Notes
-
[1]
. Vera Childe, « The Urban Revolution », Town Planning Review, no 21 , 1950, p. 99-115.
-
[2]
Karl Wittfogel, Oriental Despotism, a Comparative Study on Total Power, New Haven-London, Yale University Press, 1957.
-
[3]
Robert Maccormick Adams, Heartland of Cities : Surveys of Ancient Settlements and Land Use on the Central Floodplain of the Euphrates, Chicago, Chicago University Press, 1981 ; Robert Maccormick Adams et Hans Nissen, The Uruk Countryside, Chicago, University of Chicago Press, 1972.
-
[4]
Sur ces problèmes voir, en dernier lieu, Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains de Mésopotamie, contacts et acculturation à l’époque d’Uruk au Moyen-Orient, Paris, CNRS éditions, 2003.
-
[5]
Évaluations réalisées à la suite de la prospection réalisée sur le site d’Uruk dans les années 80 : Uwe Finkbeiner, Uruk, Kampagne 35-37, 1982-1984, Die archäologische Oberflächenuntersuchung (Survey), Mainz am Rhein, Philip von Zabern (Augrabungen in Uruk-Warka Endberichte, désormais AUWE, 4), 1991 .
-
[6]
Traduction de Jean Bottero : L’épopée de Gilgamesh, l’homme qui ne voulait pas mourir, Paris, Gallimard, 1992, p. 64.
-
[7]
Les rapports préliminaires de la mission d’Uruk sont publiés dans la série des UVB (Uruk Vorberichte) et la publication finale dans la série des Uruk Endberichte.
-
[8]
Jusqu’en 1940, onze campagnes, sous l’égide de la Deutsche Orientgesellschaft, et de 1956 à nos jours, vingt-six campagnes supplémentaires, entreprises sous l’égide, depuis 1956, du Deutsches Archäologisches Institut, Orientabteilung, AuBenstelle Baghdad.
-
[9]
Friedrich Von Haller, « Die Keramik der archaischen Schichten von Uruk », dans Arnold Noldeke et al., Vierter vorläufiger Bericht über die von der Notgemeinshaft der Deutschen Wissenschaft in Uruk unternommenen Ausgrabungen, Berlin, de Gruyter (Abhandlungen der Preussischen Akademie der Wissenschaft. Phil.-Hist. Klasse 6), 1932, p. 31-47.
-
[10]
Ricardo Eichmann, Uruk, die Stratigraphie, Grabungen 1912-1977 in den Bereichen Eanna und Anu-Ziggurat, Mainz am Rhein, Philip von Zabern (AUWE 3), 1989.
-
[11]
. Ricardo Eichmann, Uruk, Architektur I, Augrabungen in Uruk-Warka Endberichte, Mainz am Rhein, Philip von Zabern (AUWE 14), 2007.
-
[12]
Hans Nissen, « Cultural and Political Networks in the Ancient Near East during the Fourth and Third Millennia B.C. », dans Mitchell Rothman (ed.), Uruk Mesopotamia and its Neighbors : Cross-cultural Interactions and their Consequences in the Era of State Formation, Santa Fe, School of American Research, 2001 , p. 154.
-
[13]
Roger Matthews, Cities, Seals and Writing : Archaic Seal Impressions from Jemdet Nasr and Ur, Berlin, Gebr. Mann Verlag (MSVO II), 1993 ; Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains..., op. cit., p. 92-94, fig. 15 : sceau urbain et liste archaïque des villes.
-
[14]
Sur la vision qu’avaient les Sumériens de leur espace et des espaces environnants, voir Jeremy Black, « The Sumerians in their Landscape », dans Tsavo Abushi (ed.), Riches hidden in secret Places, Ancient Near Eastern Studies in Memory of Thorkild Jacobsen, Winona Lake, Eisenbrau, 2002, p. 41-61 .
-
[15]
Voir sur ce point Jacob Westenholz, « The Theological Foundation of the City, the Capital City and Babylon », dans Jacob Westenholz (ed.), Capital Cities, Urban Planning and Spiritual Dimensions, Jérusalem, Bible Land Museurm Press (Bible Land Museum Publications no 2), 1998, p. 48-49.
-
[16]
Robert Maccormick Adams et Hans Nissen, The Uruk Countryside, op. cit.
-
[17]
Robert Maccormick Adams, Heartland of Cities..., op. cit.
-
[18]
Guillermo Algaze, The Uruk World System, the Dynamics of Expansion of Early Mesopotamian Civilization, Chicago-London, Chicago University Press, 1993.
-
[19]
Guillermo Algaze, « Initial Social complexity in Southwest Asia : the Mesopotamian Advantage », Current Anthropology, no 42, 2001 , p. 199-233.
-
[20]
Philip Curtin, Cross Cultural Trade in World History, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
-
[21]
. Immanuel Wallerstein, The modern World System, New York, Academic Press, 1974.
-
[22]
Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains..., op. cit.
-
[23]
Hermann Gasche et Michel Tanret, Changing Watercourses in Babylonia. Towards a Reconstruction of the Ancient Environment in Lower Mesopotamia, Gand, Université de Gand et Oriental Institute, 1998.
-
[24]
Bernard Geyer et Paul Sanlaville, « Nouvelle contribution à l’étude géomorphologique de la région de Larsa-Oueili (Iraq) », dans Jean-Louis Huot (dir.), Oueili, Travaux de 1987 et 1989, Paris, ERC, 1996, p. 391-408.
-
[25]
Jennifer Pournelle, Marshland of Cities, Delatic Landscapes and the Evolution of Early Mesopotamian Civilization, PhD Dissertation, San Diego, University of California, 2003 ; « KLM to Corona : a Bird’s Eye view of Cultural Ecology and early Mesopotamian Urbanization », dans Elizabeth Stone (ed.), Settlement and Society, essays dedicated to Robert Maccormick Adams, Los Angeles, Cotsen Institute of Archaeology, University of California, 2007, p. 29-63. Outre les prospections déjà évoquées d’Adams et Nissen, elle a aussi exploité les données du survey d’Ur : Henry T. Wright, « The southern Margins of Sumer » dans Robert Maccormick Adams, Heartland of cities, Chicago, Chicago University Press, 1981 , op. cit., p. 295-345.
-
[26]
Piotr Steinkeller, « City and Countryside in Third Millennium Southern Babylonia », dans Elizabeth Stone (ed.), Settlement and Society..., op. cit., p. 185-213.
-
[27]
André Parrot, L’aventure archéologique, Paris, Robert Laffont, 1979.
-
[28]
L’ouvrage de base est désormais : Jean-Claude Margueron, Mari, métropole de l’Euphrate, au IIIe et au début du IIe millénaire av. J.-C., Paris, Picard/ERC, 2004, pour la synthèse des travaux réalisés à Mari depuis 1933, avec catalogue des campagnes, p. 555-556 jusqu’à la 40e campagne, automne 2003. J.-Cl. Margueron a encore dirigé une campagne, la 41e, en septembre-octobre 2004. Depuis 2005, je dirige la mission de Mari et quatre campagnes supplémentaires ont eu lieu. Les rapports préliminaires de la mission de Mari sont publiés dans la revue Akh Purattim.
-
[29]
Jean-Claude Margueron, Mari..., op. cit., chapitre 5.
-
[30]
Sur ces problèmes de hiérarchisation de l’espace urbain, Pascal Butterlin, « Le problème des entrées royales en Mésopotamie : les limites d’un concept », dans Agnès Bérenger et Éric Perrin-Saminadayar (éd.), Les entrées royales et impériales. Histoire, représentation et diffusion d’une cérémonie publique, de l’Orient ancien à Byzance, Paris, De Boccard, 2009, p. 25-47.
-
[31]
. Jean-Claude Margueron, Mari..., op. cit., p. 140-149.
-
[32]
Sur ce quartier et son fonctionnement, voir Ibidem, p. 147, p. 176-177.
1 Le monde mésopotamien est réputé avoir été le berceau d’une prestigieuse civilisation urbaine, de la civilisation urbaine même pour certains. Depuis les années 50 et la publication des ouvrages de Gordon Childe [1] sur le problème, il est devenu courant de lier urbanisation, naissance de l’État et naissance de l’écriture. Ces trois notions ont été combinées par Childe dans le concept de Révolution urbaine, un saut relativement brutal dans le développement de l’humanité, nouvelle étape décisive dans la ligne évolutionniste après la révolution néolithique. Cette Révolution urbaine était liée à l’émergence de « Cités-États » sumériennes fondées sur l’entretien d’une puissante infrastructure hydraulique, dominée par des rois prêtres. Ceux-ci combinaient prestige religieux, pouvoir politique et économique. Childe puis Wittfogel [2] dans sa foulée ont chacun insisté sur un aspect de ces mutations : d’un côté, l’urbanisation et les mutations technologiques qui l’accompagnent, les moyens de contrôle et d’intégration politique aux racines du despotisme oriental, chez le second. En amont, se dessinait ainsi une théorie de la théocratie hydraulique aux origines des grands empires universels. Cette image d’Épinal de l’histoire mésopotamienne est ce que nous appellerons le premier modèle, dominé par une obsession : il existe un modèle sumérien de civilisation, cette civilisation est urbaine et on a tout simplement remplacé ainsi le miracle grec par le miracle sumérien. L’histoire commence à Sumer de Kramer est resté l’emblème par excellence de cette manière de concevoir l’étude du monde sumérien comme l’étude de nos plus anciens papiers de famille, pour reprendre l’expression chère à Bottero. Les Sumériens vivaient dans des villes (le terme sumérien est URU) assurément, mais les contours de ces dernières restaient pour le moins difficiles à saisir : les archéologues du XIXe siècle, puis ceux de l’entre-deux-guerres, avaient surtout dégagé les vestiges de palais et de temples, pris dans d’énormes tells dont l’étude exige d’énormes moyens, qui furent concentrés presque exclusivement sur les monuments les plus spectaculaires. Les villes enfouies sous ces masses énormes de déblais restaient, pour l’essentiel, affaire d’imagination.
2 La Mésopotamie est toutefois devenue, à partir des années 60, l’un des laboratoires des études d’écologie culturelle ou de géographie urbaine qui se sont développées dans les universités occidentales. Un nouveau modèle s’est alors construit, essentiellement aux États-Unis. L’usage très précoce dans la région de la photographie aérienne (dès la Première Guerre mondiale), puis son application à l’archéologie ont permis de situer les grands tells dans des réseaux hiérarchisés de peuplement. Les études de Robert Mac Adams et Hans Nissen sont restées emblématiques de cette période [3]. Elles ont complètement remis en cause la théorie de la monarchie hydraulique. C’est donc tout un paysage qui s’est ainsi dessiné, mais aussi les contours d’un urbanisme : la découverte de toute une série de villes nouvelles, notamment de colonies urukéennes sur le Moyen Euphrate au début des années 70, a permis de montrer qu’il existait certes des villes, mais aussi une pensée concertée de l’établissement ex nihilo de centres urbains dans des régions jusque-là réputées peu développées [4]. Sur fond de débat entre primitivistes et modernistes, se sont dessinés les contours modernes des débats sur le développement « processuel » de ces villes. Armés des outils de l’anthropologie culturelle néo-évolutionniste, les archéologues se sont lancés dans l’étude des modalités du passage du village à la ville, collant des étiquettes abstraites aux maigres vestiges découverts.
3 Le développement depuis les années 80 de l’archéologie post-processuelle s’est accompagné de plusieurs nouvelles orientations de recherche : c’est d’abord l’identification de deux révolutions urbaines, une révolution dans le Sud mésopotamien au IVe millénaire, suivie, vers 2750, d’une autre révolution urbaine dans le Nord mésopotamien, la Haute Jéziré et en Syrie occidentale.
4 On a ainsi assisté à une réévaluation complète des modalités du décollage sumérien et de son rayonnement : le monde syro-anatolien, comme d’ailleurs le monde iranien, a été le théâtre d’adaptations très spécifiques d’innovations venues pour une part seulement du Sud de l’Irak. Il en a résulté des types très spécifiques de villes et d’urbanisations où colonisation, acculturation et décollages locaux ont chacun joué un rôle qui reste discuté. Ce dosage si l’on peut dire de la révolution urbaine dans le temps et dans l’espace s’accompagne d’une réflexion renouvelée sur la notion même de « ville » : les études modernes, qui combinent fouilles classiques, prospections et prospections géomagnétiques, ont permis d’étudier des tissus urbains, des réseaux de peuplement et de dessiner les contours d’une micro-écologie de la ville et de son arrière-pays. La notion même de ville reste de fait un problème : les orientalistes ont plaqué sur ces réseaux de peuplement des concepts forgés d’abord dans l’étude du développement de la « ville méditerranéenne », puis dans l’étude des différents types de villes. Dans l’aire qui nous intéresse, nous sommes aux racines, d’une part de la « ville orientale », et, d’autre part, de la ville tout simplement. Il est bien difficile de cerner ce qu’est la ville « orientale ». Ce que nous recherchons, ce sont des indices de polarisation, de hiérarchisation de l’espace et de concentration des activités d’une société dans laquelle la ville était une évidence, une réalité du paysage, à la fois parfaitement matérialisée et conceptualisée, selon des modalités qui restent à définir dans le détail.
5 Le propos de cet article n’est naturellement pas de présenter in extenso tous ces problèmes, mais de nous concentrer sur deux exemples emblématiques des questions que posent la première révolution urbaine et son étude. Il s’agit d’une part du site d’Uruk et de son arrière-pays, d’autre part de Mari, un exemple pris au cœur du « pays de Sumer » dans le premier cas, un exemple situé sur les marges au contact entre Nord et Sud de la Mésopotamie. Ce sont quelques-uns des sites les plus étudiés et les mieux connus, l’un pour la fin du IVe millénaire et l’autre surtout pour le milieu du IIIe millénaire, la période classique sumérienne. Dans les deux cas, il s’agit de villes dont le développement ne fut possible qu’en milieu irrigué et à la suite de la construction d’un paysage spécifique, mais on le verra, les différences sont sensibles, et elles donnent la mesure de la diversité des situations, que l’on présentera synthétiquement en conclusion, en mettant ces sites en perspective avec les autres exemples connus.
Uruk, le paradigme incomplet
6 Le développement de ces réseaux de relations caractérise au mieux la naissance de villes qu’il n’est plus question aujourd’hui de définir uniquement par la présence de bâtiments monumentaux, de remparts ou d’une importante concentration de population. Assurément Uruk, la patrie du roi Gilgamesh, qui vécut vers 2600 avant notre ère est, cinq cents ans avant ce roi, un centre important qui s’étend sur plusieurs centaines d’hectares. La prospection réalisée dans les années 80 a permis d’évaluer les dépôts stratifiés datant de la fin du IVe millénaire : ils s’étendent sur 250 ha environ, soit la taille d’Athènes à l’époque de Périclès.
7 Naturellement, cette évaluation est à prendre avec la plus grande prudence. Il s’agit de couches qui procèdent de la dégradation de l’architecture de terre et que la combinaison complexe des mécanismes de sédimentation et d’érosion à l’œuvre à Uruk nous ont conservées. Il ne s’agit donc pas de la ville, mais plutôt d’un périmètre bâti minimal que le hasard de la conservation a préservé. Au début du IIIe millénaire, ce périmètre atteint 590 ha, sans que l’on puisse savoir si tout l’ensemble était occupé en même temps et, surtout, selon quelle densité [5]. On reviendra plus bas sur ces questions d’échelle.
8 La ville d’Uruk est au cœur de l’épopée de Gilgamesh, dont un passage célèbre est souvent commenté :
« C’est lui qui fit édifier les murs d’Uruk les clos et du saint Eanna trésor sacré (...) Monte déambuler sur les remparts d’Uruk ! Scrutes-en les fondations, contemples-en le briquetage ; tout cela n’est-il pas briques cuites ? Et les sept sages, en personne, n’en ont-ils pas jeté les bases ? Trois cents hectares de ville, autant de jardins, autant de terres vierges. C’est l’apanage du temple d’Eshtar. Avec ses mille hectares, tu couvres du regard l’entier domaine d’Uruk. » [6]
10 Nous ne savons rien quasiment de l’Uruk de Gilgamesh, mais nous avons des informations sur l’état dans lequel se présentait le centre d’Uruk à la fin du IVe millénaire. L’ensemble des édifices monumentaux dégagés à Uruk par les Allemands offre une exceptionnelle situation archéologique : sur une très vaste surface, ont été édifiés, en plein cœur de la métropole d’Uruk, une série de complexes intégrés. Ceux-ci ont été fouillés à partir des années 30 par l’Orientgesellschaft puis par le Deutsches Archäologisches Institut [7]. Les bâtiments archaïques ont été dégagés au sud et au sud-est de la ziggurat édifiée par Ur Nammu à la fin du IIIe millénaire. Leur dégagement [8], accompagné dès 1931 du sondage profond [9], a alimenté dans les années trente les théories sur la révolution urbaine de Childe. Les Allemands établirent là la première chronologie de référence sur la période qui devint ainsi période d’Uruk, le moment crucial de l’invention de l’écriture et de la ville. Les édifices dégagés au cœur d’Uruk furent interprétés comme des temples et leur étude a constitué la base de toutes les réflexions sur le problème de la naissance de l’État et des villes en Mésopotamie. Connus essentiellement par les rapports préliminaires, ces édifices ont fait l’objet de deux publications définitives, sur la stratigraphie d’abord en 1989 [10] , puis sur l’architecture, qui vient d’être publiée en 2007 [11] . On a désormais une vision d’ensemble de la documentation, qui permet d’envisager avec précision les ensembles monumentaux dégagés patiemment par les archéologues allemands. À Uruk, deux grands complexes ont été dégagés au centre de la ville : celui de l’Eanna et celui dit de la ziggurat d’Anu. Le premier complexe, à l’est, situé sous les restes d’un secteur voué aux époques historiques à la déesse Inanna, et appelé Eanna, s’inscrivait, au niveau IVa au moins dans un carré de trois cents mètres de côté, recouvrant 9 hectares [12] : dans un périmètre délimité par un mur et segmenté par des rues, se dressaient plusieurs séries de bâtiments, dont toute une série d’édifices tripartites. Certains d’entre eux se dressaient isolés, tandis que d’autres étaient intégrés dans des complexes associant de tels édifices avec une cour et des halles à piliers. Ces complexes se définissent ainsi par la combinaison de formules architecturales de base qui ont été mises en évidence depuis longtemps. Les édifices tripartites s’inscrivent dans une longue tradition mésopotamienne qui remonte au néolithique final : la formule s’est montrée à la fois remarquablement durable et capable de toutes les adaptations.
Uruk d’après les prospections
Uruk d’après les prospections
Bâtiments archaïques de l’Eanna
Bâtiments archaïques de l’Eanna
11 La variante des édifices tripartites déclinée à Uruk tend à valoriser l’espace central et à réduire en surface les bas-côtés, disposés désormais dans le sens de la longueur, le long de l’espace central. Ce parti pris est combiné avec le développement sur un des petits côtés du bâtiment d’un édifice de tête, un Kopfbau, selon la terminologie utilisée par les Allemands, qui présente généralement une autre série de foyers et peut être considéré comme un deuxième espace de réception ou de réunion de l’édifice. La superficie de ces édifices tripartites s’échelonne entre 3 200 m2 environ et 200 m2, pour onze édifices répertoriés. L’étude de ces édifices m’a permis d’établir qu’ils ne constituent pas un ensemble homogène, mais peuvent être divisés en plusieurs classes : au sommet de la hiérarchie, un édifice est complètement à part, le bâtiment D. Il relève d’une catégorie d’édifices particulière, à laquelle on rattache volontiers le bâtiment E : même superficie, 3 200 m2 environ, démultiplication des circulations et des cages d’escalier. On a par ailleurs établi qu’il existait une hiérarchie du bâti qui s’organise en trois niveaux : des édifices de premier rang, de second et un seul que l’on considère comme de troisième rang. Les édifices de premier rang ont des caractères communs : outre leur gigantisme (entre 1 200 et 700 m2), ils sont conçus pour accueillir des assemblées importantes dans un espace central cruciforme muni de multiples accès, notamment dans la partie cruciforme de l’édifice. Cet édifice est aussi muni de deux cages d’escalier qui conduisent selon toute probabilité à un étage. Enfin, il est doté d’un édifice de tête de dimensions proportionnées, qui peut être, comme au bâtiment C, un deuxième édifice tripartite. Les édifices de second rang sont plus petits (400 m2), dotés d’une seule cage d’escalier et d’une salle de réception qui occupe un espace considérable dans l’édifice (souvent un peu moins d’un tiers de la superficie d’ensemble). Ils sont également dotés d’une grande pièce de tête.
12 Un type particulier d’édifices connaît un extraordinaire développement, ce sont des halles à piliers circulaires, rectangulaires ou polygonaux. Leur étude montre que leurs dimensions et leurs espaces de réception les rapprochaient des réceptions des édifices tripartites et que ces halles sont proportionnelles aux salles de réceptions d’édifices de premier et second rang. Il s’agit donc de la spécialisation d’édifices dont le caractère principal est la démultiplication des accès, jusqu’à 18 portes au Hallenbau par exemple.
13 Enfin, ces édifices sont combinés à des espaces ouverts et enclos pour certains (cour du complexe A, cour 1 du complexe C, puis cour 2, cour du complexe F, G et H). Ces cours connaissent un développement considérable et sont de véritables esplanades. La plus grande de ces cours atteint 937 m2, et la plupart couvrent un peu plus de 500 m2, un module qui se répète à plusieurs reprises et doit avoir une signification : cour du complexe ouest, cour 1 bâtiment C et cour du complexe A. Une cour très spécifique est la grande cour de plus de 2 000 m2, totalement enclose, qui était probablement un jardin. Ces données de base nous montrent que derrière l’apparente hétérogénéité se cachent des formules répétées et déclinées en fonction de critères et de besoins qu’il est beaucoup plus difficile d’établir.
14 L’étude minutieuse de la stratigraphie a permis d’identifier les étapes finales de l’histoire de ce complexe. Deux grands états peuvent être distingués. L’état le plus ancien offre une série de complexes intégrés juxtaposés. D’une superficie comprise entre 3 200 m2 et 2 500 m2, ils constituent chacun un bloc bordé, sur deux côtés au moins, par des rues et probablement au nord par une circulation que suggèrent les alignements remarquables des murs. Il existe un véritable parcellaire monumental, marqué par la juxtaposition de ces ensembles complexes. Disposés sur deux ou trois côtés de ces cours, on trouve systématiquement un bâtiment tripartite de premier rang, un ou deux bâtiments tripartites de second rang et, au moins dans deux cas, une halle à piliers circulaires, et dans un cas (le complexe ouest) deux halles à piliers. L’accès à l’ensemble, quand il est conservé, se fait par des portes percées dans les murs d’enceinte : il s’agit souvent d’une double porte, en saillie, qui donne sur des cours dont la dimension moyenne est de 500 m2.
15 Chacun de ces complexes fonctionne comme une unité hiérarchisée avec cour et vestibules, halls de réception, un bâtiment de premier rang que l’on proposera de qualifier de bâtiment de majesté, et des bâtiments monumentaux tripartites « standard ». Dans l’état le plus récent, l’un de ces complexes se développe considérablement et intègre dans un ensemble unique un vaste périmètre composé à l’ouest de trois halls de réception disposés autour d’une cour et à l’est de l’ancien complexe étendu et réaménagé. L’analyse de cet ensemble conduit à y voir un système très hiérarchisé et contrôlé de circulations, qui se développe sur trois niveaux : un ensemble externe, fait de halls de réception, un système médian, fait de sas de contrôles et de réceptions secondaires, puis un ensemble interne organisé autour du plus grand des édifices tripartites du complexe, le bâtiment C. Le passage, pour ce qu’on en voit, d’un système juxtaposé d’unités équivalentes à un grand complexe intégré unique de plus de 6 000 m2 est à nos yeux le signe d’importantes mutations et éventuellement d’un phénomène de concentration du pouvoir.
16 Ces complexes sont en effet, à mon sens, représentatifs d’une organisation socio-politique très hiérarchisée : ils sont la tête d’un réseau de relations probablement proportionné à un État urukéen dont on soupçonne par ailleurs le développement, à travers la glyptique et l’écriture. Toute la difficulté est de savoir quelles unités socio-politiques sont ici représentées et sous quelle forme. La grande difficulté réside dans le fonctionnement et l’organisation de ces complexes : sont-ils uniquement, comme le pensent les Allemands, des centres cérémoniels, où se combinent prestations économiques redistributives et rituels, comme le fameux mariage sacré ? Que ces complexes soient faits pour accueillir des assemblées nombreuses ne fait aucun doute et ce seul fait alimente naturellement les spéculations sur la nature du pouvoir à Uruk à l’époque proto-urbaine.
17 On peut toutefois aller plus loin dans cette orientation en notant, d’une part, que les espaces destinés à accueillir de telles assemblées sont démultipliés dans les complexes et que toutes ces salles de « réception » ne fonctionnaient probablement pas en même temps, pas aux mêmes occasions et avec les mêmes assistants. D’autre part, si les espaces de réception des grandes halles ne paraissent pas particulièrement polarisés, il en est tout autrement des espaces de réception des édifices tripartites qui nous semblent très clairement orientés, avec une partie « publique », généralement côté Kopfbau et une partie plus « privée », autour d’un foyer et à proximité de la cage d’escalier. C’est vrai aussi bien dans les édifices de premier rang que de second rang. Cette idée me conduit à suggérer que ces édifices qui accueillaient des assemblées étaient des lieux de réception, où des occupants accueillaient des visiteurs en nombre. Dans un cas au moins, on a observé que les dimensions de la halle de réception (Hallenbau) étaient identiques à celles de l’espace de réception d’un bâtiment de premier rang, ce qui permet d’établir un lien direct. Si ces édifices étaient des habitats, et non pas seulement des lieux de réunion ou d’assemblée, on s’étonnera alors de l’absence d’installations économiques, de stockage surtout, ou de transformation ; l’absence de fours est un des faits les plus évidents et tout porte à croire que ces complexes n’étaient que la tête redistributive et festive d’un système économique enraciné dans l’ensemble du territoire de l’ensemble proto-urbain. On peut naturellement spéculer sur la nature de ces résidents et leur nombre. Quelle que soit la nature de ces acteurs, le fait majeur est la juxtaposition d’unités non pas identiques mais comparables en un même lieu, un complexe monumental et cérémoniel où tout est mise en scène, une mise en scène hiérarchisée. Cette hiérarchisation est présente dans les deux états principaux, mais nous paraît s’accentuer dans l’état le plus récent. Le bâtiment central de cet état récent a été détruit par le feu et son abandon s’est accompagné de la liquidation de l’ensemble des édifices qui ont été arasés. Nous ne savons rien malheureusement de ce qui s’est passé après cet abandon. Nous avons donc à Uruk tous les éléments d’une scénographie monumentale, d’un urbanisme monumental, destiné à accueillir des assemblées nombreuses ou des réunions.
Une micro-écologie de la Cité-État sumérienne
18 La révolution urbaine à la fin du IVe millénaire a abouti à la mise en place, au moins dans le Sud de la Mésopotamie, d’une matrice urbaine centrée sur des complexes intégrés, symboles de communautés politiques que l’on qualifie ordinairement de « Cités-États ». La liste dite des cités et le sceau connu comme le « sceau des cités » attestent l’existence d’une matrice de centres urbains, identifiés par des signes dans lesquels on reconnaît ordinairement des édicules ou des autels [13]. Ces centres urbains se seraient développés autour de sanctuaires, comme l’Eanna d’Uruk. Sous la protection de divinités « poliades », se seraient construites des « Cités-États », gouvernées par des « rois prêtres », bien attestés dans l’iconographie du IVe millénaire par la longue série de personnages coiffés du bandeau ou du bonnet. Par analogie avec la situation politique connue au milieu du IIIe millénaire, on en a déduit qu’il existait au pays de Sumer, au IVe millénaire, une série de Cités-États gouvernées par ces personnages, sous l’autorité de divinités protectrices. Cette théologie politique s’est accompagnée de la construction de l’espace comme paysage sacré [14], dont les relais essentiels étaient des pôles religieux. Que certains d’entre eux aient été des pôles politiques est évident, mais même à l’époque des « Cités-États sumériennes » du Dynastique archaïque, ces « Cités » ne répondent pas au modèle idéalisé, gréco-romain, de la ville et de son arrière-pays. Il s’agit plutôt d’un très dense réseau de centres religieux intégrés dans des constructions politiques qui ont constamment évolué. Ces « Cités » constituaient un ensemble de villes considérées comme premières dans la tradition littéraire mésopotamienne. Elles étaient uru-ul, des cités bâties par les dieux et particulièrement vénérées pour leur antiquité [15]. Ce n’est que dans un second temps qu’apparaît la notion de « capitale », uru-sag, littéralement la « cité-tête », dans un contexte à la fois politique et religieux.
19 Les prospections réalisées au cours des années 60 et 70 dans le sud de l’Irak ont permis d’avoir un aperçu de cette trame extrêmement dense de centres urbains : Uruk et Larsa, deux des grandes capitales de la région, ne sont distantes que de 15 km environ, l’une atteignit 590 ha au IIIe millénaire, le tell de Larsa 250 au minimum à la fin du IIIe millénaire. L’étude de ces « cités » et de leur arrière-pays par Adams et Nissen [16], puis Adams [17], a permis d’élaborer tout un scénario du développement et du décollage des IVe et IIIe millénaires. Adams a exploité le fonds de photographies aériennes réalisées par la KLM pour le gouvernement irakien en 1961 , puis les premières photos Landsat. Il a élaboré un scénario de l’urbanisation en cinq moments : le premier est la période d’Obeid, un peuplement villageois très diffus dans un milieu difficile où se combinent delta et steppe. La seconde étape est la période ancienne d’Uruk : à cette époque a lieu le décollage. Se constituent alors des zones économiques complémentaires, notamment dans la région de la métropole religieuse Nippur, les villes jouant le rôle d’interface entre espaces pastoraux et zones de cultures, le long des chenaux combinés du Tigre et de l’Euphrate. Autour d’Uruk se constitue surtout au nord un arrière-pays rural dominé par la métropole d’Uruk : au cours de la période récente, troisième étape, la population de la zone centrale autour de Nippur migre vers la région d’Uruk où se développe une capitale macrocéphale, au sommet d’une hiérarchie du peuplement qu’elle écrase totalement. Quatrième étape, ce phénomène de macrocéphalie s’accentue au Dynastique archaïque I, les villages sont abandonnés au profit de véritables agrovilles que sont désormais les cités sumériennes. Cinquième étape, ces cités sumériennes, dont le développement est limité par l’étendue de terres arables disponibles, entrent en compétition les unes avec les autres au Dynastique archaïque II puis III, évoluant au gré de l’évolution du système hydraulique lui-même et à la fin du IIIe millénaire, dernière étape de cette croissance, les tensions politiques conduisent à l’hégémonie de la cité d’Ur qui met enfin en place, seulement à cette époque-là, une puissante infrastructure hydraulique artificielle gérée par les institutions centrales et par d’anciennes cités devenues chefs-lieux de province : la provincialisation va de pair avec la gestion centralisée du système hydraulique, un système fragilisé par cette dépendance et surtout par les problèmes de salinisation des sols. Il s’effondre donc progressivement à l’époque paléobabylonienne.
20 La révolution urbaine telle que la conçoivent Adams et Nissen est donc le résultat non pas du volontarisme d’une élite dirigeante despotique, mais plutôt celui de l’exploitation opportuniste d’un complexe système, celui d’un delta intérieur, qui est exploité au mieux, mais absolument pas maîtrisé. Le décollage tient à la complémentarité de différents espaces économiques, la ville étant conçue d’une part comme un centre d’échanges, d’autre part comme un centre religieux : la théocratie n’est plus une institution volontariste, mais plutôt opportuniste, qui canalise et encadre à son profit l’énergie dégagée par la mise en culture de ce delta. Une élite de managers religieux va émerger et concentrer dans la ville ces pouvoirs jusqu’à rassembler l’essentiel de la population dans ces villes, devenues Cités et États. L’approche d’Adams cumule les acquis de la géographie urbaine, en exploitant réseaux de Christaller et loi de Zipf (sur la macrocéphalie d’Uruk), en la combinant à la vision néo-évolutionniste de Service et son école, qui avaient élaboré une vision des chefferies complexes dominées par une théocratie éclairée. Il s’agit d’une vision très moderniste d’un décollage fondé sur une précoce économie d’échanges régionaux. Cette approche a directement nourri les théories de Guillermo Algaze sur le décollage sumérien [18]. Insistant sur l’ampleur des avantages cumulés du sud mésopotamien [19], il a élaboré la théorie du système-monde urukéen. Il s’appuie notamment sur l’ouvrage de Curtin [20] et les théories de Braudel et Wallerstein [21]. Il fait d’Uruk la première métropole d’un système-monde dans lequel s’établit une trame hiérarchisée faite d’un centre urbanisé, Uruk, qui établit des colonies et des avant-postes sur les routes menant aux zones de production des matières premières situées dans des périphéries (Anatolie orientale, Iran) acculturées. Uruk serait ainsi la première métropole mondiale capable de susciter et animer une économie d’échanges à grande distance, dans la liste de ce type de métropoles marchandes et industrieuses qui ont dominé les systèmes-mondes successifs.
21 On a envisagé ailleurs tous les problèmes d’interprétation que suscitent l’expansion urukéenne [22]. L’un de ces problèmes est précisément l’évaluation de l’écart de développement économique entre la région d’Uruk et les zones environnantes, cet avantage qui a justifié à lui seul ce modèle néo-diffusionniste dans les années 90. Un autre problème est la nature du modèle urbain élaboré et son impact réel sur les zones affectées. Ce « deuxième modèle » du développement urukéen tel qu’il a été formulé par Adams, puis généralisé par Algaze, a été critiqué pour de multiples raisons. Sans revenir au problème de l’expansion elle-même, concentrons-nous ici sur le problème posé par le décollage sumérien ou proto-sumérien. Le problème se pose à plusieurs niveaux : d’une part, au niveau de la définition de la Cité-État sumérienne et en particulier de la définition des relations ville/campagne, qui sont au cœur de tous ces débats. En amont d’autre part, la documentation utilisée pour raisonner, les données des prospections elles-mêmes, ont été critiquées, amendées et réévaluées.
22 Le premier problème est la question de la « visibilité » des sites. Il s’agit de savoir, comme dans toute prospection, jusqu’à quel point le volant de sites repérés par période est représentatif du peuplement ancien. Plus personne aujourd’hui n’espère retrouver l’intégralité des sites d’une région sur une période. Dans la région qui nous intéresse, la dynamique de l’alluvionnement et des dépôts éoliens a enseveli non seulement les sites mais aussi les restes de canaux. Déflation éolienne et érosion ont au contraire emporté ou dégagé des réseaux entiers, si bien que les études récentes ont soigneusement sérié ces différents facteurs afin de dresser une carte de visibilité par période. L’ensemble de la Babylonie ancienne est certes un palimpseste, mais surtout une mosaïque de micro-régions, dont la monotonie apparente recouvre une microtopographie extrêmement complexe. Verhoeven et Gasche ont ainsi établi que tout le Nord du pays d’Akkad ou de Kish ne conserve guère en surface de vestiges antérieurs à la fin du IIIe millénaire [23]. Dans le sud, dans le pays de Sumer, Geyer et Sanlaville ont clairement établi que les sites les plus anciens, notamment ceux de la période d’Obeid, ont été ensevelis au moment de la transgression flandrienne par les alluvions du Tigre et de l’Euphrate [24].
23 Plus récemment, en exploitant le fonds de photos satellite Corona, Pournelle a étendu le champ de l’étude de Geyer et Sanlaville à tout l’extrême Sud irakien, en reprenant les aires prospectées par Adams et Nissen (région d’Uruk), Adams (Nippur survey) et Wright (Ur Eridu survey) [25]. Elle a ainsi reconstitué la géodynamique du delta intérieur et cartographié précisément l’ampleur de la transgression marine dans la région, une transgression qui atteint son apogée entre 4000 et 3300, au moment de la révolution urbaine. Toutes les zones marécageuses du Sud irakien constituent alors un golfe intérieur dont la progression peut être simulée par ordinateur. Elle a exploité les données des carottages réalisés dans la région par les sociétés pétrolières au cours des années 80. Celles-ci permettent précisément de définir la nature et l’origine des dépôts alluviaux ou marins observés. La transgression, on le sait, a provoqué une profonde mutation des modalités d’alluvionnement du Tigre et de l’Euphrate. Les deux fleuves, qui construisent dans la plaine un système complexe de levées, ont créé au fil de la transgression une série de lobes deltaïques recouverts par la suite par des systèmes plus récents, notamment à l’époque parthe et surtout sassanide. Ces systèmes, dont l’abandon remonte au IXe siècle, ont été soumis à une intense érosion qui a agi de manière différentielle sur les sédiments : dans les secteurs intensivement irrigués, les levées des canaux sassanides ont été décapées, mettant au jour des vestiges plus anciens ; dans ces zones-là, les systèmes préclassiques sont donc visibles. Dans l’extrême Sud, au nord d’Uruk, les restes des avancées deltaïques successives sont visibles et leur étude permet de proposer ponctuellement une cartographie du pays de Sumer.
24 Deux faits de peuplement apparaissent alors clairement :
- d’une part, et ce n’est que la généralisation des observations de Geyer et Sanlaville, tous les grands centres urbains sumériens se trouvent sur des dos de tortue, des buttes-témoins résiduelles qui ont échappé à la transgression et aux crues catastrophiques qui la caractérisent. Ces buttes ont étroitement circonscrit le développement de ces sites, villages puis villes, comme ce fut le cas dans le delta du Nil à la même époque. Ce phénomène explique très concrètement la très grande stabilité de ces établissements, dont l’élévation graduelle au fur et à mesure des cycles de construction est un gage supplémentaire de sécurité ;
- hors de cet archipel de centres urbains, la colonisation de la plaine deltaïque ne s’est pas faite de manière homogène, on le savait, ni selon le collier de perles imaginé par Adams : ce sont de véritables grappes de villages qui se sont installés sur les lobes sédimentaires au point de contact entre milieu maritime et milieu marécageux. Là se trouvaient les niches écologiques propres à minimiser les risques d’une économie fondée sur la combinaison de l’irrigation sur les levées et de l’exploitation intensive des marais du sud irakien.
26 Il faut donc renoncer à la vision « hollandaise » du développement de la Mésopotamie ancienne. Il ne s’agit pas de la colonisation par irrigation de terres gagnées sur la mer et les marais, mais d’une adaptation très sélective qui a créé toute une série de niches propices au développement d’une économie mixte, dans laquelle la pêche, l’exploitation des roseaux et du bitume ont joué un rôle de première ampleur ; la documentation textuelle plus tardive l’atteste clairement. Ce troisième modèle a surtout l’avantage à nos yeux de montrer qu’il n’a pas existé une sorte de front pionnier urukéen volontariste, mais un système fait de micro-écologies combinées qui restent à comprendre. Le pays de Sumer était fait d’une série de micro-États aux traditions bien individualisées par-delà le sens d’une appartenance commune. Ces traditions bien matérialisées dans la géographie religieuse et mentale des Sumériens tiraient leurs racines d’une micro-écologie dont on commence à dessiner et cartographier les contours.
27 J’ai reporté sur une carte ces différentes hypothèses qui permettent de visualiser cette géographie de la première révolution urbaine. Il apparaît ainsi que le futur pays de Sumer se présente comme une série de trois niches au moins, séparées entre elles par des lagunes, voire des bras de mer :
- un lobe central, le long de l’Euphrate, aboutit à Uruk et dans la région de Bad Tibira ;
- un lobe sud se situe dans la région d’Ur et d’Eridu, séparé du lobe principal par un véritable petit golfe intérieur ;
- enfin un lobe oriental donne sur la ville de Girsu, l’une des métropoles du futur État de Lagash. Ce lobe oriental, dont la dynamique reste à étudier dans le détail sur le terrain, est celui du Tigre, dont le cours s’individualise de celui du cours combiné en amont, près d’Umma.
29 Les études récentes réalisées sur la région d’Umma à la fin du IIIe millénaire ont permis de dessiner avec plus de précision cette géographie du pays sumérien. Steinkeller [26], en étudiant les textes administratifs de la période d’Ur III, a montré qu’il existait une importante vie villageoise dans le monde sumérien. C’est là remettre en cause l’idée de l’« agroville » chère à Adams. La province d’Umma est alors un carré de 45 km de côté, soit 2 000 km2, où l’on recense 158 établissements, dont 110 sont identifiés précisément. Steinkeller a proposé une classification en quatre rangs :
Le pays de Sumer à la fin du IVe millénaire
Le pays de Sumer à la fin du IVe millénaire
- hameau (hamlet) : 10 à 250 hab., de 2 à 50 maisons /constructions, au nombre de 110 ;
- grands villages : 250 à 1 000 hab., pour 50 à 200 constructions, au nombre de 12 ;
- ville : population supérieure à 1 000 hab. et plus de 200 constructions ;
- Cité (city), supérieure à 20 000 hab. et dotée de 4 000 maisons.
31 Ces différents concepts et notions relèvent d’abord d’un véritable continuum entre la ville et la campagne, les distinctions étant fondées sur la présence d’un type de bâtiment ou d’un officiel résidant en permanence (notamment dans les villes des intendants) dans le secteur.
32 Cette documentation qui est tardive (fin du IIIe millénaire) est en tout cas clairement révélatrice d’une forte hiérarchie au sein d’une société agraire dans laquelle il existe un continuum très fort entre la ville et sa campagne. Steinkeller lui-même n’hésite pas à contester la spécificité de la ville et à insister d’abord sur les caractères agricoles de tous ces établissements, la ville n’étant finalement, à s’en tenir à ces documents, qu’un village étendu. Ces Cités-États, on le sait depuis longtemps, ne se limitent pas à un centre urbain, mais sont constituées d’un réseau de centres urbains, de ports également, qui sont cruciaux pour comprendre la logistique de la première révolution urbaine.
33 Il se dessine ainsi une approche plus fine de la réalité urbaine du monde suméro-akkadien, à travers la documentation archéologique comme à partir des textes. L’étude critique des données des prospections permet de relativiser les conclusions avancées dans les années 80 sur la révolution urbaine : non seulement la base exclusivement agricole ou agropastorale du développement sumérien est discutée, mais les bases mêmes de la géographie humaine sumérienne sont remises en cause. De fait, les historiens ont été eux-mêmes influencés par une iconographie qui célèbre à la fin du IVe millénaire les vertus de la cité agropastorale. Il n’est pas question ici de nier son existence, mais de faire la part du discours officiel de la cité et de l’évolution très complexe de centres proto-urbains promus, pour certains d’entre eux, au rang de Cités-États et de villes.
Mari et la Cité-État suméro-akkadienne
34 Le développement de ces centres proto-urbains s’inscrit dans une longue durée où l’idée même de la ville s’est imposée très progressivement. En soulignant récemment que la ville (city) avait été le creuset dans lequel est né l’État au Moyen-Orient, Yoffee a tenté de sortir des cadres classiques de la théorie évolutionniste. Il ne définit pas précisément ce qu’est une ville, mais insiste sur le fait que la plupart des grandes civilisations ont débuté avec des Cités-États, la ville étant ainsi le creuset de la naissance de l’État. Je préfère plutôt utiliser le terme de « proto-urbain » pour désigner ces premiers établissements humains dotés d’une hiérarchisation des espaces et de fonctions centrales. C’est dans ces établissements qu’il faut situer le creuset des micro-États suméro-akkadiens. Ceux-ci se sont construits autour de centres dans lesquels est née l’idée de la ville, qui est à mes yeux le produit d’une idéologie d’État qui fait de la ville le pôle majeur d’un paysage du pouvoir. Dans ce processus, qui a débuté à la fin du IVe millénaire, l’élaboration de villes nouvelles fut une étape cruciale. Outre les colonies urukéennes fondées sur l’Euphrate à la fin du IVe millénaire, la fondation de la ville de Mari, vers 2900 avant notre ère, fut une étape cruciale de cette histoire. En effet, les colonies urukéennes, considérées comme les plus anciennes villes connues avec Uruk, sont des établissements d’une quinzaine d’hectares environ, fortifiés et dotés de complexes monumentaux sur le modèle d’Uruk. Elles témoignent assurément d’une planification très ambitieuse, d’une organisation rigoureuse du parcellaire et de la voirie, mais il s’agit d’opérations limitées qui ont été sans lendemain.
35 La fondation de Mari fut une opération beaucoup plus ambitieuse et plus durable. La prestigieuse cité suméro-akkadienne, explorée par André Parrot de 1933 à 1974 [27], est depuis 1979 l’objet d’une étude multidisciplinaire, dont le but n’est plus seulement l’étude des grands monuments, mais aussi celle de la ville et de son environnement régional. Les recherches conduites de 1979 à 2004 par Jean-Claude Margueron ont permis de montrer que la ville est une ville neuve fondée vers 2900 avant notre ère [28]. Elle a vécu environ 1200 ans et a été reconstruite à plusieurs reprises. La première ville de Mari (ville 1 , fondée vers 2900) est le résultat d’une opération d’aménagement de grande envergure qui a comporté trois volets :
- d’abord l’implantation d’une ville circulaire ;
- la liaison par un canal de la ville à l’Euphrate ;
- et la construction en rive droite de l’Euphrate d’un canal de navigation de plus de 120 km de long [29].
37 C’est l’analyse morphologique du tell qui a conduit Jean-Claude Margueron à formuler l’hypothèse de la ville circulaire : les tells de Mari constituent un ensemble de collines artificielles ordonnées de manière concentrique, sur 1 , 3 km de long du nord-ouest au sud-est et 1 km du nord au sud. Le tell central est entouré au sud et à l’ouest d’un bourrelet circulaire de 25 m de large qui dessine un arc de cercle parfait. Le réseau des oueds du tell central se développe au sud et à l’ouest de manière radiale, si bien que Jean-Claude Margueron est parvenu à la conclusion que la ville fut dotée d’emblée d’une ceinture circulaire de 1 , 9 km de diamètre, et construite selon un plan rayonnant, chacun des oueds correspondant à l’une des rues principales de la cité.
38 La ville est implantée non sur les bords du fleuve, mais à plus d’un kilomètre, sur la terrasse holocène, à l’écart des crues ordinaires du fleuve. Elle n’a pas été épargnée en revanche par les crues exceptionnelles qui ont emporté une partie des vestiges : ceux-ci ont été clairement tronqués à l’est, le profil des pentes du tell étant dissymétrique. Il est donc possible de restituer un périmètre urbain circulaire de plus de 280 ha. Ce périmètre était traversé au nord-est par un canal dont les restes en surface étaient encore visibles au moment des premières fouilles. La ville était protégée par un double système de défense : une ceinture extérieure et un rempart intérieur. La ceinture a été fouillée à partir de 1979 : il s’agit au départ d’une digue, couronnée par un mur de briques crues que nous avons eu l’occasion de dégager en 1997, en confirmant l’ancienneté de l’ensemble, qui fut reconstruit et renforcé au fur et à mesure des reconstructions que connut la ville, vers 2550 puis vers 2200 avant notre ère. À la fin de l’histoire de la ville, ce rempart est appelé le Grand Mur. Le rempart intérieur a été dégagé à partir de 1997, essentiellement dans ses états ville 1 et ville 3 : large au plus de 8 m, fondé sur un mur de pierres quasiment cyclopéennes, c’est un des plus anciens remparts urbains de Mésopotamie, que les textes appellent le mur médian, à l’époque de Hammu-rabi, qui le fit abattre [30]. À cette époque, la ville comprend ainsi une ville haute, kirhum, et une ville basse, la couronne, adasshum dans les textes.
Mari, problèmes de topographie 1. Plan François de 1937 2. Analyse du modelé par Margueron 3. Photo satellite du site avec tell central et ceinture 4. Restitution de la ville ronde par Margueron Documents Mission archéologique française de Mari.
Mari, problèmes de topographie 1. Plan François de 1937 2. Analyse du modelé par Margueron 3. Photo satellite du site avec tell central et ceinture 4. Restitution de la ville ronde par Margueron Documents Mission archéologique française de Mari.
39 Les fouilles classiques et le relevé géomagnétique du site en 2000-2001 ont permis de comprendre un peu mieux selon quelle trame s’organisait la ville. Elle présentait deux enceintes, qui délimitent une ville intérieure et sa couronne, l’ensemble étant structuré selon un plan rayonnant. De cette ville, on connaît surtout la ville II : une ville reconstruite vers 2750 , au moment où Mari s’affirme comme l’une des grandes capitales mésopotamiennes. Les fouilles ponctuelles entreprises sous les niveaux de cette ville ont permis de montrer que la ville II reprend en partie la trame de la ville I, après la mise en place d’une infrastructure de grande ampleur : la ville I fut complètement nivelée et arasée, et les édifices et rues de la ville II dotés de puissantes fondations. Les rues de cette ville furent constituées en chaussées drainantes, identifiées dans toute une série de rues sécantes du système : sur plus de 2 m de hauteur, elles furent remplies de gravillons qui absorbaient les eaux de ruissellement [31]. En combinant les données acquises par Parrot avec les données des fouilles plus récentes et de la prospection, on est en présence du plan le plus complet que l’on ait pour l’instant d’une ville du IIIe millénaire. Dotée d’un rempart extérieur de 2 m seulement de large, elle était pourvue d’un rempart intérieur à l’abri duquel se développait un centre monumental organisé autour de deux pôles : un pôle politico-religieux que nous appelons le palais (138 m sur 144 m environ, soit plus de 19 000 m2), résidence du roi de Mari, et un pôle religieux qui se développait autour d’une haute terrasse, le massif rouge. Autour de cette terrasse se trouvaient, entre le palais et la terrasse, une grande résidence, celle de l’administrateur des biens du temple principal, le sanga, et au sud de cet ensemble, une série de sanctuaires [32]. Quelques maisons de la ville 2 ont été fouillées : centrées sur un espace central et dotées d’un étage, elles témoignent de la naissance d’une architecture domestique urbaine sur plusieurs niveaux, un phénomène qui n’est pas présent dans les colonies urukéennes de la fin du IVe millénaire : on est passé d’un monde proto-urbain, où les établissements résultent de la juxtaposition d’unités élémentaires de tradition préhistorique (des clans, des tribus ?) à la création d’un paysage urbain, résultat de profondes mutations socio-politiques qui restent à décoder, dans le cadre de quartiers bien définis, parfois enclos.
40 J’ai repris en 2005 la direction des recherches sur le site de Mari et entrepris dans cet esprit de poursuivre l’étude sur l’urbanisme de la ville selon une série de directions nouvelles : trois axes de recherche ont été définis, sur la ville elle-même et sa proche périphérie restée inexplorée jusque-là. Deux de ces axes ont produit des résultats sur l’étude de la ville et de son histoire : d’une part, on a ouvert une série de chantiers dans la moitié est du site restée inexplorée, d’autre part, on a entamé l’étude systématique de l’environnement du centre monumental, afin de comprendre comment s’articulaient la ville et ses monuments principaux. Les principaux résultats que l’on a obtenus sont les suivants. D’une part, on a travaillé dans le secteur couvert par la prospection géomagnétique : si celle-ci permet d’identifier des alignements ou des points remarquables, elle ne donne pas de datation et encore moins d’identification des anomalies ou variations ponctuelles de champ magnétique. Il était donc indispensable de faire une série de sondages, afin de comprendre et dater les éléments identifiés. On a ainsi pu, pour la première fois, dégager les vestiges d’une des grandes rues radiales de la ville II, en identifiant plusieurs étapes de l’exhaussement artificiel du niveau d’ensemble. Un second sondage nous a permis de montrer que le réseau repéré est le résultat du chevauchement d’une série de fondations, tardives cette fois, qui sont le reflet d’un réaménagement ponctuel du système rayonnant au cours de la ville III. C’est là la parfaite illustration de l’histoire d’un tissu urbain qui n’évolue pas par exhaussement « naturel » du niveau, mais dont le niveau est contrôlé artificiellement, qu’il s’agisse d’exhaussements au début de l’histoire de la ville ou d’arasements systématiques, afin d’éviter un exhaussement excessif, à la fin de son histoire.
Mari ville II, centre monumental Analyse fonctionnelle (dessin de l’auteur).
Mari ville II, centre monumental Analyse fonctionnelle (dessin de l’auteur).
41 On a d’autre part repris l’étude abandonnée par Parrot du massif rouge et de son quartier : là se trouvait le principal monument religieux de la ville, une haute terrasse de 1 218 m2. S’y déroulaient probablement les sacrifices en l’honneur des dieux de la ville, qui nous sont connus par des listes d’offrandes découvertes au pied du massif. Ces hautes terrasses, ancêtres des ziggurats de la fin du IIIe millénaire, se sont développées en Mésopotamie dès le IVe millénaire. Elles sont au départ polygonales et couronnées par un temple haut, à Uruk ou Tell Uqair, les exemples les mieux connus. Au milieu du IIIe millénaire, il s’agit d’édifices rectangulaires pour la plupart, sur lesquels ne se dressait pas systématiquement un temple. À Mari, il est peu probable qu’un sanctuaire ait couronné la terrasse, car on n’en a trouvé aucune trace. Le monument lui-même reste mal connu : il a été exhaussé à plusieurs reprises et élargi notamment au nord. L’exploration de l’environnement de cet édifice a permis d’identifier des phases anciennes de l’histoire de la ville II et d’établir le lien entre le monument et la stratigraphie des rues et édifices qui l’environnaient. Là encore, on assiste à un exhaussement artificiel du monument et de la rue sur des hauteurs considérables : plus de 2 m selon les secteurs. L’histoire des hautes terrasses mésopotamiennes n’est pas seulement l’histoire d’un édifice, mais celle d’un centre monumental que l’on a volontairement et progressivement exhaussé au-dessus du reste de la ville, objet ainsi d’une véritable scénographie dont les éléments commencent à se dessiner. On est donc clairement en présence d’opérations d’urbanisme de grande ampleur dont on connaît d’autres exemples en Mésopotamie, à Khafadjé par exemple, ou à Abu Salabikh. Mais il s’agit d’opérations plus limitées, qui témoignent en tout cas d’une vision très claire d’un urbanisme radical, proportionné à des institutions centralisées de plus en plus puissantes.
42 Si Uruk reste le meilleur exemple d’un développement monumental à la fin du IVe millénaire, Mari est aujourd’hui le meilleur exemple du développement d’une métropole au temps du classicisme sumérien (ville II), puis de ses développements despotiques de la fin du IIIe millénaire. Le modèle de développement de Mari est sensiblement distinct de celui que nous avons vu à l’œuvre dans l’extrême Sud mésopotamien et les origines du plan urbain circulaire restent à établir, Mari étant pour le moment le plus ancien exemple de ville ronde de l’histoire de l’humanité. L’ampleur même du projet urbain qui a mené à la fondation de Mari, tel que nous le reconstituons aujourd’hui, est un problème : il s’agit d’une opération de grande envergure, qui est en contradiction avec la vision du développement du Sud mésopotamien, au moins au IVe millénaire, que l’historiographie récente a bâtie.
Façade ouest du massif rouge, les deux états de l’édifice Mission archéologique française de Mari – 2007.
Façade ouest du massif rouge, les deux états de l’édifice Mission archéologique française de Mari – 2007.
43 C’est que Mari, fondée quelques décennies seulement après l’abandon des colonies urukéennes du Moyen Euphrate, est le reflet d’une tout autre conception de la ville, une ville proportionnée au contrôle et à la défense de tout un espace économique, situé aux portes du pays de Kish, l’autre grande métropole de la Mésopotamie, où, comme à Uruk, selon la tradition, la royauté serait descendue du ciel. Nous ne connaissons rien de Kish au début du IIIe millénaire, mais Mari fait partie de la Mésopotamie centrale, dont Kish fut l’un des grands centres. Arrivée à son stade de maturité, la ville 2 de Mari ne ressemble en rien au centre monumental d’Uruk : en 700 ans, le monde proto-urbain de Mésopotamie a donné naissance à des cités où institutions religieuses et politiques dominent massivement le bâti, un bâti fait de maisons urbaines, dans une civilisation parfaitement consciente de la puissance de ses cités, devenues des capitales royales puis impériales.
Notes
-
[1]
. Vera Childe, « The Urban Revolution », Town Planning Review, no 21 , 1950, p. 99-115.
-
[2]
Karl Wittfogel, Oriental Despotism, a Comparative Study on Total Power, New Haven-London, Yale University Press, 1957.
-
[3]
Robert Maccormick Adams, Heartland of Cities : Surveys of Ancient Settlements and Land Use on the Central Floodplain of the Euphrates, Chicago, Chicago University Press, 1981 ; Robert Maccormick Adams et Hans Nissen, The Uruk Countryside, Chicago, University of Chicago Press, 1972.
-
[4]
Sur ces problèmes voir, en dernier lieu, Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains de Mésopotamie, contacts et acculturation à l’époque d’Uruk au Moyen-Orient, Paris, CNRS éditions, 2003.
-
[5]
Évaluations réalisées à la suite de la prospection réalisée sur le site d’Uruk dans les années 80 : Uwe Finkbeiner, Uruk, Kampagne 35-37, 1982-1984, Die archäologische Oberflächenuntersuchung (Survey), Mainz am Rhein, Philip von Zabern (Augrabungen in Uruk-Warka Endberichte, désormais AUWE, 4), 1991 .
-
[6]
Traduction de Jean Bottero : L’épopée de Gilgamesh, l’homme qui ne voulait pas mourir, Paris, Gallimard, 1992, p. 64.
-
[7]
Les rapports préliminaires de la mission d’Uruk sont publiés dans la série des UVB (Uruk Vorberichte) et la publication finale dans la série des Uruk Endberichte.
-
[8]
Jusqu’en 1940, onze campagnes, sous l’égide de la Deutsche Orientgesellschaft, et de 1956 à nos jours, vingt-six campagnes supplémentaires, entreprises sous l’égide, depuis 1956, du Deutsches Archäologisches Institut, Orientabteilung, AuBenstelle Baghdad.
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[9]
Friedrich Von Haller, « Die Keramik der archaischen Schichten von Uruk », dans Arnold Noldeke et al., Vierter vorläufiger Bericht über die von der Notgemeinshaft der Deutschen Wissenschaft in Uruk unternommenen Ausgrabungen, Berlin, de Gruyter (Abhandlungen der Preussischen Akademie der Wissenschaft. Phil.-Hist. Klasse 6), 1932, p. 31-47.
-
[10]
Ricardo Eichmann, Uruk, die Stratigraphie, Grabungen 1912-1977 in den Bereichen Eanna und Anu-Ziggurat, Mainz am Rhein, Philip von Zabern (AUWE 3), 1989.
-
[11]
. Ricardo Eichmann, Uruk, Architektur I, Augrabungen in Uruk-Warka Endberichte, Mainz am Rhein, Philip von Zabern (AUWE 14), 2007.
-
[12]
Hans Nissen, « Cultural and Political Networks in the Ancient Near East during the Fourth and Third Millennia B.C. », dans Mitchell Rothman (ed.), Uruk Mesopotamia and its Neighbors : Cross-cultural Interactions and their Consequences in the Era of State Formation, Santa Fe, School of American Research, 2001 , p. 154.
-
[13]
Roger Matthews, Cities, Seals and Writing : Archaic Seal Impressions from Jemdet Nasr and Ur, Berlin, Gebr. Mann Verlag (MSVO II), 1993 ; Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains..., op. cit., p. 92-94, fig. 15 : sceau urbain et liste archaïque des villes.
-
[14]
Sur la vision qu’avaient les Sumériens de leur espace et des espaces environnants, voir Jeremy Black, « The Sumerians in their Landscape », dans Tsavo Abushi (ed.), Riches hidden in secret Places, Ancient Near Eastern Studies in Memory of Thorkild Jacobsen, Winona Lake, Eisenbrau, 2002, p. 41-61 .
-
[15]
Voir sur ce point Jacob Westenholz, « The Theological Foundation of the City, the Capital City and Babylon », dans Jacob Westenholz (ed.), Capital Cities, Urban Planning and Spiritual Dimensions, Jérusalem, Bible Land Museurm Press (Bible Land Museum Publications no 2), 1998, p. 48-49.
-
[16]
Robert Maccormick Adams et Hans Nissen, The Uruk Countryside, op. cit.
-
[17]
Robert Maccormick Adams, Heartland of Cities..., op. cit.
-
[18]
Guillermo Algaze, The Uruk World System, the Dynamics of Expansion of Early Mesopotamian Civilization, Chicago-London, Chicago University Press, 1993.
-
[19]
Guillermo Algaze, « Initial Social complexity in Southwest Asia : the Mesopotamian Advantage », Current Anthropology, no 42, 2001 , p. 199-233.
-
[20]
Philip Curtin, Cross Cultural Trade in World History, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
-
[21]
. Immanuel Wallerstein, The modern World System, New York, Academic Press, 1974.
-
[22]
Pascal Butterlin, Les temps proto-urbains..., op. cit.
-
[23]
Hermann Gasche et Michel Tanret, Changing Watercourses in Babylonia. Towards a Reconstruction of the Ancient Environment in Lower Mesopotamia, Gand, Université de Gand et Oriental Institute, 1998.
-
[24]
Bernard Geyer et Paul Sanlaville, « Nouvelle contribution à l’étude géomorphologique de la région de Larsa-Oueili (Iraq) », dans Jean-Louis Huot (dir.), Oueili, Travaux de 1987 et 1989, Paris, ERC, 1996, p. 391-408.
-
[25]
Jennifer Pournelle, Marshland of Cities, Delatic Landscapes and the Evolution of Early Mesopotamian Civilization, PhD Dissertation, San Diego, University of California, 2003 ; « KLM to Corona : a Bird’s Eye view of Cultural Ecology and early Mesopotamian Urbanization », dans Elizabeth Stone (ed.), Settlement and Society, essays dedicated to Robert Maccormick Adams, Los Angeles, Cotsen Institute of Archaeology, University of California, 2007, p. 29-63. Outre les prospections déjà évoquées d’Adams et Nissen, elle a aussi exploité les données du survey d’Ur : Henry T. Wright, « The southern Margins of Sumer » dans Robert Maccormick Adams, Heartland of cities, Chicago, Chicago University Press, 1981 , op. cit., p. 295-345.
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[26]
Piotr Steinkeller, « City and Countryside in Third Millennium Southern Babylonia », dans Elizabeth Stone (ed.), Settlement and Society..., op. cit., p. 185-213.
-
[27]
André Parrot, L’aventure archéologique, Paris, Robert Laffont, 1979.
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[28]
L’ouvrage de base est désormais : Jean-Claude Margueron, Mari, métropole de l’Euphrate, au IIIe et au début du IIe millénaire av. J.-C., Paris, Picard/ERC, 2004, pour la synthèse des travaux réalisés à Mari depuis 1933, avec catalogue des campagnes, p. 555-556 jusqu’à la 40e campagne, automne 2003. J.-Cl. Margueron a encore dirigé une campagne, la 41e, en septembre-octobre 2004. Depuis 2005, je dirige la mission de Mari et quatre campagnes supplémentaires ont eu lieu. Les rapports préliminaires de la mission de Mari sont publiés dans la revue Akh Purattim.
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[29]
Jean-Claude Margueron, Mari..., op. cit., chapitre 5.
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[30]
Sur ces problèmes de hiérarchisation de l’espace urbain, Pascal Butterlin, « Le problème des entrées royales en Mésopotamie : les limites d’un concept », dans Agnès Bérenger et Éric Perrin-Saminadayar (éd.), Les entrées royales et impériales. Histoire, représentation et diffusion d’une cérémonie publique, de l’Orient ancien à Byzance, Paris, De Boccard, 2009, p. 25-47.
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[31]
. Jean-Claude Margueron, Mari..., op. cit., p. 140-149.
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[32]
Sur ce quartier et son fonctionnement, voir Ibidem, p. 147, p. 176-177.