cathalanus a presenti civitate) [54]. Notons que quelques mois auparavant, un acte notarié le présente, certes, comme « corailleur catalan de Barcelone », mais aussi comme « citoyen juif et habitant de Marseille » [55] !

28 À Barcelone aussi, sous la plume du notaire, le terme de judeus est neutre dans le sens où il fait uniquement référence à un statut juridique. Lue selon les apports des sources de l’histoire des juifs catalans, la distinction entre judeus et hebreus peut être analysée davantage. Cet exemple montre en effet le soin que portent les notaires – et leurs clients – à des nuances subtiles qui en disent long sur la place des juifs. Judeus, comme le statut des juifs médiévaux, qui est issu du statut de vaincu dans le monde romain, est un qualificatif juridique, sans connotations positives ou négatives en tant que tel, chargé cependant de références religieuses et d’arguments de l’hostilité envers les juifs. Hebreus est d’un emploi plus technique, lié à une langue, à des types d’actes formulés selon le droit hébraïque admis devant les tribunaux, à une civilisation et à une histoire reconnues car partagées entre les religions du Livre.

29 Aussi, ce jeu lexical souligne davantage encore la dualité de la situation des juifs dans la cité médiévale et fait émerger une citoyenneté mal visible. En effet, l’infériorité du statut des juifs n’empêche pas qu’ils soient reconnus dans les pratiques comme s’ils étaient citoyens. Dans certaines occasions, ils se voient traités comme des citoyens de facto mais par défaut, nommés du bout des lèvres, comme si l’emploi du terme cives demeurait difficile à énoncer. C’est à Majorque que le statut des juifs est exprimé le plus clairement : ils sont comme des citoyens. La distinction entre les juifs qui exercent des droits conformes à la citoyenneté, tant au sein de la communauté qu’au sein de la civitas, et les juifs forains ou étrangers est essentielle car elle introduit une hiérarchie et des degrés d’intégration. Nous pouvons d’ailleurs remarquer – est-ce un hasard ? – que les langues vernaculaires modernes et contemporaines nomment les juifs soit de dérivés du latin judeus dans les pays où les juifs médiévaux ont été expulsés – dans l’anglais jew, le français juif, le castillan judío, par exemple – soit de celui d’hebreus là où ils sont restés au XVIe siècle, mais dans des ghettos – on pense ici à l’italien ebreo.

30 Bien qu’explicitement rejetés, ces mêmes juifs sont pourtant aussi parfaitement intégrés à la civitas. La délibération municipale marseillaise du 24 avril 1323 destinée à prendre des mesures afin de pallier la disette de blé et de vivres engendrée par l’afflux massif de juifs dits « étrangers » (extranei) en livre une preuve [56]. Qui sont ces juifs immigrés de fraîche date ? Ont-ils été récemment expulsés du Languedoc par Charles IV [57] ? Sont-ils des juifs bannis temporairement d’Avignon par le pape Jean XXII [58] ? Quoi qu’il en soit, la procédure marseillaise distingue clairement les « juifs citoyens » des « juifs étrangers », à savoir non intégrés à la cité. Elle s’explique sans doute par le problème du ravitaillement en blé de la ville, chronique depuis la perte de la Sicile par les Angevins au lendemain des Vêpres siciliennes (1282) [59]. La préoccupation affichée ici est le bien-être de tous les citoyens, chrétiens et juifs.

31 Ici, ce sont peut-être aussi les juifs eux-mêmes qui manifestent une certaine réserve, voire une discrimination face à leurs coreligionnaires « étrangers » à la ville. Certes, les notables juifs ne sont pas membres du Conseil municipal. Mais le protectionnisme dont ils font montre et les relations étroites qu’ils entretiennent avec le patriciat urbain laissent penser qu’ils ont cautionné l’initiative, ne serait-ce que par crainte de troubles [60]. D’ailleurs, la distinction entre juifs provençaux et juifs non provençaux se retrouve dans d’autres types de sources. Un manuel d’inquisiteurs du Midi de la France – dont on ignore la date exacte – mentionne les différences entre les Judei gallici et les Judei provinciales, qui apparaît davantage comme un fait de civilisation, plus que comme la considération du contexte politique [61]. Elle rappelle la division opérée entre juifs tsarfatim – littéralement « français », c’est-à-dire de la France du Nord – et les juifs de Proventsa – transcription du terme utilisé en hébreu pour désigner, tout comme le concept latin médiéval de Provincia, l’espace qui englobe le comté de Provence, le Comtat Venaissin, le Bas Languedoc, le Roussillon, les pays occitans et la Cerdagne [62].

32 L’attachement à leur « petite patrie », explicitement exprimé par les juifs de certaines villes ou lisible dans les réactions dont rendent compte des procès, est une dernière clé de notre lecture. Des textes connus depuis longtemps et étudiés à travers d’autres thématiques prennent alors un sens nouveau, et sont finalement moins étonnants qu’ils ne le paraissaient. Dans le cas de la Couronne d’Aragon, l’identité et l’attachement au lieu de résidence et d’appartenance se lit tant dans les textes autobiographiques ou mémoriels du XIIIe au XVIe siècle que dans les actes notariés ou les témoignages des procès.

33 En positif, l’amour de la cité natale s’exprime à travers l’expression de l’enracinement et la nostalgie après une migration forcée. La stèle d’Olot dit combien les juifs de Béziers, victimes indirectes de la Croisade contre les Albigeois, aimaient leur ville [63]. Eux qui s’y sentaient chez eux sont maintenant des étrangers exilés ailleurs. Cela ne peut manquer de nous surprendre lorsque nous connaissons les expressions de la ségrégation que subissaient les juifs du Languedoc – même si les Trencavel ne leur furent pas défavorables – et combien la Catalogne, et spécialement le Gironès sont à la fois des régions accueillantes pour les juifs du Midi ou d’al-Andalus et des espaces culturels peu éloignés des terres méridionales.

34 En négatif, une xénophobie sensible montre l’importance de l’appartenance urbaine et régionale. Cette dernière peut aussi être vue comme un réseau des cités entre lesquelles s’opèrent préférentiellement les échanges matrimoniaux et qui appartiennent à la même collecta. Ainsi, les juifs d’Aragon qui ne sont pas originaires de Barcelone ou de Perpignan y sont considérés comme des hommes de faible valeur intellectuelle, voués aux tâches ingrates, telles celles de fossoyeurs ou de travailleurs de force. À Perpignan au XVe siècle, plusieurs actes de violence dans le call juif ont provoqué la mise par écrit d’insultes et de paroles méprisantes des juifs roussillonnais à l’encontre des Aragonais qui auraient pourtant pu prétendre à la pitié de leurs coreligionnaires [64]. À Barcelone, en 1301 , tandis que les savants du centre ville sont appelés de leur nom complet et que l’on connaît même le nom de la servante musulmane d’un habitant du call, on ne sait pas dire le nom de ces nouveaux immigrés dans la cité portuaire [65]. Leurs coreligionnaires ont même du mal à se souvenir de leur nom ! Ils ne vivent pas nécessairement dans le quartier où les élites juives possèdent leur demeure. Leur habitat se situe généralement en périphérie. Ils sont méprisés, voire insultés du fait de leur appartenance régionale.

35 Il y a donc bien « juif » et « juif » ! À une supposée solidarité intercommunautaire fondée sur la pratique religieuse répond une sociabilité inter-religieuse clairement visible dans les sources. L’amicitia ne peut lier que des hommes de même niveau social ; elle exclut les pauperes de même religion.

36 À Marseille comme dans les villes catalanes ou majorquines l’intégration dans la cité se fonde sur les solidarités entre notables, par-delà les frontières communautaires. Leurs manifestations sont nombreuses dans la documentation latine marseillaise. Celles qui s’opèrent dans le cadre du crédit ont déjà été évoquées à travers l’exemple du procès entre Senhoret de Lunel et le fils de son ami. Les affaires d’argent entre notables juifs et chrétiens aisés sont d’abord des affaires d’amicitia. Loin d’engendrer la marginalisation des notables juifs marseillais, elles créent du lien social et des solidarités entre riches [66]. L’analyse du circuit des capitaux qui passent entre les mains des prêteurs juifs met au jour un crédit « juif » financé par le patriciat urbain chrétien. Les capitalistes sont issus des familles anciennement enrichies grâce au commerce maritime, tels les Vivaud et les Jérusalem, ainsi que des armateurs et des marchands drapiers et épiciers de notoriété plus récente, à l’instar des Austria, des Francie et des Favas, tous présents au sein du Conseil municipal et fervents soutiens des Angevins.

37 À Villafranca-de-Penedés, les hommes qui accusent l’officier Bartomeu de Mans, et à travers lui des courtiers, des maquignons, des marchands et des changeurs, ne sont pas de pauvres hères maltraités pour leur judéité. Tant ceux qui témoignent individuellement devant la commission d’enquête que le groupe qui représente l’aljama locale (et où l’on retrouve d’ailleurs des personnages déjà connus des enquêteurs), sont des représentants éminents de la bonne société juive locale, qui cumulent les charges dans leur communauté et les positions au sein des élites marchandes régionales. Ils disposent des armes nécessaires pour se défendre : la culture latine et judiciaire, et le solide réseau relationnel.

38 L’expression institutionnelle et symbolique de l’identité urbaine des juifs est avérée en particulier lors des entrées solennelles des souverains et des pontifes dans les villes et lors des rituels funèbres royaux. Dans la Couronne d’Aragon, les juifs ont leur place dans les rituels funèbres royaux, comme l’ont montré les travaux d’Elena Lourie [67]. Ils participent au deuil et se lamentent aux côtés des autres dont le convoi funèbre rejoint l’abbaye de Poblet. Ce rituel est visiblement intégrateur et reconnaît les juifs comme des sujets du roi, à la religion différente mais à même d’exprimer à leur manière et selon leurs rites propres le deuil de la communauté civique dans son ensemble.

39 Le texte le plus ancien qui atteste la place des juifs dans le déploiement de la société urbaine à l’occasion des visites royales est la description de l’entrée de Gontran à Orléans par Grégoire de Tours. Les manuscrits latins et hébraïques postérieurs témoignent des manifestations de loyalisme auxquelles participent les juifs, par exemple à Messine en 1282 à l’arrivée de Pierre d’Aragon, ou encore à Rome lors du couronnement de l’empereur Henri VII, épisode rituel dont le manuscrit enluminé d’une chronique rhénane du XIVe siècle livre une représentation [68]. Toutefois, Noël Coulet souligne combien le sens de la participation des juifs aux cérémonies d’entrée a évolué entre le VIe et le XVe siècle. Signe de l’intégration de la communauté juive dans la collectivité publique jusqu’à la fin du XIIIe siècle, sa mise en scène évolue ensuite pour en faire l’expression privilégiée de la différence et de l’accusation de fausse croyance [69]. Est-ce à dire que l’identité urbaine des juifs serait alors reléguée en seconde position, désormais assimilée à une citoyenneté de second ordre, inaboutie ?

De la reconnaissance politique : les juifs ont-ils voix au chapitre ?

LES INITIATIVES INDIVIDUELLES

40 Dans la Couronne d’Aragon, les juifs participent à des tâches essentielles à la gestion des universitates. Ils prêtent diverses sommes pour réaliser des travaux ou avancer les revenus de l’impôt à diverses communautés. Les registres de délibérations et les comptabilités urbaines montrent qu’ils sont appelés comme spécialistes de l’approvisionnement en blé ou de l’aménagement et entretien des réseaux d’irrigation et de drainage. À ce titre, des travaux spécialisés leur sont confiés. Par exemple, en 1342, le livre des délibérations de l’universitas de Puigcerda garde mémoire de la mission de contrôle des travaux sur les canaux d’irrigation par deux juifs cerdans : Abraham Coen et Isach Bondia [70]. À la fin du XIVe siècle, les membres du conseil de l’universitas de Puigcerda s’attachent à fournir un salaire et des instructions à un ou deux médecins de la ville, parmi lesquels un juif. Durant tout le siècle, ils participent au financement et à la levée de l’impôt dans les vallées de Cerdagne. En revanche, les juifs ne jouent aucun rôle dans les événements politiques qui agitent la ville en 1344, lorsque Jacques de Majorque s’enfuit et laisse le pouvoir à Pierre le Cérémonieux [71]. La participation à la gestion urbaine serait cantonnée à des domaines pratiques, ceux de « l’économique » de préférence au registre du « politique ». En effet, malgré la possibilité de négociation entre les représentants de communautés juives et les pouvoirs, et malgré l’intervention de facto de juifs pour défendre le bien public, la représentativité politique des juifs n’est pas reconnue à part entière.

41 Il en est de même à Marseille. On l’a vu, le ravitaillement en blé du port est un problème récurrent au bas Moyen Âge, dans le contexte de la « Guerre de Cent Ans » qui oppose les Angevins à l’Aragon au sujet de la Trinacrie. Les grands marchands juifs soutiennent la politique angevine et apportent leur concours à la ville. Par exemple, en avril 1384, Léon Passapayre fait venir 156 setiers de froment d’Arles (soit plus de 120 hl, le setier correspondant à deux émines), par voie fluviale, sur la barque d’Étienne Fustier de l’Isle-sur-Sorgue. La même année, il importe de Roses (Catalogne) 30 poids et 46 poids de farine (près de 2,3 tonnes et près de 3,5 tonnes) à bord de la barque d’Hugon Raymond, 51 poids de farine (près de 3,9 tonnes) à bord de celle de Michel Abelhe de l’Isle-sur-Sorgue, 45 poids de farine (un peu plus de 3,4 tonnes) à bord de celle de Martin Bosquet, 24 poids de farine (un peu plus de 1 , 8 tonne) à bord de celle de Jean Boyer de Berre, et 410 émines de blé (plus de 157 hl) à bord de celle d’Hugon Lambert de Marseille [72].

42 Les médecins juifs mettent également leurs compétences au service de la cité. Ils sont engagés par la ville. Les archives municipales recèlent leurs ordres de rémunération. Par exemple, maître Ferrier Marvan exerce au service des malades de l’hôpital de l’Annonciade en 1389 et de l’hôpital du Saint-Esprit en 1397. Maître Mosson Marvan, quant à lui, sert l’hôpital du Saint-Esprit en 1408-1409 et en 1417-1418, aux côtés de maître Ruben Mossé Gérondin, médecin de Marseille connu sous l’acronyme de Raban.

43 Le quartier offre aux juifs un autre cadre à leur participation au fonctionnement administratif de la cité. Le Compte des recettes fiscales effectuées par îlot et sixain entre décembre 1384 et mars 1385 atteste leur responsabilité en tant qu’îlotiers (insularii), chargés de collecter l’impôt auprès de leurs voisins, juifs comme chrétiens, avant de le porter au trésorier de la ville [73]. Par exemple, le juif Salvet Cassin se présente devant le trésorier le 12 décembre 1384, au nom de quatre de ses voisins, à savoir les trois chrétiens Charles de Montolieu, Jacques Rostang et Hugon Vassalh, et le juif Abraham de Lunel.

44 Dans les deux cas, des juifs spécialistes sont réputés utiles à la chose publique. Leur rôle dans l’administration urbaine, la collecte des impôts juifs ou chrétiens, le courtage et la vente à l’encans comme officium publicum, s’observent tant à Marseille que dans les villes de la Couronne d’Aragon. Bien qu’en théorie « infidèles » et, en vertu du canon 69 du concile de Latran IV (1215), repris dans les législations princières et municipales, privés de tout pouvoir sur un chrétien, les juifs se voient conférer à titre individuel la « bonne foi » et le pouvoir public, dans des domaines autres que fiscal. C’est explicite dans la documentation marseillaise, où les courtiers et les vendeurs à l’encan sont dits publici.

45 De surcroît, la chronologie différentielle entre les villes d’Aragon et Marseille remet en question l’approche linéaire de l’exclusion progressive et irréversible des juifs à partir du bas Moyen Âge. En 1357, lorsque des bandes de routiers menacent Marseille, les juifs doivent porter des pierres aux remparts de la ville. Il est aussi prévu qu’ils abandonnent leurs habitations aux populations des faubourgs venues se réfugier à l’intérieur des remparts et qu’ils soient relogés dans le reste de la ville, à l’intérieur des remparts. La Juiverie, alors refuge pour les populations des faubourgs, doit être ceinte d’une barrière [74]. Loin d’illustrer une tendance à l’exclusion et à l’isolement, ces mesures, au contraire, témoignent de la forte implication des juifs dans la vie de la cité [75]. Au même moment, la communauté juive de Marseille contribue aussi aux dépenses consécutives aux sièges d’Auriol et de Roquevaire, à hauteur de 25 florins [76].

46 Dans la Couronne d’Aragon, le Privilegio general imposa très tôt au souverain de ne pas continuer à confier aux juifs des charges publiques. Même si la coalition de nobles en 1283 et en 1287 inscrit dans la loi du royaume une prohibition traditionnelle, reformulée dans les canons du concile de Latran IV concernant les juifs, il est bien visible que le statut des juifs représente un enjeu dans un conflit entre le roi et une noblesse qui rejoint les opinions des démagogues capables d’agiter une foule révoltée comme en 1285 lors de la révolte de Berenger Oller à Barcelone [77]. Avant ces épisodes, les juifs peuvent être batlle ou exercer par d’autres biais l’autorité sur des chrétiens [78]. Cette situation perdure jusqu’à la fin du XIIIe siècle. La chute de la famille Abenmassé y met un terme. Certes spectaculaire, la mise à l’écart de Samuel Abenmassé n’est toutefois peut-être pas liée à sa judéité. Pour comprendre l’épisode, on ne doit pas oublier, en effet, le contexte de règlement de comptes entre hommes de l’ancien monarque et ceux du nouveau roi [79].

47 Jusqu’à la fin du XIVe siècle, sous le règne de Pierre le Cérémonieux, les juifs obtiennent des missions et exercent des activités au plus près du pouvoir. Il apparaît cependant que leur place de médecins, d’administrateurs ou de traducteurs d’arabe en fait plutôt des favoris du roi que des membres de la communauté citoyenne de plein droit. C’est à la lumière de ces faits que nous devons observer la chronologie qui met les juifs à l’écart de ce point de vue. L’impossibilité pour les juifs d’accéder à des responsabilités au sein de la communauté politique, même dans ses expressions les plus économiques comme les métiers, pourrait expliquer les conversions des années 1415. Il ne faut toutefois pas aller trop vite dans l’histoire d’une ségrégation annoncée. Le cas marseillais nous y invite.

ÊTRE EXPERT : ÊTRE INTÉGRÉ DANS LE MÉTIER, ÊTRE INTÉGRÉ DANS LA CITÉ ?

48 Dans le grand port provençal, en effet, le XIVe siècle est un moment de conquête qui se matérialise en particulier par quatre listes de courtiers qui prêtent le serment d’exercer leur officium « fidèlement et légalement » (fideliter et legaliter). Datées de 1351 , 1356, 1365-1366 et 1367-1368, ces listes mettent en scène plus de 170 juifs, dont 36 femmes [80]. L’initiative est spontanée. Rien n’oblige les corraterii ni les incantatores publici à prêter serment. Si les juifs constituent la quasi-totalité des prestataires, trois des listes n’excluent pas la présence de quelques chrétiens, connus par ailleurs en tant que juristes (jurisperiti) et membres de familles chrétiennes en vue. Leur intervention confirme que le serment des courtiers n’est en rien discriminant à l’encontre des juifs. Il est par ailleurs fort probable que les courtiers chrétiens aient prêté serment pour soutenir et cautionner l’initiative juive [81] .

49 Si nous manquons de données catalanes sur l’insertion des juifs dans les métiers, excepté quelques documents concernant les conflits autour des convertis drapiers à Perpignan et ailleurs, des courtiers, cela n’implique pas nécessairement une ségrégation marquée entre juifs et chrétiens [82]. Ainsi, comment comprendre le durcissement de la législation sur l’usure, spécialement sur l’usure des juifs et la pratique systématique du jurement des prêteurs juifs ? Déjà signalé par Joseph Shatzmiller [83], il appert qu’au XIVe siècle, les juifs jurent de respecter le taux d’usure – c’est-à-dire d’intérêt légal – de 20 %, en prêtant serment sur le Décalogue, à savoir sur une copie des Dix commandements conservée chez les notaires [84]. Pour obtenir un meilleur contrôle, une cérémonie annuelle est organisée, lors de laquelle le serment collectif se fait sur les rouleaux de la Torah. Ce jurement – comme bien d’autres serments visant à garantir la confiance dans les affaires et l’énonciation de la vérité au tribunal –, n’a apparemment rien d’infamant. Aussi est-il légitime de se demander si le serment prêté publiquement par les juifs sur les rouleaux de la Torah ne serait pas un élément annonciateur d’un métier juré en constitution. Cette hypothèse, qui ne peut être tranchée ici, mérite d’être examinée à la lumière de sources nouvelles [85]. Encore une fois, les juifs se trouveraient au cœur de la société civique nouvelle en constitution, tandis que le respect de leur religion et la manière dont ils sont intégrés – à travers leur place juridique – en feraient des citoyens relevant d’un droit différent, d’une civilisation en partie étrangère [86]. Le pragmatisme des pratiques – notons ici qu’il ne s’agit pas de faire ou non des citoyens mais de garantir de bonnes pratiques du crédit – aboutit à deux mouvements contradictoires, intégrateur et source de marginalisation.

50 Un exemple comparable existe à Marseille où, finalement, aucun obstacle théorique à ce que les juifs soient appelés à aider à dire le droit n’est opérant [87]. L’économie des métiers se met en place lentement dans la cité, et les juifs veillent à ne pas en être systématiquement exclus. Si dès 1257, les Statuts incluent une liste de vingt métiers considérés comme les plus importants, il ne s’agit que de « métiers réglés », qui ne forment pas de « corps ». Le premier métier juré complet au sens de corporation est le métier des savetiers, qui date de 1365. Les savetiers cotisent alors dans une confrérie unique soumise à l’autorité de prieurs élus [88]. Dès lors, à Marseille, les confréries tendent à former des corps privilégiés, réservés aux fidèles qui se rassemblent autour d’un saint patron et qui pratiquent la commensalité lors d’un banquet annuel, à l’instar de celui de la Confrérie du Luminaire des Savetiers, réuni chaque année le 1er août. Exclusivement professionnel et masculin, il offre l’occasion de renouveler les officiers dont la fonction est intégrée au métier [89].

51 Or, la jurisprudence révèle la constitution d’embryons de métiers jurés dont les juifs ne sont pas exclus. Ainsi, dans les premiers jours d’octobre 1350, des drapiers et des tailleurs, chrétiens et juifs, jurent d’exercer leur métier dans le respect de la criée fraîchement promulguée, qui leur interdit de s’associer à des drapiers pour le commerce des draps, sous peine d’une amende de cent sous [90]. Ainsi, contre toute attente, le développement des confréries à Marseille dans la deuxième moitié du XIVe siècle n’a pas forcément conduit à la constitution d’une structure coercitive destinée à exclure les juifs. Un procès en livre une illustration [91] . En novembre 1389, le juif Vidalet de Lunel fait appel d’un jugement qui l’a condamné en première instance à rembourser la valeur d’une cottehardie (vestis, cotardia seu tunica) qu’il a fabriquée pour la chrétienne Massileta, épouse d’un laboureur. Cette dernière lui a fourni le tissu dont on ignore la nature. Or, selon l’accusation, le tissu a été abîmé accidentellement par Vidalet avec une braise ou une pierre chauffée (petra calida) et le tailleur juif a quand même jugé bon de l’utiliser malgré tout, si bien qu’il a livré à sa cliente le vêtement endommagé sur quatre doigts. Une expertise a pourtant été réalisée, à la demande de Massileta, celle du tailleur chrétien maître Guillaume de Béziers, qui a déclaré le vêtement invendable en l’état. Vidalet demande alors une contre-expertise, réalisée par deux pareurs de drap chrétiens, spécialistes de la qualité des tissus. Tous deux affirment que le tissu ne peut pas avoir été abîmé par une braise. Le défaut est intrinsèque. Il a donc été fourni tel quel par la cliente à son tailleur. Deux autres experts, juifs cette fois-ci, confirment. Il s’agit des tailleurs Juffet de Saint-Paul et Boniaquet Marvan. Ils affirment que le tissu, même au contact d’une braise, ne peut avoir brûlé. L’affaire démontre que si tentative de contrôle de l’exercice du métier de tailleur il y a, elle est avortée. La contre-expertise des juifs compte, y compris face à des confrères chrétiens. Elle intervient, qui plus est, dans un troisième temps, pour trancher les deux rapports contradictoires antérieurs.

LES PRISES DE POSITION DES JUIFS DANS LA POLITIQUE URBAINE

52 Outre les données sûres, on ne saurait être complet sur l’exercice de la citoyenneté des juifs de Marseille sans évoquer leur marge de manœuvres souterraines, par le biais de leurs relations influentes. L’analyse des réseaux économiques des notables juifs a largement attesté leur familiarité avec les grandes familles chrétiennes détentrices du pouvoir politique. Les notables juifs bénéficient même de soutiens en haut lieu à titre personnel, à l’instar de Mossé Dabram, qui se bat dans la seconde moitié des années 1350 pour sauvegarder l’intégrité du patrimoine familial après le décès de son fils Astrug Mossé alias Falsure. En juillet 1358, il est à même de fournir à la Cour du palais un document daté du 27 mars 1355, par lequel le viguier Paul de Villeneuve intervient personnellement pour le préserver des saisies ordonnées par le juge à son domicile [92].

53 Des preuves des prises de positions des juifs en tant que corps politique au sein de la cité se lisent peut-être dans les criées, en particulier dans celles favorables aux juifs, qui datent principalement du XIVe siècle, époque considérée par Crémieux comme « l’âge d’or de la communauté juive ». Or, plus qu’à la « sollicitude bienveillante et équitable du Conseil et des magistrats à l’égard des juifs marseillais » [93], on conclura au rôle actif des notables juifs qui, par le jeu de leurs puissantes relations, parviennent à peser sur les décisions du Conseil. C’est peut-être le cas avec la criée de 1323, destinée, on l’a vu, à empêcher que l’arrivée de la « foule de juifs étrangers » n’augmente la disette de blé et de vivres dont souffre alors la ville [94]. Or, on l’a déjà évoqué, le soin déjà souligné à ne pas identifier les citoyens juifs de Marseille à ces judei extranei immigrés de fraîche date laisse deviner l’intervention indirecte des notables juifs. Outre le fait qu’ils soient touchés par les problèmes de ravitaillement du port, ils craignent peut-être aussi d’être la cible de violences dans un contexte difficile. Gageons ici que l’on touche aux limites de la solidarité au sein du monde juif. Les notables juifs marseillais ont les moyens de défendre leur chasse gardée. Ils en usent, y compris contre leurs coreligionnaires [95]. Aussi obtiennent-ils des dérogations aux règlements de police, ainsi que des avantages matériels. Ils trouvent le moyen de se défendre non seulement contre les actions des différents agents du comte, mais aussi face aux dignitaires de l’Église tentés de leur imposer leur juridiction. En 1350, la position du Conseil est implacable contre l’Inquisiteur de la foi qui tente d’empêcher quelques juifs de Marseille de quitter la ville et de s’installer ailleurs.

54 Finalement, la comparaison entre les juifs de Marseille et les juifs de la Couronne d’Aragon permet d’esquisser une aire qui s’étend de Valence à la Provence au sein de laquelle les différences juridiques ne sont pas aussi marquées qu’elles le semblaient de prime abord. En effet, les textes juridiques ne peuvent être considérés comme l’expression pure et simple d’une norme ségrégative. Ainsi, qu’ils soient explicitement qualifiés de cives – comme à Marseille et, dans une certaine mesure, comme à Majorque – ou non, les juifs sont bel et bien membres de la communauté civique et peuvent se prévaloir, au sein de la société urbaine majoritairement chrétienne, d’une citoyenneté de droit, théoriquement limitée par leur condition d’infériorité, mais qui est loin d’être vide de tout contenu. Étrangers à la christianitas, les juifs n’en sont pas moins intégrés à la civitas. De Valence à Marseille, ils partagent avec les chrétiens, entre autres valeurs communes, l’amour de la cité natale ou d’adoption. Citoyens de seconde zone, c’est-à-dire comparable à la citoyenneté sine suffragio de la Rome républicaine, ils n’en sont pas moins des citoyens actifs qui, le cas échéant, ont même voix au chapitre. Finalement, la spécificité sicilienne – à savoir l’égalité complète entre citoyens juifs et chrétiens – ne s’écroule pas, mais elle s’estompe à la lumière des cas marseillais, catalan et majorquin.

55 L’étude du statut des juifs dans la cité livre des informations sur la ville médiévale en général. Tandis qu’à l’échelle de la chrétienté, les juifs ne peuvent en aucun cas être membres de l’Ecclesia – même lorsqu’ils sont convertis, leur statut demeure ambivalent –, le cadre urbain offre un espace spécifique, qui révèle une autre logique de convivencia. L’essor de la ville s’accompagne au XIVe siècle du développement d’une culture laïque urbaine, qui laisse la place à des appartenances différentes et qui crée ainsi un espace civique transcommunautaire.

56 Les différences ressurgissent toutefois dès lors que l’on examine de plus près la chronologie. Si la seconde moitié du XIVe siècle est un moment de conquête pour les citoyens juifs de Marseille – par le biais de la participation à la professionnalisation et à l’encadrement du « métier » de courtier, par exemple, ou encore par une forme d’intégration via la reconnaissance de l’expertise des drapiers juifs –, il en est tout autrement en Catalogne et à Majorque où, après le règne de Pierre le Cérémonieux, il devient désormais impossible pour les juifs d’accéder à des responsabilités politiques ou économiques. Cette chronologie différentielle mise au jour invalide la thèse de l’exclusion généralisée, progressive et linéaire des juifs de l’Europe chrétienne, d’abord de l’espace public, puis de la chrétienté avec les expulsions générales.

57 Enfin, l’ensemble de ces conclusions conduit à prôner et à poursuivre plus avant la comparaison afin de décloisonner l’approche de l’histoire des juifs de l’Occident chrétien au bas Moyen Âge. Les dernières décennies ont donné lieu à la production de multiples monographies de communautés juives européennes, dans les pays de droit écrit en particulier. Pour ces derniers, en l’absence de fonds hébraïques suffisamment étoffés, parfois délaissés ou encore inconnus [96], les documents latins de la pratique – notariés et judiciaires – ont constitué le socle de travaux attachés à souligner les spécificités locales et les originalités. Il est désormais temps, aujourd’hui, d’exploiter cette production historique solide, riche et variée à de nouvelles fins, en acceptant la comparaison et la confrontation, sources de conclusions novatrices et de convergences parfois inattendues [97].


Date de mise en ligne : 01/03/2012.

https://doi.org/10.3917/rhu.032.0073

Notes

  • [*]
    Claude Denjean est maître de conférences, habilitée à diriger des recherches, d’histoire médiévale à l’Université de Toulouse-Le Mirail et membre du FRAMESPA JACOV.
  • [**]
    Juliette Sibon est maître de conférences d’histoire médiévale à l’Université d’Albi et membre de l’équipe JACOV au sein du FRAMESPA, Université Toulouse-Le Mirail.
  • [1]
    Cet article rend compte de la réflexion suscitée par la question posée par Juliette Sibon, organisatrice de la session Le citoyen juif dans la ville médiévale au 10e colloque de l’Association Européenne d’Histoire Urbaine qui s’est tenu à Gand du 1er au 4 septembre 2010.
  • [2]
    Bulle Sicut Iudaeis de 1123, Latran III en 1179 et Latran IV en 1215.
  • [3]
    Rosa Aznar Costa, Guillermo Redondo Veintimillas, Esteban Sarasa Sánchez, Max Gorosh, Los fueros de Teruel y Albarracín : tiempo de derecho foral en el sur aragonés, Zaragoza, El Justicia de Aragón, 2007, 2 vol ; José Castañe, El Fuero de Teruel, Edición crítica con introducción y traducción, Teruel, Ayuntamiento de Teruel, 1989 ; Ana María Barrero García, El Fuero de Teruel. Su historia, proceso de formación y reconstrucción crítica de sus fuentes, Madrid, Agesa, 1979 ; Jaime Caruana Gómez de Barreda, El Fuero latino de Teruel, Teruel, Instituto de Estudios Turolenses, 1974.
  • [4]
    Ytzak Fritz Baer, A History of the Jews in Christian Spain, Philadephia-Jerusalem, The Jewish Publication Society of America, 1992, p. 85.
  • [5]
    Béatrice Leroy, Les Juifs dans l’Espagne chrétienne avant 1492, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [6]
    Par exemple, dans le royaume de France, William Chester Jordan, The French Monarchy and the Jews : from Philip August to the last Capetians, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989.
  • [7]
    Henri Bresc, Arabes de langue, juifs de religion. L’évolution du judaïsme sicilien dans l’environnement latin, XIIe-XVe siècles, Paris, Bouchène, 2001 , p. 109-111 .
  • [8]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille au Moyen Âge », Revue des Études Juives, n46, 1903, p. 1-47 et p. 246-268, et n47, 1904, p. 62-86 et p. 243-261, et Juliette Sibon, Les juifs de Marseille au XIVe siècle, Préface de Henri Bresc, Paris, Cerf (Coll. Nouvelle Gallia Judaica n6), 2011 .
  • [9]
    Henri Bresc, « L’étranger privilégié dans les politiques municipales : Palerme (1311-1410) et Draguignan (1370-1440) », dans Claudia Moatti et Wolfgang Kaiser (sous la direction de), Gens de passage en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 203-211 , ici p. 204.
  • [10]
    Noël Coulet, « Les juifs en Provence au bas Moyen Âge : les limites d’une marginalité », dans Pierre Tucoo-Chala (sous la direction de), Minorités et marginaux en France méridionale et dans la péninsule Ibérique (VIIe-XVIIIe s.), Paris, Éd. du CNRS, 1986, p. 203-219.
  • [11]
    Ibidem, p. 203-204.
  • [12]
    Corpus juris civilis, c. 21 , C. 1 , 5, et Novelles, 45.
  • [13]
    Statuts de Marseille II, 9, IV, 22, V, 8 et V, 14.
  • [14]
    Il s’agit de l’ordonnance du 8 février 1294 au sujet de la morale religieuse, qui passe, par exemple, par l’assistance à la messe et l’interdiction du concubinage, ainsi que par l’interdiction faite aux juifs d’avoir des serviteurs chrétiens et d’exercer des offices de justice. Voir Gérard Giordanengo, « L’État et le droit en Provence », dans L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre XIIIe et XIVe siècle, Roma, École Française de Rome, 1998, p. 35-80.
  • [15]
    Livres verts et livres rouges dont certains sont édités par la Fundació Noguera ; à Barcelone, ordinacions. Les monographies urbaines ou celles étudiant les communautés juives sont trop nombreuses pour être citées ici.
  • [16]
    José Maria Font i Rius, Cartas de poblaciones y franquicias de Catalunya, Madrid-Barcelona, Escuela de estudios medievales, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instítuto de Geografía, Etnografía e Historia, Unidad de Investigación en Historia Medieval, 1969-1983, 2 vol. Les travaux récents qui ont fait date ne s’attachent pas à l’histoire urbaine et à la question de la citoyenneté, mais restent tributaires du débat sur la convivencia en observant plutôt le statut des minorités à travers la thématique de la violence, en particulier David Nirenberg, Communities of Violence : persecution of minorities in the Middle Ages, Princeton, 1996 (Violence et minorités au Moyen Âge, trad. française par Nicole Genet, Paris, 2001) et Claire Soussen, « Iudei Nostri ». Pouvoir royal, communautés juives et société chrétienne dans les territoires de la Couronne d’Aragon (XIIIe-1re moitié du XIVe siècle), Toulouse, Méridiennes (à paraître en septembre 2011) ; Christophe Cailleaux, « La ségrégation des juifs à Barcelone au XIVe siècle : entre normes et pratiques », dans Nicole Gonthier (édité par), L’exclusion au Moyen Âge, Actes du colloque international organisé les 26 et 27 mai 2005, Lyon, Université Jean Moulin, 2006, p. 43-68 ; idem, « Documents judiciaires des juifs de Tortose », Échanger, évaluer, estimer, Journées Solidarités fugaces, solidarités imaginaires, (Toulouse, 23-24 février 2008), (à paraître).
  • [17]
    Voir par exemple Claude Denjean, Juifs et chrétiens. De Perpignan à Puigcerdá XIIIe-XIVe siècles, Préface de Danièle Iancu-Agou, Canet, Trabucaire, 2004.
  • [18]
    Au sujet de Perpignan, voir Philip Daileader, De vrais citoyens : violence, mémoire et identité dans la communauté médiévale de Perpignan, 1162-1397, Canet, 2004.
  • [19]
    Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, 1937, 9 vol., qui prend son exemple dans un texte d’Oresme.
  • [20]
    Christian Maurel, « Habitants et citoyens de Marseille à l’automne du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles) », Marseille, n159, 1991 , p. 46-48, et « Du citadinage à la naturalité : l’intégration des étrangers à Marseille (XIIIe-XVIe siècles) », De Provence et d’ailleurs, Mélanges offerts à Noël Coulet, Provence Historique, n49, 1999, p. 333-352.
  • [21]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., Pièce justificative n1 , p. 62-63. Pour le XVe siècle provençal, voir Danièle Iancu, Les juifs en Provence (1475-1501). De l’insertion à l’expulsion, Préface de Georges Duby, Marseille, Institut historique de Provence, 1981 , p. 177 et Pièce justificative n44, p. 290, et Noël Coulet, « Frontières incertaines : les juifs en Provence au Moyen Âge », Provence Historique, n35, 1985, fasc. 142, p. 371-376, ici p. 375.
  • [22]
    Jusqu’en 1348, Marseille est administrativement divisée entre la Ville inférieure, la Ville supérieure et la Ville de la Prévôté. Il existe alors deux Juiveries officielles, l’une dans la Ville inférieure et l’autre dans la Ville supérieure, chacune s’épanouissant dans le cadre de son Universitas.
  • [23]
    Archives départementales des Bouches-du-Rhône (désormais AD13), 381 E 372.
  • [24]
    Respectivement AD13 391 E 5, fol. 142, et 355 E 80, fol. 35.
  • [25]
    Nouvelles acquisitions latines de la Bibliothèque Nationale de France (désormais BNF Nal), 1350, fol. 22v.
  • [26]
    Respectivement AD13 381 E 380, fol. 27v, et 351 E 52, fol. 38v.
  • [27]
    Par Philippe de Majorque, le 5 novembre 1325, Códice Pueyo, f31 v. : « ad humilem suplicationem secretariorum aljame judeorum Majoricarum, nomine tutorio predicto, damus et concedimus dicte aljame et judeis ejusdem, presentibus et futuris, licentiam et potestam, quod possint et valeant libere uti et gaudere omnibus franquesiis, consuetudinibus et aliis immunitatibus, quibus utuntur et gaudent cives civitatis et regni Majoricarum in omnibus et per omnia, prout tamen dicti judei usi sunt hactenus de eisdem ». Merci à Youna Masset d’avoir rappelé l’importance de ce texte. Voir Fidel Fita et Gabriel Llabrès, « Privilegios de los hébréos mallorquinos en el códige Pueyo », Boletín de la Real Academia de Historia, Segundo período, 1900, p. 123-149. L’île a été conquise en 1229 par Jacques 1er le Conquérant, qui a accordé un statut favorable aux juifs déjà présents ; cette politique est poursuivie par les rois de Majorque (1279-1344), durant les années où le royaume manifeste son indépendance par rapport à l’Aragon. Sur les aléas de la situation des juifs, voir David Abulafia, Un emporio mediterráneo. El reino catalan de Mallorca [éd. anglaise, Cambridge, 1994], Barcelona, 1996.
  • [28]
    Archives départementales des Pyrénées orientales (désormais ADPO), 1 B 332.
  • [29]
    Par exemple, Arxiu Històric Comarcal de Puigcerda, Liber extraneorum, 1297, f15.
  • [30]
    Joan Bastardas i Parera (édité par), Usatges de Barcelona. El codi a mitjan segle XII, Barcelona, Fundació Noguera, 1984.
  • [31]
    Ces cas sont nombreux après les expulsions de France du début du XIVe siècle et au moment où les conversions sont fréquentes. Voir Claude Denjean, « Comment peut-on être un bon converti ? Des convertis en Roussillon et en Cerdagne à la fin du XIVe siècle », dans Michelle Ros (sous la direction de), Perpignan, l’histoire des Juifs dans la ville, Perpignan, 2003, p. 123-130 ; « Les néophytes en Roussillon et en Cerdagne au XVe siècle : réflexions pour une typologie », dans Danièle Iancu-Agou, L’expulsion des juifs de Provence et de l’Europe méditerranéenne. Exils et conversions (XVe-XVIe siècles), En mémoire de Georges Duby, Paris, Cerf (coll. Nouvelle Gallia judaica), 2005, p. 207-230.
  • [32]
    Charte du quartier de Darracina, à Tortosa, dans José Maria Font i Rius, Cartas de poblaciones... op. cit., n76, p. 126-128.
  • [33]
    Juliette Sibon, « La communauté juive dans la cité : la juiverie de la ville basse », dans Thierry Pécout (sous la direction de), Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée : les horizons d’une ville portuaire, Paris, Désiris, 2009, p. 111-114.
  • [34]
    Représentant de l’Université des juifs, en fonction pour un an, chargé de la collecte des impôts en collaboration avec un ou deux autres syndics.
  • [35]
    Sur Aaron, voir Kalonymos ben Kalonymos d’Arles, L’Épître de l’Apologie mineure, éditée par Joseph Shatzmiller, Sefunot, n10, 1966, p. 9-52, et sur Bonjuson, voir Isaac Bloch, « Bonjusas Bondavin », Revue des Études Juives, n8, 1884, p. 280-283.
  • [36]
    Daniel Smail, « The Two Synagogues of Medieval Marseille. Documentary Evidence », Revue des Études Juives, n156 (1-2), 1995, p. 115-124.
  • [37]
    Fred Menkès, « Une communauté juive en Provence au XIVe siècle. Étude d’un groupe social », Le Moyen Âge, n24/4, 1977, p. 277-303, p. 417-450.
  • [38]
    AD13 3B 7, fol. 28 et 38 vo, traduits et publiés dans Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d’argent dans la société médiévale, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 195 et p. 205.
  • [39]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, Processos en Quart (désormais ACA, PQ), 1325 A, B et C.
  • [40]
    Ibidem, 1325 A 11v, 13 v, B f. 1 v, 3 v, 6 v-7 r, 11r-v, 15 r, 16 r, 35 r, C f. 5 v.
  • [41]
    On le retrouve à Saragosse, dans l’argumentaire au sujet du mariage et du bon chrétien fin XVe, dans Martine Charageat, La délinquance matrimoniale. Couples en conflits et justice en Aragon (XVe-XVIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
  • [42]
    Jacques de Voragine, Legenda aurea, [Paris 1900] (La légende dorée, trad. du latin par l’abbé Jean-Baptiste-Marie Roze, Paris, 1967), p. 50-51.
  • [43]
    Giacomo Todeschini, Ricchezza francescana. Dalla poverta‘ volontaria alla societa‘ di mercato, Bologna, 2004 (Richesse franciscaine, de la pauvreté volontaire a‘ la société de marché, trad. française par Nathalie Gailius et Roberto Nigro, Lagrasse, Verdier, 2008) ; voir aussi Paolo Evangelisti, « Fede, mercato, comunità nei sermoni di un protagonista della costruzione dell’identità politica della corona catalano-aragonese. Matteo d’Agrigento (1380 c.-1450) », Collectanea Franciscana, LXXIII, 2003, p. 617-664 ; « Credere nel mercato, credere nella res publica. La communità catalano-aragonese nelle proposte e nell’azione politica di un esponente del francescanesimo mediterraneo : Francesc Eiximenis », AEM, n33 (1), 2003, p. 69-117.
  • [44]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Registre 319, Varia 32, Usurarum, 1297-1298 ; Claude Denjean, La loi du lucre. L’usure en procès dans la couronne d’Aragon à la fin du Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez, 2011.
  • [45]
    ACA, PQ, 1298 T.
  • [46]
    Juliette Sibon, « Du gage-objet au gage-chose. Une étude de cas au sommet de la société urbaine marseillaise à l’extrême fin du XIVe siècle », dans Anna Rodriguez et Laurent Feller (sous la direction de), Les objets sous contrainte, (à paraître).
  • [47]
    Latran IV (1215), canon 68, dans Raymonde Foreville, Histoire des conciles œcuméniques 6. Latran I, II, III et Latran IV, Paris, Éditions de l’Orante, 1965, p. 380-382, et pour la réglementation municipale, Statuts de la ville de Marseille, V, 14.
  • [48]
    Damien Boquet, « Faire l’amitié au Moyen Âge », Critique, n63/716-717, 2007, p. 102-113, et Laurence Fontaine, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle, Paris, Gallimard (coll. nrf essais), 2008, p. 224-238.
  • [49]
    Barbara Rosenwein, To be Neighbor of Saint Peter. The Social Meaning of Cluny’s Property (909-1049), Ithaca-London, Cornell University Press, 1989.
  • [50]
    ACA, PQ, 1298 T et Claude Denjean, « Les juifs courtiers parmi les chrétiens : l’échange sans la religion ? », Bon gré mal gré. Les échanges interconfessionnels dans l’Occident chrétien (XIIe-XVIIIe siècles), Claire Soussen (sous la direction de), Cahiers de recherches médiévales et humanistes (à paraître).
  • [51]
    AD13 3B 96, fol. 103-116.
  • [52]
    AD13 3B 83, 3B 96, fol. 48 et sq., fol. 64 et sq., fol. 103 et sq., et fol. 139 et sq., et 3B 845, fol. 312 et sq.
  • [53]
    Sur les connotations différentes des termes judeus et hebreus dans les sources littéraires, voir notamment Danièle Sansy, L’image du juif en France du Nord et en Angleterre du XIIe au XVe siècles, Thèse de doctorat non publiée, Université de Paris X-Nanterre, 1993, p. 328.
  • [54]
    AD13 3B 96, fol. 104.
  • [55]
    AD13 351 E 36, fol. 122.
  • [56]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 8.
  • [57]
    La réalité de cette nouvelle expulsion des juifs du royaume de France après le rappel effectué par Louis X le Hutin en 1315 ne fait pas l’unanimité chez les historiens.
  • [58]
    Kenneth Stow, Alienated Minority. The Jews of Medieval Latin Europe, Cambridge Mass.- London, Harvard University Press, 1992, p. 295.
  • [59]
    Georges Lesage, « Les difficultés du ravitaillement de Marseille en blé au XIVe siècle », Bulletin du musée de la ville de Marseille, n56, 1941 , p. 3-6.
  • [60]
    Juliette Sibon, « La communauté juive de Marseille : un refuge pour les exilés du royaume de France ? », dans Danièle Iancu-Agou (sous la direction de), avec la collaboration d’Élie Nicolas, Philippe le Bel et les juifs du royaume de France (1306), Paris, Cerf (coll. Nouvelle Gallia Judaica n7), à paraître en 2012.
  • [61]
    Israël Lévi, Les juifs et l’Inquisition dans la France méridionale, Paris, Durlacher, 1891 , cité dans Joseph Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive de Manosque au Moyen Âge, 1241- 1329, Préface de Georges Duby, Paris-La Haye, Mouton & Co, p. 15.
  • [62]
    Voir Heinrich Gross, Gallia Judaïca. Dictionnaire géographique de la France d’après les sources rabbiniques, Paris, Cerf, 1897, 2e réédition préfacée par Danièle Iancu-Agou et Gérard Nahon, avec un nouveau supplément bibliographique de Simon Schwarzfuchs, Paris-Louvain, Peteers, 2010.
  • [63]
    Gérard Nahon, Inscriptions hébraïques et juives de France, Paris, Les Belles Lettres (coll. Franco-Judaïca), 1986, p. 342-345.
  • [64]
    Claude Denjean, « Comment peut-on être un bon converti ?... », op. cit., et eadem, « Les conflits inter et intra communautaires en Cerdagne et en Roussillon, aux XIIIe, XIVe et XVe siècles », dans Michelle Ros (sous la direction de), Perpignan..., op. cit., p. 131-146.
  • [65]
    Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, Processos en Quart, 1300.
  • [66]
    Joseph Shatzmiller, Shylock..., op. cit., et Juliette Sibon, Les juifs de Marseille..., op. cit., p. 60- 72.
  • [67]
    Elena Lourie, « Jewish Participation in Royal Funerary Rites : an Early Use of the Representatio in Aragon », Journal of the Warbug and Courtault institute, n45, 1982, p. 192-194.
  • [68]
    Noël Coulet, « De l’intégration à l’exclusion : la place des juifs dans les cérémonies d’entrée solennelle au Moyen Âge », Annales, n34, 1979, p. 672-683.
  • [69]
    Ibidem, p. 679-680.
  • [70]
    Claude Denjean, De Perpignan à Puigcerda..., op. cit.., p. 89.
  • [71]
    Claude Denjean, « La Cerdagne autour de 1350 : pratiques politiques d’une périphérie convoitée », Hommes et terres du Sud : structures politiques et évolution des sociétés, XIIe-XVIIIe siècles, dans Philippe Contamine (sous la direction de), Paris, CTHS (coll. Histoire), 2009, p. 217-242.
  • [72]
    Archives municipales de Marseille (désormais ACM), EE 10, fol. 24, et ACM CC 193, Registre des mandats délivrés par les syndics et les Six de la Guerre, rubrique « Rèves du blé », fol. 92 et fol. 97.
  • [73]
    ACM CC 175, fol. 18, 21 vo, 24, 48 et 75.
  • [74]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., n47, p. 30-31 .
  • [75]
    Juliette Sibon, Les juifs de Marseille..., op. cit., p. 193-203.
  • [76]
    ACM CC 2263 (Comptes d’emprunts), registre des quotités versées pour l’emprunt en vue de satisfaire aux accords conclus avec les Génois (dépenses du siège d’Auriol et de Roquevaire).
  • [77]
    Philippe Wolff, « L’épisode de Berenguer Oller à Barcelone en 1285. Essai d’interprétations sociales », Anuario de Estudios Medievales, n5, 1968, p. 207-222.
  • [78]
    Un batlle royal est en Catalogne un officier local responsable de l’ordre et du prélèvement de taxes. Son autorité est subordonnée à celle du viguier.
  • [79]
    Claude Denjean, La loi du lucre..., op. cit., p. 256-257 et David Romano, « Los hermanos Abenmassé al servicio de Pedro el Grande de Aragón », dans Homenaje a Millás-Vallicrosa, Barcelona, 1956, t. II, p. 243-292 ; repris dans De historia judía hispánica, Barcelona, Universitat de Barcelona, 1991 , p. 43-92 et Judíos al servicio de Pedro el Grande de Aragón, 1276-1285, Barcelona, 1985.
  • [80]
    AD13 3B 59, fol. 43 et sq., et Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 64-71 .
  • [81]
    Juliette Sibon, « La fides des infidèles. Les courtiers juifs de Marseille au XIVe siècle », dans Benoît Grévin, Annliese Nef et Emmanuelle Tixier (sous la direction de), Chrétiens, juifs et musulmans dans la Méditerranée médiévale, Hommage en l’honneur d’Henri Bresc, Paris, 2008, p. 103-114.
  • [82]
    Fabienne Plazolles-Guillen, « Les courtiers de commerce à Barcelone au XVe siècle », Mélanges de la Casa de Velázquez, n29/I, 1993, p. 127-154.
  • [83]
    Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé..., op. cit., p. 81 .
  • [84]
    Arxiu Històric Comarcal de Puigcerda, Liber firmitatis, 1343, f1 ro.
  • [85]
    Claude Denjean et Laurent Feller (sous la direction de), Expertise et valeur des choses. 1. Le besoin d’expertise, Madrid, Casa de Velázquez, (à paraître).
  • [86]
    Claude Denjean, La loi du Lucre..., op. cit.
  • [87]
    Juliette Sibon, « Pourquoi a-t-on besoin d’experts juifs à Marseille au XIVe siècle ? », dans Claude Denjean et Laurent Feller (sous la direction de), Expertise et valeur des choses..., op. cit.
  • [88]
    Joseph Billioud, « De la confrérie à la corporation : les classes industrielles en Provence aux XIVe, XVe et XVIe siècles », Mémoire de l’Institut historique de Provence, t. VI, 1929, p. 235-271 , et t. VII, 1930, p. 5-35, ici p. 13-14 et Pièce justificative p. 67.
  • [89]
    Daniel Smail, Mapping Networks and Knowledge in Medieval Marseille, 1337-1362. Variations on a Theme of Mobility, Ann Arbor, Université du Michigan, 1994, thèse non publiée, p. 243- 244.
  • [90]
    Adolphe Crémieux « Les juifs de Marseille... », op. cit., n47, 1904, p. 62-86, ici Pièce justificative n6, p. 71-72.
  • [91]
    AD13 3B 843, f399 et sq.
  • [92]
    AD13 3B 60, fol. 216 et sq.
  • [93]
    Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 10 et p. 13.
  • [94]
    ACM, Registre des Délibérations 1322-1323, f58, cité dans Adolphe Crémieux, « Les juifs de Marseille... », op. cit., p. 8.
  • [95]
    Juliette Sibon, « La communauté juive de Marseille au début du XIVe siècle : un refuge pour les exilés du royaume de France ? », dans Danièle Iancu-Agou (sous la direction de), avec la collaboration d’Élie Nicolas, Les Juifs du royaume de France..., op. cit., (à paraître).
  • [96]
    On pense ici au fonds géronais de l’Arxiu Històric de Girona (www.hebrewmanuscript.com).
  • [97]
    C’est l’une des ambitions du groupe JACOV (« De Juifs à chrétiens, À l’Origine des Valeurs sur les marchés médiévaux »), rassemblé autour de Claude Denjean.
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